Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 4 – Les Affiches

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Les Affiches et la Publicité

         De belles affiches oui ! Mais combien, avec quel tirage et quel affichage selon les années ?

         Mes enquêtes (entre autres à la BNF) démontrent que le corpus examiné et considéré comme source historique quantitative et qualitative représentative, ne l’est pas.

         Vaste sujet ! Dont les éléments ont fait l’objet d’une grande évolution entre 1880 et 1945, puis d’une véritable révolution, après la deuxième guerre mondiale, avec la prolifération des photos et des images télévisées.

          Inutile donc de préciser qu’avant toute appréciation sur l’importance de la publicité comme vecteur d’une propagande coloniale, les chercheurs devraient tout d’abord quantifier l’évolution de ces supports : combien d’affiches éditées en 1900 ou en 1930, quel  a été leur tirage, leur affichage en termes de panneaux… ? et tenter de mesurer leur influence par rapport aux autres vecteurs d’information.

       Outre le fait qu’il parait difficile d’interpréter une affiche, la rhétorique utilisée dans ses signifiés et ses signifiants, comme le précisent les sémiologues, les messages adressés, en descendant tout simplement d’une chaire d’histoire quand il y en a une … ?

     Ce grand flou méthodologique leur permet d’avancer les hypothèses historiques les plus audacieuses, pour ne pas dire les plus sottes…

        Est-il possible de défendre l’idée d’après laquelle la publicité commerciale a été un  des facteurs de la constitution d’une culture coloniale française, aux côtés des livres scolaires, des journaux, des expositions et des cartes postales coloniales, et du cinéma lui-même ? Et si oui, à partir de quelles preuves et de quelle démonstration de statistique historique ? 

            Dans le livre Culture Coloniale, une historienne écrit :

          « Le discours fut véhiculé par des médias touchant des millions d’individus, permettant de répandre et d’enraciner le mythe d’une colonisation « bienfaisante et bienfaitrice », et surtout légitime, dans l’inconscient collectif. » (CC, p,143)

        J’ai souligné quelques mots importants.

        Les sources 

        Le Colloque de janvier 1993 :

         Deux communications y furent faites, l’une sous le titre « Africains et colonisation dans l’affiche politique française » (C,p,61), par le conservateur Gervereau, la deuxième par l’historien Debost, sous le titre « La publicité lave plus blanc » C,p,97), historien qui avait été associé à la préparation de l’exposition Négripub de 1987, à la bibliothèque Forney.

        Le conservateur Gervereau faisait observer qu’avant 1914, l’affichage politique était totalement textuel, et que pour la période postérieure : « L’Afrique demeure ainsi, dans l’ensemble, un thème marginal dans l’affichage politique hexagonal. »(C,p,66)

       Dont acte !

      L’historien Debost évoquait la gigantesque campagne publicitaire du projet colonial (C,p,97), mais il est précisé en note 2, à la même page, et cette note est capitale pour la suite de l’examen :

     « Toutes les affiches présentées dans cette communication peuvent se retrouver dans l’ouvrage qui vient d’être publié « Négripub, l’image des Noirs dans la publicité » ou dans le catalogue de l’exposition édité en 1987. »

          Afin d’examiner sérieusement si la thèse défendue tenait la route historique, je me suis rendu à la BDIC de Nanterre, à la BNF, et je me suis procuré le catalogue de l’exposition Négripub de 1987, et les résultats de mon enquête contredisent la thèse défendue par ce collectif de chercheurs.

       A la BNF, aucune statistique n’est disponible. Ni inventaire, ni recensement, et la matière est difficile, compte tenu de la très grande diversité des images déposées, et de la grande incertitude qui pèse sur la fiabilité des dépôts par les éditeurs.

       Toujours est-il que nous avons procédé à un pointage des cahiers d’enregistrement du dépôt légal, cahiers microfilmés, pour un certain nombre d’années  de référence, en mettant en regard le nombre d’affiches de Négripub et celui des microfilms du dépôt légal.

      En voici les résultats :

      Année – Négripub- BNF          Année – Négripub –  BNF

     1900           0                8            1930             3             1242

     1910           6               55            1931            5               573

     1925           6             101            1938            0               721  

     Quant à l’interprétation des affiches, je laisse le soin aux lecteurs intéressés de se reporter aux quelques pages que je lui ai consacrée dans mon livre, une interprétation qui laisse loin derrière elle toute appréciation historique et sémiologique de son sujet.

         Nombreux furent les participants à ce Colloque savant de 1993 qui posèrent d’ailleurs la question de l’interprétation historique des images.

(Chap VI Affiches, pages 145 à 168, Sup Col)

JPR  – TDR

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale? (4)

& Histoire ou Mémoire, Repentance ou Révisionnisme

        Ce débat est sans doute étranger à un grand nombre de Français, qui ne comprennent pas que la repentance fascine, comme à l’habitude une minorité d’intellectuels, toujours enclins à flatter le masochisme de nos échecs nationaux.

        Il nous faut tout d’abord rappeler les définitions que le Petit Robert propose pour les deux concepts d’histoire et de mémoire :

            – Histoire, une relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (groupe ou activité) qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire.

            Donc toute l’ambiguïté attachée à la dignité de, donc aux disciplines intellectuelles capables de lui donner des garanties d’objectivité. Mais il ne faut pas être historien pour savoir que l’histoire n’est pas une science exacte et qu’elle est soumise à des modes, à des courants de pensée, situation qui n’autorise toutefois pas à écrire n’importe quoi.

            – Mémoire, la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passée et ce qui s’y trouve associé, faculté collective de se souvenir.

            Or le discours de ce collectif de chercheurs part continuellement à l’assaut de l’histoire et de la mémoire, et s’inscrit dans ce qu’on appelle communément la nouvelle guerre des mémoires. Et à cet égard le livre La République coloniale (Blanchard, Bancel, Vergès) est incontestablement le plus provocateur, le plus outrancier dans le verbe et dans la pensée, pour ne pas utiliser un adjectif plus fort. Le livre suivant La Fracture coloniale ne fait pas mal non plus dans le genre.

            Dans le premier ouvrage, les auteurs nous proposent tout simplement de déconstruire le récit de la république coloniale (RC/V), de déconstruire les fondements de son imaginaire (RC/160), et comment construire une mémoire (RC/140). Notons que dans leur conclusion du Colloque, les deux historiens Debost et Manceron avaient ouvert la voie, en écrivant :

            « La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier « .(C/148)

            Affirmation bien gratuite compte tenu du défaut d’analyse de ce fameux imaginaire colonial, alors et encore aujourd’hui ! Ce collectif a manifesté son incapacité à en démontrer l’existence au temps des colonies et à notre époque.

            Le livre La Fracture coloniale s’inscrit dans la même ligne, « projet inédit de décoloniser les esprits (FC/200), il faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour tenter de les déconstruire. (FC/219), comment décoloniser les imaginaires ? « .(FC/237)

            « Une politique  de la mémoire, redisons-le, devrait s’attacher à déconstruire les deux versants de ces perceptions, à savoir une strate que l’on pourrait qualifier d’  « immédiate » et l’autre de « profonde » « (FC/289)

               Vous avez-bien lu? « une politique de la mémoire »!

            Et dans le registre de ces citations et pour en égayer un peu la liste, un auteur n’hésite pas à écrire : « Mais il y a bien des Français pas comme les autres qui analysent le regard dépréciateur, le déni de droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. ‘ »(FC/200)

            Pourquoi ne pas rappeler que dans une controverse récente sur la repentance, entre deux historiens chevronnés, Mme Coquery-Vidrovitch et M.Lefeuvre, la première a défendu l’historien Blanchard en le qualifiant précisément d’historien entrepreneur ?

            Ce qui revient à reconnaître aujourd’hui le rôle du marché, de la concurrence, de l’argent et du profit dans  les travaux de recherche historique et mémorielle !

            Je dois reconnaître que le concept d’historien entrepreneur dérange, même quand, sur les pas de Paul Valéry, dans le texte que nous avons proposé au début de cet ouvrage, notre regard sur l’histoire reste lucide et notre esprit en éveil.

            Mais dans le cas présent de ce collectif de chercheurs, l’histoire devient encore plus problématique, puisqu’elle est faite d’affabulation historique.

            Comment alors ne pas accuser ces historiens entrepreneurs de poser, innocemment ou non, des bombes idéologiques construites de toutes piècesau sein de la société française, au risque de faire exploser un pacte républicain fragile.

            Au risque d’engager ou d’entretenir un processus d’autoréalisation de ces fantasmes de la mémoire. La conclusion de l’introduction des Actes du Colloque de 1993, consacrés au thème « Arts et Séductions » annonçait déjà la couleur, en rappelant les propos de l’historien Debost (Négripub), dont nous avons croisé la route à plusieurs reprises :

            « Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient sensées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent nos référents, ni ceux de nos parents.  » (C/91)

            Grâce à l’exposition, le fantasme colonial deviendra donc réalité, au même titre qu’on peut craindre que le discours mémoriel de ces chercheurs ne devienne réalité dans les banlieues.        

            Et avec de telles méthodes de diagnostic et de soins, on peut craindre, qu’à l’exemple des médecins de Molière, ils ne fassent crever le malade.

            Quant à la repentance, comment ne pas inviter ses promoteurs et défenseurs à méditer sur le sort des filles repenties de l’ancien régime, lesquelles trouvaient quelquefois le secours de refuges religieux ?

            Dans un tel contexte, repentance ou non, révisionnisme ou non, de tels mots n’ont guère de sens, sauf à nous faire revenir dans les temps de l’histoire chrétienne ou totalitaire, du monde communiste en particulier.

            Mais il faut garder la République française à l’abri de ces discours mémoriels qui propagent tout simplement leur supercherie, au risque effectivement de voir cette supercherie s’autoréaliser en mythe explosif.

            Au fur et à mesure de ces lectures rébarbatives, je me suis souvent demandé quel pouvait être le but de ces chercheurs. Erreurs de jeunesse ? Mais ils ne sont plus à l’âge de la puberté ou de la nubilité ! Vertige d’une médiatisation surprenante et réussie, grâce à l’exploitation du filon méconnu de beaucoup d’images coloniales, souvent belles ? Ou dénigrement conscient ou inconscient de la France, au risque, par leurs travaux mal fondés, de porter atteinte à l’unité de la République, et donc de fournir des arguments pseudo-scientifiques aux revendications des partisans de la disparition de la France

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale?

 Conclusions (2)

    &  

Les images coloniales

            Presque tout dit, pas complètement en effetparce que l’image coloniale est entrée en scène au Colloque de janvier 1993, auquel l’historien Ageron participait d’ailleurs. L’image, avec toutes les questions de méthodologie qu’elle soulevait, parallèlement à celles des textes, avec la spécificité de son interprétation, domaine de prédilection des sémiologues, lesquels dans le sillage de Barthes, ont aidé à la constitution de cette nouvelle discipline, profession complètement ignorée, semble-t-il, de ces chercheurs.

            Le Colloque de janvier 1993 avait posé de bonnes questions de méthode pour aborder le nouveau sujet des images, alors que l’introduction ambiguë des Actes du Colloque cadrait déjà le sujet, en considérant comme des faits acquis, des postulats historiques déjà démontrés, le bain colonial, la multitude des imagesl’image, allié puissant du colonialisme, tout en écrivant, contradictoirement, que :

            « L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème  siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation reste à faire. é

             Et plus loin :

            « Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut  évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français. « 

            Ce qui n’est pas vrai, car il n’y a jamais eu d’évaluation de cette diffusion.

            La synthèse de la partie du colloque consacrée au thème Images et Messages était beaucoup plus nuancée et prudente, en abordant le problème des discours de la méthode :

            « Plusieurs intervenants ont rappelé, même sans insister outre mesure, le fait que l’iconographie coloniale ne représentait qu’une quantité modique, voire infime, de la production iconographique dans la France du XXème siècle. Daniel Rivet remarquait en introduction que les « grands hommes » de la colonisation passionnaient visiblement moins le grand public que les « grands hommes » tout court ! Quant à Laurent Gervereau, il signalait en conclusion que les affiches politiques sur la colonisation ne constituaient qu’un pourcentage minime du corpus global. Pour être iconoclastes, dans la mesure où elles amènent à nuancer l’idée d’une propagande massive et tous azimuts sur l’Afrique coloniale, ces affirmations ne doivent pas surprendre. En effet, elles rappellent que la recherche sur un point précis produit souvent un phénomène de loupe à l’issue duquel on peut être amené à exagérer l’importance relative du fait étudié. (C/55)

            D’un point de vue plus général, l’ensemble des intervenants a rappelé combien délicat est le décryptage iconographique.

            Ils déplorent l’absence d’une méthode éprouvée qui, pour le commentaire de texte, permette non seulement de décrire l’image mais encore de l’analyser. « (C/57)

            Et dans la synthèse des actes relatifs au thème Arts et Séductions, et à propos de la contribution de Gilles Boëstch, intitulée : La Mauresque aux seins nus : L’imaginaire érotique colonial dans la carte postale, Barbara  Boëm rappelait les observations de l’historien Debost, sur la méthode d’analyse des images, et notamment :

            « Je pense donc que le travail d’analyse sur cette fiction, le décodage des messages, ne peuvent se faire que si nous maîtrisons parfaitement l’histoire des systèmes de représentation, la sémantique, l’icologie (sic). » (C/58)

            Ces textes sont intéressants, mais ils suscitent naturellement beaucoup de questions.

            J’aurais souhaité, en ce qui me concerne, que les propos du Colloque aient été beaucoup plus iconoclastes, car ces bons conseils et ces saines mises en garde ne semblent pas avoir été beaucoup entendues par nos chercheurs : mesure des corpus, effet de loupe, interprétation des images. Appartient-il à un historien de se lancer dans l’interprétation des images ?

            L’exposition Négripub (1987)  a fait l’objet d’un commentaire savant, mais idéologiquement orienté,  alors que le corpus examiné était on ne peut plus réduit, par rapport au tirage enregistré à la BNF, à la même époque.        

            Le chapitre Affiches a permis de constater qu’il était possible de faire dire n’importe quoi à une affiche, notamment à propos de la fameuse affiche de publicité du parfum d’Yves Saint Laurent.

            Il faut donc ouvrir le chantier des images coloniales aux sémiologues, d’autant plus que beaucoup d’entre elles sont purement et simplement des images publicitaires, et non des images de propagande en tant que telles.

            Ou alors, il faut dire qu’une affiche  de chocolat, de rhum, ou de banane, est par nature une affiche de propagande coloniale.

            Le discours de ce collectif de chercheurs fait apparaître une grande ambiguïté dans l’analyse, sans qu’on sache si elle porte sur l’image ou sur le texte, sur une image de propagande ou sur une image publicitaire, sur une image de propagande ou sur une image artistique.

            La même difficulté a été notée dans l’interprétation des films dits coloniaux, d’autant plus grande, qu’en grande majorité, ils concernaient le Maghreb. Laisser croire que les films tournés au Maghreb, et surtout au Maroc, avec de nombreux réalisateurs étrangers sont des films coloniaux est une tromperie intellectuelle.

            Leur discours mémoriel n’apporte pas de réponses aux questions qui étaient posées dans le prologue sur les méthodes de lecture des images, et d’ailleurs parfaitement exposées dans certaines communications du Colloque de 1993.

            En ce qui concerne l’interprétation des images coloniales, aucun progrès n’a donc été enregistré, entre 1993 et 2003. Où sont donc passés les sémiologues ? Est-ce que nos chercheurs en connaissent l’existence ?

            Concrètement, les méthodes improvisées, mais orientées, de lecture et d’interprétation des images coloniales, risquent de déboucher sur une nouvelle querelle des images religieuses qui a connu de beaux jours sous l’Empire de Byzance, aux huitième et neuvième siècles, avec la lutte de l’Eglise contre les sectes iconoclastes, iconoclastes contre idolâtres.