Quatrième partie: Legs de l’Empire britannique en Asie, aux Indes avec M.Panikkar et de l’Empire français au Viêt-Nam avec M.Brocheux

Quatrième partie

Legs de l’Empire britannique en Asie

Le regard d’un historien indien : M.Panikkar

« L’Asie et la domination occidentale »

(Le Seuil 1953)

Le regard d’un historien français sur le legs français au Viêt-Nam, Pierre Brocheux

La troisième partie a été publiée le 3 mars 2014

1 – Le regard indien

                        Le livre de M.Panikkar date sans doute un peu, mais il a le mérite d’avoir été écrit par un historien indien, quelques années seulement après l’indépendance de l’Inde en 1947, c’est-à-dire dans une période encore profondément marquée à la fois par le colonialisme, les violences de cette indépendance, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, et enfin par la montée en puissance dans le Tiers Monde de l’esprit de Bandoeng.

           C’est dire que son analyse historique, son réquisitoire anticolonialiste, son regard sans complaisance, ont d’autant plus d’intérêt que le bilan qu’il fait de l’Empire anglais des Indes n’est pas complètement négatif pour la longue présence anglaise en Inde.

           La préface d’Albert Béguin qui ne passait pas, à la même époque, pour un intellectuel colonialiste est intéressante en ce qu’elle marque à la fois les points forts du réquisitoire Panikkar, de son « procès de la colonisation », mais tout autant ses fragilités, en relevant notamment « sa partialité d’historien passionné ».(p,24)

           La lecture de cet ouvrage en convaincra plus d’un, si besoin était, qu’il est difficile, sinon impossible de faire rentrer dans un travail de comparaison entre les deux empires anglais et français, tout autant l’Inde que les colonies de peuplement anglaises devenues des dominions.

       Le champ de comparaison le moins contestable concerne les différences d’approche institutionnelle et humaine entre les deux systèmes de domination coloniale, tant il existait un écart gigantesque, de toute nature, entre les deux empires. Dans l’Empire des Indes, les Anglais étaient dans un autre monde, et cet Empire des Indes cohabitait avec l’Empire britannique dans son ensemble, l’irriguant de ses richesses et dominant à son tour les terres les plus proches de l’Asie.

      Dans le livre « The tools of Empire », l’historien anglais Headrick a bien décrit les caractéristiques de cet empire britannique secondaire, un empire secondaire dont la France n’a jamais disposé, en tout cas à la même échelle.

       Le livre ne consacre que quelques lignes à quelques colonies « secondaires » de la domination occidentale en Asie  par rapport à l’Inde, c’est-à-dire la Birmanie, l’Indonésie, et l’Indochine, alors qu’il consacre beaucoup de pages à la Chine et au Japon.

Notre lecture critique portera successivement sur :

         –       la démarche historique de M.Panikkar

      –      la description qu’il fait des effets du choc colonialiste anglais en Asie et   aux      Indes.

1 – La démarche historique :

           L’historien décrit la constitution de ce nouvel empire et son fonctionnement, mais son propos sur l’écriture de l’histoire indienne, rendue possible, grâce au colonialisme, est tout à fait intéressant.

             Sa constitution

             L’historien rappelle le lointain passé de la domination anglaise aux Indes, la période de conquête qui se situa entre les années 1750 et 1858« L’âge de la conquête » avec le règne absolu de la Compagnie anglaise des Indes, et la captation du commerce asiatique aux dépens des  concurrents portugais ou hollandais, tout au long du siècle.

        L’auteur relève qu’après la défaite de Napoléon, en 1815, l’Angleterre fut « comme le colosse du monde », régnant sur l’industrie et le commerce maritime de la planète.

        1858 a marqué une date capitale, étant donné qu’à la suite de la violente révolte dite des Cipayes, le gouvernement anglais reprit la main des affaires indiennes, nationalisa la Compagnie, et nomma un Secrétaire d’Etat spécialisé.

        L’historien notait, qu’à cette époque, il existait déjà une puissante classe indienne de marchands dans l’Inde du nord. (p,100)

        Après « l’âge de la conquête »,  « l’âge de l’Empire » (1858-1914)

     « L’histoire de l’Inde au cours de cette période est dominée par la transformation graduelle de l’administration anglaise sous l’influence de facteurs économiques et géographiques. « Possession » et colonie au début, l’Inde anglaise se transforma par lentes étapes, en un « empire » qui continuait certes à dépendre de Londres, mais qui revendiquait hautement ses droits propres et qui forçait souvent le gouvernement de la métropole à suivre une politique qui n’était pas entièrement de son goût… » (p, 137)

          Le nouvel Empire des Indes, du fait de sa puissance humaine et économique,  – une Inde « vache à lait de l’Angleterre » – ,  de sa marine, de son armée, avait naturellement une influence sur la politique étrangère britannique, en Perse, en Chine, et en Afghanistan.

        L’historien décrit le fonctionnement de l’administration anglaise, son recrutement élitiste :

     « De cette administration pratiquement « toute blanche » dépendait une bureaucratie indigène, recrutée à l’échelle régionale et étroitement surveillée… Ainsi l’Anglais n’avait jamais de rapports directs avec la population elle-même » (p,139)

        Cette administration développait son autorité différemment sur tout le territoire du véritable continent qu’était l’Inde, car l’Inde des princes représentait les 2/5èmes du territoire, mais :

      « L’Inde anglaise et l’Inde des princes ne formaient plus ainsi qu’une seule réalité politique immensément puissante et contrôlée par Londres. » (p,140)

       « A partir de 1875, l’Inde devint un véritable Etat impérial, clé de tout le système politique de l’Asie du Sud. «  (p, 150)

          « L’Empire indien de l’époque était un Etat à l’échelle d’un continent » (p,154)

         Avec la naissance aussi d’une « Inde d’Outre-Mer » entrainée par« l’émigration massive des Indiens vers la Malaisie, l’île Maurice, et même vers les Fidjis… » (p,155)

        Une autre forme de colonisation dont le legs existe encore aujourd’hui dans ces terres d’émigration.

        Rappelons que Gandhi commença sa croisade pour l’indépendance de l’Inde au Natal, où il se trouvait.

       L’auteur notait que cette puissance avait toutefois une contrepartie :

    « L’’Inde de son côté, apprit qu’une politique impériale coûtait cher, car toutes les guerres de l’Orient étaient, jusqu’au dernier centime, financées par elle. » (p, 151)

          Son fonctionnement

        L’auteur décrit avec précision le type de relations coloniales, placées sous le timbre du prestige de la race anglaise, qui existait alors entre une petite minorité d’Anglais et la masse indienne des dizaines de millions d’habitants.

        « Le racisme anglais est une réalité aussi indiscutable et peut-être aussi importante que cette exploitation économique. » (p,142)… Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. » (p,143

        La haute administration anglaise, le Civil Service, de grande réputation, « une sorte de confrérie gouvernementale » dont les membres « Juchés sur leur piédestal »  y faisaient toute leur carrière, et mettaient en pratique « une étiquette compliquée ».

    « Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que les Européens de l’Inde soient restés totalement étrangers à la vie du pays. Un fossé infranchissable les sépara de la population jusqu’à leur départ. » (p,146)

      Les Anglais bâtirent une solide bureaucratie indienne, étant donné qu’ils ne pouvaient assurer leur domination qu’en s’appuyant sur cette participation indienne, la masse de ces nouveaux lettrés qui servirent de truchement à la domination anglaise, et qui nourrirent rapidement le recrutement des mouvements nationalistes indiens de la fin du siècle.

L’historien formule une remarque tout à fait intéressante sur le fonctionnement de la haute administration anglaise, le Civil Service gardant à l’égard des gens du business la même distance qu’avec les « petits » bureaucrates indiens.

      « Le Civil Service se refusait en effet à subir l’influence des intérêts commerciaux et industriels et son refus était hautement proclamé par toute la classe sociale qui formait son terrain de recrutement…

       ll n’y avait ainsi aucune alliance entre le Civil Service et le big business ; la bureaucratie britannique n’avait aucun intérêt dans l’exploitation de l’Inde. » (p,149)

      Cette remarque est à première vue paradoxale, mais n’illustre- t-elle pas, quasiment à la perfection, l’analyse que nous faisions dans la deuxième partie de notre exercice de comparaison entre les deux empires, quant à l’intervention de la fameuse main invisible, celle d’un libéralisme qui n’avait besoin que d’un bon cadre juridique de paix et de liberté pour pouvoir prospérer, à partir du moment, et ce fut le cas en Inde, où les initiatives des entrepreneurs trouvaient un terrain favorable à la création de richesses et à leur enrichissement.

      Il est évident que les « situations coloniales » sous l’angle de leurs atouts et de leurs communications favorables induisaient des solutions de domination coloniale tout à fait différentes : quoi de commun par exemple entre une Afrique de l’ouest encore coupée du monde et une Inde depuis longtemps connectée au même monde, à la fin du dix-neuvième siècle ?

     La première guerre mondiale de 1914-1918 a marqué une rupture  dans l’histoire des Indes, comme dans celle de toutes les colonies : plus rien ne fut comme avant.

     L’historien dénomme cette période « L’Europe en recul » et examine dans le chapitre premier « La guerre civile européenne et ses répercussions » », une guerre qui a donné à des milliers de soldats indiens à faire connaissance avec le monde occidental et ses « sahib ».

     L’historien cite à ce sujet les propos d’un ancien gouverneur général socialiste de l’Indochine, Varenne, dans un livre paru en 1926 :

      « Tout a changé depuis quelques années, les idées et les hommes… l’Asie elle-même s’est transformée… »

    Et il ajoute :

    « Varenne avait incontestablement raison. Le soldat indien qui avait combattu sur la Marne revenait chez lui avec de tout autres idées sur le sahib que celles inculquées par des années de propagande. Les travailleurs indochinois du Sud de la France rapportèrent en Annam des idées démocratiques et républicaines qu’ils auraient été bien en peine d’avoir auparavant. Il est curieux de noter que, parmi les Chinois qui vinrent également en France à la même époque, se trouvait un jeune homme du nom de Chou En- lai qui s’apprêtait à devenir communiste et qui fut, d’ailleurs expulsé pour l’activité manifestement subversive qu’il déployait dans les groupes  de travailleurs chinois. » (p,240)

      La deuxième guerre mondiale, avec l’effondrement des puissances  coloniales, le rayonnement de la nouvelle puissance américaine, la doctrine de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, puis la guerre froide, concurremment avec le développement des ressources du sous-continent indien et des mouvements nationalistes ne pouvaient que déboucher sur l’indépendance du pays, ce qui se produisit en 1947.

       « La création d’une nouvelle histoire », la démarche historique de M.Panikkar est d’autant plus intéressante qu’elle débouche sur la reconnaissance d’un des legs positifs de la domination coloniale, lié à la naissance d’un nationalisme indien,  l’éclosion d’une histoire de l’Inde :

         « Ce culte de la nation exigeait dans la plupart des cas la création d’une nouvelle histoire, puisqu’une nation ne peut exister sans une histoire qui donne un sens à son unité… ce sont les savants européens qui fournirent les premiers matériaux d’une histoire indienne… L’exemple de l’Indonésie est encore plus frappant…iI est indéniable en ce sens que les savants et penseurs européens, par des travaux tout désintéressés, permirent à l’Inde, à Ceylan et à l’Indonésie de penser en termes de continuité historique. » (p,431,432)  

       Point n’est besoin de faire remarquer que le constat fait par M. Panikkar pourrait valoir pour beaucoup d’autres territoires qui accédèrent à leur indépendance.

       En ce qui concerne l’Afrique, à la différence d’une Afrique morcelée, sorte de mosaïque humaine et politique, le même constat était difficile à faire, d’autant plus que le découpage colonial, au travers d’anciennes communautés ethniques ou religieuses, a généralement créé des « nations » souvent artificielles.

2 – Les effets du choc colonialiste :

       L’historien se livre à un examen discursif des relations nouées entre l’Orient et l’Occident au cours des siècles dont il est résulté un enrichissement mutuel de la pensée et de l’art, tout en notant que ces relations ont changé de nature avec la domination occidentale :

       «  C’est que la rencontre inégale de l’Europe et de l’Asie avait fait naître un racisme blanc. De nombreux observateurs ont remarqué qu’au XVIII° siècle, il n’y avait aucun préjugé de couleur parmi les Européens de Chine et de l’Inde ; on peut même dire qu’à cette époque les Chinois étaient encore respectés, et que les Indiens n’avaient pas encore à souffrir de l’orgueil et du racisme européens. La naissance du racisme a eu des causes multiples, mais la principale est sans aucun doute la domination politique que les Européens exercèrent au milieu du XIX° siècle et qu’ils  regardèrent bientôt comme leur droit le plus naturel. Le simple fait que ce racisme ait été assez peu marqué dans les pays restés indépendants, comme le Japon ou même le Siam, prouve à l’évidence son origine politique. » (p,420)

     L’auteur conclut que la domination occidentale sur l’Asie a complètement bouleversé l’histoire de ces pays, créé un véritable choc pour le meilleur et pour le pire, car le bilan que M.Panikkar effectue de la domination coloniale anglaise est en définitive assez nuancé.

     Au bilan, la création d’infrastructures, l’investissement de capitaux dans l’économie indienne, la formation de personnel, la naissance de mouvements humanitaires et libéraux qui sont venus contrecarrer l’exploitation capitaliste :

      « Ils pensaient que l’on pouvait se livrer sans danger à l’humanitarisme et propager parmi les peuples asiatiques les techniques qui libéreraient l’homme blanc d’une partie de son lourd fardeau » (p,427)…

        Les peuples asiatiques acquirent ainsi une expérience administrative et pénétrèrent le mécanisme du gouvernement moderne…. (p,427)

Un Etat moderne

        Au contraire des anciens Etats asiatiques :

     « Au contraire, le système que la Couronne institua dans l’Inde et que toutes les autres administrations coloniales furent bien obligées d’imiter, n’apportait pas seulement l’idée de l’Etat moderne, mais mettait en place tous les éléments nécessaires pour le réaliser. (p,428)

       « Bien que les Indiens, les Chinois et les Japonais aient aimé proclamer la supériorité de leurs propres cultures, ils ne pouvaient se dissimuler l’incomparable valeur du savoir occidental, non plus que l’immense force – sinon la stabilité – de l’organisation économique et sociale de l’Europe. » (p,435)

La prééminence d’un nouveau droit

       Dans la même conclusion générale de l’ouvrage, et en choisissant les legs colonialistes qu’il estimait les plus importants figure la mise en place du système juridique anglais britannique, c’est-à-dire un système national fondé sur le principe de l’égalité des citoyens devant la justice :

      « C’est le droit qui qui gardera sans doute de façon la plus durable l’empreinte occidentale … Il est donc à peu près certain que les nouvelles relations instituées par les systèmes juridiques de type occidental ne seront pas bouleversées avant longtemps. «  (,p,436)

         L’auteur estimait alors que :

      «  Il est donc à peu près certain que les nouvelles relations de type occidental ne seront pas bouleversées avant longtemps » (p,437)

       L’historien n’est pas du tout du même avis quant à la pérennité des structures politiques mises en place par l’empire, et sur l’avenir d’un régime démocratique qui s’est substitué à l’ancien despotisme oriental

Une nouvelle civilisation urbaine

           Une autre observation historique tout à fait intéressante à mes yeux, parce qu’il s’agit d’un facteur de changement, pour ne pas dire de modernité, trop souvent ignoré, ou minimisé, un facteur qui est au cœur du processus de la domination occidentale et de l’acculturation nouvelle des populations colonisées, c’est-à-dire le facteur urbain, la création ou le développement des villes.

        M.Panikkar relève tout d’abord qu’ :

      « Il existait une grande civilisation urbaine dans l’Inde, la Chine et le Japon avant l’arrivée des Européens ». (p,439)

      Il compare les processus d’urbanisation européenne des premiers âges de l’Europe à l’initiative de la  Rome antique à ceux que la domination occidentale a provoqués en Asie :

       « L’Asie fut le théâtre d’un processus identique, et la création des grandes villes restera sans doute le principal monument de l’Europe en Orient. 

       C’est la civilisation urbaine qui a créé les puissantes classes moyennes de l’Inde, de la Chine et des autres pays asiatiques ». (p,439)

        Ainsi qu’elle l’a fait à une moindre échelle et dans un calendrier différé en Afrique noire !

Enfin dernière innovation « impériale », la création d’Etats :

      « Une autre conséquence de la domination européenne a été aussi l’intégration de vastes territoires dans de grands Etats nationaux d’un genre nouveau jusque-là dans l’histoire asiatique… pour la première fois de son histoire, l’Inde formait un seul Etat qui vivait sous la même Constitution et les mêmes lois. » (p,440)

      Et pour terminer cette petite lecture critique de ce livre fort instructif, une notation qui en surprendra sans doute plus d’un, parmi ceux qui ont une certaine connaissance de l’histoire coloniale, quant aux effets et legs liés à « l’occidentalisation » ou non des territoires coloniaux :

       « Il faut cependant se rappeler qu’au cours de toute l’histoire des relations entre l’Europe et l’Asie, on ne tenta jamais d’imposer une idéologie aux peuples asiatiques. Si donc l’Asie a été marquée par l’Europe, c’est parce qu’elle lui a résisté, et parce qu’il était nécessaire, pour la combattre, de se pénétrer de ses techniques et de son savoir. Et c’est justement parce que l’Europe n’a pas tenté « d’occidentaliser » l’Asie que l’assimilation des techniques et des idéologies européennes est sans doute définitive, et portera ses fruits même dans plusieurs siècles. » (p,446)

        En lisant cette analyse incomplète et nécessairement imparfaite, le lecteur aura pu prendre la mesure de l’écart qui pouvait exister entre les deux empires, mais tout autant dans les appréciations, pour ne pas dire jugements, qu’il était possible de porter sur les legs laissés par le colonialisme en Afrique et en Asie.

        Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de publier un  extrait d’une encyclopédie d’Elisée Reclus qui eut son heure de succès, intitulée « Nouvelle géographie universelle – La terre et les hommes » tome VIII L’inde et l’Indochine 1883 Librairie Hachette », un texte que m’a communiqué mon vieil et fidèle ami Auchère :

           « L’Angleterre s’est donné pour mission, disent ses hommes d’Etat, de civiliser les Hindous et de les élever graduellement à la dignité d’hommes libres ; mais, en attendant que cette œuvre s’accomplisse, la riche Grande Bretagne vit aux dépens du pauvre Hindoustan : les cadets de l’aristocratie anglaise sont les parasites de leurs sujets les malheureux rayot. Sans parler des millions qui sont employés chaque année à subvenir dans les Indes mêmes aux dépenses des gouvernants anglais, à l’entretien de l’armée et de quelques vaisseaux, une somme variant de 360 à 450 millions de francs est envoyée chaque année en Angleterre comme part contributive aux charges du gouvernement britannique. De 1857 à 1882, neuf milliards de francs ont été ainsi prélevés sur la production des Indes au profit de ses conquérants. » (p,707, 708)

           Rien de comparable pour la France, même si les frais d’administration des colonies étaient à la charge des colonies elles-mêmes.

         Par ailleurs, cette somme de 9 milliards est à mettre en regard avec le budget de la République française qui était de l’ordre de 3 milliards de francs en 1883.

2 – Legs de la France au Viêt-Nam :

 Le regard de l’historien Pierre Brocheux

     Deux sources de documentation utilisées :

       –       un article paru dans la revue « Jaune et Or » de l’Ecole Polytechnique (1997), intitulé « Le legs français à l’Indochine »

       –       le livre « Histoire du Viêt- Nam contemporain « (2011)

        Il est évident que dès le départ, toute comparaison éventuelle doit tenir compte d’une différence gigantesque d’échelle géographique et humaine entre les deux territoires, à l’époque coloniale, entre une Indochine française dont la population comptait de l’ordre de l’ordre de 20 millions d’habitants par comparaison aux 400 millions d’habitants de l’Inde.

       Cette remarque préalable faite, trois différences capitales distinguent les deux colonies :

       Première différence : Les Indes anglaises ont constitué un empire à elles-seules, compte tenu de leur puissance et de leur richesse, un empire britannique « secondaire ». Certains auteurs ont d’ailleurs qualifié l’Inde de « poule aux œufs d’or » ou encore de « vache à lait ».

   Deuxième différence : avant l’intrusion française, et la colonisation, la presqu’ile d’Indochine constituait déjà un Etat relativement bien organisé, le royaume d’Annam, et disposait d’une administration royale ramifiée de lettrés.

L’Annam  continuait à verser un tribut annuel à l’Empereur de Chine, mais il s’agissait d’un lien assez symbolique.

     Troisième différence : A la différence des Indes, à l’arrivée des Français, le royaume d’Annam disposait déjà d’une histoire ancienne et commune à la Cochinchine, à l’Annam et au Tonkin, au cours de laquelle de grands personnages s’étaient illustrés au cours des siècles, dont les deux sœurs Trung et Triêu Thi Trinh, célébrées encore de nos jours, qui luttèrent pour l’indépendance de leur pays, contre la Chine au début du premier millénaire.

       Dans son article « Le legs français à l’Indochine », Pierre Brocheux introduit la réflexion en écrivant :

       « Les Français tendirent deux cordes à leur arc : celle de l’exploitation des ressources économiques et celle de la civilisation des hommes. »

Les ressources –

      L’historien décrit les résultats obtenus sur le plan économique, la  création d’un réseau ramifié de voies de communication par route (32 000 kilomètres macadamisées en 1943) et par rail (3 019 kilomètres en 1938), le développement des rizières, des plantations d’hévéa, des mines de charbon, et d’industries de transformation textiles ou alimentaires, sous la houlette de l’administration coloniale et de la Banque d’Indochine, très puissante, la seule banque coloniale à avoir été autorisée à battre monnaie.

      Dans son livre, Pierre Brocheux relève que la France a alors installé un système de production capitaliste, mais sans détruire le tissu artisanal dynamique qui existait alors.

          A noter par ailleurs, le rôle trop souvent passé sous silence de la communauté chinoise dans l’économie indochinoise, compte tenu de son poids, Pierre Brocheux utilise le terme de condominium franco-chinois :

      « En dépit des obstacles posés par le condominium économique franco-chinois, une classe d’entrepreneurs vietnamiens tenta de se faire une place au soleil. » (p,71)

La civilisation – 

       La deuxième corde de l’arc citée par l’historien, un effort important en matière de santé publique, avec la formation de personnel (367 médecins et 3 623 infirmières en 1939), la création d’hôpitaux (10 000 lits), et d’établissements, un institut Pasteur en 1891, une école de médecine en 1902, et enfin  des campagnes de vaccination massives.

      En parallèle, un effort non négligeable de scolarisation et la création d’une université, avec pour résultat la création d’une nouvelle élite de lettrés et de fonctionnaires.

     Seul problème, mais majeur le choc de civilisation que la France a imposé à une aussi vieille civilisation, sans que la France n’offre de véritable perspective politique à son élite !

Ce que relève à juste titre l’historien !

     « Quel bilan ?

     L’histoire de l’Indochine française fut celle d’une modernisation  à l’européenne imposée aux peuples indochinois, les Français ne surent ou ne voulurent pas prendre la mesure des changements qu’ils avaient eux-mêmes introduit ni en tirer des conséquences évolutives. Ainsi, faute d’avoir dirigé l’évolution ou de l’avoir devancée, ils furent entrainés et écrasés par elle » (p,5)

    Dans son livre, l’historien Brocheux utilise une expression plus forte, et à notre avis, pertinente, en choisissant pour titre de son chapitre 4 :

« De l’agression culturelle et de son bon usage. »

     Car il s’est bien agi d’une agression coloniale multiforme, comme le furent toutes celles, d’origine anglaise, américaine, russe, portugaise, italienne, ou allemande, qui jalonnèrent la fin du dix-neuvième siècle en Afrique ou en Asie.

     Il s’agit du vieux débat qu’avaient engagé les premiers gouverneurs sur la question de savoir s’il fallait instaurer en Indochine un véritable protectorat ou laisser l’administration coloniale imposer de plus en plus sa marque sur la colonie.

     Nous avons déjà évoqué cette question sur ce blog, notamment dans les chroniques intitulées «  Gallieni et Lyautey ces inconnus ! »

      Dans les années 1930, le gouverneur général Varenne, défendit à nouveau une évolution de notre gouvernance coloniale, mais sans succès.

      Dans l’« Epilogue » de son livre, Pierre Brocheux fait une lecture nuancée du legs colonial de la France :

     « L’histoire contemporaine du Viêt Nam illustre la résilience d’un fait national séculaire. Le moment colonial fut un intermède relativement court mais fécond en transformations de l’économie, de la société et de la culture. Dans ce dernier registre, les changements ont été déterminants parce qu’ils ont donné naissance à la modernité vietnamienne, une mutation largement inspirée par la civilisation occidentale mais qui n’a pas fait « sortir le Viêt Nam de l’Asie pour le faire entrer dans l’Occident ». Choisir préside à la transculturation et à l’enculturation : que prendre à la culture dominante pour faire évoluer sa propre culture ? Dans le registre matériel, il n’y a pas de dilemme technologique : sciences modernes, techniques industrielles s’imposent (c’est la « potion magique ») et leurs applications engendrent des transformations économiques pouvant être rapides. En revanche, dans la sphère spirituelle, particulièrement dans le registre philosophique et politique, le choix est plus délicat, plus problématique et les changements beaucoup plus lents.

        Qui peut mieux qu’un Vietnamien ayant participé au combat pour la libération nationale de son pays, évaluer l’effet déterminant de la domination française sur son pays :

       « Revenons vers le passé avec une vue large, objective, tolérante et passons en revue ce que la colonisation française a légué à notre peuple. Il nous faut avant tout reconnaître que les colonisateurs français avaient débarqué dans notre pays en pleine domination du régime féodal absolutiste. Il aurait fallu un authentique Meiji pour sortir notre pays des ténèbres millénaires des us et coutumes et croyances arriérées. Il nous suffit de comparer les cent ans du protectorat français avec les mille ans de domination chinoise pour mieux voir, pour comprendre plus à fond l’influence des deux civilisations comme les supports positifs pour notre peuple de ces deux régimes colonialistes. En cent ans, les apports des Français ne le cédèrent en rien à ceux des mille ans de domination chinoise. »

(Dâng Van Viêt -Mémoires d’un colonel Viêt Minh 1945-2005, p,217-218)

Pierre Brocheux Histoire du Vietnam contemporain, pages 251, 252

Post Scriptum

        Il y a quelques années, je me suis rendu au Vietnam en compagnie de mon épouse avec plusieurs objectifs : faire la connaissance d’un pays pour lequel j’avais toujours nourri à la fois de la curiosité et de l’attirance, confronter certains lieux de la conquête militaire et de la colonisation avec le résultat de mes recherches historiques, notamment sur la fameuse « retraite » de Langson en 1883, ou sur la révolte du Dé Tham dans le delta du Tonkin (1890-1908), et pourquoi ne pas le dire ?

        Répondre à la question : que reste-t-il de la colonisation française au Tonkin, à Hanoï, ou en Annam, à Hué, l’ancienne capitale impériale.

      De ce voyage sans doute trop rapide, ma conclusion était celle de la disparition quasi-complète de la colonisation française, mis à part, à Hanoï ou à Hué, quelques beaux bâtiments officiels de l’ancienne colonie, et surtout les célèbres villas coloniales, et naturellement le fameux pont Paul Doumer, datant du proconsulat de l’intéressé, toujours vivant !

     La citation qui a été faite plus haut propose évidemment une autre mesure du legs colonial que la France a pu laisser au Vietnam, dans un pays qui a été complètement dévasté par les deux guerres qui s’y sont succédé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Humeur Tique « Au loup ! Au loup ! » Le Front National arrive !

Après le premier tour des municipales et avant les élections européennes, réédition d’un texte paru sur ce blog le 8 octobre 2013

            Cela fait des années qu’une coalition médiatico-politique fait le jeu du Front National en imposant aux Français et aux Françaises un régime de tabou de la parole, de silence, pour ne pas dire une sorte de terrorisme intellectuel et politique qui ne dit pas son nom.

           Interdit d’aborder les sujets qui fâchent, les immigrations du Sud et celles de l’Europe de l’Est, les demandeurs d’asile, l’acquisition de la nationalité et de la bi-nationalité, le fonctionnement libéral de l’Europe, etc…, sauf à se voir aussitôt accusé d’être un suppôt affiché ou clandestin de cette formation politique !

         Depuis des années, le Front National n’a donc pas eu besoin de dépenser beaucoup d’argent pour faire sa propagande, étant donné que ses nombreux adversaires, de bonne ou de mauvaise foi, faisaient à sa place, la propagande qui lui était nécessaire.

            Faute d’avoir eu le courage d’ouvrir tout grands ces dossiers et de leur apporter des réponses, les mêmes de cette coalition médiatico-politique voient effectivement le loup arriver dans une France en pleine crise morale, politique, économique, et sociale, sur le terrain favorable de toutes sortes de peurs, vraies ou fausses.

                      Bis repetita!

Salades politico-judiciaires du jour à la française!

  Il est tout de même difficile de faire croire aux Français et aux Françaises que les Procureurs Généraux informent le Garde des Sceaux des procédures judiciaires engagées, sans rien savoir de leur contenu, même succinct.

            Ou alors, les ministres de la République seraient effectivement des petits saints !

            La droite fait beaucoup de raffut sur le sujet, alors qu’il n’y a rien de changé sous le soleil, ainsi que nous l’avons rappelé il y a quelques jours sur ce blog.

            Tant que le Parquet sera sous les ordres des Gardes des Sceaux, les tartufferies à la française continueront !

            Conséquence du grand tapage actuel ? Une perte de confiance accrue dans le personnel politique !

Jean Pierre Renaud

La France en Centrafrique: entre néocolonialisme, ingérence humanitaire, tutelle de l’ONU, histoire coloniale ou postcoloniale, à l’ombre de la Françafrique!

(Commentaires de contributions publiées dans le journal la Croix des 29 janvier et 7 février 2014)

            Le lecteur connait ma position de citoyen sur les modalités d’intervention de notre pays au Mali et en Centrafrique (voir mon article du 17 février 2014), et l’évolution des conditions de cette intervention militaire qui se déroule en dehors des missions normales de notre armée (une interposition dans une guerre civile !), donc un « piège » !

            Cette opération « militaire » dure, contrairement aux engagements du Président, et met en évidence, après son « fait accompli »,  l’extrême difficulté que la France rencontre pour trouver des concours internationaux, et montre clairement les limites de ce nouvel exercice de puissance dans une Afrique qui doit se prendre en charge.

            Pourquoi ne pas avoir laissé les voisins de ce pays, le  Gabon, la République du Congo, ou la nouvelle Afrique du Sud, qui paraissait motivée et en avait les moyens, prendre leurs responsabilités, avec l’appui de la communauté internationale, y compris la France ?

         La guerre civile qui sévit en Centrafrique pose à nouveau le problème des conditions de l’intervention internationale dans ce type de conflit.

           Ingérence ou pas ? M.Bayart, chercheur au CNRS, (La Croix du 7/02/14) prône une « nouvelle doctrine de l’ingérence », mais en invoquant des arguments sujets à caution : « Au Mali, sa sécurité était mise en cause du fait de la volonté des djihadistes de la frapper. »

           Question : l’Algérie n’était-elle pas le premier pays a priori concerné ?

       « En Centrafrique, les massacres rendaient intenable notre inaction »

Pourquoi la France, plus que l’Union africaine ou européenne, ou la communauté internationale dans son ensemble, c’est-à-dire l’ONU ?

     Plus loin, M.Bayart propose une autre justification qui a un vrai parfum colonial ou postcolonial, en écrivant :

     « En Centrafrique, les troupes françaises s’embourbent dans une mission d’interposition dont l’issue politique n’est ni prévisible ni même probable, tant est lourd le legs d’un siècle de prédation et de déshérence. »

        A quoi le chercheur fait-il allusion ? Au scandale des compagnies concessionnaires, forestières ou minières, de la fin du dix- neuvième siècle?

        Il serait sans doute plus approprié d’estimer, en faisant appel à un mot à la mode, le « ressenti néo-colonial» que la population de ce pays pourrait éprouver,  tout comme les quelques Français ou Françaises qui connaissent encore notre histoire coloniale.

       La position qu’a prise M. Jean Marie Guéhenno, professeur à Colombia University et président du Centre pour la dialogue humanitaire à Genève, dans le même journal, parait mieux fondée :

      « Ne promettons pas plus que ce que nous pouvons donner, mesurons les risques moraux et stratégiques de tout engagement extérieur, particulièrement quand il inclut l’usage de la force, mais n’oublions pas que l’abstention est aussi un risque moral et stratégique. »

        Un risque moral sûrement, mais dans le cas de la Centrafrique, l’intervention française ne s’inscrivait pas obligatoirement dans une stratégie nationale.

     Dans une autre chronique intitulée « Le retour des tutelles », M.Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po,  ( La Croix du 29 janvier 2014) soulève les questions de principe que posent les interventions françaises, en s’inscrivant dans une nouvelle conception des tutelles internationales.

      Pourquoi l’ancien principe des tutelles coloniales de la SDN, puis de l’ONU, ne trouverait-il pas en effet une nouvelle justification, plus fondée de nos jours qu’à l’ère coloniale ? On estimait alors que les pays sous tutelle n’étaient pas en mesure de se gouverner eux-mêmes.

      Un dernier mot relatif au contenu de la réponse à la question du jour de La Croix du 13 février 2014, posée à M. Marchal, « chercheur au CNRS et spécialiste de la Centrafrique » :

        « Peut-on parler de « nettoyage ethnique » en Centrafrique ?

        « Il faut plutôt parler de nettoyage confessionnel…car plusieurs ethnies sont regroupées dans ce nettoyage…. Mis à part les convertis, les communautés musulmanes proviennent de migrations malienne, tchadienne, sénégalaise et camerounaise… Ils ont immigré il y a plus d’un siècle, mais ils continuent à être considérés comme des étrangers parce qu’ils sont musulmans. »

       Il s’agit donc bien à la fois d’un nettoyage ethnique et d’un nettoyage religieux, comme notre belle France en a connu dans les siècles passés, sur son propre territoire !

         A relire, entre autres, le récit d’André Gide, « Voyage au Congo » dans cette région qui fait la Une de l’actualité, il y a moins d’un siècle (1926-1927), on a de la peine à y rencontrer des communautés sénégalaise ou maliennes, mais incontestablement celles d’autres ethnies, les unes d’obédience musulmanes, venues du Sahel,  les autres d’obédience chrétienne, issues des populations animistes ou fétichistes de la forêt.

     Dans la même réponse, le chercheur écrit :

     « La visite de Jean-Yves Le Drian doit permettre de mater les anti-balaka. »

     Le ministre de la Défense de la République Française va donc « mater » ?

     Jean Pierre Renaud

Les Tartufferies françaises sur l’immigration: on continue!

Ou pourquoi ne pas avoir le courage de dire la vérité aux Français et aux Françaises, au risque de nourrir « les fantasmes, les frustrations, et la colère » dont parle Mme Memona Hintermann, membre du Conseil Supérieur de l’audiovisuel ?

Et de nourrir la clientèle des extrêmes !

Petit guide de lecture de la presse : l’exemple du Journal Le Monde du 4 février 2014

Deux pleines pages, à gauche : « Rien ne va plus à l’école », à droite, « Les enfants des pauvres sont-ils condamnés à l’illettrisme ? »

 Dans la page de gauche, il faut lire attentivement le reportage pour comprendre qu’une partie du problème est liée à l’origine géographique des parents de ces enfants.

            Le titre de la page droite est donc non seulement trompeur, mais il stigmatise les pauvres, alors que la pauvreté n’est pas synonyme d’illettrisme.

       Les jours suivants, le même journal publie d’autres articles sur le même sujet, qui est effectivement important, mais il faut attendre le journal du 7 février pour avoir une analyse plus précise du sujet : à la page 7, un encadré en noir avec le titre « Davantage d’échec scolaire pour les enfants d’immigrés »

            Une enquête TeO « a ainsi permis de dresser un premier portrait des quelques 5,5 millions d’immigrés en France. TeO a ainsi permis de mettre en exergue, par exemple, que les descendants d’immigrés étaient 13% à sortir de l’école sans diplôme contre 8% pour l’ensemble des Français. »

 L’article précisait au début « Les données chiffrées mesurant l’intégration des immigrés et de leurs enfants sont rares en France, du fait de l’interdiction des statistiques ethniques. »

             Est-ce que la France, c’est-à-dire les pouvoirs publics, l’exécutif et le législatif, vont enfin avoir le courage de lever cette interdiction stupide qui confine au ridicule, étant donné qu’elle nie un problème d’intégration réel dans notre pays, mais dont on refuse d’en mesurer l’ampleur et les effets ?

            Alors, tout discours sur les quartiers sensibles, et l’annonce gouvernementale de création d’un nouvel organisme, rattaché au Premier Ministre, ne changera pas grand-chose tant qu’on refusera la vérité du « thermomètre », c’est-à-dire la mesure du problème, toute arrière- pensée mise à part. Il semble tout de même difficile de prôner l’invisibilité tout en prônant du même pas la visibilité, c’est à dire la non-discrimination, comme paraissait le proposer l’historien Pap Ndiaye dans son livre sur la condition noire.

           Toutefois une note rassurante, celle de Mme Mémona Hintermann, nouveau membre du Conseil Supérieur de l’audiovisuel « Sur la diversité, je ne reculerai pas, sinon je ne sers à rien », dans le supplément Télévisions Le Monde des 9 et 10 février 2014.

          A la question qui lui était posée sur la diversité, le faible pourcentage de la représentation du handicap à la télévision, 0,4%,  Mme Mémona Hintermann de répondre :

            « …De même, les Noirs, les Arabes. Il serait temps, comme les Américains ou les Britanniques, d’engager un véritable débat sur ces questions de façon décomplexée et dépassionnée.

         Notamment sur les statistiques ethniques pour lesquelles vous êtes favorable ?

      En effet, car tout le problème est là. Dernièrement, quelqu’un m’a dit : « Avec  17% de non-blancs représentés dans la fiction, ils auront bientôt atteint le quota ! » 

    «  Quel quota ? Ai-je rétorqué puisqu’il n’y a aucune donnée. Cela montre bien qu’un outil statistique manque cruellement pour savoir où nous en sommes. Sinon, nous continuerons à entretenir les fantasmes, les frustrations et la colère… »

 Décidément la France est un  drôle de pays qui condamne à tout bout de champ le racisme et les discriminations, mais qui refuse la vérité des chiffres, c’est à dire la mesure de ces dérives par rapport au nombre de personnes concernées au sein de la population française !

             Qui a peur des chiffres, de la vérité ?

           Une sorte d’establishment politico- médiatico- humanitaire qui fait le jeu des extrêmes, faute d’avoir le courage d’examiner, à la lumière du bien commun, à la fois la situation générale du pays et celle de nombreuses communautés de vie qui n’en peuvent plus mais…

Jean Pierre Renaud

Empire colonial anglais et Empire colonial français: 2ème Partie

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.  

Empire colonial anglais et Empire colonial français (19 et 20ème siècles)

La première partie a été publiée le 21/01/2014

Deuxième Partie :

A Londres ou à Paris, des stratégies et des politiques impériales semblables ou différentes ?

A – Une esquisse de comparaison générale

            A lire un petit livre publié en 1945, paré de belles illustrations en couleur, d’un auteur peu connu, Noel Sabine, intitulé » « L’Empire colonial britannique», mais sans prétention historique, et à confronter sa description rapide à celle qu’un historien confirmé, Kwasi Kwarteng, dans le livre « Ghosts of Empire», livre qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog, et sur le contenu duquel nous nous appuierons pour étayer certaines de nos réflexions, l’analyste pourrait facilement conclure que la constitution de l’Empire britannique fut le fruit d’un pur hasard, servie par une poignée d’hommes distribués sur la planète, et concourant chacun, de leur côté,  à l’édification d’un empire, presque sans le savoir.

             Un « hasard » qui se serait tout de même étendu sur plus d’un siècle ?

            La création de cet empire planétaire et puissant pourrait effectivement servir à illustrer une des théories de stratégie asiatique, connue sous le nom du taoïsme, avec le cours des choses.

Le cours des choses

         Toute stratégie doit donc pouvoir discerner le vrai cours des choses et s’y adapter pour contrôler si possible la marche des événements.

         Personnellement, je pense que ce type d’analyse stratégique rend assez bien compte de la marche passée du monde et des séquences de dominations historiques qui l’ont marqué, soit parce qu’une doctrine religieuse s’imposait, ou une civilisation supérieure, ou encore, une puissance militaire dotée d’armes nouvelles ou disposant de chefs de guerre exceptionnels.

        Dans le cas présent, ma faveur va à l’explication analysée par l’historien Headrick dans son livre « The tools of Empire », car c’est l’explosion des technologies nouvelles, quinine, vapeur, câble, télégraphe, armes à tir rapide…qui a donné aux puissances européennes les outils, c’est-à-dire les armes de la puissance coloniale, d’une puissance coloniale qui n’a pas exercé très longtemps son pouvoir, ce qu’on feint d’ignorer, dans le cas général, entre soixante et quatre- vingt années.

        Une sorte de cours des choses technologique que le génie britannique, la disposition anglaise pour « the money », le business, toujours le business, a su canaliser, tirer profit, inscrire dans un code de nouvelle puissance coloniale.

        En comparaison, la création de l’Empire français serait la reproduction imparfaite d’un modèle politique et administratif de type centralisé, d’une philosophie abstraite de rêve égalitaire, d’un cours des choses standardisé.

          Nous verrons donc que l’Empire britannique n’est pas uniquement le fruit du hasard, même si un auteur comme Noel Sabine en dresse ce portrait.

       «  C’est l’aboutissement, non pas de projets longuement mûris, mais d’une évolution progressive et presque fortuite. » (p,7)

        En ce qui concerne les habitants du Royaume Uni : « Il est curieux qu’à aucune époque on ne constate chez eux une impulsion dynamique gagnant les couches profondes de la nation et les poussent à fonder un empire » (p,7)

      « De même que la création de l’empire britannique –  si toutefois il est permis d’appeler création un processus qui s’est accompli au petit bonheur – est l’œuvre d’hommes relativement peu nombreux, de même les problèmes qui en découlent n’ont jamais intéressé qu’un petit nombre de personnes, laissant indifférente la masse de la population des Iles Britanniques. » (p,8)

      L’auteur décrit bien la philosophie de cet impérialisme fondé sur deux principes directeurs, en oubliant peut-être le troisième, le principe capital sans doute, le « business », les affaires, c’est-à-dire «money », sur lequel nous reviendrons plus loin :

     1) laisser à celui qui est sur place toute latitude pour mettre en œuvre la politique dont les grandes lignes lui ont été simplement indiquées,

    2) éviter de substituer des institutions nouvelles aux anciennes, mais plutôt adapter celles qui existent  aux besoins modernes.

     Le même auteur relève qu’il est « difficile de distinguer un fil conducteur suivant et définissant nettement ce qui constitue la politique coloniale … Il est peut-être trompeur de parler de « politique coloniale », comme s’il était possible de suivre une seule et même ligne de conduite à l’égard de populations, de conditions et de problèmes aussi variés que ceux de l’empire colonial britannique ; par politique coloniale, j’entends plutôt des principes et une certaine manière de voir qui ont progressivement évolué, et au moyen desquels le Gouvernement britannique s’attaque aujourd’hui à l’étude des problèmes coloniaux. »(p,28,29)»

       A la différence de Paris, Londres n’a jamais cherché à tout réglementer, mais le gouvernement britannique eut très tôt à sa disposition un instrument gouvernemental capable de suivre les affaires coloniales, celles tout d’abord des plantations, puis de l’empire lui-même, avec la création du Colonial Office, en 1835.

     La France ne disposa d’un instrument politique du même genre, le ministère des Colonies, qu’en 1894, une administration qui eut d’ailleurs beaucoup de mal à exister politiquement, à avoir du poids au sein des gouvernements.

Jusque-là, et en ce qui concerne l’Afrique et l’Asie, le domaine colonial fut l’affaire de la Marine et des amiraux.

       Tout au long de la première moitié du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne mit en œuvre une politique impériale fondée tout d’abord sur la lutte contre le trafic d’esclaves et en faveur du free trade, et elle s’appuyait au fur et à mesure du temps, sur de nouvelles conquêtes territoriales, en ne perdant jamais de vue le distinguo fondamental entre les colonies de peuplement blanc, devenues les dominions, et les autres colonies.

       En ce qui concerne ces dernières, Londres faisait toujours valoir deux préoccupations, d’abord le business, avec le moins d’implication politique locale.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng       « The Ghosts » méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

Sir Charles Napier, qui fut peu de temps Gouverneur Général des Indes, déclarait dans les années 1872 :

« in conquering India, the object of all cruelties was money » (The Ghosts, page 96)

       M.Kwasi Karteng notait à ce sujet:

« This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

      Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

      “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

      Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en effet, en 1897:

« The objects we have in our view are strictly business object » (The Ghosts, page 278)

    Dans le livre « Ghosts of Empire », l’auteur, Kwasi Kwarteng, défend ce type d’interprétation, comme nous l’avons noté dans l’analyse de lecture que nous avons publiée sur ce blog.

     Sa démonstration est notamment fondée sur les portraits très fouillés qu’il a proposés pour un certain nombre de grands acteurs de l’Empire britannique, des acteurs recrutés dans la même classe sociale et fiers de leur modèle de société, qu’ils estimaient supérieur à tous les autres.

    « The individual temper, character and interests of the people in charge determined policy almost entirely throughout the British Empire. There simply no master plan. There were different moods, different styles of government. Individuals had different interest; even when powerful characters, sitting in White Hall, were trying to shape events of empire. More often than not, there was very little central direction from London. The nature of parliamentary government ensured that ministries came and went; policies shifted and changed, often thanks to the verdict of the ballot box, or even because of a minor Cabinet reshuffle.” (Ghosts of Empire, p,160)

      En examinant sur la longue durée historique, les différents éléments de la politique impériale anglaise en action et en résultats, nous constatons qu’il en existait tout de même bien une, dont les traits étaient très différents de ceux de la française, pour autant qu’il y en ait eu une.

     Pour emprunter une expression d’Adam Smith, le grand théoricien du libéralisme, il serait tentant de dire que l’empire britannique a été le fruit d’une «  main invisible »,  celle de l’économiste Adam Smith, celle de la liberté des échanges, mais au service d’une puissance économique et militaire, et d’une marine qui n’avaient pas d’équivalent au monde tout au long du dix-neuvième siècle, et donc du business, son objectif premier.

      Dans un tel contexte, et avec cet état d’esprit, « nous sommes les meilleurs », nul besoin de trop définir une politique coloniale, de vouloir promouvoir tel ou tel modèle d’administration coloniale, et la grande réussite de l’empire anglais fut de le construire à la fois systématiquement et au coup par coup.

      Même au cours de la période de  l’impérialisme anglais la plus tonitruante, à la fin du dix-neuvième siècle, alors que l’opinion publique semblait partager les ambitions coloniales de ses dirigeants, en rivalisant avec les autres puissances européennes pour se partager l’Afrique, Londres ne perdait pas le nord, ou plus exactement le sud, avec la poursuite de ses objectifs stratégiques de long terme, différents selon qu’il s’agissait de colonies de peuplement ou de colonies d’exploitation, ce que nous avons déjà souligné, et le contrôle de ses voies de communication sur toute la chaine stratégique de Londres vers l’Asie, par Gibraltar, Malte, Suez, Le Cap, Ceylan, Singapour et Hong Kong.

      La conquête des territoires d’Afrique tropicale qui n’étaient pas destinés à un peuplement d’immigration a conduit la Grande Bretagne à formaliser sa politique, notamment avec la doctrine de l’indirect rule que Lugard mit en œuvre au Nigéria, mais cette doctrine n’était pas nouvelle, car elle avait déjà été largement mise en œuvre dans l’Empire des Indes.

      Elle connut un certain succès vraisemblablement grâce à l’écho médiatique que l’épouse de Lugard, une femme de presse renommée, lui donna.

      Que l’on parle de « dual mandate » ou d’« indirect rule », la conception était la même, sauf à comprendre qu’il y avait deux niveaux de commandement superposé, l’indigène, et l’anglais, ce dernier étant voué à l’accession du territoire administré à la modernité, aux échanges du commerce au moins autant qu’à la « civilisation ».

      Une fois les deux empires coloniaux constitués, les deux métropoles pilotèrent deux systèmes de gestion très différents, mais elles avaient fixé la même ligne rouge à ne pas franchir, c’est-à-dire le principe du « financial self-suffering », pour les Anglais, et la loi du 3 avril 1900, pour les Français, c’est-à-dire l’autosuffisance financière imposée aux nouveaux territoires sous domination.

      Compte tenu de l’inégalité importante qui existait entre les ressources des territoires qui composaient les deux empires, et sur le fondement de ce principe, la France rencontra beaucoup plus de difficultés pour développer ses  colonies que la Grande Bretagne.

     L’empire anglais était constitué d’un ensemble de solutions disparates allant de la colonie administrée, c’est-à-dire l’exception, au territoire impérial que la métropole laissait gérer par les autorités locales, l’Inde représentant la quintessence de la mosaïque des solutions coloniales anglaises.

     L’historien Grimal le décrivait de la sorte :

    « La doctrine du gouvernement en cette matière, c’était de ne pas en avoir et de procéder empiriquement selon les lieux et les circonstances : de là l’extrême variété des systèmes administratifs utilisés et les dénominations multiples des territoires placés sous l’autorité britannique. Cette disparité apparente comportait néanmoins quelques principes communs : chaque territoire constituait une entité, ayant sa personnalité propre et un gouvernement responsable de ses affaires et de son budget : l’autorité appartenait à un gouverneur, assisté de Conseils consultatifs, formés essentiellement de fonctionnaires. «  (page 212)

       A l’inverse, l’Empire français était organisé sur le même modèle administratif  de la tradition centralisée de l’Etat napoléonien, l’élément d’organisation de base étant la colonie, avec un gouverneur, ou le groupement de colonies (AOF, AEF, Indochine), avec un gouverneur général exerçant tous les pouvoirs.

      La forme institutionnelle du pouvoir que la France donna à l’Indochine et à Madagascar est tout à fait symbolique de la conception qui présidait alors à l’organisation du pouvoir colonial.

     En Indochine, la puissance coloniale avait la possibilité de mettre en pratique une sorte d’indirect rule à l’anglaise, mais très rapidement, les résidents et gouverneurs se substituèrent aux représentants de l’Empereur d’Annam, alors que leur administration mandarinale était déjà très développée.

     A Madagascar, Gallieni eut tôt fait de mettre au pas la monarchie hova et de décréter l’instauration d’un régime colonial de marque républicaine.

      Il existait alors au moins un point commun entre les Anglais et les Français : les acteurs de terrain bénéficiaient d’une très large délégation de pouvoirs, dans un cadre républicain apparent beaucoup plus que réel pour les Français, et dans un cadre d’esprit monarchique et libéral pour les Anglais.

     Modèle soi-disant égalitaire de l’administration coloniale française contre modèle des classes aristocratiques supérieures, celui qu’incarnaient les administrateurs coloniaux britanniques, mais comme le remarquait M.M’Bokolo dans son livre « L’Afrique au XXème siècle », sur le terrain concret les différences entre les deux styles d’administration coloniale étaient beaucoup moins marquées :

    « Ainsi sont devenues classiques les distinctions entre l’assimilation et l’administration directe sous la version française ou portugaise et l’administration indirecte (indirect rule) chère aux Britanniques. En fait, compte tenu de l’immensité et de la diversité des empires coloniaux, les puissances de tutelle se trouvèrent en face de situations identiques et adoptèrent des solutions pratiques très proches : démantèlement des monarchies et des grandes chefferies, sauf là où, comme au Maroc, en Tunisie, au Bouganda, en Ashanti (Gold Coast), à Zanzibar, etc…, des accords de protectorat avaient été conclus, maintien, voire création, de petites chefferies, utiles courroies de transmission dans des territoires où le personnel européen était souvent peu nombreux ; ségrégation de fait entre les communautés indigènes et les Européens. Partout, prédominaient des méthodes autoritaires, teintées ici et là de paternalisme. En dehors des lointains ministères, souvent peu au courant des réalités locales, et de la bureaucratie centrale des gouvernements généraux, le pouvoir sur le terrain appartenait à l’administrateur européen, véritable « roi de la brousse », ayant son mot à dire sur tout et un pouvoir de décision dans les questions administratives, mais aussi en matière de justice, de police, et sur des problèmes plus techniques, touchant par exemple à la voirie, l’instruction et à la santé…) (page 42) »

      La différence capitale se situait dans la conception même du rôle de la puissance coloniale, l’anglaise n’ayant jamais envisagé une évolution politique et citoyenne au sein du Royaume Uni, la française promettant, complètement coupée des réalités coloniales, de conduire les indigènes à une égalité des droits au sein des institutions françaises.

B – Les différences impériales les plus marquantes

     L’analyse qui précède montre déjà, qu’au-delà de la dichotomie qui existait dans l’empire britannique entre les colonies de peuplement et les colonies d’exploitation, les deux empires ne partageaient pas les mêmes caractéristiques, historiques, géographiques, ou économiques.

     La Grande Bretagne s’était taillé la part du lion dans les possessions dont les atouts économiques étaient les plus grands, et déjà notoires, avec la place capitale de l’Inde dans le dispositif colonial, et le contrôle stratégique des voies de communication vers l’Asie qu’elle s’était assuré.

     Ces deux seuls éléments constitutifs de l’Empire britannique, l’Empire des Indes et la voie impériale vers l’Asie, suffiraient à eux seuls à exclure toute comparaison pertinente entre les deux Empires.

Les éléments les moins dissemblables des deux empires étaient situés en Afrique tropicale, mais comme le soulignait l’historien Grimal, en dépit de la réserve que la puissance gouvernementale anglaise s’était fixé :

     « Celle-ci fut progressivement contrainte à dépasser la limite qu’elle s’était fixée : le refus de toute implication politique » (page 128)

    Une certaine confusion existait dans les buts poursuivis par les deux puissances, mais il a toujours été clair que la politique anglaise poursuivait inlassablement son ambition du tout pour le business, alors que dans les motivations françaises, les préoccupations de conquête des marchés avaient beaucoup de mal à s’imposer face à celles de la puissance, ou du rayonnement supposé de sa civilisation qu’elle estimait être la meilleure, pour ne pas dire supérieure.

     Je dirais volontiers que la France avait l’ambition de projeter son modèle de civilisation supposée sur le terrain, ses « valeurs » qu’elle estimait universelles, tirées de la Déclaration des Droits de l’Homme, alors que la Grande Bretagne, sûre qu’elle incarnait un modèle de civilisation supérieure, ne faisait qu’escompter qu’on l’imiterait, le transposerait.

     D’une autre façon, la distinction entre les deux types d’institutions coloniales  recouvrait celle plus banale entre l’esprit « juridique » français, et l’esprit « pragmatique » anglais.

     Les deux puissances avaient pris au moins la même précaution, celle de ne pas prendre en compte sur les budgets des métropoles le financement du développement de leurs colonies, principe du « financial self suffering » chez les Anglais et loi du 3 avril 1900, chez les Français.

     La profusion des taches de couleur coloniale anglaise ou française sur la planisphère pouvait faire illusion, mais elles ne couvraient pas le même type de « marchandise » coloniale.

     L’empire anglais était un véritable patchwork institutionnel, un ensemble inextricable de solutions adaptées à chaque « situation coloniale », une architecture du cas par cas, une gestion directe à titre exceptionnel telle qu’en Birmanie ou à Hong Kong, mais le plus souvent une gestion indirecte laissant exercer le pouvoir par autant de sortes d’’institutions de pouvoir local qui pouvaient exister dans l’empire.

     Dans l’Empire des Indes, la puissance coloniale s’était réservée la charge de l’ordre public et des relations internationales, mais laissait tel rajah ou tel maradjah gouverner son royaume à sa guise, sauf quand il mettait en danger la paix britannique.

       Londres y pratiquait ce que l’historien appelait « le despotisme bienveillant de l’Inde » (p,220)

Donc rien à voir avec le modèle des institutions coloniales françaises où, comme au temps de Napoléon, les gouverneurs devaient marcher du même pas et mettre en œuvre le même modèle applicable à toutes les « situations coloniales », quelles qu’elles soient, alors qu’elles étaient évidemment très différentes.

Patchwork des institutions coloniales anglaises, certainement, mais dans  la deuxième « main invisible » anglaise, celle des hommes qui administraient les colonies, et le livre de M.Kwasi Karteng en confirme le rôle et l’importance.

      Une main invisible qui mettait en musique celle du fondateur de l’école libérale, Adam Smith.

     Résidents ou administrateurs, tous issus de la même classe sociale, c’est à dire sur le même moule, ils incarnaient le respect de la monarchie, et par-dessus tout, ils estimaient qu’en toute circonstance :

    1) ils étaient les meilleurs,

    2) et que leur modèle économique et social était également le meilleur.

C- Ressemblances et dissemblances coloniales ?

         Dans le livre que j’ai consacré à l’analyse de ce que l’on appelait « le fait accompli colonial » à l’occasion des grandes conquêtes coloniales de la France, en Afrique, au Tonkin et à Madagascar (« Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et dans l’introduction, figurait à la page 12 la reproduction d’une page de caricatures en couleur de la revue satirique allemande Simplicissimus de l’année 1904 :

      en haut « Comme ça, la colonisation allemande » avec un alignement de girafes sous la menace d’un crocodile tenu en laisse par un soldat allemand,

     au milieu « Comme ça, la colonisation anglaise », un soldat anglais qui passe un noir sous le rouleau d’une machine d’imprimerie pour fabriquer de l’argent,

      et en bas deux caricatures : à gauche, « Comme ça, la française » avec un soldat qui tire le nez à un noir, et en arrière- plan, un soldat  blanc et une noire qui se frottent le nez – à droite « Comme ça, la colonisation belge » avec un soldat belge qui fait rôtir un noir à la broche pour son diner.

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  Une contribution allemande à l’écriture de l’histoire coloniale: Simplicissimus 1904 ( © 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.)

      Ces clichés très caricaturaux ont toutefois le mérite de situer l’état d’esprit général des colonisateurs de l’époque de la conquête, mais il est nécessaire naturellement d’approfondir la comparaison franco-britannique.

     S’il était possible de résumer l’analyse qui précède, les traits les plus caractéristiques pourraient en être les suivants :

–       Une histoire coloniale anglaise beaucoup mieux enracinée en métropole et outre-mer que l’histoire coloniale française.

–       Un empire anglais qui fut le fruit d’un plus grand nombre d’opérations de conquête militaire que l’empire français, et beaucoup plus puissantes aussi.

–       Un patchwork institutionnel chez les Anglais, créé au coup par coup, face au système uniforme des Français.

–       Une politique de gestion indirecte dans l’empire britannique au lieu d’une gestion politique en prise directe dans l’empire français, mais avec beaucoup de nuances sur le terrain, compte tenu du rapport existant entre les superficies coloniales et l’effectif des administrateurs coloniaux.

–       Un empire français manquant de solidité face à un empire britannique puissant au sein duquel prédominaient les Indes et la voie impériale vers l’Asie.

–       Un empire anglais à double face, avec d’un côté les colonies de peuplement blanc dans les pays à climat tempéré, et de l’autre côté, les colonies de peuplement de couleur dans les pays à climat tropical,  alors que l’empire français, mis à part le cas de l’Algérie, était uniformément un empire de couleur et de climat tropical.

–       Une décolonisation anglaise au moins aussi difficile que la française, et beaucoup plus violente dans les anciennes colonies de peuplement, telles que l’Afrique du Sud, le Kenya, ou la Rhodésie. La seule comparaison, mais plus limitée géographiquement, étant celle de l’Algérie.

–       La relative réussite d’une communauté internationale née de l’empire anglais, le Commonwealth, sans comparaison avec ce que fut la tentative d’Union ou de Communauté française, mais qui bénéficia dès le départ d’un atout clé, celui de la communauté de langues et de mœurs des anciennes colonies de peuplement blanc.

Il nous faut à présent tenter de procéder à une comparaison des types de relations humaines, et c’est naturellement une gageure, qui pouvaient exister entre les anglais ou les français et les indigènes dans les deux empires, et des philosophies politiques qui inspiraient ou non l’évolution de leurs politiques coloniales.

D – Racisme, discrimination,  ségrégation, citoyenneté, démocratie ?

       Dans ce domaine des mots et de leurs sens, il n’est pas inutile de rappeler que les mots « racisme » ou « raciste » ont fait l’objet de définitions différentes et relatives au fur et à mesure du temps.

        En 1932, année on ne peut plus coloniale aux dires de certains chercheurs, voir «  la grande Exposition Coloniale de 1931 », Le Larousse en six volumes ne proposait pas de définition du mot racisme et renvoyait à ce sujet au mot raciste dans les termes ci-après :

      « Raciste, nom donné aux nationaux socialistes allemands qui prétendent représenter  la pure race allemande, en excluant les juifs, etc… »

       De nos jours, le Petit Robert (édition 1973) est plus prolixe :

      Racisme : « Théorie de la hiérarchie des races qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres »

     Raciste : « Personne qui soutient le racisme, dont la conduite est imprégnée de racisme. »

     Incontestablement, la colonisation a longtemps exprimé une forme de racisme, mais pas toujours dans le sens moderne que l’on donne au mot, mais qui trouvait en partie son origine, et à cette époque, dans une théorie soi-disant scientifique qui classait les supposées cinq races du monde en classes supérieures et en classes inférieures.

    Les propos de Jules Ferry, Président du Conseil, distinguant les races supérieures et les races inférieures auxquelles il convenait d’apporter la civilisation, propos dénoncés par Clemenceau, citant entre autres les civilisations d’Asie, témoignent bien de l’état d’esprit qui imprégnait alors une partie de l’élite politique française, mais il serait possible de rappeler, en ce qui concerne Clemenceau, que les Chinois qualifiaient de leurs côtés les nez longs de « barbares », et que dans beaucoup de régions du globe le même type de discrimination raciale existait aussi.

       « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ?

      Et pourquoi ne pas mettre l’héritage du Siècle des Lumières dans l’acte d’accusation ?

     Il s’agit donc d’un sujet qu’il nous faut aborder avec beaucoup de précautions afin de tenter de situer les différences d’appréciation et de comportement entre Anglais et Français

     Rappelons tout d’abord qu’à l’occasion des premiers contacts, les premiers échanges entre peuples différents faisaient apparaître un tel écart entre modes de vie, coutumes, et croyances,  entre les sociétés ayant déjà accédé à la modernité, celles du colonisateur, et celles l’ignorant complètement, qu’il était sans doute difficile pour un blanc de ne pas se considérer comme un être supérieur, ou tout au moins comme membre d’une société supérieure.

      Précaution et prudence parce que souvent cette appréciation de la relation avec l’autre, une relation de type non « raciste » dépendait tout autant de l’explorateur, officier, ou administrateur blanc, qu’il s’agisse de Duveyrier chez les Touareg, ou de Philastre en Indochine, pour ne pas revenir sur les propos de Clemenceau à la Chambre des Députés, en réfutation de ceux de Jules Ferry.

      Il convient toutefois de noter que dans l’histoire des sociétés du monde et de la même époque, entrées ou non dans la modernité, ou en voie d’y entrer, colonisées ou non, il n’était pas rare de voir des peuples se considérer aussi comme disposant d’un statut social supérieur, en Europe, avec les Romains ou les Germains, en Asie, ou en Afrique, sur les rives du Gange, du Zambèze, du Niger, ou de la Betsiboka.

     Toujours est-il que les coloniaux anglais ont toujours considéré qu’ils faisaient partie d’une « race » supérieure et qu’ils se gardèrent bien de faire miroiter aux yeux de leurs administrés la perspective d’une égalité politique, comme l’ont fait les coloniaux français.

      Chez les Britanniques, ce comportement des résidents coloniaux était d’autant plus naturel qu’ils étaient issus de l’aristocratie anglaise.

        L’historien indien K.M.Panikkar le relevait dans son livre « Asia and Western Dominance » :

      «  La supériorité raciale fut un dogme officiel de la colonisation anglaise jusqu’à la première guerre mondiale » (page 143)

          Le même historien retrouvait ce racisme chez les Français en Indochine qui, selon ses mots, auraient imité les Britanniques et caractérisait l’attitude anglaise en citant une phrase de Kitchener :

        «  Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. ».

      Si le racisme a existé dans les colonies françaises, et il a effectivement existé, les deux qualificatifs de « lucide » et de « délibéré », seraient inappropriés.

      La devise anglaise aurait pu être, chacun chez soi, et la paix civile sera toujours assurée grâce à la bonne intelligence des autorités indigènes locales, alors que la devise française était celle d’une égalité annoncée, mais fictive jusqu’au milieu du vingtième siècle.

       Dans l’empire anglais, existait le système du «  colour bar » poussé à l’extrême en Afrique du Sud ou en Rhodésie, les clubs réservés aux anglais, un habitat colonial anglais soigneusement étudié pour que chacune des communautés soit chez elle.

      Dans les quatre composantes coloniales de l’Afrique du Sud, le système du « Colour Bar », c’est-à-dire la discrimination des noirs et la séparation stricte entre blancs et noirs, avait été généralisé en 1926, dans une Afrique du Sud à laquelle le Royaume Uni avait accordé un statut de dominion depuis 1910 !

        Lors de son passage à Johannesburg, en 1931, le géographe Weulersse relevait que dans les mines d’or il y avait 21 000 ouvriers blancs en regard de 200 000 Noirs et qu’

       « Une telle masse de main d’œuvre à vil prix était une menace constante pour les travailleurs blancs…. On inventa la « Barrière de couleur », la « Colour bar »… en dessous du prolétariat blanc, on créa une sorte de sous-prolétariat pour ne pas utiliser un terme plus violent. Et pour le Colour Bar Act voté en 1926, cet ingénieux système est devenu la loi fédérale de l’Union, applicable dans tous les Etats, et dans toutes les industries, fermant à l’ouvrier indigène toute possibilité de progrès mais offrant à la discrétion de l’employeur une admirable et docile masse de « cheap labour ».

        Dans un registre beaucoup moins sévère, et à l’occasion d’un retour d’Asie, et séjournant en Inde, Albert Londres racontait qu’il se faisait accompagner par son assistant indien dans les lieux publics anglais qu’il fréquentait, et qu’il transgressait de la sorte les codes de vie sociale anglaise de la colonie.

       Le cas de Hong Kong pourrait être cité comme le modèle de ce type de ségrégation, étant donné que jusqu’à la fin du vingtième siècle et à son rattachement à la Chine, anglais et chinois, quelle que soit leur classe sociale, cohabitaient mais ne se mélangeaient pas, même dans les clubs les plus huppés de la colonie.

      Rien de semblable dans les colonies françaises, mais une ségrégation plus nuancée, qui ne disait pas son nom, à la fois pour des raisons concrètes de genre et de niveau de vie, et de gestion politique du système.

     Le Code de l’Indigénat en vigueur pendant des durées variables selon les colonies instituait bien une forme de ségrégation raciale que n’est jamais venu atténuer un accès large à la citoyenneté française.

    Toutes les analyses montrent que la citoyenneté française n’a été accordée qu’au compte-goutte, mais l’empire britannique ne vit aucune de ses communautés bénéficier de l’égalité citoyenne, comme ce fut le cas des quatre communes de plein exercice du Sénégal, et aucun territoire anglais des Caraïbes ne bénéficia, comme les Antilles françaises, d’une amorce de représentation politique au Parlement français.

    Si par indigénat on entend le pouvoir qu’avaient les administrateurs d’infliger une peine de prison pouvant atteindre quinze jours et une amende pour des infractions diverses, c’était selon Adu Boahen, un système propre à la colonisation française. (Histoire générale de l’Afrique VII Unesco, page 244)

     Mais si comme c’est le plus souvent le cas, on faisait appel au mot « indigénat » pour décrire le fait que les colonisés n’avaient pas le même traitement judiciaire que les colonisateurs, il s’agissait d’une pratique générale, anglaise ou française.

     Simplement, les Français mettaient plus la main à la pâte que les Anglais, qui s’abritaient derrière les autorités indigènes qu’ils contrôlaient.

     Le Code de l’Indigénat avait le mérite de la simplicité, outre le fait que pendant toute la période de pacification, sa rigueur apparente ou réelle n’était pas très éloignée des mœurs de beaucoup de peuples de l’hinterland qui n’avaient subi encore aucune acculturation européenne

     Avec quelques touches historiques qui ne sont bien sûr pas obligatoirement représentatives, les relations humaines entre dominants et dominés n’étaient pas les mêmes.

      A Madagascar, le 31 décembre 1900, à Fianarantsoa, Lyautey organisa un bal qui réunissait un petit nombre de femmes, 19 au total, dont deux femmes indigènes.

     L’historien Grimal décrit bien le système anglais :

     «  Ainsi les agents de l’autorité britannique ne venaient pas en Afrique pour y transporter leurs propres institutions démocratiques et parlementaires, mais pour y maintenir l’ordre et assurer le statu quo. Ils étaient les pions dans une école. Si l’un d’eux faisait  preuve d’une intégrité particulière, d’un intérêt passionné pour le « bon » gouvernement, c’était tant mieux. Mais, en aucun cas, les indigènes n’avaient à être encouragés à adopter l’English way of life, ni la culture, ni l’activité économique, ni les institutions. » (page 214)

     La comparaison entre les colonies tropicales anglaises d’Afrique occidentale et celles d’Afrique orientale montre bien que la politique coloniale anglaise était tout à fait différente, selon qu’il s’agissait de territoires favorables au peuplement blanc ou non. Dans ces derniers territoires, le Colonial Office eut beaucoup de mal à assurer un arbitrage entre Blancs et Noirs, d’autant plus que l’immigration anglaise s’était effectuée en spoliant les terres appartenant aux communautés noires.

    Les Français se donnaient eux l’illusion de vouloir assimiler des peuples indigènes très différents de religion, de culture, et de niveau de vie, et les agents de l’autorité française avaient la mission de promouvoir cette vision idyllique du monde. Autant dire que cette mission était impossible, et les réformes mises en œuvre après la deuxième guerre mondiale, ouvrant la voie à l’égalité politique entre citoyens de métropole et citoyens d’outre-mer n’étaient pas en mesure de soutenir une égalité en droits sociaux que la métropole était bien incapable de pouvoir financer

     Après 1945, la création de l’Union Française ne fut donc qu’un feu de paille, et ne pouvait être qu’un feu de paille, un très lointain reflet d’un Commonwealth dont les racines étaient fondamentalement différentes, la nature des partenaires, ainsi que le fonctionnement.

    En 1945, la fédération de l’Afrique Occidentale Française comptait 13 députés à l’Assemblée Nationale, et 19 Conseillers au Conseil de la République, alors qu’aucun territoire colonial anglais n’avait de représentation au Parlement Britannique, mais cette représentation ne résista pas au puissant mouvement de décolonisation qui intervint dans les années 1960.

     En résumé, il est très difficile de proposer une conclusion générale à une comparaison entre relations humaines et coloniales anglaise et française, étant donné qu’il conviendrait de procéder à des analyses qui tiennent  compte une fois de plus des « situations coloniales » et du « moment colonial».

    Qu’il s’agisse des Français ou des Anglais, les relations ont évolué selon les époques (conquête, première guerre mondiale, entre-deux guerres, deuxième guerre mondiale, guerre froide entre Etats Unis et URSS, etc…).

    Elles ont évolué aussi en fonction des participants (un rajah, un chef, un aristocrate, n’est pas traité par les anglais comme un paysan de la brousse ;  un « petit blanc » dans une ville n’a pas le même comportement qu’un administrateur chargé d’un cercle en Mauritanie, etc….

    Toute conclusion générale ne peut donc avoir qu’un caractère arbitraire à la fois en raison une fois de plus du « temps colonial » et de la « situation coloniale ».

    Un des grands leaders de l’indépendance africaine, celle du Ghana, Kwame Nkrumah, n’écrivait-il pas dans « Autobiography of Kwame Nkrumah (Panaf Edition 1973, first published 1957) en rapportant des souvenirs de sa visite d’un chantier d’un grand barrage hydro-électrique proche de Douala au Cameroun :

     « One thing I remember very vividly about the occasion – probably because it was the first time that i have ever it happen in any colony – was the way all the workers, both European and African, climbed into the waiting lorries when the lunch buzzer sounded. This complete disregard of colour on the part of european workers greatly impresses me.”

       Et pourquoi ne pas ajouter que, comparé au système du  « Colour Bar », le Code de l’Indigénat, n’empêchait pas un type de rapports humains qui n’avait pas un aspect aussi excessif, pour ne pas dire totalitaire.

      Rappelons,  pour conclure ce type de réflexions, que jamais, tout au long de son histoire coloniale, le Parlement britannique n’accueillit en son sein des députés de couleur, comme ce fut le cas en France, pour ne citer que ces deux exemples, la présence  de Victor Mazuline, d’un député de couleur, et fils d’esclaves, venu de Martinique dans l’Assemblée Constituante de 1848, et celle du ministre sénégalais Diagne qui entra à la Chambre des Députés en 1914.

Jean Pierre Renaud

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Marx est de retour! Les superstructures étouffent la France!

Marx est de retour !

Les superstructures étouffent la France !

Dans une France qui va mal, l’analyse marxiste n’apporterait-elle pas une partie de la solution ?

Pourquoi ?

            Un tout dernier sondage vient de sonner une fois de plus le tocsin sur l’état de la France, mais avant tout sur l’état d’esprit des Français et des Françaises à l’égard de toutes les superstructures qui étouffent le pays.

            L’enquête Ipsos-Steria (Le Monde du 23 janvier 2014, page 8)  montre l’absence de confiance qu’accordent les citoyens aux syndicats (31%), à l’Union européenne (31%), à la représentation nationale (Sénateurs (27%), Députés (23%), aux médias (23%), aux partis politiques (8%)… c’est-à-dire à nos superstructures !

            Ces chiffres sont évidemment très inquiétants, parce qu’ils démontrent que le pays n’a pas confiance dans des institutions qui ne répondent  plus aux besoins de la France et aux aspirations des citoyens.

            Car à la base, nombreux sont les Françaises et les Français qui ont des talents, des idées, travaillent dur et bien, créent de la richesse ou de la solidarité, mais ne supportent plus le poids psychologique, politique, et fiscal de superstructures obsolètes, vermoulues (avec leur coloration marxiste) qui ne sont plus du tout adaptées au temps présent.

            Le sondage cité plus haut éclaire bien une situation que beaucoup de Français et de Françaises dénoncent, un système politique, médiatique, économique, où l’on se passe le poivre et le sel, avec dans sa forme la plus caricaturale, les jeux mondains du « microcosme » parisien, tel que le dénonçait déjà Raymond Barre. Au XIXème siècle, on aurait peut-être préféré l’expression utilisée par Talleyrand : « les gens du faubourg Saint Germain ».

            Le pays attend donc une révolution, la suppression, ou en tout cas l’allègement, la simplification, la modernisation des superstructures politiques, sociales, et économiques actuelles qui empêchent le pays de s’adapter aux nécessités économiques du monde et aux grandes capacités d’évolution et de créativité de la société française.

            Est-il besoin de préciser qu’il n’est pas interdit de recourir à certains outils d’analyse politique et économique, sans partager, dans le cas d’espèce la thèse générale du marxisme ?

Jean Pierre Renaud

La Françafrique et nos médias? Où se niche-telle?


            Dernier exemple, l’éditorial du journal Le Monde du 23 janvier 2014, intitulé :

 « Catherine Samba- Panza, l’espoir de la Centrafrique »

            Dans le corps du texte :

            «  Si elle n’a pas été programmée, l’accession au pouvoir de Mme Samba-Panza était ces derniers jours fortement souhaitée par Paris. »

           Qu’est-ce à dire ?

          Et plus loin :

      « Une phrase de François Hollande résonne encore dans les rues de la capitale centrafricaine : « on ne peut laisser en place un président qui n’a rien pu faire, voire a laissé faire (les violences)… »

           Ah bon! Comme au bon vieux temps des colonies ?

     Il faut dire qu’à l’occasion de ses nombreux déplacements au Mali et en Centrafrique, notre ministre de la Défense, sorte de ministre des Colonies au goût du jour, a fait beaucoup de déclarations à la presse qui attestaient de l’ingérence permanente de la France dans les affaires de ces deux Etats, qui ne sont, à la vérité, que les ombres de véritables Etats !

Jean Pierre Renaud

L’Europe ou la désertion de nos élites politiques!

  Les élections européennes se profilent à l’horizon, après les élections municipales, et que voit-on ?

                 Le triste spectacle d’une France politique franchouillarde qui continue à préférer la douceur des communes, des cantons, des départements ou des régions à l’affrontement du grand large, celui de l’Europe ou du monde.

            En Ile de France, le triste spectacle du choix d’une seconde de liste, députée européenne sortante qui n’a brillé, ni  par sa présence à l’Assemblée, ni par son travail, une sorte de mandat de sinécure, et dans le sud- ouest, le même triste spectacle d’une tête de liste que son parti cherche à caser !

            Alors que les partis devraient proposer aux Français et aux Françaises le meilleur de leurs élites !

          Et comment ne pas évoquer le triste spectacle d’un Bayrou qui se fait l’apôtre de l’Europe depuis des dizaines d’années et qui sollicite le suffrage des Palois ?

          Sorte de métaphore de l’attitude irresponsable de notre élite politique !

Jean Pierre Renaud

XIXème et XXème siècles: Empire colonial anglais et Empire colonial français

XIXème et XXème siècles : Empire colonial britannique et Empire colonial français

Esquisse de tableau comparatif à grands traits : deux empires semblables ou différents ?

Quels héritages ?

Lilliput face à Gulliver !

Rêve ou réalisme ?

Empirisme ou théorie ?

            Je remercie mon vieil et fidèle ami Michel Auchère, ancien diplomate, qui m’a fait bénéficier de ses commentaires toujours éclairés, nourris à la fois par sa culture « coloniale » et par son expérience approfondie du monde post-colonial.

            Je remercie également mon épouse pour son aide efficace dans la traduction de quelques-uns des textes publiés par Der Spiegel Geschichte, et dans la lecture critique de mes propres textes.

             Les caractères gras des textes ci-après sont de ma responsabilité

&

            Il s’agit d’un domaine historique, celui de l’histoire coloniale et postcoloniale,  qui nourrit les interprétations les plus contrastées, relevant très souvent de la théorie des idées, ou tout simplement de l’émotion, plus que de l’examen des faits, de leur évaluation et donc de leur mesure statistique.

            Pourquoi ne pas noter à cet égard qu’il est plus facile de fréquenter le premier domaine de recherche que le second ? Et de nos jours, certaines publications à la mode se complaisent dans un discours de type anachronique et humanitaire, comme si l’histoire du monde n’avait pas été une succession de dominations, quel qu’en soit le motif, religieux, militaire, ou politique.

            Je m’interroge depuis longtemps sur le passé colonial du Royaume Uni et de la France, sur les comparaisons qui pourraient être faites, en raison notamment du crédit ou du discrédit qui parait entourer le passé de l’une ou l’autre des deux puissances coloniales.

            Il n’est pas dans mes intentions de me lancer dans des comparaisons plus larges avec d’autres puissances coloniales de la même époque, sur lesquelles on fait généralement l’impasse, celles d’Europe, la Russie puis l’URSS, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, les Pays Bas, ou l’Allemagne, ou celle des Etats Unis.

            Je me propose donc de procéder à une récapitulation historique et comparative entre les deux empires coloniaux en question, une récapitulation qui nous permettra d’examiner successivement 1) les évolutions impériales comparées sur la période 1870-1960, les processus de conquête et de décolonisation, 2) les caractéristiques comparées des deux empires en ce qui concerne l’organisation, les méthodes, la philosophie coloniale,  et les hommes, 3) les legs coloniaux avec le regard d’historiens dits de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée », notamment l’historien Adu Boahen pour l’Afrique, 4) le legs colonial britannique en Asie d’après l’historien indien Panikkar et français pour l’Indochine avec l’historien Brocheux, 5) le legs de l’empire britannique avec le regard de deux historiens allemands interviewés par la revue « Der Spiegel Geschichte », 6) enfin une problématique comparée des legs français et britanniques.

            Je n’ai pas l’intention non plus d’évoquer le cas de l’Irlande qui fut la colonie anglaise la plus proche de nous. De mauvais esprits ont d’ailleurs dit que l’Algérie était « une sorte d’Irlande française »

            Il ne conviendrait naturellement pas de se méprendre sur l’ambition de ces réflexions qui n’ont d’autre but que de comparer à grands traits les deux empires coloniaux en question.

 Première partie

A grands traits, une évolution historique comparée

            Au terme des conquêtes des deux pays, l’empire anglais couvrait 33 millions de kilomètres carrés, et l’empire français, 12 millions de kilomètres carrés, trois fois moins, mais ce rapport des surfaces ne traduisait  absolument pas les rapports de forces humaines et économiques coloniales respectives, alors que les nombreuses taches de couleur rouge sur la planisphère, pouvaient faire illusion. L’Empire anglais comptait 450 millions d’habitants et l’Empire français 69 millions d’habitants. (Source Encyclopédie Universalis)

            A – Un bref rappel

         Sans revenir longuement sur la longue rivalité coloniale qui opposa la France à la Grande Bretagne au Canada et en Inde, au cours des siècles qui ont précédé la période examinée, il convient au minimum de rappeler que la Grande Bretagne a alors pris possession de ce qu’on a appelé l’Empire des Indes, confié à la Compagnie des Indes, et laissé à la France quelques comptoirs du format timbre-poste. L’Inde était un territoire très riche, aux dimensions d’un continent, à la grande différence de l’Algérie, nouvelle terre de conquête pour la France.

            La domination anglaise aux Indes semblait assurée quand les Anglais durent faire face, en 1857, à la fameuse révolte des Cipayes, qui se solda par des dizaines de milliers de morts.

            Il n’est peut-être pas inutile de signaler que dans une partie proche de ce continent, et au cours de la même période, une guerre civile chinoise, celle des Taiping, mit le feu à l’Empire de Chine : elle dura de 1851 à 1864. La répression y fut également féroce et se solda par un chiffre de victimes que l’on situe entre 20 et 30 millions de personnes.

            Il convient de noter à cet égard que, dans les années 1880-1890, lors de la conquête du Tonkin, les troupes coloniales françaises eurent maille à partir avec des résidus d’anciennes unités combattantes Taiping qui avaient rallié le camp des pirates annamites.

            On rappellera que le général Gordon, tué par les Mahdistes à Khartoum, avait apporté son concours à l’Empereur de Chine pour réprimer cette révolte.

        Après une période de flottement incontestable, la France se mit en tête de conquérir l’Algérie, et de difficiles opérations de conquête militaire se sont échelonnées de 1830 à 1872, lesquelles se sont également soldées par des dizaines de milliers de morts. L’historien Fremeaux a évalué le chiffre des victimes à 400.000 personnes environ.

           La répression de la révolte des Cipayes fut féroce, et des horreurs furent commises dans les deux camps. En Algérie, la conquête militaire fut également féroce, mais également dans les deux camps, sauf tout de même à rappeler que dans les deux cas, les envahisseurs furent les Anglais et les Français.

            Très tôt, et pour de multiples raisons, l’Inde bénéficia d’une attention tout particulière de la part des gouvernements anglais, et dès l’année 1858, un Secrétaire d’Etat pour l’Inde fut nommé, une des raisons étant que le gouvernement de Londres y vit l’occasion de faire porter la responsabilité de la répression sur la Compagnie des Indes, qui bénéficiait alors d’une charte de concession. 

          En Algérie,  tout était à faire, et la colonisation ne disposait pas des atouts et des richesses d’une Inde qui était dotée des moyens de développer son propre réseau de communications, ses lignes de chemin de fer et sa flotte, et commençait à jouer un rôle d’impérialisme secondaire, en Asie, au profit des Anglais.

            Parallèlement, les Anglais avaient pris possession de Hong Kong (1842) de l’Australie (1851) et de la Nouvelle Zélande (1852), dès le début du 19ème siècle, et les Français de la Cochinchine, résultat du « fait accompli » d’un amiral, du Sénégal, de la Nouvelle Calédonie, et d’une partie de la Polynésie.

            En Australie, les Anglais chassèrent les aborigènes de leurs terres, de même qu’ils le firent aussi, mais moins massivement, en Nouvelle Zélande. Les Français firent en partie de même dans une Nouvelle Calédonie aux dimensions beaucoup plus modestes. Anglais et Français avaient respectivement fait de l’Australie et de la Nouvelle Calédonie des colonies pénitentiaires.

            Il convient de noter que dès 1867, le Canada, une colonie de peuplement différente des autres, compte tenu de la présence de Canadiens Français, bénéficia d’un premier statut de Dominion de la Couronne britannique, première illustration d’une des caractéristiques futures de l’Empire britannique qui se transforma en Commonwealth, avec une évolution politique et statutaire différente entre les colonies de peuplement et les autres.

            Le Canada fut le prototype des Dominions, à population blanche, qui constituèrent le Commonwealth.

            Au début de la grande période d’expansion coloniale de la fin du siècle, la Grande Bretagne bénéficiait incontestablement d’une longueur d’avance sur la France, compte tenu de l’intérêt de ses prises coloniales, qu’il  s’agisse de ses colonies de peuplement ou de ses colonies d’exploitation.

B – L’explosion coloniale

 Rétroactivement, et pour un observateur de notre siècle, il est difficile de ne pas être surpris par la fringale coloniale que les deux puissances manifestèrent entre 1870 et 1914 pour conquérir des terres nouvelles, des ressources réelles ou supposées, de nouveaux marchés, et pourquoi ne pas le dire aussi ? dans certains cas, une illusion !

            Vers l’Afrique

      Les nouveaux conquérants virent dans le continent africain, effectivement et encore largement inconnu, une « terra incognita » qui justifiait à leurs yeux la « course au clocher » de toutes les puissances européennes, Allemagne comprise, venue tardivement  sur le « marché » des colonies.

         Le Congrès de Berlin en 1885 avait lancé la course aux « traités de papier » signés par tel ou tel chef africain local qui n’en connaissait le plus souvent pas la valeur que les occidentaux lui accordaient, mais aussi par quelques grands chefs africains, souvent islamiques, qui en connaissaient la valeur, tels Ahmadou ou Samory, en Afrique occidentale.

      Le partage entre puissances devait en effet s’effectuer sur la base de ces « traités de papier » que les acteurs du terrain, le plus souvent des officiers, tentaient de faire signer par les chefs indigènes.

       Le roi des Belges s’y illustra par la conquête « privative » de l’immense territoire du Congo, et accomplit l’exploit de faire reconnaitre ses droits sur « un Etat du Congo », avant même ce Congrès.

        Tous les motifs furent bons pour justifier ces conquêtes, la civilisation, le prestige national, l’évangélisation, le progrès du monde, ou plus simplement, le business, c’est-à-dire the money, l’argent.

            A cette fin, et plus encore que la France, la Grande Bretagne y fit plusieurs guerres, et y déploya de grandes expéditions militaires.

            Ces guerres furent généralement inégales, compte tenu de la grande différence d’armement qui existait alors entre les adversaires, armement à tir rapide et canons contre flèches ou lances, mais ce ne fut pas toujours le cas, avec les exemples de Samory, dans le bassin du Niger, dans les années 1890, de Béhanzin, au Dahomey, ou des Boers en Afrique du Sud, à la fin du siècle.

            J’ai envie de dire à ce sujet que, quelles qu’aient pu être les époques de l’histoire du monde, et entre puissances conquérantes et peuples dominés, les guerres furent le plus souvent inégales, quelle qu’en ait pu être la raison, armement supérieur ou non.

         En Afrique du Sud, l’Angleterre avait déjà annexé le Natal en 1844, pour y créer une colonie, au nord de sa colonie du Cap, poste de contrôle de la grande voie de navigation entre l’Atlantique et l’Océan Indien, avant la construction du canal de Suez en 1869.

      L’historien Grimal « De l’Empire britannique au Commonwealth » donne la justification de cette annexion :

        « … une donnée fondamentale de la politique impériale : l’exclusion de toute présence ou de toute influence étrangère sur la côte orientale d’Afrique, jugée dangereuse pour la sécurité des relations avec l’Inde. » (page,113)

      Les Anglais eurent successivement maille à partir avec la population autochtone, le royaume Zoulou, notamment, mais surtout avec les premiers colons de la région, les Boers. 

La puissance anglaise y fit une première guerre de type inégal avec les Zoulous, en 1879, puis une deuxième, en 1889,  au cours de laquelle le fils de Napoléon III fut tué, et à la suite de laquelle le territoire Zoulou fut annexé à la colonie du Natal (Afrique du Sud).

       Ces guerres mobilisèrent entre 16 000 et 23 000 hommes du côté anglais, et de l’ordre de 35 000 hommes chez les Zoulous. Les deux conflits firent un peu plus de 1 700 morts dans les troupes anglaises et plus de 8 000 chez les combattants Zoulous, mais naturellement beaucoup plus dans les populations civiles.

      Comparativement, la conquête française du Soudan qui se poursuivit entre 1880 et 1900,  ne mobilisa pas les mêmes effectifs, de même que les expéditions coloniales françaises du Dahomey, en 1892, de Madagascar en 1895, lesquelles ne soutiendraient pas la comparaison, en moyens déployés et en victimes, avec les guerres anglo-boers, pour ne pas citer l’expédition gigantesque de Kitchener au Soudan dans les années 1896-1898. Le même Kitchener s’illustra par ailleurs dans la deuxième guerre des Boers.

       Les Anglais firent une première guerre contre les Boers dans les années 1880-1881, afin de mettre au pas les deux républiques indépendantes du Transvaal et d’Orange, mais surtout une deuxième guerre très violente, féroce, au cours des années 1889-1902, motivées avant tout par la course vers l’or du Transvaal.

       La deuxième guerre mobilisa des dizaines de milliers d’hommes

      La Grande Bretagne se livra à une répression incontestablement inhumaine, en envoyant dans ce qu’il faut bien appeler des « camps de concentration », plus de 116 000 boers et plus de 120 000 africains noirs. On estime que cette guerre fit plus de 20 000 victimes, respectivement  dans la population boer et dans la population noire.

      L’historien Grimal écrivait :

     « Pendant trois ans, 60 000 Afrikaners luttant pour leur indépendance mirent au défi la puissance de l’’Empire. Leurs succès du début (« semaine noire ») semèrent la panique en Angleterre. Pour venir à bout des Boers, 400 000 hommes (y compris les contingents du Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Inde) furent nécessaires, sans compter les méthodes inhumaines de la « terre brûlée » et des camps de « protection » dans lesquels moururent des milliers de femmes et d’enfants ; tandis que les élégantes dames de Londres venaient faire du tourisme sur le champ de bataille. » (page 194)

        Dans la même zone géographique, dans le Sud -Ouest Africain, l’Allemagne, toute nouvelle puissance coloniale, imitait à sa façon les Anglais en combattant la population Herero et en mettant en œuvre des méthodes de pacification « de type génocidaire ».

       Un mot sur l’expédition Kitchener au Soudan, une opération gigantesque de reconquête coloniale, organisée de façon industrielle, avec la construction d’une ligne de chemin de fer vers Khartoum, l’utilisation de canonnières sur le Nil, une expédition qui n’avait rien à voir avec la toute petite « expédition  boy-scout » du commandant Marchand, à Fachoda, un des épisodes les plus célèbres des conquêtes coloniales de la France.

      L’épisode en disait long sur l’écart qui existait alors non seulement entre les moyens de la Grande Bretagne et ceux de la France, mais entre les rêves de grandeur de la Troisième République et la réalité.

            Les deux puissances menèrent chacune de leur côté des opérations dites de pacification pour assurer leur domination, la Grande Bretagne en Gold Coast, contre les Ashantis, en Nigéria ( charte de la  Royal Niger Company en 1886), ou en Sierra Leone, mais plus encore en Afrique Orientale, où les Anglais mirent la main sur les territoires du Kenya et de Rhodésie, en chassant purement et simplement de leurs terres les indigènes, la France du Sénégal vers le Niger, contre les Almamys musulmans du bassin du Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire, et en Afrique centrale.

            A noter qu’en Gold- Coast, et contre les Ashantis,  les Anglais y firent quatre guerres successives tout au long du siècle, la dernière dans les années 1894-1896, qui mobilisa 2 500 soldats britanniques, plus évidemment les auxiliaires.

            La France consolida par ailleurs son domaine en imposant un protectorat à la Tunisie et au Maroc.

            Vers l’Asie

 Les Anglais étaient Incontestablement en avance sur les Français dans la conquête de nouveaux territoires en Asie, mais ils avaient la chance de pouvoir s’appuyer sur les ressources d’un deuxième empire, l’empire secondaire indien, clé de la puissance anglaise en Orient, capable, dès la fin du dix-neuvième siècle de mobiliser une flotte et une armée capable de soutenir l’expansion anglaise sur le glacis indien, avec Ceylan, la Birmanie (1886), la Malaisie, et en se frottant militairement, mais sans succès, et pour la première fois, aux résistances des montagnards d’Afghanistan.

            Grâce au contrôle de l’Egypte (1882), « véritable chef d’œuvre de l’impérialisme britannique », comme l’a écrit l’historien Grimal, du canal de Suez, de l’entrée du Golfe Persique, de Colombo, Singapour, Hong Kong, les Anglais furent les maîtres de la voie stratégique entre l’Europe et l’Asie.

            Pourquoi « chef d’œuvre » ? Parce qu’à la suite de manœuvres directes ou indirectes continues, l’Angleterre réussit à supplanter la France dans un pays où cette dernière avait également des intérêts.

            En 1882, lord Milner, théoriquement Consul de Grande Bretagne, mais en fait véritable proconsul anglais institua en Egypte un régime sans précédent qui fut qualifié plus tard  « d’aussi indéfinissable qu’indéfini ». (p, 168)

      Il convient de noter par ailleurs qu’ils contrôlèrent longtemps le réseau câblé des communications télégraphiques qui leur appartenait entre l’Asie et l’Europe, et qu’à l’occasion de la conquête du Tonkin, et plus tard de Madagascar, les troupes françaises furent, dans une première phase, dans l’obligation d’utiliser le câble anglais pour correspondre avec Paris.

            En comparaison, l’expansion coloniale française fut modeste avec la conquête de l’Indochine dans les années 1880-1890, même s’il est possible de comparer les caractéristiques des expéditions militaires françaises à celles des anglais en Birmanie.

            A noter qu’au cours de cette période, l’Australie, en 1901, et la Nouvelle Zélande, en 1907, bénéficièrent du statut de Dominion de la Couronne, un statut qui correspondait à la situation de ces territoires qui étaient des colonies de peuplement blanc, la population indigène étant peu nombreuse, et chassée de ses terres naturelles.

            Car, dans un certain nombre de territoires, les deux puissances coloniales s’approprièrent des terres réputées vacantes pour de bonnes ou mauvaises raisons, le plus souvent mauvaises.

            Dans ce domaine, la France ne soutenait pas la comparaison avec l’Angleterre, sauf peut- être pour l’Algérie, au regard des appropriations de terres en Afrique du Sud, au Kenya, en Rhodésie, en Australie ou en Nouvelle Zélande.

        En 1914, les contours géographiques des deux empires étaient à peu près définitifs, mais deux différences capitales les distinguait, la quasi-absence de colonie de peuplement dans l’empire français, mis à part l’Algérie, et la grande diversité des statuts coloniaux anglais par rapport aux statuts coloniaux français, où il n’était pas question que les colonies ne marchent pas sur le même pas administratif, c’est à dire un statut standard, sur le modèle napoléonien.

       Les grands coloniaux que furent Gallieni et Lyautey se plaignirent à de multiples reprises de cette situation, de l’absurdité de ce prêt à porter métropolitain standard, mais sans aucun succès, mis à part celui tardif du Maroc.

C – Première guerre mondiale 1914-1918

     Les nouvelles colonies furent mises à contribution pour aider les métropoles à soutenir leur effort de guerre, en rencontrant ici ou là des résistances, mais globalement,  les choses se sont plutôt bien passées, et la victoire finale consacra celle des deux nations coloniales, sans minorer toutefois l’appoint capital de l’armée américaine en 1917.

     Il convient de noter qu’en dépit de la violente répression de la révolte des Cipayes en 1857, et de ses dizaines de milliers de morts, l’Inde ne répugna pas à apporter son secours à la puissance coloniale anglaise, bien au contraire, ce qui ne fut pas le cas pour la deuxième guerre mondiale,  en raison de l’évolution politique du sous-continent indien et de ses revendications en faveur de son indépendance.

D – 1919-1939

      La victoire des Etats coloniaux redistribua les cartes entre les deux empires à la suite de la disparition de l’Empire Ottoman au Moyen Orient.

       En 1939, et selon l’historien Grimal :

    «  Les troupes britanniques ou celles au service de l’Angleterre occupaient tous les territoires (à l’exception de la Syrie) des bords de la Méditerranée aux bords de la Caspienne et aux confins du Caucase. Entre le Béloutchistan et la Mésopotamie, aucune partie de territoire n’échappait à son contrôle. » (page 274)

      Dans le même livre, il évoque à ce sujet : « L’impérialisme du pétrole : le Moyen Orient » (page 271)

      « La Grande Bretagne avait inlassablement travaillé à se rendre maîtresse de la route Méditerranée-Golfe Persique, complément de la route de Suez. » (p,271)

      La guerre a en effet complètement redistribué les cartes impériales au Moyen Orient, avec la disparition de l’Empire Ottoman, et faute d’y trouver des « cadres de type national », avec la création ou la reconnaissance d’anciennes ou de nouvelles entités de caractère plus ou moins national, telles que le Liban, la Syrie, dont le mandat fut confié à la France, la Palestine, la Jordanie, l’Irak, et l’Iran, à l’exception de l’Arabie saoudite, tous territoires d’obédience impériale britannique.

      L’Angleterre encouragea la création ou la consolidation de royaumes arabes en Syrie, en Jordanie, en Irak, la Palestine étant réservée à la création d’un nouveau foyer pour l’émigration juive.

      La France reçut de son côté un mandat de la SDN pour administrer la Syrie et le Liban, ainsi que dans une partie du Togo et du Cameroun, et dut faire face, de même que l’Espagne, à une importante révolte au Maroc, dans le massif du Rif, qui fut d’abord une révolte contre les Espagnols.

     Au cours de la période de l’entre-deux guerres, les deux puissances commencèrent à faire face à des revendications de type national, avant tout dans les colonies les plus évoluées, telles que l’Egypte, les Indes ou l’Indochine.

    Ailleurs, le temps d’une prise de conscience nationale n’était pas encore venu, faute le plus souvent de trouver précisément un cadre national dans ce qui n’était que constructions administratives récentes et artificielles, celles des colonies.

     Aux Indes, la première guerre mondiale avait créé des espoirs de reconnaissance nationale dans l’élite politique indienne, favorables à une évolution vers le statut de dominion, mais faute de réponse positive, le parti du Congrès, sous l’impulsion de Gandhi, s’orienta de plus en plus vers des revendications d’indépendance, et l’immobilisme britannique conduisit le parti du Congrès à ne pas s’associer à la politique de défense britannique au cours du deuxième conflit mondial, ce qui n’avait pas été le cas en 1914-1918.

   En Indochine, mais dans une moindre mesure, des revendications nationalistes se développaient également.

     Pour compléter le tableau, il convient de noter qu’à la suite de la première guerre mondiale, la Société des Nations confia le mandat de gestion des colonies allemandes aux anglais, en ce qui concerne le Sud-Ouest Africain, et le Tanganyika, et aux Français, pour ce qui concerne le Togo et le Cameroun.

     Il convient de souligner enfin que la montée en puissance des Etats Unis et de l’URSS ont évidemment complètement changé la donne internationale.

E – La deuxième guerre mondiale et la décolonisation

     La défaite de la France, l’affaiblissement de la Grande Bretagne, la nouvelle puissance des Etats-Unis et de l’URSS, puis la révolution communiste en Chine, allaient ouvrir largement la voie à la décolonisation, fondée notamment sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

      En 1955, la Conférence de Bandoeng, dite des pays non alignés sur l’Ouest ou sur l’Est, donna une accélération supplémentaire au mouvement de décolonisation.

    Au bilan et en dépit de politiques impériales très différentes, que nous examinerons plus loin, on ne peut pas dire que les résultats de cette décolonisation furent très différents dans chacun des deux empires, des résultats très contrastés de décolonisation pacifique ou violente.

     En Asie, la Grande Bretagne eut la sagesse de donner l’indépendance à l’Inde en 1947, mais dans des conditions telles que cette indépendance entraina à la fois beaucoup de violences entre communautés différentes, notamment hindoues et musulmanes, et des transferts massifs de populations entre le Pakistan occidental et le Pakistan oriental d’un côté, et l’Inde de l’autre, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de personnes.

     Dans la même Asie, elle accorda son indépendance à la Birmanie en 1948, mais elle dut  faire face à un soulèvement communiste en Malaisie qu’elle mit longtemps à réprimer, entre 1948 et 1961, après avoir accordé son indépendance à ce territoire en 1957. Les pertes furent de l’ordre de 1 500 morts, côté anglais, et 6 700 morts, côté rebelle, des pertes qui n’eurent rien à voir avec celles du premier conflit indochinois, celui des Français.

    La population y était composée de Chinois et de Malais, et les Anglais se sont appuyés sur les Malais pour combattre les Chinois.

     A la différence de l’Indochine, la Malaisie n’avait par ailleurs pas de frontière commune avec la Chine, et la répression anglaise y fut donc beaucoup moins difficile.

      Ceylan devint indépendante en 1948.

     En ce qui concerne Singapour : « Après avoir reçu le self-government en 1957, l’Etat de Singapour s’intégra à la Malaisie en 1963, mais s’en retira en 1965, pour devenir un Etat-cité dans le Commonwealth. Il est un exemple parfait des anomalies politiques créées par l’impérialisme. » (Grimal, p,310)

   Comme me l’a fait remarquer mon vieil ami Auchère: « Qu’est-ce qui est normal en politique, s’agissant des créations de l’histoire ? » 

    Ne conviendrait-il pas d’ajouter au mot impérialisme le qualificatif de britannique, en notant l’extraordinaire créativité institutionnelle des autorités britanniques qui furent le plus souvent capables de s’adapter à n’importe quelle situation et de trouver la solution favorable à leurs intérêts.

    En 1945, la France s’engagea dans la guerre d’Indochine contre un adversaire largement contrôlé par les communistes, et au fur et à mesure des années, son corps expéditionnaire épuisa ses forces face à un adversaire de plus en plus épaulé par la Chine communiste, celle de Mao Tsé Toung.

     En 1954, la chute de Dien Bien Phu mit fin à ce conflit, en tout cas dans le Vietnam nord. La France y engagea des forces beaucoup plus importantes que celles des Anglais en Malaisie.

Pour le corps expéditionnaire, le conflit franco-indochinois se solda par 50 000 morts et 70 000 blessés, mais avec un bilan beaucoup plus lourd chez l’adversaire vietminh et dans la population civile.

     Il convient de souligner que la Grande Bretagne installée à Hong Kong depuis 1842, passa le cap des décolonisations mondiales jusqu’à la fin du vingtième siècle (en 1998), avec en face d’elle une Chine communiste qui pratiquait elle-même et en définitive le même jeu du business qu’elle.

     En Afrique, s’il n’y avait eu « la guerre d’indépendance de l’Algérie », dont une des causes fut similaire à celle existant dans la décolonisation des colonies anglaises à peuplement européen, c’est-à-dire un peuplement européen important, la décolonisation des colonies africaines françaises se déroula de façon relativement pacifique.  Le Cameroun fit toutefois exception, mais plus encore Madagascar, où la répression d’une révolte populaire fit, en 1947, de l’ordre de 80.000 victimes.

     Le bilan de la guerre d’Algérie fut lourd : plusieurs dizaines de milliers de soldats français et musulmans tués, de l’ordre de 150 à 200 000 rebelles tués, mais en parallèle un nombre de victimes civiles considérable causé à la fois par la guerre elle-même, et par l’autre guerre « civile » qui doublait la guerre officielle.

    En Afrique Australe et en Afrique Orientale, la décolonisation anglaise ne fut pas non plus celle d’un long fleuve tranquille, en raison notamment de la présence d’un peuplement blanc important.

     Nous reviendrons plus loin sur la distinction qu’il convient de faire à l’occasion de l’évolution historique de l’empire britannique, entre colonies de peuplement et autres territoires britanniques, avec les conséquences que cette distinction eut sur l’évolution du Commonwealth, fruit d’une coopération institutionnelle entre métropole et anciennes colonies de peuplement.

    Au Kenya, les Anglais durent faire face à la révolte des Mau-Mau entre 1952 et 1955 en mobilisant une troupe de l’ordre de 50 000 soldats, et le Kenya eut droit à son indépendance en 1963.

    La décolonisation de l’Afrique anglaise orientale ne se fit pas dans des conditions pacifiques, loin de là !

    L’historien Grimal a fort bien analysé les processus suivis. Après la première guerre mondiale :

    «.La Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) devint une « self-governing colony », sorte de dominion sans le nom…. Le pouvoir politique permit aux Blancs de disposer à leur gré de la terre et des habitants noirs. Toute la législation foncière tendit à favoriser l’extension de la propriété des colons. Dès 1920, les Africains avaient été privés du droit d’acheter des terres et de résider en zone européenne. Cette ségrégation ne cessa de s’aggraver… Les Blancs n‘étaient que 64 000 en 1945… En 1953 les chiffres donnaient respectivement 157 000 et 1 750 000. » (p,332)

     En Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie) et au Nyassaland (l’actuel Malawi), la situation était différente, compte tenu du petit nombre de blancs. En 1953, fut créée la Fédération de l’Afrique centrale qui fut rapidement un échec. Le Nyassaland et la Rhodésie du Nord obtinrent leur indépendance en 1964.

     De son côté, et à partir de 1965, la Rhodésie du Sud entrait dans des convulsions de guerre interethnique qui ne prirent fin qu’en 1990, tout en soulignant que le Royaume Uni a toutefois contribué par son action aux Nations Unies à la fin de la « dictature blanche »..

     Les autres colonies bénéficièrent de l’indépendance aux dates suivantes : , en 1956, le Soudan, en 1957, la Gold- Coast, devenue le Ghana, en 1960, la Nigéria, en 1961, la République Sud-Africaine et la Sierra Leone, en 1962, le Tanganyika et l’Ouganda, en 1964.

Comme on le sait la décolonisation opérée en Afrique Australe y laissa un régime d’apartheid, et en Rhodésie, une dictature blanche, deux puissants germes des violences qui ont embrasé ces territoires jusqu’à la restitution de leurs droits aux autochtones qui en avaient été dépossédés.

    La Rhodésie du Sud devint indépendante en 1980, sous le nom de Zimbabwe.

   En Afrique du Sud, ce ne fut qu’en 1994, que le pouvoir revint aux noirs avec la fin de l’apartheid, et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela que tout le monde connait de nos jours.

   Un dernier mot au sujet de la décolonisation portugaise qui fut longue et violente aussi bien en Angola qu’au Mozambique, devenus des Etats indépendants en 1975, et au sujet de la décolonisation du Congo Belge qui sombra rapidement dans la violence, en 1960.

F – Le Commonwealth

     Un mot sur le Commonwealth, dont l’historien Grimal a décortiqué le processus historique, une évolution qu’il est difficile de résumer, mais dont la logique était tout à fait claire, quasiment dès l’origine, avec la création des colonies de peuplement.

     L’Empire britannique avait en effet deux composantes, les colonies de peuplement blanc, et toutes les autres, dont les statuts des plus variés résultaient de la créativité pragmatique de l’impérialisme britannique.

    Car, dès l’origine, et comme l’indique le même historien :

   « Tous les responsables du Colonial Office de 1835 à 1868, hauts fonctionnaires ou secrétaires successifs, avaient la conviction que le « câble serait coupé » avec les colonies de peuplement » (p,83)

     La doctrine anglaise du « responsible government » fut rapidement suivie de celle du « self-government » et le Canada, dès l’année 1847 devint le prototype de cette évolution dont bénéficièrent ensuite les autres colonies de peuplement, l’Australie 1901), la Nouvelle Zélande (1907), et l’Union Sud- Africaine (1910).

    La première guerre mondiale vit naître le Commonwealth britannique, en mettant en évidence tout à la fois la cohésion de l’Empire britannique, et l’ambigüité des relations qui existait entre Londres et ses nouveaux partenaires.

    Ce fut le statut de Westminster qui, en 1931, reconnut que les grands dominions avaient atteint leur majorité.

     Le texte les décrivait comme des « communautés ayant une existence autonome au sein de l’Empire britannique, nullement subordonnées les unes aux autres dans leurs affaires intérieures et extérieures, bien qu’unies par leur loyalisme commun à la couronne, et librement associées dans la communauté des nations britanniques. »

    Il n’exista rien de commun dans l’évolution de l’empire français, étant donné qu’à l’exception de l’Algérie dont le peuplement européen n’a jamais eu l’ampleur de celui des dominions, les éléments de cet empire ressemblaient étrangement à ceux que l’on trouvait dans le reste de l’empire britannique, c’est-à-dire un empire colonial de couleur.

    Après 1945, l’Union Française fut une pâle imitation du Commonwealth et sa courte vie fut le symbole de l’ambigüité continue d’une politique française coupée des réalités, l’habillage juridique de situations diverses, plus ou moins claires.

Jean Pierre Renaud