Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Exemples de critique historique : livres de la jeunesse et cinéma

Quelques exemples de critique historique, avant d’aborder le thème principal de la propagande coloniale.

         1 – Les livres de la jeunesse – Un sujet capital pour qui apprécie à sa juste valeur le formatage intellectuel qui peut en résulter, un formatage dont les « hussards noirs » de la Troisième République avaient fort bien compris le sens et l’importance.

        Les chercheurs de ce collectif développent à ce sujet un discours tonitruant qui tendrait à démontrer que l’école laïque de Jules Ferry aurait réussi à modeler l’imaginaire « colonial » des jeunes cerveaux au cours de la Troisième République :

      « Modeler l’esprit des écoliers. Les textes et plus encore les images des manuels scolaires de la 3ème République ont modelé l’esprit de plusieurs générations d’écoliers. » (CC/94)

       Seul problème, les travaux du Colloque savant ne permettaient pas d’en tirer une conséquence aussi simpliste, comme l’historien bien connu Gilbert Meynier le notait lors de ce colloque :

        « L’organisation de la propagande : en fait, sur un échantillon de quatre-vingt-sept manuels d’histoire, la part des colonies reste très modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus (Mémoire de maîtrise, Nancy, 1990)-(IC, p,113)

      « Le même historien joignait à la page 124 une annexe 2 intitulée : « Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire ». Les chiffres concordent avec ceux d’une étude faite par MM. Carlier et Pédroncini.

         Ces derniers auteurs avaient calculé que ce thème représentait quelques pour cents au cours de la période 1870-1940, dans l’enseignement primaire, supérieur, et secondaire.

        Dans les pas de l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, le même collectif faisait un sort au Petit Lavisse, le petit livre scolaire bien connu, mais les espaces consacrés au colonial, en textes comme en vignettes, représentaient dans l’édition de l’année 1930 moins de 5% sur un total de 182 pages : une culture coloniale à 5% ?

      Dans un  article intitulé « Les colonies devant l’opinion publique française », paru dans la Revue Française d’Outre-Mer, numéro 286, l’historien Charles Robert Ageron écrivait en 1990 :

       « L’étude des colonies avait certes déjà sa place dans l’enseignement, mais une place bien minime… Elle ne l’était pas à coup sûr pour forger cette mentalité coloniale ou impériale que souhaitaient les apôtres de l’idée coloniale »

        Il serait tout à fait intéressant d’avoir le même type de statistique  des livres scolaires patronnés par Sandrine Lemaire, et de mesurer les effets d’une déconstruction coloniale supposée. (Chap I, p, 31 à 63- Sup Col.)

       2 – Le cinéma colonial   Le cinéma colonial a-t-il bien existé et quelle place a-t-il occupée dans l’agenda du cinéma français de l’époque coloniale ?

       « Leur discours :

        Sous le titre « Rêver, l’impossible tentation du cinéma colonial » dans le livre Culture Coloniale, et dans la partie consacrée à la fixation d’une appartenance (après 1914) le critique de cinéma Barlet et l’historien Blanchard, en décrivant la situation du cinéma, écrivent :

         « En s’inscrivant dans la construction d’une  identité nationale, le cinéma colonial a de toute évidence puissamment contribué à la conceptualisation d’un  imaginaire en permanente évolution et encore à l’œuvre dans la France contemporaine. Il a surtout touché un vaste public qui, avec ces westerns coloniaux, va découvrir un monde, une épopée, un espace de conquêtes in connu. Une sorte d’initiation à la France coloniale, ludique et romanesque, où les rôles entre les « gentils » administrateurs, colons, médecins, missionnaires, légionnaires… et les « méchants indigènes » rebelles, fanatiques religieux… sont parfaitement répartis. » (CC, p, 122)

      J’ai souligné les expressions grandiloquentes ou trompeuses : « construction d’une identité nationale » : rien que ça !

       « Conceptualisation d’un imaginaire » dans ce cinéma colonial tout à fait limité en productions dans le temps et des espaces visités ?

      « Vaste public », alors que les deux auteurs se sont bien gardés de donner quelques chiffres documentés sur les films « coloniaux », en distinguant les époques, leur champ géographique, Maghreb ou Afrique, ainsi que les chiffres d’entrées de spectateurs qui ont pu être enregistrés dans les cinémas de l’époque.

       Plus loin, les mêmes auteurs écrivent : « La rhétorique du cinéma colonial découle d’un code proprement manichéen. » (CC,p,124)

        Plus loin encore : « Les schèmes coloniaux se déploient souterrainement dans les consciences, s’ancrent en silence dans les mentalités. «  (CC,p,183)

      Rien que cela ! Nous y voilà ! Le ça colonial !

      Ce qui n’empêchait pas le même historien, en 2005 de déclarer en toute cohérence intellectuelle et « sans doute » historique :

      A l’occasion du Cycle « Colonies » au Forum des Images, l’historien Blanchard a eu l’occasion de s’exprimer sur le cinéma colonial. Il y déclarait le 13 avril 2005 :

     « Toutefois il est certain que cette production est en marge du cinéma français, comme porteuse d’une malédiction en rapport avec le contexte de l’époque. Elle est donc peu diffusée, cachée, et même en grande partie « oubliée ».

      Le lecteur aura noté « oubliée », adjectif qui figurait dans le livre Boulanger. »

      Pierre Boulanger avait publié un livre fort bien documenté sur ce sujet, intitulé « Le cinéma colonial de l’Atlantide à Lawrence d’Arabie » (1975).

     Les lecteurs intéressés pourront consulter les pages que j’ai consacrées à cette critique que je concluais ainsi :

      « Et en conclusion, une grave insuffisance de chiffrage des pellicules et de leur audience comparative ! A croire que la nouvelle école de chercheurs est fâchée avec la statistique ! Absence complète d’évaluation de l’écho presse, ou radio à partir de 1935, que ces films ont reçu à chacune des périodes considérées ! » (Chapitre V, page 142, Sup Col)

     Et à partir d’un corpus très modeste, avant tout maghrébin, des affirmations et conclusions dont le lecteur pourra apprécier la pertinence, l’audace, sinon la mystification.

      Cette école de chercheurs a encore beaucoup de chemin à parcourir pour démontrer, et dans la rigueur de la recherche historique et du raisonnement, que le cinéma a été « un acteur de premier plan du mythe en construction de la culture coloniale en France ». »

JPR – TDR

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale; le livre « Images et Colonies » – II

II – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies

Les contenus

      Une première question se pose évidemment quant à l’objet de cette publication, alors qu’à lire celui de l’association Achac son objet est différent, « L’Afrique contemporaine », et qu’il s’agit ici de la métropole, et  non de l’Afrique.

         Sous la signature de Pascal Blanchard, ce dernier fait état d’un chiffre  de plus d’un million d’images qui auraient été analysées, et la BDIC indique qu’elle a mobilisé plus de 20 000 images de presse et d’images de propagande.

       Nous reviendrons sur les chiffres du postulat de l’échantillon «supposé », car il s’agit d’un postulat postcolonial qui n’a pas été démontré, ni au Colloque, ni dans cet ouvrage, alors qu’il s’agit d’une des sources majeures du débat.

     L’ouvrage contient un ensemble de contributions souvent intéressantes sur le thème choisi, rédigées par de nombreux chercheurs connus ou moins connus, sinon, inconnus, mais peu de dénombrements d’images par thème et par chronologie.

       Sauf exception, les auteurs ont simplement donné quelques chiffres des images et des illustrations d’images qu’ils ont choisies, avec une numérotation.

         Il est important de proposer une synthèse de ces contributions, d’en préciser les enjeux et les limites, étant donné la place que ces travaux de recherche historique  a occupée dans la préparation du Colloque de janvier 1993.

        La lecture des Actes du Colloque, de même que celle de ce livre, fait apparaître de nombreux écarts d’interprétation entre leurs contenus et les présentations qui en sont faites par les animateurs de l’Achac, et encore plus avec le contenu des thèses du modèle de propagande postcoloniale Blanchard and Co développées plus tard dans leurs livres.

       Ces écarts de méthode historique, sémiologique, et statistique, pour ne pas dire biais ou détournements, méritent d’être relevés et contestés sur le plan scientifique.

       Cet important travail de documentation effectué par l’Achac et la BDIC, mais pose en effet de multiples questions de méthode, compte tenu du ou des postulats de recherche posés et de leur interprétation historique, notamment celle proposée par les animateurs de l’Achac.

Résumons ces questions de méthode :

Le postulat implicite retenu : ces images « coloniales » seraient représentatives des situations de culture coloniale ou impériale des Français et des Françaises de métropole entre 1880 et 1962, date des indépendances des colonies, des situations historiques crées par la propagande coloniale, selon le déroulement chronologique ci-après :

     I –  Exploration Conquête Exotisme (1880- 1914) (p,15 à 72)

     II – Quand les Africains combattaient en France (1914-1918) (p,72 à 96)

     III – L’Apogée coloniale (1919-1939) (p, 96 à 184)

     IV – L’enjeu impérial (1940-1944) (p,184 à 218)

      V – Propagande économique Décolonisation (1945-1962) (p, 218 à 264)

      VI –  Autres regards (p, 266 à 288)

Un échantillon représentatif des situations historiques ?

S’agit-il d’un échantillon représentatif des situations culturelles décrites ? Première question clé, et si oui pourquoi ne pas avoir indiqué comment cet échantillon a été déterminé ?

       Quelle est la cohérence statistique de cet échantillon ? Les corpus d’images présentés sont- ils représentatifs des réalités historiques décrites dans leur contexte chronologique des années 1880-1914, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962 ?

       Faute d’explications par les auteurs de cette documentation, nous avons considéré que l’ensemble des images constituait aux yeux des chercheurs qui ont piloté la sélection l’échantillon représentatif en question, et c’est donc cet échantillon qui va faire l’objet de notre examen.

      Il s’agit d’une imprécision méthodologique qui ébranle sérieusement les leçons de cette histoire postcoloniale supposée quantitative.

        La pointe d’un iceberg : cet échantillon propose une image paradoxale du domaine colonial, car les « coloniaux » en séjour ou de passage, et quelle que soit leur catégorie sociale ont laissé un héritage très important d’images et de mémoires, dont le dénombrement n’a rien à voir avec ce type de sélection centrée sur la métropole.

       Un effet de loupe, d’autant plus que beaucoup des discours historiques proposés sont souvent très indigents en ce qui concerne le dénombrement des vecteurs de culture examinés, leur « tirage », leur diffusion, et encore moins en ce qui concerne leurs effets dans l’opinion publique. Au Colloque, Mme Hugon avait évoqué ce type d’effet.

       En d’autres termes, leur thèse est hypothéquée par un effet de loupe que de jeunes statisticiens pourraient mettre en évidence assez facilement.

       Quel impact ? Que dire de la mesure des effets de ces images sur la culture des Français et des Françaises que cette documentation ne permet aucunement d’éclairer, avec le trou béant de la presse ?

      En quoi, l’échantillon supposé représentatif des images coloniales de l’époque permet-il de répondre aux questions posées ? Dans quelques cas seulement !

        L’ignorance de la sémiologie : à supposer que les corpus proposés soient considérés comme des éléments d’un échantillon sui generis, il est également tout à fait surprenant que les chercheurs-auteurs des contributions se soient lancés dans toutes sortes d’interprétations, sans faire appel à des sémiologues.

       L’histoire des images pourrait se passer de cette nouvelle discipline, de l’héritage d’un Barthes sur les signes ?

        Le champ géographique de la thèse historique proposée : à lire l’ensemble de ces contributions, s’agit-il de la métropole, de l’Europe, ou encore de l’Occident ? Ou tout simplement de la France métropolitaine ?

         Dans la présentation générale de l’ouvrage figure par exemple cette phrase en forme d’une conclusion qui ne manque pas d’ambition : « Les découvrir aujourd’hui, permet de réfléchir sur les rapports complexes que l’Occident entretient avec ce continent. »

      Nous mettrons en évidence les écarts d’interprétation entre le commentaire de présentation qui est fait par les chercheurs de l’Achac et le contenu de la plupart des contributions qui figurent dans cet ouvrage important, alors que  certaines d’entre elles nuancent très sérieusement leur discours ou même le contredisent clairement.

        Il en a été de même, comme nous l’avons déjà vu, entre la présentation Blanchard-Chatelier du Colloque de 1993 et le contenu des Actes du Colloque eux-mêmes.

       Nous allons revenir rapidement sur les chiffres, l’interprétation, les écarts de lecture historique entre les commentaires de présentation de type Achac et le contenu des contributions.

     En premier lieu, les chiffres de l’ « échantillon » ou le comment ? :

      Alors que ces données sont capitales pour interpréter les corpus des images proposées, la lecture des deux sources citées ne permet pas de connaître la méthode choisie pour sélectionner les images, les critères retenus, période par période, pour chaque champ géographique, et pour chacun des thèmes.

      Dans leur introduction aux Actes du Colloque, Pascal Blanchard et Armelle Chatelier écrivaient : « L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème siècle révèle un volume d’images très important dont l’estimation reste à faire… Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français…. Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (pages 13,14)

        J’ai souligné les mots qui font question !

        De la prudence donc quant à « l’estimation », la même année que la publication de cet ouvrage, alors qu’à la page 8, Pascal Blanchard écrit :

       « … Son groupe de recherche (Achac) a  recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire… » ) 

        Dans leur introduction, Nicolas Bancel et Laurent Gervereau écrivent :

     « Douze mille images sélectionnées ont permis une clarification méthodique des thèmes et des supports, étape indispensable pour dresser une histoire des représentations coloniales. » (p,10)

     Question : les images reproduites dans l’ouvrage pour chacune des périodes et pour chaque thème analysé correspondraient à un échantillon représentatif, au moins par période chronologique ?

      L’ouvrage compte, sauf erreur, 671 reproductions d’images, 167 pour la première période, 56 pour la deuxième, 215 pour la troisième, 66 pour la quatrième, 108 pour la cinquième, et 59 pour la sixième.

     Les deux animateurs de la production proposent, à eux deux, hors leurs textes de présentation ou de conclusion, plus du quart des textes et des images : 76 pages de texte (soit 27% du total) et 168 images (soit 25% du total).

     Dans sa contribution, Pascal Blanchard propose une analyse de la propagande coloniale au temps de l’occupation allemande et ne consacre qu’une seule page à la presse de cette époque. Nicolas Bancel tente de décrire la propagande économique pour la période 1945-1962, mais en faisant une assez large impasse sur les chiffres, le cadre tout à fait nouveau du FIDES, et le fait que l’outre-mer avait basculé dans un monde nouveau.

     Pourquoi ne pas noter que dans la liste des exercices de démonstration d’une propagande coloniale qui aurait immergé la France dans un véritable « bain colonial », Sandrine Lemaire, historienne et propagandiste postcoloniale de la propagande coloniale dans les livres ensuite publiés est aux abonnés absents ? Elle ne figurait d’ailleurs pas dans la liste des participants au Colloque.

     Le thème de propagande coloniale ayant été au cœur de la démarche, il convient de noter d’ores et déjà que les contributions de deux historiens sérieux, Charles-Robert Ageron et Gilbert Meynier, tempèrent sérieusement le discours Blanchard-Bancel, pour ne pas dire le contredisent.

      Le rôle que le livre scolaire a pu jouer dans l’éducation coloniale des enfants a fait l’objet de contributions d’autant plus intéressantes qu’à la différence des autres contributions, elles sont riches en chiffres, lesquelles ne concluent pas à un effet propagande.

      Est-ce que les nombreuses pages de Pascal Blanchard sur « L’enjeu impérial », c’est-à-dire la période de Vichy de trente mois, puis l’Occupation Allemande complète du territoire, ne vient pas, historiquement, démontrer le contraire de ce que l’auteur a voulu démontrer : est-il possible de raisonner comme s’il y avait eu une continuité entre la Troisième République et Vichy, entre une propagande républicaine « anémique » et une propagande dictatoriale fasciste et allemande ?

    L’analyse de la presse pendant la période coloniale n’a quasiment fait l’objet d’aucune contribution chiffrée et argumentée, alors que le vecteur en question était un des rares à pouvoir faire l’objet d’une évaluation des effets d’une propagande coloniale supposée, dans la presse nationale et provinciale, avec leur nombre d’articles par période chronologique, en colonnes et en surfaces, en contenus, etc…

      Il s’agit à mes yeux, et comme je l’ai relevé à maintes reprises, d’une des grandes lacunes de l’histoire coloniale et postcoloniale qui s’est cantonnée le plus souvent dans l’histoire des idées ou des faits, sans aborder l’histoire quantitative.

     Indiquons enfin que l’ouvrage contient deux contributions au contenu fort intéressant sur la sculpture et la peinture illustrée de belles images que n’importe quel expert aurait sans doute de la peine à classer dans la catégorie de la propagande coloniale.

     Comme nous l’avons indiqué, nous proposons un tour d’horizon de classement rapide et synthétique des pages de l’ouvrage, en mentionnant à chaque fois, si leur contenu est intéressant : Intérêt – i = oui-non – marqué par l’exotisme – ex = oui-non – marqué par la propagande – Prop. = oui-non – ? –

     Le lecteur pourra constater que la mention Prop.=oui  est plutôt rare, alors qu’il s’agit d’une des pièces maîtresses de leur thèse.

      Question : histoire méthodique ou manipulation idéologique ?

        Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

IV – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale – « L’apogée coloniale 1919-1939 »

IV – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies »

&

III – « L’apogée coloniale 1919-1939 » (pages 96 à 184)

88 pages et 215 images

          Il s’agit évidemment de la période clé à examiner afin de se faire une  opinion sur l’existence ou non de la propagande coloniale, des vecteurs choisis, de leurs effets sur l’opinion publique française, avec tous les problèmes d’évaluation et d’interprétation des images et des textes que cela posait, des problèmes redoutables.

Une conclusion intermédiaire : quelles conclusions tirer de l’examen des deux premières parties, consacrées à la période de « Conquête, exploration, exotisme » et de la première guerre mondiale ? La propagande coloniale n’a jamais inondé la France au point de lui faire prendre un « bain colonial », contrairement à ce qui est raconté dans le livre « Culture coloniale »  « Imprégnation d’une culture (1871-1814) – (pages 41 à 103).

        La période 1919-1939 a-t-elle été plus fructueuse pour les chercheurs de l’Achac ? Rien n’est moins sûr, comme nous allons le voir.

         Ma première remarque de méthode portera sur l’absence quasi-générale de l’évocation préalable, ne serait-ce que synthétique, du contexte historique national et international des faits décrits.

        Il n’est tout de même pas indifférent de rappeler  que cette période a succédé au bain de sang de la première guerre mondiale (1 400 000 morts et 4 300 000 blessés), dans une France à moitié détruite et ruinée.

        La crise de 1929 est venue très rapidement après, enchainant  rapidement avec la montée de l’hitlérisme, la menace allemande, et les années d’instabilité de l’avant deuxième guerre mondiale.

        Question ? Comment est-il possible de faire l’impasse sur ces épisodes « structurants » de l’histoire, pour utiliser un qualificatif à la mode, alors que Charles-Robert Ageron a bien souligné le caractère tout à fait « conjoncturel » de la propagande coloniale des quelques années d’avant-guerre ? 

       Compte tenu de l’importance que ce collectif a accordée à la propagande coloniale décrite avec beaucoup d’emphase et de termes tonitruants, ce thème fera l’objet d’une chronique spéciale. Le livre « Supercherie coloniale », consacre un chapitre à ce seul thème.

       Les deux premières contributions ont été rédigées par deux historiens aux qualités reconnues dans le domaine de l’histoire coloniale, Charles-Robert Ageron et Gilbert Meynier.

        Les deux historiens ont documenté leurs travaux par des chiffres, les premiers sondages en ce qui concerne le premier, et la place de la culture coloniale dans les livres scolaires, pour le second.

       Charles-Robert Ageron « L’Empire et ses mythes » (p, 98 à 110 – 29images) :      I = oui – Ex = oui – Prop. = non

        Il ne fut pas un des participants (liste) du colloque de janvier 1993.

       Cet historien a traité le sujet à plusieurs reprises, notamment dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer du premier trimestre 1990, avant donc la date de ce Colloque, sous le titre «  Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939).

        Ici, l’historien relie à juste titre le concept de « mythe » à celui de l’Empire.

        « A la veille de la Seconde guerre mondiale, le discours dominant célébrait L’«empire français d’outre-mer », « L’empire français » et plus souvent encore, « L’Empire », avec un E majuscule. De la plate énonciation de 1914, « le domaine colonial de la France » au slogan cocardier de 1939 « La France est un Empire », on était passé de la réalité au mythe….. L’Empire s’affirmait ainsi être devenu l’un des mythes politiques les plus importants de l’entre-deux guerres. » (p, 98)

      L’historien note toutefois : « Encore fallait-il convaincre le Parlement et les citoyens français jusque-là rétifs aux discours des ministres du Parti colonial et plus sensibles aux charges des colonies qu’à leurs éventuels bienfaits…

      De sérieuses résistances de l’opinion s’étaient manifestées lors de la guerre du Rif ou de la guerre des Druzes, et le chef de bataillon Charles de Gaulle y était attentif dans l’«Histoire des troupes du Levant » (1931). Les coloniaux étaient eux, surtout soucieux de briser la carapace d’indifférence du peuple français à la geste coloniale. » (p,99)

       « … En dépit de la constitution d’une Ligue de la République impériale française, on ne voit pas en effet que la mystique impériale ait progressé après l’Exposition coloniale… Bref, le mythe impérial dont on dit parfois qu’il fut durablement enraciné après 1930, n’était pas à ce point solide qu’il réussit à modifier le statu quo… L’immobilisme, fruit de l’indifférence demeurait la règle.

       Les droites adoptent le mythe d’Empire

      Face à ces échecs, la propagande impériale n’en continuait pas moins à se développer… (p,100)

       « On ne déduira pas de cette trop rapide présentation des positions de l’extrême droite que la France politique tout entière fut ralliée dès 1934 au Mythe de l’Empire. Lors des élections législatives de 1936, très rares furent les candidats qui osèrent évoquer les questions coloniales et parler de l’Empire. « Le mot Empire est suspect et la chose indifférente », notait alors le Directeur des Nouvelles littéraires Roger du Gard ; « Pour la plupart, il évoque je ne sais quelle idée de conquête et d’asservissement. »

         Pourtant, dans les années suivantes, l’opinion allait s’acheminer vers un certain ralliement au mythe impérial. (p,101)

     Le ralliement au mythe impérial

     … L’essentiel réside sans doute dans la montée des périls extrêmes. La France directement menacée par l’Allemagne redécouvrit peu à peu le slogan mobilisateur et rassurant du Parti colonial lancé vers 1920 : « Le salut par l’Empire ». (p102)

        « Mais, ils ne furent jamais bien nombreux à  croire entre 1919 et 1939 que cet empire leur apportait la puissance économique et la richesse. » (p,104)

       De la mise en valeur des colonies au « repli sur l’Empire »

       « La mise en valeur des colonies ne séduisait pas les parlementaires qui refusèrent les crédits publics métropolitains d’équipement demandés par Sarraut. Bref, comme je l’ai souvent écrit, la colonisation restait majoritairement perçue comme le stade suprême du mercantilisme, non comme celui du capitalisme…. A partir de 1930, l’Empire fut surtout présenté comme le remède miracle à la crise économique… Mais le « repli sur l’Empire » était aussi et surtout une récession économique… Le Président du groupe parlementaire colonial, Léon Archambaud, tira le premier en 1932 la sonnette d’alarme : « On trouve des millions et des milliards pour renflouer certaines grandes banques et pour aider  certaines nations de l’Europe centrale. Je voudrais que l’on trouvât quelques centaines de millions pour renflouer nos colonies…

      Le mythe du Transsaharien… (p,104)

       « L’Office du Niger, crée en 1932, fut un gouffre financier et un échec économique total…Le Niger ne fut pas- la nouvelle Egypte- qu’Eugène Bélime, « l’homme du Niger », avait promise. (p,108)

     … A la veille de la Seconde Guerre mondiale, un seul thème du mythe impérial devenait obsessionnel : l’Empire par sa puissance économique et militaire garantirait la sécurité de la France…

        Le mythe impérial aurait dû logiquement ne pas résister au choc de la défaite en 1940. Or tout au contraire il survécut comme mythe de compensation. L’Empire devint « la dernière carte de la France », le suprême recours, et beaucoup de Français naguère indifférents ou sceptiques se persuadèrent que l’Empire restait la seule porte ouverte sur l’avenir. «  (p,109)

Commentaire : il est assez surprenant qu’un collectif de chercheurs animé par Pascal Blanchard, dont certains participèrent au Colloque de 1993, aient ignoré cette analyse historique proposée par un historien aussi sérieux et expérimenté que Charles-Robert Ageron, bon connaisseur de  notre histoire coloniale, laquelle démontrait le contraire de ce qu’ils tentaient de démontrer.

      Janos Riesz « Les romans coloniaux français entre les deux guerres » (p,111,112 – 4 images) :  I = oui – Ex = oui – Prop. = ?

     Gilbert Meynier – « L’organisation de la propagande » (p,113 à 124 – 30Images) :    I = oui – Ex = oui – Prop. = non, sauf embryonnaire.

      Deuxième morceau dur après celui de Charles-Robert Ageron !

       Dès l’entrée, l’historien note :

         « Cette propagande qui met les colonies en images, devrait être appréciée par rapport au public ou – aux publics – qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement les matériaux manquent à l’histoire pour en juger avec sûreté. Face à ces éventuels publics, les émetteurs de propagande : l’unité d’inspiration – enraciner la foi coloniale, faire quelque chose des colonies – l’emporte-t-elle  sur la diversité des organismes de propagande, officiels ou non, au point de faire apparaître une concertation provenant d’un projet mûri et poursuivi avec méthode, c’est-à-dire d’une politique ? » (p,113)

Commentaire : l’historien pose bien les deux données essentielles de toute analyse sérieuse de ce dossier, celles relatives aux émetteurs et aux récepteurs des images, mais il est étrange qu’il n’ait pas sollicité le concours de Jean-Louis Miège qui s’était illustré en faisant effectuer des mémoires d’étudiants sur la presse.

      « Organismes et vecteurs de propagande

     Les organismes officiels

      … Y aurait-il donc une propagande officielle qui donne le « la » à l’éducation coloniale des Français ? 

     … En fait sur un échantillon de quatre-vingt- sept manuels d’histoire, la part des colonies reste modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus‘(mémoire de maîtrise Nancy, 1990) (p,113)

      Associations et groupements privés

     « Aux côtés de la propagande officielle, et dans la même inspiration, existe la propagande des organismes privés… Elles restent marquées par l’influence confinée des professeurs et des sociétés de géographie, bref par l’entreprise coloniale de cabinet.

      Il en va différemment de l’Union coloniale – et de sa Quinzaine Coloniale – plus en prise sur les préoccupations économiques liées à l’Outre-mer. Les chambres de commerce créent des comités de propagande…(p,114)

     Les organismes politiques

    …Mais dans l’ensemble, pour la période concernée, les partis politiques continuent à peu considérer la France coloniale. Les professions de foi électorales l’ignorent. Au moment des élections, comme lors du Front populaire qui suscita d’espoirs chez les peuples coloniaux, l’attention primordiale ne se porte pas sur l’Outre-mer… »

      Propagande et mise en image des colonies entre crédo colonial et exotisme de masse

     Sur trente affiches consultées au Musée d’histoire contemporaine, la presque totalité de celles produites par des organismes officiels connotent la geste utilitaire de l’Empire, l’ordre colonial et le nationalisme français. Un peu plus de la moitié renvoient au décor exotique, à l’anthropologie coloniale, au goût de l’aventure. 27 % évoquent la mission civilisatrice et seulement 18% illustrent les réalisations techniques de la France coloniale. 9% mettent en images les productions coloniales. C’est donc, prioritairement, l’adjuvant national français que renvoient ces images au public qui les regarde. Cet adjuvant est relié dans la plupart des cas à l’exotisme d’Outre-mer servant de décor…

       Au total, les deux tiers des affiches connotent le nationalisme français relié aux projets et aux fantasmes coloniaux,  la moitié  a pour support l’exotisme, moins d’un sur six le modernisme et moins d’une sur sept le rendement économique de l’Empire…

      Dans les photos ou illustrations figurant dans les magazines et livres abordant les thèmes coloniaux, davantage adaptées à un public censé être plus réceptif à ces derniers, la répartition est différente. Sur un corpus de soixante-seize images provenant de la même source, les réalisations modernes de l’Empire viennent en premier, à égalité avec l’exotisme – exotisme connotant davantage l’aventure – l’archaïsme et les sujets anthropologiques. La mission civilisatrice ne vient qu’au second rang…

      Dans les cartes postales, destinées  à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte, plus encore que dans les autres productions… C’est du moins ce que paraît indiquer un corpus de 116 cartes postales à thèmes coloniaux…

     Et ce que proposa l’Exposition coloniale de Vincennes en 1931 correspondit assez bien avec les productions d’images par ailleurs fournies. L’exposition suggéra surtout le dépaysement… (p,121)

        « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est donc principalement un exotisme de masse…  Et dans tout ce fatras narcissique,  les « indigènes », s’ils ne sont pas absents, existent par rapport au centre français, reliés qu’ils sont par des trajectoires françaises conçues en dehors d’eux…. Ainsi en décide l’idéologie coloniale française qui ne parle que pour elle-même… il semble d’après des sondages malheureusement tardifs, que la propagande coloniale ait plutôt davantage touché les jeunes que les vieux…Encore que l’on manque d’éléments pour apprécier les choses, les citadins ont sans doute été plus nombreux à visiter l’Exposition de Vincennes que le ruraux et à céder à son charme exotique. »  (p123)

      La page 124 contient quatre tableaux statistiques tout à fait intéressants dont les sujets sont les suivants :

  • Thème colonial dans 8 catalogues (jouets)
  • Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire par rapport à l’ensemble texte et illustrations
  • Affiches connotant le (la) : le nationalisme, le décor exotique, la mission civilisatrice, les réalisations modernes, les productions coloniales

        Total (30)

  • Photos et illustrations de magazines et livres coloniaux (corpus de 76 images)
  • Cartes postales à thèmes coloniaux (Total 116)

Commentaire : ces tableaux donnent quelques indications plaidant pour la place dominante de l’exotisme dans les images sélectionnées, mais sans que l’on connaisse la méthode de dénombrement utilisée, ni leur chronologie.

         Quid donc de leur représentativité historique ?

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale – « Apogée coloniale – 1919-1939 » Suite et fin

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : « Images et Colonies »

III – Apogée coloniale 1919-1939  (suite)

        Yann Holo – « « Jeux et jouets »  (pages 125 à 128 – 11 ImagesAuteur déjà cité dans la première période : I = oui – Ex= oui – Prop. = ?

        L’auteur écrit : «  Vecteurs de la propagande coloniale, les jeux et les jouets, les jeux et les jouets participent à la formation d’un imaginaire dominé par l’exotisme et l’aventure et contribuent également à enraciner les préjugés courants sur les « indigènes …»

Commentaire : comment interpréter ce texte sans évaluation des vecteurs et de leur succès ?

         Catherine Hodeir, Michel Pierre, Syviane Leprun – « Les expositions coloniales » Discours et images (pages 129 à 139 – 29 images) :

        I = oui – Ex = oui – Prop. = oui

      Cette chronique comporte de très belles affiches, et ne contredit pas les commentaires des deux historiens Ageron et Meynier, pas plus que l’avis très dubitatif du maréchal Lyautey sur le succès tout relatif de cette belle exposition : il y bien eu un gros effort de propagande, mais les résultats en ont été très mitigés.

       J’ai retenu deux citations :

        «  Le fonds iconographique parvenu jusqu’à nous reste un témoin essentiel de l’exportation éphémère des mondes coloniaux. » (p,139)

      « la synergie du discours et de l’image continue d’interroger et l’histoire et la sémiologie »  (p,139)

Commentaire : j’ajouterais volontiers le qualificatif de quantitative et représentative au concept et terme d’histoire.

     Les auteurs ont  très justement relevé la nécessité d’interroger la sémiologie, une des carences importantes de méthodologie des travaux ici décrits.

L’art et la propagande coloniale ?

        L’ouvrage comprend alors plusieurs contributions relatives à l’art, et il est superflu de préciser que nous entrons ici dans le monde très étroit des spécialistes et des connaisseurs, aussi bien à cette époque que de nos jours.

     Je crois pouvoir dire qu’il s’est agi d’un art des deux rives, et très tôt, la France a pris l’initiative de mettre en place des institutions coloniales de type culturel, qui n’avaient pas l’ambition de museler les formes d’art local, à l’exemple de l’Ecole des Beaux-Arts à Alger en 1897, ou de l’Ecole Française d’Extrême Orient et l’Académie Malgache, en 1896.

      Dominique Taffin – « Le Musée des colonies et l’imaginaire colonial » (p,140 à 143 – 5 images) : I = oui – Ex = oui – Prop. = ?

       Il serait tout à fait intéressant de pouvoir comparer la fréquentation de ce musée avec celle du musée actuel de l’histoire de l’immigration.

       Michèle Lefrançois – « La sculpture » (p145 à 151 – 18 très belles images) : sans commentaire : I = oui – Ex = oui –  Prop.  = non

     Barbara Boëhm et Antonin Mendès – « Peindre l’Afrique » (p, 152 à 160 –18 très belles images) :  I = oui – Ex = oui – Prop. = non,  sinon comme « Propagandistes ou non, elles ont contribué à façonner le regard des Français sur leur Empire » (p,158), d’une petite élite sans doute, mais pas de la population.

       Christian Delporte «  L’Afrique dans l’Affiche, la Publicité, le Dessin de presse » (p,161 à 169 – 28 images) :  I = oui – Ex = oui – Prop . = ?

        L’auteur écrit : « L’Empire, et singulièrement sa partie africaine, apparaît comme un thème non négligeable dans l’affiche et le placard publicitaire durant l’entre-deux guerres. En atteste ainsi une centaine de documents au moins, assez bien répartis dans le temps, malgré l’influence ponctuelle des expositions coloniales (Marseille en 1922, Strasbourg en 1924, bien sûr Paris en 1931. Le flou des références géographiques y domine, à tel point qu’il est parfois peu aisé de définir les origines des personnages représentés (s’agit-il de Noirs d’Afrique ou d’Antillais, d’Arabes du Maroc ou d’Algérie ? En revanche, on observe sans équivoque une sous-représentation des possessions d’Afrique du Nord par rapport au reste du continent africain.

      En dehors de celles qui annoncent les expositions coloniales, les affiches choisissant l’Afrique pour décor et ses populations pour actrices peuvent être rangées en trois catégories majeures… » (p161)

Un seul commentaire : à la condition sine qua non que la « centaine » de documents puisse en « attester » comme échantillon représentatif.

     Raymond Lefèvre « Le cinéma colonial » (p,170 à 173- 6 images) :

     – I = oui – Ex = oui – Prop. = ?

      Un article intéressant, mais sans qu’il soit possible d’en tirer une conclusion représentative à la fois du nombre de films et de leur succès.

       La référence du sujet est, à mon avis, celle de Pierre Boulanger.

      Olivier Peyron «  Les Timbres-Poste », (p,174,175 – 7 images) :

     I = oui – Ex = sûrement – Prop. = non, impossible à évaluer.

     Tayeb Chenntouf «  La méditerranée coloniale » (p, 176 à 183 – 31images) :    I = oui – Ex = oui –  Prop. = ?

Commentaire : il est intéressant de relever la situation suivante :

        « Dans l’entre-deux guerres – en réalité depuis le début du siècle – les images de l’Afrique du Nord qui circulent en France sont enrichies d’une iconographie produite en Algérie, en Tunisie, et au Maroc par des Français nés dans la colonie et les deux protectorats. » (p,181)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Les Actes du Colloque de janvier 1993

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Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

Les Actes du Colloque de janvier 1993 (150 pages) : analyse

I « Mythes, Réalités et Discours » – Synthèse Mme Catherine Alcoer (page 19 à 27)

« Doctrine coloniale et opinion publique »

      «…  Si l’on peut donc parler d’une idéologie coloniale du point de vue de l’émetteur, celle-ci devient infiniment plus complexe du point de vue du sujet percevant. » (p,19)

        « L’Exposition coloniale : expression du discours politique »

          « … Nous assistons donc au même phénomène de banalisation, l’Empire est entré dans les mœurs…

        Catherine Coquery-Vidrovitch insiste sur le fait que ces représentations, ces mises en scène sont reprises dans la presse de l’époque comme autant de réalités… » (p,23)

« … Il s’agit à présent d’étudier en quoi ce que Catherine Coquery-Vidrovitch qualifie d’entreprises de mythification coloniale à propos de l’exposition de 1931, mais plus généralement l’iconographie coloniale, relève d’un discours politique, mais également quels furent ses prolongements dans l’inconscient collectif. »

       Il convient de noter 1) L’auteure  rappelle dès le départ une distinction capitale dans un tel domaine entre « l’émetteur » et le « sujet percevant » » une distinction quasiment oubliée dans le discours du collectif de chercheurs, 2) que Catherine Coquery-Vidrovitch a été une des promotrices de l’introduction de l’inconscient collectif dans ce débat savant, 3) qu’elle fut la Présidente du jury de la thèse de doctorat de M.Blanchard, une thèse qui ne fit qu’effleurer les terrains d’évaluation de la presse, 4) que l’analyse de la presse de l’époque, seul vecteur susceptible de proposer une évaluation de l’opinion publique n’a pas été effectuée.

         « Iconographie coloniale, réalité et phantasmes »

        « Comprendre, expliquer l’impact de l’iconographie coloniale auprès du public exige de prendre en considération les conditions internes et externes qui ont présidé à sa conception, d’où la difficulté méthodologique

       « Expliquer l’impact… d’où la difficulté méthodologique » (p,24)

        Il s’agit d’une des difficultés de la méthode historique, à côté de beaucoup d’autres.

        Après la guerre de 14-18, et d’abord dans le cas de l’Algérie : « …Toujours pour Gilbert Meynier, ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française qui, toute à sa nouvelle prospérité, ne semble pas convaincue de l’apport des colonies en la matière… » (p,25)

     « … L’imbrication étroite de la réalité et du fantasme dans l’iconographie coloniale et dans ses répercussions sur l’inconscient collectif amène un problème de méthodologie majeur quant à l’étude de ces images. A partir du moment où les observateurs historiens ex-colonisateurs, ce qui est le cas de la plupart de nous tous, à partir du moment où des observateurs se déclarent objectifs, distants mais possédant un bagage culturel qui lui n’est pas objectif », affirme Catherine Coquery-Vidrovitch. Elle poursuit : « je fais métier de ne pas croire à l’objectivité puisque le travail de l’historien est précisément un travail de doute. .. « (p,26)

        Jean Devisse (le directeur de la thèse de doctorat  Blanchard) souligne cependant la nécessité d’ouvrir ce dossier et non plus d’en avoir peur. « Ce qui me semble évident c’est qu’il faut un inventaire complet, total, de tous les aspects, même ceux qui nous gênent beaucoup, de tous les aspects de cette longue période que nous avons occultée. Nous n’avons pas occulté que la guerre d’Algérie (…) Le rassemblement d’images, la constitution d’un corpus, ce n’est pas de l’histoire, c’est la base de matériaux qui permet ensuite de construire une réflexion historique. »

         Le travail de l’historien devra toujours pour Jean Devisse, « faire table rase des clichés, des images mentales, transmises presque génétiquement et porteuses de désastre pour les relations entre la Nord, la France et ses territoires extérieurs. ….

        Mais  au préalable, pour analyser ces images il faut apprendre à s’en méfier et être attentif à leur prolongement dans notre inconscient. » (p,26)

       L’auteur écrivait « Nous n’avons pas occulté que la guerre d’Algérie », une observation contradictoire avec celles de Benjamin Stora, historien de l’Algérie, qui écrit dans « Images et Colonies », à la page 257 : « guerre qui contrairement aux idées tout faites, a été montrée dans la presse quotidienne (lorsqu’elle n’était pas censurée) et dans les magazines à grand tirage. »

        Problèmes de méthode sûrement, non réglés tout aussi sûrement, mais à voir l’irruption de l’inconscient  dans ce débat historique, aucun participant ne semble avoir proposé de méthode d’analyse historique ou non.

        Catherine Coquery-Vidrovitch écrivait dans sa contribution :

        L’historien, l’image et les messages «  En dernier point, j’en viens à une réflexion personnelle. Le sujet qui nous occupe ici est passionnant, les sources sont extraordinaires. J’ai donc cherché à comprendre pourquoi je n’avais pas envie de venir parler dans ce colloque qui s’annonçait pourtant extrêmement intéressant et dont je reconnaissais scientifiquement tout l’attrait.
      Pour comprendre un réflexe de ce type il faut faire la psychanalyse de l’historien. » (p,30)

        L’historienne explique cette réflexion tout à fait personnelle par son propre passé, mais elle accrédite la thèse que je défends sur certains discours postcoloniaux, à savoir qu’il est difficile, sinon impossible pour un historien dont le vécu est contemporain de l’histoire qu’il veut raconter d’être suffisamment détaché des sources consultées.

       L’historien Goubert a d’ailleurs pris une position très nuancée sur le sujet de la « fabrication » de l’histoire contemporaine.

         Dans sa contribution, l’historienne Annie Rey-Goldzeiger sur le Maghreb et la France du XIXème et du XXème siècle a également pointé le rôle supposé de l’inconscient, mais en reconnaissant son échec à proposer une méthode d’analyse : « Aussi n’essaierai-je pas de formuler une méthode sûre pour aborder ce sujet qui m’a interrogée depuis longtemps : j’ai cherché une méthode de recherche qui, je l’avoue, n’a pas été trouvée. » (p,38) 

       Ce qui ne l’a toutefois pas empêché de lui attribuer un rôle important dans son analyse historique !

       Dans le livre « Supercherie coloniale », j’ai consacré un de mes chapitres au « ça colonial », et très récemment j’ai tenté de démonter la propagande du « modèle de propagande des raisins verts », animé par des enfants de parents « coloniaux » d’Algérie ou du Maghreb.

      Ces chercheurs ont eu en effet un passé qui les a mis en rapport avec le monde colonial algérien, un passé qui ne pouvait leur être indifférent, comme ce fut également le cas pour l’historien Gilbert Meynier.

       Dans la première séquence « Mythes, Réalités et Discours », l’historien affichait ce concept d’inconscient dans le titre même de sa contribution :     « Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre- deux-guerres ». (p41)

       L’auteur précisait qu’il s’exprimait sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement.

         «Propagande et thèmes coloniaux Le lendemain de la guerre est un temps d’incantations volontaires du Parti colonial et de ses escortes idéologiques et médiatiques. Une foule de livres… des flots de brochures, de tracts, de films destinés à exalter l’idée coloniale…. Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française… ». (p,44) 

        « Imaginaire colonial et inconscient français »

        « Les ambitions coloniales sont parallèles à la volonté de vulgarisation concernant les colonies. Cette vulgarisation touche pourtant différemment la masse française et l’élite de la foi coloniale… Le drame est que ces images des colonies, répondant à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

       Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale ramène d’abord au pré-carré français et il doit très peu au grand large. » (p,48)

        Le lecteur est-il plus avancé ?

         Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

Histoire ou politique? « Les têtes des résistants algériens… « Le Monde des 10 et 11 juillet 2016

Histoire ou politique ?

« Les têtes des résistants algériens n’ont rien à faire au Musée de l’homme »

Le Monde des 10 et et 11 juillet 2016, dans Débats & Analyses page 26
La signature :

 « Par COLLECTIF »  ( signatures de dix- neuf chercheurs ou intellectuels, dont dix historiens ou historiennes, avec la présence signalée de Mme Branche et de Messieurs Meynier et Stora))

&

Quel est le but poursuivi par ces intellectuels dans l’ambiance de la France des années 2015 et 2016 ? Faire parler d’eux ?

Qui en France, découvrant cette situation des siècles passés, qui donne l’occasion à ces intellectuels de manifester à nouveau leur « passion de l’histoire », s’opposerait vraiment à cette restitution ? Comme de beaucoup d’autres non signalées ?

&

            Ce texte qui rappelle un des épisodes sombres de la guerre de conquête de l’Algérie qui a duré près de cinquante ans, et il y en a eu beaucoup, est présenté sous un titre ambigu « Les têtes des résistants algériens » : les historiens signataires ne craignent-ils pas que certains de leurs lecteurs ou lectrices, ne mettent dans la même case historique des événements qui se situent les uns par rapport aux autres à plus d’un siècle et demi de distance ?

            L’histoire serait-elle à revisiter avec le concept de « résistance » des années 1939-1945 ?

            On ne fait sans doute pas mieux dans l’anachronisme.

            Les  auteurs de ce texte collectif se défendent à la fin de ce texte de vouloir « céder à un quelconque tropisme de « repentance » ou d’une supposée « guerre des mémoires, ce qui n’aurait aujourd’hui aucun sens. »

            Ils écrivent :

         « Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française »

            Je remercie les auteurs de cette proclamation d’avoir écrit « d’une supposée guerre des mémoires » dont un des signataires est l’un des plus ardents défenseurs : « supposée », oui, car elle n’a jamais été mesurée, en tout cas à ma connaissance, et en dépit de tous les sondages qui tombent chaque jour, sur n’importe quel sujet.

          « … l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française » ?

            Comment est-il possible de faire un  tel constat de corrélation entre la révolte de Zaatcha en 1849 et la France d’aujourd’hui, sauf à l’interpréter comme une énième tentative de manipulation politique ?

            Pour conclure provisoirement, je suis un peu surpris de voir autant de signatures qui ont ou qui ont eu, de près ou de loin, une relation avec l’Algérie, avec cette obsession de l’Algérie, qui à les lire, constituerait l’alpha et l’oméga de notre histoire.

            Les lecteurs les mieux informés connaissent bien l’efficacité médiatique de ces groupes d’intellectuels formés dans la matrice algérienne de l’anticolonialisme, notamment dans les colonnes du journal le Monde.

            La véritable question que pose une telle proclamation est celle du but poursuivi par ce collectif et par le journal Le Monde : s’agit-il, une fois de plus, et pour ce collectif, partie d’un « système » idéologique bien identifié, même s’il s’en défend, d’apporter une preuve datant d’un siècle et demi, afin de démontrer combien l’histoire de notre pays a été faite de noirceur, de violence et de crimes ?

            En misant peut-être sur le relais que les réseaux sociaux peuvent lui donner ?

          Si oui, il serait bien triste de voir un collectif d’intellectuels, dont beaucoup sont issus de la matrice algérienne citée plus haut, expliquer à nos jeunes enfants comment il est encore possible d’aimer la France, dans le contexte explosif du monde d’aujourd’hui, et des candidats au suicide de Daech.

            Ci-dessous le message que j’ai adressé au Courrier des lecteurs du Monde le 20 juillet dernier :

            « Bonjour, le collectif Blanchard and Co fait encore des siennes dans la nouvelle propagande postcoloniale, avec le concours d’un Stora, toujours en quête de médias, incapable jusqu’à présent d’avoir apporté la moindre preuve de sa « guerre des mémoires » 

        Toujours la matrice algérienne ! De l’histoire ou de la politique ?

        J’encourage vivement votre journal à organiser un concours international de têtes, à la condition toutefois de les situer historiquement et à chaque fois dans son contexte très précisément historique.

         Ce qui est sûr, c’est que ce genre de tribune pseudo-scientifique constitue un élément de plus de la contribution de ces belles âmes à la pacification des esprits dans le contexte historique « actuel » avec les décapitations de Daech, pour ne pas évoquer celles encore récentes d’Algérie ».

        Jean Pierre Renaud

            Post Scriptum : puis-ajouter que dans la liste des signataires figure un très honorable historien, Gilbert Meynier qui, avec le concours de M.Vidal-Nacquet fit un sort justifié au livre d’un autre signataire du même appel aux « crânes », Olivier La Cour Grandmaison, livre intitulé « Coloniser Exterminer » ?

        A lire cette analyse très fouillée sur le blog « Etudes Coloniales « du 10 mai 2006 !

       Un seul petit extrait :

       « A le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu de réflexion et de synthèse historique » … « En histoire, il est dangereux de tout mélanger. »… « On ne s’étonnera pas qu’OLCG se voie probablement en historien d’une espèce en voie d’apparition, dont le manifeste inscrit son auteur « contre l’enfermement chronologique et disciplinaire (p,22 »

           « En fait, il surfe sur une vague médiatique, avec pour fonds de commerce des humains désemparés et peu portée à l’analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu’il ne s’appuie sur les travaux d’historiens confirmés »

A ranger dans la catégorie des intellectuels fossoyeurs de notre histoire de France !