Annonce de publication: Empire colonial anglais et Empire colonial français aux XIXème et XXème siècles

Annonce de publication

Empire colonial anglais et Empire colonial français aux XIXème et XXème siècles 

Esquisse de tableau comparatif : Empires semblables ou différents ? Quels héritages ?

            Ainsi que je l’ai déjà annoncé il y a plusieurs mois, je me propose de publier sur ce blog, au cours des prochains mois, une série de contributions sur les thèmes d’analyse et de réflexion que j’ai choisis.

Le plan de publication retenu est le suivant :

1 – A grands traits, une évolution historique comparée

2 – A Londres ou à Paris, des stratégies et politiques impériales semblables ou différentes ?

3 – Les legs des deux empires avec le regard d’historiens de la périphérie ( Histoire générale de l’Afrique VII – UNESCO)

4 – Les legs de l’Empire britannique en Asie avec le regard d’un historien indien : K.M.Panikkar, et de l’Indochine française avec celui de l’historien Pierre Brocheux

5 – Les legs de l’Empire britannique avec le regard d’historiens allemands –Der Spiegel Geschichte NR.1  – 2013 Peter Wende et Jürgend Osterhammel

6 – Essai de conclusion comparative

Jean Pierre Renaud

Un malentendu à « l’eau de rose » !

  En début d’année 2014, le Président de la République a alimenté abondamment  les gazettes et leurs commentaires.

            En dépit des commentaires qui ont décelé dans ces discours un tournant majeur vers un social-libéralisme assumé, il y a tout lieu de penser que cette sorte de « baratin » politique, techno sur les bords, n’a pas convaincu l’opinion publique.

            Un discours qui est tellement loin de l’attente des citoyens, c’est-à-dire celle d’une remise à plat complète du pays.

            Comment convaincre les Français et les Françaises,  en proposant à nouveau à la sortie du Premier Conseil des Ministres de l’année 2014, cette photo de famille des « 37 »  ministres, comme s’il n’y avait pas de crise en France ?

            L’éditorial du Monde du 3 janvier parait bien optimiste lorsqu’il écrit : «  son appel au ressaisissement est balisé », mais en constatant : « un homme qui s’est toujours refusé à tenir un discours de vérité sur l’état du pays », alors qu’il s’agit d’un discours aussi banal, et qu’il n’a pas proposé aux Français et aux Françaises des objectifs concrets avec un calendrier d’action, selon la méthode qu’utilisait Mendès France.

            Le meilleur exemple est celui de la zone euro : le même journal rapporte le propos du Président en ce qui concerne l’Europe : «  je prendrai dès le printemps prochain des initiatives avec l’Allemagne pour donner plus de force à notre union ».

            Il lui a fallu presque deux ans pour avancer sur un sujet aussi important, sans en dire plus ?

            Le problème est que la France n’a pas élu le Président actuel, mais voté contre l’ancien Président, que le Président actuel n’a pas de majorité pour prendre un tournant social-libéral, celui que propose le MEDEF, et mettre en œuvre, pour autant qu’il en ait l’intention ou l’envie, le tournant politique d’une remise à plat nationale de nos institutions (le millefeuille), de notre système économique et social, et du renforcement de notre arrimage européen.

            Il faudrait pour cela que nos politiques aient le courage de biffer les frontières largement artificielles qui existent aujourd’hui entre une certaine gauche et une certaine droite, en jouant le jeu d’une politique de sursaut national.

            Pourquoi la France serait-elle incapable d’imiter une Allemagne en bonne santé, capable de faire une politique gauche-droite, alors que l’état  économique de la France plaiderait encore plus pour une telle union de salut public ?

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Information ou désinformation de France 2 sur Hollande et le boycott de Sotchi

Journal de 20 heures, le 15 décembre 2013

            La rédaction du journal du soir avait un magnifique sujet à traiter, la décision de Hollande, c’est-à-dire de la France, de ne pas participer à l’inauguration officielle des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, à la gloire d’un Poutine qui n’ a pas démontré, hier en Syrie, et aujourd’hui en Ukraine, que la Russie avait définitivement quitté les rives de l’ex-URSS.

            La nouvelle avait été annoncée sur Europe 1, le matin du 15 décembre 2013.

Comment ne pas interpréter un tel silence comme de la désinformation ? délibérée de la part de la chaine publique ?

        Au lieu de cela, un journal qui a trainé, avec une longue interview de l’acteur américain Di Caprio par le présentateur, excellent dans le genre, mais qui a oublié peut-être, qu’il s’agissait d’un journal d’information.

           La nouvelle valait au moins autant son pesant de temps d’antenne, que la pub que France 2, made in Delahousse, faisait au film de M. Di Caprio, avec en prime, et pourquoi pas ? le soutien d’une des chroniqueuses spécialisée du cinéma, pour la promesse d’un prix !

Mali, Centrafrique, le néocolonialisme français? Nouveaux atours de la Françafrique ?

Mali, Centrafrique, le néocolonialisme français ?

Les raisons bonnes ou mauvaises  des interventions à répétition de la France en Afrique !

Nouveaux atours de la Françafrique ?

            La dernière décision du Président de la République de faire intervenir les troupes françaises en Centrafrique, le « j’ai décidé » a suscité des réactions diverses dans le monde politique ou géopolitique, telles que celles publiées par Le Monde, le 4 décembre 2013, sous le titre «  Néocolonialisme français en Afrique », ou dans la Croix, le 5 décembre 2013, sous le titre « Les interventions françaises ».

            Il parait  intéressant et utile de récapituler les arguments échangés par un homme politique (de Villepin), un anthropologue (Amselle), deux politologues ( Marchal et Galy) , un humanitaire (Bolopion), et un géopolitologue, le patron actuel de l’IRIS (Boniface).

               Une France néocolonialiste?

            M.Bolopionl’humanitaire serait sans doute le seul à tenir un discours qui pourrait mettre tout le monde d’accord, une intervention justifiée par la terreur qui règne dans un pays. Pourquoi la France ? Et en a-t-elle le droit, le devoir, et les moyens ? Une France humanitaire sur la terre entière ?

            Il ne s’agirait donc pas de néocolonialisme.

       Des deux politologues,  le premier, M.Marchal, défend une position qui dénie tout néocolonialisme dans l’intervention française, mais critique le manque de vision de notre pays, « la courte vue des interventions françaises », « une gestion à la petite semaine », le deuxième, M.Galy,  reconnait clairement dans cette intervention « la dernière aventure coloniale »,  « une de ces manifestations dont la Françafrique a le secret depuis cinquante ans : allégeance et préparation d’interventions militaires »

          M.Amselle, l’anthropologue, nous propose, en prenant le cas du Mali, une ouverture sur la structure des sociétés africaines traditionnelles étrangères aux concepts d’état et de société civile qui sont les nôtres, puisqu’elles seraient fondées sur les concepts des clans et des lignages, une appellation savante de ce que d’aucuns dénommeraient ethnies ou tribus, et d’après lui :

         « Or le lien politique en Afrique est régi essentiellement par des principes de prédation et de redistribution du type clientéliste. »

         Une affirmation qui parait bien sévère à la fois dans le constat et dans les conséquences qu’il en tire, car toute l’immense zone du Sahel a longtemps bénéficié de la force structurante d’un Islam plutôt modéré et tolérant, et les structures traditionnelles n’étaient pas obligatoirement synonymes de « prédation et de redistribution clientéliste ».

        Pourquoi par ailleurs des pays comme le Sénégal, le Ghana, le Niger, la Nigéria, ou le Cameroun, ont réussi, en dépit de l’existence des clans et des lignages,  à maintenir tant bien que mal, sinon à renforcer,  un  Etat issu de la colonisation ?

Les analyses de MM Villepin et Boniface s’inscrivent dans un contexte de réflexion plus large.

         M. de Villepin évoque « une recolonisation bienveillante », une autre formulation donc d’une sorte de néocolonialisme, non ?

         Il note toutefois : « Il faut dire ici une vérité criante : la France est la plus mal placée pour intervenir en  Centrafrique. »

         Mais son analyse cadre bien le sujet, à savoir la nécessité de faire entrer toute initiative française à la fois dans un cadre international (l’ONU), ce qui a été fait, mais également dans un cadre européen, ce qui n’a pas été fait.

       M.de Villepin critique ce type  de stratégie, «  celle d’un engrenage régional » et constate  qu’ «  en vérité, la France n’a pas de politique africaine. »

      M.Boniface, géopolitologue,  légitime l’intervention française en la situant dans le cadre plus large de la politique étrangère française à l’égard de la Palestine et de l’Iran, mais en la justifiant essentiellement par l’impératif de l’urgence et par le fait que la France était la seule puissance capable d’intervenir aussi vite sur des théâtres d’opérations qu’elle connait bien.

     Il écrit : « Tout ceci reste encore dans la limite de ses moyens actuels et rappelle la nécessité de respecter scrupuleusement la loi de programmation militaire »

      Cela reste évidemment à démontrer ! Qui connait en effet le coût actuel de l’opération Serval au Mali et les coûts induits sur notre appareil de défense, alors que la France est endettée jusqu’au cou, et qu’elle finance donc ces guerres en s’endettant encore un peu plus (1)  et qu’elle a toujours l’ambition d’être une puissance atomique ?

     Le legs politique que cite l’auteur, à ce sujet, celui du respect de principes gaullo-mitterrandistes qui auraient régi notre politique africaine laisse un peu rêveur, compte tenu de l’héritage des réseaux Foccart ou Penne, ceux précisément de la Françafrique.

      Les questions qui peuvent être posées contre cette nouvelle intervention française en Centrafrique sont les suivantes :

      1   – Avec sa dette publique colossale, un pays en crise, la France aurait donc encore les moyens d’intervenir seule et à crédit ?

      2   – Une France seule, sans l’Europe ? Pourquoi le Président de la République n’a-t-il pas pris le soin de demander l’avis et l’engagement du Conseil Exécutif de l’Europe sur l’opportunité de cette intervention ?

     3 –   Pourquoi la France devrait-elle porter ce « nouveau fardeau de l’homme blanc », sans que l’Algérie n’y prenne part et responsabilités dans le cas du Mali, et ailleurs, sans le concours des autres membres permanents du Conseil de Sécurité, notamment la Chine, nouvelle puissance du monde africain ?

     4 –  Pourquoi la France n’imiterait-elle pas la Grande Bretagne qui s’est bien gardée jusqu’à présent, mis à part le cas limité, en temps, en Sierra Leone, de mettre la main dans les autres guerres civiles qui affectent encore quelques- uns de ses anciens territoires, par exemple l’ancien Soudan Anglo-Egyptien, où se poursuit toujours une guerre, ouverte ou larvée entre les populations arabes du nord, musulmanes, et les populations noires, chrétiennes ou animistes du sud ?

    Comment en définitive ne pas trouver dans ce type d’intervention fût-elle humanitaire, comme un parfum de néocolonialisme qui ne dit pas son nom ?

       Comment ne pas être choqué par l’étendue des pouvoirs du chef d’un Etat qui n’est pas démocratique, étant donné que la Constitution, modifiée en 2008, autorise par avance cet excès de pouvoir ?

     « Vu l’urgence, j’ai décidé, d’agir immédiatement… Cette intervention sera rapide… »

      Comme sous Louis XIV donc !

      Exit le Parlement, même lorsque la France fait la guerre ?

     Comment ne pas constater aussi que notre politique africaine, et plus largement, la politique française dans son ensemble, n’ont plus les pieds sur terre, et qu’elles continuent à se déployer dans un monde qui n’est plus ?

Jean Pierre Renaud, ancien haut fonctionnaire

(1)  Un général chiffrait le coût unitaire de ce type d’intervention par soldat pour une année, à la somme de 100.000 euros. A ce tarif, le budget Mali et Centrafrique dépasserait déjà le milliard d’euros.

« Ghosts of Empire » par Kwasi Kwarteng, lecture 3ème partie

« Ghosts of Empire »

Par Kwasi Kwarteng

3ème et dernière partie, les 1ère et 2ème parties ont été publiées les 13 et 28 novembre 2013

 Esquisse de comparaison entre les administrations coloniales anglaise et française

          Notre esquisse  est tirée en partie du livre intitulé « Empereurs sans sceptre » de William Cohen, et en partie de l’exploitation de livres d’histoire coloniale, de récits, de compte rendus d’expériences d’administrateurs eux-mêmes, et enfin de notre formation universitaire.

         En deçà, et en arrière-plan, de la scène coloniale sur laquelle les acteurs anglais et français de la politique coloniale mise en œuvre par les deux pays, trois facteurs d’explication capitale doivent être cités pour bien comprendre la problématique analysée et présentée :

        Le facteur géographique : rien de comparable entre les colonies anglaises riches et accessibles, assez bien desservies par la mer ou les fleuves, et les colonies françaises. Seule l’Indochine pouvait alors rivaliser avec les autres colonies anglaises d’Asie, et encore dans une tout autre catégorie que l’Empire des Indes.

       Le facteur culturel : contrairement à la légende que tentent de répandre dans l’opinion publique certains cercles de chercheurs, la France n’a jamais eu la fibre coloniale (1), pas plus d’ailleurs que la fibre commerciale, alors que les Anglais dominaient le commerce maritime depuis des siècles, et que coulait dans les veines d’une grande partie de leur élite le sang des affaires, du business, beaucoup plus que celui de la gloire ou de la révolution, comme chez nous.

 Même dans la période impérialiste anglaise la plus active, à la fin du dix-neuvième siècle, la politique coloniale eut toujours comme premier souci, celui de se mêler le moins possible de politique locale.

         Les portraits que trace M.Kwasi Kwarteng le montrent parfaitement.

       Ce même facteur culturel éclaire la façon dont la politique coloniale, pour autant qu’elle exista, fut définie par les deux pays, car en Grande Bretagne, et à lire, entre autres le texte de l’auteur, elle se résumait à sa plus simple expression, c’est-à-dire favoriser le business.

      Dans le livre « Supercherie Coloniale », il me semble avoir apporté la démonstration que la thèse  d’une « Culture coloniale » ou « impériale » dans laquelle la France aurait « baigné » souffrait d’un manque d’évaluation sérieuse des outils de la fameuse culture et de ses effets.

      Avec des ambitions différentes, la politique coloniale française se résuma souvent à sa plus simple expression, c’est-à-dire l’aveuglement.

     En France, on se piquait officiellement,  d’exporter dans les colonies civilisation et assimilation, mais paradoxalement sans que le gouvernement y mette les moyens nécessaires, dans le désintérêt des Français.

        Les gouvernements valsaient, et donc les ministres ; le ministère des Colonies n’était pas recherché,  et c’était un mauvais signe. Les acteurs, à la base, tentaient de promouvoir une politique coloniale qui n’existait pas, et pourtant ils continuaient à croire qu’ils étaient porteurs de cette fameuse civilisation du progrès, d’un idéal d’assimilation que les réalités coloniales rendaient impossible.

       Du fait de leur choix stratégique, les Anglais n’ont pas eu autant de difficultés à mettre en place leur système d’administration coloniale, étant donné que leur objectif était moins de diffuser la civilisation occidentale qu’à favoriser le business. Il suffisait donc de laisser le plus souvent possible les autorités indigènes locales administrer leur territoire, pour autant que l’ordre public soit assuré.

      La chronologie : dans le cas de la France, et en ce qui concerne les acteurs de sa politique coloniale, il est difficile de ne pas distinguer une première phase de la « colonisation », en gros jusqu’en 1914, phase de tâtonnements et de mise en place d’une administration, et souvent de  paix civile non assurée, dans une chronologie coloniale totale qui n’a duré guère plus d’une soixantaine d’années, la dernière période de 1945 à 1962, étant une sorte de période de liquidation coloniale.

        En ce qui concerne la chronologie et son domaine d’application, la seule comparaison qui parait avoir du sens comme nous le verrons dans notre travail de comparaison entre les deux empires anglais et français concerne l’Afrique noire.

.Les acteurs de la colonisation à la française

        Recrutement comparé

       Jusqu’en 1914, une administration coloniale française médiocre, très médiocre ;

Au cours de cette première période, le recrutement des administrateurs coloniaux commença à se normaliser lentement, avec la venue d’éléments formés par la nouvelle Ecole Coloniale (création 1887), c’est-à-dire recrutés par concours, avec un recrutement exclusif du corps par l’Ecole à partir de 1905.

       Les administrations coloniales des différents territoires étaient alors constituées de bric et de broc, d’abord d’officiers de qualité inégale, souvent de fils de famille venant s’y refaire une « santé », d’aventuriers, et d’une minorité d’administrateurs recrutés par concours.

        William Cohen cite plusieurs témoignages à ce sujet :

      «  Un colon français (A.H.Canu, dans « La pétaudière coloniale ») décrivait les colonies en 1894 comme : « le refugium peccatorum de tous nos ratés, le dépotoir où vient aboutir les excréta de notre organisme politique et social.

       En 1909, Lucien Hubert, qui était favorable à l’administration coloniale, juge nécessaire de réfuter : « l’odieuse légende qui représente le fonctionnaire colonial tenant d’une main une bouteille et de l’autre la cravache ».

      Aussi récemment qu’en 1929, Georges Hardy, directeur de l’Ecole coloniale, déplorait que lorsqu’un jeune homme partait pour les colonies, ses amis se demandaient : « Quel crime a-t-il pu commettre ? De quel cadavre veut-il s’éloigner ? » Même durant la décade suivante et en dépit des améliorations sensibles apportées dans le recrutement du corps, l’image négative de la vocation coloniale semblait demeurer. On pouvait lire, en 1931, dans un article de journal (L’Echo de Paris) :

     « Quitter la métropole, aller s’enfoncer dans la brousse africaine ou indochinoise, signifiait qu’on avait quelque chose à se reprocher. »

         Le même auteur rapporte le propos d’Hubert Deschamps, ancien gouverneur, qui, en 1931, écrivait que l’administrateur colonial était toujours considéré comme « un peu le mauvais garçon de jadis, le gentilhomme d’aventure… »

            Henri Brunschwig, le grand historien colonial écrivait dans son livre  « Noirs et blancs dans l’Afrique noire française » :

        « En 1914 encore, les deux tiers des administrateurs des colonies n’avaient pas, dans leurs études, dépassé le niveau du baccalauréat. 12 % seulement, entre 1910 et 1914, étaient passés par l’Ecole coloniale dont le concours n’était pourtant pas difficile  » (page 24)          

         La description des membres de ce corps qu’en fait l’auteur à l’époque considérée,  ne manque pas de réalisme :

         « …Ils avaient tous un appétit de puissance, étaient tous plus ou moins attentifs à leurs intérêts matériels et jouissaient tous, contrairement aux autres Blancs ou aux Noirs, d’une certaine sécurité.

     Par appétit de puissance, nous entendons non seulement le besoin de s’affirmer, d’exercer une autorité, d’obtenir une promotion sociale, des honneurs et de la gloire, mais encore le goût de l’aventure, du risque, du jeu. Echapper aux cadres étriqués des bureaux ou des garnisons métropolitaines… se sentir « roi de la brousse », quelle exaltation dont tant de militaires et de fonctionnaires ont gardé la nostalgie ». (page 25)

     Pour mémoire, indiquons que les lettres de Gallieni et de Lyautey font effectivement état d’une des motivations des officiers qui partaient aux colonies, celle d’échapper aux routines de la métropole.

            Pierre Mille, journaliste et romancier colonial en vogue à son époque, dans son roman intitulé « L’Illustre Partonneau », brosse le portrait satirique du monde colonial de la première période, avec humour et férocité. L’administrateur colonial Partonneau incarne plusieurs personnages à la fois, en Afrique occidentale, à Madagascar, et en Indochine, dans leurs aventures, tribulations, et travers, par le moyen d’anecdotes souvent truculentes :

            « Sa prudence

            Je m’amusais parfois – et il était assez rare que je fisse une erreur – à deviner l’origine ou le corps d’où sont issus les administrateurs coloniaux, par la seule façon dont ils prononcent, devant leur chef suprême, cette phrase élémentaire : «  Oui, monsieur le Résident Général ! Ce brave Lefebvre, à qui l’on confiait toujours les postes les plus difficiles ou les plus déshérités, qui ne s’en offusquait nullement, qui même les sollicitaient, « parce que, disait-il, on y est plus à son aise que près des légumes, et que les inspecteurs y passent moins de temps » ne la pouvait sortir des lèvres sans y ajouter, dans son inexprimable émotion, un explétif blasphématoire : « Nom de Dieu ! Oui ! Monsieur le Résident Général ! Oui, sacré nom de Dieu ! » C’est que Lefebvre a été tout petit commis des affaires indigènes, et même auparavant, simple sergent de la vieille infanterie de marine, puis employé de factorerie… les anciens officiers de l’armée de terre émettaient la formule automatiquement et comme à cinq pas de distance…Ceux qui venaient de la marine, avec une courtoisie raffinée qui dissimule un dédain latent…

         Pour Partonneau, il disait d’un souffle raccourci : « Oui, m’sieur le Résident Général ! » J’en avais induit que, des bancs du lycée, il était entré tout droit à l’Ecole coloniale ; il continuait à répondre au pion… » (page 162)

        Comme l’explique William Cohen, cette situation était sans doute inévitable :

       « Malgré les plaintes des gouverneurs formulées à l’égard de leurs subordonnés, il serait possible de soutenir qu’en fait ces rudes aventuriers étaient probablement bel et bien le genre d’hommes nécessaires pour briser les résistances locales et asseoir l’autorité française. » (p,59)

       A titre personnel, et pour avoir lu de nombreux récits des premières années de la conquête, je serais tenté de dire qu’il fallait avoir un petit grain de folie pour aller servir en brousse, compte tenu des conditions de vie de cette époque,  maladies, morts prématurées, isolement…

        Entre 1887 et 1912, et sur un effectif de 984 fonctionnaires, 16% sont morts outre-mer, et à cette époque on calculait qu’un fonctionnaire colonial mourait dix-sept années plus tôt qu’un fonctionnaire métropolitain.

      Au fur et à mesure des premières années de cette première période, et comme l’a relevé William Cohen :

      « L’aventurier disparut et fut remplacé par l’administrateur. (p,59)

Origine sociale

      La Grande Bretagne procéda de façon différente dans le recrutement de son personnel colonial supérieur, avec des formules de choix qui permettaient de s’assurer le concours de collaborateurs formés sur le même moule d’éducation, partageant le même idéal de société, et généralement convaincus tout à la fois de la supériorité de la race anglaise et de son mode de vie.

     Les administrateurs coloniaux français n’avaient pas du tout la même origine sociale que les Anglais, issus pour la plupart de la petite aristocratie, d’une gentry constituée de fils de pasteurs ou d’officiers. Ils venaient d’abord des classes moyennes supérieures, et pour un petit nombre d’entre eux des classes populaires.

     Les modes de recrutement ne se ressemblaient pas, du cas par cas, chez les Anglais avec des modalités différentes entre l’Empire des Indes, dont la sélection était la plus huppée, et les territoires africains moins exigeants, le concours, quand il existait, dans le cas de l’Inde, n’avait pas du tout le sens qu’on lui donnait en France.

    Les administrateurs recrutés par des concours à la française venaient généralement de la petit bourgeoisie.

Les modes de vie

      A lire les nombreux témoignages sur le sujet, il existait incontestablement une différence importante entre les deux catégories d’administrateurs, le mode de vie.

    Les Anglais avaient emporté dans leurs bagages les attributs de leur mode de vie aristocratique, les horaires de travail, la pratique de leurs sports favoris, polo ou cricket, le rite des réceptions mondaines habillées comme at home, la plupart de ces manifestations avaient lieu dans des clubs fermés aux indigènes.

   Le roman d’Orwell sur une certaine vie coloniale anglaise en Birmanie est tout à fait intéressant à ce sujet.

Motivations

Leurs motivations n’étaient non plus pas les mêmes. Venant d’une France agricole, une France des villages et des bourgs, tournée vers elle-même, et habitée à cette époque par un esprit de revanche contre l’Allemagne, ils manifestaient un goût certain pour l’aventure, le dépaysement, tout autant que le service d’une certaine France sûre de ses propres valeurs de civilisation, avec en tête la République, l’égalité, la laïcité, l’assimilation, tout idéaux qu’ils durent rapidement confronter aux dures réalités coloniales.

   Dans le même livre « L’illustre Partonneau », Pierre Mille livre une assez bonne description de ce type de motivations :

   « – Comment, lui dis-je, tu repars ?

–       Non, non, je m’en vais…

     Vous ne comprenez pas la différence ; cela doit vous paraître un propos d’imbécile. « Partir » ou « s’en aller » ont toujours passé pour des synonymes. Mais, j’avais tellement l’habitude de son esprit, et de l’entendre dire à demi-mot ! « Partir », pour lui, comme pour moi, cela signifiait l’aventure devenue naturelle, l’exercice du vieux métier, l’océan traversé, puis la « mission » quelque part , ou bien le poste n’importe où, la besogne administrative chez les noirs ou les jaunes, le proconsulat colonial, quoi ! avec sa monotonie, ses bâillements, mais aussi ses rudes plaisirs, que vous ignorerez toujours, vous les gens d’ici, vous les « éléphants ! S’en aller, ce n’est pas la même chose, c’est même le contraire : c’est abandonner. Partonneau abandonnait, voilà ce qu’il voulait dire à la fois Paris et les colonies (page 212)

    Je serais tenté de dire que dès le départ la tâche était impossible. Il suffit de lire les récits d’un Delafosse aux tout débuts d’une Côte d’Ivoire qui n’avait jamais existé, pour mesurer, rétroactivement en tout cas, l’absurdité des enjeux.

    Et pourtant, un des premiers directeurs de l’Ecole, Dislère, membre du Conseil d’Etat, directeur indéboulonnable pendant une quarantaine d’années, continuait à donner une imprégnation assimilationniste au contenu de la formation des futurs administrateurs coloniaux.

 Des politiques coloniales différentes ?

   Je jouerais volontiers à la provocation en avançant l’idée que les deux puissances coloniales de l’époque, n’avaient, ni l’une ni l’autre, de politique coloniale.

   En Grande Bretagne, parce que les ministres laissaient leurs gouverneurs ou résidents apprécier au cas par cas, et décider, sauf peut-être pendant la courte période du partage de l’Afrique, à la fin du dix-neuvième siècle.

Une politique coloniale existait-elle à Paris ?

    Il est permis d’en douter, en tout cas au cours de la première période de mise en place des structures de commandement françaises.

   En Indochine, les gouverneurs généraux ne savaient pas trop quelle doctrine il fallait appliquer, les uns penchant pour le protectorat, les autres pour l’administration directe, alors qu’une politique de commandement indirect, à l’anglaise aurait pu être appliquée.

    Sur ce blog, nous avons consacré une chronique tirée des lettres de Lyautey au Tonkin, qui montrait bien les hésitations des gouverneurs généraux : de Lanessan, qu’admirait Lyautey, était partisan de la solution de protectorat.

    A Madagascar, et après 1895, une fois la conquête effectuée, Hanotaux, le ministre des Affaires Etrangères lui-même n’avait pas l’air de bien savoir le régime colonial qu’il fallait mettre en place dans la grande île, protectorat ou colonie, c’est-à-dire l’annexion, et l’option de colonie fut largement le fruit du hasard, de l’ignorance du sujet, ou de l’indécision gouvernementale.

    Il convient toutefois de reconnaître que le concept de protectorat fut largement galvaudé en Afrique, les conquérants anglais ou français, pour ne citer qu’eux, faisant la course auprès des chefs indigènes pour qu’ils signent des textes de protectorat qu’ils ne comprenaient pas, en raison notamment de la doctrine « dite » du Congrès de Berlin, celui du partage de l’Afrique, d’après laquelle ces papiers serviraient de preuve d’appropriation coloniale par l’une ou l’autre des puissances coloniales.

     Etienne, qui fut Secrétaire d’Etat aux colonies, se gaussa un jour de ce type de papiers.

    William Cohen éclaire ce débat.

  « Les ministres des colonies étaient incapables, à la fois, d’être eux-mêmes bien informés, et de déterminer une politique. Leur ignorance les empêchait de formuler une politique intelligente. » (p, 93)

    Comment ne pas répéter une observation déjà faite plus haut, les ministres des Colonies défilaient au rythme des gouvernements de la Troisième République, de l’ordre de six mois pendant la première période ? Et de plus, ils avaient rarement une quelconque expérience de l’outre-mer?

    Comment ne pas noter aussi que le Colonial Office existait déjà avant 1850, alors que le ministère des Colonies ne datait que de 1894 ?

Le fonctionnement concret de l’administration coloniale française : un indirect rule déguisé ? La nécessité des truchements

    Confrontée aux réalités humaines et économiques de l’outre-mer, l’administration française ressemblait à la britannique, en s’appuyant sur les autorités traditionnelles, petits ou grands chefs, qu’elle tentait de contrôler.

    La France avait mis en place d’énormes structures coloniales de type bureaucratique, mais une grande partie des territoires coloniaux échappait d’une façon ou d’une autre, à leur emprise.

    M.Kwasi Kwarteng analyse longuement la politique de « l’indirect rule » de Lugard, mais les administrateurs français étaient bien obligés de les imiter, avec un indirect rule au petit pied.

   En comparant les grands territoires du Soudan anglais ou du Soudan français, le nombre des administrateurs était assez comparable, quelques dizaines, d’où la nécessité de trouver dans ces contrées des appuis, des relais de commandement, avec la place trop souvent ignorée du truchement, soit des anciennes autorités traditionnelles, soit des nouveaux « évolués ».

  L’administration coloniale anglaise avait fait, dès le départ un choix stratégique qui conditionnait l’efficacité de son système, celui d’un corps spécialisé par grande colonie, et ce fut le cas en Inde et au Soudan par exemple.

   Non seulement, les administrateurs recrutés y faisaient une grande partie de leur carrière, mais étaient astreints à parler les idiomes du pays, ce qui ne fut pas le cas des administrateurs français qui changeaient en permanence de colonies, au fur et à mesure des congés, et qui ne parlaient la langue de la colonie où ils étaient affectés que de façon tout à fait exceptionnelle.

 William Cohen notait :

    « La rotation constante de ces derniers les empêchait également de demeurer  en contact étroit avec la population. Il en était de même pour les gouverneurs, ce qui constituait également un obstacle dans la continuité de l’administration. Il arrivait souvent que ces derniers ne restent pas plus d’une année dans leurs fonctions. Le Dahomey connut six gouverneurs successifs entre 1928 et 1933, la Côte d’Ivoire en eut cinq entre 1924 et 1933 et la Guinée quatre. L’instabilité de l’administration était proverbiale : un ancien administrateur a noté que dans un cercle du Tchad, il y eut trente-trois commandants différents de 1910 à 1952 ; sept seulement restèrent en fonction deux ans ou davantage, et certains de quatre à six mois… Les postes faisaient l’objet de si fréquents changements que Cosnier déclara que cette instabilité (L’Ouest Africain français) était « le caractère » le plus évident de notre administration coloniale. » (p,179)

Une administration coloniale française par « truchement »

    Il est donc évident que le système dit d’administration  directe était très largement une fiction, et que son fonctionnement concret reposait sur les collaborateurs permanents de l’administration coloniale, les chefs naturels ou nommés, les commis lorsqu’ils existaient, et avant tout les interprètes.

    La supériorité du système colonial anglais paraissait donc manifeste, car les administrateurs français, pour bien « commander », étaient en effet le plus souvent entre les mains de leurs interprètes, et le livre d’Hampâté Bâ, « Wrangrin » décrit bien le fonctionnement concret de l’administration  coloniale française.

      Sauf que le plus souvent, les administrateurs coloniaux anglais, baptisés le plus souvent du nom de résidents, étaient eux aussi et d’une autre façon,  entre les mains de maharadjas, sultans, ou de rois locaux !

    Et pourquoi ne pas ajouter que la pratique des mariages de convenance de nombre d’administrateurs, jusqu’à ce que les conditions sanitaires furent suffisantes, représenta une solution d’intermédiation souvent efficace avec la société indigène ?

    La volonté française de plaquer dans ces pays les structures administratives de métropole trouvèrent rapidement leurs limites, faute de ressources, et William Cohen le note très justement :

   « L’établissement d’une administration centralisée se révéla ainsi impossible, même à l’intérieur de chaque colonie » (p,98)

     Faute au surplus du contrôle quasiment impossible des commandants de cercle sur le terrain, en pleine brousse, et ce ne sont pas les quelques tournées périodiques de brillants inspecteurs des colonies qui pouvaient avoir une quelconque efficacité sur le fonctionnement concret de l’administration.

     Les récits de vie coloniale de nombreux anciens administrateurs coloniaux évoquent souvent tel ou tel épisode d’inspection. Je pense notamment à celui de Pierre Hugot qui, dans « Suleïman, Chroniques Sahéliennes », en relate quelques-uns tout à fait facétieux.

    Le lecteur doit en effet tenter de se projeter rétroactivement dans l’univers colonial, géographique et ethnographique multiforme de cette époque, mettre en scène ces administrateurs, souvent coupés de tout pendant de longs mois, isolés en pleine brousse, pour réaliser qu’en définitive, leur pouvoir était plutôt ou théorique, ou abusif.

Conclusion

      Je serais tenté de dire que les deux administrations coloniales n’ont fait que projeter leur ambitions, leurs mythes, leurs contradictions dans l’outre-mer qu’ils ont conquis, car le recrutement de leur personnel, leurs carrières, la politique qu’ils ont tenté d’y mettre en œuvre, pour autant qu’il y ait eu politique, aussi bien dans le cas britannique que dans le cas français, constituaient une sorte d’incarnation souvent très imparfaite, surtout dans le cas français, de leur modèle de société.

      La Grande Bretagne n’avait pas l’ambition de révolutionner les sociétés locales où elle faisait régner un ordre public favorable à l’épanouissement de son commerce, et jouait le jeu des pouvoirs déjà en place.

     La France avait une autre ambition, théorique et abstraite, tout à fait à la française, celle de promouvoir son modèle d’égalité républicaine et d’assimilation, un modèle que les administrateurs coloniaux avaient bien de la peine à mettre en œuvre, tant la tâche était impossible, d’autant plus que le gouvernement de la métropole, dès le début du XXème siècle, avait décidé de laisser les colonies financer leur propre fonctionnement et développement.

       Concrètement, cela voulait dire que l’administration coloniale se débrouillait, d’autant plus difficilement  qu’elle gouvernait des colonies beaucoup moins riches que les anglaises.

    Cela voulait dire aussi que, compte tenu du petit nombre d’administrateurs dans des territoires immenses, par exemple de l’ordre d’une centaine de commandants de cercle dans l’ancienne AOF, de la mobilité décrite plus haut, l’administration coloniale était largement entre les mains des petits ou grands chef locaux, en concurrence avec les interprètes du système colonial.

     Il serait presque possible d’en tirer la conclusion qu’au fond, et dans leur fonctionnement concret, les deux administrations se ressemblaient beaucoup, sauf à relever que l’administration  coloniale française  projetait naïvement et hypocritement un modèle politique et social qui n’était pas viable, et qui précipita très normalement le processus de décolonisation.

     Les nouvelles élites locales avaient faim d’égalité, mais la métropole était bien incapable, faute de moyens, de l’établir. On sortait enfin de l’hypocrisie coloniale française.

    A voir les débats ouverts et entretenus par des cercles de chercheurs, et à constater les échos postcoloniaux qui ont succédé à la décolonisation, il parait évident que la politique coloniale anglaise, en ne faisant pas miroiter une situation politique et sociale d’égalité, a échappé aux procès permanents que l’on fait de nos jours à la France.

Jean Pierre Renaud, avec quelques éclairages de mon vieil et fidèle ami de promotion Michel Auchère

Humeur Tique:  » Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France, le fric de Varin et le tout sociétal du gouvernement!

Humeur Tique : « il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France…

… dans l’économie, le fric de M.Varin !

21millions d’euros après Aulnay, et tout le reste ?

Même la famille Peugeot pète les plombs ? Et l’intéressé n’aura-t-il pas honte d’accepter ?

Dans le pays de Montbéliard des « Peugeot », cela ne va pas passer !

… dans la politique, le gouvernement divise les Français, en bottant dans le tout sociétal, au lieu du tout social et du tout économique !

Après le mariage pour tous, la prostitution, et bientôt le « genre » nouveau, sur le mode du beaujolais nouveau !

Humeur Tique : grâce au journal Les Echos, la relève de l’histoire de la France coloniale est assurée !


            Le 18 novembre 2013, le journal Les Echos a fait réaliser une Edition spéciale, intitulée « LA RELEVE »

            « 150 personnalités ont réalisé ce numéro exceptionnel »

            Et parmi ces 150 personnalités, un chercheur au CNRS, historien de son état, Pascal Blanchard, excellent spécialiste du détournement idéologique des images coloniales.

            Sans porter de jugement sur les choix qui ont été effectués par le journal Les Echos pour désigner les autres hérauts de la relève de la France – elle en a bien besoin – le choix d’un historien « colonial », idéologique, anachronique, et médiatique, – oh !combien ! –  en surprendra plus d’un au sein des universités.

            Il est vrai qu’une historienne bien connue de ce milieu d’études avait anticipé sur cette sélection, Mme Coquery-Vidrovitch,  en qualifiant l’historien et chercheur en question d’historien « entrepreneur » : gloire aux « entrepreneurs » de la relève de l’histoire de France !

Post Scriptum :

Le lecteur curieux pourra se reporter à l’analyse de ces travaux historiques dans un article critique du blog du 13 octobre 2010, intitulé « Culture coloniale ou Supercherie coloniale » ?

« Mali-France, vers une relation renouvelée » La Croix du 3 octobre 2013, par Oumar Keïta et Michel Galy

« AUTREMENT DIT »

Journal La Croix du 3 octobre 2013

« OPINION  OUMAR KEÏTA et MICHEL GALY »

« Mali-France, vers une relation renouvelée »

  La chronique en question est cosignée Oumar Keïta et Michel Galy : ce dernier est politologue et M.Keïta est historien représentant en France du Président Ibrahim Boubacar Keïta, lequel vient d’être élu Président du Mali.

                 Cette chronique est un plaidoyer pour une nouvelle relation entre le Mali et l’ancienne puissance coloniale, c’est-à-dire la France.

            Le texte en question me laisse très dubitatif, peut être en raison d’une culture historique insuffisante sur le sujet, mais je n’en suis pas convaincu, et je me demande si, dans ce duo d’écriture, l’historien « engagé » exprime bien la réalité des problèmes passés et actuels des relations entre les deux pays, dans un langage un peu trop euphorisant.

            « Les temps ont changé », bien sûr, mais il est tout de même difficile de faire porter la responsabilité des maux actuels du Mali sur l’ancienne puissance coloniale, comme la conclusion semble le suggérer dans une formulation contestable :

           « De sorte que ce soient les relations Mali-France qui priment, c’est-à-dire l’intérêt malien avant tout : à ce prix, ce sont aussi les décideurs, les acteurs de coopération et le peuple même de l’ancienne puissance coloniale qui seront libérés du lourd poids de l’Histoire, et auront de tout cœur droit à la gratitude et à l’alliance du peuple malien » »

        «  Le peuple même de l’ancienne puissance coloniale… le lourd poids de l’Histoire », vraiment ?

           Diable ! M.Keita serait sans doute surpris de l’ignorance des Français en général et des élites en particulier sur le sujet, et il parait tout de même difficile, plus de cinquante après l’indépendance du Mali d’appeler  « l’Histoire » en garantie d’un tel propos.

           Mais soit ! Allons donc au fond du sujet !

       L’Europe et l’Algérie, au premier chef, sont au moins autant, sinon plus concernées que la France, par la situation du Mali.

               La France a eu de la peine à mobiliser l’Europe et l’ONU sur la cause du Mali, et l’Algérie, officiellement en tout cas, est aux abonnés absents.

               La reconstruction d’un Etat et d’une armée dépasse largement les moyens de la France, et tout dépend des Maliens eux-mêmes et des conditions qu’ils devront remplir pour atteindre un tel résultat.

         Une paix difficile à stabiliser, si les pays africains voisins ne mettent pas longtemps la main à la pâte, si un Islam modéré ne réussit pas à canaliser et à pacifier les initiatives d’un Islam extrême, si la société malienne ne réussit pas à modérer son dynamisme démographique, et enfin si les responsables du pays ne mettent pas en œuvre une réforme institutionnelle reconnaissant la réalité d’un peuple Touareg dont il est tout de même difficile de continuer à nier l’existence.    

           Et en point final, comment ne pas rappeler que la France ne fut présente au Mali que pendant une période d’à peine plus de soixante années ?

 Jean Pierre Renaud

Humeur Tique « Au loup ! Au loup ! » Le Front National arrive !

  Cela fait des années qu’une coalition médiatico-politique fait le jeu du Front National en imposant aux Français et aux Françaises un régime de tabou de la parole, de silence, pour ne pas dire une sorte de terrorisme intellectuel et politique qui ne dit pas son nom.

            Interdit d’aborder les sujets qui fâchent, les immigrations du Sud et celles de l’Europe de l’Est, les demandeurs d’asile, l’acquisition de la nationalité et de la bi-nationalité, le fonctionnement libéral de l’Europe, etc…, sauf à se voir aussitôt accusé d’être un suppôt affiché ou clandestin de cette formation politique !

            Depuis des années, le Front National n’a donc pas eu besoin de dépenser beaucoup d’argent pour faire sa propagande, étant donné que ses nombreux adversaires, de bonne ou de mauvaise foi, faisaient à sa place, la propagande qui lui était nécessaire.

            Faute d’avoir eu le courage d’ouvrir tout grands ces dossiers et de leur apporter des réponses, les mêmes de cette coalition médiatico-politique voient effectivement le loup arriver dans une France en pleine crise morale, politique, économique, et sociale, sur le terrain favorable de toutes sortes de peurs, vraies ou fausses.

La culture coloniale des Français sous la 4ème République, par Mme Bidault, épouse de Georges Bidault

La culture coloniale des Français sous la 4ème République avec l’épouse de Georges Bidault, ancien Président du Conseil National de la Résistance, succédant à Jean Moulin, et ancien Président du Gouvernement Provisoire de la 4ème République

              Dans son livre « Souvenirs » (1), Suzanne Bidault, épouse de Georges Bidault, évoque, à propos de la guerre d’Algérie, qui vit son mari se lancer dans la cause perdue de l’Algérie Française, l’indifférence des Français à l’égard du fameux « Empire colonial ».

         Indiquons que Suzanne Bidault fut la première femme admise dans le corps diplomatique avant la deuxième guerre mondiale, où elle fit la connaissance de Georges Bidault au Quai, qu’elle l’épousa.

        Georges Bidault fit une carrière politique à la fois brillante et malheureuse : comme rappelé plus haut, il joua un rôle important dans la Résistance, fut le fondateur du Mouvement Républicain Populaire, le MRP, et fut Président du Conseil du 28/10/1949 au 2/07/1950, et à plusieurs reprises, ministre des Affaires Etrangères.

       Georges Bidault illustre bien, et à sa manière, c’est-à-dire jusqu’au bout, les contradictions d’une partie des hommes politiques de la 4ème République, face aux enjeux de la décolonisation.

      Il combattit, sans espoir, la politique algérienne du Général de Gaulle, et ce fut la fin de sa brillante carrière politique.

Les réflexions de Suzanne Bidault :

      « A la prise de pouvoir de Mendès, Georges quitta le gouvernement et n’y revint jamais. Il n’était plus qu’un député parmi les autres, mais bien différent des autres. Il regardait, au-delà des limites de sa circonscription, la France des cinq continents qui se délitait.

     Je me suis souvent demandée comment, dans sa solitude de Colombey, le général voyait à ce moment cette France des cinq continents et je crois avoir compris : ce n’était pas un homme de l’outre-mer, c’était un continental, comme la plupart des officiers métropolitains (1) de sa génération qui n’avaient d’autre horizon que la ligne bleue des Vosges. Brazzaville et Alger avaient été pour lui des lieux commodes. Pas plus. Aucun sentiment profond ne le liait à ces terres africaines.

      C’est sans regret qu’il a réduit l’Empire aux dimensions de l’hexagone ; « Il l’aurait réduit à celles de l’île Saint Louis, disait plaisamment mon mari, s’il y avait été sûr d’y présider une conférence au sommet.

      L’œuvre de destruction est la sienne. Mais il a été puissamment aidé par les Français.

    Les Français sont aussi des continentaux. Ils l’étaient déjà du temps de Voltaire. Les arpents de sable ne les tentent pas plus que les arpents de neige. Quelques hommes exceptionnels, Montcalm, Dupleix, Lyautey par exemple, ont pu en entrainer un petit nombre sur les routes de l’aventure coloniale. Mais l’immense majorité est restée dans son trou. Il y a longtemps que Pierre Mille a écrit : « Le français qui va aux colonies est un enfant qui fait pleurer sa mère ». On s’est attaché depuis la dernière guerre à sécher les larmes des mères, on a agité devant les yeux du peuple le plus intelligent de la terre, l’épouvantail du colonialisme. On voit les résultats : les gens crèvent de faim là où ils mangeaient, et raniment entre eux les luttes tribales que l’ordre français avait apaisées. Le mot colonie est un terme maudit. On est allé jusqu’à l’appliquer à trois départements français pour mieux les perdre. Ils avaient le grand tort d’être situés au-delà de l’eau. Les Français n’aiment pas çà.

Heureux les pays comme l’URSS dont les colonies s’accrochent au territoire national. Personne ne songe à en contester la propriété à ceux qui les occupent – et pourtant à Khiva et à Boukara on est musulman comme à Tlemcen… »

Commentaire :

        J’ai retenu cette citation, parce qu’elle illustre bien, à mon avis, l’aveuglement d’une partie de notre haut personnel politique de la 4ème République – mais on pourrait dire la même chose pour la 3ème République – sur les objectifs de la colonisation, des colonies qui constituaient ce qu’on appelait l’Empire, avec un grand E : tout à la fois une grande ignorance, un mélange d’intérêt et d’idéalisme, un rêve d’assimilation irréalisable, comme le reconnaissaient les esprits les plus lucides.

      On était tout à la fois tout près des rêves de la Résistance et d’une France coloniale qui n’existait le plus souvent que dans la tête et les ambitions d’un petit groupe d’hommes politiques ou économiques influents.

      Il suffit de rappeler que les trois partis politiques qui gouvernaient la France après 1945, le Parti Communiste, la SFIO, et le MRP, ne surent pas prendre le virage nécessaire de la décolonisation. A titre d’exemple, Marius Moutet, le ministre socialiste grand teint (SFIO) fut une des chevilles ouvrières de la répression sanglante de la révolte malgache en 1947.

     Comme certains lecteurs le savent, ma thèse personnelle est que la France dite coloniale, ne l’a jamais été, sauf, peut-être dans des circonstances très exceptionnelles, à Fachoda, ou pendant  les deux guerres, que le mythe colonial ne s’est jamais incrusté dans la culture française, contrairement à ce que certains chercheurs, plus idéologues qu’historiens, voudraient nous faire croire.

     Au risque de provoquer, je serais tenté de dire que la France est devenue de plus en plus « coloniale » avec les flux d’immigration des années 1990 et suivantes.

    Et quant au rapprochement colonial que Mme Bidault fait entre la France et l’URSS, l’histoire en a fait litière, comme chacun sait.

Jean Pierre Renaud

(1)  Fille d’un officier des troupes coloniales qui servit à Madagascar sous le proconsulat de Gallieni, Madame Bidault avait une certaine connaissance de l’outre-mer.

Nous avons évoqué l’anecdote dans nos morceaux choisis intitulés « Gallieni et Lyautey, ces inconnus » sur le blog du 12 juillet 2013

(2)  Pages 104 et 105 du livre « Souvenirs » de Suzanne Bidault-

Ouest France 1987