« La Parole de la France ? » Regards sur l’Indochine de l’étranger et de France

« La Parole de la France ? »

VI

Regards sur l’Indochine : 1945-1954

De l’étranger et  de France

  Afin de connaître et comprendre la situation coloniale de l’Indochine entre 1945 et 1954, donnons la parole à des témoins, des mémorialistes, ou à des historiens, en distinguant la situation coloniale indochinoise vue par des étrangers (Kissinger, Graham Green, Nguyen Khac Vièn,  de celle vue par un Français, Pierre Brocheux .

A – Regards de l’étranger

A l’Ouest

     1- Le regard d’Henri Kissinger, ancien Secrétaire d’Etat des Etats-Unis : tout au long de la Seconde Guerre mondiale, le Président Roosevelt  marqua son hostilité, et fit en sorte que les anciennes puissances coloniales ne retrouvent pas leurs anciennes possessions, animé par l’ambition de laisser ces territoires prendre leur destin en mains.

       C’est la Guerre Froide, en 1947, et avec l’arrivée de Truman en 1945, qui vit les Etats-Unis  prendre un virage en Indochine, en s’engageant de plus en plus dans le soutien matériel et financier de la France dans sa guerre avec le Vietminh.

     Les témoignages recueillis montrent que, sur place, la politique américaine, avec ses représentants locaux, militaires ou diplomates, n’était pas toujours d’une grande clarté, pour ne pas dire loyale.

      Le roman de Graham Green, « Un américain bien tranquille » en décrit bien le contexte, avec les initiatives d’un agent américain de renseignements qui tente de favoriser la naissance d’une Troisième Force, un rêve que caressa aussi l’armée française en Algérie, et qui n’a pas eu plus de succès.

       A lire ce roman, dont nous publions quelques extraits, on comprend rapidement qu’il y  avait un tel entrecroisement d’intérêts, d’ambitions, de double, triple, ou quadruple jeu des partenaires et adversaires, entre Colons français, vietnamiens ou viets de Cochinchine

Tout d’abord, des extraits des mémoires d’Henri Kissinger qui éclairent la position des Etats-Unis sur la guerre d’Indochine :

Viet Nam, France et Etats-Unis

« Diplomatie » Henry Kissinger

Le gros livre d’Henry Kissinger, qui occupa pendant des années des postes très importants auprès des Présidents des Etats Unis, fournit tout un ensemble de clés historiques qui permettent  de mieux comprendre la position des Etats-Unis à l’égard du conflit indochinois : Chapitre 25, « Le Viêt-Nam : l’entrée dans le bourbier Truman et Eisenhower » (page 559)

            Nous vous proposons de citer les quelques passages qui illustrent clairement les enjeux de la position américaine.

            A l’arrière- plan diplomatique et politique de ce dossier sont apparus rapidement plusieurs facteurs déterminants de l’évolution de ces relations :

            A partir de 1947, la guerre froide, en 1949, la victoire de Mao Tsé Tung en Chine, en 195O, la guerre de Corée et le refus américain  ultérieur de s’engager dans une nouvelle guerre de Corée, alors qu’elle fut une sorte de répétition de la guerre du Vietnam à partir des années 1950, la théorie des dominos : d’après laquelle il ne fallait pas laisser tomber le premier domino du Vietnam, … les menaces et les interventions de l’URSS et de la Chine… et l’hypothèque coloniale ou néocoloniale de la France, toujours présente en Indochine…

            « Tout commença avec les meilleures intentions du monde. Pendant les vingt années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, l’Amérique avait pris la tête de la construction d’un nouvel ordre international à partir des fragments d’un monde en ruine. Elle avait relevé l’Europe et remis sur pied le Japon, fait barrage à l’expansionnisme du communisme en Grèce, en Turquie, à Berlin et en Corée, adhéré à ses premières alliances de temps de paix et lancé un programme d’assistance technique au monde en développement. Sous la parapluie américain, les pays connaissaient la paix, la prospérité, et la stabilité.

            En Indochine, cependant, tous les modèles antérieurs d’engagement américain à l’étranger volèrent en éclat. Pour la première fois au XX° siècle, le souci que l’Amérique avait toujours eu de mettre en correspondance ses valeurs et actes fut mis en doute. Et l’application trop universelle de leurs valeurs oblige les américains à remettre peu à peu celles-ci en question, et à se demander d’abord pourquoi elles les avaient conduites au Vietnam. Un abîme se creusa entre leurs croyances en la nature exceptionnelle de leur nation et les ambiguïtés et les compromis propres à la géopolitique de l’endiguement du communisme. Dans le creuset du Vietnam, l’exception américaine  se retourna contre elle-même. La société américaine ne débattit pas, comme d’autres l’auraient fait, des défauts concrets de sa politique : elle s’interrogea sur le bien-fondé, pour l’Amérique, d’endosser n’importe quel ordre international. C’est cette dimension du débat vietnamien qui causa des blessures si douloureuses et si difficiles à guérir. » (p,560)

            En 1950, le Conseil national de sécurité :

      « …En  février 1950, quatre mois avant le début du conflit coréen, le document 64 du Conseil national de sécurité était parvenu à la conclusion que l’Indochine représentait « une région décisive de l’Asie du Sud-Est et directement menacée. » Le mémorandum donnait une première version de la « théorie des dominos », selon laquelle, si l’Indochine tombait, la Birmanie et la Thaïlande suivraient sous peu et « l’équilibre de l’Asie du Sud-Est se trouverait alors gravement compromis. » (p,562)

      « La menace, en fait, n’était pas partout la même. En Europe elle émanait principalement de la superpuissance soviétique. En Asie, les intérêts américains se voyaient menacés par des puissances secondaires qui étaient, au mieux, des substituts de l’Union  soviétique, et sur lesquelles Moscou exerçait une autorité douteuse – ou qui apparaissait comme telle. En réalité, à mesure que la guerre du Vietnam évoluait, l’Amérique finit par combattre le substitut d’un substitut, chacun se méfiant profondément de celui qui le coiffait. Aux termes de l’analyse américaine, l’équilibre mondial était attaqué par le Viet-Nam du Nord, qu’on estimait inféodé à Pékin, lui-même jugé contrôlé par Moscou. En Europe, l’Amérique défendait des Etats historiques ; en Indochine, elle traitait avec des populations qui s’efforçaient pour la première fois de construire des Etats. Les nations européennes étaient riches de traditions séculaires qui déterminaient leur coopération à la défense de l’équilibre des forces. En Asie du Sud-Est, les pays commençaient tout juste à s’organiser, l’équilibre des forces était un concept étranger, et on ne relevait aucun précédent de coopération parmi les Etats existants. » (p,563)

      « L’entrée de l’Amérique en Indochine introduisit une problématique morale entièrement nouvelle. L’OTAN défendait les démocraties ; l’occupation américaine au Japon avait importé des institutions démocratiques dans ce pays ; on avait fait la guerre de Corée pour riposter à une attaque contre l’indépendance de petites nations. En Indochine, cependant, le dossier de l’endiguement commença par être présenté en des termes presqu’entièrement géopolitiques, d’où la difficulté de justifier le point de vue de l’idéologie américaine de l’époque, ne serait-ce que parce que la défense de l’Indochine se heurtait de front à la tradition américaine d’anticolonialisme. Colonies françaises, les Etats d’Indochine n’étaient pas  des démocraties, ni même indépendants. Bien que la France ait transformé, en 1950, ses trois colonies du Viêt-Nam, du Laos, et du Cambodge, en « Etats associés de l’Union Française », cette nouvelle étiquette restait très éloignée de l’indépendance ; la France craignait en effet, en leur accordant la pleine souveraineté, d’avoir à en faire autant pour ses trois possessions d’Afrique du Nord : la Tunisie, l’Algérie et le Maroc… » (p,564)

     « La politique de Washington en 1950 préfigurait en fait les formes que prendrait son engagement futur dans la région : suffisamment important pour l’impliquer, pas assez pour se révéler décisif. Dans les années 1950, son attitude s’expliquait surtout par son ignorance de la situation, par la quasi-impossibilité dans laquelle se trouvait l’Amérique de mener des opérations à travers deux hiérarchies coloniales françaises, du fait aussi de la liberté d’action dont jouissaient les autorités locales des « Etats associés du Viêt- nam, du Laos et du Cambodge… » (p,564)

   La maison Blanche était en présence d’un dilemme insoluble, la volonté de donner l’indépendance à l’Indochine en même temps que le refus de s’y substituer à la France.

     « Au moment où Truman s’apprêtait à entrer à la Maison Blanche, cette dérobade constituait le cœur de la politique officielle. En 1952, un document du conseil national de sécurité homologuait la « théorie des dominos » et la généralisait. Voyant dans une attaque militaire contre l’Indochine un danger « inhérent à l’existence d’une Chine communiste hostile et belliqueuse », il posait que la perte d’un seul pays de l’Asie du Sud-Est entraînerait « la soumission des autres au communisme ou leur alignement à relativement brève échéance…» p,565)

    « Après cette analyse de la catastrophe en puissance qu’on estimait couver en Indochine, on proposait une médication sans proportion avec la gravité du problème – et qui dans le cas présent, ne résolvait rien du tout. Car l’impasse coréenne avait annihilé – au moins pour un temps – toute volonté de la part de l’Amérique de mener une autre guerre terrestre en Asie… » (p,565)

      « Truman légua à son successeur, Dwight D. Eisenhower, un programme d’assistance militaire annuel à l’Indochine d’environ deux cents millions de dollars (soit un peu plus d’un milliard de dollars 1993) et une stratégie en quête de politique… » (p,567)

     « En juillet (1953), Eisenhower se plaignit au sénateur Ralph Flanders que l’engagement du gouvernement français à l’égard de l’indépendance s’exprimait de façon « obscure et détournée et non hardie, directe et répétée ».

      Pour la France, le problème était tout autre. Ses forces s’enlisaient dans une guérilla exaspérante, dont elles n’avaient pas la moindre expérience. Dans une guerre conventionnelle comptant des lignes de front précises, une puissance de feu supérieure a généralement le dernier mot. En revanche, une guérilla ne se fait pas habituellement depuis des positions fixes, et les partisans se cachent au sein de la population…

  Ni l’armée française, ni l’armée américaine qui lui succéda dix ans plus tard ne surent s’adapter à la guerre des partisans. L’une comme l’autre firent le seul type de guerre qu’elles comprenaient et pour lequel on les avait formées et équipées, une  guerre conventionnelle classique, reposant sur des lignes de front clairement tracées… » (p,568)

     « Les Français avaient grandement sous-estimé l’endurance et l’ingéniosité de leurs adversaires – comme le feraient les Américains dix ans plus tard. Le 13 mars 1954, les Nord-Vietnamiens lancèrent une attaque générale sur Dien Bien Phu et s’emparèrent dès le premier assaut, de deux forts périphériques censés tenir les collines. Ils utilisèrent pour ce faire un matériel d’artillerie dont on ne les savait même pas possesseurs, et qui avait été fourni par la Chine au lendemain de la guerre de Corée. Désormais, l’anéantissement du reste de la force française n’était plus qu’une question de temps… » (p,568)

      « La sage décision d’Eisenhower de pas se laisser entrainer au Viêt-nam en 1954 ne relevait pas de la stratégie mais de la tactique. Après Genève, Dulles et lui restèrent convaincus de l’importance stratégique décisive de l’Indochine. Tandis que celle-ci réglait ses problèmes, Dulles mettait une dernière main au cadre de la sécurité collective, qui avait paru faiblir au début de l’année. L’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE), qui vit le jour en septembre 1954, regroupait en plus des Etats-Unis, le Pakistan, les Philippines, la Thaïlande, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Royaume Uni et la France. Il lui manquait toutefois un objectif politique commun ou un moyen d’assistance mutuelle… » (p,574)

     Après Eisenhower, Kennedy :

     « La théorie des dominos était devenue la philosophie du temps et elle fut bien peu contestée…

     En choisissant d’arrêter au Viêt-Nam l’expansionnisme soviétique, l’Amérique se condamnait à affronter un jour ou l’autre de graves questions. Si la victoire sur les guérilleros passait par une réforme politique, leur puissance grandissante signifiait que l’on n’appliquait pas correctement les recommandations américaines, ou que ces recommandations étaient tout bonnement périmées à ce stade de la lutte ?… (p,579)

     L’ensemble des citations choisies dans l’ouvrage d’Henri Kissinger (1994) éclairent bien le contexte stratégique et politique des relations entre les Etats-Unis et la France à l’époque de la guerre d’Indochine.

       Les Etats-Unis en Indochine avec Graham Green et son roman « Un Américain bien tranquille » 

Humeur Tique: Les écarts de langage diplomatique de la France d’un ministre des Outre-mer à Caracas et d’un ambassadeur à Madagascar!

   A Caracas, un ministre de la République Française tient un discours de louanges mal à propos à l’endroit de celui, qui même décédé, fut bien un dictateur ! La Guadeloupe va donc demander son intégration au Venezuela, en qualité d’un nouvel  Outre-Mer d’Amérique du Sud ?

            A Madagascar, un ambassadeur de la même République Française, se croit autorisé à commenter publiquement le processus électoral qui va permettre à ce pays de renouer avec la démocratie, et à donner le satisfecit  de la France au processus ainsi engagé.

            Une fois de plus, la France fait de l’ingérence !

            Au crédit toutefois de l’ambassadeur, un tel écart de langage diplomatique est mis au service  d’un retour à la démocratie après une période de « dictature au petit pied ».

            Décidément, la France a beaucoup de peine à abandonner ses mauvaises habitudes d’ancienne puissance coloniale !

Choix diplomatiques en cas d’alternance? Une diplomatie française d’Epictète ou non?

« Les choix diplomatiques d’un Président »

De Pascal Boniface dans La Croix du 22 février 2012, page 27 « Autrement dit »

« Que signifie l’alternance pour la politique étrangère française ? Inventons une autre diplomatie pour faire face à un monde changeant »

Le Monde du 1er mars 2012 Décryptages Débats, page 20

&

Une diplomatie française d’Epictète ou non ?

Une sagesse de 2000 ans, toujours d’actualité !

            Deux textes intéressants, publiés par deux journaux, La Croix et Le Monde, mais des textes qui suscitent beaucoup de questions de la part d’un lecteur qui attache beaucoup d’importance à la politique étrangère de la France.

            Curieusement, et tout d’abord, la nette impression,

– que le contenu du premier article personnalise, je serais tenté de dire à outrance, le débat engagé sur ce thème important, une sorte de jugement politique du Président sortant, alors que le débat ouvert dépasse largement la question des personnes.

–    et que celui du deuxième situe effectivement sa réflexion dans le champ de l’alternance politique, pourquoi pas ? mais les enjeux de ce débat  paraissent dépasser largement les deux champs de réflexion ainsi fixés.

            M.Boniface propose de distinguer plusieurs problèmes. « Le premier consiste à différencier les évolutions sur lesquelles il n’y a pas de prise de celles sur lesquelles un choix peut et doit être fait »

            L’auteur parait avoir oublié d’énoncer les autres problèmes, alors que l’allusion à la célèbre phrase d’Epictète : « ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous » aurait été effectivement un bon chemin pour poser la problématique de la politique étrangère de la France.

Il ne lui apparait pas qu’une véritable  divergence de fond ait véritablement séparé la ligne qu’il qualifie l’une de « gaullo-mitterandisme », de l’autre, « mettant l’accent sur la centralité du rôle de l’Otan ».

M.Laïdi parait proposer une démarche plus réaliste, fidèle à la pensée d’Epictète, en distinguant plusieurs cercles de notre action diplomatique, l’Europe, l’Atlantique, et la Méditerranée, mais quid des autres cercles ?

A mes yeux, le sage principe d’Epictète n’a jamais véritablement inspiré notre politique étrangère, ce qui s’exprimerait clairement dans la formule « une politique étrangère adaptée à nos moyens, c’est-à-dire à ceux d’une puissance moyenne. »

Et là, devrait être la rupture, sans se payer de mots, et sans faire croire que de nos jours la France exerce une souveraineté sans limite, alors que qu’elle la partage de plus en plus, en Europe d’abord, et dans le monde.

Cessons enfin de faire l’autruche ! Nous ne sommes plus au 17°,18°, 19°  siècles, et même, au début du 20° siècle ! Richelieu, Louis XIV, Napoléon, la 3ème République dans ses débuts, tout cela c’est le passé.

Choisissons des objectifs qui soient à notre portée, en Europe ou en Méditerranée, dans l’Atlantique, et dans le vaste monde, soit des actions propres lorsque nous en avons les moyens, et elles ne seront pas nombreuses, soit des actions communes quand nous ne les avons pas, et c’est la règle générale.

Pour le reste, contentons- nous de mener des actions indirectes, servies soit  1) par le fait que nous avons encore un rôle d’intermédiaire expérimenté, de « go between » selon l’expression anglaise, car notre puissance ne gêne plus beaucoup de monde,  2) ou encore, par un prestige culturel, peut-être, miraculeusement préservé.

En politique étrangère, il ne peut y avoir véritablement de rupture, sauf en cas de crise, mais ce qui manque à notre pays c’est une rupture dans nos ambitions et nos anciens rêves de grandeur.

Jean Pierre Renaud

La politique étrangère de la France: réflexions d’un citoyen

Réflexions d’un citoyen sur la politique étrangère de la France

L’actualité arabe met le projecteur sur la politique étrangère de la France, et il est bien dommage que les citoyens français, directement, ou par la voix de leurs représentants à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, n’aient jamais l’occasion de débattre de ces sujets, et de donner leur avis.

Chacun sait en effet qu’elle est le plus souvent entre les mains de hauts fonctionnaires, en poste à l’Elysée, plus ou moins talentueux, et à mon humble avis, trop souvent, ignorants de l’histoire des relations entre la métropole et ce qu’il était convenu d’appeler « l’empire français »

Première réflexion donc, relative au fonctionnement des pouvoirs de la Cinquième République actuelle : qui décide ? Qui porte la parole de la France ? Le Conseiller spécial du président lorsqu’il signe une tribune dans le Monde ?  Le Secrétaire Général de l’Elysée lorsqu’il donne ses instructions? L’ambassadeur de France à Madagascar lorsqu’il prit la parole, au mois de décembre, pour accréditer le discours d’un président d’une haute autorité provisoire, toujours provisoire depuis plus de deux ans, laquelle a accédé au pouvoir grâce à un coup d’Etat ?

A Madagascar, est-ce que la voix de la France n’aurait pas été plutôt, et clairement, celle de la condamnation du coup d’Etat et de son engagement déterminé en faveur d’un retour au fonctionnement normal des institutions, à la suite d’élections libres organisées sous le contrôle international, en plein accord avec les puissances régionales d’Afrique ?

Quelle image de la démocratie de notre pays donne-t-il ainsi à la jeunesse de ce pays en cautionnant un coup d’Etat, et en entretenant un rôle très ambigu de la France dans le processus actuel de retour à la « démocratie » malgache ? Mais il est vrai que la plupart des Français ne savent pas grand-chose sur Madagascar, pour autant d’ailleurs qu’ils sachent même situer la grande île sur la carte !

Deuxième réflexion de la part d’un citoyen qui dispose d’une assez bonne connaissance de notre histoire coloniale, relative au fonctionnement institutionnel de la Cinquième République très semblable à celui de la Troisième République.

En partant à la conquête de la terre entière, Jules Ferry et sa petite équipe de « colonialistes » ont incontestablement ouvert la voie pérenne des méthodes de travail de la petite équipe de notre belle Françafrique, dans le silence, la manipulation, et pourquoi ne pas le dire, dans la corruption et le mélange des genres !

Seule différence, et elle est capitale, la Chambre des Députés se saisissait alors du sujet, consacrait des séances entières au Soudan, au Tonkin, ou à Madagascar, alors qu’à ma connaissance la politique étrangère de la France dans ces anciens territoires français n’est jamais évoquée  et encore moins débattue à l’Assemblée.

Est-il nécessaire de rappeler que le gouvernement de Jules Ferry est tombé sur les affaires du Tonkin ?

Que les personnes les mieux informées nous disent quand la position de la France en Côte d’Ivoire ou à Madagascar a été l’objet de questions et de débats à l’Assemblée ? Quand l’Assemblée Nationale a-t-elle approuvé la politique de la France dans ces deux anciennes colonies ?

Et c’est là qu’est le fond du problème, étant donné que la politique étrangère de la France n’est jamais sérieusement débattue et approuvée par la représentation nationale.

Et donc en parallèle, et impunément, de grands notables français, politiques, économiques, ou universitaires, avec le concours de je ne sais quelles officines, mènent on ne sait jamais quelles missions, et au service de qui et de quoi !

Troisième réflexion, liée au débat ouvert par la tribune du groupe de diplomates « Marly », celle du positionnement de la diplomatie française dans le monde. La France n’a plus les moyens d’une grande puissance, et combien de fois faudra-t-il le répéter !

Pourquoi ne pas dire que cette diplomatie souffre des mêmes défauts qu’une certaine politique française en général, celle d’avoir des ambitions qui, depuis longtemps, ne sont plus à la portée de notre pays ? Pourquoi ne pas oser dire que notre réseau d’ambassades est surdimensionné, même si en définitive son coût global n’est pas exagéré, car il faut faire des choix : comment ne pas se poser la question de la compatibilité de ce réseau avec celui que l’Europe met en place actuellement ? Afin de résumer ma pensée, j’userais volontiers d’une maxime bien connue des temps passés, en Franche Comté, dans un langage beaucoup plus vert !

Le grand journal Le Monde n’aurait-il pas, par hasard, le même type de problème, celui de la réadaptation de son réseau mondial à ses moyens ?

Quatrième réflexion, corrélative de la précédente : est-ce que la France a su trouver les moyens d’adapter le métier d’ambassadeur à la révolution internet, à l’explosion mondiale des communications et des médias, révolutions de nature à bouleverser l’exercice du métier ?

Et la même réflexion pourrait sans doute être faite pour les métiers de souveraineté, préfectorale et justice y compris.

Cinquième réflexion, celle de l’indépendance de notre politique étrangère à l’égard de notre ami puissant, les Etats Unis, pour autant que cette indépendance puisse de toute façon exister. Il est évident, et le fait a été souligné, que le retour de la France dans l’OTAN a limité les marges de liberté que le pays pouvait avoir auparavant, mais sans en exagérer toutefois les possibilités réelles.

Sixième réflexion, un excellent spécialiste du monde arabe, M.Laurens a eu l’occasion d’exprimer une opinion tout à fait intéressante à l’émission animée par M.Elkabach à la bibliothèque Médicis, le 26 février, une opinion susceptible de consoler beaucoup d’observateurs : la diplomatie française a été, comme toutes autres, aveugle sur les événements qui allaient agiter le monde arabe, et c’est tant mieux, car au moins, ces pays ne pourront pas accuser les occidentaux d’avoir allumé les incendies démocratiques de Tunisie, d’Egypte, et d’ailleurs.

M. Elkabach avait organisé un débat très intéressant, original, parce que transversal entre un écrivain égyptien célèbre, M.Khaled Al Khamissi, le ministre actuel des Affaires étrangères d’Algérie, M. Mourad Medelci, et le professeur Laurens, spécialiste reconnu du monde arabe, dont l’objet était le devenir des révolutions arabes en cours, avec le rôle majeur de la jeunesse de tous ces pays, incontestablement une des clés de leur évolution.

Avec, en finale, le constat du tout est possible !

Comment ne pas terminer ces réflexions en regrettant que l’ambassadeur de France en Tunisie n’ait pas été rappelé illico presto dans son pays?

La France n’a pas fini de payer son verbe imprudent et impudent, comme elle a mis longtemps à payer auprès de la Chine la perte de « face » que le Préfet de Police lui a infligée à l’occasion du passage de la flamme olympique à Paris !

Jean Pierre Renaud