Exercice : l’objet d’art africain dans une glace sans « tain » !

Prologue

Pourquoi un tel titre ?

            Chacun connait l’usage d’une glace, usage modéré ou immodéré selon les jours, l’âge, la société, ou l’époque dans laquelle on vit. Chacun sait tout autant que cet exercice peut être aussi bien agréable que désagréable : tel est aussi le regard que nous sommes capables de poser sur notre passé national.

            Une glace a l’avantage de refléter une image d’un soi, qui est, ou n’est pas celle de son vrai soi, et il en est de même pour le passé d’un pays qui se regarde dans une glace : il n’est pas toujours facile d’assumer totalement son passé, pour autant qu’il soit d’ailleurs connu, ou qu’il puisse l’être au fur et à mesure des siècles, et sur tous les continents.

            Tenter de mettre devant la glace du passé, les objets d’art africain que l’on trouve dans les musées ou sur les marchés, constitue donc un art difficile, truffé d’énigmes, alors que les histoires ou les mémoires ont toujours fait l’objet de manipulations d’écriture dans tous les pays et à toutes les époques, soit par servilité – l’obéissance à l’autorité ou à une idéologie -,  soit par l’absence de sources écrites crédibles, soit tout simplement par ignorance ou incompétence.

          Le dossier de « restitution » d’objets d’art « conservés » soulève, comme nous le verrons, de redoutables questions de lecture historique des objets en question.

         Si une glace est un bon instrument d’analyse historique du passé, une glace sans tain ne peut manquer de fausser le regard, à condition de le savoir ou de s’en douter, à partir du moment où quelqu’un nous voit, sans qu’on le voie et qu’on le sache, et dans le cas de l’histoire, joue son jeu.

      Dans le cas considéré, je n’aurai pas la cruauté de faire un jeu de mot facile en hésitant entre les deux écritures de tain et de tin, pour ne pas nommer un Monsieur qui, au fil des années, tisse sa toile anachronique de revendication et de réparation.

             En prélude :

       Premier prélude, celui de Monsieur Marsal, un excellent professeur de philosophie et de logique qui, à Louis Le Grand, forma ses élèves à l’esprit critique et à la réflexion : dans son exercice intellectuel favori, il nous faisait commenter un texte en exposant son contenu, premier mouvement, et en le critiquant, deuxième mouvement contraire. (auteur du Que sais-je « L’autorité »)

       Dans ce bel établissement, nous avions aussi d’excellents professeurs d’histoire, de géographie, de littérature, et d’anglais.

        Ce premier prélude, en véritable parrainage,  m’autorise à inviter de nombreux chercheurs postcoloniaux à confronter leurs discours à un passé africain qu’ils connaissent mal ou pas du tout, je parle avant tout ici de l’Afrique de l’Ouest.

       Je vise ici tout particulièrement les livres du « modèle de propagande postcoloniale Blanchard and Co » issus d’un ouvrage collectif « Images et  Colonies- 1993) dont le contenu n’infusait pas  une propagande coloniale ou postcoloniale.

      Dans le cas des objets d’art, je les inviterais volontiers à confronter leurs  thèses à la réalité de l’histoire africaine des années de la colonisation française, « face à une glace sans tain ».

     En deuxième prélude, une compétence revendiquée de chercheur historien amateur qui vaut largement celles de chercheurs qui se piquent de savoir interpréter les images de propagande coloniale, sans avoir une connaissance approfondie de l’histoire coloniale, ou qui se piquent de savoir interpréter ces images sans formation sémiologique, ou encore en oubliant complètement les données de l’histoire quantitative (évaluation des vecteurs et des effets), quand il ne s’agit pas de faire tout simplement son « marché » éditorial postcolonial.

      Les lecteurs intéressés peuvent consulter les chroniques de ce blog que je publie depuis 2010, et les ouvrages que j’ai publiés à compte d’auteur, notamment le livre « Supercherie coloniale », une récapitulation, en 2008, des critiques que je portais à l’endroit des ouvrages du modèle de propagande cité plus haut.

       En troisième prélude, celui d’une France donatrice, pourquoi pas ? Afin que les nouveaux Etats d’Afrique de l’Ouest connaissent mieux leur passé, si tant est qu’ils l’ignorent, une France coloniale qui fut aussi « conservatrice » de leur patrimoine, avec le concours capital de l’IFAN.

      L’exercice historique portera sur deux points essentiels :

     Premier point, l’art du Bénin, ou de l’ancien « Dahomé » (dans le « ventre de Dan »), centré sur l’ancien royaume de Béhanzin

    Deuxième point, les très nombreuses questions religieuses, culturelles, juridiques, monétaires, ne serait-ce que leur datation,  que ces revendications d’objets d’art posent dans le contexte historique de l’époque coloniale.

      Pourquoi ne pas souligner que ce dossier est plein d’énigmes ?

 2 – L’art africain du Bénin

      Tous ceux qui ont depuis longtemps apprécié l’art africain, souvent des découvreurs, amateurs, collectionneurs, artistes ou marchands dans les premiers temps, puis de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’on les exposait en Europe ou ailleurs, trouveront peut-être que le débat actuel est tout à fait dérisoire, d’autant plus que les transferts en question ont contribué à mettre en valeur les œuvres d’art du continent africain, alors que cet art n’était le plus souvent pas reconnu comme un art, en Afrique ou ailleurs.

      Pourquoi ne pas souligner dès le départ, qu’un tel sujet aurait vivement besoin d’un bon « récadère » historique, de compétence égale dans ce domaine à ceux qui ouvraient la voie à l’étranger avec leurs « bâtons » dans les royaumes du Dahomé de l’époque au nom de leurs rois ?

Première interrogation :le mot « Bénin » ne serait-il pas un piège ? L’ouverture d’une boite de Pandore ?

    « Il ne faut pas en effet « confondre le Bénin historique – royaume prestigieux connu depuis le XVème siècle et situé dans le centre-Ouest de la République fédérale du Nigéria (ville de Bénin City sur la carte) – avec la « République populaire du Bénin » qui a  succédé en 1975 à la République du Dahomey.

     C’est le commandant Kérékou (un Somba du massif de l’Atakora), alors adepte du socialisme scientifique qui a mis en avant ce nouveau nom. .. Peut-être voulait-il prendre ses distances vis-à-vis des gens d’Abomey.

     Quand il est question dans les ouvrages spécialisés et les expositions de « l’art du Bénin », c’est le Bénin historique dont il s’agit. Ce sont surtout des bronzes, (têtes commémoratives, plaques de piliers).

     Ces objets ont fait leur apparition dans les collections à la suite d’une « expédition punitive » des Anglais contre le roi du Bénin (l’iba) en 1897. Les Anglais ont conservé une partie de ce trésor royal pour le British Muséum et vendu l’autre pour couvrir les frais de « l’expédition punitive ». Le Musée ethnographique de Vienne avait été un gros acheteur ; en 1990, il a présenté à la Fondation Dapper un échantillon de ses acquisitions.

     Pour les connaisseurs, c’est du grand art, sans doute au-dessus des productions du Dahomey.

     Par ailleurs à son apogée, au XVIème siècle, le Royaume du Bénin s’est étendu vers l’Ouest jusqu’à Ouidah, les étudiants qui entouraient Kérékou lui ont peut-être dit. » (M.A, un vieil ami de promotion, bon connaisseur du sujet).

     Les revendications du Bénin ne risquent-t-elles pas d’inciter l’Etat voisin de Nigéria à revendiquer les mêmes objets, étant donné que le siège du royaume puissant du Bénin était situé en Nigéria ?

     Dans d’autres pays d’Afrique, leur dénomination officielle risque de poser le même type de question.

      Deuxième interrogation : il est tout à fait exact que la conquête du Dahomé s’est traduite lors de la prise d’Abomey par un pillage des œuvres qui se trouvaient dans le Palais de Béhanzin, mais les conditions historiques de cette conquête mériteraient sans doute d’être mieux connues, pour au moins deux raisons, les coutumes sanguinaires de ce royaume – avec des sacrifices humains d’importance (esclaves ou prisonniers) – et d’autre part les pratiques esclavagistes du Dahomé.

       De multiples témoignages existent à la fois sur ces sacrifices – Mme Zinzou a d’ailleurs fait, sauf erreur, l’acquisition d’un des grands plateaux de sacrifice de la Cour royale -, de même que sur le soulagement qu’éprouvèrent alors les habitants des royaumes voisins, les Nagos, les Mahis, de Savé, ou encore les Baribas, très guerriers eux-mêmes, des royaumes dévastés par les razzias du Dahomé, aussi bien pour se procurer des esclaves que pour piller les richesses locales.    Il serait donc intéressant de savoir ce que les descendants des royaumes en question pensent des restitutions demandées, de la destination prévue, et de leur contexte historique de présentation locale.

     « J’oubliais, mais ce peut être intéressant pour un « historien amateur ». Le Royaume du Bénin avait lui aussi des « coutumes barbares » (sanguinaires ».(M.A.)

     Ceci dit, et à mes yeux, pour avoir beaucoup fréquenté l’histoire de la colonisation française de l’Afrique de l’Ouest, trop peut-être, je me suis souvent demandé quel pouvait être l’intérêt, pour ne pas dire la justification de la conquête du Dahomé, du Soudan, ou de la Mauritanie, sans citer d’autres territoires, Haute Volta, Niger ou Tchad…

      3 – De multiples questions posées :

       Quelle est la définition de l’art africain ? Ce que nous appelons l’art africain existerait-il sans la période des conquêtes coloniales et des colonisations de l’Occident.

     A l’époque de leur création, s’agissait-il d’art, d’objets de culte, d’ornements ou de signes de pouvoir ?

       Ces objets ne baignaient-ils pas dans un univers culturel ou religieux, visible ou invisible, bénéfique ou maléfique selon les époques ou leur origine ethnique ?

     L’énigme de la datation – Faute de pouvoir dater beaucoup d’objets, nombreux ont été les objets, masques, statuettes, ou sculptures,  qui ont été mis en vente sur le marché, sans qu’ils soient authentiques, un trafic on ne peut plus lucratif.

      Une fois ces premières difficultés résolues, il conviendrait de pouvoir identifier les conditions de la cession de tel ou tel objet, – cadeau, troc ou cession en cauris, vol – en fonction de sa contrée d’origine (Sahel, savane ou forêt), sinon de son ethnie d’origine, en pouvant distinguer entre celles sous influence musulmane, disposant d’une armature de lettrés et de textes écrits, mais réfractaires à toute image, et celles sous influence animiste ou fétichiste, de civilisation verbale.

      Dans ce dernier domaine géographique, le  rayonnement des objets « récoltés » est historiquement difficile à identifier, tant ce domaine de la création nous plonge dans un univers à clés de type magique détenues par des féticheurs ou des sorciers. Est-ce que ça ne pourrait pas être le cas dans le Bénin d’aujourd’hui, un pays où les couvents de féticheurs et féticheuses, notamment à Ouidah, ont toujours eu beaucoup d’adeptes ?

       Il est évident que derrière ce type de revendication que l’on peut considérer comme en partie légitime, l’on voit en permanence la main d’un courant idéologique, politique, culturel, universitaire, encore puissant, lequel, comme à son habitude, met les pleins feux sur la « face nocturne », et peu ou pas du tout, sur la « face diurne », la distinction historique que proposait Hampâté Bâ pour faire le bilan de la colonisation française.

            Une sorte de concours de beauté historique est entre les mains d’un courant d’autoflagellation historique, comme si nous avions réellement caché le passé de la France, avec sans le dire ou en le disant (voir M.Tin), la revendication d’une réparation en monnaie sonnante et trébuchante.          

      Je conclurai volontiers ma chronique en élargissant ce débat par nature austère, difficile, et relatif, à la question de la définition de ce qu’est l’art

      Dans les domaines de la sculpture ou de la peinture, chacun sait que, chez nous, à l’époque moderne, la peinture impressionniste ou abstraite n’a pas eu beaucoup de succès, alors qu’un Picasso a été un des premiers à reconnaître certaines formes de l’art africain.

       Que dire enfin, lorsqu’il s’agit de très grosses sommes de monnaie bien sonnante et bien trébuchante telles que celles de certaines ventes aux enchères internationales !

       Jean Pierre Renaud

Oran, le 8 décembre 2018, la France et l’Algérie: un nouveau chemin de lumière ?

    Aujourd’hui 8 décembre 2018, les dix-neuf religieux et religieuses tués durant la guerre civile des années 1990, dont les sept moines de Tibéhirine, sont béatifiés dans l’église Santa Cruz à Oran.

            Un rayon de soleil, un nouveau chemin de lumière dans les relations franco-algériennes ? Beaucoup l’espèrent, car le geste est important dans ce pays musulman, alors que dans la plupart des pays musulmans, les chrétiens sont persécutés.

            Jean Pierre Renaud

Commémoration « internationale » du centenaire du 11 novembre 2018 – Emotion, Mémoire, Histoire, Oubli

Commémoration  « internationale » du centenaire du 11 novembre 1918, le 11 novembre 2018.

Emotion, Mémoire, Histoire, Oubli

Une émotion légitime

 Une émotion légitime en souvenir de tous les sacrifices des Français et des Françaises, morts ou blessés dans toutes les villes et tous les villages de France, et de leurs familles.

     Une émotion d’autant plus forte que dans ma propre famille paternelle quatre frères furent en même temps sur le front, qu’un de mes oncles y mourut la veille de ses vingt ans, que le deuxième y fut gazé et resta handicapé toute sa vie, que le troisième en revint mutilé, et que mon père, le quatrième, y fut blessé au cours d’un service militaire qui dura six années (1913-1919).

       En dépit de ce douloureux passé, et comme je l’ai déjà rappelé sur ce blog, je suis depuis plus de quarante ans favorable à plus d’union entre mon pays et l’Allemagne, alors que dans ma famille de Franche Comté nous avons été envahis trois fois d’abord par les Prussiens, puis les Allemands, en 1870, en 1914, et en 1939.

      J’ai regretté toutefois que le Président actuel ait cru bon, à cette occasion, et tout au long de sa tournée mémorielle, de mélanger les genres entre politique politicienne et commémoration de notre passé.

        Peut-être aurait-il fallu aussi mieux célébrer et honorer  les sacrifices des nations qui ont aidé notre pays à vaincre les Allemands, et à cet égard, je ne suis pas sûr que ces cérémonies aient fait une part de mémoire et d’histoire équitable à tous ces sacrifices alliés, en comparaison avec la réconciliation franco-allemande initiée par De Gaulle et Adenauer.

        C’est sans doute une raison des humeurs justifiées du Président Trump à l’endroit du type de commémoration choisie, car les nations alliées de la France n’ont pas été assez mises à l’honneur.

         La composition de cette liste en surprendra plus d’un de nos jours : Etats Unis, Grande Bretagne avec ses anciens Dominions d’Australie, de Nouvelle Zélande, et du Canada, Italie, Roumanie, Serbie, Belgique, Grèce, Portugal, Monténégro.

       Pourquoi ne pas être enfin surpris par la présence au premier rang de la cérémonie officielle de l’Arc de Triomphe du prince héritier du Roi du Maroc (15 ans) ? Une raison protocolaire ?

Jean Pierre Renaud

II – L’histoire de France : Mémoire ou Histoire ? De Nora à Stora

II

L’histoire de France

Mémoire ou Histoire ? De Nora à Stora

De 14-18 à 1954-1962

Le Figaro des 10 et 11 novembre 2018, a publié en dernière page une longue interview d’un de nos historiens contemporains les plus réputés, sous le titre

« Pierre Nora : 14-18 garde une place éminente dans notre mémoire »

La Grande Guerre continue à travailler la société française explique l’historien

        Le journaliste Guillaume Perrault rappelle en exergue que « Pierre Nora a dirigé l’ambitieuse entreprise des Lieux de mémoire, œuvre collective en sept volumes parus de 1984 à 1992, dans laquelle plus de cent historiens évoquent les monuments, les fêtes, les symboles, les manuels et les personnalités qui ont façonné la mémoire nationale. »

         Plus loin, le même journaliste pose la question : « La première guerre mondiale figure-t-elle encore au premier rang des événements qui composent la mémoire collective des Français ? »

      Le contenu de cet interview est à la fois riche et très intéressant en raison de tous les aspects mémoriels et historiques qui y sont évoqués avec les graves difficultés que rencontrent les historiens pour raconter de nos jours  notre passé national alors que selon Pierre Nora :

        « … nous vivons dans une société où  l’individu prime la conscience du collectif, alors qu’à l’époque, le collectif national dépassait la conscience de l’individu. »

       sévit « le victimisme contemporain. L’histoire n’a plus de héros, simplement des victimes. » 

       « En outre, si l’on entend chaque jour que l’histoire de France est criminelle et ne sert à rien pour exercer une profession, à quoi bon l’apprendre ? »

      J’ajouterais volontiers à l’individualisme un communautarisme de plus en plus actif, et à l’irruption de plus en plus envahissante des mémoires historiques en lieu et place de l’histoire.

       La mémoire se vend mieux que l’histoire, d’autant mieux qu’elle dessert des lobbies idéologiques, politiques, ou tout simplement du marketing éditorial.

       J’aurais aimé que Pierre Nora évoque le sujet, d’autant plus qu’il fit partie, à un moment donné de son parcours, de la matrice algérienne, une matrice intellectuelle dont les acteurs ont su occuper efficacement le terrain, en faisant plus de place qu’il n’aurait convenu à tout ce qui touche à la mémoire pour sauvegarder les caractéristiques de science humaine à la discipline historique.

     J’aurais également aimé que Les Lieux de mémoire soient classés par importance dans notre mémoire collective au moment de leur publication.

       Pourquoi ? Parce que l’expression de mémoire collective fait florès dans les médias sans que jamais on la définisse et qu’on la mesure dans l’opinion publique, alors que les moyens de la mesurer existent nombreux.

         Benjamin Stora s’est illustré à sa façon sur ce terrain en prétendant que la France souffrait d’une « guerre des mémoires » (« l’aube – 2007 »), mais sans jamais la mesurer ou la faire mesurer, ce qu’il aurait pu réaliser d’autant plus facilement avec le carnet d’adresses intellectuelles, politiques, et médiatiques dont il dispose.

        A l’occasion d’une de mes chroniques, je lui ai reproché d’être une sorte d’agit-prop – sous caution de l’histoire avec un grand H –  de la propagande postcoloniale, un nom de baptême qui lui est familier, compte tenu de son passé trotskyste et des affinités politiques qu’il affiche depuis très longtemps.

    Dans son interview, Pierre Nora évoque la « victimisation contemporaine », et il est évident que Benjamin Stora en est un des acteurs intellectuels du moment, de conserve avec les animateurs du « modèle de propagande Blanchard and Co »  dont j’ai largement critiqué les « œuvres » sur ce blog, et d’autres encore que l’auteur cite plus loin.

       Avant de proposer un petit florilège des mèches idéologiques et politiques que les lobbies en question ont allumé depuis des années, comment ne pas citer d’abord quelques-unes des incantations mémorielles capitales de l’auteur :

      « Au cœur de la transmission de l’histoire coloniale, l’Algérie est centrale pour de multiples raisons : la présence française dans ce pays pendant près d’un siècle et demi , la succession de trois ou quatre générations d’Européens de 1830 à 1962 traumatisés par la perte de leur terre natale, le rôle important des troupes supplétives et l’arrivée d’une importante immigration algérienne en métropole des années 1930 aux années 1970… Des millions de personnes se sentent toujours concernées par cette guerre d’Algérie qui a fait d’innombrables victimes. » ( Page 13)

&

      « Au cœur de la transmission de l’histoire coloniale, l’Algérie est centrale pour de multiples raisons. » 

        Je noterai tout d’abord et simplement que c’est le résultat pour le moment de la présence d’un groupe idéologique et politique d’intellectuels issus souvent de la matrice algérienne, lesquels surfent sur la guerre d’Algérie et sur celle d’une population d’origine maghrébine, avec à l’appui tout un ensemble de lobbies dont les objectifs sont loin d’être clairs, notamment sur le plan des réparations financières, pour ne pas dire l’assistance.

Questions : 1) près d’un siècle et demi ou moins d’un siècle et demi ?

     2) L’immigration algérienne : régulière ou irrégulière en forte croissance à la fin du siècle passé, en raison notamment de la deuxième guerre civile des années noires de l’Algérie, une immigration qui continue d’ailleurs, en dépit du fait que de jeunes français d’origine algérienne déclarent « ch… sur la France », et que le gouvernement algérien du FLN est bien content de voir ses jeunes citoyens aller chercher fortune dans un pays exhibé comme l’ennemi irréductible.

      3) Et l’auteur passe à la guerre d’Algérie, l’alpha oméga de toute notre histoire à la fois coloniale et française, sinon de l’histoire de France !

      a) je ne suis pas sûr que des mémorialistes ou des historiens qui ont vécu en Algérie au cours de cette période soient les mieux placés pour avoir la distance et la hauteur de vue historiques nécessaires sur un sujet aussi sensible.

    b) j’ai toujours conservé en mémoire et à ce sujet les réserves qu’avait exprimées l’historien Goubert sur l’histoire « à chaud », et j’ai toujours exprimé beaucoup de réserves sur les multiples témoignages que l’on publiait plusieurs dizaines d’années après le conflit franco-algérien, en s’inspirant d’une mémoire personnelle non consignée par écrit, au moment des faits.

      Au-delà de toutes les réserves  qui pèsent sur cette sorte de complainte mémorielle ou historique dans un contexte de « guerre » supposée, son auteur    écrit :

      « Je m’inscris dans la tradition de Jules Michelet, au XIXème siècle, un historien engagé qui ne se contentait pas de réclamer le droit d’établir la vérité scientifique sur les évènements. » (page 88)

       Rien de moins !

       Pour illustrer ce type de dérive intellectuelle, citons quelques-uns des jugements mémoriels de cet historien de l’Algérie qui illustrent le petit livre d’entretien en question, un ensemble de concepts historiques, mémoriels, ou psychanalytiques… développés à l’ombre de la figure d’historien de l’Algérie qu’on lui reconnait volontiers, ce qui veut dire avec le sceau de cette science humaine, et avec le crédit qui s’y attache :

       « La guerre des mémoires n’a donc jamais cessé, mais elle vivait dans le secret des familles… (page 18)… La perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français… (page 31)…Après 1968, ma génération a beaucoup versé dans le tiers-mondisme, et a contribué, aussi, au refoulement de la question coloniale…. Pourtant, la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer. (page 32)… Faut-il entretenir cette guerre et « choisir son camp » ? Personnellement, j’essaie toujours de dresser des passerelles entre deux mémoires différentes et de trouver des espaces mémoriels communs. C’est le sens de tous mes travaux depuis une quinzaine d’années ». (page33)

       « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères ». (p40)

       Ouf ! Le lecteur a eu chaud ! Lui a été épargnée une image évoquée dans le livre « La fracture coloniale-2005- Blanchard-Bancel-Lemaire)» :      « … le déni du droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. » (page 200)

       L’historien mémorialiste a-t-il des sources statistiques solides à ce sujet ? A ma connaissance, non !

« Il ne faut jamais oublier qu’une grande majorité des universitaires français ont cru, presque jusqu’au bout à l’Algérie française. » (p 47)

       La preuve d’une telle affirmation ?

     « C’est ma ligne de conduite, je veux être un passeur entre les deux rives » (p 49)

       Comment un historien peut-il nourrir une telle ambition alors que l’Algérie devenue indépendante en 1962, vit encore en 2018, sous un régime dictatorial, en diffusant une propagande permanente à la gloire du glorieux FLN et de son histoire?

        « … Je suis partisan d’intégrer les nouvelles histoires dans la mémoire républicaine, pour l’enrichir» (page 52)

        Vaste ambition pour un enfant de l’Algérie encore française !

      Et après avoir mis le plein feu sur les mémoires vraies ou fausses, de les accréditer pour mieux les critiquer, l’auteur se plaint du « trop plein mémoriel » (page 65), et note plus loin : « En France, le cercle des lobbies mémoriels s’agrandit, entraînant, effectivement, le risque de logiques communautaristes, qu’elles soient religieuses, linguistiques ou culturelles. » (page 67)

      Ne s’agit-il pas du cas de figure connue du pompier pyromane ?

      Plus loin, le mémorialiste historien donne des leçons :

     «  Enfermer aujourd’hui les enfants d’immigrés dans l’histoire coloniale de leurs parents me parait dangereux. Cette histoire existe, mais elle ne doit pas être instrumentalisée. » (page 70)

    « L’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées. » (page 81)

     « La tâche des historiens n’est pas non plus de soigner les mémoires blessées. » (page 84)

       N’est-ce pas ce que croit faire en permanence Benjamin Stora ?

     Je recommande vivement aux jeunes historiens de lire ce petit livre afin de bien comprendre de quoi il s’agit, car le fil du discours est loin d’être clair, et l’on y perd bien souvent son latin, même s’il n’est plus à la mode.

      Certaines réflexions pourraient sans doute être proposées comme sujets d’agrégation sur la mémoire, l’histoire, ou la politique.

      Alors que le lobby idéologique, politique, et intellectuel dont il est un des animateurs a surfé sur la mémoire plus que sur l’histoire, sur une mémoire autoflagellante, ou repentante, au gré des vents éditoriaux du marché et de l’immigration.

      « On peut  se demander, effectivement, si ces saignements de mémoire, ces désirs mémoriels exprimés par une partie de plus en plus importante de notre société ne freinent pas le travail de l’historien. » (page 90)

       L’infirmerie mémorielle et historique de Benjamin Stora ?

      « Il faudrait peut-être revoir les lois d’amnistie adoptées après 1962, qui interdisent tout débat public et toute poursuite judiciaire. » (page 95)

      Pour une fois, je suis d’accord avec  l’auteur, et en ma qualité d’ancien soldat du contingent en Algérie, je regrette ces amnisties issues des Accords d’Evian, car elles ont engendré des revendications mémorielles à sens unique, laissant croire que le FLN était blanc comme neige et l’armée française coupable de tous les crimes de l’humanité.

      Dois-je rappeler que j’ai traité à maintes reprises sur ce blog le sujet de la mémoire, des mémoires collectives, de la mémoire coloniale, en regrettant que beaucoup de chercheurs mettent ces concepts à toutes les sauces, sans les définir, et sans les mesurer, une sorte de graal magique, un mythe idéologique.

Jean Pierre Renaud

Commémoration du 11 novembre 2018 – III -France, Allemagne et Algérie

III

Commémoration du 11 novembre 2018

Armistice du 11 novembre 1918 et Accords d’Evian du 18 mars 1962 : France, Allemagne et Algérie ?

Pourquoi un tel rapprochement, alors que les deux événements ne sont évidemment pas comparables,  sur le plan historique, compte tenu de leurs enjeux, des parties concernées et du nombre de victimes ?

        Une raison avant tout personnelle, mais que d’autres français, et sans doute d’autres algériens partagent aussi, celle de l’incompréhension.

     A cette occasion, je voudrais revenir sur l’histoire de mon pays, et précisément sur la guerre d’Algérie dont le souvenir est encore exploité par tout un ensemble de groupes de pression animés par un esprit de vengeance, de repentance, de victimes en quête de réparation sonnante et trébuchante…. Plus de soixante ans après la fin de cette guerre !

      Qui sont les responsables de cette situation ? A mes yeux, le FLN qui gouverne ce pays depuis son indépendance et qui n’a jamais su ou pu trouver le chef d’État (homme ou femme) capable d’assumer cette réconciliation. (De Gaulle et Adenauer 22/01/1963- moins de vingt ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale)

     La dictature du FLN algérien, le champion des haines recuites, a besoin d’un ennemi héréditaire pour continuer à exister, une recette historique assez connue et mondialement pratiquée.

      Comment expliquer en effet une telle situation entre nos deux pays ? Des facteurs de religion, de culture, de traditions, ou plus simplement le besoin de cultiver toujours le même adversaire, pour consolider l’autorité politique toujours fragile d’une nomenklatura dont beaucoup soupçonnent l’intégrité ?

      Le moment est  venu de procéder à une enquête sérieuse sur la mémoire collective de notre peuple, afin de savoir ce qu’il a conservé de ces guerres, et dire le vrai ou le faux en particulier sur cette guerre d’Algérie.

       Je proposerais volontiers :

       1°) que les classes terminales de nos collèges et lycées soient conviés à faire une dissertation sur le sujet suivant :

        Depuis la fin de la guerre d’Algérie, la France et l’Algérie n’ont pas encore trouvé un chemin de réconciliation : quelles en sont à votre avis les raisons, culturelles, politiques… ?

       2°) que les pouvoirs publics lancent une grande enquête publique, comme on sait en faire, sur l’existence et le contenu a) d’une mémoire de la guerre d’Algérie qui existerait encore en France très vivace,

     b) d’une mémoire coloniale qui infuserait encore dans l’opinion publique.

      Certaines voix postcoloniales ont cru bon de comparer la guerre d’Algérie à la guerre franco-allemande, évidemment dans tous les attributs dont le nazisme a su faire profiter le peuple français.

      Puis-je témoigner, aux côtés de très nombreux soldats du contingent ou de carrière, que la plupart d’entre nous ont alors œuvré pour que l’Algérie connaisse un sort meilleur que celui qu’ils découvraient, le constat que l’Algérie n’était pas la France ?

     Les comparaisons proposées entre la France des années 1954-1962 et la France des années 1939-1945 sont la plupart du temps outrancières ou hors de propos, alors que toute guerre n’a jamais été à l’abri de saloperies et de violences dans les deux camps.

      Dans l’un de mes livres consacré à ce conflit, je concluais chacune de mes chroniques de guerre avec une rubrique intitulée :

      « Morts ou vivants, ils auraient dit ou ils diraient » et dans l’une d’entre elles, j’écrivais :

       «  Le douar reprenait une vie normale, il y avait un café maure, et même un cinéma. Les écoles avaient rouvert leurs portes. Tout semblait dire : la pacification a réussi, on pouvait la toucher du doigt. Déjà on voyait colonel et sous-préfet, colonelle et sous-préfète, venir en touristes admirer les beaux paysages du douar.

      Juste une illusion, car le mal était fait. L’histoire avait effectivement franchi ici un pas elle ne reviendrait pas en arrière.

    Notre merveilleuse intelligentsia avait vu juste, mais elle avait beaucoup contribué pour qu’il en soit ainsi.

      Le sourire hygiénique de la pacification avait remplacé le sourire hygiénique du lieutenant de la SAS. » (page 94)

       Dans une des lettres que m’adressa, l’ancien lieutenant de Chasseurs Alpins, ancien normalien,  et comme moi, ancien élève de l’Ecole Militaire de Saint Maixent au titre du contingent, Georges Durand, concluait :

       « Quel dommage que la violence ait gâché notre présence, notre départ et notre absence ! La paix ne refleurira-t-elle jamais dans les oueds envahis par les lauriers roses s’éveillant sous la caresse des doigts de l’aurore, pareils à ceux d’où nous revenions au petit matin soulagés d’une nuit d’embuscade vaine. »

      Georges Durand crapahuta avant moi, et comme moi, dans le djebel de Petite Kabylie, en surplomb de la belle vallée de la Soummam dans les années 1958-1959.

       Avec Albert Camus en point final, dans son livre algérien « La peste » :

      « Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs, et faisait fuir toute joie.

         C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté. »

                  Jean Pierre Renaud

Radicalisme islamique et islam de France – La condamnation à mort pour blasphème de la chrétienne pakistanaise Asia Bibi

Radicalisme islamique et Islam de France

La condamnation à mort pour blasphème de la chrétienne pakistanaise Asia Bibi

            Les bonnes âmes de France vouées au multiculturalisme et au relativisme vont sûrement trouver quelques excuses au radicalisme qui sévit au Pakistan !

            Rappelons que la religion chrétienne n’est pas la bienvenue dans beaucoup de pays musulmans, sinon tous, et que les chrétiens y sont soit persécutés soit proscrits.

            Au cours de la période de colonisation française, et dans les pays musulmans, la cohabitation fut une solution pour asseoir une certaine paix civile.

      De nos jours et en métropole  avec la présence d’une population immigrée d’origine musulmane relativement importante, cette cohabitation pose des problèmes, beaucoup de problèmes, notamment en raison de la république laïque et des initiatives répétées de groupes de pression musulmans en vue d’imposer un vivre ensemble qui ne correspond pas à celui qui est le nôtre. Pourquoi oublierait-on le tragique passé de nos guerres religieuses fratricides d’il y a plusieurs siècles ?

       La séparation entre les Eglises et l’Etat étant notre assurance collective de paix civile, il convient tout à la fois de la défendre et de dénoncer les tentatives permanentes de détournement des mots et des faits, lesquelles tendent à faire croire que l’islam est chez nous stigmatisé, que l’opinion publique est abusée en permanence par la généralisation de cas particuliers.

         L’islam radical est toujours prêt à crier au loup, au loup, à la violation de l’état de droit, de mise en épingle de cas particuliers…

      Le cas de cette jeune femme pakistanaise est symbolique du fossé qui nous sépare des états nourris par leur islam radical, mais entend-on beaucoup de voix dans l’islam de France pour dénoncer cette radicalité ? Dans la plupart des pays musulmans sévit une guerre des religions entre mouvances, et nous aurions tort de vouloir nous en préserver ?         

             Jean Pierre Renaud

Où va la France ? Macron, quelle stratégie ?

Où va la France ?

Quelle stratégie pour la France du XXIème siècle ?

Macron, quelle stratégie ?

            Entre feu de paille politique, France réformée, « transformée », ou déformée ?

            16 mois après son élection et une grande agitation réformatrice désordonnée – on touche à tout – « en même temps », la question se pose de savoir si le nouveau Président a une stratégie, et si au-delà du « miraculeux » concours de circonstances de son élection, nous sommes gouvernés par un homme qui déploie une vraie stratégie politique et économique avec une vraie hiérarchie d’objectifs.

            Nombreux sont les citoyens qui se posent cette question.

            Le Président du « monde nouveau » a-t-il une stratégie ?

            Rien n’est moins sûr à découvrir presque chaque jour la succession souvent approximative ou contradictoire des décisions gouvernementales découlant du tout « en même temps », un gouvernement du «  touche à tout en même temps », dénué de toute vision à long terme.

            L’opinion publique est de plus en plus déboussolée, car le nouveau Président n’a pas affiché jusqu’à présent de stratégie claire, avec une hiérarchie des objectifs qu’il propose à la France.

        Où va la France de Macron ? Proposer la mise en œuvre d’une politique de l’offre, c’est-à-dire favorable aux entreprises, au travail, c’est mieux que d’avoir voulu comme Hollande engager à contretemps une politique de la demande, mais ce n’est sûrement pas un programme susceptible d’entrainer l’enthousiasme les Français et les Françaises.

        La dernière élection présidentielle était l’occasion d’un moment de vérité pour le pays, à la fois sur le plan national et sur le plan international :

  • Au plan national, un endettement excessif et dangereux, un appareil étatique et local obsolète, une fiscalité écrasante, l’abandon de trop de quartiers sensibles par la République, faute de volonté politique et de souci du bien commun avec le contrôle nécessaire des flux d’immigration…
  • Au plan international, une politique étrangère animée par la volonté d’être toujours la grande puissance d’un lointain passé, sans tenir compte des moyens du pays et des nouveaux rapports de force entre grandes puissances, avec la vision encore actuelle d’une mondialisation heureuse, alors que la seule voie de notre puissance nationale passe à la fois par une Union européenne renforcée, et la définition d’une stratégie française de puissance indirecte, celle que les gens des médias appellent le « soft power ».

            Face aux défis actuels, le pays aurait besoin d’un nouveau Mendès-France et non d’une sorte de version moderne  de Monsieur Queuille !

            Il y une vingtaine d’années, j’avais publié à compte d’auteur, un petit livre consacré aux stratégies indirectes.

            De nos jours et compte tenu de l’évolution du monde, Russie, Chine, Islam, Europe, les conceptions anciennes de la puissance française sont de plus en plus obsolètes et la stratégie de notre pays devrait avoir l’ambition de reposer sur trois piliers, le militaire dans le cadre de l’Union européenne, l’économique des niches françaises, et enfin le culturel, c’est-à-dire le développement d’une action culturelle tous azimut conforme à nos traditions les mieux assurées.

Je conclurais volontiers mon propos en citant une des phrases clés du jeune philosophe François-Xavier Bellamy :

        «  L’essentiel n’est pas d’avancer mais de savoir où l’on va », car il ne suffit pas d’avoir pour seul mot à la bouche la « transformation », de plus en plus équivalente de destruction du collectif français.

        Dans son livre « Demeure », le jeune philosophe pose les bonnes questions.

         Les « demeurés » ne sont peut-être pas où l’on pense !

        Jean Pierre Renaud

Décision coloniale, qui décide ? Le cas du Maroc (années 1909-1912) Avec les Mémoires de Joseph Caillaux

DECISION COLONIALE, QUI DECIDE ?

Le CAS du MAROC des années 1909-1912 : avec Joseph Caillaux

« MES MEMOIRES »

Tome 2

Mes audaces. Agadir…

1909-1912

Joseph Caillaux

Plon 1943

Lecture critique

La date de cette parution peut surprendre, c’est-à-dire en pleine époque d’une France occupée par les Allemands.

            La lecture de ces mémoires m’a donné l’occasion de faire connaissance avec son auteur, un des hommes politiques les plus brillants de la Troisième République, mais surtout de réviser un certain nombre de connaissances que j’avais acquises grâce à la lecture passée du livre d’Henri Brunschwig, « La colonisation française » et de son chapitre VII « Le Maroc et les interférences de politique étrangère. »

            La lecture du tome II m’a surtout permis de voir comment fonctionnait un gouvernement de la Troisième République quelques années avant la Grande Guerre, à la fois sur le plan de la politique intérieure et sur celui de la politique étrangère et coloniale : qui prenait la décision ?

            Ces mémoires illustrent parfaitement la conception de la politique étrangère que pouvaient avoir alors les puissances coloniales à l’égard des terres qu’ils s’estimaient en « droit » de conquérir.

            Rappelons que Caillaux fit partie de cette caste politique – les Jaurès, Briand, Barthou, Clemenceau, Poincaré – qui gouverna alors la France. En sa qualité d’Inspecteur des Finances, il manifesta en permanence de l’intérêt pour les questions financières (voir l’impôt sur le revenu), et fit tout d‘abord partie du groupe des Républicains (la gauche) qui furent le fer de lance des conquêtes coloniales, puis de celui des radicaux socialistes.

            Caillaux fut un Président du Conseil éphémère, comme le furent beaucoup de ses prédécesseurs et successeurs au cours de la Troisième République, moins de six mois entre le 27 juin 1911 et le 14 janvier 1912.

            Son passage fut essentiellement marqué par l’affaire d’Agadir et les initiatives concurrentes de la France et de l’Allemagne pour dominer le Maroc, avec l’enjeu parallèle du Congo, par une intervention française du type « fait accompli » à Casablanca et à Fez, et en réplique, le positionnement de la canonnière Panther à Agadir.

            Brunschwig écrit, en parlant du Kaiser :

            « Il espérait la cession du Congo Français » … « des conversations réunirent, en dehors du quai d’Orsay, le conseiller d’ambassade von Lankert et Caillaux à Paris, l’agent personnel de Caillaux Fondère et le ministre des affaires étrangères Kiderlen-Waachter à Berlin. Pendant un mois, entre le 15 juillet et le 15 août, on fut à deux doigts de la guerre. » (p,252)

Cette situation donne déjà une petite idée du fonctionnement concret de la diplomatie française « en  dehors du quai d’’Orsay » avec un « agent personnel ».

            Indiquons que ces mémoires constituent un plaidoyer pro domo de Caillaux, une justification de la politique qu’il a menée avec l’Allemagne, de l’accusation qui lui a été constamment faite d’être un pacifiste, prélude, plus tard,  d’une accusation de haute trahison qui lui valut d’être traduit après la guerre devant la Haute Cour.

          Il sortit de ce procès avec honneur.

            Nous verrons plus loin les arguments que Caillaux développait pour justifier ses positions.

            Il n’est pas superflu de préciser que Caillaux faisait partie d’une nouvelle génération d’hommes politiques qui succédaient à celle d’une partie des Républicains que le Panama avait dévorés, c’est-à-dire très largement corrompus.

            Le scandale du Panama s’était soldé, en 1888 par une ardoise de 1,4 milliard de francs or, soit 5,4 milliards d’euros 2015, pour 850 000 souscripteurs, dont beaucoup étaient des petits épargnants rentiers.

            Puis intervint, en 1894, l’affaire Dreyfus qui « coupa la France en deux » (La Troisième République, Jacques Bainville, p, 203).

           La France parlementaire était en gros divisée en deux camps politiques, le camp politique de la revanche, avec le retour de l’Alsace Lorraine au pays et des alliances avec la Russie et l’Angleterre, afin de contrer la puissance allemande, et le camp politique de ceux qu’on appelait les pacifistes, Jaurès, Briand, et Caillaux, lesquels recherchaient l’apaisement et la négociation.

          Avant d’esquisser mes observations sur les acteurs du scénario Caillaux, sur la scène française et internationale où se jouait ce scénario, et sur ses résultats, échec ou succès, il convient de reconnaitre que l’homme politique avait une belle écriture, notamment lorsqu’il l’exerçait pour faire le portrait des acteurs qu’il appréciait, mais surtout ceux qu’il détestait.

        Ces portraits dénotent aussi beaucoup de condescendance à l’égard de ses collègues

        Les acteurs

         Les acteurs politiques – A lire ce deuxième tome des mémoires, les acteurs du scénario Caillaux constituaient un petit cercle d’hommes, et rarement de femmes, qui se sont fréquentés, croisés, combattus, pendant de longues années, tout en faisant souvent partie du même petit monde politique parisien républicain, radical, ou socialiste du début du vingtième siècle.

      A côté des ministres en vue, Caillaux évoque quelques figures surprenantes, le couple Herbette Conti : « L’administration est conduite par le sous-directeur des Affaires politiques et par le chef de cabinet du ministre, tous deux nationalistes aussi ardents qu’inconsidérés. »

      Il s’agissait d’Herbette le chef de cabinet du ministre des Affaires Etrangères de Selves – les Allemands l’avaient surnommé Herr Bête – (p149), Caillaux n’hésitant pas à dresser le portrait peu flatteur du ministre :

       « Je me suis montré quant à présent aussi réservé que possible dans mes appréciations sur M de Selves. Je voudrais continuer. Je n’ai pas le droit de lui en vouloir de sa faiblesse intellectuelle qui  le fait prisonnier de son entourage – car on entend bien que toutes les puérilités qu’il débitait lui étaient serinées par les Herbette et tutti quanti. Je l’avais choisi sachant sa médiocrité, ne me doutant naturellement pas du degré qu’elle atteignait. Peu importe ! J’étais averti. J’aurais dû voir plus clair. «  (p,203)

        Il s’agissait du ministre des Affaires Etrangères !

       Il faut reconnaître que l’auteur, à l’exception de de Freycinet, et encore, dresse des portraits très acides d’autres acteurs de cette scène, ministres ou ambassadeurs.

        Il trace un  portrait élogieux de M.de Freycinet, avec toutefois un coup de pied de l’âne final, qui lui parut sans doute d’autant plus justifié qu’il contribua à satisfaire les ambitions de son petit-cousin de Selves, le ministre cité plus haut :

        « … L’occasion m’est donnée de tracer un léger croquis de lui. Je manquerai d’autant moins de la saisir que M.de Freycinet fut jusqu’à la fin de sa vie un des grands personnages de la République.

        Il en imposait par son passé, par sa merveilleuse intelligence, par son exquise aménité qui se mariait avec un aristocratisme de bon aloi. « Allez donc causer avec M.de Freycinet, » disaient les anciens aux jeunes ministres tels que moi, tels que Barthou, quand les circonstances nous mettaient aux prises avec une question difficile de gouvernement ou d’administration. Et nous allions solliciter dans un hôtel de la rue de la Faisanderie les éclaircissements qu’avec une lucidité incomparable distribuait, d’une voix fluette, un vieillard au profil de camée, tout grêle et tout blanc – la souris blanche fut son surnom.- « Le cerveau de cet homme est un filtre, « disait de lui Gambetta. Le tribun avait raison. Il avait non moins raison hélas ! quand il ajoutait : « Toutes les eaux en sortent pures mais infécondes. » A M.de Freycinet, comme à d’autres, plus qu’à tous autres, le caractère faisait défaut. » (p,47)

          Ou de la façon de choisir ses ministres, toujours de Selves, puis Klotz :

      «  Tout bien pesé, je me résignai : de Selves au Quai d’Orsay, moi dans un grand ministère politique, ailleurs des collaborateurs appropriés à leur tâche, ayant tous de la valeur. Une seule exception : Klotz aux Finances, Klotz dont il ne me venait pas à l’esprit de mettre la probité en doute mais que je savais un médiocre.

        Pourquoi, ayant cette opinion de lui, me suis-je assuré de sa collaboration ? D’abord parce que je n’avais guère l’embarras du choix. Le Parlement était presque aussi pauvre en financiers d’État qu’en diplomates… ». (p,80)

      Dans cette galerie de portraits, Caillaux fait un sort à Berteaux qu’il choisit comme ministre de la Guerre, alors que de Selves détenait le Quai d’Orsay, le couple ministériel qui est à la manœuvre dans les affaires marocaines, dont Caillaux dénonce le rôle dans le fait accompli de Fez, une intervention française qui ouvre une nouvelle fois le dossier du Maroc avec l’Allemagne.

       « Possesseur d’une énorme fortune, sachant largement dépenser, Berteaux disposait d’une immense clientèle. Son empressement à rendre service, son exquise bonté lui valaient d’autres amitiés, plus précieuses celles-là puisque désintéressées. Il conquérait jusqu’à ceux qu’horripilait sa passion de démagogie. Car cet homme d’une réelle valeur avait une tare : il était foncièrement démagogue. Je dis « foncièrement ». Je suis en effet convaincu qu’il n’entrait pas de calcul dans les attitudes de Berteaux…

         Ce n’est guère qu’en 1911 que les barrières tombèrent devant lui. Il sentit alors avec l’extrême finesse dont il était doué qu’il ne désarmerait les hostilités, qu’il ne parviendrait aux très, très hautes situations dont il rêvait que s’il inscrivait à son actif un geste national… voire nationaliste. Pourquoi pas ? il ne répugnait pas entièrement au nationalisme qui cousine avec la démagogie. Or voici que surgit l’histoire de Fez. Elle offre une occasion exceptionnelle de prendre une posture éclatante. Comment hésiterait-il ? «  (p, 65,66)

        Caillaux évoque à plusieurs reprises le personnage politique de Briand, en même temps autant admiratif que contempteur.

       « Il était certainement de bonne foi quand il jugeait que notre parti abusait de sa force vis-à-vis de ses adversaires. Mais, quelles que fussent les exagérations auxquelles il se complaisait en paroles, il était trop intelligent pour ne pas comprendre que le temps seul pouvait modérer l’âpreté des luttes entre hommes de gauche et gens de droite, que collaborer discrètement à cette œuvre de longue haleine par des conseils de calme distribués à propos était tout ce qu’un gouvernement pouvait faire.

        Il serait entré dans ses vues, il n’aurait pas brandi « l’apaisement » s’il n’y avait trouvé un moyen de transformer le régime et du même coup, d’asseoir son hégémonie personnelle. C’est ici que l’analyse à laquelle je procède devient délicate…

        Fondre tous les Français en un seul et immense parti selon l’expression exacte de Jaurès avec pour toute bannière « l’apaisement », se placer à la tête du pays, assurer la permanence de son autorité et la compacité de l’amalgame formé en instituant – ce fut sa grande trouvaille – la dictature des journaux sous son contrôle à lui, Briand, tel fut sa politique… l’entreprise avorta …

       Mais cela est une histoire qui sera contée tout à l’heure. Ce qu’il me faut expliquer de suite c’est comment le Président du Conseil de 1909 parvint à mettre sur pied l’extraordinaire combinaison qu’il avait, selon toutes probabilités, méditée depuis longtemps, comment il arriva à cartelliser la presse de Paris. » (p,23,24,25)

        Nous reviendrons plus loin sur le rôle de la presse à la veille de la Grande Guerre, car il s’agit d’un sujet qui ne me parait pas avoir encore assez attiré l’attention des historiens, au cours de cette période, notamment dans le domaine colonial, alors qu’il s’agissait d’un des rares vecteurs d’information ou désinformation qu’il était possible de mesurer.

        J’ai déjà eu l’occasion dans quelques-uns de mes écrits de faire le constat de cette carence historique notoire pour tout ce qui touche à l’histoire coloniale de la Troisième et Quatrième République.

       Les pages consacrées à Tardieu, une figure de la Troisième République valent le détour de lecture.

       « M.Hébrard, le directeur du Temps, vint plaider auprès de moi la cause de M.André Tardieu. Attaché au cabinet de Waldeck-Rousseau qui était lié avec les siens, nommé tout jeune inspecteur général adjoint des services administratifs du ministère de l’Intérieur, devenu par la suite inspecteur général titulaire, M.Tardieu rédigeait la bulletin de politique extérieure du Temps. Cumul critiquable, admissible cependant… à la rigueur ! Ce qui n’était pas tolérable c’est que M.Tardieu prétendit participer à des affaires internationales et qu’il soutint ou qu’il attaquât les ministres des Affaires étrangères suivant qu’ils secondaient ou qu’ils se refusaient à servir les intérêts pécuniaires de ses amis…. Ce que, en revanche, je relevais, c’était la position que M.Tardieu avait prise dans l’affaire de la N’Goko-Sangha. Il avait accepté, lui inspecteur général des services administratifs, de se faire contre l’Etat l’avocat stipendié de la Compagnie devant le tribunal arbitral constitué pour décider si la société concessionnaire avait droit à indemnité et pour en fixer le montant aux dépens du Trésor. Arrivant au ministère de l’Intérieur, je jugeai que je ne pouvais laisser passer sans sanction une incorrection – c’est le moins qu’on puisse dire – dont, si elle restait impunie, d’autres fonctionnaires pourraient s’autoriser pour en commettre de semblables.

       M.Hébrard défendit très vivement son collaborateur… Il me fit valoir le profit que je retirerais du concours dévoué que le rédacteur de la politique étrangère dans le plus grand journal de la République ne manquerait pas de me prêter…

         M.Hébrard fit valoir que ses deux prédécesseurs ne s’étaient pas formalisés de cette situation, M.M.Briand et Monis.

      « Je souris. Je consentis le geste de générosité qui m’était demandé. » (p,107,108)

      Caillaux semble découvrir à cette occasion le rôle secret que joue Tardieu dans les négociations engagées sur le Maroc.

       Tardieu était un brillant sujet, et le mélange des genres qu’il pratiquait ne l’empêchera pas de faire une belle carrière politique après la Première guerre mondiale.

    Dans la chronique que j’ai consacrée à la problématique « Subversion et pouvoir », le lecteur a pu constater que le lobby des médias fonctionne toujours aussi bien.

        Jean Pierre Renaud   –   Tous droits réservés

Décision coloniale, qui décide ? Le cas du Maroc (années 1909-1912) avec Joseph Caillaux 2 et 3

DECISION COLONIALE, QUI DECIDE ?

Le CAS du MAROC des années 1909-1912 : avec Joseph Caillaux

2

        Les acteurs étrangers

     Quatre puissances étaient véritablement intéressées par le dossier marocain, la France tout d’abord, l’Espagne et la Grande Bretagne, et plus récemment l’Allemagne, avec l’ambition affichée du Kaiser, Guillaume II, de rattraper son « retard colonial », notamment en Afrique.

      En Europe, et face à l’Allemagne, la France avait noué des relations d’alliance avec la Russie, notamment sur le plan de la défense.

       Ses relations diplomatiques avec la Grande Bretagne restaient un brin ambiguës, tant ce pays avait pour constante attitude internationale de vouloir conserver sa liberté de manœuvre jusqu’au dernier moment.

       Il parait intéressant de dire un mot de deux représentants anglais et russe à Paris : Sir Francis Bertie, ambassadeur de Grande Bretagne et Iswolski, ambassadeur de Russie.

       Sir Francis Bertie : « Il m’amusait toujours de le voir. Je savourais son costume, ses allures. Le stick en bataille, la moustache au vent, le chapeau haut de forme campé de travers sur de beaux cheveux blancs bouclés, il marchait la tête haute, alerte, juvénile. Tenue tout à fait soignée… datant ! Saucissonné dans des jaquettes ou dans des vestons trop ajustés, portant la large cravate lavallière bleue à pois bleus… passée de mode, il ressuscitait les personnages de Dickens et de Thackeray.

     Mais, si l’aspect de l’homme faisait mes délices…. Si, tout compte fait, j’éprouvais une vive sympathie pour cet échappé des romans qui avaient enchanté ma jeunesse, je me sentais mal à l’aise vis-à-vis du diplomate.

       … – il était réactionnaire comme trente-six gendarmes -… Cette mentalité je crois l’avoir définie en appliquant à sir Francis Bertie un sobriquet. Je le dénommai à part moi The squire, le hobereau pour parler français….

        C’eut été perdre son temps que de lui montrer la transformation du monde, depuis cent ans ; perdre son temps de lui indiquer les dangers pour l’Europe, à commencer pour la Grande Bretagne, d’une conflagration qui pouvait ruiner, anéantir l’ancien continent au profit des Amériques…

       Après les paroles de bienvenue j’étale la carte de l’Afrique, je montre les ambitions allemandes. Je demande : « L’Angleterre consentira-t-elle à ce que l’Allemagne s’approprie les énormes territoires qu’elle convoite ?  – Mon cher, réplique Bertie, l’Angleterre laissera l’Allemagne prendre toutes les colonies qu’elle voudra pourvu que ce soient des colonies françaises. » Je rapporte textuellement la phrase, taillée à l’aune du squire. Je veux la tenir pour une boutade. » (p137,138)

      « La Russie, elle, avait une armée de terre magnifique sur le papier. Notre alliée ferait sans nul doute honneur à sa signature. Mais, était-elle prête ?

      Je n’eus pas besoin de convoquer le comte Iswolski ambassadeur de Russie pour lui poser la question. De lui-même il frappa à ma porte.

        A la différence de son collègue de Grande Bretagne, il n’était rien moins que plaisant à voir et à entretenir. Son aspect, ses allures, son langage, tout en lui trahissait une superbe dont il fallait se maitriser pour ne pas s’irriter.

       De belle stature, ne perdant pas un pouce de sa taille, vêtu avec la dernière élégance, le monocle vissé à l’œil, il était le spécimen le plus accompli, presque la caricature, du haut fonctionnaire tsariste. Chez lui comme chez la plupart de ses pareils, la suffisance dédaigneuse, incommensurable ! N’étaient-ils pas les serviteurs d’un grand souverain régissant un immense empire ?…

      Le comte roulait sans doute ces pensées dans sa tête, quand il entra il assit gravement sa morgue dans le fauteuil où, quelques jours plus tôt, le squire avait campé sa désinvolture dans mon cabinet avec l’attitude compassée, avec la démarche gourmée qui seyaient – il l’imaginait – au représentant de l’empereur de toutes les Russies.  (p140)

         … « Il me faut, monsieur le président, vous avertir que, quelles que soient nos dispositions d’esprit, nous ne sommes pas, à l’heure actuelle, en état de participer à une guerre européenne. »  (p,143)

       Ce qui était effectivement le cas après la mission  du général Dubail en Russie.

        Parmi les comparses officiels ou secrets de cette histoire figurait une  Mme M. de J…, amie, confidente du ministre des Affaires étrangères allemandes dont le récit ne révèle pas grand-chose, mais qui joua un rôle ambigu d’intermédiaire dans toute l’affaire

3

        Les scènes

      La situation internationale du Maroc avait fait déjà l’objet d’accords internationaux, en 1880, la Conférence de Madrid (huit signataires), en 1906, l’acte d’Algésiras (7/04/1906), des accords qui avaient placé le Maroc sous le régime commercial de la porte ouverte sur le plan international, avec les initiatives continues de la France pour y installer un protectorat, comme elle l’avait fait en Tunisie. Sur ses frontières, l’armée d’Algérie était à la manœuvre pour aider à la pacification d’un Maroc encore largement insoumis, gouverné par un sultan tout à la fois vénal et incompétent.

       Les gauches françaises, les Républicains et les Radicaux Socialistes avaient à peu près mis fin à leur « course au clocher », pour le partage de l’Afrique, mais les troupes coloniales n’avaient pas encore complètement terminé leurs opérations de pacification contre les résistances qu’elles rencontraient notamment en Côte d’Ivoire et sur les marges du Sahel.

      Les limites de la carte coloniale étaient à peu près fixées. Des accords avaient été passés avec les autres puissances coloniales, en appliquant la « règle du jeu » diplomatique tout à fait formelle dite des reconnaissances de « papiers », d’après lesquels, tel ou tel chef, ou roi, reconnaissant sa situation de « protégé » de telle ou telle puissance coloniale.

      Un mot sur le Congo, un territoire immense que les occidentaux avaient encore beaucoup de mal à connaître et dont les superstructures coloniales étaient encore en voie d’établissement, en tout cas du côté français.

     Il n’en était pas de même du Congo Belge qui connaissait déjà un développement foudroyant, facilité par la découverte d’immenses gisements de minerai.

      J’ai évoqué dans une autre chronique le Congo Belge des années 30 avec le concours du géographe Jacques Weuleursse dans son livre  « Noirs et Blancs ».

     La situation économique et financière du pays n’était pas mauvaise. L’épargne française avait beaucoup contribué à financer les infrastructures de la Russie, beaucoup plus d’ailleurs que celles du domaine colonial, les fameux emprunts russes qui ruinèrent après la guerre de 14-18 beaucoup de petits épargnants, comme l’avait fait avant guerre le scandale du Panama.

      Le pays sortait d’une phase politique relativement violente née de l’affaire Dreyfus et de la loi de Séparation de l’Église et de l’État (1905), et de façon tout à fait curieuse pour certains, avec une droite beaucoup plus soucieuse de la ligne bleue des Vosges que des côtes marocaines ou congolaises, avec le souci numéro Un de pouvoir affronter l’Allemagne, si nécessaire.

        A plusieurs reprises, il m’est arrivé d’ écrire que les conquêtes coloniales de la Troisième République étaient le fruit d’une alliance entre le sabre des troupes coloniales, et le goupillon de la franc-maçonnerie, car pour la droite parlementaire, l’objectif premier restait celui de la restitution de l’Alsace Lorraine, une province qui parlait aux français, ce qi n’était pas le cas des colonies en général, ou du Congo en particulier, puisque dans le cas du Maroc, le Congo était devenu un enjeu du dossier marocain franco-allemand.

      Il serait honnête d’y ajouter un troisième « larron », les Églises chrétiennes missionnaires en quête d’évangélisation des nouveaux peuples dominés, dans certaines contrées lointaines.

        En 1911, la France n’était pas prête à affronter l’armée allemande, et c’est un des éléments de justification importante que Caillaux fait valoir dans ses Mémoires pour justifier sa politique avec l’Allemagne, une politique que ses adversaires ont qualifiée de pacifiste.

          « Je n’avais pas besoin de causer longtemps avec le ministre de la Guerre M.Messimy, dont je veux dire tout de suite qu’il fut un collaborateur admirable, pour constater qu’il y avait deux lacunes on ne peut plus graves dans l’équipement de la défense nationale : le haut commandement n’était pas organisé, nous n’avions pas d’artillerie lourde. » (p,123)

        Caillaux inscrivait sa conception de la politique européenne dans un registre politique tout à fait respectable, et sans doute encore très prématuré pour son époque :

         « Je suis, j’ai toujours été, je serai toujours, non seulement de par ma doctrine mais de par ma réflexion, l’adversaire déterminé des guerres européennes que je juge monstrueuses dans le temps où nous sommes. L’incidente qui clôt ma phrase suffit à indiquer que je n’obéis pas en me décidant ainsi à une sentimentalité débile. Ceux qui savent ou qui sauront ma vie, ceux qui me liront, ceux mêmes qui ne me connaîtraient que par les attaques de mes adversaires, accorderont que la pusillanimité n’est pas précisément mon fait…

       Il y avait chance, me disais-je, en rassemblant mes idées, pour qu’une grande guerre sonnât le glas – le premier glas – de l’ancien continent, chance pour que, réparant peut-être certaines des violences internationales du passé, elle ne causât d’autres génératrices de luttes nouvelles, chance pour que l’Europe, s’épuisant… » . (p 11,112)

       A la lecture de ses Mémoires, son auteur donne effectivement, au-delà de toute rhétorique, des arguments très concrets de l’impréparation de la France sur le plan militaire, des arguments qui ont peut-être été validés par des spécialistes de l’histoire militaire, mais je n’en sais rien.

       « Le haut commandement, l’artillerie lourde, et le concours extérieur » :

     « Ainsi j’en viens à constater dans ce mois de juillet 1911 que notre commandement n’est pas organisé, que nous n’avons pas d’artillerie lourde, que nous ne pouvons compter sur aucun concours sérieux de l’extérieur ». (p,145)

         La dernière justification a déjà été évoquée plus haut, car les spécialistes estimaient qu’il fallait encore au moins deux ans pour que l’armée russe soit en état d’apporter un concours sérieux à la France.

      Il n’a sans doute pas suffi de remplacer le titulaire du haut commandement par Joffre, un général issu de la matrice coloniale, car le Joffre en question renvoya dans leur foyer plusieurs dizaines de généraux une fois la guerre engagée.

         Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

Décision coloniale, qui décide ? Maroc (années 1909-1912)- avec Joseph Caillaux – 4 – le scénario

DECISION COLONIALE, QUI DECIDE ?

Le CAS du MAROC des années 1909-1912 : avec Joseph Caillaux

4

             Le scénario

           Le scénario, c’est-à-dire le canevas de cette histoire échappait en fait à Caillaux, un Président du Conseil éphémère de quelques mois.

            « Le gouvernement qui se constitue à la fin de juin 1911 devait être enveloppé dans la tourmente à laquelle le nom d’Agadir est attaché. » (Caillaux,p,73)

        « Au mois de juillet 1911, l’Allemagne, pour signifier qu’elle maintenait ses revendications sur le Maroc, envoyait une canonnière devant Agadir. C’était la répétition de l’affaire de Tanger, une provocation ou un coup de sonde, peut-être une sommation à la France d’avoir à rompre avec l’Angleterre. Pourtant, le gouvernement allemand laissait entrevoir un arrangement. Renonçant à disputer le protectorat du Maroc à la France, il demandait une compensation coloniale et suggérait la cession à son bénéfice d’une partie du Congo. Un refus pouvait entraîner la guerre. Bien que l’Angleterre s’élevât contre une répartition de territoires faite en Afrique, sans son aveu, Joseph Caillaux consentit à traiter. Bien conduite par l’ambassadeur Jules Cambon, la négociation aboutit à une concession minime, que les nationalistes allemands trouvèrent dérisoire. La France, s’écriait un de leurs chefs, nous donne dix milliards de mouches tsé-tsé. » (Bainville, p,273)

          « En elle-même, pourtant la transaction n’était pas honteuse. Avec d’autres que les Allemands, elle eut été raisonnable. La France en 1904, n’avait-elle pas abandonné à l’Angleterre ses droits en Egypte et à Terre Neuve ? Le Congo, bien que Savorgnan de Brazza s’y fût illustré, comptait moins sans doute que la terre des pharaons où Napoléon s’était illustré. Bien peu de Français savaient même où trouver sur la mappemonde le « bec de canard. » (Bainville,p,274)

          Le lecteur est invité à voir dans cette affaire une des caractéristiques de la façon dont se déroulait le processus de décision en matière coloniale, pour autant qu’il n’en ait pas été de même dans les autres affaires de l’État, c’est-à-dire « le fait accompli » de certains acteurs du scénario.

         Ajouterai-je que les mots utilisés par l’historien ressortent du langage des affaires, des ventes ou d’acquisition de propriétaires fonciers, et qu’au surplus la remarque sur le « bec de canard », c’est-à-dire l’ignorance des Français sur « leurs » colonies, me parait assez bien représenter la dose de « culture coloniale » dont ils étaient « infectés » si l’on devait prendre au sérieux les discours du collectif Blanchard and Co.

         Ce fut le cas en Cochinchine avec le vice-amiral Rigault de Genouilly, au Tonkin avec Jules Ferry, au Soudan (Mali), avec  Archinard, et à Madagascar avec de Mahy.

         « Fait accompli », plus engrenage, comme le montre bien l’histoire d’Agadir et du traité du 4 novembre 1911.

         Les faits : le bombardement de Casablanca, l’expédition de Fez avec quelques européens pris en otage :

        « L’expédition pouvait-elle être évitée ? … Je n’étais pas complètement informé…. Mais la ville de Fez était-elle menacée ? (p,64)

         Les ministres de la Guerre et des Affaires étrangères, qui prirent à eux seuls (on le verra) la grave décision, avaient sans doute hâte de délivrer les Européens enfermés à Fez, mais des préoccupations personnelles ne furent pas – je le crains bien – étrangères à leur détermination. » (p,65)

        J’ai consacré tout un ouvrage de recherches historiques à l’étude des communications politiques et militaires, en même temps que matérielles, avec leur évolution sur les différents théâtres d’opérations coloniales, pour tenter de comprendre et démontrer le fonctionnement des conquêtes coloniales, afin de déterminer quel avaient été les rôles respectifs des gouvernements et des officiers, compte tenu de la difficulté intrinsèque d’interprétation du concept de mise en œuvre de la liberté de manœuvre, au-delà de l’évolution des moyens de communication entre la métropole et les théâtres d’opérations coloniales. 

       Dans le cas du Maroc, ce ne sont pas les conditions d’information respective du pouvoir politique et de l’exécutant militaire qui sont de  nature à expliquer  Fez et Agadir, mais bien le fait accompli politique des deux ministres de la Guerre et des Affaires étrangères, Berteaux et de Selves, les deux personnages déjà évoqués plus haut.

        Caillaux décrit très précisément comment cette affaire de rivalité coloniale entre la France et l’Allemagne se déroula, avec ses négociations parallèles, les manœuvres en tout genre, pour aboutir à un accord, le traité du 4 novembre 1911.

       Etaient stipulées l’égalité douanière entre les signataires, la reconnaissance du protectorat de la France sur le Maroc, la cession d’une partie du nouveau Congo français à l’Allemagne, afin de lui permettre d’avoir un accès à la mer pour le nouveau Cameroun allemand, séparant donc le Gabon du Congo.

        La carrière politique de Caillaux fut alors fragilisée, alors qu’il avait voulu aboutir à un accord qui donne la Maroc à la France, en même temps que sauvegarder la paix, mais l’assassinat du directeur du Figaro par son épouse le 16 mars 1914, l’écarta définitivement de la scène politique française.

                A la différence du Kaiser, Guillaume II : « Moi, je voulais délibérément, bien plus obstinément que lui, la paix, mais je voulais non moins fermement le Maroc pour la France. » (p,111)

       Jean Pierre Renaud    –   Tous droits réservés