« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique: deuxième partie fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Deuxième Partie (pages 103 à 223)

II

 Suite

             Le contenu du chapitre XI « Servitude volontaire ou silence contraint des intellectuels ? » (p,187) est très intéressant parce qu’il met le doigt sur un des aspects souvent ignorés des relations, pour ne pas dire les complicités, les connivences, entre intellectuels français et intellectuels maghrébins,  entretenant des réseaux d’influence plus facilement dans l’ancienne métropole que dans leur propre pays, comme ce fut déjà le cas avant les indépendances.

       Je serais tenté de dire que ces réseaux transfrontières d’intellectuels ont toujours eu plus d’influence dans notre pays que dans les anciens ou nouveaux territoires   sortis de la mouvance française.

      « Le rôle des intellectuels marxistes et coopérants européens » (p,189)

       « Après les indépendances, une nouvelle  génération de jeunes intellectuels européens s’engage au service des nouveaux Etats, directement ou par le biais de la coopération. Le catholicisme et le communisme sont deux viviers d’engagement pointés par Catherine Simon dans son livre sur les pieds-rouges d’Algérie, mais c’est identique en Afrique. Dans le monde arabo-berbère, la connexion entre marxistes s’opère avec le intellectuels restés sur place), tandis qu’en Afrique, la jonction passe par les missions, écoles et dispensaires religieux répartis sur de vastes territoires, agents essentiels et à leur insu de la francophonie. » (p190)

        L’auteur donne la liste des intellectuels marqués par leur engagement : Pierre Bourdieu, René Gallissot, Annie Rey-Goldzeiger, Monique Gadant, l’agronome Paul Pascon à Rabat, André Nouchi àTunis, etc..

         « Les marxistes ne sont pas seuls au Maghreb, où travaillent ardemment jésuites et Pères blancs, le père Gilbert Grandguillaume à Alger. Cette coopération de jeunes professeurs chrétiens est plus fréquente en Afrique, où vivent Jean-Pierre Chrétien, Henri Médard, Claude-Hélène Perrot. « (p,190)

        L’auteur décrit « Le difficile compagnonnage avec les régimes autoritaires » (p,191), un compagnonnage qui s’est bien  souvent très mal passé et conclus par un échec.

          L’auteur intitule un de ses paragraphes « La répression » (p,199), et cite la répression de Kénitra au Maroc, le cas de plusieurs ressortissants algériens ou marocains : « Mohammed Harbi, idéologue marxiste de la révolution algérienne, ou l’ingénieur centralien Anis Balafrej, fils  du Premier Ministre , sont torturés comme des inconnus… Mohammed Harbi s’évade et s’exile en 1973. » (p,199)

      Comme chacun sait, Monsieur Harbi a déroulé une belle carrière dans un pays qui fit la guerre au FLN dont il fut un cadre influent, et ce n’est pas la moindre surprise de ceux qui tentent de comprendre l’histoire de l’Algérie.

       Le chapitre XII évoque l’évolution du monde arabe et musulman, « Les espérances du « printemps arabe Un monde à reconstruire », la fausse interprétation qu’en font les gouvernements occidentaux, la corruption et la duplicité de certains de nos partenaires, le cas de la chaine Al-Jazira, « la chaine d’information du Qatar, soutien du mouvement international des Frères musulmans. » (p,204

        Comme le note l’auteur, c’est en Tunisie que le mouvement de dominos a démarré : « Pour la première fois depuis la guerre, on a voté librement en Tunisie (23 octobre 2011), en Egypte, et même en Libye. Ce n’est pas la démocratie, mais une de ses conditions.

       Le contenu de ce chapitre est tout à fait intéressant parce qu’il éclaire la grand ambigüité de notre politique étrangère à l’égard des pays arabes et musulmans :

        « Les pays qui soutiennent les Frères, la Qatar, sa chaîne Al6Jazira et ses capitaux, la Turquie d’Erdogan, ses capitaux et ses armes, rêvant à un ottomanisme frèriste, ou les Wahhabites d’Arabie Saoudite et leurs pétrodollars, saisissent l’occasion de se débarrasser du nationalisme arabe et de ses avatars bassistes et militaires qu’ils ont toujours détesté. »(p,208)

       « Il faut une franche dose d’optimisme et d’occultation pour affirmer en 2015 que l’islamisme décline. » (p,211)

      Les pages que l’auteur consacre à la politique française (p,214 et suivantes) illustrent l’aveuglement de nos gouvernements pour ne pas dire l’ignorance, ou l’incompétence, ou pour user d’une expression modérée de l’auteur,  la « lisibilité » :

       « La lisibilité de ces événements et de la politique française dest difficile. »(p,216)

       L’auteur cite quelques noms de Français ou de Françaises qui jouèrent un rôle ambigu dans ce jeu biaisé des connivences, Bernard-Henri Lévy, Antoine Sfeir, Michèle Alliot-Marie, ou Delanoë.

     La France de Sarkozy se serait-elle engagée dans cette affaire idiote de Libye sans le rôle médiatique de BHL ?

      Et en finale de ce chapitre :

     « Indifférence et ignorance prospèrent. Après la chute de Morsi et de Marzouki, le Maghreb et la Tunisie replongent dans le silence pré-révolution, sauf événement spectaculaires, et souvent terroristes. La remise d’un doctorat honoris causa en avril 2015 au président tunisien Béji Caïd Essebi à l’Université de Paris Sorbonne est brièvement évoquée. Mais qui s’en soucie vraiment à Paris ? Qui  s’intéresse à la construction d’une démocratie ? A Paris aussi, ce sont principalement les affaires et les relations économiques qui priment. » (p219)

         Je serais tenté de conclure : n’est-ce pas trop demander à notre pays ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Comme annoncé, je me propose de publier successivement cette lecture, en fonction des capacités techniques du site. (Tous droits réservés)

&

            Il s’agit d’un livre fort intéressant pour le lecteur curieux de mieux connaître le processus de la décolonisation française et de ses résultats.

            Cette lecture avait à mes yeux d’autant plus d’intérêt que dans les années 1950, j’avais vu fonctionner le Togo « colonial », que je fus un des acteurs de terrain de la guerre d’Algérie, une guerre dite de décolonisation, et qu’en 1961, il m’avait été donné de voir fonctionner un Madagascar devenu indépendant.

            A mes yeux, ces trois territoires n’étaient pas la France.

            L’ouvrage, riche en analyses et en éclairages sur une période qui va de 1960 aux années 2000, soulève de multiples questions sur les problématiques décrites et les constats historiques proposés par l’auteur.

            Avant d’aller plus loin, attardons-nous quelques instants sur l’introduction et sur une des questions capitales, à savoir le rôle que les élites ont joué dans les processus décrits, qu’elles soient du Nord ou du Sud, je cite en soulignant les quelques mots clés qui éclairent ce type d’analyse:

        « les élites du Nord n’ont jamais regardé en face les sociétés du Sud, leurs impasses et les mensonges sur la décolonisation sans les peuples…. La culpabilité postcoloniale a aggravé la situation du Sud.

            Pendant que des millions, et bientôt des milliards d’hommes vivaient sous le joug des dictatures du Sud, les élites du Nord, consciemment ou  inconsciemment, ont masqué à leurs opinions publiques la situation des décolonisés, comme elles l’avaient fait à l’époque coloniale. La colonisation avait été l’affaire des chefs politiques, économiques et militaires, pour laquelle les peuples d’Europe étaient tenus d’acquiescer, voire de s’enthousiasmer. Sans transition, la décolonisation et le néocolonialisme, par le truchement des élites amies du Sud, a emprunté une voie analogue. Les sociétés du Sud et du Nord ont poursuivi leurs trajectoires parallèles …, jusqu’à cet improbable « printemps arabe » de 2012, qui a permis d’entendre pour une fois, la voix du Sud. Attachons-nous à suivre les méandres et la mécanique de ces événements. » (p,12,13)

            Afin d’éclairer ma première remarque, je continuerai à citer : Chapitre IV « Sous le couvercle de la guerre froide » « Sans que l’opinion française ne le réalise vraiment, les conflits de décolonisation sont devenus des conflits de guerre froide. »  (p,63)

            Enfin une dernière citation complémentaire à la fin du livre :               « Conclusion Le legs singulier de la France coloniale » « L’échec des décolonisations françaises est-il singulier ? Faut-il le comparer à la destinée des colonies anglaises. Sans doute. Il n’y a pas d’équivalent de l’Inde, même sur une étendue moindre… « (p,321)… L’empire colonial  a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales, puis républicaines, ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire (troupes coloniales en 1914-1918 et 1939-1945, guerre d’Algérie, et migrations) … la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien leur en dire. » (p,323)

Je partage ces conclusions, et je continue à penser que les livres qu’une certaine « histoire postcoloniale » a publiés sur la soi-disant culture coloniale ou impériale de la France manquent complètement de pertinence scientifique, comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale » : il s’agit d’une des formes les plus insidieuses d’une nouvelle propagande postcoloniale.

Je ne suis pas sûr qu’il soit possible de mettre sur le même plan les élites des régimes politiques qui se sont succédé dans notre pays, de même qu’il soit possible de mettre sur le même plan  les processus de décolonisation anglais et français, compte tenu de leurs situations coloniales respectives, sur tous les plans, mais je partage l’appréciation que porte l’auteur sur le rôle des élites, des gouvernements, de l’opinion publique, aussi bien dans la colonisation que dans la décolonisation : j’ai écrit ailleurs à de multiples reprises que la France, c’est-à-dire le peuple français n’a jamais été colonial, n’avait eu la fibre coloniale, et que ce fut à l’occasion de la guerre d’Algérie, et de la mobilisation du contingent, que le peuple fut confronté aux réalités coloniales, le constat que fait l’auteur à la page 323.

            En France, il s’agissait plus d’un groupe de pression colonial, un lobby colonial, avec plusieurs composantes politiques, militaires, économiques, et religieuses, que de l’élite métropolitaine à proprement parler.

        A plusieurs reprises, et par ailleurs, l’auteur relève que l’opinion  publique n’a jamais été vraiment concernée par la question coloniale :

      « Vus de métropole, les événements qui se déroulent dans les colonies parviennent de manière atténuée, la censure le disputant au désintérêt. » (p23)

      Comment ne pas dire à nouveau, que l’histoire postcoloniale supposée non « servile » n’a jamais à ma connaissance pris la peine de « mesurer » en espace et en contenu la presse de l’époque coloniale pour nous dire ce qu’il en était véritablement de la culture coloniale des Français.

      Les trois sujets d’histoire coloniale évoqués, les élites, la presse, l’opinion publique souffrent à mon avis d’une grande carence de recherche historique pertinente, une carence qui encourage toutes les manipulations, souvent idéologiques, de certains chercheurs postcoloniaux.

            Avant d’aller plus loin, et après avoir lu ce livre et d’autres livres sur le sujet est-ce que la vraie question que posait la décolonisation, en tout cas en Afrique noire française, parce qu’il en était différemment en Asie, n’était pas, que compte tenu des structures physiques et humaines de tous ces territoires, religieuses, culturelles, et linguistiques, le patchwork humain qu’ils présentaient face à un niveau des ressources faibles ou difficiles à mettre en œuvre, le challenge d’une décolonisation heureuse était chose impossible.

            Le lecteur constatera à la fin de mon exercice pourquoi je ne partage pas toutes les analyses du dossier des décolonisations.

            L’ouvrage comprend trois parties :

  1. Le fiasco des décolonisations (p,1 à 105)
  2. Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites (p, 105 à 223)
  3. La France, les Français et leurs anciennes colonies (p,223 à 321)

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » – « Le fiasco des décolonisations » -Pierre Vermeren Première Partie

Le choc des décolonisations

Première Partie

I « Le fiasco des décolonisations » (p,15)

          L’auteur brosse l’évolution historique de la décolonisation des anciennes colonies françaises et conclut au fiasco, pourquoi pas ?

          Mais pouvait-il en être autrement en Afrique noire, compte tenu de l’état de l’ensemble de ses structures en 1960, comme évoqué plus haut ?

       Tout tourne en effet autour du diagnostic qu’il était alors possible de porter sur la situation de ces pays, leurs situations coloniales, sujet sur lequel j’ai publié quelques chroniques.

        Il m’est arrivé de citer les analyses du géographe Richard-Molard sur une  Afrique de l’Ouest qu’il connaissait, son immensité, sa diversité, son éparpillement humain, une sorte d’anarchie qui ne disait pas son nom.

     La France mit en place une sorte de superstructure bureaucratique, artificielle, un Etat colonial, qui ne tenait pas bien compte des réalités ethniques, et qui ne pouvait en tenir compte, mais était-il possible de faire autrement ?

     D’où « La balkanisation de l’Afrique française » (p,48) et ses dérives à partir des années 1960 :

     « La colonisation a vécu, discrètement poussée par une France qui veut tourner la page, et se débarrasser de la question coloniale à l’ONU. Mais ses dirigeants comptent bien garder une marge de manœuvre et de puissance au sein de chaque territoire. En Afrique, les utopies fédéralistes se sont évaporées face aux séductions de l’Etat-nation et des privilèges qu’il confère (gouvernement, palais et ministères, limousines et indemnités, capitale, représentations diplomatiques et onusienne, aide internationale…) Partout, l’heure est à la construction de l’Etat et de sa bureaucratie militaro-administrative. » (p,49)

         Il est évident que, faute pour ce type d’Etat de pouvoir s’adosser à une structure de cohésion religieuse, idéologique, ou monarchique, à un vécu collectif fait de croyances et de mythes communs, le potentiel de dérives autoritaires ou dictatoriales, favorisé par la mosaïque de ses peuples, était élevé.

       L’auteur montre bien comment ce type d’adossement a  pu fonctionner au Maroc, et je continue à penser qu’il aurait pu en être aussi ainsi avec la monarchie malgache et l’empire d’Annam, faute pour la France d’avoir, toujours et partout, voulu répéter son modèle centralisé de gouvernance.

      Rappelons par ailleurs que jusqu’en 1945, la politique coloniale de l’avant FIDES était fondée sur le principe de l’autofinancement colonial, comme celle des Anglais, et qu’en 1960, le nombre des acculturés, c’est-à-dire celui des élites locales, était très faible.

      Les Etats coloniaux ne constituaient pas ce qu’on appelait des Etats-nations, compte tenu de la faiblesse des facteurs de cohésion religieuse et culturelle, économique et  sociale, pour autant d’ailleurs que l’Europe, l’Asie, les Amériques ou l’Union Soviétique puissent exhiber de leur côté ce type d’Etat.

      Comparativement, est-il possible de donner la date à laquelle la France elle-même devint un véritable Etat Nation ?

     « L’armée, pilier de l’Etat postcolonial » (p, 58)

      Le « modèle colonial » ?

     « Car au-delà de l’aspect institutionnel, le modèle colonial s’impose dans les têtes et dans les corps. L’armée incarne l’autorité et la souveraineté dont se réclame le nouvel Etat indépendant…. L’aspect mimétique est majeur dans cet avènement, car l’adoption du modèle militaire se fait toujours sur le mode l’armée coloniale (formation, uniforme, grade, commandement, armement…. L’«interopérabilité » reste la norme avec l’ancienne armée coloniale. » (p,59)

« …le modèle colonial s’impose dans les têtes et dans les corps » ? C’est peut-être beaucoup dire ! Faute d’autre chose !

       Peu de temps après les indépendances, les élites de ces nouveaux Etats mirent leurs pays sous le régime du parti unique, même au Sénégal, avec Senghor, un catholique, alors que le Sénégal vivait sous l’ombrelle de cohésion religieuse de la Confrérie des Mourides. L’auteur écrit : « Chef d’un régime présidentiel à poigne, nous verrons que Senghor demeure un chef d’Etat atypique » : j’ajouterais dans une situation postcoloniale et ancienne situation coloniale également atypique, l’ancienneté de la colonisation, l’existence des quatre communes de plein exercice, une bureaucratie puissante, celle de l’ancienne AOF, un Etat relié au monde extérieur, etc… (p,55)

      L’auteur note plus loin ; « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide… un cas unique dans le pré carré » (p,75)

       Le Sénégal n’est pas représentatif des autres Etats d’Afrique noire.

      Les partis uniques s’adossèrent d’abord aux syndicats qui constituaient, lors de l’indépendance, une des rares structures socio-écomico-politiques de niveau national.

       L’auteur évoque des situations coloniales différentes de celles de l’Afrique noire, celles du Maghreb, hors Algérie, où l’évolution put s’appuyer sur d’autres points d’appui que les syndicats ou l’armée, notamment au Maroc, que l’auteur connait bien.

       Face à ces partis uniques d’abord à base syndicale, l’armée constituait le seul contre-pouvoir, et ce sont les élites militaires qui s’emparèrent rapidement du pouvoir, dans un contexte de guerre froide (Chapitre IV « Sous le couvercle de la guerre froide » (p,63) , de la Françafrique (« Naissance de la France-Afrique ou Françafrique » (p, 68)…le bras armé d’Elf Aquitaine (arrosant les partis politiques), d’un clientélisme socio-culturel très prégnant en Afrique, le tout débouchant avec Mitterrand sur les mirages de la Conférence de la Baule (1990). (Chapitre V Depuis La Baule, liberté des élites, silence et violence pour les peuples. (p,83) « Est-ce un faux semblant ou un tournant ? (p,84)… « Un quart de siècle après La Baule, la marche forcée vers la démocratie n’a pas eu lieu. » (p,84)

     L’auteur note à propos des dérives de la Françafrique : « Cet aspect financier est essentiel dans le discrédit de la Françafrique depuis la fin de la guerre. » (p,72)… le Gabon « pivot des intérêts mafieux » (p,73)

     Un de mes vieux camarades de promotion, bon connaisseur des relations entretenues à cette époque entre la France et ses anciennes colonies, me faisait récemment remarquer qu’il y a eu, historiquement, plusieurs formes de Françafrique.

    A la page 63, l’auteur écrit :

     « Sans que l’opinion française ne le réalise vraiment, les conflits de décolonisation de la France sont devenu des conflits de guerre froide…. Puis l’Algérie devient à son tour un conflit secondaire de guerre froide, surtout après Suez en 1956, même si les choses sont indirectes… Pour les officiers français de retour d’Indochine après Diên Biên Phu, le FLN est une organisation « communiste. » (p,63,64)

     L’auteur cite le rôle de la stratégie contre-insurrectionnelle alors mise en œuvre, et souligne le rôle de l’officier David Galula dans la définition de ce type de stratégie. Comme je l’ai écrit ailleurs sur ce blog, 1) le capitaine Galula n’a jamais servi en Indochine, mais il fréquenta le continent chinois pendant plusieurs années, les premières années de la révolution communiste, 2) Galula n’a pas été un des concepteurs les plus importants de cette doctrine, et le mérite qui lui est attribué est sans doute dû au fait que son épouse fut une journaliste américaine bien  introduite.

      « Jusqu’en 1989, l’ancien empire colonial est un des champs clos de la guerre froide » (p,64)

       « La France devient le premier acteur de la guerre froide en Afrique ».(p,66)

        La description de cette évolution aurait été encore plus intéressante avec une comparaison avec la décolonisation britannique, ou d’autres, qu’il serait difficile de qualifier de décolonisation heureuse, voir la guerre de Malaisie, le désastre de la séparation de l’Inde musulmane de l’Inde hindouiste, l’apartheid de l’Afrique du Sud…

      L’auteur consacre de bonnes pages aux suites de la guerre d’Algérie : « Le brutal désengagement de la France en Algérie » (le chaos) p,40,41), « Règlements de compte et chasse aux harkis » (p, 42), « Le temps des colonels » (p,43)

       Sont également intéressantes les pages consacrées à la deuxième guerre civile de l’Algérie dans les années 1992-2000, (page 89), , 96,97) « La « décennie noire » d’Algérie plante un nouveau décor au sud de la Méditerranée » (p, 96,97) avec ses 200.000 morts.

    Une information intéressante, car la même chape de plomb du FLN règne sur cet épisode aussi dramatique que sur la guerre d’Algérie, une première guerre civile qui ne disait pas son nom non plus.

     « La lutte contre l’islamisme, nouvelle martingale de l’autoritarisme dans le monde arabe » (p,87)

       Enfin, et pour couronner le tout, l’auteur décrit les effets négatifs de la mondialisation libérale sur ces nouveaux Etats. (p,90) : « Après quinze ans de mondialisation marchande (1995-2005), les dégâts humains en Afrique et au Moyen Orient ont été parfois dramatiques  au sortir de la guerre froide, et les populations restent loin de la classe moyenne mondiale. » (p,95)                                 

        L’auteur conclut son tour d’horizon par le « génocide rwandais » et les « guerres du Congo » (6 millions de morts et 4 millions de personnes déplacées (1994-2003) (p, 101), qui durent encore.

Jean Pierre Renaud

Présidentielles 2017, entre France gauche caviar et France rétrograde, le troisième tour !

Présidentielles 2017 : le deuxième et le troisième tour !

Entre un candidat de la France gauche-caviar et une candidate de la France rétrograde, beaucoup de Français et de Françaises voteront blanc ou s’abstiendront !

Ils prendront rendez-vous pour le troisième tour des élections législatives de la France républicaine !

            Les lecteurs de ce blog connaissent l’opinion très critique que j’ai formulée à maintes reprises sur le processus des primaires, cette  nouvelle mode venue des Etats Unis, une mode lancée en 2011 par le think tank socialiste Terra Nova.

        Le 25 janvier 2012, j’ai exprimé longuement les raisons de cette opposition, et j’ai à nouveau commenté de façon négative cette nouvelle mode en vogue, à onze reprises, en 2011, 2012, 2013, 2016, et 2017.

          Deux réflexions : il est tout de même étrange qu’un candidat, pur produit du fameux « système » dénoncé, ait pu sortir les marrons du  feu, et mis par terre les partis politiques dont l’existence et le rôle sont reconnus par la Constitution, avec toutefois, dans son processus, l’interférence du troisième pouvoir, le judiciaire, et du quatrième pouvoir, le médiatique.

         Les électeurs et les électrices de France qui ne se reconnaissent pas dans la France de ces deux candidats n’auront donc d’autre choix que de porter au pouvoir l’Assemblée Nationale de leur raison et de leur cœur.

        Jean Pierre Renaud

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ? Avec le Club Médiapart Quatrième épisode: « Mémoires dangereuses »

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

Autour des « raisins verts » ?

Quatre chroniques sur la guerre d’Algérie et les accords d’Evian

&

Quatrième et dernier épisode

Mémoires « fictives » et « mémoires dangereuses » !

&

« L’histoire est un roman qui a été, le roman de l’histoire qui aurait pu être »

« Les Frères Goncourt »

Une suggestion de dissertation pour les élèves des deux professeurs Alexis Jenni et Jérôme Ferrari, au choix, entre « La chute de Rome » et « L’art de la guerre »

« Pour ou contre la lecture des Frères Goncourt d’après laquelle l’un ou l’autre des deux romans n’est qu’ « roman de l’histoire qui aurait pu être », c’est-à-dire la leur ? »

&

Quatrième épisode

Mémoires « fictives » et « mémoires dangereuses » !

Au Club de Mediapart, Benjamin Stora et Albert Jenni, dialoguent sur les « mémoires dangereuses »

     « Le Club de Médiapart…

        Les mémoires dangereuses. Extrait d’un dialogue

Extrait des mémoires dangereuses » (Ed Albin Michel, 2016), début du dialogue entre Alexis Jenni de « L’art français de la guerre » (Ed Gallimard) Prix Goncourt, 2011, et Benjamin Stora »

            Il s’agit d’un extrait tout à fait intéressant, parce que symbolique de la production d’un courant intellectuel qui tente encore de tenir un petit pan de l’opinion publique en haleine, pour tout ce qui touche aux pages les plus sombres de l’histoire de notre pays, tout en se défendant du contraire.

            Pourquoi ne pas dire dès le départ que ce type de discours incarne et diffuse une forme de perversion intellectuelle sur l’objet « mémoires » ?

            Rappelons succinctement quelles sont les Tables de la Loi du site Mediapart : une information de qualité, cultivant l’indépendance, la pertinence, et l’exclusivité.

      Qualité ? Soit ! Indépendance ? Un site qui ne serait pas irrigué par une ancienne et continue idéologie tiers-mondiste, ce qui veut dire une forme subtile de « servilité » à une idéologie ? Pertinence ? Nous verrons. Exclusivité ? Il parait difficile d’appliquer ces principes au contenu de ce dialogue, pas uniquement en raison du goût des deux dialoguistes pour tous les médias.

      Ce dialogue draine beaucoup des mots qu’aime utiliser Monsieur Benjamin Stora, en jouant sur les multiples facettes du mot « mémoires », aujourd’hui « dangereuses », hier en « guerre », de nos jours « communautaristes », et récemment avec la profession de foi d’un apôtre de la paix des mémoires, selon une chronique récente du journal La Croix.

      « Le prisme de la guerre d’Algérie…. Une histoire qui a été longtemps occultée

       C’est à si perdre, tant son discours est toujours aussi tonitruant, nourri d’affirmations et de certitudes répétées à satiété sur l’état de ces « mémoires », sans jamais, jusqu’à présent, et sauf erreur, avoir jamais donné la moindre mesure de cette guerre des mémoires. Monsieur Jenni parle de « guerre culturelle ».

      Est-il pertinent de tenir un tel discours mémoriel sans avancer la moindre évaluation des phénomènes décrits ? Non !

            Les mots tonitruants ?

            Monsieur Stora abrite son discours sous le parapluie d’une « histoire du Sud » laquelle ferait l’objet d’un « déni », en évoquant l’existence de trois mémoires celles des rapatriés, des anciens appelés du contingent d’Algérie, et  des enfants ou petits-enfants issus de l’immigration algérienne.

            « Aujourd’hui, la mémoire de cette guerre fait retour, massivement, dans les sociétés, algérienne et française… »

            Il conviendrait d’expliquer par quelle voie cette « histoire » ou cette « mémoire » fait aujourd’hui retour massivement  chez les enfants ou petits-enfants nés après 1962.

            S’agit-il 1) de l’Algérie ou de l’Empire colonial ? 2) de l’opinion du mémorialiste, fils d’un rapatrié de Constantine, ou enfin de la mesure de ce retour massif de la mémoire de cette guerre?

            A lire ce dialogue, la guerre des idées ferait rage, « des affrontements mémoriels d’une grand violence symbolique », « Ce conflit mémoriel », « Cette bataille culturelle », en dépit du « déni », du « refoulement », de la « dénégation » de notre pays, toutes caractéristiques abondamment décrites en chœur par les deux dialoguistes ?

            J’oserais écrire volontiers que ce type de discours ne correspond pas, jusqu’à preuve du contraire, à la situation historique actuelle de notre pays.

            J’oserais écrire une fois de plus que le peuple de France n’a jamais eu la fibre coloniale, que l’empire, sauf exception, n’a jamais été la préoccupation des Français, que la question coloniale a fait irruption dans notre histoire avec la guerre d’Algérie, et de nos jours, avec la présence d’une population d’origine immigrée largement nourrie par l’ancien domaine colonial.

     J’oserais écrire qu’en 1962, la grande majorité des Français et des Françaises ont été contents de se débarrasser du dossier algérien, et qu’à ma connaissance, la France d’alors n’a pas accueilli joyeusement le flot des rapatriés venus d’Algérie, comme s’en rappelle sans doute l’actuel Président  de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration.

            J’oserais écrire que ce type de discours mémoriel est étranger à celui de beaucoup des soldats, sous-officiers, officiers qui ont fait la guerre d’Algérie, faute pour le gouvernement de gauche de l’époque d’avoir su ménager une vraie voie d’évolution politique de l’Algérie.

            Beaucoup d’entre eux ont livré publiquement le fruit de leurs mémoires, et rien n’a été caché, le blanc comme le noir, comme dans toute guerre.

    Jean Pierre Renaud – Première partie

 » Le 19 mars 1962″ avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

A propos des « raisins verts » de la Bible

1962 : « Accords d’Evian » et guerre d’Algérie

  1.  « Les Accords d’Evian » avec l’historien du « dedans » Guy Pervillé,
  2.  « Le 18 mars 1962 Les accords d’Evian » avec l’historien « d’ailleurs », Belkacem Recham, selon le livre « Histoire de France vue d’ailleurs »,(page 535)
  3. « Les raisins verts » : Benjamin Stora historien ou mémorialiste, sur la petite musique biblique des « raisins verts » de la « matrice » algérienne,
  4. « Les mémoires dangereuses » ou les mémoires « littéraires », « dangereuses » dans un dialogue entre Benjamin Stora et Alexis Jenni, Prix Goncourt, au Club de Médiapart.

&

            Je me propose de publier ultérieurement la lecture critique d’un livre de témoignage sur toute la période qui a précédé la guerre d’Algérie, celle qui lui a succédé, et « théoriquement » conclue par les Accords d’Evian, un témoignage historique, au jour le jour, qui vaut largement toutes les déconstructions ou constructions historiques ou mémorielles qui ont fleuri après les faits : il s’agit du livre « Carnets d’Algérie » (1965), signé par Robert Buron, ancien ministre, chrétien de gauche, témoin et acteur incomparable de la période en question.

« Le 19 mars 1962 » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

A propos des « raisins verts » de la Bible

1962 : « Accords d’Evian » et guerre d’Algérie

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Premier épisode, l’histoire vue du « dedans »

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

Préambule

            Pour avoir été un des modestes acteurs de la guerre d’Algérie en qualité d’officier SAS du contingent,  dans la vallée de la Soummam, au cours des années 1959-1960, y avoir servi la France et l’Algérie, sur décision d’un gouvernement socialiste incapable de dénouer le conflit par des réformes radicales, j’ai approuvé la venue du Général de Gaulle au pouvoir et sa politique algérienne jusqu’aux accords d’Evian, parce qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’en finir avec un conflit de plus en plus ingérable.

            J’ai souligné, jusqu’aux accords d’Evian, parce qu’à partir de cette date, mon désaccord fut total avec la façon dont ces accords furent appliqués.

        J’ai écrit ailleurs que j’avais été dire ce désaccord à un camarade de promotion affecté au Cabinet du Général, notamment au sujet des massacres de harkis que nous laissions faire.

         Depuis cette date, sauf à titre exceptionnel, je n’ai pas porté d’attention particulière à telle ou telle histoire racontée par des historiens, ou à la multitude de témoignages d’anciens d’Algérie qui ont tissé ou tissent encore une sorte de mémoire de cette guerre, sans que l’on sache toujours faire le tri entre le vrai et le fictif.

       J’éprouve tout autant, à tort ou à raison,  la plus grande méfiance à l’égard des historiens professionnels marqués directement ou indirectement par leurs lieux historiques de naissance, qu’ils le veuillent ou non, surtout lorsqu’ils excipent de leur métier d’historien, l’authenticité qu’ils revendiquent sur les discours de mémoire qu’ils tiennent dans les médias.

       Tel est entre autres le cas de Benjamin Stora qui illustre tout à fait cette proximité. Je l’ai déjà critiqué pour ses prises de position  répétées dans le domaine sensible des mémoires que l’on peut si facilement manipuler, sans chercher à savoir si elles existent bien, c’est-à-dire en les mesurant, ce que l’on sait faire de nos jours.

         C’est la raison pour laquelle les lecteurs pourront trouver à la suite de mon commentaire du livre de Guy Pervillé, qui ne fait pas partie, à ma connaissance, des historiens ou intellectuels issus de la matrice algérienne décrite par l’historien Vermeren, un additif « concurrent » consacré à l’analyse rapide des Accords d’Evian proposée par le livre « L’histoire de France vue d’ailleurs » de Jean-Noël Jeanneney et de Jeanne Guérout dans le « 18 mars 1962 Les accords d’Evian » de Belkacem Recham (page 535 à 547).

        Pourquoi ne pas rappeler à cette occasion que le père de l’historien Jeanneney fut un des acteurs clés de la mise en route des fameux accords d’Evian ? N’aurait-il pas des choses à nous dire plus de soixante ans après ?

       C’est pour les mêmes raisons que les lecteurs pourront trouver également plus loin, une réflexion sur la question de savoir si le positionnement politique ou idéologique de Benjamin Stora, tel que je l’analyse, ne soulève pas celle de la scientificité supposée de ce type de discours, quels que puissent être par ailleurs ses qualités supposées d’historien, dont je ne suis pas juge.

      La quatrième contribution que je propose à la lecture est relative au positionnement littéraire, idéologique, ou politique, au choix, que soulève le contenu de deux livres récents qui ont reçu le prix Goncourt, Alexis Jenni pour « L’art français de la guerre »  et Jérôme Ferrari pour « Le sermon sur la chute de Rome ».

      Ces deux exemples sont intéressants à cet égard, car ils soulèvent la question des comparaisons qu’il  devrait être possible d’effectuer avec d’autres œuvres brillantes, également couronnées dans le passé, par un prix Goncourt

        Cette contribution fait en effet écho au dialogue qu’ont entretenu Messieurs Stora et Jenni sur le thème « Les mémoires dangereuses » dans le cadre du Club de Médiapart, à la date du 25 février 2016.

       Je noterai simplement pour l’instant, que d’autres auteurs, titulaires du même prix, avaient une réelle expérience des guerres qu’ils racontaient, sans imaginer rétroactivement ce qu’était une guerre concrète, ou des situations coloniales concrètes, c’est-à-dire vécues, comme c’est le cas dans les deux œuvres citées.

            Jean Pierre Renaud

« Le 19 mars 1962 » avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

       Ma lecture mérite d’être précédée de quatre observations préliminaires :

            La première interroge la propriété de l’expression « Les événements fondateurs » : j’ai plutôt envie de proposer  « Les événements de désintégration ».

La deuxième interroge sur la signification du mot « réconciliation », sorte de succédané du mot « repentance » : dans notre conclusion, nous reviendrons sur son interprétation.

La troisième suggère un titre tout à fait différent :

« Tout ça, pour ça ! »

« Le double discours !

            La quatrième : la lecture de ce livre est démoralisante pour un ancien acteur de cette guerre d’Algérie.

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            Il s’agit d’un ouvrage fort bien documenté (1), quelquefois difficile à lire, compte tenu de son impression, un livre qui soulève des questions et des réponses pour l’ancien et modeste acteur de la guerre d’Algérie que je fus, en ma qualité d’officier SAS, à Vieux Marché, dans les années 1959-1960, dans un secteur de grande insécurité de la vallée de la Soummam, en bordure de la forêt d’Akfadou (Djudjura).

Quelle était la situation militaire et civile dans mon secteur militaire au cours de l’été 1960 ? Représentative ou non ?

            Après l’opération Jumelles, qui se déroula en Kabylie, Grande ou Petite, et qui démarra le 22 juillet 1959 dans mon secteur, au cours d’une belle nuit d’été, la situation du douar se caractérisait, au cours de l’été suivant par une situation « Le vide presque parfait », selon l’expression de Lao Tseu, c’est-à-dire une quasi-absence de rebelles.

            Pour avoir connu au printemps 1959, un état d’insécurité permanent, une armée française sur la défensive, le noyautage ou le contrôle de  tous les villages par les rebelles, ceux que nous appelions les fels,  l’extrême prudence qui était la nôtre face aux embuscades ou aux mines.

          Lors des convois de ravitaillement hebdomadaire entre Vieux Marché et Sidi Aïch, les Chasseurs Alpins du 28ème Bataillon prenaient toutes les précautions nécessaires : il fallait ouvrir la piste de montagne, en cas de mine ou d’embuscade, la sécuriser par des patrouilles latérales, et pouvoir bénéficier de la couverture aérienne d’avions T6.

       Depuis juillet 1959, la situation avait changé du tout au tout.

            Il m’était possible à présent d’aller dans tous les villages avec un seul garde du corps, un ancien rebelle,  un gars formidable.

            Une petite anecdote d’ambiance, sur la route de Sidi Aïch, à l’aller puis au retour :

        « Vieux Marché, le 26/04/1960… Ce matin, au passage, sur la route,  des enfants m’ont jeté des bouquets de fleurs dans la jeep. Au retour, j’en ai ramené quatre pour leur faire faire un tour de jeep. J’ai mis les fleurs en vrac à midi, sur la table, un vrai décor champêtre. »

      Avant de quitter l’Algérie, j’avais par ailleurs organisé des élections municipales dans les trois communes de Tibane, Tilioucadi, Djenane, dont j’étais jusqu’alors le Délégué Spécial : ces trois communes disposaient, pour la première fois, de conseils municipaux élus.

        J’avais également fait reconstruire les écoles et les mairies brûlées par les rebelles, des écoles où des chasseurs alpins de l’«armée coloniale » firent à nouveau la classe aux enfants du douar.

     Parallèlement, les Chasseurs Alpins commençaient à pouvoir mettre certains des villages en position d’autodéfense.

       La SAS de Vieux Marché fut aux premières loges de l’opération Jumelles : c’est à partir de son territoire que fut aménagée la piste qui devait atteindre le PC 1621 de l’opération Jumelles, à travers la forêt d’Akfadou.

      Le 29 août 1959, le général de Gaulle fit un saut de puce à ce PC, et il y déclara entre autres devant un parterre d’officiers ; « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l’Algérie. »

      En 1960, comme je l’ai raconté dans une  de mes lettres, le général Crépin, commandant en chef fit une tournée :

      Chemini, le 15 juillet 1960…

      « Je rentre de la popote. C’est vraiment dramatique !

       Longue discussion à la suite de la visite du général Crépin, Commandant en chef en Algérie.

         Figures-toi, qu’il a dit à peu près ceci (propos répétés) :

  • Alors ces villages ! Lesquels sont pour vous, lesquels sont contre vous ?
  • Nous ne savons pas. La plupart continuent sans doute à payer les fellouzes.
  • Qu’est-ce que vous attendez pour descendre ceux qui ne veulent pas.  être pour vous. Cela fait trop longtemps que dure ce petit jeu !
  • Votre Compagnie ne sert à rien. Depuis trois mois, combien  de fellouzes au tapis ? Zéro ! Je veux des bilans ou je retire les troupes. »

         Comme je viens de l’indiquer plus haut, il paraissait difficile d’aller plus loin dans un secteur où le vide était presque parfait, mais ce type de discours continuait à persuader une partie des officiers que l’Algérie resterait française.

        Je reviens à nouveau sur ce passé après avoir lu l’ouvrage de Guy Pervillé, pour bien faire comprendre l’état d’esprit des officiers auxquels la France avait confié la mission  de rétablir la paix en Algérie.

      Beaucoup de ces officiers, dont je fis partie, avaient le sentiment de servir autant l’Algérie que la France, peut-être d’ailleurs plus l’Algérie que la France, compte tenu de sa situation.

       Je fis partie des officiers, et je ne fus pas le seul, qui ne voyait pas d’autre issue que celle d’un changement complet du statut de l’Algérie, y compris son indépendance, mais pas de la façon dont elle a été négociée et liquidée.

            Ce livre a le mérite de nous sortir du registre des discours des historiens, chercheurs, intellectuels, issus de la « matrice » algérienne, ou « assimilée », lesquels surfent encore, avec un certain succès,  dans les médias et dans certaines maisons d’édition, et publient ou diffusent des récits qui flirtent, pour ne pas dire plus, avec la repentance ou l’autoflagellation nationale.

         A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de dénoncer ces graves dérives, encore dernièrement à l’endroit du discours d’un auteur, Jérôme Ferrari, qui dans un de ses derniers livres couronné par un Prix Goncourt, irrigue son récit de ce type de discours. Dans un de ses billets publiés par le journal La Croix, le romancier philosophe pérorait sur la violence coloniale, les responsabilités de la France, citant en référence et à ce sujet, un propos de Joxe, le fils du ministre Louis Joxe, qui fit son service à Alger dans de bonnes conditions.

       J’ai commenté ce livre sur mon blog, le 4 mai 2016, mais je reviendrai plus loin, sur le sujet des « mémoires » frelatées en évoquant le dialogue qu’ont tenu Messieurs Stora et Jenni, autre prix Goncourt (2013), dans le cadre du Club de Médiapart.

       Il aurait été intéressant que le fils Joxe, comme le fils Jeanneney, en disent plus sur les responsabilités de deux pères qui furent à la fois de grands artisans des Accords d’Evian (lire le livre) et les acteurs de la non-application des mêmes accords, pour ne pas dire leur faillite.

        Les paternités en question ne s’inscrivaient-elles déjà pas dans le registre des « raisins verts » pour certains de leurs descendants ?

       Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, je me suis investi dans des recherches qui ont porté sur un domaine qui ne fut pas celui de la guerre d’Algérie, mais sur l’Afrique noire, l’Indochine, Madagascar, car l’Algérie ne fut pas, contrairement à ce que racontent les principaux thuriféraires de l’autoflagellation, l’alpha et l’oméga de la colonisation française, sauf qu’elle était située sur l’autre rive de la Méditerranée et qu’elle comptait plus d’un million de Français.

     Avant d’aller plus loin, Guy Pervillé analyse de façon rigoureuse et précise le déroulement de ce qu’on a appelé « Les événements d’Algérie » entre 1954 et 1962 dans les cinq chapitres de la première partie (p,16 à 89) « Des réformes aux négociations », la période chaotique et confuse qui précéda celle des négociations, et des positions successives du général de Gaulle.

     Dans la deuxième partie « Les négociations et les accords d’Evian » (p,89 à 147), l’historien analyse dans les trois chapitres suivants le déroulement incertain et difficile des négociations avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, conclu en février-mars 1962, par les fameux accords d’Evian, et le cessez-le feu du 19 mars 1962.

      Il aurait été intéressant d’avoir une analyse des positions, rapports de force existant alors, entre le GPRA de l’étranger et les Willayas de l’intérieur, avec lesquelles il aurait été plus logique de négocier.

     L’auteur souligne bien dans le chapitre 8 « De Gaulle et l’application des accords d’Evian » (19 mars-20 septembre 1962) les responsabilités de son échec « Le sabotage des accords par l’OAS » (p,120), « Le contournement des accords d’Evian par le FLN » (p122).

    « Contournement » ou « sabotage » du FLN ? Au moins autant que celui de l’OAS ?

    L’auteur pose la question : « La France a-t-elle respecté les accords d’Evian ? « (p,131)

     Il s’agit d’une analyse très complexe, et de nos jours encore passionnée, mais on vit rapidement que le FLN n’était absolument pas en état de gouverner l’Algérie et d’y assurer la paix civile, condition  sine qua non d’une application sérieuse des Accords d’Evian.

      Je fais partie de ceux qui estiment que le retrait de l’armée française, une sorte de sauve-qui-peut qui ne disait pas son nom, a empêché la France et l’Algérie de mettre en application ces accords, c’est-à-dire de les imposer.

      Dans la troisième partie, « Un demi-siècle de relations franco-algériennes (1962-2012) » (p,147 à 260), l’auteur en montre le déroulement chaotique, mais y réintroduit le concept de « réconciliation », une « repentance » qui ne dit pas son nom.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Stop aux démolisseurs de la République Française -Un abus de pouvoir ? -Le Monde du 7 février 2017

Stop aux démolisseurs de la République Française !

Trop, c’est trop, beaucoup trop !

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Un abus de pouvoir ?

Le journal Le Monde du 7 février 2017

Le titre :

« De nouveaux éléments de l’enquête judiciaire fragilisent François Fillon »

Pages 6 et 7 « Nouvelles révélations sur le système « Fillon ». Les enquêteurs suspectent un éventuel trafic d’influence… »

Sous la signature des deux détectives infatigables du Monde, D et D, dont, à plusieurs reprises,  j’ai déjà narré les aventures entre secret des sources et secret de l’instruction.

            Mes lecteurs ont déjà eu l’occasion de faire connaissance avec les réflexions que suscitaient de ma part les aventures des deux détectives infatigables du journal Le Monde, D et D.

           Je rappelle que j’avais publié, le 24 novembre 2014, sur le même type de sujet, et sur mon blog,  une chronique relative à l’affaire Fillon-Jouyet, et au travail d’enquête des deux détectives en question, en informant les lecteurs de l’opinion dont j’avais fait état, le 9 novembre 2014, auprès du Courrier des Lecteurs du même journal.

          Le titre de ma chronique était : « Affaire Fillon-Jouyet, off, on, secret de l’instruction et secret des sources, déontologie des journalistes. »

         Le 18 novembre 2014, le journal faisait état de ma réaction dans une page « Eclairages », en écrivant : … « Les 2 journalistes répondent » :

        « Mais il n’est pas question d’en publier l’intégralité, ni d’en accepter la saisie. Il y a dans cette conversation des propos divers et variés, dont certains relèvent du secret professionnel, d’autres de la vie privée »

       Il s’agissait de la source « enregistrements »

         Il est évident que le journal a voulu faire un coup médiatique et politique.

          C’est en tout cas mon opinion, c’est-à-dire celle d’un vieux lecteur de ce journal, et, qui plus est, a eu une longue expérience préfectorale du pouvoir exécutif, du pouvoir judiciaire, et du pouvoir parlementaire, pour ne pas évoquer le quatrième pouvoir dont il est ici aussi question.

        Comment analyser ce nouveau coup médiatique ?

      A lire le titre et ses premiers sous-titres, ceux que j’ai cités, il est évident que pour nos deux détectives, et donc pour ce journal, le secret de l’instruction est une fiction, comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois

         La violation du secret de l’instruction en est ici affirmée, car, à leurs yeux, le secret des sources des journalistes les habilite à y procéder.

        Deuxième point, et cela est beaucoup plus grave à mes yeux, cette intrusion n’a pu être effectuée qu’avec la complicité de policiers ou de magistrats, ou de membres de ces deux corps confondus, sans pouvoir se défausser sur les avocats absents, mettant par la même en cause la présomption d’innocence.

         Il est évident que cette violation soulève une première grave question  institutionnelle, celle du fonctionnement lui-même du troisième pouvoir, le judiciaire, alors même que la mise en branle de la justice soulève parallèlement une deuxième question, constitutionnelle, celle de la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et le parlementaire.

         La justice est-elle habilitée à contrôler le travail des parlementaires, par le biais d’un concept juridique difficile à définir, celui de l’emploi fictif, précisément dans le cas parlementaire.

        Rappellerai-je qu’à l’époque de la chiraquie, des dizaines et des dizaines  d’emplois fictifs de la Ville ou du Département de Paris servaient la cause du RPR, ou que des dizaines et des dizaines d’emplois fictifs de l’Etat servaient à protéger la bigamie de Mitterrand, sans qu’à l’époque, nos grands médias s’en soient beaucoup préoccupés.

     Je me souviens avoir évoqué le sujet avec un  bon journaliste du Monde, lequel me confessait qu’il était difficile de dénoncer de tels faits.

      L’article utilise l’expression de « système Fillon », une expression à laquelle j’ai eu recours dans un de mes livres sur la chiraquie.

    Un « système » dans le cas de la famille Fillon ? Une épouse et collaboratrice d’un député, ministre, premier ministre et sénateur, à identifier dans un « emploi fictif » ? Est-ce bien sérieux ?

      Il est tout de même étrange que peu de personnes n’y aient vu l’expression, non pas d’un « système », mais d’un machisme indéracinable ?

       Alors, à qui profite le « crime » ? Les médias savent combien les Français aiment les séries policières, et certains mauvais esprits,  y voient la main de la gauche caviar médiatique, celle peut-être du triumvirat qui gouvernerait aujourd’hui le journal.

         Les deux détectives infatigables du Monde, D et D, ont réussi à mettre par terre le président actuel, grâce à ses imprudences médiatiques, mais leur travail de démolition démocratique aura peut-être pour résultat de déplacer les vrais enjeux sur le terrain du  fonctionnement de nos institutions, et non sur la vie privée.

        Que faut-il penser enfin de cette nouvelle mode des primaires, privées de tout statut légal et constitutionnel, lesquelles polluent le fonctionnement de nos institutions et saturent, jusqu’à plus soif, pendant des mois et des mois, les citoyens ?

        Je répète que je ne suis pas partisan de ce nouveau système à la mode,  sauf à en assurer la bonne fin constitutionnelle.

.      Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Indigènes de France et Indigènes des colonies: en dedans et en dehors de la France, était-ce bien différent ?

Indigènes de France et Indigènes des colonies françaises : en dedans et en dehors de la France, était-ce bien différent ?

Les biais de l’histoire postcoloniale

Source : « La fin des terroirs 1870-1914 »

Eugen Weber

Synthèse rapide et évocation du chapitre XXIX

« Cultures et civilisation » (pages 575 à 587)

            A lire certains écrits de l’histoire postcoloniale, notamment ceux publiés par le collectif Blanchard and Co sur la culture coloniale et impériale qui aurait été celle de la France, en tout cas au cours de la période qui a précédé la première guerre mondiale, la lecture de l’ouvrage cité ci-dessus a de quoi dessiller les yeux des plus incrédules.

            Dans les pages qui suivent, et à partir de la source Weber, nous nous proposons de dresser le portrait de cette France des indigènes qui avait la folle ambition de civiliser les indigènes des colonies, alors qu’elle avait déjà beaucoup de peine à civiliser les indigènes de France, à les franciser, à les assimiler.

            Dès l’ouverture, l’auteur met le lecteur dans l’ambiance coloniale, « Première partie Les choses telles qu’elles étaient » Chapitre premier « Un pays de sauvages » (p,17)

            « Vous n’avez pas besoin d’aller en Amérique pour voir des sauvages » songeait un Parisien en traversant la campagne bourguignonne vers 1840 » « Les Peaux Rouges de Fenimore Cooper sont ici », écrivait Balzac, dans ses « Paysans » (1844).  De fait de nombreux témoignages nous suggèrent qu’une grande partie de la France du XIXème siècle était habitée par des sauvages. » (p,17)

            « Les soulèvements populaires de 1851 apportèrent leur lot de commentaires : horde sauvage, pays de sauvages, de barbares. Il ne faut pas oublier que traiter abusivement quelqu’un de sauvage était considéré comme un outrage passible d’amende ou même de prison, si l’affaire allait jusqu’aux tribunaux. » (p,19)

            « Les habitants des villes, qui souvent (comme dans les villes coloniales de la Bretagne) ne comprenaient pas la langue rurale, méprisaient les paysans, exagéraient leur sauvagerie, insistaient sur les aspects les plus pittoresques – et donc les plus arriérés – de leurs activités, et allaient jusqu’à faire des comparaisons défavorables avec les populations colonisées d’Afrique du Nord ou du Nouveau Monde. Dans le Brest du XIXème siècle, il n’était pas rare d’entendre parler de la campagne avoisinante en termes coloniaux : la brousse, ou la cambrousse. Mais ces parallèles n’étaient guère nécessaires, car le stock de préjugés était bien fourni ; Les pommes de terre pour les cochons, les épluchures pour les Bretons ». » (p,21)

            L’auteur relève que cet aspect de la société rurale de cette époque n’avait jamais véritablement intéressé les anthropologues et ethnologues français, plus tournés vers les peuples exotiques :

            « Ce type de question réclame une réponse, mais il est difficile d’en apporter une précise. La suite de cet ouvrage le montrera. L’une des raisons en est que les ethnographes et les anthropologues français (ils ne sont certes pas le seuls, mais ils ont suivi cette tendance peut-être plus que leurs collègues étrangers) ont, récemment encore, étudié avec zèle les peuples exotiques, mais grandement négligé le leur. Quant aux sociologues, beaucoup sont passés directement de leurs premières études sur les sociétés primitives à l’étude des zones urbaines et industrielles, en laissant de côté les réalités paysannes qui les environnent.

            Il est caractéristique, par exemple, que le célèbre sociologue Maurice Halbwachs, lorsqu’il étudie les styles de vie, en 1907, de 87 familles (33 chez les paysans, 54 chez les travailleurs urbains), ne se réfère spécifiquement dans l’ouvrage publié en 1939 qu’au groupe urbain (et même dans ce cas, qu’à cinq familles d’ouvriers à Paris)… Dans toute la masse d’études qui marque la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, aucune ne dépasse l’horizon de Paris et de ce qui s’y déroule. Et cela sans aucune restriction, assuré que l’on est que les vues et les aspirations d’une petite minorité qui se prend pour l’ensemble du pays représente réellement cet ensemble. » (p,23)

Je ne suis pas sûr que les choses aient beaucoup changé de nos jours avec le rôle écrasant que s’attribue encore l’establishment parisien.

            « De Balzac à Zola, de Maeterlinck à l’abbé Roux en passant par beaucoup d’autres, le paysan apparait comme un être obscur, mystérieux, hostile et menaçant, et est décrit comme tel. Quand il ne s’agit pas d’un noble sauvage, comme chez George Sand, c’est un sauvage tout court. » (p,27)

            Chapitre IV « Seul avec les siens » (p,66)

            « En Bretagne, les indigènes, comme on les appelait encore sous la Troisième République, semblaient assez aimables mais peu coopérants. « On ne peut rien obtenir des habitants qui ne parlent pas ou ne veulent pas parler français, rapportait un fonctionnaire en 1873 à propos du Morbihan. »(p,66)

La situation mit beaucoup de temps pour évoluer, et c’est à la fois la scolarisation et les effets de la première guère qui furent un facteur puissant de changement :

            Chapitre XI « La famille » (p,209)

        « Malheureusement, les vieilles habitudes qui régissaient la vie domestique, l’alimentation et l’éducation  des enfants, prévalurent beaucoup plus longtemps qu’on ne l’avait espéré. Entre 1914 et 1918, les femmes des campagnes avaient certes acquis un sentiment nouveau d’autonomie et de confiance, grâce aux initiatives et responsabilités qu’elles étaient forcées de prendre, aux métiers qu’elles apprenaient à faire, aux pensions familiales qu’elles avaient à gérer. Et pourtant, en 1937, le directeur des services agricoles du Lot pouvait répondre à une enquête dans des termes qui reprenaient ceux du siècle précédent : « La femme conserve ses traditions et ses vertus domestiques qui se manifestent comme un esclavage librement consenti ». La vie à la ferme devait être un esclavage. Le seul changement : il était à présent « librement consenti », parce qu’il existait d’autres choix. » (p217)

Deuxième Partie

Les agents du changement

Quelques citations qui marquent la parenté qui existait alors entre les indigènes de France et ceux des colonies !

        Chapitre XIV « La campagne dans la ville » (p,283)

       Au fur et à mesure des années et de l’arrivée de nouveaux  fonctionnaires, beaucoup de réactions étaient enregistrées:

     « La présence d’une communauté d’étrangers dans de petites villes, comme celles-là (Parthenay, Vic-le-Comte, Mende, ou Tournon), sans rapport avec leur mode de vie normal, créait quelque chose qui ressemblait fort à une situation coloniale. Taine avait senti cela, quand, en 1864, il avait décrit les provinces en disant qu’elles étaient sous la tutelle de Paris, qui les civilisait de loin en y envoyant ses voyageurs, ses fonctionnaires et ses garnisons. Quarante ans après, la situation n’avait guère changé. Ardouin-Dumazet, voyageur professionnel, observait que la ville de Bellac (Haute Vienne), n’aurait pas été grand-chose sans ses fonctionnaires et sa garnison. Elle avait peu d’industriels – tout juste une fabrique de soufflets et une tannerie – , mais sur la place du marché, « les paysannes, disposées sur deux rangs, se tiennent devant leurs maigres apports : un fromage, quelques cerises, des fraises, un lapin ou une poule. Entre elles vont et viennent les dames de la société, femmes de fonctionnaires suivies d’une bonne, femmes d’officiers accompagnées du classique soldat – ordonnance en casquette plate ». C’est bien la place de marché coloniale typique avec ses étalages pitoyablement maigres, ses vendeurs d’une patience infinie, faisant de petits gains, à la longue importants, en approvisionnant les coloniaux ou les créoles. » (p,284)

       Le chapitre XVIII est un des chapitres importants de ce livre, en raison de l’importance de son sujet et de son rôle de civilisation : « Une sérieuse entreprise de civilisation : l’école et la scolarisation » (p,365) :

     « L’école et particulièrement l’école du village, gratuite et obligatoire, s’est vue attribuer le processus d’acculturation final qui a transformé les Français en français – qui finalement les a civilisés, comme aimaient à le dire de nombreux éducateurs du XIXème siècle ». (p,365)

     L’auteur cite le rôle important qu’a joué dans les écoles le Lavisse, ainsi que la diffusion massive, à partir de 1877, du livre intitulé « Le Tour de France » de Bruno :

       « Cet enseignement des hauts faits eux-mêmes faisait partie d’’un tout plus vaste. En 1884, Le Tour de France de Bruno, publié en 1877, avait été réimprimé 108 fois,, et vers 1900, les ventes dépassaient huit millions d’exemplaires. Chaque enfant lisait et relisait l’histoire des deux garçons alsaciens quittant leur foyer à la mort de leur père pour répondre au vœu qu’il avait exprimé – qu’ils puissent être des Français. » (p,401)

                En ce qui concerne le Petit Lavisse, et son effet éventuel sur la culture coloniale des Français de l’époque, j’ai écrit ailleurs que les quelques pages consacrées par l’ouvrage aux colonies, à la fin du livre, à la veille des grandes vacances, ne suffisait pas à démontrer son rôle à ce sujet.

            Dans le cas du livre de Bruno, très populaire, comme les chiffres ci-dessus le démontrent, il est tout à fait curieux que, dans aucune de ses pages, n’est évoquée la question des conquêtes coloniales, une curieuse impasse qui tendrait à démontrer que le collectif de chercheurs Blanchard and Co a pris des vessies pour des lanternes.

            Le titre de la Troisième Partie flotte déjà comme un drapeau sur un tel sujet : « Changement et assimilation » (p,447)

            L’auteur évoque la destinée curieuse de la Marseillaise née dans une ville où l’on ne parlait pas le français, un chant qui eut de la peine à s’imposer, et il fallut attendre 1879, pour que ce chant soit réimposé comme hymne national.

            Dans le chapitre XXVIII, « Le glas du passé », et en ce qui concerne la vie culturelle, l’auteur écrit :

            « En 1895, la Société d’Ethnographie nationale et des Arts populaires commença à étudier non seulement le folklore littéraire – le seul aspect qui avait intéressé les romantiques – mais aussi l’art populaire, les objets et les techniques. On étudia les paysans comme une espèce en voie de disparition, leur culture fut disséquée et sa valeur sentimentale s’accrut. De George Sand à Maurice Barrès, les écrivains s’emparèrent du paysan comme un siècle avant on s’était emparé du bon sauvage. Des séries de cartes postales représentaient des scènes qui, il y a peu de temps, n’étaient pas dignes d’être représentées : chaumières, fermières engrangeant du foin, fêtes des moissons, paysans en costume régional. » (p,560)

            Dans son dernier chapitre, le XXXIX, « Cultures et civilisation » brosse une synthèse de ce que fut la France coloniale, celle des indigènes qui dans certaines des régions ressemblaient fort aux indigènes des colonies que les colonisateurs avaient l’ambition de civiliser.

            « On peut voir le fameux hexagone comme un empire colonial qui s’est formé au cours des siècles, un ensemble de territoires conquis, annexé et intégrés dans une unique structure administrative et politique, nombre de ces territoires possédant des personnalités régionales très fortement développées et certaines d’entre elles des traditions spécifiquement non- ou antifrançaises. Un  rappel partiel nous servira d’aide-mémoire : au XIII° siècle, le Languedoc et les régions du centre ; au XV °siècle l’Aquitaine et la Provence, au XVI °siècle, la Bretagne ; au XVII° siècle, la Navarre, le Béarn, le pays Basque, le Roussillon et la Cerdagne, une partie de l’Alsace et des Flandres françaises, la Franche Comté; au XVIII° siècle, le duché de Lorraine, la Corse, l’Etat pontifical du Comtat-Venaissin ; au XIX° siècle, la Savoie et Nice. En 1870, cet ensemble – et le reste – formait une entité politique appelée France, royaume, empire ou république, organisée par les conquêtes et par les décisions administratives ou politiques prises à (ou près) de Paris. Mais le point de vue moderne de la nation en tant qu’un ensemble de populations unies selon leur propre volonté et ayant certains attributs en commun (au moins l’histoire) était difficilement applicable à la France de 1870 » (p,575)

            « Après la Première Guerre mondiale, Marcel Mauss médita sur la différence entre les peuples ou les empires, et les nations…. Il voyait la nation comme « une société matériellement et moralement unifiée » et caractérisée par « l’unité relative morale, mentale, et culturelle de ses habitants qui soutiennent sciemment l’Etat et ses lois ». Il est évident que la France de 1870 ne correspondait pas au modèle de la nation de Mauss…. »

            Et si l’on raisonne comme Deutsch :

            « En dehors des centres urbains, dans presque toute la France il n’y avait pas « d’histoire commune qui puisse être mise en commun », ni de « communauté d’habitudes complémentaires », peu d’échanges du fait de la division du travail dans la production des biens et des services, et seulement des « réseaux de communication sociale et de relations économiques » très limités. Si par « société », nous entendons un groupe de gens qui ont appris à travailler ensemble, alors la société française était de taille réduite…

En 1870, en dépit de l’évidence contraire, les habitants de l’hexagone se reconnaissaient généralement comme  sujets  français, mais pour beaucoup ce statut n’était rien d’autre qu’une abstraction. Les habitants de régions entières ressentaient peu d’affinités à l’égard de l’Etat, ou des habitants des autres régions…. L’idéologie nationale était encore diffuse et informelle au milieu du XIXème siècle. La culture française ne devint réellement nationale que dans les dernières années du siècle. » (p,576)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Indigènes de France et Indigènes des colonies: en dedans et en dehors de la France, était-ce bien différent? Eugen Weber – Suite et fin

Indigènes de France et Indigènes des colonies françaises : en dedans et en dehors de la France, était-ce bien différent ?

Les biais de l’histoire postcoloniale

Source : « La fin des terroirs 1870-1914 »

Eugen Weber

Synthèse rapide et évocation du chapitre XXIX

« Cultures et civilisation » (pages 575 à 587)

&

Suite et fin de la lecture critique

          Les lignes qui suivent méritent d’être lues avec la plus grande attention par tous ceux qui ont tendance à interpréter notre histoire nationale et coloniale avec des lunettes idéologiques, des lunettes  fausses ou mal ajustées, aux fins supposées d’apprécier le contenu et les effets des discours officiels sur la civilisation à apporter aux peuples d’outre-mer :

        « Abordons ce problème de l’acculturation : la civilisation des Français par la France urbaine, la désintégration des cultures locales par le modernisme et leur absorption par la civilisation dominante de Paris et des écoles. Livrées à elles-mêmes jusqu’à leur accession à la qualité de citoyen, les masses rurales non assimilées furent intégrées au sein de la culture dominante de la même manière qu’elles avaient été intégrées dans une entité administrative. Ce qui s’est passé correspond à une sorte de colonisation, et on le comprendra d’autant mieux si on garde cette idée présente à l’esprit.

        « La conquête est une étape nécessaire sur la voie du nationalisme » écrivait Georges Valérie en 1901. Une nation ne peut pas, ou ne devrait pas, conquérir des « peuples majeurs » mais amener une plus grande cohésion des groupes sans identité culturelle évidente, les gagner à soi ; enrichir, éclairer l’esprit  tribal privé d’instruction, voilà ce à quoi la mission civilisatrice ne peut renoncer. On trouve nombre des thèmes de l’intégration nationale dans cette brève affirmation : les peuples conquis ne sont pas des peuples, ils n’ont pas de culture propre ; ils peuvent seulement bénéficier de l’enrichissement et de l’instruction que le civilisateur leur apporte. Nous pouvons maintenant nous demander si cette image coloniale vaut pour la France.

        La réponse la plus simple provient des sources françaises. Au XXème siècle, en Franche Comté, on se souvenait encore que,  pendant de nombreuses années, les gens se firent enterrer face contre terre en signe de protestation contre l’annexion de la province par la France… dans le Sud-Ouest, écrivait M.F.Pariset en 1867, l’union avec la France « a été subie et non acceptée avec sympathie. La fusion s’est faite lentement et à contrecœur ». Quarante ans plus tard, lorsque Ernest Ferroul, le maire socialiste de Narbonne, accusait les barons du Nord d’envahir le Midi comme au bon vieux temps des Albigeois, le Figaro avertissait ses lecteurs : « ne nous y trompons pas, c’est une région qu’il faut reconquérir, comme au temps de Simon de Montfort ». (p,577)

       Et pour les lecteurs ou chercheurs les plus incrédules, lisez les lignes qui suivent :

      « Durant tout le siècle, les colonies d’outre- mer servirent de modèles de comparaison pour certaines régions de France. En 1848, Alphonse Blanqui comparait les habitants des Alpes françaises à ceux de Kabylie ou des Îles Marquises, comparaison qui fut reprise plusieurs fois dans des rapports officiels et des textes en 1853, 1857, 1865. Les populations et les coutumes de la France rurale, ses superstitions et ses singularités furent étudiées et décrites bien trop souvent avec condescendance peu compréhensive. Les façons de vivre des ruraux semblaient superficielles et dénuées de sens, leurs façons de penser étaient ignorées. Les communautés indigènes furent dépouillées de leurs droits (code forestier, pacage, prés communaux, droits de chasse et de pêche) au nom du progrès, de la liberté, de la productivité et d’un bien commun qui ne signifiait rien pour ceux au nom desquels ils étaient proclamés. Parce que les représentants de l’ordre ignoraient et méprisaient la logique des sociétés qu’ils administraient, « parce que cette ignorance et ce mépris étaient les conditions-mêmes de leur action, les hommes responsables de cette politique ne pouvaient en mesurer les conséquences désastreuses ». Ces mots de Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, écrivant sur l’administration coloniale, s’appliquent assez bien  à la France rurale du XIXème siècle. » (p,578)

      « En 1910 ou 1911, Jean Ricard pouvait décrire les installations des collecteurs de résine établies par les fabricants de térébenthine au nord d’Arcachon comme ressemblant à quelque terre africaine, un rassemblement de huttes groupées à l’ombre du drapeau de la République » Et pourtant, « nous sommes en France ».

       Etre en France signifiait être gouverné par des administrateurs français. En Savoie, où les frictions entre les membres de l’administration française et les autochtones étaient assez fortes, on disait des administrateurs français qu’ils « arrivaient ici comme pour une tournée d’inspection des colonies ».. En 1864, dans la Revue des deux mondes, un écrivain comparait la Savoie à l’Irlande. Dans les autres régions, on faisait des comparaisons encore plus explicites. « Ils envoient des colons vers des terres lointaines pour cultiver le désert, regrettait un Breton, et le désert est ici ! « Ils construisent des chemins de fer en Afrique, écrivait la Revue du Limousin en 1862 : « si au moins ils nous traitaient comme des Arabes ! « Une revue agricole reprit le cri : « il y a au cœur de la France une région  à coloniser qui demande seulement qu’on lui accorde les mêmes conditions  d’exploitation qu’aux colonies. » (p,579)

       « Des allusions aussi explicites furent faites lors de la mise en valeur de ma Sologne : « Il est vraiment question de colonisation ici « écrivait Ardouin-Dumazet en 1890.Les promoteurs étaient aussi enthousiastes au travail en Sologne qu’ils l’étaient en Algérie. Et un peu plus tard, à Salbris (Loir et Cher) : « Il y a un parallèle intéressant entre la colonisation actuelle de la Tunisie et le travail de développement qui se poursuit en Sologne. En Tunisie, comme en Sologne, les capitalistes ont joué un rôle important. « Cependant « tout bien considéré… la colonisation de la Sologne est la plus merveilleuse. » (p,380)

        « Les plus grandes possibilités coloniales, naturellement étaient offertes par la Bretagne. Après l’union forcée avec la France, les villes bretonnes furent envahies par des Français qui écrasèrent ou même remplacèrent les commerçants locaux, francisèrent les gens qu’ils employaient ou touchaient d’une autre façon. Les ports du roi comme Lorient et Brest, étaient des villes de garnison en territoire étranger et le terme de colonie était fréquemment employé pour les décrire.

     Comme nous l’avons déjà vu, les choses ne commencèrent à changer un peu en Bretagne que dans les années 1880… (p,380)

….

    « Essayons maintenant une autre piste et voyons comment Les Damnés de la terre de Franz Fanon, une des plus virulentes dénonciations du colonialisme, s’applique aux conditions que nous avons décrites. Les passages suivants (certains sont des montages et non des citations ininterrompues) sont particulièrement caractéristiques :

    « régions sous-développées, absence d’infrastructure, un monde sans médecins, sans ingénieurs, sans administrateurs.

   « L’aliénation culturelle, comme le colonialisme, essaie d’obliger les indigènes à abandonner leurs façons ignorantes (pour faire croire que) c’est le colonialisme qui vient éclairer leur obscurité.

    « La domination coloniale disloque de façon spectaculaire l’existence culturelle des peuples soumis (mort de la société autochtone, léthargie culturelle).

    Les nouveaux rapports juridiques (sont) introduits par la puissance occupante. L’intellectuel se jette frénétiquement dans l’acquisition forcée de la culture de l’occupant.

    « Les coutumes des colonisés, ses traditions, ses mythes, surtout ses mythes, sont la marque même de cette indigence, de cette dépravation constitutionnelles.

    « Le colonialisme s’oriente vers le passé du peuple opprimé, le distord, le défigure, l’anéantit, dévalorise l’histoire d’avant les colonisateurs : « Cette terre, c’est nous qui l’avons faite »

    Les formes brutales de présence de l’occupant peuvent parfaitement disparaître, (elles sont troquées contre) un esclavage moins évident mais plus efficace.

     « La bourgeoisie locale, qui a adopté de bon cœur les façons de penser caractéristiques du pays occupant, devient le porte-parole de la culture coloniale comme les intellectuels qui l’avalent goulûment »

    La violence, si frappante dans les pages de Fanon était rare dans la France du XIXème siècle, peut-être parce que les révoltes capables de menacer sérieusement l’Etat étaient un fait du passé. Etant donné l’époque et la couleur des peaux, l’assimilation faisait son chemin. Cependant, le portrait que fait Fanon de l’expérience coloniale est une description assez juste de ce qui se passait dans les Landes et en Corrèze. En France, comme en Algérie, la destruction de la culture locale ou régionale était systématiquement poursuivie. Tant qu’elle persista, elle fut handicapée par l’inertie et l’isolement. « Il y a crispation sur un noyau de plus en plus étique, de plus en plus inerte, de plus en plus vide. » Après un laps de temps, dit Fanon, la créativité locale reflua et ce qui resta fut « rigidifié à l’extrême, sédimenté, minéralisé. » La réalité locale et la culture locale disparut ensemble. Ainsi fit le XIX° siècle en France. » (p,582) (Fanon, note 23,page 656, pp.72, 158,177 (et 69), 33, 158 (et 40), 106, 116 (et 164),p,656)

      Et pourtant… Pris comme règles générales, les propos de Fanon me semblent sous-estimer le choix et l’autonomie des colonisés. Ni Bourdieu et Sayad, ni Fanon, ni mes propres observations ne suggèrent que les sociétés traditionnelles étaient inertes au commencement. Il semble que par la suite, elles se sont effacées devant la force, qu’elles furent vaincues par des puissances supérieures et « colonisées » contre leur volonté. Est-ce que ceci s’est réellement passé ? Pas en France en tout cas. » (p,582)

     « Ceci devrait peut-être nous faire voir d’un autre œil le « colonialisme » dans les pays sous- développés, qui renvoie aussi à des inégalités régionales dans le développement ; et sans doute cela permet-il de qualifier les sens de la colonisation comme un  processus interne…

         Il est possible aussi que les vues maintenant démodées de la fin de siècle sur le « progrès » mérite un autre regard. Ou alors devons- nous dire que la colonisation des régions sous-développées serait acceptable à l’échelle interne mais inacceptable au-delà de la patrie du colonisateur ? Qu’est-ce qu’une patrie ? Quelque chose à qui le temps, le hasard et les circonstances opportunes ont permis d’être mise en forme et d’être acceptée comme entité politique : Chine, Inde, Mexique ; Etats-Unis, Union soviétique, Royaume Uni, par exemple.

      Retournons maintenant à la France. Les conquêtes et les colonisations l’ont créée, comme elles l’ont fait pour d’autres royaumes, et cette formation, pour l’essentiel, s’est achevée au XIXème siècle. Y a-t-il eu une période critique ? J’ai soutenu que celle-ci s’est située surtout vers la fin du siècle. On a avancé d’autres réponses, portant sur d’autres périodes. Le point de vue plus ou moins accepté de la Révolution française comme ligne de partage ne peut être négligé. Laurence Wylie et d’autres sociologues se sont attardés sur les années 1950, où les tracteurs, les voitures et les téléviseurs hâtèrent l’homogénéisation des villages qui évoluaient lentement jusqu’alors. On peut plaider un dossier semblable pour le XIXème siècle, autour de 1848 et de l’arrivée du chemin de fer. Tout argument de ce type, y compris le mien, est plausible ; aucun ne l’emporte vraiment. » (583,584)

       L’analyse approfondie du processus de francisation à laquelle a procédé l’auteur plaide, à mes yeux, en faveur de l’appréciation chronologique et historique qu’il propose :

      « Je pense avoir clairement montré ce processus. Entre 1880 et 1910, des changements fondamentaux  se sont produits au moins dans trois domaines. Les routes et les chemins de fer ont permis à des régions jusque-là éloignées et inaccessibles d’entrer en contact avec les marchés et les modes de vie du monde moderne. L’école a enseigné à des millions d’individus, jusqu’alors indifférents, le langage de la culture dominante et de ses valeurs, parmi lesquelles il faut compter le patriotisme. Le service militaire, quant à lui, a implanté cet enseignement dans les foyers… Les régions de France étaient beaucoup plus semblables entre elles en 1910 qu’elles ne l’avaient été avant Jules Ferry, Charles de Freycinet et Jules Rieffel. » (p, 584,585)

      « Mais quelque chose de plus important s’est produit, quelque chose  qui ne s’est produit, ni en en 1789, ni en 1848, ni en 1950, un changement qui représente rétrospectivement le grand événement culturel de l’époque ; la fin d’une profonde division de l’esprit. « (p,586)

     « Dans le meilleur des cas, les gens acceptaient le changement avec hésitation et constataient ses effets avec une grande ambivalence. Mais une fois qu’ils avaient bu à la fontaine du « progrès », il n’y avait plus de retour en arrière possible. Le modèle du XIXème siècle continuait certes à être, comme dit Jacob Burckhardt, le « rationalisme pour la minorité et la magie pour la majorité ». Et pourtant, à la fin du siècle, la nature de la magie avait changé. Les gens allaient toujours chercher leurs normes et valeurs culturelles chez les autres ; mais la culture populaire et la culture des élites étaient de nouveau réunies. » (p,587)

    Une suggestion de thèse ou de mémoire pour les étudiants : « L’audience de l’anticolonialisme de Franz Fanon dans la presse de l’époque, avant, pendant, après les indépendances »

      En ce qui me concerne, je serais tenté de penser, mais sous réserve de ce type de recherche historique que la thèse Fanon a eu beaucoup plus de succès après les indépendances, qu’avant, ou même pendant la période de décolonisation.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés