« Le 19 mars 1962 » avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

       Ma lecture mérite d’être précédée de quatre observations préliminaires :

            La première interroge la propriété de l’expression « Les événements fondateurs » : j’ai plutôt envie de proposer  « Les événements de désintégration ».

La deuxième interroge sur la signification du mot « réconciliation », sorte de succédané du mot « repentance » : dans notre conclusion, nous reviendrons sur son interprétation.

La troisième suggère un titre tout à fait différent :

« Tout ça, pour ça ! »

« Le double discours !

            La quatrième : la lecture de ce livre est démoralisante pour un ancien acteur de cette guerre d’Algérie.

&

            Il s’agit d’un ouvrage fort bien documenté (1), quelquefois difficile à lire, compte tenu de son impression, un livre qui soulève des questions et des réponses pour l’ancien et modeste acteur de la guerre d’Algérie que je fus, en ma qualité d’officier SAS, à Vieux Marché, dans les années 1959-1960, dans un secteur de grande insécurité de la vallée de la Soummam, en bordure de la forêt d’Akfadou (Djudjura).

Quelle était la situation militaire et civile dans mon secteur militaire au cours de l’été 1960 ? Représentative ou non ?

            Après l’opération Jumelles, qui se déroula en Kabylie, Grande ou Petite, et qui démarra le 22 juillet 1959 dans mon secteur, au cours d’une belle nuit d’été, la situation du douar se caractérisait, au cours de l’été suivant par une situation « Le vide presque parfait », selon l’expression de Lao Tseu, c’est-à-dire une quasi-absence de rebelles.

            Pour avoir connu au printemps 1959, un état d’insécurité permanent, une armée française sur la défensive, le noyautage ou le contrôle de  tous les villages par les rebelles, ceux que nous appelions les fels,  l’extrême prudence qui était la nôtre face aux embuscades ou aux mines.

          Lors des convois de ravitaillement hebdomadaire entre Vieux Marché et Sidi Aïch, les Chasseurs Alpins du 28ème Bataillon prenaient toutes les précautions nécessaires : il fallait ouvrir la piste de montagne, en cas de mine ou d’embuscade, la sécuriser par des patrouilles latérales, et pouvoir bénéficier de la couverture aérienne d’avions T6.

       Depuis juillet 1959, la situation avait changé du tout au tout.

            Il m’était possible à présent d’aller dans tous les villages avec un seul garde du corps, un ancien rebelle,  un gars formidable.

            Une petite anecdote d’ambiance, sur la route de Sidi Aïch, à l’aller puis au retour :

        « Vieux Marché, le 26/04/1960… Ce matin, au passage, sur la route,  des enfants m’ont jeté des bouquets de fleurs dans la jeep. Au retour, j’en ai ramené quatre pour leur faire faire un tour de jeep. J’ai mis les fleurs en vrac à midi, sur la table, un vrai décor champêtre. »

      Avant de quitter l’Algérie, j’avais par ailleurs organisé des élections municipales dans les trois communes de Tibane, Tilioucadi, Djenane, dont j’étais jusqu’alors le Délégué Spécial : ces trois communes disposaient, pour la première fois, de conseils municipaux élus.

        J’avais également fait reconstruire les écoles et les mairies brûlées par les rebelles, des écoles où des chasseurs alpins de l’«armée coloniale » firent à nouveau la classe aux enfants du douar.

     Parallèlement, les Chasseurs Alpins commençaient à pouvoir mettre certains des villages en position d’autodéfense.

       La SAS de Vieux Marché fut aux premières loges de l’opération Jumelles : c’est à partir de son territoire que fut aménagée la piste qui devait atteindre le PC 1621 de l’opération Jumelles, à travers la forêt d’Akfadou.

      Le 29 août 1959, le général de Gaulle fit un saut de puce à ce PC, et il y déclara entre autres devant un parterre d’officiers ; « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l’Algérie. »

      En 1960, comme je l’ai raconté dans une  de mes lettres, le général Crépin, commandant en chef fit une tournée :

      Chemini, le 15 juillet 1960…

      « Je rentre de la popote. C’est vraiment dramatique !

       Longue discussion à la suite de la visite du général Crépin, Commandant en chef en Algérie.

         Figures-toi, qu’il a dit à peu près ceci (propos répétés) :

  • Alors ces villages ! Lesquels sont pour vous, lesquels sont contre vous ?
  • Nous ne savons pas. La plupart continuent sans doute à payer les fellouzes.
  • Qu’est-ce que vous attendez pour descendre ceux qui ne veulent pas.  être pour vous. Cela fait trop longtemps que dure ce petit jeu !
  • Votre Compagnie ne sert à rien. Depuis trois mois, combien  de fellouzes au tapis ? Zéro ! Je veux des bilans ou je retire les troupes. »

         Comme je viens de l’indiquer plus haut, il paraissait difficile d’aller plus loin dans un secteur où le vide était presque parfait, mais ce type de discours continuait à persuader une partie des officiers que l’Algérie resterait française.

        Je reviens à nouveau sur ce passé après avoir lu l’ouvrage de Guy Pervillé, pour bien faire comprendre l’état d’esprit des officiers auxquels la France avait confié la mission  de rétablir la paix en Algérie.

      Beaucoup de ces officiers, dont je fis partie, avaient le sentiment de servir autant l’Algérie que la France, peut-être d’ailleurs plus l’Algérie que la France, compte tenu de sa situation.

       Je fis partie des officiers, et je ne fus pas le seul, qui ne voyait pas d’autre issue que celle d’un changement complet du statut de l’Algérie, y compris son indépendance, mais pas de la façon dont elle a été négociée et liquidée.

            Ce livre a le mérite de nous sortir du registre des discours des historiens, chercheurs, intellectuels, issus de la « matrice » algérienne, ou « assimilée », lesquels surfent encore, avec un certain succès,  dans les médias et dans certaines maisons d’édition, et publient ou diffusent des récits qui flirtent, pour ne pas dire plus, avec la repentance ou l’autoflagellation nationale.

         A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de dénoncer ces graves dérives, encore dernièrement à l’endroit du discours d’un auteur, Jérôme Ferrari, qui dans un de ses derniers livres couronné par un Prix Goncourt, irrigue son récit de ce type de discours. Dans un de ses billets publiés par le journal La Croix, le romancier philosophe pérorait sur la violence coloniale, les responsabilités de la France, citant en référence et à ce sujet, un propos de Joxe, le fils du ministre Louis Joxe, qui fit son service à Alger dans de bonnes conditions.

       J’ai commenté ce livre sur mon blog, le 4 mai 2016, mais je reviendrai plus loin, sur le sujet des « mémoires » frelatées en évoquant le dialogue qu’ont tenu Messieurs Stora et Jenni, autre prix Goncourt (2013), dans le cadre du Club de Médiapart.

       Il aurait été intéressant que le fils Joxe, comme le fils Jeanneney, en disent plus sur les responsabilités de deux pères qui furent à la fois de grands artisans des Accords d’Evian (lire le livre) et les acteurs de la non-application des mêmes accords, pour ne pas dire leur faillite.

        Les paternités en question ne s’inscrivaient-elles déjà pas dans le registre des « raisins verts » pour certains de leurs descendants ?

       Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, je me suis investi dans des recherches qui ont porté sur un domaine qui ne fut pas celui de la guerre d’Algérie, mais sur l’Afrique noire, l’Indochine, Madagascar, car l’Algérie ne fut pas, contrairement à ce que racontent les principaux thuriféraires de l’autoflagellation, l’alpha et l’oméga de la colonisation française, sauf qu’elle était située sur l’autre rive de la Méditerranée et qu’elle comptait plus d’un million de Français.

     Avant d’aller plus loin, Guy Pervillé analyse de façon rigoureuse et précise le déroulement de ce qu’on a appelé « Les événements d’Algérie » entre 1954 et 1962 dans les cinq chapitres de la première partie (p,16 à 89) « Des réformes aux négociations », la période chaotique et confuse qui précéda celle des négociations, et des positions successives du général de Gaulle.

     Dans la deuxième partie « Les négociations et les accords d’Evian » (p,89 à 147), l’historien analyse dans les trois chapitres suivants le déroulement incertain et difficile des négociations avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, conclu en février-mars 1962, par les fameux accords d’Evian, et le cessez-le feu du 19 mars 1962.

      Il aurait été intéressant d’avoir une analyse des positions, rapports de force existant alors, entre le GPRA de l’étranger et les Willayas de l’intérieur, avec lesquelles il aurait été plus logique de négocier.

     L’auteur souligne bien dans le chapitre 8 « De Gaulle et l’application des accords d’Evian » (19 mars-20 septembre 1962) les responsabilités de son échec « Le sabotage des accords par l’OAS » (p,120), « Le contournement des accords d’Evian par le FLN » (p122).

    « Contournement » ou « sabotage » du FLN ? Au moins autant que celui de l’OAS ?

    L’auteur pose la question : « La France a-t-elle respecté les accords d’Evian ? « (p,131)

     Il s’agit d’une analyse très complexe, et de nos jours encore passionnée, mais on vit rapidement que le FLN n’était absolument pas en état de gouverner l’Algérie et d’y assurer la paix civile, condition  sine qua non d’une application sérieuse des Accords d’Evian.

      Je fais partie de ceux qui estiment que le retrait de l’armée française, une sorte de sauve-qui-peut qui ne disait pas son nom, a empêché la France et l’Algérie de mettre en application ces accords, c’est-à-dire de les imposer.

      Dans la troisième partie, « Un demi-siècle de relations franco-algériennes (1962-2012) » (p,147 à 260), l’auteur en montre le déroulement chaotique, mais y réintroduit le concept de « réconciliation », une « repentance » qui ne dit pas son nom.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le 19 mars 1962 », le livre de Guy Pervillé – Suite et fin

« 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

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Autres réflexions

           Première réflexion sur la date des Accords d’Evian, le 19 mars 1962 : cette date est depuis l’origine un sujet de controverse, et il est évident que pour l’immense majorité des hommes du contingent, cette date clôturait cette guerre, une guerre qui n’a jamais été conclue en effet par un accord de paix.

       Le livre explique bien pourquoi cette guerre n’était pas finie.

         Deuxième réflexion, le livre en montre bien les raisons, notamment les graves carences du nouveau pouvoir algérien qui n’a jamais honoré sa signature, tout autant que le sabotage de tout accord par l’OAS.

        Troisième réflexion : le gouvernement du Général de Gaulle, et le Général lui-même, n’ont pas été à la hauteur pour maîtriser la mise en application respectée de ces accords, sur le terrain, pour au moins cinq raisons que l’on voit bien dans l’ouvrage, et une sixième que j’évoquerai :

  1. Le refus d’accueillir en France les harkis et moghaznis qui avaient rejoint notre cause pendant cette guerre, ainsi que leurs familles.
  2. La désignation d’un ambassadeur, M. Jeanneney, que son expérience professionnelle et politique ne désignait pas spécialement pour faire appliquer vigoureusement ces accords par le nouveau pouvoir FLN, entre les mains de la mouvance extérieure du GPRA.
  3. L’objectif principal du Général, qui fut de tout faire, pour ne pas dire tout accepter, afin de préserver jusqu’à la fin de l’année 1966, la possibilité pour la France de poursuivre  ses essais nucléaires au Sahara, et accessoirement, y exploiter le pétrole, avec pour corollaire, continuer à transfuser l’Algérie indépendante avec nos francs et à faire bénéficier ce nouvel Etat de dérogations exceptionnelles, pour ne pas dire laxistes, dans le domaine de l’immigration.

Ces dérogations continuent encore sous une forme atténuée, si je ne m’abuse.

La lecture des pages 175 et 176, avec le compte-rendu de la rencontre du 13 mars 1964 entre le Général et le nouveau Président Ben Bella en est une des illustrations.

  1. Réconciliation ou relation internationale entre deux Etats ? Je vous avouerai que je n’ai jamais compris la politique française après l’indépendance de l’Algérie. Les Algériens avaient choisi leur destin. Rapidement, le régime algérien fut celui d’une dictature du FLN.

Pourquoi De Gaulle n’a-t-il pas choisi le type de relations internationales qui était celui de la France avec l’URSS ou la Chine ? Sauf à dire que son objectif numéro 1 avait toujours été celui de la préservation, le plus longtemps possible des sites nucléaires du Sahara, en fermant les yeux sur le ratage complet de la mise en application des Accords d’Evian ?

Je me suis déjà exprimé à de multiples reprises sur un tel sujet, en affirmant que je n’ai jamais vu pourquoi nous, anciens soldats appelés, pas plus que les citoyens français, nous devrions faire repentance.

  1. La cinquième est celle de l’imbroglio dans lequel était plongée une armée française en pleine crise, avec, à Alger, la question du qui était qui ou quoi, entre les « loyalistes », les révoltés, ceux de l’OAS, et ceux qui ne savaient plus quoi penser, avec le souci du général d’y mettre fin le plus vite possible, sauf nouvelle crise nationale majeure à venir, c’est à dire en clair : il fallait « dégager » au  plus vite !

Comme la plupart de mes collègues, nous étions favorables à une évolution politique majeure de l’Algérie, mais pas à celle qui s’est produite sous la conduite d’un FLN venu de l’étranger, avec son armée des frontières, incapable de faire régner la paix civile dans ce territoire, et de respecter les Accords d’Evian, sans que notre pays ait fait ce qu’il fallait pour l’obliger à le faire.

6 – Plus de cinquante ans après ces accords, j’ai eu la mauvaise curiosité d’aller consulter dans les Archives militaires de Vincennes les Journaux de Marches et d’Opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui ont suivi mon retour en France, dans les années 1961 et 1962, et je vous avouerai que leur lecture m’a démoralisé.

      Une armée française qui avait ramené la paix civile dans cette région de la Petite Kabylie, à laquelle on donne l’ordre de se replier successivement vers la côte pour s’y embarquer, laquelle exécute loyalement les accords diplomatiques en question, sans que le gouvernement gaulliste fasse ce qu’il fallait pour obliger le FLN à les appliquer. Au fur et à mesure du retrait, le FLN n’avait qu’à lever le petit doigt pour inciter les soldats français d’origine musulmane encore en service dans les postes militaires à se soulever et à les faire tomber aux mains du FLN, les uns après les autres.

          La vallée de la Soummam, comme beaucoup d’autres régions d’Algérie, fut alors un lieu de tortures et de massacres des harkis et des moghaznis qui avaient rejoint l’armée française après 1954, jusqu’en 1962.

        Le rapport du sous-préfet d’Akbou Robert en a récapitulé à l’époque une partie dans la vallée de la Soummam.

       L’armée française a obéi au gouvernement du Général et donc appliqué les accords d’Evian, ce qui n’a pas été le cas du FLN.

      Ce livre montre bien le processus de désagrégation qui a suivi les accords d’Evian, l’impuissance du gouvernement algérien, en même temps que celle du gouvernement français, avec la mise en place d’une dictature politique et militaire servie par l’armée des frontières.

         Je terminerai en évoquant tout d’abord un des points les plus sensibles de ces accords, celui des crimes de guerre, car effectivement ces accords avaient par avance amnistié tous les crimes de guerre commis par les deux parties, et il est évident qu’il y en a eu, comme dans toute guerre de type révolutionnaire ou non, et c’est cette amnistie injustifiable qui a permis à trop de chercheurs ou de mémorialistes français de laisser croire que la France, en Algérie, n’a été que saloperie.

        Le fait qu’une chape de plomb pèse en Algérie sur toute cette histoire n’est pas de nature à apaiser les mémoires, souvent frelatées, d’autant moins qu’on trouve beaucoup moins de belles âmes pour exalter violences, crimes ou tortures de la deuxième guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie dans le années 1992-2000, et la mise en place d’un régime policier de type dictatorial.

        Je voudrais dire enfin que je n’ai jamais compris cette volonté de réconciliation, d’une repentance qui ne dit pas son nom, toujours affirmée par qui ? Le plus souvent par le groupe des intellectuels sortis de la « matrice » algérienne, ou par ceux qui flattent une histoire française de l’autoflagellation, ceux que j’ai appelés « les fossoyeurs » de l’histoire de la France

    Pour avoir beaucoup travaillé sur l’histoire coloniale et la décolonisation, je fais partie de ceux qui mettent en cause tout au long de ce processus la ou les gauches françaises, responsables des conquêtes coloniales de la Troisième République, tout autant que du « fiasco des décolonisations », selon l’expression de l’historien Vermeren.

                     Le cas de l’Algérie en est une des caricatures les plus funestes avec le tournant de guerre que le gouvernement Mollet Mitterrand  a fait prendre à la France, avant le retour du Général au pouvoir, en 1958.

            Alors tout ça pour cela ! Nous avons servi la France et souvent l’Algérie, nous y avons exposé nos vies, certains de  nos camarades y ont laissé la leur, et nous entendons à longueur d’année et depuis des années un discours sur la torture – tous nous aurions donc torturé -, – nous aurions été les seuls à exercer la violence dans un contexte de guerre -, nous devrions faire repentance -, mais en même temps, –  prôner une réconciliation – ?

            Avec qui devrions-nous nous réconcilier, nous, anciens soldats appelés du contingent ?

            Avec qui nos gouvernements devraient-ils se réconcilier ? Les gouvernements  d’une dictature FLN  qui continue ?

         Jamais jusqu’à nos jours, c’est-à-dire plus de soixante après les faits, et à ma connaissance, l’Algérie du FLN n’a donné l’occasion à une quelconque personnalité algérienne, respectée, intègre, capable d’incarner le partenariat  légitime d’une réconciliation entre les deux Etats.

            Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

(1) Il est bien dommage que le texte des Accords d’Evian n’aient pas été joints. Oserais-je dire que c’est la première source que j’y ai recherché.

Le Poids « historique » des « Paroles »! Les harkis, La Croix, hommage aux croque-morts de l’histoire de France ?

Le poids « historique » des « Paroles » !

La Croix du 26 septembre 2016, page 11 :

« La France reconnait sa  responsabilité dans les « massacres » des harkis »

En hommage aux croque-morts de l’histoire de France ?

            La chronique rend compte de la décision qu’a prise le Président de reconnaître la responsabilité de la France dans le massacre des  harkis plus de cinquante ans après les accords d’Evian, mais quid de celles du FLN à la même époque ?

            Le journal publie sur ce sujet sensible le commentaire d’un professeur de sciences politiques, Monsieur Le Cour Grandmaison, « Paroles

            Une avancée qui reste limitée … »

            Seul petit problème, le professeur en question s’est illustré dans un récent passé par la publication d’un ouvrage pseudo-scientifique intitulé « Coloniser Exterminer », un ouvrage que les historiens Meynier et Vidal-Naquet  ont qualifié de « sottisier ».

            Dans cette gamme de références historiques vraies ou supposées, pourquoi ne pas avoir alors consulté l’ancien cadre du FLN de cette époque que fut M.Harbi, aujourd’hui historien, ou encore l’historien Jeanneney dont le père, était alors ambassadeur de France à Alger, lequel a sûrement laissé quelques mémoires sur le sujet ?

            Nous dirons plus tard un mot du livre de l’historien Guy Pervillé sur les accords d’Evian, un ouvrage dense et rigoureux qui aborde de façon précise cette question, en traitant de tous ses aspects, et notamment les responsabilités respectives de la France et de l’Algérie.

            Je rappellerai pour terminer, comme je l’ai déjà écrit ailleurs, qu’en 1962, je pris rendez-vous avec un camarade de promotion, alors membre du Cabinet du Général de Gaulle, pour lui faire part de mon entier désaccord sur la façon dont la France « gérait » le sort des harkis et moghaznis que nous avions abandonnés en Algérie.

Jean Pierre Renaud

« Guerre d’Algérie: quelques réflexions » La révolte du général Challe le

« Guerre d’Algérie : quelques réflexions »

EN PROLOGUE IMPREVU

Mémoire, histoire, propagande, et manipulation à propos de la commémoration du 19 mars 1962 ?

Avec un petit prologue d’actualité tout à fait imprévu sur les manipulations politiques et médiatiques dont souffre le pays !

          Le Monde des 21 et 22 mars a publié un article intitulé « La guerre d’Algérie enfièvre le débat politique » page 5, et dans le même numéro, page22,  une tribune signée MM Harbi et Manceron.

            En ce qui concerne le premier texte, une seule citation, celle de Monsieur Stora, une citation tout à fait déchirante : « Les mémoires continuent  de saigner, portées notamment par des associations d’expatriés ».

           Une seule petite question ? Est-ce que notre mémorialiste-historien et militant politique a jamais tenté de mesurer les flux « sanguins «  en question ?

          Quant à la tribune elle-même, il faut tout de même avoir du culot pour signer et publier une tribune intitulée « Cessons de ressasser les mémoires meurtries de la guerre d’Algérie », dans le Monde du 21 mars 2016, sous la signature d’un ancien dirigeant du FLN, Mohammed Harbi et d’un professeur d’histoire géographie, Gilles Manceron, présenté comme historien.

        Ces gens- là osent nous donner une leçon d’histoire ? Et le journal de référence leur ouvre ses colonnes ?

        Avec un titre de nature outrancière « Cessons de ressasser les mémoires meurtries » ? Mais messieurs, ne s’agirait-il que de mémoires « meurtries », ou du souvenir des blessés et des morts ?

     Cessez messieurs, de vous prendre pour les nouveaux « hérauts » d’une histoire qui a beaucoup trop tendance à confondre mémoire frelatée et histoire !

        Ci-après le texte du message que j’ai adressé le 20 mars au Courrier des lecteurs de ce journal :

         « Bonjour, pour avoir fait la guerre d’Algérie, comme officier SAS (contingent) en Petite Kabylie, je puis vous dire que ce n’est pas ma mémoire qui « saigne », mais mon intelligence, pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un bon lobby politique et éditorial très souvent, trop souvent animé par Stora, lequel n’a jamais eu le courage de faire vérifier par une enquête sérieuse ce qu’il racontait soi-disant sur la « guerre des mémoires » dont il est un des animateurs patentés. Qu’il demande à son ami Hollande de la faire faire !

         Vous avez fait effectuer une enquête  sur le sujet avec la Fondation Jean Jaurès, avec l’IFOP, mais cette enquête manquait sérieusement de pertinence statistique.

       Ayez la courage de faire effectuer une enquête sérieuse sur les soi–disant mémoires « coloniale » ou « algérienne », cette dernière que Stora a tendance a confondre avec la « coloniale », et nous verrons ce qu’il en est !

        Quant à vos deux donneurs de leçon, Harbi et Manceron, comment donner du crédit à un ancien FLN qui n’a jamais fait cette guerre, et que le FLN indépendant a vite mis à l’écart, pour ne pas dire plus, ou à un enseignant qui fait autant de politique que d’histoire ?

          Cessons de donner la parole aux propagandistes de la mémoire, et comment ne pas être surpris de lire l’expression « mémoires meurtries », alors qu’il s’est agi de morts ?

          Pour terminer, je puis vous dire que les mémoires qui sont agitées par tel ou tel lobby devraient enfin céder la place à l’histoire, mais à une histoire indépendante de tel ou tel vécu, ou de telle  ou telle allégeance politique affichée. Cordialement. »

&

Guerre d’Algérie : quelques réflexions

            Nous nous proposons de publier successivement :

  • I –  une analyse du livre du général Maurice Challe, intitulé « Notre révolte » (1968) sur la guerre d’Algérie (1954-1962)
  • II – un essai de corrélation historique pertinente avec la guerre contre-insurrectionnelle anglaise de Malaisie (1948-1960) à partir du roman d’Han Suy «…  Et la pluie pour ma soif… » (1956)
  • III – un essai de corrélation historique, à mon avis non pertinente de l’historien australien Lionel Babicz, entre les situations coloniale et postcoloniale de la Corée et de l’Algérie (1830-1905-2006)

Premier volet

La Guerre d’Algérie du général Challe

« Notre révolte »

La révolte du général Challe ? Comment l’expliquer ? La ou les questions ?
Le mouvement du 22 avril 1961

        Un premier commentaire d’un ancien officier de SAS en poste en Petite Kabylie dans les années 1959-1960 : la stratégie militaire du général Challe était incontestablement la bonne, et c’était celle que, tous, nous espérions voir mise en œuvre sur le terrain.

       Quant à la stratégie politique de Challe, les plus lucides d’entre nous n’y croyaient pas, sauf si la France avait joué la carte des chefs des willayas, et de leur prise de pouvoir, ce qui n’a pas été le cas.

            Dans une brocante de l’été, je suis tombé cette année, en 2015, tout à fait par hasard, sur un livre du général Challe intitulé « Notre révolte » publié en 1958, dont je ne connaissais pas l’existence.

        Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que je lisais quelques témoignages sur cette guerre, car j’ai toujours manifesté la plus grande méfiance à l’égard de tout ce qui touchait à la mémoire, souvent manipulée, de ce conflit, en me posant toujours la question de base, mémoire ou histoire ?

        C’est la raison principale pour laquelle j’éprouve la plus grande méfiance sur ce qu’écrit ou raconte un historien bien en cour sur cette période, né en Algérie, lequel a découvert, parait-il, Albert Camus, la quarantaine passée, si j’ai bien entendu ce qu’il disait à l’occasion d’une émission de télévision.

          Méfiance en raison du mélange des genres que cet intellectuel pratique entre la mémoire et l’histoire, et de la confusion qu’il propose souvent entre ce qui touche à l’Algérie et ce qui touche aux autres domaines coloniaux.

          J’ai moi-même publié un petit livre sur cette guerre, sur mon expérience militaire d’officier SAS dans la vallée de la Soummam, en me posant un certain nombre de questions de base sur le sens de cette guerre.

      J’y faisais le constat suivant :

      «  Je serais d’ailleurs tenté de penser que l’échec de la France en Algérie a de multiples  causes, mais que les généraux y ont une grande part de responsabilité parce que leur analyse stratégique n’était pas la bonne, leur obsession du communisme international non fondée.

         Ils ont poursuivi un rêve impossible qu’il n’était déjà plus possible de réaliser, mais peut-être est-ce à mettre à leur crédit » (page 25)

         Les observateurs les plus lucides savaient qu’après 1945, le destin de l’Algérie était plié, compte tenu de l’incapacité de la Quatrième République à réformer le statut de ce territoire.

         50 ans plus tard, je n’en changerais pas un mot, car la plupart des officiers français, en tout cas ceux que j’ai rencontrés, n’avaient pas la culture d’une armée coloniale, celle que des chercheurs idéologues à la mode nous dépeignent volontiers, pour ne pas parler des histoires officielles en vogue de l’autre côté de la Méditerranée, mais estimaient qu’ils avaient été trompés, que le général de Gaulle les avait trompés.

        La lecture du livre de Challe me donnait donc l’occasion de comprendre ce qui avait réellement poussé Challe à la révolte.

        Ma curiosité était d’autant plus grande qu’après avoir participé à cette guerre, j’ai consacré un peu de temps à l’étude des théories de la stratégie, directe telle celle de Clausewitz, ou indirecte, celle de Sun Tzu et de Liddell Hart, et que j’ai continué à m’interroger sur les buts de cette guerre d’Algérie : quels étaient les buts que poursuivaient de Gaulle ou son entourage immédiat ? Quels avaient été les buts des généraux, tels ceux de Challe, qui fut un excellent chef de guerre sur le terrain.

       Nous y reviendrons en conclusion en écho aux théories de Clausewitz et de Sun Tsu.

&

         Au cours des dernières années, je suis revenu sur le sujet en lisant un livre sur le capitaine Galula, qui, après avoir servi dans plusieurs postes en Algérie, notamment dans une SAS de la Grande Kabylie, se disait l’inventeur d’un nouveau type de guerre, celle de la guerre de contre-insurrection.

         J’ai publié une analyse critique de cette thèse politico-militaire sur ce blog (21/09/2012 et 05/10/2012), et relevé que la stratégie décrite n’était ni novatrice, ni pertinente, et qu’elle souffrait d’une indigence des buts de guerre, notamment dans l’hypothèse d’une troisième force qui n’existait pas, ou plus.

        Le roman de Han Suyin intitulé « … et la pluie pour ma soif » nous en apprend plus sur la guerre contre-insurrectionnelle que menèrent les Anglais en Malaisie, en 1952-1953, que les écrits du capitaine Galula, d’ailleurs en Asie à la même époque.

        Je me propose d’ailleurs de tirer de ce roman fort intéressant ma propre lecture de la guerre contre-insurrectionnelle que les Anglais ont menée dans cette colonie riche en étain et en caoutchouc, à quelques encablures de Hong Kong où le capitaine Galula était attaché militaire au Consulat français.

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             Avant que le Plan Challe ne déferle sur mon secteur militaire situé dans la vallée de la Soummam, en lisière de la forêt d’Akfadou et du massif du Djurdjura, mes camarades et moi pensions que la seule solution militaire capable de nous redonner les clés d’une solution politique était ce que nous appelions et attendions, le rouleau compresseur du plan Challe, qui avait parfaitement compris comment la France pouvait réduire militairement la rébellion conduite par le FLN.

         C’est ce qui fut fait et que j’ai vu de mes propres yeux, et auquel j’ai participé comme acteur modeste de terrain.

       Au cours de la nuit du 22 juillet 1959, l’armée française reprenait possession du terrain que les rebelles occupaient dans cette région montagneuse qui leur était particulièrement favorable.

      Tous phares allumés, d’importants convois militaires gravissaient les routes et pistes qui les conduisirent successivement vers le sommet et le nouveau PC dénommé 1621.

         Au printemps de l’année 1960, la pacification était en bonne voie, et l’armée avait réussi à réaliser ce que j’ai appelé dans mon livre « Le vide presque parfait », pour reprendre une expression de Lao Tseu.

         Dans cette zone d’insécurité militaire maximum, il m’était possible pour la première fois de fréquenter, à pied, tous les villages du douar des Beni Oughlis avec un seul garde du corps, un rebelle rallié qui était un type formidable.

         A lire le témoignage du général Challe, et pour l’officier que j’étais alors, il est évident qu’il fallait de l’honnêteté, mais aussi une certaine innocence politique, pour entrer dans le double jeu politique de Delouvrier et de Debré.

       « Mon plan était donc le suivant : continuer à mener à bien les grandes opérations et en particulier la guerre des djebels car il ne fallait pas laisser au FLN de territoire à lui où il pourrait mener son instruction, avoir d’importants dépôts, se reconstituer après les coups durs, enfin, être souverain politique de morceaux géographiques.

       Mais contrairement à ce que l’opinion publique croyait, à ce que le gouvernement faisait semblant de croire, ce n’était pas l’essentiel. Mes cadres et moi aurions été de piètres chefs de guerre si nous n’avions pas compris depuis longtemps qu’une guerre de subversion est d’abord une guerre politique, et que la possession du terrain, si, elle est importante, n’est pas essentielle… On entend alors les âneries alors bien connues : « L’armée ne doit pas faire de politique ; » « Ne nous rabattez pas les oreilles avec les slogans de Mao Tsé Toung » » « Faites la guerre et ne vous occupez pas du reste », etc.

     Comme si l’Armée choisissait la guerre qu’on lui fait !

      Bien sûr quand on exprime fortement sa pensée, personne ne contredit en face. Quand on sort, comme je l’ai fait en décembre 1959, un règlement sur la pacification qui codifie autant que faire se peut, les attaques et les parades  de la guerre subversive, personne, pas même le gouvernement, ne vous demande de retirer le règlement ou ne le désapprouve…

      Mon plan était donc de faire front d’abord et d’attaquer ensuite tous les domaines de la guerre subversive…

         Il s’agissait :

     1) de continuer le nettoyage des djebels…

     2) de tenir le contact avec la totalité des populations algériennes par l’extension à l’ensemble du territoire de ce que l’on a appelé le quadrillage ….

    3) Enfin de faire prendre la guerre à son compte par la population musulmane…

         Il importait que les communautés qu’étaient les douars et les villages considèrent cette guerre comme leur guerre…

       Il s’agissait de développer au maximum et partout ces autodéfenses et d’en faire non pas des auxiliaires statiques mais les éléments constructifs d’une force politique coordonnée et majeure – Ceci fut entrepris au début du dernier trimestre de 1959 lorsque le succès progressif mais déjà net de l’opération « Jumelles » sur les Kabylie fit comprendre à tous, partisans, adversaires et neutres, que l’armée française était en train de gagner irréversiblement la partie la plus traditionnelle militaire de cette guerre…

   Je créai ainsi la Fédération des unités territoriales et des autodéfenses.

     Et j’ordonnai la mise sur pied d’une école des autodéfenses par secteur où seraient formés  les responsables des autodéfenses à leurs missions politique et militaire…

      La Fédération des unités territoriales et des autodéfenses devait être le grand parti européo-musulman, ossature de l’Algérie française nouvelle dans l’union des communautés…

      Leur rassemblement avec les autodéfenses musulmanes dans une grande fédération devait donner un sens politique au combat commun.

      Avais-je le droit comme commandant en chef de faire cela ?

     Je pense que j’en avais non seulement le droit mais même le devoir à partir du moment où j’estimais que c’était le seul moyen, et qui plus est moyen honorable, de gagner cette guerre, guerre qui encore une fois nous était imposée.

      Car si l’on peut admettre qu’un gouvernement et un chef d’Etat aient des secrets pour les subordonnées, fussent-ils commandant en chef sur un théâtre d’opérations, il est impensable qu’un chef d’Etat et un gouvernement puissent tromper systématiquement ce commandant en chef sur les buts de guerre alors que ces buts de guerre conditionnent étroitement la conduite des opérations. »  (p,146,147,148, 149)

      Dans mon cas, en m’ordonnant de lutter pour l’Algérie française, le gouvernement ne me trompait pas et je devais exécuter par tous les moyens normaux et légaux appropriés, ou bien, il me trompait, et alors tout cela devenait une histoire de fous. Or, avant de prononcer son discours du 16 septembre sur l’autodétermination, de Gaulle était venu tâter le pouls de l’armée en Algérie. Je l’avais accompagné pendant plusieurs jours. Il m’avait complimenté sur la manière dont je menais la guerre. Nous avions discuté en tête à tête au P.C. Artois d’où je menais l’opération « Jumelles », et, à maintes reprises au cours du voyage. Il m’avait à quelques mots près récité son discours à venir et nous avions parlé des trois options. Comme je lui demandais de se prononcer pour la seule option française, il m’avait répondu ne pouvoir, en particulier devant l’opinion internationale, proposer un choix d’options et sans plus attendre fixer son choix sur une des options. C’était logique et je faisais donc la seule demande à faire à mon échelon : « Mais moi que vais-je dire à l’armée ? Je ne peux demander aux officiers et soldats de se faire tuer pour la sécession que d’ailleurs vous condamnez. Je ne peux guère leur parler d’association car ils savent aussi bien que moi qu’en période de crise aigüe  on ne peut prôner un relâchement des liens sans courir à la catastrophe. Alors puis-je dire que l’armée se bat pour la francisation ou au minimum pour l’Algérie française ?

      De Gaulle noya sa réponse dans un flot d’explications, procédé habituel, et je reposais mes questions à plusieurs reprises en demandant instamment des directives. Jusqu’à la fin d’octobre 1959, lorsque Delouvrier revint de Paris me dit : » Vous pouvez dire que l’armée se bat pour que l’Algérie reste française. C’est Michel Debré qui m’a prié de vous dire cela et il confirmera par écrit. » Et le délégué général lors d’une tournée qu’il fît dans le bled peu après développa ce thème.

      Lorsque mon instruction sur la pacification parut le 10 décembre 1959, elle se référait à cette thèse et j’employai le terme « Algérie française » plusieurs fois.

    J’en envoyai plusieurs exemplaires au chef d’état-major général, le général Ely, au ministre des Armées Guillaumat, au Premier ministre, au général de Gaulle.

    Jamais personne ne me dit que j’avais commis là une faute ou une erreur ou que je m’étais rendu coupable de déviationnisme comme disent les communistes dès qu’on ne récite plus mot à mot la catéchisme provisoire du dictateur en place. Et cette instruction était distribuée jusqu’à l’échelon bataillon et encore en vigueur début 1961. » (p,151)

       Comme témoin à la façon de Fabrice del Dongo, je me rappelle deux choses : d’une part, la vue et le bruit de ce train d’hélicoptères qui survola la SAS le jour où de Gaulle se rendit au PC Artois, et d’autre part le compte rendu succinct fait par un des officiers présent à l’une de ses réunions  d’un propos du général Crépin d’après lequel on continuait à mettre au tapis la rébellion.

       « Autodéfenses… fédération des unités territoriales et des autodéfenses », des initiatives qui tentaient donc de constituer les éléments d’une troisième force de plus en plus introuvable en Algérie, car pour beaucoup d’entre nous, il était déjà trop tard !

      « Lorsque pendant la semaine des Barricades, le 29 janvier 1960, de Gaulle prononça le discours bien connu, il demanda s’il était possible que lui, de Gaulle, puisse ne pas souhaiter «  la solution la plus française ». Après coup, on peut revenir sur le fait que « souhaiter » ne veut pas dire « croire possible »…

      Or nous savons maintenant que de Gaulle ne souhaitait pas, que de Gaulle faisait et allait faire tous ses efforts pour arriver à la solution opposée.

     Et on envoyait les garçons se faire tuer pour un mensonge.

     Et on engeait à nos côtés des centaines de milliers de musulmans sachant parfaitement qu’ils paieraient de leur vie leur confiance dans la France, dans la parole de la France…. » (p151)

       Au cours des premiers mois de l’année 1961 : « … » Pour moi la paix était donc une affaire de quelques mois… Les bandes éteint réduites à quinze hommes et moins… C’est alors que survint l’affaire Si Salah. » (p,167)

      Une négociation de paix semblait alors possible entre les chefs de quelques willayas et le gouvernement, en raison du fossé qui existait entre le commandement des willayas et le GPRA, mais cette négociation échoua.

     Faute de conserver la confiance de de Gaulle, le général Challe quitta son poste le 23 avril 1961.

      Des officiers et des français d’Algérie commencèrent à jeter les bases d’un complot destiné à leurs yeux à sauver l’Algérie française et sollicitèrent l’appui du général Challe.

      « On nous expliqua qu’un mouvement de sédition militaire était tout prêt et qu’on attendait plus que nous… En métropole, ce qui était prévu était d’une légèreté qui condamnait toute tentative à l’échec certain. » (p,181)

       Comme il l’écrit, Challe était tout à fait conscient de l’état de l’opinion en métropole :

    « Or les forces dont nous disposions, compte tenu d’une opinion publique défavorable, étaient beaucoup trop minces pour que les chances de réussite soient suffisantes. Au contraire tout déclenchement de révolte me paraissait devoir lancer le pays dans une aventure aux résultats parfaitement imprévisibles.

     Je refusais donc de m’associer à une tentative quelconque en métropole. » (p,182)

     Oui, mais alors, cette révolte n’avait aucune chance de réussir.

     « Le 11 avril 1961, de Gaulle annonçait clairement le « dégagement », savoureux euphémisme, et souhaitait « bien du plaisir » à ceux qui prendraient notre suite. 

     On endormait le peuple français en lui expliquant que tout se passerait gentiment, qu’il y aurait des garanties formelles, que l’armée française serait garante. Toutes choses que nous, qui connaissions l’Algérie, savions fausses et destinées seulement à tromper les nombreux métropolitains acquis au lâchage de l’Algérie , mais qui, par un sursaut de fierté à retardement, ou par simple humanité, tenaient à ce que le dégagement se passe dans l’ordre et la dignité !

     Après sept ans de guerre dure, ce n’était plus possible…

     Pour éviter à mon pays un parjure qui se terminerait dans la honte, et à l’Algérie une aventure qui la ferait régresser et tomber dans la misère et le chaos sanglant, le 12 avril je donnais mon accord…

     Il faut ici que je dise quelles étaient mes idées sur l’avenir de l’Algérie. Car je ne partais pas pour mener n’importe quelle guerre aboutissant à n’importe quelle paix.

    J’avais été partisan de la loi-cadre algérienne et je ne pensais pas que l’intégration définitive de l’Algérie à la métropole par assimilation fût souhaitable en fin de compte. Pour que l’Algérie puisse progresser il fallait un traitement particulier. » (p187,188)

      Challe proposait de faire évoluer le statut de l’Algérie vers une fédération dans un cadre français, tout en estimant :

    «  Le statu quo était donc indispensable pendant quelques années, assez peu en vérité, le temps de réaliser deux ou trois plans de Constantine et de lancer la province sur la route du progrès… » (p189)

      Une fois Challe revenu en Algérie, la révolte ne fut qu’un feu de paille, car au fur et à mesure des jours, les soutiens militaires se volatilisèrent, faute de courage quelquefois pour les officiers qui avaient déclaré auparavant leur soutien, mais avant tout parce qu’il s’agissait d’une révolte sans avenir.

       Que d’obstacles à franchir ! La stratégie politique de Challe n’était pas à la hauteur de celle qu’il avait mise en œuvre en Algérie pour défaire militairement la rébellion : une solution institutionnelle imprécise, une métropole hostile, et sur place, ne l’oublions pas, un contingent de soldats appelés qui n’avaient jamais eu la conviction que l’Algérie, c’était la France.

      Il y avait un immense fossé entre Alger ou Oran et le bled, ou le djebel !

     Courageusement, une fois l’échec de sa révolte consommée, Challe décida de se livrer à la justice de son pays :

     « Vers midi mon avion décollait de Maison Blanche. Une dernière fois, je survolais la Méditerranée toute bleue et si belle. A 17 heures, nous nous posions à Villacoublay…. Vers 17 h 30 j’arrivais à la Prison de la Santé… J’allais maintenant comparaître devant la justice de mon pays… Evidemment, je ne me faisais aucune illusion sur ce qui m’attendait. Un général qui se met à la tête d’une rébellion est fusillé lorsqu’il est pris. Mais comme je l’ai dit devant mes juges : «  Il n’y a pas de loi au monde, il n’y a pas de raison d’Etat qui puisse obliger un homme à faire du parjure son pain quotidien… » (219)

    Je n’ai pas voulu faillir au serment que j’avais maintes fois répété sur ordre du gouvernement et abandonner ceux qui avaient eu confiance en la France à travers moi.

   Au moment de l’échec, je m’étais livré pour ne pas abandonner ceux qui, dans l’armée, avaient eu confiance en moi.

    Ce procureur et ces juges, particulièrement choisis par le pouvoir, il a bien fallu qu’ils avouent.

     Qu’ils avouent qu’au- dessus de la politique du moment, au- dessus de l’obéissance, au- dessus même de la raisons d’Etat, existent des lois morales plus fortes.

    Puisqu’ils n’ont pas osé, l’un requérir contre moi la peine de mort, les autres la prononcer.

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            « En prison, je reste un homme libre…

Prison de Tulle

1961-décembre 1962

         A cette date, j’étais bien loin de l’Algérie et je constatais une fois de plus que la France n’abordait pas le dossier algérien de la bonne façon, pour autant qu’il y ait eu encore une chance de « bonne façon », ce dont je suis beaucoup moins sûr, tant la situation des relations  de la France avec l’Algérie était dégradée.

       Je suis convaincu, comme je l’étais déjà en servant la France en Algérie dans les années 1959-1960, qu’il était illusoire de croire à l’existence d’une troisième force – celle envisagée par Challe, entre autres – , mais je pense que la France aurait pu conduire le processus d’indépendance d’une autre façon, étant donné que nous étions maîtres du terrain et que nous avions un devoir moral de soutien de tous les Algériens qui avaient soutenu notre cause.

       Ce que n’a pas fait le général de Gaulle !

      Une fois les accords d’Evian signés,  et compte tenu  de la honte que j’éprouvais pour mon pays devant le lâche abandon de nos moghaznis et harkis, je rendis visite à un de mes camarades en poste au cabinet du général de Gaulle pour lui dire cette honte, et mon refus de m’associer à cet abandon, mais évidemment sans succès.

      Ceci dit, mon interprétation serait celle d’une révolte « sacrificielle » pour l’honneur, de ces officiers qui restaient fidèles à la parole donnée, et cette révolte sans but stratégique clair et cohérent n’avait aucune chance de réussir : Alger n’était ni l’Algérie, ni la France !

        Ajoutons que la présence massive du contingent des appelés constituait dès le départ un handicap mortel.

     Plus loin, et à ce sujet, Challe propose dans son livre comme explication de son échec une « manœuvre psychologique trop tardive » : « Mais j’ai commis une faute dans la manœuvre psychologique : mon tempo a été trop lent vis-à-vis de la troupe. » (p,285)

     Vu d’Alger peut-être, mais le contingent n’avait jamais considéré dans son ensemble, sauf pour la partie résidant sur la côte et dans les grandes villes européennes, que l’Algérie, c’était effectivement la France.

        Challe criait à l’imposture !

L’analyse qu’avait faite depuis longtemps Clausewitz dans le traité  « De la guerre » aurait pu annoncer l’échec inévitable de Challe, car il n’était plus maître des buts de la guerre : « La guerre est un instrument de la politique » (p,703), « Subordonner le point de vue militaire au point de vue politique est donc la seule choses que l’on puisse faire » (p,706)

       Si les buts de cette guerre avaient été définis par de Gaulle, ce qui reste à démontrer, ou qu’ils lui aient définitivement échappé, tant la situation du pouvoir à Alger était fragile, un pouvoir déliquescent qui, à la fin, n’y contrôlait plus grand-chose.

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Les autres éclairages historiques

       Le même livre propose d’autres éclairages historiques tout à fait intéressants :

France- Algérie- Communauté (p,233)

       « En mars 1957, J’ADRESSAIS un mémoire à Bourgès-Maunoury, alors ministre de la Défense nationale. Bourgès-Maunoury est avec Guy Mollet en particulier un des très rares ministres que j’ai connus, capables de se hisser au niveau d’homme d’Etat. J’étais alors major général des Forces armées et étudiais les questions de défense des territoires sous pavillon français.

      Dans mon mémoire, je préconisais la reconnaissance immédiate ( au 14 juillet 1957) pour des raisons historico-sentimentales) de l’indépendance des Etats d’Afrique Noire qui faisaient partie de ce qu’on appelait encore l’Union française. En effet, après une étude détaillée des possibilités de défense, je concluais que l’Afrique noire française était indéfendable dans l’état de notre armée et de nos finances…

      Je pensais que nous devions nous limiter en tout état de cause à la défense et au développement de la métropole, de l’Algérie-Sahara, et des quelques territoires qui passeraient avec nous un véritable contrat d’association. » (p,233)

    Plus loin, Challe donnait son interprétation du fameux colonialisme français :

     « … Mais il est bien entendu que c’est toujours le voisin qui est colonialiste. En particulier, chacun sait que la France, bien qu’elle abandonne tout son domaine et même qu’elle le jette par-dessus bord, est colonialiste…

    Tandis que la Russie n’est pas colonialiste…

    Les Etats Unis ne sont pas colonialistes. Demandez aux habitants du Japon, de la Corée, de Formose, du Laos, ou même du Congo ex-belge…

     L’Indonésie n’est pas colonialiste. Mais elle tient essentiellement à faire le bonheur des Papous de Nouvelle Guinée… (p,235)

    Le point de vue d’un grand dignitaire gaulliste, Guillaumat :

            « Je me souviens encore de Guillaumat, technocrate intelligent et sympathique, qui a régné sur l’atome français, l’électricité, le pétrole, l’Ecole polytechnique et aussi sur le ministère des Armées, me disant un jour de 1959 en parlant du sort futur de l’Algérie : «  Mon cher, ce qui compte ici c’est le pétrole, tout le reste c’est de la poésie. » Je lui disais alors : « Si vous pensez que nous garderons le pétrole tout en larguant l’Algérie, vous vous faites des illusions. » Guillaumat me répondit avec un petit sourire en coin : « Mais voyons, le pétrole appartient à des sociétés puissantes dont les imbrications internationales empêcheront tout gouvernement algérien d’en disposer. » Voire lui dis-je.

Il est vraisemblable que l’armée avait raison puisqu’elle avait contre elle à la fois les fabricants de théories, le « mur d’argent », et les technocrates !!

Elle avait raison, mais elle en est morte »

Février 1966 » (p,377)

L’Armée française en Algérie

            « Pour avoir bonne conscience, une grande partie de l’opinion française admet que l’armée française a fait en Algérie une dure guerre pour le compte des puissances d’argent et des gros colons. Elle admet que seul de Gaulle a pu faire cesser cette effroyable dépense d’hommes et de finances en terminant les hostilités qui avaient trop duré et en donnant aux Algériens une indépendance qu’ils réclamaient tous à cor et à cri.

      Pour le coût des hommes, il n’y a qu’à se référer aux statistiques officielles.

      Pour le prix en argent, il suffit de comparer avec la suite.

     Pour le reste, il faut y revenir car cette croyance, habilement et fortement entretenue, permet à l’opinion de renouveler le geste de Ponce Pilate et de se désintéresser des sévices inimaginables (1) subis par les Européens et les Musulmans qui avaient cru en la France et de lire d’un œil serein les récits d’aujourd’hui sur la misère algérienne.

   Or cette croyance est basée  sur un énorme entassement de mensonges.

     Il est faux que l’armée ait mené la guerre plus durement qu’il était nécessaire.

     Il est faux qu’elle l’ait fait pour le compte des Européens les plus riches.

    Il est faux que de Gaulle ait terminé la guerre au mieux et au plus tôt.*

    Il est faux que les Algériens musulmans aient en majorité demandé l’indépendance. … » (p,395)

  1. Dans l’annexe IV, Challe a publié un ensemble de témoignages, sur ces sévices inimaginables ( page  421 à 441) qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie et dont ont souffert, mort très souvent comprise, de très nombreux harkis, moghaznis, ou Algériens qui s’étaient engagés à nos côtés.
PUTSCH (p347)

         Dans ce chapitre, le général Challe se défend d’avoir fait un putsch :

       « D’abord, il n’y a pas eu de putsch DU général Challe. Nous étions de nombreux officiers à nous rendre compte de ce qui allait se passer, en dépit des acrobaties verbales du gouvernement. La réunion d’Evian était annoncée, et nous savions qu’en ce moment sonnerait le glas de la France, de Français, et de l’œuvre française en Algérie.

     Ce qui s’est effectivement passé.

     Je n’étais pas seul, Dieu merci à prévoir. Beaucoup d’officiers, désirant que j’achève la victoire de l’armée française, que de Gaulle m’avait empêché de gagner totalement, voulaient que je fusse à la tête du dispositif de révolte.

     Je ne me sentis pas le droit de refuser le poste…. (p,347)

    Voilà très exactement comment fut orienté ce que l’on a appelé à tort un putsch, et qui fut en réalité une révolte militaire contre le lâche abandon de nos promesses et d’un territoire français, aussi français et depuis longtemps que Nice ou la Savoie. » (p349)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Algérie 1954-2014 L’anniversaire amer » Le Monde du 31 octobre 2014

« Algérie 1954-2014

L’anniversaire amer »

Le Monde du 31 octobre 2014

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Petit exercice de critique historique des pages du journal sur la guerre d’Algérie avec une invitation à passer à la phase 2, c’est à dire :

Mesurer les mémoires dans « la guerre des mémoires- la France face à son passé colonial » de Benjamin Stora,  et son nouveau concept de « transfert de mémoire » (voir l’éditorial).

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Avant-propos

            Pour avoir servi la France, et peut-être l’Algérie, pendant la guerre d’Algérie, au cours des années 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, et continué à y lire ce journal, quand il m’était possible de me le procurer, j’aimerais donner mon opinion sur une partie des textes qui ont eu l’ambition de donner une image fidèle de cette guerre, pendant et après l’indépendance de l’Algérie.

            Je me propose donc de passer au crible trois des documents publiés par Le Monde, en premier, la sorte d’éditorial du supplément, signé Christophe Ayad, intitulé «  Sortir du déni et du mensonge », qu’il convient de lire ainsi, sauf erreur, « déni » de la France, et « mensonge » de l’Algérie.

            En deuxième, l’éditorial lui-même du journal, intitulé « De la mémoire à l’histoire ».

            En troisième, l’analyse de l’enquête IFOP, intitulée « Les passions s’apaisent sur la guerre d’Algérie » par Thomas Wieder.

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           En premier : « Sortir du déni (France) et du mensonge (Algérie) »

 Cette analyse n’est pas très convaincante.

            Les premiers paragraphes décrivant les débuts de cette guerre sont à la fois réducteurs, et inexacts : « Pour venir à bout de cette tactique mise en place par le FLN, l’armée française a mis au point et expérimenté la guerre contre-insurrectionnelle… L’armée américaine n’a rien inventé en Afghanistan ou en Irak. »

            Comme si Mao Tsé Toung n’avait pas mis en œuvre ce type de guerre en Chine, et comme si les guerres contre-insurrectionnelles, anglaise de Malaisie, puis française d’Indochine n’avaient pas non plus existé !

            Et rien sur la guerre fratricide entre le MNA et le FLN, avec ses plus de 20 000 victimes, pour ne pas citer l’autre guerre civile entre algériens pro et antifrançais, et pas plus sur la présence en Algérie de plus d’un million de pieds noirs.

        « Poids de l’histoire », l’auteur écrit :

            « La constante des guerres contre-insurrectionnelles, c’est qu’en cas de succès militaire, elles débouchent sur des désastres politiques. … «  Voire ! Lesquels ?

            L’auteur poursuit : « L’autre malédiction des guerres contre-insurrectionnelles est qu’elles inoculent leur venin à ceux qu’elles sont censées combattre. » et le tour est joué !

            L’armée française a inoculé son venin à l’armée du FLN, celle qui est « restée stationnée en Tunisie et au Maroc sans combattre » (et les batailles des frontières ?), celle qui a pris le pouvoir, et est donc responsable de ce qui s’est passé en Algérie jusqu’à nos jours.

          L’auteur ajoute : « De son homologue française sous la colonisation, l’armée algérienne a hérité du même mépris pour les civils, d’un goût prononcé pour les affaires politiques et d’un penchant certain pour la manipulation. Elle se conduit, à bien des égards, en force d’occupation de sa propre société. ».

            « Même mépris pour les civils » n’est-ce pas par trop caricatural, et même faux ? Et évidemment, par la voie de son armée, la France est à nouveau responsable ! C’est toujours la faute des Français ! Plus de cinquante ans après !

:           L’auteur évoque alors l’opération Serval au Mali et une nouvelle coopération militaire franco-algérienne « en catimini » :

            « Le poids de l’Histoire est sans doute trop fort. En France, l’oubli et l’ignorance ne sont qu’une autre forme du déni passé ; et en Algérie, la mémoire de la guerre est instrumentalisée et usée jusqu’à la corde… Ce n’est qu’en sortant du déni français et du mensonge algérien que l’on pourra justifier, auprès des opinions publiques des deux pays, une lutte contre le terrorisme pour une fois justifié et susceptible de remporter l’adhésion. »

            Un discours qui se situe hors de l’histoire réelle de notre pays, car les citoyens français ont eu beaucoup plus d’occasions d’être informés sur la guerre d’Algérie, que n’a l’air de le croire l’auteur de ce papier, y compris sur les aspects les plus noirs de la pacification, en particulier, par les soins du journal Le Monde.

         Comme de nombreux lecteurs de ce journal pendant la guerre d’Algérie, soldats appelés ou non, il m’est arrivé souvent de penser que le journal proposait trop souvent une information partisane, avec toujours la France en négatif.

        A la limite, il n’était pas interdit de penser que le « terroriste «  avait toujours raison, alors qu’il s’agissait au moins autant d’une guerre civile que d’une guerre franco-algérienne.

        En deuxième, le contenu de l’éditorial du 31 octobre 2014,

         Un contenu que je relierais volontiers à celui du sondage IFOP analysé plus loin sur la mémoire et l’histoire de cette guerre, et sur la grande ambiguïté que certains historiens entretiennent entre mémoire et histoire.

        Je cite :

     « Aujourd’hui encore, comment ne pas voir dans le refoulement de ce drame l’origine de ce que l’historien Benjamin Stora a appelé « le transfert de mémoire » : l’importation, en « métropole » d’une mémoire coloniale où se mêlent la peur du « petit blanc », son angoisse identitaire face à l’Islam, son racisme antimaghrébin et les  crispations identitaires antagonistes qui en résultent » :

     Rien de moins !

        Une nouvelle école mémorielle ou historique ? Après la guerre des mémoires, entre qui et qui, et avec quelle démonstration statistique ? Une nouvelle extension de la psychanalyse coloniale et postcoloniale grâce à un « transfert » jamais mesuré, et sans doute mesurable !

      Des historiennes et historiens se sont fait une spécialité d’une lecture de notre histoire coloniale à partir de concepts aussi étranges qu’une « mémoire collective », ici coloniale ou postcoloniale (voir Stora), jamais mesurée par voie d’enquêtes et de sondages, ou mieux encore d’un « inconscient collectif » toujours colonial ou post colonial ( voir Coquery-Vidrovitch et ), jamais non plus mesuré.

      J’ai déjà eu maintes occasions de dénoncer le discours idéologique et non « scientifique » de ces chercheurs, sans preuves.

        L’éditorial fait donc appel à un nouveau concept adopté par M.Stora « le transfert de mémoire ».

      Comme je l’ai demandé à maintes reprises sur ce blog, que ces grands lettrés aient le courage en effet de démontrer, statistiquement parlant, que les concepts d’explication avancés pour mieux connaitre la mémoire des citoyens, ont effectivement une réalité mesurée.

     Le 12 mars 2009, le journal Le Monde s’était prêté à ce même type d’explication, une affirmation sans fondement statistique, en s’associant à la Ville de Paris pour célébrer le slogan « Décolonisons les imaginaires », la vraie « propagande », celle-là !

    En troisième lieu, et enfin, Eurêka ! L’heureuse surprise d’une première mesure statistique de quelques-uns des aspects de la mémoire algérienne des Français, le journal propose à la page 9 les résultats d’une enquête d’opinion, intitulée :

« Les passions s’apaisent sur la guerre d’Algérie

Soixante ans après le début du conflit, l’IFOP a sondé les Français pour « Le Monde » et la Fondation Jean Jaurès »

Avec dans la marge :

« Rares sont ceux qui reprennent un vocabulaire de l’époque ou des qualificatifs symptomatiques d’une mémoire blessée »

      Cette enquête répond enfin, et  en partie, à cette demande de démonstration statistique.

            Sous le titre ambigu « Le poids de la mémoire pied-noire », le journal publie un graphique récapitulant le pourcentage de réponses à la question pour l’ensemble des français, et pour les sympathisants PS, UMP, FN :

        « Pour vous, personnellement, la guerre d’Algérie, c’est :

       L’arrivée des pieds noirs en France  (59% pour l’ensemble des Français), une guerre de libération pour un peuple colonisé (54% pour l’ensemble des Français),  le retour du général de Gaulle au pouvoir (41% pour l’ensemble des Français), une défaite pour la France (38% pour l’ensemble des Français), l’abandon des harkis (38% pour l’ensemble des Français).

        L’auteur de l’article fait état d’autres données statistiques qui ne figurent pas dans ces graphiques :

       « Acceptation globale. Autre preuve de ce regard distancé que portent aujourd’hui les Français sur ce conflit : l’acceptation de son dénouement par une assez forte majorité d’entre eux. Soixante-huit pour cent des personnes interrogées estiment ainsi que l’indépendance «  a été plutôt une bonne choses pour l’Algérie », tandis que 65% estiment qu’elle a été « plutôt une bonne chose pour la France ».

        L’auteur poursuit :

      « Frustration

       Restent un malaise et une frustration. Le malaise porte sur l’attitude de la France depuis la fin de la guerre d’Algérie…

     Et l’auteur note à cet égard une différence d’appréciation selon la couleur politique de gauche ou de droite,

     « Seule la question des harkis fait consensus, c’est-à-dire des Algériens favorables à l’Algérie française, fait consensus : à droite comme à gauche, plus de deux personnes interrogées sur trois estiment que « la France s’est plutôt mal comportée » à leur égard. 

            Quant à la frustration, elle porte sur la place accordée à la guerre d’Algérie dans l’espace public. De ce point de vue, les Français font une distinction  entre les médias et l’école. Dans les médias, cette place est jugée suffisante par 43% des personnes interrogées, mais insuffisante par 37% d’entre elles. A l’école, en revanche, 54% des personnes interrogées estiment qu’on n’en parle pas assez. Cette curiosité doit être vue comme une opportunité : combler cet appétit pour l’histoire est sans doute le meilleur remède aux plaies de la mémoire »

            Enfin une initiative positive ! Mais avec le souhait que Le Monde s’associe à nouveau à la Fondation Jean Jaurès pour passer à une autre étape de vérité, la mesure des mémoires dans la guerre des mémoires de M.Stora, du nouveau concept de « transfert de mémoire », et pourquoi pas ?

         Celle d’une soi-disant mémoire coloniale, algérienne et non algérienne, qui imprégnerait, encore, et au choix, la « mémoire collective » ou « l’inconscient collectif » des Français.

Jean Pierre Renaud

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire! « Le Schirch… »

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire !

« Instituteur pendant la guerre d’Algérie » (la Croix du 23/12/2013) ou « Le Schirch, celui qui sait… ou l’aventure hors du commun de Guy Beaujard,(Le Monde Télévisions des 22,23/12/2013) un documentaire sur LCP, le 23 décembre 2013.

               Dans son analyse critique, Alain Constant, dans Le Monde, conclut « ce documentaire inédit est une belle leçon d’histoire », après avoir décrit l’itinéraire du héros de ce documentaire, un jeune instructeur civil venu en Algérie, pendant la guerre d’Algérie, en 1959.

        Si j’ai bien compris le commentaire, le poste militaire d’affectation de ce jeune instructeur, était à Tifrit n-Aït Ou Malek, en Grande Kabylie.

          Le même documentaire nous conte la rencontre pour le moins surprenante entre le jeune instructeur et le colonel Si Mohamed Ou el Hadj, à l’époque chef de la Willaya III.

            Belle leçon d’histoire, ou plutôt belle leçon de désinformation historique, comme je l’ai fait connaitre à la chaîne LCP par le message que je lui ai adressé le 24 décembre 2013, dont le contenu est le suivant :

        « Bonjour, ce documentaire est à ranger dans la catégorie des documents de désinformation historique pour quelques-unes des raisons ci-après :
     

      1) Un curriculum étrange ? M.Beaujard était sursitaire ? Avait refusé de porter les armes et se retrouvait dans le poste de Tifrit ? A effectué son service une fois la guerre terminée ? Etait menacé de mort par le FLN alors qu’il avait collaboré avec le parti en question ?

     2) Comment ne pas être choqué par l’absence de cadrage historique de ce documentaire, et pourquoi ne pas avoir eu le courage de donner la parole à des soldats, sous-officiers ou officiers du contingent qui ont servi dans le même secteur militaire ?

     3) Le documentaire a fait l’impasse sur l’opération Jumelles, mais l’instit en question n’aurait pas pu exercer ses fonctions si cette opération n’avait pas eu lieu, en ramenant la paix civile en Kabylie, où il était, et en Petite Kabylie où je servais la France en tant qu’officier SAS, précisément sur le versant Soummam du même massif.

     4) Comment ne pas éprouver un malaise et beaucoup de mécontentement en regardant ce type de documentaire qui a été tourné à la gloire de Si Mohand, chef de la Willaya III, et tout autant de l’instit, lorsqu’on a cru servir son pays, tout en étant convaincu que l’Algérie devait aller à l’indépendance ?

         Il s’agit à proprement parler à la fois de propagande et de falsification historique. Je puis vous dire que dans ma SAS, le FLN avait brûlé de très belles écoles construites en dur, bien avant la guerre de 54, que j’ai reconstruites, et que de bons instituteurs, sans doute en nombre très insuffisant dans la vallée de la Soummam y exerçaient depuis longtemps leur mission du savoir. Il y aurait tellement de choses à dire sur ce type de sujet qu’il est effectivement possible de raconter aujourd’hui n’importe quoi, et c’est bien le cas de ce documentaire que la chaine publique LCP accueille sans vergogne et sans cadrage historique. La France est décidément dans un triste état. Salutation distinguées. »

            La chaine Publique LCP est-elle dans son rôle d’information libre et pluraliste en diffusant un documentaire soi-disant historique sur la guerre d’Algérie propre à éloigner tout espoir de réconciliation entre les deux peuples  conditionnée par un exercice exigeant de vérité, dans les deux camps ?

            Pendant la guerre d’Algérie, nombreux ont été les « petits gars du contingent » qui ont rempli leur devoir de citoyen français, et aimé cette Algérie qui n’était pas leur pays, ainsi que ses habitants !

Jean Pierre Renaud

Ballade nostalgique et mélancolique dans la mémoire de l’Algérie Française

 Le 10 janvier 2011, j’avais publié une réaction mitigée sur un film de Nicole Garcia, intitulé « Un balcon sur la mer », film dont le ressort était la nostalgie bien  légitime de leurs héros pour leur Algérie Française, celle d’Oran.

            J’avais relevé que la période de ma vie que fut la guerre d’Algérie dans la vallée de la Soummam, en qualité d’officier du contingent, ressemblait plus à l’Oran de « La Peste » qu’à celle de ce film.

             Cet  été, je suis tombé par hasard sur un magazine du Parisien, daté du 26 juillet 2013, qui contenait un long reportage sur une famille algérienne, binationale, qui partait, comme tous les ans, en vacances à Oran.

                L’article était intitulé :

             « Un été algérien avec la famille Bey

           Chaque année, Mohamed, sa femme Yasmina et leurs enfants retournent au « bled », à Oran. Partisan du président Bouteflika, le patriarche s’inquiète pour l’avenir de son pays. »

         M. Bey déclare « nous vivons en France et nous avons tous la double nationalité franco-algérienne »

           Plus loin : « Mohamed a « tout vécu ». Né en 1937 à Oran, dans l’Algérie Française, cet ancien chauffeur de bus «  a été torturé par les militaires français en 1962, à la fin de la guerre d’indépendance, pour avoir transporté des maquisards. Emigré en France en 1964. Il a eu plusieurs vies, avant de revenir en Algérie quelque temps puis de s’installer définitivement à Epinal, en 1991. »

        Une date qui correspond aux dates de la guerre civile des années 1991-1999, et qui fit, d’après le journal, 200 000 morts.

      Pour avoir servi la France, alors que la première guerre, celle dite d’Algérie, me paraissait inutile, un gâchis, le chemin de vie de M.Bey est le symbole de toutes les contradictions des anciens combattants du FLN qui ont abandonné leur pays quelques années après l’indépendance, l’ont à nouveau abandonné pendant la deuxième guerre civile, et qui de nos jours bénéficient de la double nationalité.

        Les mêmes anciens combattants du FLN qui revendiquent la repentance de la France ?

       Le symbole aussi de toutes les contradictions des groupes de pression et des chercheurs ou pseudo-chercheurs, qui, en France, diffusent ce qu’il faut bien appeler par son nom, c’est-à-dire une propagande « coloniale » sans égale par rapport à ce que fut, aux dires des mêmes chercheurs, la propagande coloniale des années coloniales.

      Il y a décidément de quoi troubler n’importe quel pied noir, ou descendant de pied noir, et tous ceux qui ont, d’une façon ou d’une autre, partagé cette histoire tragique, et nourrir beaucoup plus que de la nostalgie.

     Il y a tout autant de quoi éprouver malaise, sorte de mélancolie profonde, peut-être surprise, pointe de colère, ou pitié, de la part d’un ancien de la guerre d’Algérie qui a servi son pays et qui voit un ancien combattant du FLN abandonner au moins deux fois son pays et vivre aujourd’hui dans l’entre-deux confortable des deux rives.

   Malaise sur le qui était qui et le qui faisait quoi, et sur le qui est qui et le qui fait quoi aujourd’hui dans notre pays ?

       Qui assume vraiment son passé ?

       A l’aune de ce type d’exemple, le débat toujours recommencé, ou toujours rallumé à dessein, sur les mémoires de la guerre d’Algérie, parait bien dérisoire!

Jean Pierre Renaud

France et Algérie-Guerre d’Algérie, le cinquantenaire -La repentance trois fois non! La réconciliation, trois fois oui!

France et Algérie

Guerre d’Algérie, le cinquantenaire

La repentance, trois fois non !

La réconciliation, trois fois oui !

Et voici pourquoi :

            Pour avoir servi la France, en qualité d’officier des affaires algériennes (SAS) en Algérie (en Petite Kabylie, vallée de la Soummam), pendant les années 1959-1960, au titre du contingent,  je ne partage pas, mais pas du tout, l’idée d’une repentance de la France.

            En ma qualité de citoyen français et d’ancien soldat du contingent, je me repentirais d’avoir été partie prenante dans cette guerre sans nom ?

            J’aurais servi, en ma qualité d’appelé, une « armée coloniale » telle que décrite aujourd’hui  par certains anciens « rebelles » ?

            Alors, qu’à l’égal de tous mes camarades du contingent, je n’ai pas demandé à faire cette guerre, et alors que nous avons tous accepté de servir la France, et non de déserter, quelles que fussent nos opinions politiques et nos avis sur les objectifs de cette guerre !

            Qui devrait alors se repentir ? L’armée française ? Les pieds noirs ? Les Algériens qui avaient choisi la France, notamment les harkis ou moghaznis, et dont beaucoup ont été assassinés par le FLN après l’indépendance de l’Algérie ?

Le FLN pour avoir assassiné, ou plutôt égorgé, pendant cette guerre, en Algérie et en France, des milliers de membres du MNA, le parti rival, et des milliers d’Algériens favorables à la France ?

Libre au musulman ou au chrétien, ou encore à l’athée, et dans chaque camp, de confesser ses péchés ou ses fautes, c’est-à-dire les saloperies qu’il a pu commettre auprès de son imam, de son prêtre, ou de sa conscience, s’il en a une encore !

            Alors pourquoi pas la repentance des vrais responsables de cette guerre ? C’est à dire les héritiers politiques et naturels des mouvements politiques de gauche qui ont engagé le pays dans ce conflit sans espoir, le Parti Communiste et l’ancienne SFIO.

            Car le débat doit effectivement être porté à ce niveau politique, et pas du tout au niveau de la nation.

            Sur le plan général de notre histoire coloniale, pourquoi ne pas faire observer par ailleurs que la gauche au pouvoir, étroitement associée à la franc-maçonnerie, a été la grande responsable des conquêtes coloniales sous la Troisième République, et que pendant la décolonisation inévitable et nécessaire, après la deuxième guerre mondiale, la gauche n’a pas assumé cette décolonisation : elle porte une lourde responsabilité dans la répression de la révolte malgache en 1947, dans le déclenchement de la guerre d’Indochine, et très précisément dans la guerre d’Algérie ?

Allons, Monsieur Hollande assumez l’héritage des Jules Ferry, Léon Blum, Marius Moutet, Guy Mollet et d’un certain Mitterrand que votre camp vénère, que cela vous plaise ou non, mais de grâce, n’y mêlez pas la France !

Et en conclusion, quelques extraits des tirades qui concluaient quelques-unes des nouvelles de « ma » guerre (livre « Guerre d’Algérie »), tirades intitulées :

 « Morts ou vivants, ils auraient dit ou ils diraient » :

«… La France n’a pas perdu l’Algérie, mais notre jeunesse y a perdu son âme, ses rêves, dans un cul de sac.

La guerre d’Algérie nous a tous collé à la peau et nous colle encore à la peau : il y avait des salauds des deux côtés et des gens honnêtes dans les deux camps, mais pourquoi condamner toujours la France par avance ?

Etait-il insensé d’imaginer amener les trois couleurs autrement qu’en laissant nos harkis et nos moghaznis se faire empaler et embrocher sur les places des villages ?… »  (page 61)

« …Dans le djebel, on tuait le gars d’en face ou il vous tuait ! C’était la règle du jeu, d’un nouveau jeu, un jeu implacable… » (page 75)

« … Le douar reprenait une vie normale, il y avait un café maure, et même un cinéma (1). Les écoles avaient rouvert leurs portes. Tout semblait dire : la pacification a réussi, on pouvait la toucher du doigt. Déjà on voyait le colonel et le sous-préfet, la colonelle et la sous-préfète venir en touristes admirer les beaux paysages du douar.

Juste une illusion, car le mal était fait. L’histoire avait effectivement franchi ici un pas. Elle ne reviendrait pas en arrière… » (page 94)

Et sans évoquer le dossier plus large d’une repentance coloniale !

Une fois de plus, la repentance, trois fois non !

La réconciliation, trois fois oui !

Jean Pierre Renaud

                        (1) Après l’opération Jumelles en Kabylie

Guerre d’Algérie – Soummam 1959-1960- Lettres d’un Sous-Lieutenant Officier de SAS

Guerre d’Algérie

Soummam 1959-1960

Lettres d’un Sous-Lieutenant, Officier de SAS

Présentation

                        Les deux lettres qui vont être publiées successivement l’ont déjà été dans une publication plutôt confidentielle, intitulée « Bulletin de liaison Saint Maixent 1959 – Promotion Communauté ».

            En octobre 1958, une cinquantaine d’anciens élèves des grandes écoles (en très grande majorité de Normale Supérieure et de la France d’Outre-Mer) entrent à l’Ecole Militaire de Saint Maixent.

            Une quarantaine de ces sous-lieutenants rejoint l’Algérie en avril 1959, la moitié dans des unités combattantes, l’autre moitié dans les SAS, les Sections Administratives Spécialisées.

L’auteur faisait partie de cette promotion.

            La promotion décida d’éditer un bulletin de promotion intitulé « Promotion Communauté » destiné à échanger informations, expériences et réflexions sur la guerre d’Algérie.

            D’avril 1959 à octobre 1960, seize bulletins ont été publiés, relatant les expériences de ces jeunes officiers, affectés sur tout le territoire de l’Algérie. (1)

            Ces témoignages, « tout chauds » d’actualité, étaient authentiques, lucides, et sans beaucoup d’illusions sur cette guerre d’Algérie, et sur la mécanique diabolique de toute guerre. 

            L’auteur lui-même des deux lettres publiées sur le blog avait été affecté en Petite Kabylie, à la SAS de Vieux Marché, dans la vallée de la Soummam, arrondissement de Sidi Aïch, département de Sétif, à cette époque.

            La SAS en question vivotait dans une zone qualifiée de « pourrie », alors encore contrôlée par l’OPA du FLN et les katibas rebelles, dans la willaya 3 ; ces derniers pouvaient se réfugier facilement dans la forêt d’Akfadou, et conserver des liaisons faciles avec les katibas de Grande Kabylie.

            Petit rappel historique pour les non-initiés :

                        A l’époque des faits, l’Armée exerçait tous les pouvoirs, c’est-à-dire les généraux et tous les officiers chargés d’un commandement en Algérie.

            Dans les départements, les Préfets étaient les adjoints civils des généraux. Dans les arrondissements, les colonels, commandants de secteurs militaires, avaient pour adjoints les sous-préfets.

            Les secteurs étaient découpés en quartiers tenus par des bataillons, eux-mêmes découpés en sous-quartiers tenus par des compagnies.

            Pour remédier à la sous-administration de l’Algérie et pour reprendre en mains la population, le gouvernement avait créé dans la plupart des arrondissements, des Sections Administratives Spécialisées, les fameuses SAS. Leurs limites ne recouvraient pas toujours celles des sous-quartiers, et c’était le cas de la SAS de Vieux Marché.

            L’ancienne commune mixte de la Soummam, qui englobait le douar des Béni Oughlis, territoire de la SAS, était immense, puisque pendant la pacification, pas moins de quatorze SAS avaient été créées sur cette ancienne circonscription.

Les Officiers des Affaires Algériennes, Chefs de SAS, avaient une position ambigüe, puisqu’ils relevaient tout à la fois de l’autorité militaire et de l’autorité civile. Leur nature était hybride et leur recrutement très hétéroclite.

Lors d’une réunion du 29/05/1959, le Délégué Général du Gouvernement en Algérie avait dit des officiers SAS : « ils sont naturellement hermaphrodites. »

Il y avait autant de cas de figure de SAS que de situations militaires concrètes, et que de relations professionnelles et personnelles entre officiers de Sous-Quartiers et officiers de SAS.

Une SAS, en tant que telle, avait de la peine à exister dans une zone non pacifiée, totalement contrôlée par l’armée, et c’était le cas de la SAS de Vieux Marché.

La doctrine militaire de la pacification

La pacification dans le douar des Beni Oughlis mettait en œuvre la doctrine de « La guerre moderne », le livre du colonel Trinquier

Avec d’autres colonels qui ont voulu tirer les enseignements des échecs de la France en Indochine, le colonel Trinquier a été un des théoriciens de  la guerre révolutionnaire ou contre-révolutionnaire en Algérie.

Au cœur de cette doctrine figurait l’adhésion, sinon le contrôle de la population. Mao Tsé Tung était passé par là.

Les SAS constituaient donc une des pièces importantes du dispositif stratégique.

Mais les fondements de cette analyse stratégique, la situation en Algérie, son histoire, les caractéristiques du théâtre d’opérations, la nature de nos adversaires, de leur combat…  l’ensemble des facteurs stratégiques de l’Algérie d’alors, n’était pas du tout le même que celui d’Indochine, alors, sorte d’avant-garde du communisme international de la Chine et de l’URSS, et la solution du problème ne pouvait donc pas être la même.

Au cours du stage d’application de Saint Maixent, les élèves avaient eu l’occasion d’écouter une des conférences d’un intellectuel à la mode dans l’armée, résolument anti- communiste, un dénommé Sauge, et le contenu de la pensée de ce conférencier avait fait bien rigoler la majorité des élèves.

Quelques dates pour situer le texte :

            1/11/1954 : début de l’insurrection algérienne

            1957 : bataille d’Alger

            4/06/1958 : de Gaulle  à Alger : « Je vous ai compris »

            23/10/1958 : de Gaulle propose la paix des braves

            27/31/08/1959 : tournée des popotes, de Gaulle déclare :

             «  Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l’Algérie »

            24/01/1960 – 1/02/1960 : semaine des barricades à Alger

            13/02/1960 : explosion de la première bombe atomique au Sahara.

            3/05/1960 2ème tournée des popotes de de Gaulle en Algérie : de Gaulle évoque l’idée d’une Algérie Algérienne liée à la FRANCE

            Bulletin Numéro 3

            De JP Renaud                   juin 1959

SAS de Vieux Marché

SP 86 623

            « La SAS où j’ai été parachuté n’a rien de commun avec la SAS capitonnée, amoureusement préparée dans certains couloirs du Palais par quelque Procureur ; elle ne ressemble pas non plus aux SAS en mal de réformateurs agraires grandis à l’ombre de quelque Parti. Oh ! Camarades, qu’est devenue la vertu ?

Je ferai donc part de mes impressions aux gens sérieux.

SAS accrochée dans le « djebel », surplombant la vallée de la Soummam, entre Sidi Aïch et Akbou. SAS recouvrant à peu près un Sous Quartier « réservé » aux Chasseurs Alpins de la Première Compagnie.

Aucune élite présente, aucune délégation spéciale, ni a fortiori aucune municipalité. Tous les gens bien sont en France, dans les villes d’Algérie, dans le djebel, ou bien, tout simplement morts, et ils sont nombreux.

Il n’y a pas d’opinion politique ou, plus justement, la politique menée dans le Sous Quartier ne tient pas à la voir s’exprimer ; pourquoi avoir des municipalités FLN puisqu’on lutte contre lui les armes à la main ? Attendons que, par un traitement approprié de la population, celle-ci soit mûre et nous donne la preuve de sa capacité française.

 La population de la SAS se trouve pratiquement dans un noman’s land, disputé par les deux partis. Moutonnière, apathique, ennemie souvent, mais ce qui est  plus grave, considérée comme telle par nous. Au point de vue militaire, des progrès ont été réalisés ; les rebelles et les terroristes se promènent constamment dans le Sous Quartier, mais il est rare qu’une katiba soit réunie pour opérer. Les gens sont las de la guerre, sans doute, mais je ne pense pas qu’une politique ait jamais été fondée sur la lassitude des gens. Le Kabyle, ou plutôt, la « Kabyle » rentre dans sa coquille et laisse passer l’orage. La troupe n’a aucune prise sur la population, sauf par force. La théorie en faveur, et c’est un bien grand mot, est qu’il faut mater la population, l’épurer. C’est ainsi que le stage en taule est considéré comme favorable à l’éducation et à la moralisation des « pensionnaires »

On distingue les villages qui se conduisent bien et ceux qui se conduisent mal. Ceux-là ont le droit de venir travailler aux aménagements du poste pendant un certain nombre de journées. Ces deux cas ne sont qu’une illustration d’une méthode plus ou moins consciente qui pense que la verge ou la contrainte peuvent reconquérir la population. L’idéal serait que le Kabyle prenne un coup de règle sur les doigts chaque fois qu’il agit mal envers nous. C’est un moyen comme un autre de lui montrer qu’il ne peut se passer de nous. Il n’y a plus d’échanges, le ravitaillement des populations est interdit ou accordé au compte-gouttes. C’est la misère ou le marché noir, le retour à des procédés archaïques pour fabriquer sucre, cafés, aliments. L’asphyxie économique est encore un moyen d’éducation politique et de lutte contre le ravitaillement des bandes rebelles, puisque après le poste, c’est la zone ouverte aux incursions des rebelles.

Pourtant, il y a de l’argent, les femmes perçoivent des allocations familiales, des mandats provenant de leurs maris émigrés en France, des pensions… beaucoup d’argent, mais pas d’échanges. Le minimum vital est encore amoindri par la présence de réfugiés, un tiers de la population a été évacué pour organiser une sorte de cordon sanitaire entre le rebelle et nous.

Dans ce climat politique, militaire, économique, la SAS n’a pas un rayonnement exceptionnel. Elle était enfermée, tout récemment encore, dans ses murs ; une antenne administrative dans des bâtiments provisoires à l’ombre de la Compagnie. Un Maghzen peu nombreux, de valeur inégale, qui tient plus d’un hospice pour gens en danger d’égorgement que d’une troupe combattante, tout est à faire pour son instruction. Une SAS kyste dans la circonscription, que les gens ne viennent fréquenter que par intérêt.

Trois sortes de travaux : le travail administratif, encore prédominant ; militaire (instruction du Maghzen), politique, des tournées de contact assez illusoires dans le cadre des sorties militaires, un chantier de piste rurale.

Ceci dit, le pays est très beau, très touristique, et l’habitat est intéressant.

Tant que les moyens nécessaires ne seront pas donnés pour couvrir la région de troupes, il est illusoire d’escompter le ralliement de la population. »

(1)  L’historien Antoine Prost faisait partie de cette promotion. Le bulletin a publié deux de ses lettres, dans le numéro 11, celle du 10 février 1960, et dans le numéro 12, une autre, à la date du 15 avril 1960.

Sauf erreur de ma part, les « Carnets d’Algérie » qu’il a publiés, n’ont fait état ni du bulletin, ni de ces deux lettres.