« La fin des terroirs » Eugen Weber- Troisième partie « Changement et assimilation »

« La fin des terroirs » Eugen Weber

III

Troisième partie

Changement et assimilation (p,447)

            Les lecteurs un peu familiarisés avec les discours coloniaux anciens ou récents sur l’assimilation des immigrés, seront peut-être surpris de voir qu’Eugen Weber a choisi le même terme pour caractériser le processus de francisation de la France.

        Qu’est-ce à dire ? La France coloniale de la Troisième République avait l’ambition de porter la civilisation outre-mer, d’assimiler les « indigènes », alors qu’elle peinait à assimiler ses propres « indigènes ».

      Nous  nous proposons de consacrer quelques pages au rapprochement que suggère la comparaison entre la situation coloniale de la France et les situations coloniales rencontrées de l’outre-mer.

        « Fêtes et coutumes » (chapitre XXI, page 449)

       « Nous avons examiné les agents du changement. Il est temps maintenant de voir quels sont les effets directs de leur conjonction. Et puisque nous venons de quitter le domaine de la religion, nous pouvons commencer avec un domaine qui lui est apparenté, celui des fêtes. » (p,449)

        « L’Empire disparut mais la méfiance à l’égard des manifestations populaires subsista »

      « A cette fin, les fêtes officielles se mirent à rivaliser avec les fêtes traditionnelles, et aidèrent finalement à les supprimer. » (p,461)

     « Mais les grands jours des cérémonies civiques ne vinrent qu’avec les années 1880. L’année 1879 inaugura la République des républicains. Jules Grévy devint président. Les pouvoirs publics quittèrent Versailles pour Paris. « La Marseillaise » devint l’hymne national. En 1880, le 14 juillet devint la fête nationale, bien qu’il lui fallût du temps pour être acceptée. »(p,462)

      Il semble très probable que malgré un siècle d’efforts, de nombreuses petites communes des années 1880 (telle Orcines, dans le Puy de Dôme) n’avaient jamais connu avant cette date ces célébrations publiques… En 1889, quand la République célébra le centième anniversaire de la Révolution, les festivités officielles avaient progressé à la fois quantitativement et qualitativement.. Les banquets étaient devenus une partie essentielle des festivités, les illuminations n’étaient plus une exception, mais la règle, et l’initiative populaire pouvait aussi se manifester, par exemple en organisant des bals. » (p,463)

    « Mais si les grandes cérémonies de l’Eglise déclinèrent, il en alla de même avec des fêtes et des rites locaux plus humbles. Il est déjà question d’un déclin sous la Monarchie de juillet. .. Les causes du déclin étaient nombreuses, le déclin lui-même semblait évident. La croyance en la fonction bénéfique des  cérémonies populaires s’évanouissait. » »(p464, 465)

       « Les fêtes communales et historiques finirent par disparaître ; les célébrations autrefois publiques devinrent de plus en plus privées. Noël, le Nouvel An, la Veillée des Rois, tout cela devint du ressort des familles » (p,471))

      « Charivaris » (chapitre XXII, page 472)

     « Beaucoup de gens peuvent regretter la disparition de célébrations traditionnelles comme le carnaval. Mais peu d’entre nous, et sans doute peu de gens de l’époque voudraient verser une larme sur un aspect plus sombre de ce dernier, que nous n’avons fait qu’effleurer jusqu’ici : la ridiculisation et la punition de ceux qui avaient contrevenu aux règles de la société villageoise. Ce type de censure sociale était bien différent de celui que la société pouvait ou voulait dispenser. L’Etat avait ses lois, ses gendarmes, ses magistrats. Il n’y avait pas de place pour la justice non officielle dont le courroux s’abattait sur ceux qui avaient « pêché » contre la société. Et pourtant cette forme de justice grossière dura jusqu’au XX° siècle.

      Celui qui transgressait les normes était encore jugé et brûlé en effigie pendant le carnaval dans les petits bourgs des  Charentes peu avant 1914, ou promené sur un âne, la tête vers sa queue, comme cela se produisait apparemment encore en Champagne ou dans les Ardennes au tournant du siècle. » (p,473)

      L’auteur cite également le cas de nombreux charivaris qui avaient pour objet de tourner en ridicule curés ou élus.

    « Foires et marchés » (chapitre XXIII, page 483)

      « L’évolution de la sociabilité dans les campagnes peut être étudiée (et elle devrait être étudiée, mais nous ne pouvons lui accorder ici qu’une attention partielle) dans deux autres domaines : celui de la place publique du marché et celui, semi-privé mais très collectif de la veillées.

       Les marchés et les foires constituaient des rouages essentiels de l’ancien appareil économique : plaques tournantes des principaux échanges, ils se déroulent le plus souvent dans un contexte local déterminéLes marchés étaient fréquents, au moins hebdomadaires ; on y vendait et achetait des produits d’usage courant, mais surtout de la nourriture. Les foires étaient périodiques et proposaient un un plus grand choix de produits, vêtements, bétail, outils et ustensiles ménagers, ainsi que des distractions. Dans toutes les sociétés rurales, un nombre relativement important de paysans sans terre, une quantité variable d’artisans ou de forestiers, parfois les deux, devaient acheter tout ou partie de leur nourriture bien qu’elle vint de chez leurs voisins.

       Comme les traditionnelles migrations saisonnières, les marchés jouaient leur rôle dans le maintien des institutions archaïques en permettant à leur clientèle de joindre les deux bouts. Les pauvres gens achetaient et vendaient en petite quantité, aussi devaient-ils se rendre souvent au marché. Dans l’ancienne société le marché tient lieu de commerces, qui n’existent pas encore…La fréquence des marchés s’intensifia lorsque les bourgeois dont la nombre et le niveau de vie s’étaient accrut après les années 1830… » (p,483)

       « Chaque petite ville, consciente de l’activité et des gains qu’une foire pouvait lui procurer, en voulait une pour elle seule. Les décrets impériaux de 18542 et 1864 simplifièrent les démarches qui permettaient d’obtenir l’autorisation d’en créer ou d’en rajouter…. En 1903, sur les 172 foires annuelles du Puy de Dôme, on disait que 21 avaient été instituées depuis des temps immémoriaux, que 21 avaient été instituées après 1850, 14, entre 1851 et 1870. On créa ensuite quantité de nouvelles foires : 39 entre 1871 et 1880, 21  de plus entre 1881 et 1890 et 33 autres entre 1891 et 1903 . » (p,485)

      « Mais là, n’était pas le plus important, car la fonction essentielle du marché et de la foire était sociale… Dans ce cas, comme dans les autres, la foire créait la seule et importante occasion de nouer des contacts avec le monde extérieur… (p,487)

     Il est possible que les foires aient favorisé l’imitation des mœurs citadines à un moment où les paysans étaient prêts à les assimiler. Le contact avec les citadins impliquait une certaine méfiance. Les échanges étaient limités au seul commerce et l’homme de la ville était immanquablement considéré comme un être maniéré, rapace et inflexible. Nous savons maintenant qu’il s’y passait plus de choses. Ainsi le commentaire d’un agronome estimait en 1884, que les paysans limougeauds apprenaient plus de français dans les foires qu’à l’école. » (p,488)

     « La veillée » (chapitre XXIV, page 491)

     « A travers presque toute la France rurale, les soirées d’hiver étaient longues, froides et solitaires. On devait économiser le  feu ainsi que les bougies et les chandelles. Tout cela coûtait trop cher. Une chaleur et une lumière suffisantes étaient chose presque impensables. » (p,491)

    D’où l’importance des veillées comme lieux de société villageoise.

     L’auteur cite des exemples de leur rôle, entre autres : « Dans un autre village de la Loire, Saint Martin-d’Estréaux, pas loin de Lapalisse, en 1910, les quatre cinquièmes des mariages étaient le fruit des veillées. » (p,493

    « La sagesse populaire » Chapitre XXV, page 497

    « Avec la fin des veillées, c’est une des principales institutions de la transmission du savoir oral qui disparaissait. Dans les veillées, il se disait beaucoup de choses : récits de souvenirs personnels, de contes, de dictons, d’adages pleins d’esprit. » (p,497)

       Comme à son habitude, et en ce qui concerne le rôle des proverbes, l’’auteur illustre son propos d’une grande quantité d’exemples,  dont un que j’ai retenu, pour des raisons qui me sont personnelles :

        « Le Franc-Comtois n’apprécie pas beaucoup non plus le vent du nord-ouest qui souffle au printemps et qu’il appelle l’air de pique-blanches car il annonce des gelées tardives qui brûlent la fleur de prunier avant que le fruit ne se forme. De là, le vieux proverbe qui évoque Paris, ville située dans cette direction :

     Jamais bon vent ni bonnes gens

     Ne sont venus de ces parages (p,499)

      « Adieu chansons… Chapitre XXVI, page 509

    « Lorsque les jours diminuaient, que les occasions de se distraire, les spectacles publics sur le parvis des églises et les foires devenaient moins nombreux, la musique faite à la maison et les danses jouaient un rôle crucial dans la vie du paysan. « (p,509)

   « Le papier qui parle » Chapitre XXVII, page 537

   « Nous en arrivons maintenant à une question ayant d’évidence trait à la culture populaire, et l’une des plus difficiles, malgré l’attention dont elle a bénéficié : quand et comment la lecture a-t-elle touché l’homme du commun ? L’imprimerie se tient à l’entrée du monde moderne comme les dragons qui gardent les portes du temple. Mais qui, dans la France du XIX° siècle, avait accès au temple de l’imprimerie ? La réponse est surprenante : beaucoup de monde, car point n’était besoins de savoir lire pour apprécier ses productions. L’imprimerie était l’art urbain par excellence ; elle répandait des textes, des images, des idées, qui avaient été formulés par des citadins. Comme les chansons imprimées, ces produits devenaient souvent populaires. Elles ne l’étaient pas nécessairement de par leur naissance. » (p,537)

     L’auteur note :

    « Charles Nizard- dont l’Histoire des livres populaires et de la littérature de colportage, publiée en 1854, et rééditée dix ans plus tard demeure notre principale source d’information (p,538)

     « En 1853, environ neuf millions de livres furent diffusés dans l’année; mais il faut savoir que ce qu’ils achetaient étaient les produits des marchands des rues :  « Des petits livrets à 6 sous que l’on voit étalés sur les ponts et les murailles. » C’étaient des abrégés de Robinson, Télémaque, de Paul et Virginie, et de la vie du chevalier Bayard, ou encore des fables d’Esope. » (p,538)

     Littérature de colportage, absence de bibliothèques dans les écoles et dans les villes, la situation changea lentement au cours du siècle.

     « Au milieu du XIXème siècle, « 15 millions de Français apprenaient l’histoire de leur pays et ses lois, les grands événements mondiaux, les progrès de leurs sciences, leurs droits et leurs devoirs rien qu’en lisant l’almanach » (p,548)

     Longtemps : « Les images et les textes imprimés pour les campagnes avaient été les mêmes que pour les gens des villes. Un fossé se creusa entre les deux à partir du moment où la nourriture offerte aux citadins devint moins naïve et plus actuelle. Fossé qui marqua les lecteurs des campagnes une  bonne partie du XIX° siècle, jusqu’à ce qu’il rétrécisse et finisse par se combler tout à fait au XXème siècle. »

     Les journaux commencèrent à être diffusés plus largement « L’industrie de l’image, déclinante depuis quelque temps, s’écroula irrémédiablement dans les années 1890… « Le peuple », maintenant le peuple presque tout entier, préférait les journaux et leurs suppléments illustrés.

     Le contenu du colporteur changea puis disparut comme le colporteur lui-même (p,550, 551)… De nombreux indices montrent que le colportage des livres était un commerce en voie de disparition… Les colporteurs faisaient une bonne partie de leurs affaires dans les petites villes. Avec la création du Petit Journal en 1863, ils commencèrent à perdre leur public. » (p,552)

      J’ai consacré une de mes chroniques du blog à l’évocation de la littérature populaire des colporteurs qui régna longtemps dans nos campagnes.

    « Dans les années 1869, le niveau d’éducation s’était amélioré, mais dans les campagnes les journaux continuaient à se faire rares. Pour l’ensemble de l’Ardèche peuplée de 252 000 âmes en 1865, le nombre de quotidiens vendus s’élevait à 1 200. En Corrèze, en 1867, « il n’y avait pas de journaux dans les villages… Lorsque le Petit Journal fit son apparition en 1863, il y avait encore beaucoup d’endroits où l’on ne savait ce qu’était un journal et où on pouvait l’acheter comme d’autres biens sur la place du marché… Durant le premier trimestre de l’année 1870 , seulement 171 exemplaires furent vendus dans toute la Corrèze, la Creuse et la Haute Vienne…. Dans le Limousin, le nombre d’exemplaires diffusés passa de 6154 en 1869 à 8185 en 1876…. Comme les faibles chiffres de ventes le montrent, les journaux continuaient à être lus par les artisans et les commerçants des petites villes, les notables et les conseillers municipaux des villages. (p,555)

     Au fur et à mesure des années, le nombre de journaux vendus en province augmenta : « En 1907, dans l’Hérault, presque toutes les communes recevaient les journaux.

      Comme l’école, comme la politique, la presse faisait à la fois progresser le processus d’homogénéisation et le niveau de la pensée abstraite. La tradition  culturelle véhiculée par la presse s’appuyait sur des généralités, ce qui contribuait à favoriser le traitement de thèmes universels et nationaux plus que les thèmes locaux ou spécifiques. Cette culture disparut de l’esprit des lecteurs comme elle disparut de leur langage. Non seulement les journaux avaient permis à l’usage du français de se répandre, mais de plus ils portaient un vocabulaire qui venait renforcer et en même temps compléter celui de l’école. (p,556)

     Le contenu de ce chapitre est tout à fait intéressant, mais il est en même temps le symbole de ce qui manquait et de ce qui manque encore dans beaucoup d’analyses sociologiques ou économiques, les données quantitatives qui permettraient de donner encore plus de pertinence à une analyse qui se veut exhaustive  des faits.

      L’auteur illustre son analyse en citant quelques chiffres, mais le lecteur fonde beaucoup plus sa conviction historique sur la variété et l’accumulation des observations proposées qui ont effectivement un sens et qui marquent une direction.

       Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je relève ce type de carence de sources quantitatives, et je l’ai noté en particulier dans les ouvrages dédiés à la culture coloniale et impériale de la France.

     Comment accepter la pertinence d’un discours historique sur un sujet comme celui-là, sans avoir procédé à une analyse fouillée de la presse de l’époque sur le plan de la chronologie et des contenus ?

      J’ai noté ailleurs qu’un des livres qui eut du succès dans le domaine colonial ou postcolonial, « L’idée coloniale » avait réalisé l’exploit de traiter le sujet en faisant l’impasse sur un de ses vecteurs, sinon le vecteur principal de l’effet supposé de l’idée coloniale.

     « Le glas du passé » Chapitre XXVII, page 559

     « La continuité s’est interrompue », écrivait Jules Méline sur le monde en changement qui l’entourait. « Moins qu’une évolution, c’est une véritable révolution qui se déroule et qui fait son chemin. » Evoquant ces années, le folkloriste André Varagnac affirmait que la France avait subi dans le dernier quart de siècle une véritable crise de civilisation… A la fin du siècle, on assiste à la destruction massive des coutumes traditionnelles.. » (p,559)

    « De George Sand à Maurice Barrès, les écrivains s’emparèrent du paysan comme un siècle auparavant on s’était emparé du bon sauvage. Des séries de cartes postales représentaient des scènes qui i il y a peu de temps encore n’étaient pas dignes d’être représentées, chaumières, fermiers engrangeant duè foin, fêtes des moissons, paysans en costume régional. »(p,560)

     « Les changements dans les récoltes, les outils, les conditions de vei affectèrent aussi les habitudes. Les veillées, nous l’avons vu, disparurent parce que les gens avaient les moyens d’éclairer et de chauffer leurs propres maisons. L’argent et les machines mirent fin au traditionnel salaire en nature comme cela se faisait par exemple pour la onzième gerbe des moissonneurs. » (p,561)

   « Le meilleur exemple connu de la naissance d’une nouvelle tradition se trouve dans les fêtes de la conscription. » (p,562)

      « Le rôle des guerres, qui donnèrent le coup de grâce à des coutumes qui subsistaient vaguement, apparait d’une manière évidente…. Edgar Morin fait précisément cette constatation lorsqu’il écrit que dans la campagne de Plodémet, « La guerre de 1914 accélère et amplifie toutefois la plupart des processus déclenchés en 1880-1900. »

      Personnellement, je pense que la première guerre mondiale a constitué une grande rupture historique et à tous points de vue dans notre pays, et que la défaite de 1939 trouve une de ses causes principales dans ce conflit qui  a saigné littéralement la France sur tous les plans.

        A titre d’exemple dans une région qui  m’est chère : « Comme le père Garneret le disait pour la Franche Comté, ce fut « une rupture sanglante qui ravagea nos villages : 20 morts pour cent habitants et qui fit voler en éclats toutes les traditions. » (p,565)

        Dans ma famille paternelle des plateaux du Jura, quatre frères, dont mon père, furent mobilisés pendant la guerre de 1914-1918 : le plus jeune, gravement blessé, mourut la veille de ses vingt ans, le deuxième revint mutilé, le troisième revint gazé, et le quatrième fut blessé.

      « La guerre fit franchir au ou processus d’intégration nationale un immense pas en avant. Détruisant les survivances anachroniques, elle hâta dans le même temps l’avènement de toutes les transformations que nous avons  vu prendre forme. »(p,568)

       Pendant longtemps, le village fut « une association d’entraide mutuelle ».

      « La route et le rail furent les facteurs décisifs de ce changement. L’école le mit en forme et en accéléra le processus. » (p,571)

       Villes et campagnes avaient deux conceptions du temps :

      « Dans la France de la fin du XIXème siècle, ces deux conceptions du temps, l’une rurale, l’autre citadine, s’affrontèrent et l’une d’entre elles disparut. « (p,573)

        En sorte de conclusion de ce chapitre, mais au moins autant du processus qu’il a décrit tout au long de son analyse très documentée :

    « Il ne s’agit pas de se demander si c’est bon ou mauvais. Cela est. Cela s’est produit ainsi. C’est le caractère même de ce qui s’est passé en France entre 1870 et 1914. « (p,574)

       Commentaire : 1 – Comment ne pas se poser la question que j’ai déjà plusieurs fois posée sur le manque de pertinence scientifique du discours historique du collectif de chercheurs Blanchard and Co, quant à la thèse d’après laquelle, grâce à je ne sais quel processus d’acculturation mystérieuse, la France se serait imprégnée d’une culture coloniale au cours de la même période de référence 1870-1914 ?

       2- Comment ne pas adhérer au constat historique que propose Eugen Weber quant au parallélisme qui pouvait exister entre les « indigènes » de la République française et les « indigènes » des colonies ?

         C’est tout l’objet de la chronique que nous vous proposerons en partant de la lecture de l’ouvrage et de toutes les réflexions de l’auteur que contient le dernier chapitre « Cultures et civilisations ».

      Je fais partie des citoyens qui estiment que la France n’a jamais été une nation coloniale, en tant que peuple, mais qu’en revanche, elle a toujours eu un grand goût de l’exotisme.

     Je répéterai volontiers que le peuple français n’a découvert et pris conscience du « fait colonial » qu’à l’occasion de la guerre d’Algérie, avec le contingent, et toutes ses conséquences, et encore plus avec les importants flux d’immigration francophone que le pays a accueilli à partir des années 1980-1990.

 Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« La fin des terroirs » Eugen Weber Deuxième Partie « Les agents du changement »

« La fin des terroirs » Eugen Weber

Deuxième Partie

Les agents du changement (p,237)

       « Des routes, encore des routes et toujours des routes » (chapitre XII, p,239)

         La France changea de visage à partir de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, avec la route, le rail, et l’école, après 1880, avec la Troisième République.

         « Quand Maupassant et d’autres pêcheurs du dimanche parisiens allaient en diligence de Courbevoie à Asnières, à 9 kilomètres, ce village était aussi éloigné en temps de déplacement, de la capitale, que Rouen l’est en train aujourd’hui, ou Nice en avion. » « (p,243)

        « Les changements réels semblent n’être intervenus qu’après la loi de 1881, qui autorisait la construction des routes rurales « reconnues d’intérêt public »…. En 1929, 76% des routes locales de Vendée avaient été construites après 1881. » (p,249)

        En ce qui concerne le rail, il y avait 19 746 kilomètres de lignes en 1879 et 64 898 en 1910.

       « Avant que la culture ne change en profondeur, il fallait que les conditions matérielles se transforment et dans ce processus le rôle de la route et du rail fut fondamental » (p,252)

      « On a dit des routes qu’elles avaient cimenté l’unité nationale. Si la chose est vraie (et je pense qu’elle l’est), le plan Freycinet fit plus pour atteindre ces résultats que les grandes routes de la monarchie et de l’Empire, qui ne cimentèrent guère (même si cela était en soi beaucoup) qu’une structure administrative. » (p,268)

     « Changement et continuité » (chapitre XIII) (p,269)

      « l’entrée de la France dans l’ère industrielle a généralement été située en fonction du nombre d’engins mus à la vapeur. En fait, le développement des routes et des chemins de fer serait un indicateur plus sûr, car ce furent eux (et particulièrement les routes et les lignes ferroviaires locales de la fin du XIXème siècle) qui créèrent un véritable marché national dans lequel les marchandises et les produits fabriqués par les machines pouvaient être achetés et vendus. Bien plus, ils jouèrent un rôle crucial en répandant partout cette prospérité relative qui soutenait ce marché… Il y avait plus de gens travaillant dans la production artisanale que dans l’industrie à grande échelle. C’était vrai dans les années 1860… » (p, 269)

     En 1876 : « On était encore loin d’une situation moderne. … Un pays de patrons. .. de petits artisans indépendants… C’étaient ces hommes et leurs aides, ou compagnons, qui formaient le public intéressé par les débats politiques dans les villes et les cités ; et c’étaient des gens comme eux qui à la fois maintenaient l’autarcie du village et aidaient les villageois à sortir de cette autarcie. » (p,270)

      « Deux institutions importantes avaient maintenant commencé à décliner : la forge et le moulin du village. Tout comme le lavoir était le centre social des femmes, la forge était un lieu de rencontre pour les hommes du village… Si la forge était le centre social du village, le moulin était le centre social des campagnes : une sorte de salon rustique et enfariné, comme le disait un Breton. » (p,274)

      « La campagne dans la ville » (chapitre XIV, p,283)

      « « Ce n’était point la campagne, il y avait des maisons ; ce n’était pas une ville ; les rues avaient des ornières comme les grandes routes et l’herbe y poussait ; ce n’était pas un village, les maisons étaient trop grandes. » La description  que Victor Hugo fait du faubourg Saint Marcel, valable pour la monarchie de Juillet, pourrait aisément s’appliquer à maintes villes de campagne une génération plus tard – et même deux ! Ville et campagne s’interpénétraient dans de petits centres endormis comme Cerilly (Allier), Millau (Aveyron)), Brioude et Yssingeaux (Haute Loire), Florac (Lozère), Saint Flour (Cantal) de telles viles, qui jouaient le rôle de « petites capitales » pour une demi-douzaine de communes se réveillaient périodiquement quand la brève animation du marché hebdomadaire ou de la foire saisonnière rompait leur sommeil. Mais c’était grâce à ces villes que la culture nationale et les changements qu’elle introduisait étaient transmis aux campagnes environnantes. Ce sont, disait Adolphe Blanqui, des « laboratoires où l’esprit d’entreprise de la bourgeoisie prépare les expériences dont bénéficieront les gens des campagnes… de gros bourgs ou de grands villages…» (p,283)

      « La présence d’une communauté d’étrangers dans de petites villes comme celles-là, sans rapport avec leur mode de vie normal, c’était quelque chose qui ressemblait fort à une situation coloniale. » (p,284)

       « Les paysans et la politique » (chapitre XV, p, 293)

      Une observation de départ : il ne faut pas oublier que jusqu’à la fin du siècle, la paysannerie représentait plus de 80% de la population française.

        « La politique, dans cette France rurale, en restait à un stade archaïque – local et personnel- et cela dura jusqu’aux années 1880 au moins. Dans ces zones, l’évolution vers la modernité, c’est-à-dire vers la conscience des problèmes sur un plan national et international, semble commencer après les années 1870. Cela vient de l’intégration de ces zones à la France, et renvoie à ce processus que nous avons déjà examiné : les manières et les valeurs des villes pénétrant les campagnes, la colonisation des campagnes par les villes. » (p,294)

      J’ai naturellement souligné le mot colonisation à l’intention des chercheurs en histoire postcoloniale.

      L’Etat dans ses multiples expressions, justice, fisc, ou police, fut longtemps considéré comme un oppresseur, et l’auteur fait une observation importante sur l’opinion publique de l’époque, une référence jamais mesurée ou identifiée pour beaucoup d’historiens :

      « L’opinion publique « reste celle des villes et de la bourgeoisie ». Le public semble s’identifier à ces quelques électeurs qui lisent les journaux, la population à cette mince portion sociale « intelligente et lettrée ». Et finalement en 1898, le commissaire de police du Perthus distinguera non sans justesse la « population politique » de la « population  générale » qui reste indifférente à la politique… » « (p,296).

        Et l’auteur de remettre certaines pendules historiques à l’heure !

      « Les historiens marxistes, en particulier, ont cherché à montrer que des tensions politiques de type moderne affectaient la paysannerie, et que ses luttes contre les propriétaires terriens et les autorités impliquaient une vision politique, une sorte de protestation correspondant au schéma de la lutte des classes. Marx était à cet égard plus averti. Pour lui, les paysans français n’étaient pas une classe, parce que l’«identité des intérêts » n’avait fait naître chez eux « ni communauté, ni lien national, ni organisation politique ». Etant arrivé à cette conclusion en 1850 avec le Dix Huit Brumaire de Louis Bonaparte, Marx ne voyait aucune raison de changer son jugement : il n’ajouta aucune note de bas de page à la seconde édition en 1869, pas plus que Engels pour la troisième en 1885… Tous deux en concluaient que la paysannerie, incapable de se représenter ou de fonctionner comme une classe, était « un agrégat de grandeurs homologues, comme des pommes de terre dans un sac forment un sac de pommes de terre. » (p,297)

     Comment ne pas souligner cette formule choc ?

    « Pendant la décennie de 1870, la crainte d’une restauration de l’Ancien Régime et de ses servitudes hanta les esprits de nombreux paysans. » (p,303)

         Le grand nombre de rapports officiels rassemblés par le Second Empire et la Troisième République montre que la politique continuait à être locale, et que la politique locale continuait à être personnelle. « Il n’y a pas à proprement parler de partis politiques, disait le sous-préfet de Mirecourt (Vosges) en 1869, il n’y a que des partis locaux. » Tout comme la paysannerie de la Sarthe décrite par Paul Bois, les paysans de toutes les régions où j’ai enquêté, des Vosges à la Bretagne, restaient indifférents à la politique nationale, et ne s’intéressaient qu’aux problèmes et aux personnalités locaux. »

       A la fin du siècle : « La politique, c’était l’affrontement de deux hommes… » (p,313)

     « Maurice Agulhon a soutenu que cette adaptation des thèmes étrangers était importante pendant la période de transition, quand les populations rurales, encore peu touchées par le monde extérieur, pouvaient être entrainées par des slogans idéologiques correspondant à des haines ou à des aspirations locales, et quand l’interaction de ces thèmes avec la tradition locale s’intégrait dans le processus d’acculturation. C’est vrai. Mais il est bon de rappeler que ce qu’Agulhon dit de la société villageoise avant 1848 est resté valable plus de 50 ans après dans une grande partie de la France, dans des régions où le processus d’acculturation restait incomplet, et c’est ce type de tour de passe- passe qui fut à l’œuvre pendant au moins cent ans. » (p,314)

     « Comment le nouveau langage de la politique était-il assimilé ? ou, pour le dire autrement, comment les masses politiques commencèrent-elles à agir comme si la politique n’était pas l’intérêt et l’apanage d’une petite minorité ?

       Nous pouvons affirmer sans crainte qu’elles n’apprirent ce langage en lisant. « Les paysans ne lisent pas la littérature électorale », rapportait le sous-préfet de Rochechouart (Haute Vienne) en 1857. De fait, ils ne lisaient pas grand-chose en général. L’opinion dans les collectivités traditionnelles, venait d’un consensus global, non de points de vue développés de manière privée. Fondée sur des relations personnelles, l’opinion était modelée par la parole, non par l’écrit. Qu’il s’agisse des années 1850, où les publications politiques furent librement distribuées dans les campagnes, ou des quarante années qui précédèrent 1914, la propagande resta principalement verbale… » (p,321)

      « Le langage politique des villes ne pouvait susciter une réaction positive que s’il était interprété et traduit en termes plus familiers.

      Le rôle des interprètes était donc crucial, ainsi que leur nombre, leur variété, et leur capacité à pénétrer dans les couches profondes de la société rurale. » (p,322)

    « L’ignorance rendait plus facile pour les politiciens et les « leaders » locaux de confondre et de manipuler les électeurs…

    Le secret du scrutin ne fut pas particulièrement bien préservé jusqu’en 1914, époque à laquelle on introduisit les isoloirs et les enveloppes pour déposer les bulletins. » (p,327)

    A partir de 1877 et de la Troisième République, la mairie, le véritable instrument de l’acculturation politique des Français :

     « Et la politique, depuis 1877 en tout cas, avait fait son apparition au village où le maire, en outre, n’était plus nommé d’en haut, mais élu par le conseil municipal, conseil dont les membres étaient eux-mêmes élus par tous les hommes âgés de plus de vingt et un ans. Pour Daniel Halévy, cette révolution des mairies, qui affectait la structure même de la société, constitua un événement plus important que les révolutions de 1830 et 1848, qui ne concernaient que l’Etat…. « C’est introduire la politique au village » exultait Gambetta. » (p,328)

    « La migration : une industrie de pauvres » (chapitre XVI, p,335)

    Avec le développement des moyens de communication, le travail d’alphabétisation des écoles, le début d’une certaine industrialisation conjuguée avec l’urbanisation, les migrations changèrent la physionomie du pays.

     « Dans le pays pris dans sa totalité, le pourcentage de la population née dans un département et vivant dans un autre, de 11,3% en 1861 et de 15% en 1881, passa à 19,6% en 1901. » (p,349)

      « Un autre type de migration : le service militaire » (chapitre XVII, page351)

     Il fallut attendre 1889, pour que le service militaire change de physionomie :    « Jusqu’en 1889, l’armée restait un épouvantail et les soldats étaient craints et tenus en suspicion jusque dans leurs propres communautés » (p,356)

   « En 1889, enfin, le service fut réduit à trois ans, la dispense de 1 500 francs fut abolie, et tous ceux qui avaient été exemptés auparavant (essentiellement les étudiants, les enseignants, les prêtres, les séminaristes et les fils ainés des familles nombreuses ou de celles dont le père étaient morts) durent servir un an sous les drapeaux. Cette mesure fut populaire. Ce fut le moment crucial à partir duquel tous les Français physiquement aptes commencèrent à faire leur service militaire ?. En 1905, la durée du service fut fixée à deux ans pour tous…. Mais la migration institutionnalisée et le brassage impliqué par le service militaire avaient commencé dans les années 1890. » (p,353)

      « En résumé, il n’y avait pas assez de sens de l’identité nationale pour atténuer cette hostilité à l’armée » (p,357)

      Le service militaire fut effectivement un instrument d’acculturation du pays, mais la diversité des langues restait un problème :

     « Ceci suggère que l’armée doit avoir été la dernière institution officielle à maintenir la pratique du bilinguisme : les officiers s’adressaient aux troupes en français et les sous-officiers servaient d’interprètes le cas échéant. » (p,359)

     L’auteur cite le cas de Lyautey, alors commandant, lorsqu’il prit la tête d’un escadron de cavalerie à Saint Germain en 1887,  qui découvrait les conditions de vie très médiocres qui étaient celles de la troupe, et auxquelles il s’efforça de porter remède.

      « Une sérieuse entreprise de civilisation : l’école et la scolarisation » (Chapitre XVIII, page 365))

      « L’école, et particulièrement l’école du village, gratuite et obligatoire, s’est vue attribuer le processus d’acculturation final qui a transformé les Français en Français – qui finalement les  a civilisés, comme aimaient le dire de nombreux éducateurs du XIX° siècle… Ce qui a rendu les lois de la République si efficaces, ce n’était pas simplement le fait qu’elles obligeaient tous les enfants à fréquenter l’école et leur accordaient le droit de le faire gratuitement. Ce furent les circonstances historiques qui rendirent les instituteurs et les écoles plus accessibles ; qui fournirent des routes grâce auxquelles les enfants pouvaient aller à l’école ; et que par-dessus tout, firent de l’école quelque chose de significatif et de profitable, une fois que sa fréquentation eut acquis un sens grâce au changement des valeurs et des perceptions.

       Mon but est de montrer dans ce chapitre le développement de la scolarisation dans ce contexte particulier, de montrer comment elle s’accorde avec les changements indiqués plus haut, et en quoi son succès fait partie d’un processus global. » (p, 366)

      « En 1876, près de 800 000 enfants sur un total de 4 500 000 d’âge scolaire, ne fréquentaient pas l’école. La plupart de ces enfants appartenaient à des communes rurales ; et bon nombre d’enfants officiellement enregistrés ne fréquentaient guère les classes. Il y avait là un problème persistant.

    Le grand changement suivant eut lieu dans les années 1880. Il se serait produit auparavant, si le ministre de l’Instruction, Victor Duruy, avait pu développer les plans élaborés en 1867. Mais ce ne fut pas le cas, et la plupart de ses initiatives restèrent à l’état de projets. D’où l’importance des réformes introduites par Jules Ferry. En 1881, toutes les écoles primaires publiques devinrent entièrement gratuites. En 1882, la fréquentation de l’école publique ou privée fut rendue obligatoire. » (p372)

      « L’une des raisons de la lenteur des progrès dans la lutte contre l’an alphabétisation – étrangement ignorée par les meilleures études sur le problème de l’éducation en France- était le fait que de nombreux adultes (et par conséquent leurs enfants) ne parlaient pas français…

      Le problème majeur rencontré par les écoles publiques des 8 381 communes non francophones – et dans une bonne mesure par les 29 129 où le français était soi-disant d’usage général – était le moyen d’enseigner le français à des enfants qui ne l’avaient jamais (ou à peine) entendu. » (p,374)

    « C’est seulement dans les années 1880, et plus probablement au tournant du siècle, que les efforts des années 1860 et 1870 donnèrent leurs fruits : produire une majorité d’adultes pour lesquels la langue nationale était familière.

     Dans les villages, toute personne essayant de parler français n’aurait pas échappé aux moqueries de ses voisins », expliquait un éducateur de la Loire en 1864. « Elle aurait été tournée en ridicule » Ce type de pression – ainsi que certains autres- doit être pris en considération. La présence, dans une famille ou dans un groupe, de gens ne parlant pas français contribuait à maintenir l’usage de la langue locale. Jacques Duclos était né en 1896. Ses parents connaissaient le français mais ne l’utilisaient pas à la maison, peut-être parce que la grand-mère ne le comprenait pas. Le petit garçon n’apprit le français qu’à l’école.

      Ainsi la transition devait-elle être nécessairement lente… »(p,375)

     « Le recteur Baudouin, de Rennes, dans son grand rapport de 1880 parlait de la nécessité de « franciser » la péninsule – particulièrement les trois départements de la Basse Bretagne- grâce à l’extension des écoles, qui seule pouvait « vraiment unir la péninsule au reste de la France et compléter l’annexion historique toujours prête à se dissoudre » (p,376)

     Avec en parallèle, la scolarisation des filles :

    « Il découle de tout cela que les lois scolaires de 1880 eurent un énorme impact sur l’alphabétisation et la scolarisation des filles – deux domaines où elles étaient restées jusque-là très en retard. Quand les résultats de cette politique se firent sentir dans les années 1890, le rôle culturel des femmes dans la famille changea brusquement et, avec lui, les attitudes vis-à-vis de la scolarisation et de l’usage du français. » (p,378)

    L’instituteur était devenu un personnage important, souvent plus que le curé ou le maire qui ne parlait pas toujours le français. Il n’en reste pas moins que l’état de la scolarisation souffrait encore de beaucoup d’imperfection selon la position géographique des villages, leur raccordement à un réseau de communication, et la pression qu’exerçaient les nécessités de l’activité agricole dans une France très majoritairement rurale.

    De plus, « L’école fut considérée comme inutile très longtemps, car ce qu’elle enseignait, avait fort peu à voir avec la vie locale et ses besoins. L’instituteur enseignait le système métrique alors que les toises, les cordes et les pouces étaient encore d’usage courant ; il comptait en francs, alors que les gens parlaient encore de louis et d’écus. Le français était de peu d’usage quand tout le monde parlait patois et que les annonces officielles étaient faites par un crieur public dans le parler local. » (p391)

      Les lois militaires furent également un facteur de francisation.

    « Nous en arrivons ici à la plus grande fonction de l’école moderne : non pas tant enseigner des savoir-faire utiles qu’un nouveau patriotisme dépassant les limites naturellement reconnues par les enseignés. Les révolutionnaires de 1789 avaient remplacé de vieux termes comme maître d’école, régent, recteur, etc., par le mot instituteur, parce que l’enseignant était censé instituer la nation. » (p,398)

     « Il n’y avait pas de meilleurs instruments d’endoctrinement et de conditionnement patriotique que l’histoire et la géographie françaises, et tout spécialement l’histoire qui, « correctement enseignée (est le seul moyen de maintenir le patriotisme dans les générations que nous éduquons. « (p,399)

     « Tout comme la langue maternelle n’était pas la langue de leurs mères, la patrie était quelque chose de plus (de fait, quelque chose d’autre) que le lieu où leurs pères vivaient. Il fallut un vaste programme d’endoctrinement pour persuader les gens que la patrie s’étendait au-delà de ses limites perceptibles et formait cette réalité immense et intangible appelée « France. » (p,400)

   L’auteur cite alors le rôle d’un livre scolaire dont le succès contribua beaucoup à la francisation du pays :

« En 1884, le Tour de France de Bruno, publié en 1877, avait été réimprimé 108 fois, et vers 1900, les ventes dépassaient huit millions d’exemplaires. Chaque enfant connaissait, lisait et relisait l’histoire des deux garçons alsaciens qui quittaient leur foyer après le décès de leur père pour répondre au vœu qu’il avait exprimé : qu’ils puissent être des Français. » (p,401)

      L’ensemble des extraits de textes que nous venons de citer brossent le portrait d’une France très différente de celle que l’on trouve couramment racontée dans nos livres, laquelle fait toujours la part trop belle au monde des villes, pour ne pas dire trop souvent au monde parisien.

    « Dieu est-il français ? » (Chapitre XIXème, page,407)

     « Vers le milieu des années 1870, 35 387 703 personnes, sur les 36 millions d’habitants de la France étaient considérés comme catholiques par les recensements officiels ;… Quelle que fut la signification globale de ce fait, cela voulait dire que l’Eglise était partie intégrante de la vie. » (p407)

      L’auteur cite maints exemples de l’emprise de l’Eglise sur la société de l’époque, une emprise qui n’était pas toujours d’une grande clarté évangélique, avec ce qu’il fallait de crédulité populaire, mais dont l’influence cédait progressivement du terrain.

  Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« La fin des terroirs » -Eugen Weber Première partie: « Les choses telles qu’elles étaient »

« La fin des terroirs » Eugen Weber

Première Partie

« Les choses telles qu’elles étaient »

           Je pourrais me contenter de donner l’intitulé des onze chapitres pour résumer l’état des lieux historique que l’auteur fait de la France du dix-neuvième siècle, et en particulier de la fin de ce siècle, celle qui a enchanté le discours idéologique de certains historiens et historiennes :

          « Un pays de sauvages » (1), « Les folles croyances » (2), « Le pied du roi » » (3), « Seul avec les siens » (4), « De la justice, Seigneur, délivrez-nous » (5, « Des langues à foison » (6), « La France, une et indivisible » (7), « Le travail de la terre » (8), « Le pain quotidien » (9), « De la « subsistance » à l’« habitat » (10), « La famille » (11).

          L’auteur décrit tout d’abord, « Un pays  de sauvages » (chapitre I, page 17), celui d’un « paysan non civilisé », et fait remarquer que paradoxalement notre ignorance procède entre autres : « L’une des raisons en est que les ethnographes et les anthropologues français (ils ne sont certes pas les seuls, mais ils ont suivi cette tendance peut-être plus que leurs collègues étrangers) ont récemment encore étudié avec zèle les peuples exotiques, mais grandement négligé le leur … Dans toute la masse d’études qui marque la fin du XIX° siècle et le début du XX° siècle, aucune ne dépasse l’horizon de Paris et de ce qui s’y déroule. Et cela sans aucune restriction, assuré que l’on est que les vues et les aspirations d’une petite minorité qui se prend pour l’ensemble du pays représentent réellement cet ensemble. » (p,23)

           A la page 27, l’auteur fait une remarque tout à fait intéressante sur la supposée lutte des classes qui aurait alors structuré la vie  politique, alors qu’il s’agissait plus d’une « hostilité compréhensible entre la ville et la paysannerie. » (p,27)» 

       « Tant de misère. Tant de peur. De menaces connues ou inconnues. Le connu était redoutable, et surtout les loups, les chiens enragés et les incendies. Les forêts étaient encore immenses et effrayantes vers le milieu du XIX°siècle. » (p,30)

        « Les folles croyances » (chapitre II, p,39)

       « Ne croyez pas aux sorcières, avertissait un manuel d’école primaire couramment employé en 1895… Les gens disent qu’ils peuvent voler ou nuire en prononçant certains mots, ceux qui prétendent connaitre l’avenir, sont des fous ou des voleurs. Ne croyez pas aux fantômes, aux spectres, aux esprits, aux apparitions…Ne vous imaginez pas que l’on peut éviter des dommages ou des accidents avec … des amulettes, des talismans, des fétiches, comme… les herbes cueillies à la veille de la Saint Jean. » « Si Ernest Lavisse mettait en garde contre de telles croyances, c’est qu’elles étaient largement répandues. Beaucoup étaient du même avis. » (p,39)

       « Pour toutes ces raisons, les vieux contes populaires avaient encore assez de force en 1906 pour effrayer le frère de Jacques Duclos qui, âgé de douze ans et croyant avoir vu quelque chose dans la cour au milieu des ténèbres, « rentra tremblant de peur pour se trouver mal aussitôt. » (p,41)

       Rassurez-vous il ne s’agissait pas du fantôme de Trotsky !

     « Le pied du roi »  (chapitre 3, p,46)

    « Une loi de 1837 avait fait du système métrique le seul système légal pour la mesure des terres… Les archives publiques et les transactions privées prouvent que les anciennes mesures survécurent et furent florissantes jusqu’au XX° siècle, surtout dans les régions les plus pauvres et les plus isolées, où la vie et le travail ne s‘intégraient que lentement au marché national . » (p47),

     « … journal,…hommée… bêchée…l’attelée… la bovée… la jouguée… la saumade… »

      Cette énorme diversité de mesures et de système est moins frappante que la persévérance, l’obstination pourrait-on dire, avec lesquelles l’administration ignorait leur existence… (p,48)

      «… Dans le Tarn, en 1893, Henri Baudrillard constata que le système décimal était à peine connu, l’hectare inconnu, et les mesures différentes d’une paroisse à l’autre… » (p49

     « Tout cela renvoyait en fait à la persistante autarcie de la campagne – à une vie d’autosuffisance qui voyait jusqu’aux environs de 1870, de nombreux paysans n’acheter que du fer et du sel, payer le reste en nature, et être payés de la même manière, économiser leur argent pour les impôts ou thésauriser pour acheter une terre.. « (p,53)

     « L’argent resta longtemps un bien rare… En 1874, les épargnants français n’avaient accès qu’à 1 142 guichets de caisse d’épargne, alors qu’à la même époque on en comptait 5 000 en Angleterre. » (p,55)

      « Ces diverses données laissent entendre que l’économie monétaire  parvint à triompher dans un certain nombre de régions en  l’espace d’une courte période qui se situe grosso modo dans le dernier tiers du XIX°siècle… Quel que soit l’indicateur auquel on a recours, les années 1880 et le quart de siècle suivant semblent constituer, dans ce domaine comme dans d’autres, la ligne de partage des eaux. » (p59)

     « Seul avec les siens »  (chapitre IV, p,61)

    « La survivance opiniâtre de l’autarcie locale et domestique est étroitement liée aux survivances que nous avons décrites dans le troisième chapitre ; et une fois de plus, la ligne de partage des eaux semble se situer dans les années 1880 ; …. Seuls des chemins de fer et des routes praticables pouvaient modifier cette situation. Comme nous le verrons, une grande partie de la France n’en avait pas encore dans les années 1880. Jusqu’à cette date, les villages et les hameaux de Savoie ou du Lot restèrent « inaccessibles, tournés sur eux-mêmes », et la mentalité crée par cet isolement persista bien au-delà… »(p,62)

     « L’isolement alimentait l’ignorance, l’indifférence, les rumeurs, qui se répandaient comme une trainée de poudre, à une vitesse qui tranchait avec l’assimilation très lente des événements ordinaires. » (p,64)

     « En Bretagne, les indigènes comme on les appelait encore sous la Troisième République, semblaient assez aimables, mais peu coopérants… »(p,66)

      Petit commentaire : les « Indigènes de la République » ont, comme on le voit, des références historiques !

       « C’est pourquoi, pendant très longtemps, la plupart des Français ne pensèrent pas à désigner la France comme leur « pays » – jusqu’au moment où ce qu’on leur enseignait viendrait coïncider avec l’expérience. » (p,66)

     « Toute personne venant de plus loin que le rayon familier de quinze ou vingt kilomètres, dit Guillaumin à propos des paysans des années 1930, était encore un « étranger »

     « De la justice, Seigneur, délivrez-nous » (chapitre V, p,73)

      Cette seule appellation suffit à décrire les rapports que la paysannerie entretenait avec la Justice.

     L’auteur note ;

     « Selon Jules Méline, il y avait près de 400 000 mendiants et vagabonds en 1905 (plus de 1% de la population totale). « Bataillons d’affamés qui font trembler tout le monde sur leur passage. » (p,89)

     « Des langues à foison » (chapitre VI, p, 93)

   « En 1863, selon des chiffres officiels, 8 381 communes sur un total de 37 510, ne parlaient pas français : près d’un quart de la population. » (p,93)

    « Dans plusieurs départements, les cours étaient donnés dans la langue locale pour que les élèves puissent les comprendre : c’était le cas dans les Alpes Maritimes, l’Ardèche, le Bas Rhin, les Basses Pyrénées, la Corse, les Côtes du Nord, le Finistère, le Haut Rhin, la Meurthe, le Morbihan, la Moselle et le Nord. » (p,95)

     La Troisième République découvrait ainsi une France où le français demeurait une langue étrangère pour la moitié de ses citoyens. » (p,96)

      « Apprendre le français au peuple c’était contribuer à le « civiliser », à l’intégrer dans un monde moderne supérieur. » (p,99)

         « En 1968, quand Antoine Prost publia son excellente histoire de l’éducation française, « L’Enseignement en France, 1800-1967 », nous cherchâmes en vain ne fût-ce qu’une allusion au problème dont les maîtres d’écoles se plaignirent tout le XIX° siècle, le fait que qu’une grande partie de leurs élèves ne parlaient pas (ou parlaient à peine le français.) » (p,100)

     Une dernière citation :

     « Et à l’Exposition de Paris de 1889, les organisateurs de l’une des attractions, le chemin de fer à voie étroite de Decauville, jugèrent bon d’imprimer leurs affiches et leurs annonces en breton et en provençal aussi bien qu’en français. » (p,103) »

        L’auteur note enfin que ce fut la guerre de 1914 qui accéléra cette mutation.

     « La France, une et indivisible » (chapitre VII, p,125)

       « A quel moment la France est-elle devenue « une » ? »

    « Personne, au XIX° siècle, n’a entrepris la moindre enquête d’envergure sur la conscience nationale et le patriotisme. Les discussions sur ce thème au début du XX° siècle se sont concentrées exclusivement sur des groupes urbains – généralement étudiants. » (p,130)

      Commentaire : n’est-il pas, plus curieux encore, que de nos jours, plus d’un siècle après, alors que nos sociétés sont pourvues de multiples moyens d’enquêtes statistiques de toute nature publique ou privée, que des historiens, des sociologues, des anthropologues, des journalistes, mettent en avant une « mémoire collective », ou « coloniale », jamais encore mesurées, la « guerre des mémoires » de Stora », les « lieux de mémoire » de Nora, pour quel public ?

      Il convient de remarquer une fois de plus que le collectif de chercheurs Blanchard and Co, avant de rédiger des pages et des pages pour affirmer que la France baignait dans une « culture coloniale » ou « impériale » , au choix, avaient au moins la possibilité avant l’ère des sondages (voir les références Ageron), d’examiner si leur hypothèse de travail était corroborée par l’analyse de la presse nationale et locale au cours des périodes historiques examinées, une analyse qui n’a pas été faite.

      « Même la guerre de 1870 n’a pas provoqué le sursaut général de patriotisme qu’on a prétendu. » (p,131)

     « En réalité, la plupart des gens semblent avoir considéré la guerre comme un événement nuisible dont la fin fut saluée avec soulagement. » (p,134)

    « Le seul événement historique, sans doute, qui servit de borne chronologique pour tous les Français de la fin du siècle était la Révolution. » (p,140)

  « Chaque année, rapportait Bodley peu avant 1914, il y a des recrues qui n’ont jamais entendu parler de la guerre franco-prussienne » de 1870. Il citait une enquête de 1901 dans laquelle en moyenne six hommes sur dix d’un escadron de cavalerie n’avaient jamais entendu parler de cette guerre. Une enquête semblable, menée parmi des recrues en 1906, révéla que 36% de ceux-ci « ignoraient que la France avait été vaincue en 1870 », et qu’à peine la moitié « avaient entendu parler de l’annexion de l’Alsace-Lorraine ». (p142)

     En résumé, à la fin du dix-neuvième siècle, et jusqu’à la première guerre mondiale, la France n’était ni « une », ni « indivisible ».

    « Le travail de la terre » (chapitre VIII, page 147)

     Un constat sur l’état de la France :

« Pendant tout le XIXème siècle, jusqu’aux premières décennies du XX ° siècle, les populations rurales et agricoles furent majoritaires en France. Tout le monde s’accorde là-dessus. » (p,147)

    « Michel-Augé-Laribé, qui a une connaissance approfondie de la condition agricole française, souligne qu’entre 1860 et 1880, les modes de vie et les méthodes des paysans des régions pauvres, « plus nombreuses qu’on ne le reconnait ordinairement », demeuraient encore très proches de l’âge de pierre. Voilà un jugement impressionnant, qui devrait prévenir contre la vision d’une France rurale en pleine modernisation pendant le Second Empire…Les changements réels, dans l’économie rurale, ne se produisirent qu’au cours des décennies suivantes. » (p,151)

     L’auteur estime que les vrais changements se situèrent entre 1894 et 1914.

   « Le pain quotidien » ( chapitre IX, page 165)

     Un chapitre dont le seul titre suffirait comme commentaire :

    « Dans la France rurale, la faim réelle n’a vraiment disparu (ou du moins, les mentalités ne se se sont vraiment accoutumées à sa disparition) qu’à l’aube du XX° siècle. » (p,165)

      Sucre, café, huile n’y firent leur apparition qu’à la fin du siècle.

     « De la « subsistance » à l’ « habitat » (chapitre X, page 185)

     Pendant tout  le siècle, et jusqu’en 1914,  l’hygiène, la propreté laissèrent beaucoup à désirer, la propreté corporelle tout autant que la propreté de l’habitat :

      « Vers 1914, dans des régions relativement avancées comme la Mayenne, on lavait le linge familial deux à quatre fois par an ; dans le Morbihan, on se contentait d’une fois… Si le nettoyage du linge était chose rare, la toilette personnelle restait-elle aussi une exception. » (p,187)

    « A quoi bon se laver ? Comme on dit en Saintonge : nous aut’pésants, jh’attrapons de bonnes suées, o nous nettie le corps. » (p, 188)

      « Dans les années 1890, le progrès semble se généraliser.. » (p,201)

« La famille » (chapitre XI, page 209)

     Quelques-unes des observations de l’auteur suffiront à caractériser la situation de la famille de cette époque, et notamment la condition « inférieure » des femmes.

     Village et famille constituèrent longtemps le noyau dur de la société.

      « La   formation des couples n’était pas du domaine privé » (p,209)

      « On épousait une famille et non une femme ou un homme » (p,210)

     « Les femmes mangeaient debout, servaient les hommes et finissaient leur repas plus tard en ce qui en restait. » (p,214)

       Cette situation changea très lentement :

     « Malheureusement, les vieilles habitudes qui régissaient la vie domestique, l’alimentation et l’éducation des enfants, prévalurent beaucoup plus longtemps qu’on ne l’avait espéré. Entre 1914 et 1918, les femmes des campagnes avaient certes acquis un sentiment nouveau d’autonomie et de confiance, grâce aux initiatives et responsabilités qu’elles étaient forcées de prendre, aux métiers qu’elles apprenaient à faire, aux pensions familiales qu’elles avaient à gérer. Et pourtant, en 1937, le directeur des services agricoles du Lot pouvait répondre à une enquête dans des termes qui reprenaient ceux du siècle précédent : « La femme conserve ses traditions et ses vertus domestiques qui se manifestent comme un esclavage librement consenti » (p,217)

    « Les hommes étaient condamnés au travail, les femmes vouées à la reproduction et traitées comme des bêtes de somme. » (p,218)

      L’auteur remarque qu’il faut toutefois se méfier des généralisations :

      « Une fois de plus, les généralisations n’ont par définition, d’autre valeur que générale. » (p225)

      « Mais la société rurale française de la fin du XIXème siècle n’était plus stable; elle devenait de moins en moins homogène. Chaque coup porté contre les détails de son organisation mettait de plus en plus le système tout entier à la merci de la modernité. » (p,236)

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« Sus aux élites » Frappat, la Croix des 19 et 20/11/16 – Ou je vote Juppé ! Pour son Prisunic !

Chronique de la « France d’en bas » et de « la France d’en haut »

« Sus aux élites » : La chronique de Bruno Frappat dans la Croix des 19 et 20 novembre 2016

Ou je vote Juppé ! Pour son Prisunic !

Questions d’un « plumitif » d’aventure à un « plumitif » professionnel ?

            Je réagis à nouveau sur une prise de position qui ne dit pas son nom pour au moins deux raisons essentielles : la première, comprendre comment  l’indirect politique fonctionne. Pour avoir beaucoup travaillé il y a longtemps sur l’indirect, les stratégies indirectes, celles qui cachent leurs jeux, quel que soit le domaine d’application, y compris politique ou médiatique, dans le sillage du célèbre stratège Sun Tzu ; la deuxième, mon expérience personnelle de la Chiraquie corrompue, à la Mairie de Paris, celle que j’ai tenté de décrire dans un de mes bouquins, « La méthode Chirac » – 1997) avec des intitulés de contenus qui éclairaient mes appréciations, le « système Chirac », (Chapitre 6) ou « La parole biaisée » de la Deuxième partie.

            Il est évident que le contenu des chroniques que je critique pourrait servir de nouveaux cas d’école de la manipulation médiatico-politique en faveur d’un des sept candidats de la primaire du dimanche 20 novembre.

         Je rappelle que le 12 novembre, à propos de la primaire de la droite, j’avais déjà jugé que la chronique de Monsieur Frappat n’était pas sérieuse, étant donné qu’à la suite d’un raisonnement spécieux, elle consistait  à se prononcer pour le candidat Juppé.

       Dans le journal la Croix des 19 et 20 novembre 2016, à la veille des primaires, le même ancien journaliste et directeur du Monde et ancien directeur de la Croix, deux journaux qui firent partie du « système » médiatico-politique »  de la chiraquie, a troussé une nouvelle chronique toujours aussi bien rédigée, intitulée  « Sus aux élites », et en remet une couche en faveur de son candidat préféré, avec une rubrique intitulée « Prisunic »

     «  Haro sur les premiers de la classe »… On ne va tout de même pas passer son temps à raconter sa vie et à protester du fait que pour être plumitif, on n’est pas moins homme, susceptible d’hospitalisation et de divers ennuis comme Juppé est susceptible de faire ses courses dans un supermarché innommable. »

      Question : une fois de plus, est-ce que Monsieur Frappat vote Juppé ? Oui, sans conteste, et je voudrais rappeler à ce sujet que pendant tout le règne de la Chiraquie corrompue, les deux journaux du Monde et de la Croix n’ont pas trop brillé, ni pris trop de risques, pour dénoncer les dérives du « système chiraquien ».

       Souhaitons que les Français et les Françaises aient la possibilité  de faire la distinction dans nos élites, entre celles qui mélangent les genres, les rôles, les fonctions, et celles qui continuent à penser que la France contient encore des élites qui méritent leur nom.

      En tout cas, et dans le même numéro, j’ai bien sûr préféré la lecture des deux pages consacrées à « Don Ernest Simoni, cardinal rouge sang »,… « ce prêtre inclassable qui a enduré pendant trente ans le régime de terreur communiste en Albanie… »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

L’enseignement de l’histoire coloniale en métropole et en Afrique : la pertinence historique des exemples cités par Sophie Dulucq dans son livre « Ecrire l’histoire coloniale de l’Afrique à l’époque coloniale »

            L’auteure aborde ce sujet au moins à deux reprises en examinant rapidement le cas de la métropole, et plus longuement celui de l’A.O.F

            Dans le premier cas, celui de la métropole, et sans citer le livre d’histoire Lavisse auquel l’historienne Coquery-Vidrovitch a fait un sort, de même, et plus largement encore, le collectif de chercheurs Blanchard, mais non démontré, comme je l’ai moi-même démontré dans mon livre « Supercherie coloniale », l’auteure s’inscrit dans le courant des chercheurs qui accréditent l’idée, et non le fait mesuré, que la France était sous l’influence de la propagande coloniale :

            « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la Plus grande France et celles de l’épanouissement d’une culture « impériale… » (page 209,210, note de source Blanchard et Lemaire)

            Elle note plus loin, mais de façon plus nuancée :

 « Une fois encore se pose la question délicate, en histoire de l’éducation, du décalage entre les instructions officielles, le contenu des manuels, les pratiques des enseignants et la réception des enseignements par les élèves. L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale » (p,223) (Note de renvoi Bancel)

           Pourquoi ne pas rassurer l’auteure, car le nombre de pages consacrées à « la Plus grande France » était très limité dans les petits livres d’histoire de Monsieur Lavisse ?

        Histoire de France Lavisse Cours Elémentaire 1930 10 et 9° : 182 pages, 24 chapitres, et dans le chapitre 22 « Les conquêtes de la France », 7 pages de la page 162 à 169

       Histoire de France Lavisse Cours Supérieur 1937, 408 pages, et dans le livre VI « L’époque contemporaine », une page et demie, pages 371 et 372

        Histoire de France Lavisse Cours moyen 2ème année (7°) certificat d’études, 1935, 343 pages, 35 chapitres, Chapitre XXXIII La Troisième République, page 318, page 319, deux photos, temple d’Angkor et campement de nomades dans le sud algérien, page 320 avec une carte de l’empire, plus 5 lignes à la page 321.

        Un test qu’il s’agirait naturellement d’effectuer de façon exhaustive.

      Quant à l’exposition continue des enfants aux images coloniales, il est possible d’en douter, alors que la France sortait à peine de la boucherie de la première guerre mondiale, et que toutes les familles du pays comptaient leurs morts ou blessés.

       Dans le cas de l’Afrique, l’auteure propose une analyse plus détaillée, mais qui concerne avant tout l’A.O.F :

     « Enseigner l’histoire dans les écoles africaines » (p,193)

      L’auteure relève: « C’est un aspect encore peu étudié par les historiens, qui mériterait des recherches plus approfondies. » (p,193)

    « Nos ancêtres les Africains » (p,193) (le lecteur aura sans doute été rassuré de ne pas trouver le cliché éculé de « nos ancêtres les Gaulois »)

     Sont alors décrits les efforts de l’administration coloniale pour développer l’enseignement de l’histoire, dès l’année 1903.

     « Il s’agit donc moins de familiariser les élèves avec l’histoire de France qu’avec l’histoire de la présence française en Afrique. Dès le rapport de Camille Guy en 1903, une idée est martelée par les pédagogues coloniaux : l’histoire de France n’est à envisager que du point de vue des « relations avec les différents pays de l’Afrique de l’Ouest », afin  de faire aimer la métropole et les Français et de faire comprendre les motivations des colonisateurs ».

    L’enseignement de l’histoire en 1903 dans une AOF créée de toute pièce huit ans plus tôt , non pacifiée ? Imaginez un peu ?

   Comment ne pas faire un petit rapprochement avec le travail des instituteurs de la Troisième République, et de leurs livres, dont l’ambition et aussi la réussite furent celles d’avoir aidé à la construction d’une nation qui n’existait pas encore à la fin du dix-neuvième siècle ?

     Plus loin, l’auteure évoque la publication « Le Tour de l’A.O.F par deux enfants », une initiative qui  ressemble étrangement à celle de Bruno avec son Tour de la France par deux enfants, deux initiatives parallèles qui connurent le succès.

     Cela dit, et quelques soient les interprétations historiques données à la scolarisation, il est évident que les effectifs des enfants scolarisés étaient faibles, qu’ils ne concernaient le plus souvent que les cités de la côte ou des chefs- lieux de l’hinterland, étant donné que la France, comme l’Angleterre, avaient décidé que le développement des colonies, et donc de l’A.O.F, et donc aussi de l’enseignement, devait être financé par les colonies elles-mêmes.

       Les choses changèrent complètement après 1945, avec la création du FIDES, mais en 1950, les taux de scolarisation étaient encore faibles : en Afrique occidentale, et pour une population scolarisable de 20% de la population, soit 3 millions d’enfants, 138 000 d’entre eux étaient scolarisés, soit 4,6%, dont 1,15% au titre de l’enseignement privé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

La crise policière ou les vrais sujets de la France !

La crise policière ou les vrais sujets de la France !

La Croix du 21/10/2016 : en première page, une photo avec un gros titre « La prison est une solution de facilité », et dans les pages 2 et 3 une interview du Garde des Sceaux.

            Le sujet est suffisamment important pour se poser la question de la qualité du diagnostic actuel que les pouvoirs publics, tout autant que les hommes et femmes politiques, de droite comme de gauche, posent de la même façon sur une crise policière qui, à mes yeux, est très grave.

            Leur diagnostic n’est pas bon.

            Remarquons tout d’abord que l’orientation des questions posées par les journalistes de La Croix et des réponses du ministre biaisent l’analyse de ce sujet sensible dès la première page, étant donné que le débat va porter sur certaines catégories de réponse judiciaire, prison ou non, peine alternative ou non, individualisation des peines, etc… avec en première page l’affirmation d’après laquelle « La prison est une  solution de facilité », solution de facilité ?

            Je serais tenté de dire que là n’est pas le sujet, pas plus que l’argumentation développée par le ministre sur les progrès à faire en matière de partage des informations entre le système judiciaire et le système  policier.

Une des réponses se trouve déjà dans les deux colonnes de la page 3 que le journal consacre au mouvement policier, et à ses raisons, lesquelles ne disparaîtront pas avec les bonnes paroles du ministre sur l’information partagée, sur la mise en œuvre d’une nouvelle politique judiciaire, sur une augmentation des moyens de la police, une meilleure considération, etc …

Mon attention a été particulièrement attirée par le propos beaucoup plus révélateur des causes de la crise actuelle que tous ceux qu’on entend sur le sujet, une sorte de bla-bla-bla, celui d’un responsable syndical Unité SGP FO :

« Si on laisse passer ce genre d’agression, cela va mal finir, c’est cela que l’on veut faire comprendre ».

Ce propos est tout à fait clair, et la question n’est pas de savoir si la prison, ou l’individualisation des peines sont de vrais sujets, mais si notre pays accepte, que dans certaines de nos villes, des bandes de casseurs agressent nos policiers avec des armes qu’il faut bien appeler des armes de guerre, notamment les cocktails Molotov.

Pour répondre à ce type de situation de caractère insurrectionnel, le Parlement et le gouvernement doivent mettre rapidement en œuvre un programme à plusieurs volets :

& – un volet sécuritaire avec la mise en place d’une chaine pénale spécialisée pour mettre fin à ce type de délit de type insurrectionnel, avec une réponse pénale immédiate, et le lancement d’un programme de retour à la paix civile des quartiers de nos villes qui abritent  ces bandes de casseurs, avec des opérations de contrôles d’identité, qu’appellent d’ailleurs leurs habitants,  car ils sont les premiers à souffrir de ces violences.

& – un volet social, culturel et économique, puissant, afin de rétablir la confiance de ces quartiers dans nos institutions républicaines, un volet dont j’ai déjà, à plusieurs reprises, esquissé le contenu sur ce blog :

Au-delà, et en complément des grands travaux de rénovation urbaine qui ont modifié ces dernières années la physionomie de beaucoup de ces quartiers, il est nécessaire de vivifier, ou de revivifier le tissu social et culturel de ces quartiers, en donnant à leurs habitants un maillage social et culturel qui leur permette de tenir la tête hors de l’eau.

& – un volet d’éducation destinée à une partie de la jeunesse de ces quartiers, qui, du fait du chômage, du désœuvrement, se livrent à des activités illicites.

Il est indispensable de revoir rapidement les dispositions de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs, qui n’est plus en adéquation avec la société actuelle, la maturité des mineurs, et leur façon de vivre.

& – un volet politique : comme je l’ai déjà proposé sur ce blog, il faut doter ces quartiers de conseils de quartier élus, dotés d’un budget d’actions de proximité, compétents pour gérer des équipements de proximité, et pour donner leur avis sur les projets de délibération des conseils municipaux dont ils relèvent.

Les vrais sujets de notre pays ne consistent pas à disserter sur les moyens de la police, sur la politique pénale actuelle, mais sur l’urgence qu’il y a, à éradiquer rapidement ces violences de type insurrectionnel, à ramener la paix civile dans tous nos quartiers, et enfin, car cela n’a que trop tardé, faire bénéficier leurs habitants, et en priorité leur jeunesse, d’un effort important de remise à niveau républicaine.

Jean Pierre Renaud

Le Poids « historique » des « Paroles »! Les harkis, La Croix, hommage aux croque-morts de l’histoire de France ?

Le poids « historique » des « Paroles » !

La Croix du 26 septembre 2016, page 11 :

« La France reconnait sa  responsabilité dans les « massacres » des harkis »

En hommage aux croque-morts de l’histoire de France ?

            La chronique rend compte de la décision qu’a prise le Président de reconnaître la responsabilité de la France dans le massacre des  harkis plus de cinquante ans après les accords d’Evian, mais quid de celles du FLN à la même époque ?

            Le journal publie sur ce sujet sensible le commentaire d’un professeur de sciences politiques, Monsieur Le Cour Grandmaison, « Paroles

            Une avancée qui reste limitée … »

            Seul petit problème, le professeur en question s’est illustré dans un récent passé par la publication d’un ouvrage pseudo-scientifique intitulé « Coloniser Exterminer », un ouvrage que les historiens Meynier et Vidal-Naquet  ont qualifié de « sottisier ».

            Dans cette gamme de références historiques vraies ou supposées, pourquoi ne pas avoir alors consulté l’ancien cadre du FLN de cette époque que fut M.Harbi, aujourd’hui historien, ou encore l’historien Jeanneney dont le père, était alors ambassadeur de France à Alger, lequel a sûrement laissé quelques mémoires sur le sujet ?

            Nous dirons plus tard un mot du livre de l’historien Guy Pervillé sur les accords d’Evian, un ouvrage dense et rigoureux qui aborde de façon précise cette question, en traitant de tous ses aspects, et notamment les responsabilités respectives de la France et de l’Algérie.

            Je rappellerai pour terminer, comme je l’ai déjà écrit ailleurs, qu’en 1962, je pris rendez-vous avec un camarade de promotion, alors membre du Cabinet du Général de Gaulle, pour lui faire part de mon entier désaccord sur la façon dont la France « gérait » le sort des harkis et moghaznis que nous avions abandonnés en Algérie.

Jean Pierre Renaud

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq- 2 – « Les voies étroites de la légitimité savante »

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

2

Les voies étroites de la légitimité savante

(c.1890-c.1930) (p,61- 84)

            A lire les pages consacrées à ce sujet, l’adjectif « étroites » parait tout à fait approprié, et j’y ajouterais volontiers l’autre adjectif de « peu convaincantes ».

           « La reconnaissance par les pairs de leur domaine de prédilection est la grande affaire des historiens coloniaux durant la période 1890-1930. Les spécialistes de la question déploient des efforts continus pour conquérir leur légitimité en dehors des sphères strictement coloniales et assurer à leur spécialité une place au sein  des instances savantes. Car si l’histoire des colonies a été laissée à des amateurs ou à quelques spécialistes en marge de l’université, c’est que longtemps, elle n’a pas permis d’envisager une  carrière au sein de l’Alma Mater. Or, à partir des années 1890-1900, ses promoteurs tentent d’occuper le terrain universitaire, de s’infiltrer dans diverses institutions – à la Sorbonne, à l’Ecole libre des Sciences politiques, aux Langues Orientales, à l’Ecole coloniale et dans ses classes préparatoires de lycée, et même au Collège de France » (p,61)

            Question : est-il possible chronologiquement, et compte tenu des situations coloniales de l’Afrique noire, de choisir comme point de départ l’année 1890 ? Je ne le pense pas.

           Plus loin, l’auteure intitule son texte :

         « Tisser les liens de la sociabilité politico-scientifique » (p,63)

         Puis, arrive au cœur du sujet :

       «  Des postes, des chaires, des institutions » (p,66)

      « … De la Sorbonne au Collège de France : au cœur du dispositif universitaire… (p,67)

        Oui, mais avec quels résultats, en comparaison du nombre de postes, de chaires dévolues aux autres disciplines historiques ? A la Sorbonne et dans les autres universités françaises ?

         L’auteure cite la création « politique » d’une chaire au Collège de France en 1921, alors que le Collège en comptait alors quarante, et y a recensé entre 1901 et 1939, 91 enseignants, dont sept d’entre eux avaient une relation avec le monde colonial, mais principalement celui de l’Afrique du nord.

          « … Dans le cas de la Sorbonne comme dans celui du Collège de France, l’introduction de l’histoire coloniale dans le saint des saints de l’Université s’est faite en force, avec toute la puissance de financement et de persuasion des milieux politico- coloniaux, et sans grand enthousiasme –c’est un euphémisme- de la part des prestigieuses institutions concernées. ..

          La prise plus ou moins durable des deux citadelles du Quartier Latin est cependant une étape importante dans la quête de légitimité de l’histoire coloniale en général, et indirectement de son sous-champ africain » (p,72)

             Un texte qui laisse un peu rêveur, compte tenu des expressions utilisées « en force », « sans grand enthousiasme – c’est un euphémisme – », « la prise plus ou moins durable des deux citadelles » 

         J’écrirais volontiers que l’histoire coloniale, en dépit de ces efforts, est restée à proprement parler un des « sous-champs » de l’histoire, et ce type de récit démontre, une fois de plus que contrairement à ce que certains chercheurs à la mode voudraient nous faire croire sur l’existence d’une France coloniale, elle n’avait pas beaucoup d’adeptes, même dans les universités.

        « Exister sur des scènes multiples » (p,72)

          L’auteure cite tout d’abord l’Ecole coloniale qui n’a véritablement existé qu’à la fin du siècle, mais dont on ne peut pas véritablement dire qu’elle a révolutionné la place de l’histoire coloniale, et les autres exemples cités non plus.

       « Une réussite en demi-teinte ? » (p80)

        Est-ce que l’appréciation ci-après répond à cet intitulé, ainsi que les textes qui suivent ?

      « La stratégie d’institutionnalisation et de légitimation savante s’avère en grande partie payante puisque dans les années 1930, le domaine dispose de revues, d’une chaire au Collège de France, d’un enseignement diffusé par de multiples canaux. Le temps est favorable à l’idée impériale et cette faveur rejaillit sur l’histoire qui rencontre une curiosité certaine, et donc des lecteurs potentiels. » (p,80)

       Une stratégie ? Vraiment ? Initiée par qui ?

      « Faveur » ? Alors que Lyautey, un des responsables de la grande exposition coloniale de 1931, déclarait qu’en définitive, elle n’avait pas changé grand-chose dans l’opinion publique ?

       D’autres «  initiés » semblaient partager cette analyse avec les termes que j’ai soulignés :

        « Mais si l’histoire coloniale semble avoir gagné une certaine reconnaissance scientifique dans les années 1920-1930, ce n’est pourtant pas le sentiment de ceux qui en sont les principaux protagonistes. Selon Georges Hardy dans Les éléments de l’histoire coloniale (1921), l’histoire des colonies souffre d’un statut subalterne : face à l’histoire de France, elle se trouve dans la même position périphérique que les colonies vis-à-vis de la métropole. Et Georges Hardy ne cesse de plaider pour l’existence autonome de l’histoire colonialece qui prouve que cela ne va guère de soi.

         Alors que la discipline historique s’est dans son ensemble professionnalisée, constituant une communauté formée dans les mêmes moules universitaires et se perçoit de façon idéalisée en position de coupure avec le monde civil – l’historien au-dessus des débats partisans -, l’ancrage de l’histoire coloniale dans le monde politique et dans celui des affaires lui confère une double image d’amateurisme et d’engagement militant. La dimension idéologique de l’histoire coloniale et ses liens consubstantiels avec le projet impérial lui valent la suspicion dans les milieux universitaires de l’époque de sa production. Comment concilier en effet ces deux exigences incompatibles : siéger dans les sphères éthérées de la Science et servir le projet impérial ? Or historiens et géographes coloniaux ne cessent de revendiquer la dimension utilitaire de leur spécialité» (p,81)

          Pourquoi ne pas retenir l’expression de « statut subalterne » accordé à l’histoire coloniale, en y ajoutant une des expressions utilisées plus loin, sa « relative marginalisation » ?

       « Enfin, la relative marginalisation  de l’histoire coloniale est à rapprocher de celle qui frappe la géographie coloniale à la même époque : elle tient pour une part au statut de l’histoire et de la géographie sous la III ème République. Ces deux disciplines occupent certes une place centrale dans la diffusion du message républicain et national, mais c’est la connaissance du passé et du territoire de la métropole qui importe avant tout : « Le monde colonial n’est pas oublié, mais se trouve dans une position seconde, une sorte de prolongement de la France au-delà des mers dont il importe de connaitre l’existence mais pas au même point que celle de la mère patrie » » (p,83)

          Une formulation gentillette, pour ne pas dire que la métropole, même dans ses instances reconnues comme scientifiques, n’était pas encore imprégnée d’une culture coloniale ou impériale, telles que les ont décrites certains chercheurs postcoloniaux atteints du mal bien connu et trop répandu d’anachronisme, ou de carence en méthodologie statistique, au point que les universités françaises aient alors considéré le domaine colonial comme un  domaine sérieux.

        Il ne s’agissait pas uniquement  dans le cas d’espèce de « tâtonnements épistémologiques » (p,84), mais du constat que les colonies comptaient en définitive assez peu dans la société lettrée de la Troisième République .

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Histoire ou politique? « Les têtes des résistants algériens… « Le Monde des 10 et 11 juillet 2016

Histoire ou politique ?

« Les têtes des résistants algériens n’ont rien à faire au Musée de l’homme »

Le Monde des 10 et et 11 juillet 2016, dans Débats & Analyses page 26
La signature :

 « Par COLLECTIF »  ( signatures de dix- neuf chercheurs ou intellectuels, dont dix historiens ou historiennes, avec la présence signalée de Mme Branche et de Messieurs Meynier et Stora))

&

Quel est le but poursuivi par ces intellectuels dans l’ambiance de la France des années 2015 et 2016 ? Faire parler d’eux ?

Qui en France, découvrant cette situation des siècles passés, qui donne l’occasion à ces intellectuels de manifester à nouveau leur « passion de l’histoire », s’opposerait vraiment à cette restitution ? Comme de beaucoup d’autres non signalées ?

&

            Ce texte qui rappelle un des épisodes sombres de la guerre de conquête de l’Algérie qui a duré près de cinquante ans, et il y en a eu beaucoup, est présenté sous un titre ambigu « Les têtes des résistants algériens » : les historiens signataires ne craignent-ils pas que certains de leurs lecteurs ou lectrices, ne mettent dans la même case historique des événements qui se situent les uns par rapport aux autres à plus d’un siècle et demi de distance ?

            L’histoire serait-elle à revisiter avec le concept de « résistance » des années 1939-1945 ?

            On ne fait sans doute pas mieux dans l’anachronisme.

            Les  auteurs de ce texte collectif se défendent à la fin de ce texte de vouloir « céder à un quelconque tropisme de « repentance » ou d’une supposée « guerre des mémoires, ce qui n’aurait aujourd’hui aucun sens. »

            Ils écrivent :

         « Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française »

            Je remercie les auteurs de cette proclamation d’avoir écrit « d’une supposée guerre des mémoires » dont un des signataires est l’un des plus ardents défenseurs : « supposée », oui, car elle n’a jamais été mesurée, en tout cas à ma connaissance, et en dépit de tous les sondages qui tombent chaque jour, sur n’importe quel sujet.

          « … l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française » ?

            Comment est-il possible de faire un  tel constat de corrélation entre la révolte de Zaatcha en 1849 et la France d’aujourd’hui, sauf à l’interpréter comme une énième tentative de manipulation politique ?

            Pour conclure provisoirement, je suis un peu surpris de voir autant de signatures qui ont ou qui ont eu, de près ou de loin, une relation avec l’Algérie, avec cette obsession de l’Algérie, qui à les lire, constituerait l’alpha et l’oméga de notre histoire.

            Les lecteurs les mieux informés connaissent bien l’efficacité médiatique de ces groupes d’intellectuels formés dans la matrice algérienne de l’anticolonialisme, notamment dans les colonnes du journal le Monde.

            La véritable question que pose une telle proclamation est celle du but poursuivi par ce collectif et par le journal Le Monde : s’agit-il, une fois de plus, et pour ce collectif, partie d’un « système » idéologique bien identifié, même s’il s’en défend, d’apporter une preuve datant d’un siècle et demi, afin de démontrer combien l’histoire de notre pays a été faite de noirceur, de violence et de crimes ?

            En misant peut-être sur le relais que les réseaux sociaux peuvent lui donner ?

          Si oui, il serait bien triste de voir un collectif d’intellectuels, dont beaucoup sont issus de la matrice algérienne citée plus haut, expliquer à nos jeunes enfants comment il est encore possible d’aimer la France, dans le contexte explosif du monde d’aujourd’hui, et des candidats au suicide de Daech.

            Ci-dessous le message que j’ai adressé au Courrier des lecteurs du Monde le 20 juillet dernier :

            « Bonjour, le collectif Blanchard and Co fait encore des siennes dans la nouvelle propagande postcoloniale, avec le concours d’un Stora, toujours en quête de médias, incapable jusqu’à présent d’avoir apporté la moindre preuve de sa « guerre des mémoires » 

        Toujours la matrice algérienne ! De l’histoire ou de la politique ?

        J’encourage vivement votre journal à organiser un concours international de têtes, à la condition toutefois de les situer historiquement et à chaque fois dans son contexte très précisément historique.

         Ce qui est sûr, c’est que ce genre de tribune pseudo-scientifique constitue un élément de plus de la contribution de ces belles âmes à la pacification des esprits dans le contexte historique « actuel » avec les décapitations de Daech, pour ne pas évoquer celles encore récentes d’Algérie ».

        Jean Pierre Renaud

            Post Scriptum : puis-ajouter que dans la liste des signataires figure un très honorable historien, Gilbert Meynier qui, avec le concours de M.Vidal-Nacquet fit un sort justifié au livre d’un autre signataire du même appel aux « crânes », Olivier La Cour Grandmaison, livre intitulé « Coloniser Exterminer » ?

        A lire cette analyse très fouillée sur le blog « Etudes Coloniales « du 10 mai 2006 !

       Un seul petit extrait :

       « A le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu de réflexion et de synthèse historique » … « En histoire, il est dangereux de tout mélanger. »… « On ne s’étonnera pas qu’OLCG se voie probablement en historien d’une espèce en voie d’apparition, dont le manifeste inscrit son auteur « contre l’enfermement chronologique et disciplinaire (p,22 »

           « En fait, il surfe sur une vague médiatique, avec pour fonds de commerce des humains désemparés et peu portée à l’analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu’il ne s’appuie sur les travaux d’historiens confirmés »

A ranger dans la catégorie des intellectuels fossoyeurs de notre histoire de France !

Y-a-t-il un islam de France ?

     Petit rappel :

            Les 19/10/2012 et 5/11/2012,  j’ai proposé une lecture critique du livre intitulé « L’islam à la française Enquête » par John R.Bowen, de laquelle il résultait que la situation de l’Islam de France était on ne peut plus compliquée, compte tenu des courants qui s’y manifestaient, du rôle qu’y tenaient les réseaux sociaux, et aussi l’étranger.

            L’auteur y livrait les résultats de son enquête sur un islam foisonnant, autant déroutant qu’anarchique, qu’il s’agisse des « savants » interrogés, des mosquées « tournées vers l’extérieur », des écoles, des discours, en même temps qu’il tentait d’examiner les concordances qui pouvaient exister entre cette religion et nos institutions républicaines laïques.

        Dans le chapitre 6, l’auteur posait la question : « Une école islamique peut-elle être républicaine ? »

         Les conclusions de ma lecture étaient plutôt nuancées, et c’est le moins qu’on puisse dire.

           Je terminais en observant que mon analyse supposait à la fois qu’elle soit représentative du contenu de l’enquête et des réalités de l’islam à la française, tout en relevant que toute évolution de la problématique décrite supposait que l’islam actuel ne s’inscrive plus dans les Pensées d’un Pascal qui posait la question du djihad et dans un discours quasiment magique entre le dar es salam et le dar es harb, celui des mécréants.

           Il se trouve que de nos jours, Daech prône une extrême violence contre tous les mécréants qui ne respectent pas sa lecture du Coran.

            Beaucoup feignent d’ignorer, sauf dans certaines agglomérations, que nombre de français et de françaises n’avait pas conscience de l’importance de l’islam dans notre pays, en corrélation avec les immigrations des trente dernières années, une montée qu’ils ont découverte progressivement à travers ce qu’il faut peut-être appeler le prosélytisme d’une partie de ces communautés à l’école ou dans la rue, avec la multiplication de signes extérieurs de cette nouvelle religion.

         Les menaces de Daech, les attentats, la barbarie de cette forme d’islam radical, ont précipité la prise de conscience de la communauté nationale, alors que notre « establishment » politico- culturel parisien feint de découvrir cette irruption du religieux dans une société qui, grâce à la loi de 1905 sur la laïcité, avait réussi à ne pas mélanger le civil et le religieux.

         Pourquoi ce faire-semblant de la découverte d’un phénomène dont la plupart des formes était connue depuis longtemps, notamment par la plupart des membres de cet « establishment » ?

         Comment ne pas mieux faire le point de la question dans notre pays qu’en reproduisant in extenso une interview fort intéressante parue dans le journal Ouest-France du 5 août 2016, page 4, intitulée

            «  L’Etat a sous-traité la question de l’islam»

               Professeur au CHU d’Angers, ancien conseiller municipal, le cosignataire d’une tribune Abdel-Rahmène Azzouzi estime qu’il existe un lien entre l’absence d’un islam de France et les attentats :

         Pourquoi vous avez cosigné une tribune avec quarante autres personnalités françaises musulmanes dans le Journal du dimanche ?

      Nous avons été des témoins privilégiés de cette descente aux enfers. Depuis trente ans, le musulman que je suis et qui dérange essaie d’éviter la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Trente ans que l’on prêche dans le désert.

      Vous mettez en cause l’organisation actuelle de l’islam en France ?

      La question du culte musulman par l’Etat français est depuis quarante ans, un fiasco total. Il a placé la communauté musulmane dans une sorte d’Etat d’exception. La laïcité ne nous est pas appliquée. Je vais faire de la provocation : puisque celle-ci ne nous concerne pas, pourquoi le musulman ne ferait pas sa prière dans la rue, à l’hôpital, ne mettrait pas de niqab, n’exigerait pas du hallal à la cantine ?

       En quoi l’Etat français est-il responsable ?

       Il a sous-traité la question de l’islam, accepté l’ingérence des Marocains et des Algériens dans le culte français. Il a soumis les musulmans à leur pays d’origine. Dans une ambiance postcoloniale, ce système pouvait avoir du sens : les gens n’étaient pas venus pour rester. Seulement, aujourd’hui 75% des musulmans de France sont nés en France. et c’est là que l’Etat porte une responsabilité majeure ; il a rejeté l’idée d’un  islam de France et voulu des musulmans dociles. Il a aujourd’hui Daech. Avec leurs imposteurs, qui n’ont rien de musulmans.

      Que faire ?

       Plus une seule âme étrangère dans le culte musulman : tolérance zéro chez les dirigeants et les imams. Arrêtons aussi ce discours hostile, qui s’est installé de manière insidieuse, à l’égard de l’islam de France. Les musulmans ne sont pas les paillassons de la République.

        Quelle solution pour éviter que les mosquées ne soient financées par des fonds étrangers ? Je ne demande pas que l’Etat finance les cultes, il ne le faut pas. Mais à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Il suffirait de mettre en place une commission ad hoc avec des experts pour contrôler les projets, leur taille, leur coût. Et gérer un fonds créé dans ce but. Un peu comme une banque. Après, aux Francais musulmans de rembourser jusqu’au dernier centime.

Recueilli par Nathalie Hamon

http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/angers-pr-azzouzi-letat-sous-traite-la-question-de-lislam-4402737

          Dont acte ! Une solution de redressement est proposée.

         Je ne suis pas du tout sûr, mais pas du tout, que la désignation à la tête d’une Fondation, d’un cacique politique de cet « establishment » qui se veut « innocent », alors qu’il a gouverné la France tout au long des trente et quarante dernières années, soit la meilleure des solutions.

        Sortons des sentiers battus !

        Jean Pierre Renaud