Culture coloniale ou Supercherie coloniale: la censure Delanoë?

Culture coloniale ou Supercherie coloniale : la censure Delanoë ?

Culture coloniale, culture impériale, ou supercherie coloniale ?

Pourquoi le livre « Supercherie coloniale » a-t-il été écrit ?

Un livre censuré par Delanoë ? (1)

       Afin de démontrer que la thèse développée , en termes le plus souvent boursouflés, d’après laquelle la France aurait, à l’époque des colonies, baigné dans le colonial, est une thèse idéologique, et non historique, affectée de la plus grande indigence en matière d’évaluation et de mesure statistique des supports d’une culture coloniale supposée et de leurs effets.

            Les livres qui soutiennent cette thèse ont exploité, sans vergogne, les travaux d’un Colloque scientifique organisé en 1993, sans tenir compte des questions et des réserves, nombreuses, qui se sont alors posées, quant à l’interprétation des images examinées, car il s’agissait d’abord d’images coloniales.

L’objet de ce colloque était : « Nature, discours et influence de l’iconographie coloniale liée à la propagande coloniale et à la représentation de l’Afrique en France, de 1920 aux Indépendances »

            Les études universitaires de l’auteur et sa carrière professionnelle ne l’avaient pas habitué à une telle dérive intellectuelle, et c’est en découvrant le contenu de ces livres, qu’il s’est senti obligé de revenir à des sources de culture coloniale qu’il avait abandonnées, presque définitivement après son retour de la guerre d’Algérie.

§

            Avant d’esquisser rapidement les critiques essentielles qui doivent être faites à ce discours du bain colonial, évoquons en deux majeures :

–       La parabole du riz colonial : « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (Culture impériale, page 82), écrit l’historienne Lemaire, alors que 95% du riz importé allait dans les poulaillers et les étables !

–        L’inconscient collectif  entre en scène: faute de pouvoir démontrer la réalité des faits de propagande des images coloniales et de leurs effets, ces historiens invoquent l’inconscient collectif, le ça colonial. Diable ! C’est le cas de le dire !

Passons en revue, comme dans le livre cité plus haut, les différents supports d’une culture coloniale supposée, à l’époque coloniale, c’est-à-dire entre 1871 et 1945, car après la deuxième guerre mondiale, tout a changé.

Les manuels scolaires et les livres de la jeunesse : les livres scolaires, le Petit Lavisse, trop souvent cité, avec ses quelques pages, consacraient de l’ordre de 1 à 4% de leurs pages aux colonies. Il n’y avait sans doute pas de quoi matraquer le cerveau des jeunes français, indépendamment de la question des contenus, non examinés par ces chercheurs, et du fait que ces pages figuraient en fin de livre, donc en fin d’année scolaire.

            Quant aux BD, elles virent le jour, en France, après 1930.

            La presse : ces historiens ne procèdent à aucune  évaluation sérieuse de la presse à l’époque considérée, à la fois de la place (pages et colonnes) que la presse nationale et provinciale, ainsi que la presse spécialisée, réservaient au thème colonial, et naturellement du contenu, favorable, neutre, ou défavorable des articles publiés. La seule source  citée porte sur la presse de droite du sud-est pendant la période 1931-1945.

A leur décharge, il serait possible de noter que le livre « L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 » de l’historien Girardet ne fait pas, non plus,  grand cas d’une analyse sérieuse de la presse.           

            Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser des analyses de l’historienne Lemaire au sujet du rôle de la presse en matière de propagande.

            Les Expositions coloniales, les fameuses expositions coloniales, et leurs zoos humains : les expositions coloniales ont eu effectivement beaucoup de succès, notamment celle de 1931, mais Lyautey lui-même, commissaire général de cette exposition, constatait que l’opinion publique à l’égard des colonies n’avait pas beaucoup changé après cette exposition

            Des historiens coloniaux sérieux, notamment Brunschwig, ont fait le même constat général du désintérêt des Français pour leurs colonies.

Quant au zoos humains, renvoyons les lecteurs aux analyses qui ont été faites à ce sujet, en relevant qu’il ne s’agissait pas toujours des exhibitions humaines qui ont été légitimement épinglées, qu’elles furent d’abord le résultat d’initiatives privées, et enfin qu’il ne faut pas confondre zoos et villages africains tels qu’ils ont été présentés dans beaucoup de villes françaises.

            Les cartes postales : juste une mention, étant donné que ce type de support a fait l’objet des évaluations les plus fantaisistes.

            Le cinéma colonial : notons tout d’abord qu’il est difficile de faire état de ce type de culture coloniale supposée avant 1914, et qu’en ce qui concerne la période postérieure, les auteurs de la thèse critiquée n’ont pas avancé de chiffres sérieux sur le cinéma colonial.

M.Boulanger, spécialiste du sujet, faisait état d’un très petit nombre de films coloniaux, quelques pour cents de la production cinématographique, le plus souvent des films tournés au Maghreb, et d’ailleurs par des étrangers.

Les affiches : la source principale de l’analyse de ces chercheurs est constituée par l’exposition Négripub, faite à Paris, en 1987.

Un mot simplement sur l’indigence de cette source, étant donné la disproportion énorme qui existait entre le matériel présenté et celui enregistré à la Bibliothèque Nationale. Pour trois des années exposées par Négripub, 1930,1931, et 1938, 8 affiches ont été présentées, alors que pour ces trois mêmes années, le matériel enregistré était de 2.536 pièces.

            Les lecteurs intéressés pourront se reporter à l’ouvrage publié sur cette exposition pour savourer certains des commentaires « étranges » de certaines affiches.

            La propagande : la parabole du grain de riz qui a été une des introductions de notre critique caractérise parfaitement  la méthode intellectuelle, pour ne pas dire historique, qui a été utilisée pour apprécier le volume et les effets de la propagande initiée par l’Etat.

L’historienne Lemaire fait un sort tout particulier à l’Agence centrale des colonies qui aurait été la grande instigatrice de cette fameuse propagande. Elle aurait inondé la France, aurait joué le rôle d’une machine à informer qui aurait imprégné l’état d’esprit des Français, en leur inculquant, sans qu’ils en aient même conscience, les fameux stéréotypes coloniaux qui tapisseraient notre inconscient collectif :

–       Sauf qu’elle n’a pas existé longtemps, que son budget était modique, et qu’il était d’abord alimenté par les colonies elles-mêmes, et que les responsables de la dite propagande se plaignaient, à juste titre, de la faiblesse de leurs moyens.

–       Sauf que les subventions accordées aux journaux pour soutenir la cause coloniale n’ont jamais été à la hauteur des enjeux supposés : l’historienne Lemaire cite, parmi d’autres, la subvention accordée au Petit Parisien, en 1937, laquelle représentait la distribution gratuite de 75 000 journaux, alors que le tirage quotidien du journal était de l’ordre du million ! Pas de quoi vraiment à soulever les foules !

Le ça colonial, ou l’inconscient collectif : enfin, et pour convaincre le lecteur de l’inanité de la démonstration de cette nouvelle école idéologique, une soi-disant nouvelle école historique qui a besoin de faire appel à l’inconscient collectif ( CC, p,143), à l’impensé colonial (RC, p,150) !

Fiat lux !

            A la décharge de ces jeunes chercheurs, nouveaux entrepreneurs de l’histoire, d’après leur «  marraine d’histoire », quelques historiens ou historiennes de bonne réputation avaient ouvert la boite de Pandore au fameux Colloque de 1993.

            Il faudrait donc déconstruire notre imaginaire colonial, et ça marche !

Un colloque a été organisé en 2009, à la Mairie de Paris, avec le patronage du Monde, intitulé « Décolonisons les imaginaires !

            Défaut de démonstration historique, absence d’évaluation des supports d’une culture coloniale supposée, de leur volume, de leur place par rapport aux autres,  de leur diffusion, et de leurs effets, absence de représentativité des analyses proposées, outrance des mots et des conclusions, boursouflures d’écriture et de réflexion, tout cela ne serait pas grave si un tel discours n’avait pas reçu la faveur de certains médias, et ne contribuait pas à colporter une lecture idéologique de notre histoire.

            Il en faudra donc un peu plus pour que leur démonstration historique soit sérieuse !

            Mais d’ores et déjà, ils distribuent un matériau de propagande politique qui n’est pas de nature à faciliter le bien vivre en paix et le bon accueil dans la communauté française d’un certain nombre de jeunes citoyens français, dont les parents ou les grands-parents étaient originaires d’Afrique.

            Ces chercheurs doivent toutefois être félicités pour avoir exhumé de très belles images coloniales, et quelquefois monnayées contre espèces sonnantes et trébuchantes.

(1)    Un exemplaire de ce livre a été déposé, par mes soins, en 2008, dans le service compétent de la Direction des Bibliothèques de la Ville de Paris.

Ni accusé de réception, ni refus d’acquisition de l’ouvrage ! L’exemplaire a été retrouvé, quelques mois plus tard, dans une solderie du 5ème arrondissement, avec la  lettre d’envoi qui lui était jointe.

Censure clandestine d’un ouvrage qui conteste la thèse d’un colloque patronné par la ville, sous le titre racoleur « Décolonisons les imaginaires » ?

Jean Pierre Renaud – Supercherie coloniale- Mémoires d’hommes 2008

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale?

 Conclusions (2)

    &  

Les images coloniales

            Presque tout dit, pas complètement en effetparce que l’image coloniale est entrée en scène au Colloque de janvier 1993, auquel l’historien Ageron participait d’ailleurs. L’image, avec toutes les questions de méthodologie qu’elle soulevait, parallèlement à celles des textes, avec la spécificité de son interprétation, domaine de prédilection des sémiologues, lesquels dans le sillage de Barthes, ont aidé à la constitution de cette nouvelle discipline, profession complètement ignorée, semble-t-il, de ces chercheurs.

            Le Colloque de janvier 1993 avait posé de bonnes questions de méthode pour aborder le nouveau sujet des images, alors que l’introduction ambiguë des Actes du Colloque cadrait déjà le sujet, en considérant comme des faits acquis, des postulats historiques déjà démontrés, le bain colonial, la multitude des imagesl’image, allié puissant du colonialisme, tout en écrivant, contradictoirement, que :

            « L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème  siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation reste à faire. é

             Et plus loin :

            « Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut  évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français. « 

            Ce qui n’est pas vrai, car il n’y a jamais eu d’évaluation de cette diffusion.

            La synthèse de la partie du colloque consacrée au thème Images et Messages était beaucoup plus nuancée et prudente, en abordant le problème des discours de la méthode :

            « Plusieurs intervenants ont rappelé, même sans insister outre mesure, le fait que l’iconographie coloniale ne représentait qu’une quantité modique, voire infime, de la production iconographique dans la France du XXème siècle. Daniel Rivet remarquait en introduction que les « grands hommes » de la colonisation passionnaient visiblement moins le grand public que les « grands hommes » tout court ! Quant à Laurent Gervereau, il signalait en conclusion que les affiches politiques sur la colonisation ne constituaient qu’un pourcentage minime du corpus global. Pour être iconoclastes, dans la mesure où elles amènent à nuancer l’idée d’une propagande massive et tous azimuts sur l’Afrique coloniale, ces affirmations ne doivent pas surprendre. En effet, elles rappellent que la recherche sur un point précis produit souvent un phénomène de loupe à l’issue duquel on peut être amené à exagérer l’importance relative du fait étudié. (C/55)

            D’un point de vue plus général, l’ensemble des intervenants a rappelé combien délicat est le décryptage iconographique.

            Ils déplorent l’absence d’une méthode éprouvée qui, pour le commentaire de texte, permette non seulement de décrire l’image mais encore de l’analyser. « (C/57)

            Et dans la synthèse des actes relatifs au thème Arts et Séductions, et à propos de la contribution de Gilles Boëstch, intitulée : La Mauresque aux seins nus : L’imaginaire érotique colonial dans la carte postale, Barbara  Boëm rappelait les observations de l’historien Debost, sur la méthode d’analyse des images, et notamment :

            « Je pense donc que le travail d’analyse sur cette fiction, le décodage des messages, ne peuvent se faire que si nous maîtrisons parfaitement l’histoire des systèmes de représentation, la sémantique, l’icologie (sic). » (C/58)

            Ces textes sont intéressants, mais ils suscitent naturellement beaucoup de questions.

            J’aurais souhaité, en ce qui me concerne, que les propos du Colloque aient été beaucoup plus iconoclastes, car ces bons conseils et ces saines mises en garde ne semblent pas avoir été beaucoup entendues par nos chercheurs : mesure des corpus, effet de loupe, interprétation des images. Appartient-il à un historien de se lancer dans l’interprétation des images ?

            L’exposition Négripub (1987)  a fait l’objet d’un commentaire savant, mais idéologiquement orienté,  alors que le corpus examiné était on ne peut plus réduit, par rapport au tirage enregistré à la BNF, à la même époque.        

            Le chapitre Affiches a permis de constater qu’il était possible de faire dire n’importe quoi à une affiche, notamment à propos de la fameuse affiche de publicité du parfum d’Yves Saint Laurent.

            Il faut donc ouvrir le chantier des images coloniales aux sémiologues, d’autant plus que beaucoup d’entre elles sont purement et simplement des images publicitaires, et non des images de propagande en tant que telles.

            Ou alors, il faut dire qu’une affiche  de chocolat, de rhum, ou de banane, est par nature une affiche de propagande coloniale.

            Le discours de ce collectif de chercheurs fait apparaître une grande ambiguïté dans l’analyse, sans qu’on sache si elle porte sur l’image ou sur le texte, sur une image de propagande ou sur une image publicitaire, sur une image de propagande ou sur une image artistique.

            La même difficulté a été notée dans l’interprétation des films dits coloniaux, d’autant plus grande, qu’en grande majorité, ils concernaient le Maghreb. Laisser croire que les films tournés au Maghreb, et surtout au Maroc, avec de nombreux réalisateurs étrangers sont des films coloniaux est une tromperie intellectuelle.

            Leur discours mémoriel n’apporte pas de réponses aux questions qui étaient posées dans le prologue sur les méthodes de lecture des images, et d’ailleurs parfaitement exposées dans certaines communications du Colloque de 1993.

            En ce qui concerne l’interprétation des images coloniales, aucun progrès n’a donc été enregistré, entre 1993 et 2003. Où sont donc passés les sémiologues ? Est-ce que nos chercheurs en connaissent l’existence ?

            Concrètement, les méthodes improvisées, mais orientées, de lecture et d’interprétation des images coloniales, risquent de déboucher sur une nouvelle querelle des images religieuses qui a connu de beaux jours sous l’Empire de Byzance, aux huitième et neuvième siècles, avec la lutte de l’Eglise contre les sectes iconoclastes, iconoclastes contre idolâtres.