Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

L’enseignement de l’histoire coloniale en métropole et en Afrique : la pertinence historique des exemples cités par Sophie Dulucq dans son livre « Ecrire l’histoire coloniale de l’Afrique à l’époque coloniale »

            L’auteure aborde ce sujet au moins à deux reprises en examinant rapidement le cas de la métropole, et plus longuement celui de l’A.O.F

            Dans le premier cas, celui de la métropole, et sans citer le livre d’histoire Lavisse auquel l’historienne Coquery-Vidrovitch a fait un sort, de même, et plus largement encore, le collectif de chercheurs Blanchard, mais non démontré, comme je l’ai moi-même démontré dans mon livre « Supercherie coloniale », l’auteure s’inscrit dans le courant des chercheurs qui accréditent l’idée, et non le fait mesuré, que la France était sous l’influence de la propagande coloniale :

            « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la Plus grande France et celles de l’épanouissement d’une culture « impériale… » (page 209,210, note de source Blanchard et Lemaire)

            Elle note plus loin, mais de façon plus nuancée :

 « Une fois encore se pose la question délicate, en histoire de l’éducation, du décalage entre les instructions officielles, le contenu des manuels, les pratiques des enseignants et la réception des enseignements par les élèves. L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale » (p,223) (Note de renvoi Bancel)

           Pourquoi ne pas rassurer l’auteure, car le nombre de pages consacrées à « la Plus grande France » était très limité dans les petits livres d’histoire de Monsieur Lavisse ?

        Histoire de France Lavisse Cours Elémentaire 1930 10 et 9° : 182 pages, 24 chapitres, et dans le chapitre 22 « Les conquêtes de la France », 7 pages de la page 162 à 169

       Histoire de France Lavisse Cours Supérieur 1937, 408 pages, et dans le livre VI « L’époque contemporaine », une page et demie, pages 371 et 372

        Histoire de France Lavisse Cours moyen 2ème année (7°) certificat d’études, 1935, 343 pages, 35 chapitres, Chapitre XXXIII La Troisième République, page 318, page 319, deux photos, temple d’Angkor et campement de nomades dans le sud algérien, page 320 avec une carte de l’empire, plus 5 lignes à la page 321.

        Un test qu’il s’agirait naturellement d’effectuer de façon exhaustive.

      Quant à l’exposition continue des enfants aux images coloniales, il est possible d’en douter, alors que la France sortait à peine de la boucherie de la première guerre mondiale, et que toutes les familles du pays comptaient leurs morts ou blessés.

       Dans le cas de l’Afrique, l’auteure propose une analyse plus détaillée, mais qui concerne avant tout l’A.O.F :

     « Enseigner l’histoire dans les écoles africaines » (p,193)

      L’auteure relève: « C’est un aspect encore peu étudié par les historiens, qui mériterait des recherches plus approfondies. » (p,193)

    « Nos ancêtres les Africains » (p,193) (le lecteur aura sans doute été rassuré de ne pas trouver le cliché éculé de « nos ancêtres les Gaulois »)

     Sont alors décrits les efforts de l’administration coloniale pour développer l’enseignement de l’histoire, dès l’année 1903.

     « Il s’agit donc moins de familiariser les élèves avec l’histoire de France qu’avec l’histoire de la présence française en Afrique. Dès le rapport de Camille Guy en 1903, une idée est martelée par les pédagogues coloniaux : l’histoire de France n’est à envisager que du point de vue des « relations avec les différents pays de l’Afrique de l’Ouest », afin  de faire aimer la métropole et les Français et de faire comprendre les motivations des colonisateurs ».

    L’enseignement de l’histoire en 1903 dans une AOF créée de toute pièce huit ans plus tôt , non pacifiée ? Imaginez un peu ?

   Comment ne pas faire un petit rapprochement avec le travail des instituteurs de la Troisième République, et de leurs livres, dont l’ambition et aussi la réussite furent celles d’avoir aidé à la construction d’une nation qui n’existait pas encore à la fin du dix-neuvième siècle ?

     Plus loin, l’auteure évoque la publication « Le Tour de l’A.O.F par deux enfants », une initiative qui  ressemble étrangement à celle de Bruno avec son Tour de la France par deux enfants, deux initiatives parallèles qui connurent le succès.

     Cela dit, et quelques soient les interprétations historiques données à la scolarisation, il est évident que les effectifs des enfants scolarisés étaient faibles, qu’ils ne concernaient le plus souvent que les cités de la côte ou des chefs- lieux de l’hinterland, étant donné que la France, comme l’Angleterre, avaient décidé que le développement des colonies, et donc de l’A.O.F, et donc aussi de l’enseignement, devait être financé par les colonies elles-mêmes.

       Les choses changèrent complètement après 1945, avec la création du FIDES, mais en 1950, les taux de scolarisation étaient encore faibles : en Afrique occidentale, et pour une population scolarisable de 20% de la population, soit 3 millions d’enfants, 138 000 d’entre eux étaient scolarisés, soit 4,6%, dont 1,15% au titre de l’enseignement privé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française » Mme Huillery, MM Cogneau, Piketty – Chapitre 2 « Le coût de la colonisation pour les contribuables fr

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Thèse Huillery

Rappel de publication des notes précédentes : annonce de publication, le 10 juillet 2014 – avant- propos, le 27 septembre 2014 – Chapitre 1, les 10 et 11 octobre 2014 – Chapitre 3, le 5 novembre 2014 – Chapitre 4, le 6 novembre 2014

Notes de lecture critique

VI

Chapitre 2

« LE COÛT DE LA COLONISATION POUR LES CONTRIBUABLES FRANÇAIS ET LES INVESTISSEMENTS PUBLICS EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE » (p,71)

Le 10 juillet 2014, nous avons annoncé la publication de nos notes de lecture critique en concluant ainsi :

« Avec deux énigmes historiques à résoudre :

La première : Avec ou sans « concession » ?

La deuxième : Avec quelles « corrélations » ? »

En ce qui concerne ce chapitre 2, et comme nous tenterons de le démontrer, il serait tentant de dire, effectivement, et sans discussion, sans « concession » !

            Un résumé (abstract) annonce le contenu du chapitre :

            « Cet article s’appuie sur l’extraction des données budgétaires de l’Afrique Occidentale Française sur toute la période coloniale pour étudier le coût que la colonisation a fait peser sur le budget de l’Etat français, et l’ampleur des bénéfices qu’en aurait retirés les pays de l’ancienne AOF en termes de ressources publiques et d’investissements en écoles, enseignants, médecins, et infrastructures. Il s’avère que les transferts de fonds publics de la France vers l’AOF, subventions et prêts confondus, n’ont représenté en moyenne que 0,1% des dépenses de l’Etat français ; seuls 0,007% des dépenses de l’Etat sont de plus imputables à de l’aide publique…Les populations de l’AOF ont donc non seulement subvenu presque totalement à leurs besoins, mais aussi supporté de lourdes dépenses liées à la présence française. » (p,72)

&

 Avant d’aller dans le texte lui-même, quelques remarques sur les termes et concepts utilisés :

         1) s’agissant du domaine de l’histoire, les dates retenues par les différentes analyses effectuées ne sont pas toujours les mêmes, et nous verrons que dans ce type d’analyse, le respect de la chronologie est capital

         2) il convient de retenir que l’analyse annoncée porte sur les flux de capitaux publics, et non sur les flux de capitaux privés,

          3) on peut regretter qu’avant toute réflexion historique, l’auteur n’ait pas donné les ordres de grandeur respectifs des budgets de la France et de l’AOF, ainsi que du commerce extérieur,  au moment de la création d’une AOF créée de toute pièce, c’est à dire en 1895, et en ce qui concerne les années ultérieures, afin d’éclairer la portée des deux pourcentages donnés plus haut.

          Nous verrons par ailleurs que les démonstrations techniques de l’auteur n’accréditent pas nécessairement les deux pourcentages cités plus haut, 0,1% ou 0,007%.

            Nous nous sommes déjà interrogés sur le sens qu’il convenait d’accorder à ce type d’évaluation comparative qui ne tient pas compte de l’effet marginal d’un franc AOF de même valeur que le franc métropolitain jusqu’en 1945, puis convertible au taux fixe avec le franc métropolitain, de 1,7, puis de 2 francs CFA.

 Dans son introduction, l’auteure regrette qu’en ce qui concerne le bilan de la colonisation, c’est-à-dire des coûts et bénéfices de la colonisation « les historiens se fondent sur des données anecdotiques et sur des hypothèses très approximatives » (p,74).

 L’auteure note tout d’abord que «Le besoin se fait donc sentir d’en revenir aux fondamentaux de l’histoire coloniale et d’interroger directement les comptes publics coloniaux. », tout en faisant remarquer que « on a souvent le sentiment au niveau médiatique, tout du moins, que la colonisation française est assimilée à la colonisation de l’Algérie. » (p,75)

 Tout à fait ! J’ajouterais volontiers, mais en respectant l’histoire coloniale des comptes publics

            L’auteur écrit  qu’ : « Il est donc plus pertinent de concentrer  son attention sur les territoires séparément les uns des autres, et nous proposons ici de le faire pour l’Afrique de l’ouest. » (,76)

  1. I.             Présentation des données
  2.            A   L’organisation financière

              Pour que le lecteur puisse bien apprécier le contenu de l’objet de cette thèse, un objet avant tout budgétaire et financier, il aurait fallu que l’organisation financière décrite soit la plus claire et la plus complète possible. II aurait été utile de définir très exactement le système monétaire et financier dans lequel se trouvait l’AOF, les concepts d’emprunt et d’avance utilisés, leur mécanisme, les relations juridiques et techniques qui existaient en la matière entre la France et l’AOF, qui furent différentes au cours de la période étudiée, qui va de 1898 à 1960, notamment entre l’avant et l’après 1945, et enfin de fournir le calendrier historique des emprunts et de leurs montants, ainsi que des avances.

             En 1901, la Banque de l’Afrique Occidentale bénéficia du privilège d’émission du franc AOF, en parité avec le franc or de l’époque, et il aurait été utile d’expliquer comment fonctionnait le système colonial du franc, les relations existant entre le Trésor métropolitain et le Trésor d’AOF, qui lui était très étroitement rattaché, sur toute la période coloniale, avec la rupture historique de la deuxième guerre mondiale.

       L’analyse ne parait en effet pas correspondre  au contenu des relations financières existant historiquement, ainsi qu’à celui des concepts étudiés.

         L’auteure écrit  au sujet des différents budgets :

        «  Les budgets des fonds d’emprunt géraient, comme leur nom l’indique,  les fonds d’emprunts publics émis par le gouvernement général de l’AOF à l’égard du Trésor public français » (p,78) 

      La nature de ces emprunts demanderait à être précisée et donc confirmée : s’agissait-il bien de cela ? Emprunts auprès du Trésor, sur fonds budgétaires de l’Etat, c’est-à-dire du contribuable, – le « contribuable » du titre ? – ou emprunts souscrits auprès de de l’épargne des particuliers, avec la garantie de l’Etat, par la voie du Trésor ?

        Il ne s’agissait pas en effet d’emprunts effectués auprès du Trésor Public français, mais d’emprunts émis par des syndicats bancaires avec la garantie du Trésor, en cas de défaillance : le contraire m’étonnerait beaucoup, d’autant plus, et comme le relève l’auteur, fut appliqué jusqu’en 1945, le « principe fondamental du financement de la colonisation énoncé par la loi du 13 avril 1900, dite « Loi d’autonomie financière des colonies. » (p,79)

       L’Etat « a surtout concédé d’importants emprunts aux territoires » (p,79) :

     Questions :

   1) La même question : L’Etat a-t-il « concédé », ou l’Etat n’a-t-il donné que sa garantie ? Ce n’est pas tout à fait la même chose !

     A ce stade de la démonstration,  l’analyse historique ne pouvait pas ne pas tenir compte de la loi de 1900, capitale pour tout examen. L’Empire britannique appliqua le même principe du « self-suffering ».

     A plusieurs reprises, l’auteure fait référence à ce principe, mais ne parait pas en avoir tiré toutes les conséquences historiques.

    2) Comment analyser en effet les flux publics de capitaux sans distinguer entre les deux périodes de financement public des colonies, sans distinguer entre l’avant 1945, avec la loi de 1900, et l’après 1945, avec l’institution du FIDES, et sa comptabilité en termes de programme de développement, distinguant entre autorisations de programme et crédits de paiement, et en décrivant à la fois le système des subventions et des avances, des quasi-subventions mises en place par la loi du FIDES, complètement différentes de celles du régime financier fixé par le décret de 1912 ?

      3) Les emprunts – rappel du texte de base : article 87 du décret de 1912 :

     « Les colonies non groupées ou les groupes de colonies constitués en Gouvernements généraux peuvent recourir à des emprunts…. Les emprunts doivent être approuvés par des décrets en Conseil d’Etat ou par une loi si la garantie de l’Etat est demandée…. Ces emprunts peuvent être réalisés, soit avec publicité et concurrence, soit de gré à gré, soit par souscription publique avec faculté d’émettre des obligations négociables soit directement auprès de la Caisse des dépôts et consignations, ou de la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, par extension de l’article 22 de la loi du 20 juillet 1886, aux conditions de ces établissements. »

      Avant 1914, l’AOF a contracté quatre emprunts autorisés par une loi et bénéficiant de la garantie de l’Etat : loi du 05/07/1903 = 65 millions de francs – loi du 22/01/1907 = 100 millions – loi du 11/02/1910 = 14 millions – loi du 28/12/1913 = 167 millions, soit un total de 346 millions francs courants or, soit 374 millions de francs 1914.

     A titre anecdotique, indiquons que l’AOF ne mit pas en jeu la garantie de l’Etat, alors que dans le cas de l’AEF, faute de sécurité financière, l’Etat prenait le soin d’inscrire dans son propre budget le montant des annuités de remboursement, au cas où ?…

  1. B.   Sélection des données

        L’auteure écrit : « Pour établir le bilan économique de la colonisation française en Afrique Occidentale Française… » (p,80)

       Question s’agit-il d’un bilan financier ou d’un bilan économique ?

  1. II.           Le financement public de la colonisation française en AOF

         L’auteure dit se démarquer de l’analyse de Jacques Marseille :

     «  Mais nous avons montré dans la partie I que la thèse de Jacques Marseille reposait uniquement sur des hypothèses faites à partir de la balance commerciale entre la France et ses colonies. » (p,85)

     Question : comme nous l’avons déjà indiqué, pourquoi l’auteure n’a pas analysé  historiquement la balance commerciale et la balance des paiements de l’AOF, afin de vérifier le bien-fondé des calculs de Jacques Marseille, précisément dans l’objet étudié, c’est-à-dire l’AOF ?

       La consultation des rapports budgétaires présentés par les Gouverneurs Généraux de l’AOF à leurs Conseils de Gouvernement font en effet apparaître des  déficits de balance qu’il a bien fallu couvrir, comment ?

        Il est donc difficile de barrer d’un trait de plume à la fois les travaux de cet historien, sans en avoir apporté la démonstration contraire avec le cas de l’AOF, et les travaux décrits par François Bloch Lainé dans le livre « La Zone Franc » qui contient un ensemble de chiffres qui corroborent leur analyse.

  1. Combien l’Etat français a versé à l’AOF ?

      L’auteure distingue trois formes de transferts publics, les emprunts, les avances et les subventions, mais sans définir précisément le régime juridique et financier de ces trois catégories de transfert, ce que nous avons déjà souligné.

       Le montant total des avances retenu dans cette thèse parait en effet surprenant, sauf à les imputer sur la période 1946-1958.

      Réserve est également faite à nouveau sur la nature des flux observés et analysés : « les décaissements accordés par le Trésor Public français à l’AOF… Les décaissements des prêts accordés à l’AOF étaient versés au budget des fonds d’emprunts, spécialement dédié à la gestion des fonds prêtés par le Trésor Français à toute la fédération puisque les emprunts étaient contractés au niveau fédéral par le gouvernement général de l’AOF. «  (p,85)

      Comme nous l’avons déjà indiqué, il ne s’agissait pas du Trésor français, et donc pas de « décaissements accordés par le Trésor Public français ».

      Le cadrage historique :

      Le Tableau I « Transferts publics de l’Etat français vers l’AOF entre 1898 et 1957 » (page 86) fixe des bornes historiques qui vont de 1898 à 1957, alors que dans l’introduction, la période historique examinée devait s’échelonner sur 40 ans : en millions de francs 1914,

Prêts : 509,7 + Avances : 547,2 + Subventions : 247,3 = Total : 1.304 millions francs 1914

      Questions :  1 – L’analyse proposée n’est pas pertinente historiquement, étant donné qu’elle fait comme si la loi de 1900 et la création du FIDES, après 1945, n’avaient pas existé, et qu’il puisse être possible de proposer une analyse en flux financier continu et cohérent sur le plan conceptuel, en additionnant ou en soustrayant des sommes non cohérentes.

       Historiquement, le système de relations avait changé, et il n’est pas pertinent de faire comme s’il y avait eu une continuité dans le système des relations entre la métropole et l’AOF.

     2 – Sans mettre obligatoirement en cause les calculs effectués, sauf à les comparer plus loin à ceux cités par François Bloch-Lainé, quant à leur montant, celui des avances parait tout à fait surprenant, compte tenu du régime juridique des avances qui fut la règle du jeu budgétaire de l’AOF jusqu’en 1945, celle que fixa, à l’origine, le décret du 30 décembre 1912.

       D’après le texte de la page 91, les avances furent effectivement celles accordées au titre du FIDES :

       « Les avances accordées par le Trésor Public au budget général de l’AOF à partir de 1946 pour l’alimentation du programme du FIDES étaient assorties d’un taux variant entre 3 et 4 pourcent. Leur échéance très courte, de l’ordre de quelques années seulement, ne permet pas à l’élément don de dépasser 10%. Concernant les six prêts contractés par l’AOF vis-à-vis du Trésor français, leur taux variant d’une tranche à l’autre entre 5 et 6,5 pourcent. L’échéance de ces prêts variait quant à elle de 30 à 50 ans. Aucun de ces prêts n’a un élément de don supérieur à 25 pourcent, le plus élevé étant celui de 1903 dont l’élément don, selon les définitions internationales adoptées depuis 1969, aux subventions nettes de la France vers l’AOF… » (p,91,92)

      Critique de l’analyse :

     Cette analyse suscite plusieurs critiques :

       & Les avances de type FIDES furent effectivement versées par le Trésor français, mais les emprunts ne furent pas contractés vis-à-vis du Trésor, comme déjà indiqué : il aurait fallu donner les dates et le montant des « six prêts contractés par l’AOF ».

     & Les deux tableaux 1 (p,86) (1898-1957)  et 2 (p,88) (1907-1957), ont des dates de référence différentes, pourquoi ?

      & Le propos financier et historique manque de clarté, en ne précisant pas si un régime juridique d’avances existait ou non avant 1946, ou si elles avaient une nature différente, c’est-à-dire laquelle, ce que l’auteur a enfin précisé à la page 91.

       L’article 49 du décret du 30 décembre 1912 avait fixé un régime des « avances à régulariser » qui étaient alors autorisées, différentes de celles instituées par la loi du FIDES :

     « Les dépenses à effectuer aux colonies pour le compte de l’Etat, autres que les dépenses énumérées aux chapitres II et III du présent décret, et pour lesquelles existent des crédits au budget du département ministériel intéressé, sont acquittées soit sur ordonnances de payement émises par le Ministre compétent, soit à titre d’avances à régulariser en vertu d’ordres de payement délivrés par l’un des ordonnateurs de la colonie suivant la nature de la dépense et conformément aux instructions du Ministre des Finances. »

     Le graphique 1 de la page 87 fait apparaître qu’effectivement les avances furent celles des années 1946-1957, mais il pose en même temps la question de la raison pour laquelle le même graphique  ne fait pas apparaître clairement le mouvement des emprunts pour la période 1907-1945.

      & La loi du 30 avril 1946 créant le FIDES a en effet réglementé un autre régime d’avances, tout à fait différent, assimilable progressivement à un régime de subventions, et dont les caractéristiques ne sont pas celles décrites dans le paragraphe cité plus-haut :

      « Article 3  Le financement de ces plans est assuré par un fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (FIDES) qui sera alimenté en recettes :

  a) Par une dotation de la métropole qui sera fixée chaque année par la loi de finances

   b) Par des contributions des territoires intéressés… soit enfin d’avances à long terme que ces territoires pourront demander à la Caisse centrale de la France d’outre-mer dans la limite des sommes nécessaires à l’exécution des programmes approuvés. »

   « Article 4 – La Caisse centrale de la France d’outre-mer est autorisée par la présente loi :

    A accorder les avances précitées au taux d’intérêt de 1% l’an et avec des délais de remboursement suffisants pour ne pas gêner l’exécution des programmes ;

   A constituer directement la part revenant à la puissance publique dans le capital des entreprises prévues…

   A assurer ou garantir aux collectivités ou aux entreprises concourant à l’exécution des programmes, directement ou par l’intermédiaire d’établissements publics, toutes opérations financières autorisées par la loi et destinées à faciliter cette exécution. »

    & Les taux d’intérêt ainsi que les échéances de ces avances ne furent pas celles décrites dans le paragraphe en question.

    Comme l’écrit François Bloch Lainé (p,133), les avances en question, largement accordées, entre autres à l’AOF, se transformèrent rapidement en subventions, dont le taux passa de 55% à 90%, 10% restant à souscrire au titre des avances :

        « Elles ont été, d’ailleurs, été encouragées (les autorités territoriales) dans cette attitude, par les conditions relativement peu onéreuses auxquelles sont consenties les avances, malgré le léger relèvement des taux et la réduction de la période d’amortissement différé intervenus à partir du 1°juillet 1950. Le taux d’intérêt des avances que la Caisse Centrale consent aux territoires d’outre-mer est, depuis cette date, de 2,20% contre 2% précédemment. Quant à l’amortissement, il est calculé sur 20 annuités, avec une période d’amortissement différé, qui, après avoir été de cinq ans, a été, à la même date, ramené à deux ans. »

     Les conditions de financement du FIDES ont évolué en faveur des territoires d’outre-mer, en subvention, le rapport entre la part respective de la métropole et celle des territoires passa de  55%-45% à 75%-25% à partir du 1° juillet 1953, et à 90%-10% à partir du 1° janvier 1956.

      Autant dire que la part d’autofinancement des territoires confinait alors avec un taux voisin de zéro, étant donné qu’ils continuaient à bénéficier des avances décrites.

    François Bloch-Lainé calculait qu’au terme de l’exécution du premier plan FIDES (30/04/1946 à 30/06/1953), les territoires d’outre-mer n’avaient financé sur leurs ressources propres, pas plus de 3 % du budget total, soit 3.640 millions (23,7 millions de francs 1914) sur 113.309 millions de francs (737 millions de francs 1914). (p,132)

Sur ce total, la note 2 (p,132) indique que l’AOF n’a financé sur ses ressources propres qu’un montant de 2.370 millions de francs, soit 15,4 millions de francs 1914 .

      Nous verrons plus loin que les chiffres qui figurent dans le livre « La Zone Franc » soulèvent des difficultés de cohérence avec ceux cités notamment à la page 86, outre le fait que cette analyse ne nous dit pas comment ont évolué les subventions et les avances après le 30 juin 1953, jusqu’en 1957, la date butoir choisi par l’auteure.

    Quid encore pour la période 1957-1960 ?

  & Enfin, ce paragraphe introduit un mode de raisonnement de calcul financier purement et simplement anachronique fondé sur un concept de don qui appellera un commentaire ultérieur.

      Les chiffres :

      Le Tableau 1 fait état d’un montant total des emprunts garantis et non « consentis » par la puissance publique, de 509,7 millions de francs 1914 : prend-t-il en compte la totalité des emprunts contractés par l’AOF, au cours de la période examinée ? Avant 1914, la Fédération avait déjà contracté 374 millions d’emprunt (374 par rapport à 509,7), et à lire les rapports de présentation des budgets par les gouverneurs généraux, d’autres emprunts ont été contractés après 1918.

      Dans son rapport de novembre 1932, le Gouverneur Général de l’AOF (rapport Brévié page 13) fait état par exemple d’un emprunt de 1.570 millions de francs autorisé par la loi du 22 février 1931, soit  318, 5 millions de francs 1914.

     Comment expliquer l’écart entre les deux chiffres de 509,7 millions francs 1914 et de 692,5 millions francs 1914, (374 millions francs 1914  + 318,5 millions francs 1914) ? Pour autant que tous les emprunts garantis par le Trésor Public aient été recensés.

     Dans quelle catégorie de financement classer  une convention de remboursement passée le 29/7/1927 entre le Gouverneur Général de l’AOF et le Ministre des Finances, d’un montant de 22 millions de marks or  (de l’ordre de 25 millions de francs 1914 ?, page 47, rapport Carde 1927), au titre des réparations allemandes ?

   A plusieurs reprises, notamment à la page 90, l’auteure marque bien le changement  important qui a affecté les relations économiques et financières après 1945, mais elle ne parait pas en tenir toujours compte dans ses calculs.

      Retenons pour l’instant, et sous réserve que les chiffres cités soient exhaustifs pour la période 1898 – 1957 :

      « Au total, retenons que la France a versé à l’AOF 1 304 millions de Francs 1914, dont 697 (53%) après 1946 et 1 057 (81%) sous forme de prêts ou d’avances à rembourser par le budget général de l’AOF. » (p,87)

     A ce stade de l’analyse et des questions posées, il n’est pas inutile de se reporter aux chiffres cités dans le livre « La Zone Franc » (p,136).

Programme FIDES  1946-1953, en millions de francs :

AOF : Total des subventions    Total des avances   Total général

              71.107  millions             76. 342  millions            147.449 millions

Soit en francs 1914 :

                   463 millions                     496 millions             959 millions

      Ces chiffres posent d’ores et déjà un problème de cohérence avec ceux des chiffres du tableau 1, d’autant plus que les années 1954-1957 ne sont pas prises en compte dans les statistiques Bloch-Lainé.

      Comment expliquer la différence entre le chiffre affiché à la page 86,  en millions de francs 1914, 247,1 millions au lieu des 463 millions pour la seule période 1946-1953 ?     Hors les années 1953-1957 ?

    Comment interpréter, sur un autre plan, les chiffres assez proches des avances sans rien dire du sort qui leur a été réservé après 1957, remboursées ou effacées ?

    Je laisse donc le soin aux historiens de métier d’aller plus loin dans cette récapitulation conceptuellement difficile, et de confirmer ou non les chiffres cités dans cette analyse.

  1. A.   Combien l’AOF a versé à l’Etat français ?

     Le Tableau 2 récapitule le montant des transferts publics de l’AOF vers l’Etat français entre 1907 et 1957 (donc 50 ans), et non plus entre 1898 et 1957, comme dans le Tableau 1, dont le total est de 571,9 millions Francs 1914.

    Par catégorie de remboursement : emprunts = 228,5 millions, avances = 145,1 millions, subventions = 198,3 millions.

     Questions :

   En considérant que les chiffres précédents puissent être confirmés, la comparaison des Tableaux 1 et 2 fait donc apparaître entre les transferts publics de la France et l’AOF et leur « remboursement », un écart positif de 732,1 millions Francs 1914, un écart de financement qui n’est pas négligeable.

    Les montants cités pour les prêts, 509,7 millions de francs 1914 contre 228,5 millions de francs 1914 remboursés, soit un écart favorable pour l’AOF de 509,7 – 228,5, soit 281, 2 millions de francs 1914, correspondent-ils à la perte ou à la contribution des épargnants français au développement de l’AOF, c’est-à-dire pour l’essentiel des emprunts souscrits avant la première guerre mondiale pour la réalisation de grandes infrastructures de la Fédération (voies de chemin de fer et ports)  ?

     A titre documentaire, rappelons que les porteurs d’obligations libellées en francs, ceux communément appelés les rentiers, ont perdu plus du tiers de la valeur de leur portefeuille après la guerre 1914-1918.

  1. C.   Quel est le solde des transferts publics entre la France et l’AOF ?

       L’auteure rappelle à juste titre l’existence de « la loi de 1900 qui prônait l’autonomie financière des colonies », mais elle fait aussitôt intervenir dans son raisonnement  de calcul financier du « fardeau » le concept de « concessionnalité » (p,91)

      «  Le concept de « concessionnalité  a été introduit initialement en 1969 par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE » – selon lequel  – « tout prêt contient un pourcentage de don »… Pour calculer l’aide effectivement apportée par la France à l’AOF, nous allons utiliser cette définition, bien qu’elle soit postérieure à la période coloniale » (p,91)

  Question : la phrase en caractères gras est capitale pour comprendre le raisonnement « historique » sur lequel repose le fondement « scientifique » de la thèse Huillery.

      Ne s’agit-il pas d’un beau tour de passe-passe anachronique, dont le résultat recherché est évidemment de diminuer le montant des transferts de la France vers l’AOF !

     « L’aide apportée par la France à l’AOF se réduit donc, selon les définitions internationales adoptées depuis 1969 aux subventions nettes de la France vers l’AOF. » (p,92)

    Et le tour est joué !

    « Au total, le solde net des subventions de la France à l’AOF est positif, mais ne s’élève qu’à 48,8 millions de francs 1914 », même en calculant les flux engendrés par la création du FIDES :

     « La logique d’autonomie financière des colonies  a donc été largement poursuivie avec l’AOF après la seconde guerre mondiale, les subventions de la métropole à l’AOF n’ayant pas été tellement plus élevées que les subventions de l’AOF à la métropole. » (p,92)

     Soit 48,8 millions de francs 1914, au lieu donc du chiffre cité plus haut de 732,1 millions de francs 1914, qui mériterait sans aucun doute d’être confirmé, compte tenu de toutes les incertitudes qui pèsent sur certains chiffres, et à la condition de bien chiffrer l’avant 1945 et l’après 1945, soit de l’ordre de 2,5 milliards d’euros.

  1. L’aide publique française a-t-elle pesé lourd pour le contribuable français ?

      L’auteure conteste à nouveau les analyses de Jacques Marseille, et écrit :

     « L’aide publique de la France vers l’AOF, c’est-à-dire uniquement les subventions nettes, a représenté 0,007% du total des dépenses de l’Etat de 1898 à 1957. » (p,94)

   Questions : comment est-il possible de baser un calcul anachronique d’une aide publique mal définie, sur un trend historique supposé continu, alors qu’au moins deux grandes ruptures historiques l’ont affecté ?

     Il aurait été, de toute façon nécessaire, de fournir les chiffres concernant les budgets de l’Etat, année par année et au total, car il s’agit d’une sommation difficile à effectuer, pour ne pas dire impossible, même pour des spécialistes, sur une aussi longue période.

  1. E.   L’aide publique a-t-elle été une ressource importante pour l’AOF ?

 J’ai envie de dire tout de go, à l’évidence, en tout cas, au moment de sa création, et en comparant des choses comparables, étant donné l’écart gigantesque qui existait  alors entre les ordres de grandeur comparés des budgets de la France et de l’AOF : en 1900, le budget de la France était de 3,592 milliards de francs 1914, alors que le total du premier budget de l’AOF, en 1907, n’était que de 44 millions de francs 1914, alors même que l’AOF avait bénéficié d’un premier prêt de 60 millions de francs 1914 en 1903.

    « Si les transferts métropolitains vers l’AOF n’ont pas pesé lourd pour le contribuable français, ont-ils été précieux pour le bon fonctionnement des pouvoirs publics ouest-africains et l’équipement du territoire ? » (p, 94)

     Question : à nouveau, la même question lancinanteau risque de la reditepoids pour le contribuable ou pour l’épargnant français selon le découpage historique de l’avant et de l’après 1946 ?

     Nous avons déjà relevé qu’il n’est techniquement pas possible d’additionner les trois flux, prêts, avances, et subventions, en partant du postulat qu’il s’agit de charges des contribuables.

    L’auteure analyse les recettes du budget général (la fédération) et des budgets locaux (les colonies) et fait le constat que dans le cas de la fédération, ce sont les contributions indirectes qui constituent l’essentiel des ressources, alors que dans le cas des budgets locaux, ce sont les contributions directes (les impôts de capitation) qui ont constitué l’essentiel de la ressource budgétaire, ce qui correspondait à la conception budgétaire de la répartition des compétences entre fédération et colonies.

      L’auteure en tire la conclusion :

     « Contrairement au type de fiscalité qui nous est familier aujourd’hui, l les couches les plus pauvres de la population ont donc produit un effort incommensurablement plus important que les élites pour alimenter les finances publiques durant la période coloniale. » (p,97)

     Arrêtons- nous un instant sur la comparaison des deux graphiques 6 et 7, le premier portant sur la « décomposition du total des recettes du budget général de l’AOF (en millions de francs 1914), entre 1907 et 1958, le deuxième portant sur l’ « Importance des contributions directes dans le total des recettes des budgets locaux en millions de francs 1914 » toujours entre les années 1907 et 1958 :

    Les échelles retenues ne sont pas les mêmes, un centimètre le million de francs dans le graphique 6 et un centimètre et demi pour le même million dans le graphique 7.

     Si nous prenons à titre d’exemple l’année 1928, pour tenter de nous représenter la structure des recettes entre le fédéral et le local,  nous aurons pour le fédéral, de l’ordre de 50 millions de recettes, dont 40 en contributions indirectes, et pour le local, de l’ordre de 66 millions de recettes, dont 53 millions en contributions directes.

     La consultation des rapports présentés au Conseil de Gouvernement par les Gouverneurs Généraux de l’AOF pour la présentation des budgets aux sessions de décembre permet d’éclairer la composition des recettes du budget fédéral et des budgets locaux.

      Le constat que fait l’auteure sur la place des contributions directes mériterait un débat approfondi que je laisse le soin aux spécialistes d’ouvrir, si cela n’a déjà été fait, mais le graphique 8 de la page 98 en pose les jalons, étant donné qu’au fur et à mesure d’un certain développement de l’AOF, ce sont les recettes indirectes, les droits de douane notamment, qui expliquent la croissance du budget de l’AOF.

       En appliquant sa méthode de calcul, l’auteure écrit : « En moyenne, sur l’ensemble de la période, les transferts nets de la France vers l’AOF ont représenté 5,7% du total des ressources du territoire. » (p,99) (entre 1907 et 1957)

     « Pour connaître la part d’aide publique française sur le total des ressources publiques de l’AOF, nous devons considérer uniquement les subventions de la France vers l’AOF –nettes des subventions de l’AOF vers la France, puisque nous avons vu que l’élément don des prêts et avances de la France vers l’AOF ne permettait pas de considérer ces derniers comme relevant de l’aide publique. »  (p,100)

      En application de cette méthode de calcul anachronique, l’auteur écrit :

     «  En moyenne sur l’ensemble de la période, l’aide publique française a représenté à peine 0,4% du total des ressources publiques. » (p,100)

     « Le financement public de la colonisation a donc finalement été presque entièrement supporté par les contribuables locaux, mis à part les 0,4% de ressources publiques locales donnés par les contribuables français. » (p,101)

    Une fois de plus la confusion conceptuelle et historique est entretenue entre le contribuable et l’épargnant, c’est-à-dire à la fois dans la chronologie et les concepts financiers !

    Pourquoi ne pas s’interroger enfin sur le progrès que pouvait constituer la levée d’un impôt égalitaire par tête et par colonie, par rapport à toutes les charges ou contributions variées, qui pesaient sur les Africains de l’ouest, captifs ou anciens captifs,, sujets ou nobles, dans telle ou telle chefferie ou royaume à l’époque précoloniale ?

  1. F.    Qui a donc payé les déséquilibres commerciaux de l’AOF vis-avis-de la France ?

     Chaque page ajoute une question à une autre, quant aux périodes examinées,  quant au sens des concepts, quant au contenu des antithèses proposées face aux thèses de Jacques Marseille, de Catherine Coquery-Vidrovitch, ou de Daniel Lefeuvre, comme c’est à nouveau le cas pour la réponse proposée à la question ci-dessus posée.

    L’auteure s’appuie, pour sa démonstration (p,104), sur le chiffre cité par Jacques Marseille de 2 309,1 millions de francs 1914 de déficits commerciaux pour la période 1907-1957, en indiquant qu’il n’était pas besoin du concours financier extérieur de la métropole pour couvrir les déficits commerciaux, étant donné l’existence  des excédents budgétaires considérés comme une épargne publique d’un montant total de 941,6 millions de francs 1914. (p,104), lesquels étaient insuffisants, sans avancer une explication crédible de l’écart qu’il fallait en définitive bien couvrir.

       Pourquoi l’auteure n’a – t- elle pas porté son attention sur l’analyse des balances extérieures de l’AOF, afin de démontrer que les calculs et le raisonnement de Jacques Marseille n’étaient pas fondés dans le cas de l’AOF ?

.       « Nous ne pouvons clore ce débat du financement public de la colonisation française en AOF sans revenir sur les croyances que les historiens avaient véhiculées auparavant concernant le coût des colonies pour l’Etat français

      «  Il est vrai que Jacques Marseille n’est pas le seul ni le premier à avoir employé des expressions trompeuses pour qualifier les transferts de capitaux français qui compensaient les déficits commerciaux de l’outre-mer, François Bloch-lainé écrit lui aussi :

    « Tout se passe comme si la France fournissait les francs métropolitains qui permettent à ses correspondants d’avoir une balance profondément déséquilibrée : ainsi s’opère aux frais de la métropole, le développement économique de tous les pays d’outre-mer sans exception » (p,102)…

      A partir d’une confusion entretenuesur la nature des capitaux français venus outre-mer, on en vient donc à assimiler déficits commerciaux et aide au développement. » (p,103)..

        L’auteure propose une deuxième explication comptable : « Mais cet équilibre comptable, qui veut que le déficit de la balance commerciale courante soit compensé par un excédent de la balance financière, ne se traduit pas nécessairement par une égalité entre déficit commercial et réception de capitaux extérieurs. » (p103)

      L’auteure avance des solutions surprenantes pour qui a une connaissance minimum du fonctionnement de la zone monétaire qu’était la zone franc, une compensation de mouvements par voie liquide «  une partie des importations sont en effet payées en liquide » en faisant intervenir l’épargne publique, et même privée.

     Je laisse le soin aux spécialistes des comptes extérieurs d’examiner le bien- fondé technique de cette solution qui, par définition, semble-t-il, échapperait, à une comptabilité publique des échanges extérieurs.

     Question : – Comment est couvert en définitive le déficit commercial de 2 309,1 milliards moins 941,6 milliards de Francs 1914, soit la somme de 1 367,5 milliards de Francs 1914 ?

     Il est difficile d’être convaincu que la « confusion » prêtée à Jacques Marseille ne soit pas en réalité dans le camp opposé, sauf à aller  au cœur de l’analyse de la balance commerciale et de la balance des paiements de l’AOF, ce qui n’a pas été fait.

L’auteure n’a en effet pas proposé la démonstration chiffrée de son propos.

  1. G.   Conclusion

        «  Le financement public de la colonisation en AOF a donc été entièrement supporté par les contribuables locaux. L’aide publique française n’a représenté que 0,4 % des ressources publiques locales. Le poids de la colonisation de l’AOF pour les contribuables français a été totalement négligeable, puisque seuls 0, 006 % des dépenses annuelles de l’Etat français ont été en moyenne, consacrés à l’aide publique en AOF. Même en incluant les prêts et les avances, les transferts publics de la France vers l’AOF n’ont représenté, en moyenne, que 0,09 % des dépenses annuelles. » (p,105)…

       « Les 48,8 millions de Francs 1914 de dons versés entre 1898 et 1957 ne sont pas le signe d’un grand laxisme de la part de la France vis-à-vis de ‘l’AOF. » (p,106)

      Question : en conclusion provisoire, je serais tenté de dire que ce type d’analyse économique et financière soulève une montagne de questions, sinon d’objections,  tenant au fonctionnement économique et financier de la zone Franc au cours de la période coloniale,  au sens des concepts « manipulés », les emprunts, les avances, les subventions, aux périodes historiquement examinées avec au minimum deux critiques de fond, l’une portant sur le postulat d’une continuité historique qui n’existait pas, alors que la thèse tient le discours contraire d’une loi de 1900 qui existait bien et d’un FIDES qui a lui aussi bien existé, l’autre n’hésitant pas à réécrire l’histoire des relations entre la France et l’AOF en utilisant le fameux concept de « concessionnalité ».

        Je laisse à d’autres chercheurs plus compétents et plus jeunes le soin d’aller plus loin dans cette analyse.       

       Pour qui a eu à un moment de sa vie professionnelle la charge de budgets publics,  ou de leur contrôle, la question se pose de savoir si l’ambition, pour ne pas dire les ambitions, techniques et politiques de son auteure, n’étaient pas démesurées.

 Jean Pierre Renaud

Suite et fin le 3 décembre 2014

Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française – Les corrélations du chapitre 3

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Rappel de publication des notes précédentes : annonce de publication, le 10 juillet 2014 – avant- propos, le 27 septembre 2014 – Chapitre 1, les 10 et 11 octobre 2014

&

IV

Chapitre 3

“History matters : the long term impact of colonial public investments in French West Africa”

Chapitre 4

“The impact of European settlement within French West Africa

Did Pre-colonial prosperous areas fall behind ? “

&

 « Modèle colonial » ou modèle capitaliste ?

Essai d’astrophysique historique aux confins des « trous noirs » des planètes coloniales ?

Avant-propos

Le 10 juillet 2014, sur ce blog,  j’annonçais la publication de mes notes de lecture, en écrivant à la fin :

« Avec deux énigmes historiques à résoudre :

La première : avec ou sans « concession » ? 

La deuxième : avec quelles corrélations ? »

Nous allons examiner la deuxième énigme.

            Dans le premier chapitre, nous avons vu que l’auteure s’était fixé comme objectif, à partir de la « littérature » existante, d’évaluer le bilan de la colonisation française en général,  et celle de l’Afrique Occidentale Française en particulier.

            L’objectif non dissimulé de cette thèse était d’affirmer que les Africains de l’Ouest avaient financé eux-mêmes la colonisation française, sans toutefois faire le distinguo historique nécessaire entre l’avant 1945 et l’après 1945, date de la création du FIDES.

            Dans les deux derniers chapitres rédigés en anglais, l’auteure a eu pour objectif de démontrer que la source des inégalités constatées dans les années 1995, dans les mêmes territoires, est due essentiellement aux inégalités constatées dans les investissements publics coloniaux effectués au cours de la période 1910-1928, donc une source d’inégalité à responsabilité coloniale.

            Avant d’analyser le contenu de ces deux chapitres qui font la démonstration d’une très grande vélocité technique dans le maniement des outils économétriques et statistiques, avec force cartes, tableaux et graphiques, souvent en couleur, j’aimerais introduire ma lecture critique en soulevant la question de la représentativité des bases statistiques retenues pour la période de référence (1910-1928) au cours de laquelle les structures de la colonisation étaient encore fragiles et inégales selon les régions, et en posant l’autre question des « trous noirs » qui affectent ce type d’analyse historique.

            A titre d’exemple de base de corrélation, est-ce qu’il est possible de considérer comme une base statistique fiable, la densité de population qui aurait été celle de l’Afrique de l’Ouest en 1910, telle qu’elle est représentée dans la carte 2 de la page 221 ?

            Il est permis d’en douter pour de nombreuses raisons.

            Par ailleurs, il parait tout de même hardi de proposer un saut historique de quatre-vingt-cinq ans, de 1910 à 1995, en faisant l’impasse sur la période coloniale qui s’est terminée en 1960, et sur l’histoire quelquefois chaotique de quelques-uns des territoires concernés, sans oublier la démographie qui parait hors sujet.

            Il convient en effet de revenir brièvement sur la citation que j’ai faite d’un propos  tenu par le directeur de cette thèse,  M.Cogneau dans un article de M.Philippe Fort paru dans Look@sciences intitulée « Le lourd héritage colonial en Afrique de l’Ouest ».

     « Et si le modèle colonial français expliquait le retard des pays francophones d’Afrique de l’Ouest ? C’est à cette question que s’est intéressée Elise Huillery, enseignante et chercheuses à Sciences Po. L’origine des inégalités de développement observées au sein même de l’ancien « pré carré » français en Afrique résiderait, selon elle, pour une large part, dans les logiques de l’investissement public colonial…. 

      « En analysant les données des archives coloniales à l’échelon du district où étaient concentrés les pouvoirs effectifs, explique Elise Huillery, j’ai constaté l’existence de liens entre les investissements réalisés alors et des indicateurs de l’état de développement actuel : taux d’accès à l’école primaire, à l’eau potable, à l’électricité ou aux soins médicaux…

      Cette étude permet de sortir d’une impasse.

      « Il existe un trou noir sur les investissements publics entre l’indépendance dans les années 1960 et les années 1990 » constate Denis Cogneau, professeur associé à la Paris School of Economics et directeur de recherche à l’IRD. «  Cela rend extrêmement difficiles les comparaisons directes entre investissements pré et post coloniaux. » Le choix du district comme échelon de l’étude permet de surmonter cette difficulté. En effet, en offrant un vaste échantillon de données très précises, il rend possible l’analyse des politiques d’investissement de plusieurs zones de colonisation qui disposaient au départ, d’un potentiel similaire. Au terme de son analyse, l’héritage colonial est la seule explication des inégalités de développement observées au sein même de l’ancien « pré carré » français en Afrique. Elise Huillery l’affirme : « la colonisation a bouleversé la carte économique de l’Afrique de l’Ouest »…

        Dans le mode d’organisation colonial français, le choix des investissements est du ressort des administrateurs locaux…

     L’étude montre bien que le niveau de développement régional actuel dépend des investissements coloniaux initiaux. Elise Huillery cite notamment l’exemple du Bénin :        

« Le choix colonial français a été de privilégier Cotonou, aujourd’hui capitale administrative et économique du pays, au détriment de Porto Novo, hostile à la présence étrangère. Cotonou, après l’indépendance du Bénin, a ensuite continué à attirer la plupart des investissements et est aujourd’hui  largement plus développée. »

    En ce qui concerne le Bénin, sur les statistiques duquel l’auteur a fait, sauf erreur, l’impasse, il est évident que l’une ou l’autre des deux cités était située sur la côte, donc dans un pôle possible de développement.

    Déclarer que la colonisation française a bouleversé  la carte économique de l’Afrique de l’Ouest est une évidence, comparable à ce qui s’est passé ailleurs à l’époque des empires coloniaux.

    Les bases statistiques retenues, celles des années 1910-1928 mériteraient d’être, dans chaque cas de district, confrontées à leur histoire factuelle, compte tenu de tous les événements qui les ont affectés :

   1910- 1914 : dernières opérations de pacification ou de mise en place de l’administration coloniale,

   1914-1918 : conséquences de la première guerre mondiale, et dans certains districts, révoltes contre la conscription,

     1918-1928 : retour à une certaine stabilité politique,

    Faute de cette périodisation et d’une analyse classique des faits enregistrés dans chacun des districts mis dans le computer, il parait difficile de ne pas faire preuve d’une grande suspicion scientifique.

Chapitre 3

History matters : the long term impact of colonial public investments in French West Africa

L’analyse elle-même: ou la pertinence des “History matters”

   Dans son abstract, l’auteure écrit : « … this paper gives evidence that early colonial investments in education, health and public works had large and persistent effects on current outcomes… I show that a major channel for the long term effect of early investments is a strong persistence of investments: regions that got of a specific type of investment at early colonial times continued to get more of this particular type of investment.” (p,123)

      Introduction

En ce qui concerne the French West Africa, l’auteure écrit:

 “ This region exhibits a noticeable homogeneity  regarding to its geographical, anthropologic, cultural and historical characteristics. Moreover, it was colonised by France (which allows us to control for the coloniser’s identity), at the same period (from the last quarter of Nineteenth century to 1960.” (p,125)

      L’auteure a l’ambition de démontrer que  les investissements publics et inégaux faits dans les cent vingt districts de l’AOF, entre les années 1910 à 1928, importants ou non, selon les districts,  ont projeté les mêmes inégalités dans les années 1995.

    « Colonial times introduced important differences between districts of former France West Africa. Colonial investments in education, health and infrastructures were indeed very unequal among districts. “ (p,126)

     “Results show that colonial public investments have been a strong determinant of current districts’s development. Colonial investments in a certain type of public goods (education, health or infrastructures) between 1910 and 1928 explain about 30 % of the corresponding current performances.” (p,127)

       Il est tout à fait intéressant de constater que ce type de calcul tendrait à valoriser le raisonnement des économistes de l’utilité marginale ou du coût marginal, le raisonnement dont nous avons fait état au début de notre lecture, à une réserve près, celle d’un immense « trou noir » historique.

Questions:

     Les observations et premières conclusions de l’auteure soulèvent déjà quelques questions :

    Est-il possible de partir du postulat de la « noticeable homogeneity »  de l’AOF dans la première période de référence 1910-1928 ? A mon avis, non, alors et après, car ce postulat ne peut être démontré sur le plan géographique, religieux, politique, culturel, ou économique…

     Quoi de commun par exemple entre les districts animistes ou fétichistes, découpés dans la forêt de la nouvelle Côte d’Ivoire, et ceux dessinés dans les territoires qui firent partie de l’ancien Empire Islamique et Peul du Macina sur le Moyen Niger ?

     Est-il possible de considérer que la période 1910 -1928 est une bonne référence chronologique de base, en faisant l’impasse sur la première guerre mondiale, et sur la période des années 1910-1914, au cours de laquelle le pouvoir colonial était à peine installé ? Non

     A titre d’exemple, la France menait encore des opérations de pacification violente et systématique, avec la destruction de villages et leur regroupement, sous l’impulsion du gouverneur Angoulvant, dans la zone forestière d’une Côte d’Ivoire, à peine née,  dans les années qui ont précédé 1914.

     Autre exemple, au cours des années 1915 et 1916, les opérations de recrutement de troupes en AOF, menées sous la houlette du ministre Diagne, provoquèrent des révoltes en Haute Volta, dans l’est du Haut Sénégal, et sur le Niger : plus de cent villages cassés, des grosses pertes parmi les insurgés, à la suite de l’intervention d’une colonne militaire de plus de 2.000 hommes :

     « Ce fut, semble-t-il, la plus importante révolte qu’ait connue l’Afrique noire française durant la période coloniale, plus grave même que les troubles qui affectèrent le Constantinois pendant la guerre pour les mêmes raisons. » (p,362, Essai sur le colonisation positive, Marc Michel)

       Ajouterai-je que jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, toute la zone géographique au sud du Niger entre Bissandougou et Sikasso, jusqu’au nord de la Côte d’Ivoire, étendue sur plus de six cents kilomètres de long et de l’ordre de 300 kilomètres de large, fut ravagée à la fois par les guerres « fratricides » entre l’Almamy Samory de Bissandougou et  le Fama Tiéba de Sikasso, et par les opérations de conquête coloniale que la France menait contre Samory.

     Enfin, pourquoi ne pas mettre en doute, non pas le travail de l’auteure à ce sujet, mais le véritable exploit statistique qu’a pu constituer le recueil d’autant d’informations statistiques, considérées comme fiables, au niveau des districts, pour qui a une certaine connaissance du travail souvent aléatoire des administrateurs coloniaux sur le terrain ?

  1. I.              Historical background : French colonisation

      L’auteure décrit l’organisation de l’AOF en relevant le rôle important des « French administrators » :

     The administrative organization was thus officially centralized but effectively decentralized. French districts’s administrators could manage their local policy in almost independent way thanks to physical distances and lack of means of communication. Neighbour districts could therefore experiment different colonial policy.” (p,130)

     “Colonial administration invested in three public goods: education, health and infrastructures. Every year French administrator had to define precisely how many teachers, schools, doctors, hospitals they needed and how much money they wanted for public works so as to elaborate the annual budget… Finally, they decided how much financial resource they need to cover their infrastructures expenses; roads, wells, tracks, buildings, bridges’ reparations and constructions. A very precise “plan de campagne” was established annually to describe all the works to be performed in each locality.” (p,131)…

    The influence of administrators on investments policy was thus certainly very high. “ (p,131)

Questions

    La description faite parait presque irréelle, sauf à mettre en face des dates et des lieux,  et à définir exactement les pouvoirs que les commandants de cercle exerçaient réellement, lesquels n’avaient, dans beaucoup de cas, rien à voir avec cette description idyllique du monde administratif colonial, qui n’était pas celui des années 1910-1928, de toute façon.

       Encore conviendrait-il, à la base de ces postulats, donner les ordres de grandeur des budgets dont pouvaient disposer les commandants de cercle par rapport à ceux du budget de la colonie, maître d’ouvrage,  ou de la fédération !

  1. II.            Data and summary statistics

     L’auteure note :

    In 1995…”The inequalities between countries are thus consequent. But the greatest inequalities in former French West Africa do not arise at the state level but at the district level. District level data on current development used in this paper come from national household surveys implemented in the 1990’s.” (p,133)

    L’auteure s’intéresse à trois sortes d’investissement, les écoles, la santé et les infrastructures, et livre le calcul de ces trois indicateurs pour les années 1910-1928, sans tenir compte du Bénin (p,133), comme déjà indiqué, une des colonies alors les mieux dotées.

« Le trou noir » ? Un saut historique, et une impasse statistique !

     L’auteure fait tourner son computer de corrélation à partir des trois bases d’investissement retenues, entre les années 1910 -1928 et les années 1990 -1995, en faisant l’impasse sur la période 1960- 1995, comme le notait le directeur de thèse dans la deuxième citation du début de notre analyse.

    Cette thèse nous invite donc à effectuer un véritable « saut historique » entre la période 1910-1928 et la période 1995, en faisant l’impasse sur l’histoire des districts étudiés pendant plus de 60 ans, avant et après l’indépendance des colonies.

    Il aurait été intéressant de proposer le même type de corrélation avec les années 1955-1960 afin de tenir compte des effets de l’investissement colonial massif du  FIDES créé en 1945 dans les districts corrélés.

     Comment par ailleurs proposer des corrélations sans tenir compte des évolutions démographiques des territoires étudiés, pour ne pas dire des révolutions, ou des coups d’Etat ?

    .L’auteure a rencontré des difficultés pour saisir des chiffres convaincants dans le domaine des infrastructures :

    « Data on large-scale public works financed on federal resources are not included for two reasons: first, il would have required the collection of federal budgets data in addition to local ones, which represents an important additional effort, second, federal budgets do not decompose investments neither at the district level nor at state level, which would make any repartition between district very hypothetical. This exclusion produces actually an understatement of colonial investments inequalities : large scale public works financed on federal resources were mostly devoted to main towns ot main axes of each colony, those which already advantaged by local budgets. Actual colonial inequalities in infrastructures were thus probably larger than measured here.” (p,135)

Questions

  Il est dommage que l’auteure n’ait pas  donné le chiffre des investissements d’infrastructures réalisées par la fédération, comparé à celui réalisé par les colonies, car cette comparaison aurait sans doute montré que l’écart était considérable, et qu’il était de nature à affaiblir très sensiblement le raisonnement statistique proposé.

    Il n’aurait pas été choquant de calculer une moyenne de ce type d’investissement par colonie et donc par district, étant donné que ces infrastructures de ports, de chemins de fer, de routes, concernaient tout autant l’ensemble des districts, dans le cadre d’une politique de développement qui passait par l’ouverture d’une Afrique de l’ouest, jusque-là fermée, vers l’Atlantique,  avec une répartition des rôles entre fédération et colonie.

    Il s’agit d’une impasse d’autant plus surprenante que l’on sait que le budget fédéral a financé d’importants travaux d’infrastructures, notamment par emprunts, avant la deuxième guerre mondiale.

     Dans le cas du Bénin, mis hors- jeu, il est évident que la création d’un port et d’une ligne de chemin de fer allant vers le nord, concernait l’ensemble du territoire, mais avec des effets atténués dans l’hinterland, à supposer que les districts de référence y fussent situés.

     Avec pour conséquence logique:

: « It is clear that colonial investments policy were unbalanced : Upper-Volta and South-Est of Niger have been disadvantaged in terms of human capital investments, investments in infrastructures were more concentrated in coasts areas of Senegal, Guinea and Ivory Coast and that reflects the structure of French colonial economic system based on trade with European countries. In addition to regional discriminations, it is noticeable that many neighbour districts received very different colonial treatments.” (p,135)

     La méthodologie utilisée fait appel alors à un concept de neighbour districts, un concept qui pourrait être intéressant à condition de le définir et d’afficher les districts qui répondaient à cette définition : quels étaient les districts (les cercles) qui partageaient le même neighbourhoud,  des  données qui ne figurent pas, sauf erreur, dans le document lui-même.

     Dans le cas de figure cité plus haut, comment ne pas rappeler que les districts de la page 135 étaient coupés de toute communication extérieure moderne avant la création des grandes infrastructures de l’AOF, une ligne de chemin de fer et des routes dans la cas de la Haute Volta, et la création d’une autre ligne de chemin de fer au Dahomey, faute de pouvoir utiliser la grande voie fluviale du Niger dont les chutes interdisaient l’utilisation vers l’aval ou vers l’amont,  et négocier un droit de passage avec la Grande Bretagne ?

      Dans les années 30, le géographe Weulersse notait, à l’occasion de son passage à Kano, dans le nord de la Nigeria, que les coloniaux français  empruntaient la ligne de chemin de fer Ibadan Kano pour rejoindre leur poste au Niger ou au Tchad.

    L’auteure cite bien ce type de facteur, mais sans lui accorder une importance plus grande qu’à celle accordée aux trois investissements retenus, les écoles, la santé, et les infrastructures de district, avec la réserve capitale que nous avons faite sur leur interprétation.

     Afin d’apprécier la situation précoloniale des districts, l’auteure introduit dans ses calculs d’autres variables dont il est possible de discuter la pertinence :

     « initial population density » : des chiffres improbables, compte tenu des difficultés du recensement à l’époque considérée, des difficultés que l’administration coloniale rencontra pour le faire, quasiment jusqu’aux indépendances, pour la raison simple qu’ils commandaient l’assiette de l’impôt de capitation.

       « the existence d’un « centralised political power (« state societies ») as opposed to stateless societies. », une analyse qu’il était possible de faire de l’est à l’ouest et du nord au sud ? En 1928, il aurait été possible de classer l’ensemble des cercles selon ce type de critère ? En l’absence des connaissances anthropologiques et historiques utiles ?

     Autres variables : la résistance against French colonial power (Second), la variable « local chiefs indemnities as control (Third), et enfin la variable Early European setllment, des concepts statistiques difficiles à établir et à manipuler, tels qu’ils pouvaient exister concrètement dans cette Afrique de l’ouest en construction.

     Il convient de noter enfin que la variable de la population européenne, effectivement chiffrée, n’a sans doute pas été un facteur de changement très actif, compte tenu de son très faible effectif, mis à part le cas de Dakar et de Saint Louis, en tout cas pour la période de référence 1910-1928.

     Nous reviendrons sur le sujet à l’occasion du chapitre 4.

  1. III.          Basic correlations : OLS Estimates
    1. A.   Empirical Strategy

         « I compare districts development performances according to colonial investments they received between 1910 et 1928 by running ordinary squares of the form: …(p,139)

       Je laisse le soin aux économistes statisticiens de faire tourner modèles et machines, mais il est évident, indépendamment de la pertinence de la formule elle-même sur laquelle je n’ai pas la capacité de me prononcer, que la démonstration économétrique recherchée repose entièrement sur la pertinence des bases et variables historiques qui ont appelé maintes réserves de notre part.

      « I therefore prefer to drop out Dakar and Saint Louis from the sample » (p,140)

Impasse identique à celle du Bénin !

      Le raisonnement que tient l’auteure en ce qui concerne la situation de Dakar et de Saint Louis est tout à fait surprenant : la colonisation française de l’AOF ne pouvait avoir que des résultats inégaux, étant donné qu’elle l’était, dès l’origine, un « modèle » de développement inégal, le « sample » même d’un Dakar, pôle de développement principal de l’AOF avec son port, ses lignes de chemin de fer, et le rôle d’animation politique de la fédération..

      Sortir Dakar et Saint Louis du logiciel, compte tenu de leur poids dans le système colonial de l’AOF, revient donc à introduire un biais capital dans ce type d’analyse de l’histoire économique de l’AOF.

  1. B.   Results

     L’auteure écrit :

    « Table 2 et Table 3 report OLS estimates of the impact of 1910-1928 colonial investments on 1995 performances….” (p,140)

    “The general picture that emerges from these tables is that districts which received more investments over 1910-1928 have significantly better performances today. “

“We can finally notice that explanatory variables in this paper account for about 40 % of the variation in 1995 health performances, 50% of the variation in 1995 school attendance and 70% of the variation in 1995 access to infrastructures. More importantly, each specific colonial investment alone accounts for about 30% of the variation of the corresponding 1995 performance.” (p,141)

     Questioncomment ne pas admirer ce travail d’économie mathématique qui survole presqu’un siècle, qui fait l’impasse sur au moins deux « trous noirs » ceux des années 1928-1960 et des années 1960-1995, et qui, à partir de bases et de variables, dont la pertinence historique est mal assurée,  conclut à l’existence de corrélations historiques effectives entre des investissements coloniaux au niveau des 120 districts de l’AOF, dont la définition mériterait d’être vérifiée, et des « current performances » des années 1995 ?

  1. IV.           Ecometric issues : selection et causality
  2. A.   Historical Evidence on Selection during colonial times

      L’auteure poursuit la même ambition de prouver les corrélations existant entre les investissements coloniaux  locaux (c’est-à-dire dans les districts) avec les performances constatées en 1995, et dans ce but elle se propose : « First, using historic data and qualitative evidence from African historians…. Second I use a “ natural experiment approach that consists in comparing neighbour districts only. Results from matching strategy confirm the OLS estimates.” (p,143)

        Dans cette partie, l’auteure teste la validité des corrélations qui peuvent exister entre les « colonial investments » des années 1910-1928 et les « current performances » des années 1995, et des différentes variables pouvant affecter les résultats des calculs, la densité de population, l’existence de « societies politically well-structured », la « distance from coast », et à cet égard, l’auteure estime :

       « In particular, it is too weak to use distance from the coast as a valuable instrument for colonial investments. » (p144)

Questions :

       Est-ce que la méthodologie utilisée, à savoir ne retenir qu’une partie des investissements coloniaux, au niveau des districts, en écartant les grands investissements de la fédération ou des colonies, ne conduit pas inévitablement à faire biaiser le modèle ?

      Nous verrons plus loin la définition que donne l’auteur de ce  concept comparatif novateur de neighbour districts.

     La réponse à ces deux questions permettrait de valider l’évaluation faite du facteur distance de la côte.

     Les « top-down interventions » :

    Faute de pouvoir accorder une bonne causalité aux différents facteurs examinés, l’auteure propose de prendre en compte les « top-down interventions », c’est-à-dire le rôle des administrateurs coloniaux.

     « The specific personality of the administrators was therefore a strong determinant of the policy they implemented in particular at the beginning of colonial times (in the 1900s and 1910s) because administrators stayed long enough in specific districts to implement long term projects (after the World War I, they had relatively shorter tenures, typically 3 years.)”

     Remarque surprenante, alors qu’une des difficultés de l’administration coloniale fut précisément la trop grande mobilité des titulaires des commandements, au maximum trois ans, pas plus !

    Il convient de noter par ailleurs qu’après avoir privilégié comme facteur de changement l’investissement colonial au lieu des institutions,  l’auteure réintroduit par la fenêtre le facteur institutionnel, grâce aux « administrators ».

  1. B.   Matching estimates.

      “The strategy that I pursue is to use a matching approach that consist in comparing neighbour districts only…. In the case of French West Africa, there are good reasons to think that neighbor districts were very similar before colonial times… This lead me to assume that the neighbor districts shared similar unobservable characteristics. This assumption can be interpreted as the fact that unobservable characteristics are geographically distributed and that districts borders were sufficiently exogenous to make differences between neighbour districts unobservable characteristics not salient.” (p,145)

       A la page 146 et dans  Appendix 2 (p,177) , l’auteure tente de définir le fameux concept de neighbourhood :

       « I define a neighbourhood as a cluster of three districts that share a common border and assume that neighbourhood fixed effect is similar within but not between clusters. This leads to divide districts map in disjointed neighbourhoods which sets of three districts sharing a common border. Appendix 2 gives further details on matching procedure. (p,146)

Question :

       Dans les pages qui précèdent, nous avons soulevé un certain nombre de réserves sur la méthode utilisée, sur la définition et sur l’établissement des bases des corrélations proposées, sur le volume des investissements coloniaux réalisés dans les districts entre 1910-1928, ainsi que sur la pertinence de calculs de corrélation effectués entre 1910 et 1995, mais nous nous interrogeons cette fois sur la pertinence du concept volatil de neighbourhood.

      Est-ce qu’il ne s’agit pas d’une trop belle sophistication de méthode de recherche économétrique qui dépasse très largement la réalité historique des terrains coloniaux dont la nature et les caractéristiques ont changé au cours des âges, de 1910 à 1995 ?

     L’auteure consigne ce doute dans une sorte de conclusion provisoire :

    « In the end, we may think that the long term impact of early colonial investment is too large to be due uniquely to the early colonial investments themselves. Since these results do not take into account what happened later, they may reflect the relationship between early colonial investments and something caused by them. We therefore need to explore what happened in the interval.” (p,147)

    C’est décidément y perdre son latin!

    Précisons que je n’ai pas trouvé dans la thèse qui a été publiée la liste des clusters de districts avec leur localisation, une information qui permettrait de se faire une idée sur la pertinence géographique et historique de cette clé d’explication.

   Sans doute le directeur de cette thèse et les membres du jury en ont-ils eu communication !

  1. V.           Why do early colonial investments still  matter ?

    “Previous results establish large and robust differences in current performances due to differences in colonial public investments. Why are long term returns to investments so large? In this section, I want to give some potential answers to this question “ (p,149)

     Après avoir émis un doute sur les résultats publiés quant à la corrélation de base entre les investissements coloniaux des années 1910-1928 et les performances des années 1995, l’auteure propose une analyse sur ces fameuses performances, une comparaison historique « improbable », même dotée des outils économétriques les plus sophistiqués.

  1. VI.          Conclusion

      « This paper thus contributes to explicit the mechanism through which spatial inequalities arise and persist, and gives evidence that even in the long run inequalities do not vanish because there are increasing returns to the adoption of a practice and because both starting point and accidental events can have significant effects on the ultimate outcome. “(p,153)

   Notre propre conclusion :

   Récapitulons nos objections, ou questions au minimum:

    Nous ne reviendrons pas sur les objections que nous avons déjà formulé quant à la pertinence d’une analyse économique historique qui est établie à partir de bases historiques contestables établies à partir de trois critères, les médecins, les enseignants, les travaux publics dans les cercles (1910-1928), qui sont corrélés, plus de soixante ans après, avec des indicateurs qui ne tiennent aucun compte des situations historiques intermédiaires, en faisant l’impasse d’au moins deux « trous noirs » majeurs, la période 1928-1960 et la période affichée comme « noire » par le directeur de la thèse lui-même, celle postérieure à 1960, sauf à faire remarquer aussi que l’histoire politique et économique de l’Afrique Occidentale Française de la première période (post-bases) n’a pas été celle d’un fleuve tranquille et continu.

    Cette démonstration comporte beaucoup d’incertitudes de toute nature sur la nature des « public works » comparés à ceux de la fédération, sur le rôle des administrateurs coloniaux, sur le concept de districts «  neighbour » et son application géographique.

    Pourquoi ne pas avoir donné la localisation des fameux « clusters » de trois districts, afin de se faire une idée sur la signification de ce concept, et de pouvoir comparer cette localisation d’effets économiques avec celle issue du développement des pôles de changement de l’AOF, sur le modèle des pôles de François Perroux ?

     Enfin, pourquoi ne pas s’interroger sur le sens que l’auteure donne au concept d’investissement public ? Il s’agit moins de formation de capital fixe, ou d’investissement matériel, mis à part la catégorie des « public works », que d’investissements immatériels, ceux de l’école et de la santé, mais alors comment évaluer ceux de la construction d’un Etat colonial, et du coût des animateurs de ce nouvel Etat, c’est-à-dire les administrateurs coloniaux ?

    En définitive, toute la question est de savoir si les inégalités enregistrées dans les années 1990 en Afrique de l’ouest sont le résultat d’un modèle de développement colonial « inégal », parce que « colonial », au niveau des districts,  ou du modèle classique de pôle de développement, c’est-à-dire de type capitaliste,  à partir des ports, des routes et des lignes de chemins de fer, réorienté après 1945 avec l’intervention du FIDES .

    Si tel était le cas, les conclusions de l’auteur correspondraient à une sorte de lapalissade historique !

   Jean Pierre Renaud

   Avec une note d’humour !

     Je viens de revoir avec plaisir le film « Le dernier métro » de François Truffaut, avec une intrigue portant sur une pièce de théâtre intitulée « La disparue ».

      A l’occasion d’un dialogue amoureux entre Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, alors jeunes acteurs, l’actrice déclare : « Ce n’était pas des mensonges, mais des trous noirs. »

Fin de citation ! 

Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française Thèse Huillery – Chapitre 1- Lecture critique – Deuxième partie

« Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française »

HESS – 2008 – Thèse de Mme Huillery

Notes de lecture critique

II

Chapitre 1 (p,19 à 71)

« Mythes et réalités du bilan économique de la colonisation française »

Deuxième Partie

II . Coûts et bénéfices de la colonisation pour les colonies

         Compte tenu du bouleversement complet qu’a provoqué la colonisation dans les colonies, l’auteure note dès le départ qu’il sera difficile d’établir ce type de comptabilité : « Mais nous sommes très conscients de l’impossibilité radicale qu’il y a à établir une évaluation quantitative des coûts et bénéfices de la colonisation pour les colonies. » (p,55)

        L’auteure botte donc en touche dès le départ du bilan en proposant un exercice dont le contenu ne parait plus appartenir au domaine conceptuel du bilan, une réserve surprenante, étant donné que les graphiques proposés montrent bien qu’en francs 14, l’AOF a vu ses moyens budgétaires augmenter sensiblement au cours de la période étudiée, et que les chiffres du commerce extérieur de l’AOF montrent également qu’il a beaucoup progressé.

       « Nous formulons donc un peu différemment les questions dans cette deuxième partie en se demandant en quoi la colonisation a été favorable ou défavorable au développement des colonies plutôt qu’en se demandant ce que la colonisation a coûté ou rapporté aux colonies. » (p,56)

A – En quoi la colonisation a-t-elle été favorable au développement des colonies ?

  1. Les investissements privés

      L’auteure propose dès le départ son constat : «  Les investissements privés dans les colonies ont-ils permis aux économies colonisées de se développer ? A notre connaissance, il n’est guère d’historiens qui le défendent »

      L’auteure renvoie vers les travaux de Philip Curtin qui concernent l’économie ouest-africaine, lequel rapporte « que le commerce interne de la région était au XIXème siècle beaucoup plus important que le commerce transatlantique », et pour cause, étant donné que tous les « initiés » savaient que l’ouest africain était, géographiquement parlant, ce que notait le géographe Richard-Molard, un continent clos, avant son ouverture aux échanges internationaux grâce aux ports et aux voies de communication qui n’existaient pas et qui y ont été construits (voir la citation Richard-Molard dans un de nos avant-propos).

      Il aurait été d’ailleurs intéressant que l’auteure nous donne les chiffres de ce commerce interne, qu’il s’agisse de textiles, de noix de kola, de sel, d’or…ou peut-être d’esclaves, dont le trafic interne fut important et persista longtemps.

     A titre d’exemple, à la fin du dix-neuvième siècle, l’Almamy Samory que la France combattait dans l’Ouassoulou, à l’ouest du bassin du Niger, à tort ou à raison, finançait encore des achats de fusils à tir rapide en Sierra Leone en vendant des esclaves.

    L’auteure écrit qu’une des premières causes du manque de développement a été l’insuffisance des investissements privés, associée au choix des investissements effectués, mais quid en AOF, terrain d’étude choisi par cette thèse ?

      L’analyse détaillée des statistiques douanières et des balances des paiements de l’AOF aurait pu apporter de la lumière sur ce constat, de même que sur la nature et la croissance des échanges entre la métropole et l’AOF, ainsi que sur le rôle des pôles de développement que constituèrent les nouveaux ports et les nouvelles voies de communication.

  1. Les investissements publics

      « Le bénéfice que les colonies ont retiré de la colonisation viendrait-il donc des investissements publics ? C’est ce que défendent les historiens du courant anti-repentance. » (p,59)

     L’auteure procède à un nouveau tour d’horizon de la « littérature » disponible qui fait le constat du faible niveau des investissements publics, mais sans proposer elle-même, à ce stade de la thèse, ses propres calculs pour l’AOF, en concluant :

     « Pour conclure sur les bénéfices que les colonies ont retirés de la colonisation, il s’avère donc que le bénéfice des investissements privés peut être considéré comme inexistant, du fait du manque de rationalité économique et de prise en compte des besoins locaux qui ont guidé le placement des capitaux privés. »(p,62)

        Un constat qui ne peut manquer de surprendre !

B. En quoi la la colonisation a-t-elle été défavorable au développement des colonies ?

      « La dernière question qui achève l’examen des composantes du bilan économique de la colonisation recensées dans la littérature, est sans aucun doute la plus difficile de toutes les questions que nous avons posées : en quoi la colonisation a-t-elle été défavorable au développement des colonies. » (p,62)

     Le lecteur aura noté que c’est à nouveau à partir de la « littérature » qu’un bilan économique de la colonisation lui a été proposé, et que la question est posée de façon a priori négative, « défavorable »..

a)    L’absence d’investissement productif

     L’auteure fait appel à Mme Coquery-Vidrovitch et à M. Moniot pour distinguer les trois phases qui auraient été celles du pillage, de l’économie de plantation, et de l’économie de traite, un classement qui a une certaine valeur, mais qui gagnerait à être plus rigoureux dans son analyse géographique et historique.

    Les investissements privés et publics auraient été inadaptés au développement des colonies, avec des infrastructures tournées vers l’extérieur, des réalisations pharaoniques telles que l’Office du Niger, la « charge que représentait l’administration coloniale pour des populations dont les ressources n’étaient pas en adéquation avec un degré d’organisation et de centralisation tel. Il faut rappeler bien entendu que les salaires des fonctionnaires coloniaux français servant dans les colonies, c’est-à-dire l’essentiel des coûts administratifs des budgets coloniaux, étaient à la charge des budgets locaux et que c’était en définitive les contribuables africains qui rémunéraient les administrateurs français, à des niveaux de rémunération sans commune mesure avec celles qui se pratiquaient dans les sociétés indigènes. Il y a donc comme une forme d’absurdité économique à appliquer aux colonies des structures budgétaires, économiques, et financières qui sont issues et adaptées à une économie telle que celle de la France » (p,66)

       Absurdité économique ou angélisme ? Il est effectivement souhaitable de creuser le sujet comme le propose l’auteur, avec trois éclairages, ceux de l’ancien gouverneur Delavignette et d’un ministre socialiste des colonies,  Marius Moutet, et enfin celui, anachronique, mais révélateur, du régime de rémunération des fonctionnaires français servant aujourd’hui outre- mer.

      Dans son livre « Service Africain », le gouverneur Delavignette relevait au sujet du fonctionnaire colonial :

     « Et d’abord, il peut compter sur les doigts de la main le provisoire de sa propre vie : dix séjours de deux ans, qui font vingt passages en mer, et voilà le dossier rayé, bon pour les archives. C’est un homme qui souffre un vieillissement constaté de dix- sept ans par rapport à la table de mortalité de la Caisse des retraites de la Métropole. «  (p,54)

    Autre citation, « Jusqu’en 1929, le Gouverneur général de l’AOF en Conseil de Gouvernement annonçait solennellement le nombre de journées d’hôpital des Européens. Pour cette année-là, sur 16 000 européens, 5.241 hospitalisés et 83.291 journées d’hôpital. » (p,55)

     Marius Moutet, le ministre des Colonies, notait dans une circulaire adressée à ses Gouverneurs Généraux, en 1936 :

     « …J’ai pu constater à la lecture de l’annuaire que l’Afrique occidentale française, avec ses 15 millions d’habitants, comptait près de 3 000 fonctionnaires européens, soit à peu près autant que l’Inde anglaise avec ses 400 millions d’habitants. C’est incontestablement trop… »

       Une dérive des effectifs sûrement, mais en raison d’une politique coloniale très différente de celle des Anglais qui avaient une préférence pour l’administration indirecte, laquelle, dans le cas de l’Inde, bénéficia souvent  de l’appui de gouvernances locales établies et riches  (les rajas), ce qui ne fut pas le cas en AOF.

         Ne s’agissait-il d’ailleurs pas d’une politique coloniale assumée par les gouvernements de la Troisième République ?

       Il est vrai qu’en Nigéria, donc en Afrique de l’ouest, mais au nord de cette colonie, les Anglais, appliquèrent ce que l’on a appelé la doctrine Lugard de l’indirect rule, en s’appuyant sur les deux sultanats musulmans puissants de Sokoto et de Kano, sans équivalent en Afrique française de l’ouest, mais que dans le sud animiste, les mêmes Anglais furent dans l’obligation d’imiter les Français, compte tenu du morcellement politique de cette région. 

     Enfin, la mise en place d’un Etat fédéral qui n’a pas survécu aux indépendances, et d’Etats locaux qui, eux ont survécu, en dépit des très nombreuses crises qui les ont affecté après les années 1960, n’aurait-elle pas été le coût contesté ou justifié des charges administratives des budgets locaux ? Avec une administration assez bien organisée et un système de gestion financière publique et privée sous contrôle.

      L’historien indien Panikkar reconnaissait au moins à la colonisation anglaise le mérite d’avoir mis en place un Etat moderne.

       De nos jours, le seul exemple du Mali montre bien les ravages que peut causer l’absence d’un Etat, plus de 50 ans après son indépendance.

     Et pourquoi ne pas s’interroger, de façon tout à fait anachronique, mais en même temps révélatrice, sur les régimes de rémunération et de retraite actuels des fonctionnaires français en service outre-mer ou originaires de l’outre-mer, alors que ces territoires accueillent, sans aucun problème de santé, de très nombreux touristes ? Au moins 40% de plus qu’en métropole, avec d’autres avantages.

      Au siècle du tout tourisme et du tout aérien dans les mêmes territoires !

 c) La dépendance à l’égard de l’extérieur

    L’auteure conclut : « La dépendance à l’égard de l’extérieur n’était donc peut-être pas en elle-même un facteur de blocage. Mais ajouté au manque d’investissements productifs et à l’irrationalité de certaines orientations de la production, cet état de dépendance vis-à-vis des marchés européens n’a pas été un facteur de développement des économies coloniales. » (p,66)

d)   Le laxisme budgétaire et financier

      L’auteure revient sur une des conclusions de Jacques .Marseille quant à la couverture des déficits commerciaux par l’Etat français, et note :

     « Sans s’attarder sur de pareilles affirmations, rappelons seulement que l’« immense » contribution française aux finances des colonies n’est pas établie et que c’est seulement oublier qu’au moins jusqu’en 1945, la plupart des budgets des colonies et des fédérations, au moins à n’en pas douter ceux de l’AOF que nous avons pu consulter, sont remarquablement équilibrés, la plupart du temps même largement excédentaires, sans intervention massive des subventions du Trésor français. » (p, 67)

       Et pour cause, étant donné le principe posé par la loi du 13 avril 1900, celui de l’autonomie financière des colonies, semblable au principe britannique du self-suffering, qui gouverna les relations coloniales dans l’Empire britannique !

       Après 1945, la création du FIDES changea complètement la donne.

      Est-il besoin de préciser qu’aucune des colonies françaises ne venait à la cheville du riche Empire des Indes !

     Quant à l’existence des excédents des budgets et au rôle des caisses de réserve, nous y reviendrons dans la lecture du chapitre 2, étant donné que le décret du 30 décembre 1912 et les textes subséquents avaient verrouillé complètement les conditions de l’équilibre des budgets coloniaux et que les caisses de réserve, verrouillées également dans leur plafond, avaient pour but à la fois de régulariser le cours pluriannuel des recettes et de faire face aux calamités naturelles des territoires.

    L’auteure ajoute une note de conclusion un brin polémique en écrivant :

    « Quoi qu’il en soit, il est très choquant, aux vues des structures mêmes de l’économie coloniale que nous avons développées plus haut, d’affirmer que l’héritage de laxisme budgétaire et financier soit le seul reproche que l’on puisse faire à la colonisation » (p,68)

     Le débat ouvert sur un laxisme qui aurait existé ou pas a un caractère surréaliste sur le plan historique, sauf à distinguer une fois de plus les deux grandes périodes de la colonisation, en indiquant qu’effectivement au fur et à mesure des années 1950, la métropole a été dans l’obligation d’augmenter la part de subvention qui avait été fixée à l’origine dans le financement du FIDES.

III. Conclusion (p,69)

    L’auteure écrit :

    « Nous avons passé en revue l’essentiel de ce que l’on trouve dans la littérature au sujet du bilan économique de la colonisation….

   Pour la France, le bilan s’avère plus positif que prévu…

   Pour les colonies, le bilan s’avère aussi peu positif que prévu…

   Si l’évaluation des pertes pour les économies coloniales est impossible du fait de la nature des transformations impliquées, il est encore possible, et il nous parait souhaitable, d’éclaircir la question des investissements en biens publics et leur financement.

            Ainsi, nous nous proposons d’utiliser la collecte des données budgétaires de l’Afrique Occidentale Française pour traiter à la fois le coût de la colonisation pour le contribuable français et la question du montant des investissements publics financé par la France dans cette région. » (p, 70)

&

Mon propre « abstract » :

     Première remarque : était-il véritablement utile, si le propos s’inscrivait dans une démarche scientifique de ranger les recherches de Jacques .Marseille ou de Catherine .Coquery-Vidrovitch, pour ne citer que ces deux noms, dans la catégorie de la « littérature », outre le fait que trop souvent le ton de ce chapitre est polémique ?

       Deuxième remarque : il s’agit en effet d’une revue inutilement polémique, étant donné que le résultat de la recherche portant sur le bilan économique qui nous est proposé tire pour l’essentiel son intérêt de la critique des recherches « scientifiques » qui ont pu être faites sur ce bilan, c’est-à-dire sur les « données empiriques » de l’historiographie.

       Un manque de valeur ajoutée d’autant plus surprenant que dans le cas de l’AOF, terrain des recherches privilégiées de l’auteur, cette dernière s’est bien gardée d’éclairer le lecteur sur le bilan économique des colonies concernées, ne serait-ce qu’en analysant la courbe et le contenu des séries statistiques douanières et financières les concernant, analyse qui aurait eu le mérite de vérifier pour la période post 1945, celle du FIDES, si le raisonnement tenu par Jacques Marseille sur l’équilibre des comptes extérieurs de l’AOF tenait ou non la route.

      Il n’était du reste pas le seul à défendre cette position. Dans le livre qu’a publié en 1957 J.Ehrhard, intitulé « Le destin du colonialisme », J.Ehrhard écrivait au sujet de l’aide de la France Chapitre II :

      « L’aide budgétaire apportée par la France à l’Outre-Mer a longtemps été assez modeste. Mais l’équipement a été dans une large mesure réalisé avant – guerre sur fonds d’emprunts placés en France que l’avilissement de la monnaie a pratiquement transformés en subventions, au détriment du prêteur métropolitain.. En francs actuels (1957) les sommes empruntées par l’ensemble des pays d’outre-mer représentent tout de même 210 milliards antérieurement à 1914, 577 de 1914 à 1939. » (p,25)

     Nous verrons à l’examen du chapitre 2 que cette citation pose la question de l’interprétation financière que Mme Huillery propose dans ses analyses du Chapitre 2 sur la nature des emprunts et des avances.

      Troisième remarque : beaucoup d’informations dans ce premier chapitre, mais avec des titres ambigus, un bilan, des coûts et des bénéfices, un développement ou non, sans que le lecteur puisse se faire une opinion dans le cas précisément de l’AOF, sauf à comprendre que cette thèse s’inscrit en faux par rapport à celle de Jacques Marseille.

      Un titre d’autant plus ambigu que dans la deuxième partie consacrée aux colonies, l’auteur passe du concept de bilan « coût et bénéfices » à celui indéterminé de « développement ».

    Quatrième remarque : l’analyse de ce chapitre ne s’inscrit pas dans l’histoire de l’AOF et de ses relations avec la France.

    Comment est-il possible de présenter les choses comme s’il y avait eu une continuité historique dans les relations coloniales, en ignorant les situations coloniales de chacune des périodes analysées, tout en feignant d’ignorer que le grand principe de la colonisation a été celui fixé par la loi de 1900, « aides toi financièrement toi-même ! », le même que le self-suffering britannique, à la seule différence près que les Britanniques avaient mis la main sur des territoires dont le potentiel de ressources n’avait rien à voir avec celui des Français.

     Après 1945, tout a changé, et la rigueur de l’analyse historique imposait d’en tenir compte.

    Cinquième remarque : s’agit-il de la démonstration crédible d’un bilan économique qui, à proprement parler, n’a pas été fait, mais qui s’inscrit souvent dans le débat politique et dans un champ géographique et historique flou ?

     A la lecture de ce chapitre, certains lecteurs se demanderont peut-être s’il n’est pas à ranger lui aussi dans la « littérature économique ».

    Une question ultime : pourquoi ne pas se demander les raisons pour lesquelles l’auteure de cette thèse, laquelle se présente volontiers comme un adversaire intellectuel de Jacques Marseille, n’a pas cru devoir, précisément dans le cas de l’AOF, vérifier que la démonstration principale de l’historien, c’est-à-dire la couverture des déficits des balances commerciales par des transferts de fonds publics, n’était historiquement pas fondée ?

     Il est bien dommage en effet que dans le cas de l’AOF, l’analyse de cette thèse n’ait pas porté sur l’équilibre de ses comptes extérieurs, publics, étant donné que l’objectif de ce chapitre était de sortir du terrain de la « littérature » de l’histoire économique coloniale, représentée, semble-t-il dans le cas d’espèce, par Jacques Marseille.

 Jean Pierre Renaud

Gallieni et Lyautey, ces inconnus – La politique des races de Gallieni au Tonkin (1892- 1894) et à Madagascar (1896-1905)

Gallieni et Lyautey, ces inconnus

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

9

Au Tonkin (années 1892-1894), et à Madagascar (années 1896-1905), la politique des races de Gallieni

            Au fur et à mesure des années, le mot et le concept ont accusé le poids de la théorie des races inférieures et supérieures, mais à la fin du 19ème siècle, le sens du mot et du concept ne faisaient déjà pas l’unanimité parmi l’élite politique et intellectuelle.

            Pour illustrer cette situation, le Président Jules Ferry, dans le discours qu’il  prononça à la Chambre des Députés, en 1885, pour défendre son expédition du Tonkin, s’inscrivait au rang des défenseurs de cette théorie.

Il y exaltait l’opposition et la hiérarchie qui existait entre ce qu’il appelait les « races supérieures » et les « races inférieures », les premières disposant d’un droit à gouverner les deuxièmes, et à leur apporter la « civilisation ».

Clemenceau fut l’un de ceux qui contesta cette analyse encore largement partagée dans le corps politique, à gauche comme à droite. Ferry était un républicain de gauche.

Les livres scolaires distinguaient alors quatre races, la blanche, la jaune, la noire, et la rouge.

            Le petit livre « Les mots de la colonisation » (Presses Universitaires du Mirail) introduit le sujet en écrivant :

« Concept polémique par sa double inscription naturaliste et politique la race s’oppose clairement, dès le 19ème siècle, à la notion classique de « variété ». Celle-ci reste superficielle et surtout réversible… »

 et plus loin :

«La « psychologie ethnique » s’émancipera ultérieurement pour devenir la science des mentalités collectives sans renier ses premières attaches naturalistes. Le concept a tardivement perdu toute validité scientifique. » (p,99 et 100)

« Le dictionnaire de la colonisation française » (Larousse) propose un commentaire plus détaillé du concept et consacre un long paragraphe à « la politique des races », précisément, l’objet de ces pages.

Tout cela semble bien dépassé et depuis longtemps, mais il n’est pas démontré que Gallieni ou Lyautey, son élève, lorsqu’ils parlaient de politique des races, l’aient fait  dans cette lignée hiérarchique à caractère raciste.

Et afin d’actualiser ce débat d’une autre façon, à la suite de la polémique qui a agité les dernières élections présidentielles, quant à la demande de suppression du mot race dans l’article 1er de notre Constitution, nous proposons en additif, à la fin de ce texte, quelques citations du mot race faites par le grand journaliste Robert Guillain dans son livre « Orient Extrême – Une vie en Asie »

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Au Tonkin, dans le commandement qu’il exerça dans le deuxième Territoire Militaire à la frontière de Chine, Gallieni énonça ses principes de politique des races, dans le cadre de sa mission de pacification militaire et civile qui lui avait été confiée par le Gouverneur général : donc dans un cadre historique très précis et dans une formulation qui avait sans doute beaucoup à voir avec une tactique ou une stratégie d’efficacité militaire et politique, dans un contexte donné et à un moment historique donné, pour assumer la mission qui lui avait été confiée.

Il n’y a donc rien de mieux que de lui donner la parole pour bien comprendre à la fois ces principes et le contexte historique dans lequel il les appliquait, et rappeler auparavant quelques éléments du contexte historique dans lequel il accomplissait cette mission.

.Les hautes régions du Tonkin étaient troublées en permanence par les exactions de plusieurs bandes de pirates annamites ou chinois qu’il lui fallut détruire, avec la coopération plus ou moins forcée de la Chine, et notamment grâce aux relations de confiance que Gallieni sut nouer avec le maréchal Sou, le commandant militaire de la province du Quang-Si.

Leur coopération étroite a déjà été évoquée sur ce blog.

Mais les hautes régions du Tonkin étaient théoriquement administrées par des mandarins qui représentaient l’Empereur d’Annam, alors qu’elles étaient peuplées de deux peuples de culture différente, les Mongs, et les Thos, peuples qui ne supportaient pas plus les pirates que le mandarinat annamite.

Gallieni, dont les moyens que le gouvernement lui accordait, ont été toujours limités, utilisa donc le levier ethnique que ces deux peuples lui proposaient.

« Suivre une politique de race, tel a été le principe qui m’a constamment guidé dans mes commandements coloniaux et qui, partout, au Soudan comme au Tonkin et à Madagascar, m’a toujours donné les résultats les plus décisifs. Or, quand j’étais arrivé à Lang-Son, je trouvai, dans le 2° territoire militaire des mandarins annamites pour administrer des populations Thôs, Mans ou Nungs, populations montagnardes de race essentiellement différente des Annamites et de mœurs féodales : dans chaque village, dans chaque canton même, c’est une famille, presque toujours la même, qui fournit les chefs, généralement des vieillards, qui détiennent l’autorité réelle et qui servent de conseillers obligés dans toutes les affaires du pays.

On comprend le peu d’action exercée par des mandarins annamites arrivant dans des contrées dont ils ignorent tout, les mœurs et même la langue. Les vieux chefs Thös disparurent ; mais leur influence occulte resta toujours. Et les fonctionnaires annamites qui les avaient remplacés ne pouvaient nous être d’aucune utilité, ainsi que je l’avais démontré à M.de Lanessan ; en ce qui concerne la piraterie notamment, ils ne pouvaient nous renseigner sur les agissements ou mouvements des bandes ; car les habitants leur opposaient une force d’inertie, une hostilité sourde, dont profitaient les pirates.

J’obtins alors du Gouverneur général l’autorisation de renvoyer tous ces fonctionnaires annamites dans leurs lieux d’origine et de revenir au système féodal, qui était la base même de l’organisation de ces régions de montagne. Comme on l’a vu en lisant le récit de la première partie de ma tournée, l’effet fut instantané : les habitants, conduits par leurs chefs naturels, devinrent désormais nos plus zélés collaborateurs dans la chasse aux pirates, surtout après que nous eûmes distribué les fusils nécessaires pour organiser la résistance contre les ennemis séculaires de leur tranquillité. » (GT/p,91)

Il n’est jamais inutile de rappeler que le gouvernement français a toujours spécifié, qu’une fois la conquête de la colonie réalisée, cette dernière ne devait rien coûter à la métropole.

Gallieni le rappelait dans une correspondance datée du 27 avril 1898 :

« Je suis très partisan de ce principe : que les colonies ne doivent rien coûter à la France. Mais, cela n’est pas encore possible à Madagascar… «  (GM/p,31)

En 1901, la Chambre des Députés vota une loi qui consacrait un tel principe budgétaire, et ce ne fut qu’après la deuxième guerre mondiale que ce principe de base fut abandonné, notamment avec la création du FIDES.

Il est évident que l’application d’un tel principe d’autonomie budgétaire des colonies françaises ne pouvait manquer d’avoir de multiples conséquences sur la politique coloniale de la Troisième République.

Quelques citations de Robert Guillain :

En Chine, Pékin, sa  Cité Interdite : « Pour quatre cents millions d’hommes, il fallait un palais impérial dix fois plus grand que nos palais royaux, des enceintes où nous logerions une. Les herbes elles-mêmes qui envahissaient les cours évoquaient pour moi les vastes steppes de l’arrière-Chine, de ce pays qui dans sa muraille était grand comme une Europe, mais petit par rapport à l’immense Asie ? Quelle race, pour construire grand ! Où étais-tu, petit Japon ? » (page 51- 1937-1938)

Au Japon : «  J’étais même tenté de penser parfois que le Japon était peuplé de deux races, celle des hommes et celle des femmes. Une race dure et une race douce. » (page 56- 1938-1941)

En Chine : «Il est temps pour nous de repenser la Chine, et le premier cliché qu’il faut abandonner, c’est celui de inchangeable. La plus vieille race du monde est entrée dans une crise de jeunesse. » (page 181- 1949) 

Au Japon : « Entre nous, la mentalité du milieu européen ou américain, à l’époque dont je parle, reste fortement teintée de colonialisme, parfois même de racisme. » (page 312- 1955-1970)

Jean Pierre Renaud