Gallieni et Lyautey, ces inconnus-1898, avec la reine sakhalave Bibiassy à Maintirano

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Madagascar

Lyautey à Madagascar en 1898

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Le retour de la reine sakhalave Bibiassy à Maintirano

En 1898, « … à la fin de janvier, le général Gallieni avait été amené à étendre mon commandement à l’Ouest jusqu’à l’Andranomava, puis, en mars, à disloquer le territoire sakhalave et à m’en donner la partie Nord. » (LTM/p,571)

Dans une lettre à Chailley, le secrétaire de l’Union coloniale, du 6 février 1899, Gallieni écrivait  au sujet de la résistance sakhalave :

« … J’ai justement sous les yeux le rapport du colonel commandant le deuxième territoire militaire (territoire comprenant les vallées de la Tsirihibina, du Manambolo et du Mangoky) sur les résultats obtenus en 1898 et j’y lis que nous avons eu, durant cette année, 1 officier tué et 3 blessés, 3 sous-officiers et soldats tués et 4 blessés, 37 indigènes ( Sénégalais et Malgaches) tués ou noyés et 77 blessés, et tous, dans des surprises, des embuscades, des attaques de convois, etc… Vous voyez, rien que par ces chiffres, que nos adversaires Sakalaves sont autrement dangereux que les Hovas de 1895. » (G/p,41)

Ce ne fut en effet pas une partie de plaisir, car la pacification fut longue et difficile, avec de nombreux morts et blessés

Dans son livre « De Madagascar à Verdun », le colonel Charbonnel qui fut chef de poste dans cette région côtière, et à la même époque, et qui servit longtemps à l’ombre de Gallieni, écrit :

« Nous n’étions pas à Adembe les plus éprouvés. Le même jour, 10 octobre 1897, à la même heure, l’assaut avait été donné aux dix Postes crées par le commandant Gérard. Quatre avaient été enlevés, dont Mahabe où était restée la pièce de Sangouard. Nos pertes étaient importantes : un quart de notre effectif, dont cinq officiers, tués ; autant de blessés. Le succès de la conquête du pays sakhalave était compromis. Cependant un désastre total avait pu être évité. On annonçait que Mahabe était déjà réoccupé. «  (C/p, 69)

Et plus loin, le même officier écrivait : « Pendant cette période de concentration des troupes, j’allais parfois à Monrondava revoir les survivants de la colonne Gérard. Sur les vingt officiers appartenant aux armes combattantes qu’elle comptait à son départ, nous restions neuf vivants. Un seul était mort de maladie. Les dix autres avaient été tués au combat ou étaient morts de leurs blessures. » (C/p,73)

Le nouveau territoire de Lyautey allait donc jusqu’à la mer, puisqu’il comprenait à présent le cercle de Maintarano. Lyautey allait donc, à l’exemple de Gallieni, pouvoir emprunter, comme nouveau moyen de communication, une des canonnières côtières de la Marine, pour effectuer certains de ses déplacements.

Précisons en effet que non seulement le Gouverneur général passa la moitié de son temps en tournées, mais qu’il fit le tour de Madagascar en bateau plusieurs fois pendant son séjour, alors seul moyen efficace d’atteindre les provinces les plus éloignées.

La relation de sa tournée sur la côte ouest est intéressante à un double titre :

– elle montre que l’opinion de Lyautey sur l’avenir de la nouvelle colonie a un peu changé, précisément parce qu’il a pu prendre conscience des atouts quelle pouvait faire valoir sur le plan économique, à la condition de réorienter la politique en direction du canal du Mozambique, et donc de l’Afrique Orientale, et ne plus dépendre de la seule influence de la Réunion.

– elle propose un exemple d’application de la fameuse  « politique des races » de Gallieni qui, peut se prêter à toutes les interprétations historiques ou idéologiques.

Un avenir pour Madagascar, vers l’ouest, le canal du Mozambique.

A Max Leclerc, A Ankazobé, le 14 mai 1898,

           « Ici, notre majeure raison d’être économique, c’est la côte orientale d’Afrique : il y là un marché à prendre, et il nous attend. J’ai de ce côté avec le Transvaal, avec Mozambique, avec Zanzibar des relations personnelles suivies, et c’est en homme informé que je vous écris : ils attendent que notre élevage leur fournisse des bœufs et des moutons, que notre Emyrne leur envoie du riz, notre côte du maïs ; ils manquent des trois articles et n’attendent que l’offre ; le marché est à prendre, je le répète.

           Or, nous ne sommes guère ici à nous en préoccuper. Les coulisses électorales ont tout détourné sur la côte Est et la Réunion. Tout pour Tamatave et Saint Denis. Or, franchement, quand on a à choisir entre le marché de l’Afrique australe et celui de la Réunion, c’est trop bête d’hésiter, – et on n’est plus à même d’hésiter. On enfouit des millions dans cette route de Tamatave dont la terminaison est encore si éloignée, tandis qu’un seul million mis sur la route de Majunga, où il ne pleut que quatre mois par an et dont le sol est un macadam naturel, eût permis d’y assurer dès cette année des transports de voitures ininterrompus ; j’en ai fait l’expérience l’an passé en l’aménageant presque sans crédits, de manière à y faire passer un premier convoi de voitures et à démontrer ce qu’un million consacré à faire les quinze ou vingt ponts nécessaires eût permis de faire le définitif…

           Malheureusement, le Général a trouvé engagée cette entreprise de Tamatave ; il n’a pas pu, et je le comprends, revenir en arrière quand tant d’intérêts et d’argent y étaient engrenés. Mais cela ne devait pas empêcher d’aller concurremment au plus pressé et de faire ceci d’abord beaucoup plus vite et beaucoup moins cher. Un élément, hélas ! est intervenu contre Majunga et la côte Ouest : les influences politiques et parlementaires de la Réunion. » (LTM/p,579, 580)

Lyautey à Maintirano, où doit le rejoindre le général Gallieni, en tournée sur la côte Ouest.

           Le 27 juin, Lyautey embarquait à Majunga sur une des canonnières de la Division navale, pour rejoindre le poste de Maintirano.

« Maintirano, le 23 juillet 1898,

A mon frère, mon bon vieux,

… le 2 au soir, c’était l’arrivée à Maintirano où commande mon excellent, loyal, cordial et vaillant camarade le commandant Ditte ; qui après avoir excellé dans l’Oubangui, au Dahomey, au Tonkin, m’a fait depuis trois mois de l’excellent travail…

De l’îlot de Maintirano, blanc de sable, égayé de quelques cocotiers, où voici un an étaient à peine quelques pauvres cases, Ditte a fait en quelques mois un petit centre coquet qui se développe et draine le commerce de l’intérieur renaissant. Aidé d’officiers prodigieusement actifs, il a fait de belles cases en bois, grandes, propres, confortables, avec de larges vérandas. La mer est en bordure de la mer qui, à la haute marée en baigne la terrasse. Les officiers sont gais et jeunes, ils reçoivent des revues et des journaux multiples, ont un commencement de bibliothèque intelligente ; le docteur joue du violon, et ce soir m’a donné la joie de réentendre, après combien d’années, les morceaux des Noces de Figaro que préférait papa ; une cavatine de Raff, la Marche turque, Plaisir d’amour ne dure qu’un moment et autres vieilleries très vielles, mais qui gardent combien de saveur à cette distance, sous ce ciel, et évoquent combien de passé… » (LTM/p,590)

           Lyautey rend évidemment compte, dans les mêmes lettres, des opérations qu’il mène contre les rebelles Sakhalaves, et fait état de la rencontre qu’il fit avec le professeur Gautier, directeur de l’Enseignement à Tananarive :

« Il explore Madagascar depuis sept ans. Interprète émérite, il mène de front la géologie, l’ethnologie et la guerre, se joint aux reconnaissances, en prend le commandement et conquiert ses fossiles à coups de fusil. » (LTM/p,591)

Donc un personnage haut en couleurs que nous avons déjà rencontré sur ce blog en citant son récit de la vie et de la mort de Rainaindrampandry, ministre de l’Intérieur de Gallieni, qu’il avait baptisé « Le prince de la paix » dans son livre « Les trois héros ». (voir blog du 15 avril 2011)

Retour d’opérations, Lyautey rentre à Maintirano, pour y accueillir le général Gallieni.

La surprise de Gallieni ! La reine sakhalave Bibiassy !

«  A mon frère,

… Nous y rentrons le 12 juillet, et, le 14, trois coups de canon à 7 heures du matin, signalent un bateau, puis un second. C’est le Lapeyrouse et le Pourvoyeur, le Général et sa suite. Toute la flottille des pirogues-oiseaux de mer se mobilise, et à 10 heures, nous sommes à bord où nous déjeunons tous. A midi débarque le Général ; je ne réédite pas le tableau de notre arrivée. Mais le Général a ménagé un coup de théâtre. Sur nos instances, il nous a ramené de Nossi-Bé la reine sakhalave Bibiassy, exilée maladroitement il y a un an, et que Ditte et moi jugeons devoir être ici un utile moyen d’action. Tous les rois sakhalaves de la côte Ouest de Madagascar, depuis le cap d’Ambre jusqu’au cap Sainte Marie, appartiennent à une même dynastie, descendant d’un ancêtre commun assez récent, presque autant dieu ou fétiche que roi ; ils ont un caractère essentiellement religieux, plus encore que politique, car au fond leurs sujets obéissent assez mal. Les rois ou chefs actuellement encore dans la brousse sont donc tous plus ou moins cousins de Bibiassy, et son enlèvement et sa déportation de l’an dernier sont un des arguments le plus souvent invoqués par eux pour ne pas rentrer. Dès le 15, nous avons été avec le Général réinstaller solennellement Bibiassy chez elle, à Antsamaka, à quatre heures d’ici ; le peu qu’il reste de population, 500 environ, y avait été convoqué. Bibiassy a été installée sous un velum et représentée à son peuple, et rien n’a été curieux comme la véritable cérémonie d’adoration qui a suivi le Kabary (le discours) : prosternation, bras étendus, chants, puis danses ; elle recevait l’hommage en idole impassible et son caractère fétichiforme explique seul son influence, car elle est affreuse, boiteuse, abrutie. Les lobes de ses oreilles découpés pendent en longs et hideux anneaux de chair. Les hommes de son peuple sont assez beaux et fiers avec leurs seules ceintures, leurs armes et leurs gris-gris. Les femmes sont hideuses, au nez percé, aux oreilles surchargées, beaucoup couvertes d’un masque de plâtre qui en fait de vrais monstres à effrayer les enfants. Nous sommes loin des Hovas en redingote et en kinkerbroker. Après avoir montré au peuple ce Saint-Sacrement de reine, nous nous sommes empressés de la ramener à Maintirano, ne voulant pas laisser aux rois de la brousse la tentation de venir enlever ce fétiche…

Le Général est parti le 17. Depuis six jours, je me suis mis en demi-vacances. Cette plage est exquise, une brise délicieuse… (LTM/p,594)

Commentaire

Le premier commentaire a trait à la philosophie « coloniale » de Lyautey : incontestablement, dans le sillage de Gallieni qui avait toujours en tête la place de la France sur les marchés internationaux, Lyautey ne perdait jamais de vue cette question comme le montre l’extrait de texte choisi.

On peut ne pas aimer le portrait que Lyautey campe de la reine Bibiassy, ou tout simplement considérer qu’il correspondait à une époque déterminée de la grande ile.

Toujours est-il que l’épisode caractérise parfaitement la politique des races, telle que le Général Gallieni la concevait et la mettait en application, à l’occasion de son proconsulat.

Dans le cas considéré, hors Emyrne, où il avait mis une « croix » sur la monarchie hova, il n’hésitait pas à jouer la carte des autres pouvoirs religieux ou politiques traditionnels.

A Maintirano, il s’appuyait effectivement sur les structures traditionnelles du commandement local, constitué des rois et des chefs sakhalaves.

Nous avons vu, qu’au  Tonkin, Lyautey donnait la préférence à l’administration indirecte, celle du protectorat, et sans refaire l’histoire, il est possible d’émettre l’hypothèse qu’à la place de Gallieni, le colonel  aurait sans doute beaucoup hésité à se priver de l’appui de la monarchie hova qui, elle aussi, avait un double caractère politique et religieux.

Comment ne pas ajouter qu’une des clés de la réussite de Lyautey au Maroc fut précisément son respect des pouvoirs établis, ceux d’un sultan, à la fois monarque et commandeur des croyants ?

Jean Pierre Renaud

Gallieni et Lyautey, ces inconnus! A Tananarive, le 15 octobre 1896, la « main lourde » de Gallieni

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

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Présentation générale sur le blog du 24 novembre 2012

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Le   15 octobre 1896, à Tananarive, « la main lourde » de Gallieni

Une clé pour comprendre l’histoire actuelle de Madagascar ?

            Nous avons déjà évoqué sur le blog des 15 avril et 21 avril 2011, cet épisode de la conquête de Madagascar, qui se prête naturellement à toutes les interprétations historiques.

            Pourquoi revenir sur un tel épisode ? Parce qu’il me parait représenter un excellent exemple de l’amateurisme de la politique coloniale de la Troisième République, servi dans le cas d’espèce par un acteur de terrain, le général Gallieni, un des meilleurs officiers de nos aventures coloniales de l’époque.

            Revenir aussi sur ce sujet, parce qu’il n’est pas interdit de s’interroger sur les causes profondes des  crises politiques et institutionnelles successives que connait ce pays, depuis une quarantaine d’années, entre autres peut-être celle de la suppression de la monarchie merina, laquelle a suivi rapidement l’épisode historique rapporté.

            Nous évoquerons brièvement  ce type de problématique des causes dans la conclusion, en précisant que je n’ai jamais nourri de fibre monarchique.

            C’est à partir du livre tout à fait curieux et intéressant du professeur Gautier, intitulé « Les trois héros » que le sujet a déjà été traité.

            Comme nous l’avions indiqué, ce titre mettait sur le même plan, le général Laperrine, le père de Foucauld, et le ministre de l’Intérieur, M Rainadriamanpandry que fit fusiller Gallieni. M.Gautier avait servi un temps au cabinet du Gouverneur général Gallieni où il avait  côtoyé et appris à connaître le ministre de l’Intérieur.

            Il est difficile de ne pas interpréter cette mise en parallèle, sur le même plan de l’évocation historique,  de trois personnages aussi différents dans leur parcours de vie, dont deux d’entre eux s’étaient illustrés au Sahara, comme la reconnaissance posthume d’un des grands seigneurs de la noblesse malgache qui avait eu le courage de résister à la nouvelle puissance coloniale, au prix du sacrifice de sa vie.

            Le professeur Gautier le nommait « Le prince de la paix »

            M.Gautier devint un des spécialistes de la géographie du Sahara.

            Rappelons que le ministre de l’Intérieur, alors gouverneur à Tamatave, s’était opposé avec succès à la première tentative de débarquement sur la côte est en 1885.

            Le général Gallieni eut l’occasion d’expliquer les raisons de cette exécution dans une lettre qu’il adressa à M.Grandidier (1) :

« Tananarive, 25 octobre 1896,

Mon cher Monsieur Grandidier,

Je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre. J’ai besoin, pour faire face à ma rude tâche, de l’encouragement de ceux, qui, comme vous connaissent si bien Madagascar et les difficultés de la situation actuelle. Comme je vous le disais précédemment, arrivant dans un pays qui m’était inconnu, au milieu de circonstances des plus critiques, j’ai commencé par être effrayé et par douter réellement que l’on pût tout remettre en place. Aujourd’hui, depuis 20 jours que j’ai pris la direction des affaires et que j’ai commencé à me rendre compte sur place de la situation, j’ai meilleur espoir et je pense que je parviendrai à nous sortir de la mauvaise passe où nous sommes. Mais nous ne pouvons espérer obtenir ce résultat en quelques jours, par suite des grosses fautes commises et de l’anarchie réellement extraordinaire que j’ai trouvée partout ici.

…L’Imerina a été divisée en centres militaires correspondant autant que possible aux districts indigènes ; à la tête de chacun d’eux se trouve un officier supérieur, ayant tous les pouvoirs civils et militaires, secondé par les autorités hovas, placées sous ses ordres. Pour contenir l’insurrection, une première ligne de postes a été établie à 15 kilomètres autour de Tananarive… Cela fait, nos postes se porteront en avant, de manière à élargir la zone pacifiée et à ne mettre une jambe en l’air que lorsque l’autre est bien assise. On arrivera ainsi peu à peu aux limites de l’Imerina . Même programme est adopté pour le Betsileo, avec Fianarantsoa comme centre

            Ce système vaut mieux que celui des colonnes mobiles poussées au loin qui avaient peu d’effet contre un ennemi aussi insaisissable que les Fahavalo. Dès qu’elles rentraient, ceux-ci revenaient sur leurs talons et massacraient les habitants.

En même temps, j’ai demandé au gouvernement malgache qu’il fallait qu’il change son attitude. J’ai conservé la reine, parce que Ranavalonana a sur les populations un réel prestige, que je compte utiliser. Mais j’ai prié le premier ministre de donner sa démission et j’ai traduit devant le conseil de guerre Rainandriampandry, ministre de l’Intérieur, et le prince Ratsimamanga, oncle de la reine, contre lesquels il existait des preuves de culpabilité suffisantes : ils ont été condamnés à mort et fusillés le 15 octobre. De plus, j’ai exilé à Sainte Marie la princesse Ramasindransana, tante de la reine. Les biens de tous ces personnages ont été confisqués. Enfin, tous les officiers, cadets de la reine, ont été envoyés dans les campagnes environnantes avec mission de rappeler les habitants, sous peine d’être rendus responsables, eux et leurs familles, des nouveaux troubles autour de Tananarive…

En dehors de l’Imerina, les instructions aux résidents et officiers sont différentes. Elles se résument en ceci : détruire l’hégémonie hova en constituant avec chaque peuplade un état séparé, administré par un chef nommé par nous et contrôlé par nous…

Telles sont les premières mesures prises et sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre plus longtemps. Par exemple, je ne me préoccupe, ni des textes, ni des règlements. Je vais droit au but général : ramener la paix ; franciser l’île et donner le plus grand appui possible à la colonisation française. Si je ne suis pas approuvé, je rentrerai… » (Lettres de Madagascar, page 14 –  Société d’Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales – Paris 1928)

            Commentaire :

            Les caractères gras sont de ma main

M.Grandidier (1), naturaliste, après y avoir effectué un long séjour, avait publié un ouvrage scientifique de type encyclopédique sur la grande île. Il était alors considéré comme la principale autorité scientifique pour tout ce qui touchait Madagascar

            Ce texte a le mérite de la clarté : le gouvernement envoie le proconsul Gallieni à Madagascar pour y rétablir l’ordre, sans avoir encore une idée précise sur la destinée coloniale de ce nouveau territoire, et le général met en œuvre la méthode militaire et civile qu’il estime la plus appropriée, sans trop s’embarrasser  d’autres considérations, car c’est au fond ce qu’on lui demande de faire.

Dans cette lettre, il avoue qu’il débarque dans un pays qui lui était inconnu, et c’est toute la problématique de la politique coloniale française qui est ainsi mise en question, car le gouvernement français a pris lui aussi une décision d’expédition sans mieux connaitre ce nouveau pays, et sans avoir encore d’idée précise sur le statut de cette nouvelle conquête.

Le ministre Hanotaux est à la manœuvre, sans avoir en définitive une position claire sur les destinées de Madagascar, nouvelle colonie ou nouveau protectorat ?

Il fit voter par la Chambre des Députés  l’annexion de Madagascar qui devint donc une colonie, laquelle eut, jusqu’à la déposition de la reine Ravalonana, la particularité de faire partie de la République, tout en étant encore une monarchie

Concrètement, et sur le terrain, compte tenu des grandes difficultés de communication entre l’île et la métropole, le proconsul républicain usa pleinement de ces dernières pour déposer la reine.

Les échanges de courrier entre Paris et Tananarive mettaient alors plusieurs semaines, et « Le général Gallieni n’eut d’accès direct au câble de Majunga que le 29 juillet 1897, date à laquelle une ligne télégraphique relia ce port à Tananarive.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (editionsjpr.com), j’ai longuement analysé cette problématique des communications coloniales, afin de déterminer où se situaient les fameux « faits accomplis »  au cours des conquêtes coloniales du Soudan, du Tonkin, et de Madagascar.

Historiquement, il est possible de dire qu’il aurait été bien préférable de s’appuyer sur la monarchie hova qui disposait déjà, sur la plus grande partie du territoire d’un embryon d’administration, plutôt que de vouloir y substituer une administration directe qui ne disait pas son nom.

Comme nous l’avons vu, pour l’Indochine, le même débat divisait les coloniaux, alors que l’Empire d’Annam disposait d’une administration mandarinale qui n’avait rien à voir avec l’administration hova, c’est vrai, mais en oubliant que le symbole monarchique était au moins aussi fort, sinon plus, à Madagascar qu’en Indochine.

Nous avons d’ailleurs cité sur ce blog un extrait de lettre dans lequel Lyautey prônait le respect des institutions de la monarchie annamite, mais ce dernier n’avait pas la fibre républicaine de Gallieni.

Lyautey prit son commandement, alors que la partie était déjà jouée, et il n’est pas sûr du tout, s’il avait eu son mot à dire,  qu’il ait adopté la ligne Gallieni, mais on ne refait pas l’histoire, sauf dans certains ouvrages à la mode.

La « main lourde »

Dans une lettre datée du 6 février 1899, Gallieni revient sur cette exécution qu’il entérina quelques semaines seulement après son arrivée à Tananarive :

« Mon cher Secrétaire général (1),

…J’examine maintenant les divers points sur lesquels vous avez été assez bon pour appeler mon attention. Certainement, les mesures de bienveillance sont bonnes vis-à-vis des indigènes, mais à la condition formelle qu’elles ne dégénèrent pas en faiblesse. Si mon prédécesseur avait été moins faible vis-à-vis des Hovas, je n’aurais pas eu à prendre les mesures de rigueur, que quelques personnes m’ont reprochées et, surtout, nos troupes n’auraient pas eu à faire cette pénible campagne d’hivernage 1896-1897, qui a fini par rejeter les bandes insurgées en dehors de l’Imerina, mais nous a coûté les pertes les plus sérieuses. Avec les indigènes de nos colonies, que nous ne tenons qu’avec des forces européennes insuffisantes, il faut toujours, sinon être, du moins paraître les plus forts. Le jour où cette conviction n’existe plus dans leur esprit, surtout à Madagascar, où nous avons contre nous tant d’éléments d’opposition, Anglais, Mauriciens, Indiens, Arabes, les habitants se soulèvent, surtout à l’origine de toute nouvelle conquête.

Lors de mon arrivée à Tananarive, en présence de la gravité de la situation, de l’incendie qui se propageait partout, j’ai dû avoir la main lourde. Dès que je me suis senti maître de cette situation, j’ai eu recours à la douceur, à la persuasion, à la bienveillance. J’ai gracié des bandits, des assassins, qui auraient mérité cent fois la mort. Mais je pouvais être faible et je peux l’être encore maintenant parce que les Hovas savent que je sais être ferme, quand il le faut. Le peloton d’exécution ne s’est pas réuni une seule fois à Tananarive, depuis février 1897… » (Lettres de Madagascar, pages 45 et 46) (1) J.Chailley était alors secrétaire général d’un des groupes de pression  coloniaux, l’Union Coloniale)

La justification rétroactive de cette exécution  de la part de Lyautey, à l’occasion de l’évocation de la reddition du chef Rabezavana, objet du prochain chapitre :

« Au bivouac, Antsigimialoha, 100 kilomètres, de la côte Ouest, à hauteur de Maintirano, le 1°août 1898

Bien cher ami (Paul Desjardins)(1),

… Je n’ai pas ici le temps de vous refaire l’histoire détaillée et véridique de de qui qu’il a conté là. Tout ce qui s’est écoulé depuis, tous les papiers trouvés chez les chefs de l’insurrection et, pour ce qui me concerne, les révélations très curieuses que j’ai reçues de Rabezavana et des autres chefs  qui m’ont par la suite fait leur soumission, ont prouvé que le Général ne s’est pas trompé d’adresse, notamment en ce qui concerne Rainandriamanpandry, dont j’ai trouvé la main contre nous.

Bref, c’est du jour de cette exécution que nous tenons l’Emyrne, et elle a certainement épargné des milliers de vies humaines…

Mais je vous rase, mon cher ami, et vraiment le lieu est singulièrement choisi : je suis blotti sous ma tente, dans une gorge sauvage et pittoresque de la chaine du Bemahara, tandis que l’orage est déchaîné et que la pluie et le vent secouent ma « maison » de quelques heures…. » (Lettres du Tonkin et de Madagascar, page 595)-(1) Paul Desjardins, journaliste et homme de lettres, ami de Lyautey

Pas d’autre commentaire ! Sauf quatre, très courts : un, il ne faut jamais oublier que Madagascar couvre une superficie plus grande que celle de la France, deux, qu’il n’existait alors aucune voie de communication entre la côte et les plateaux, et entre les différentes provinces, trois que le général Gallieni était alors coupé de toute communication rapide avec le gouvernement.

Quatre, qu’un ministre des Colonies avait parfaitement résumé ce type de problématique coloniale, à l’occasion d’un débat à la Chambre des Députés, en déclarant : « Les événements ont marché »

Parmi les causes des crises successives que connait Madagascar depuis une quarantaine d’années, il est difficile de ne pas évoquer cette opération chirurgicale qui a privé la grande île de la seule institution, hors les églises , capable de proposer une sorte de mythe unitaire qui répondait bien à la culture du pouvoir et des ancêtres de ses habitants.

Pour ne citer qu’un seul exemple du rayonnement de ce type de monarchie, la célébration annuelle du fandroana, le bain sacré de la reine : une fois sortie de son bain, la foule était aspergée de l’eau « lustrale ».

Parmi les autres causes, la colonisation bien sûr qui n’a pas toujours favorisé un processus institutionnel unitaire, l’ingérence de groupes de pression étrangers ou crypto-étrangers, qu’il s’agisse du gouvernement français ou de groupes d’intérêt réunionnais, indien, ou chinois…, des ingérences permanentes des églises ou de l’armée dans le fonctionnement du pouvoir malgache, et peut-être tout simplement une culture malgache avant tout tournée vers la famille, plus que vers le national, une culture que le clientélisme, c’est-à-dire les gros sous, a gravement polluée.

Jean Pierre Renaud

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011

1896: Gallieni fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011