EURO 2016! Foot ou foot-aise anthropologique?

Euro 2016 ! Foot ou foot-aise anthropologique ?
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« Cessons de prendre ces joueurs pour des « subalternes » 
Le titre d’une longue tribune parue dans le journal Le Monde des 5 et 6 juin, page 28
S’agit-il d’un parcours initiatique de la science anthropologique que Monsieur Amselle propose à de jeunes chercheurs en sciences sociales ?

            Pour s’en assurer, il convient donc de se reporter à ce texte crayon en mains, et d’emprunter le chemin du raisonnement proposé, celui d’une démonstration « scientifique » destinée à donner la signification ethnologique, anthropologique, ou politico-idéologique de l’algarade récente Benzema-Deschamps, en précisant que son sujet est le football, l’Euro 2016, la composition de l’équipe de France.

            Première remarque relative au titre : est-ce que l’auteur de ce texte ne joue pas avec le qualificatif d’une école historique postcoloniale qui eut son heure de gloire aux Indes, en brandissant le mot savant de « subalternes », une appellation «  réservée »,  à quel public?

            Pour comprendre le sens du mot, je propose aux lecteurs de consulter la chronique que j’ai consacrée au livre « Leçons indiennes » de Sanjay Subrahmanyam, de lire tout simplement sa leçon 13, et de prendre connaissance de sa définition du qualificatif choisi de « subaltern » à la page 95.

            Deuxième remarque : à lire le sous-titre ci-après, l’auteur fonde son raisonnement sur le postulat gratuit d’un état supposé de l’opinion, étant donné qu’il ne cite aucun sondage ou enquête accréditant son discours, ce qui ne l’empêche pas d’écrire :

          « Même s’ils sont millionnaires et starisés ; les footballeurs d’origine immigrée continuent de faire l’objet d’un « traitement de « défaveur » par l’opinion »

Pour seule preuve donc ce type d’assertion « scientifique » ?

            Troisième remarque : l’auteur esquisse ensuite une pirouette intellectuelle du type, en écrivant : « Il ne saurait être question pour un chercheur en sciences sociales de prendre parti », tout en prenant parti tout au long de son discours.

            Quatrième remarque ; l’auteur donne son interprétation de cette « polémique » sur l’affaire Benzema, en adossant son raisonnement tout à la fois au savant que fut Marcel Mauss et au passé colonial de la France :

           « – c’est qu’elle est une sorte de mille-feuilles ou de « phénomène social total » », selon l’expression de Marcel Mauss, mettant en branle toutes les strates sociales, raciales, et idéologiques de la société française. Elle renvoie celle-ci à un passé colonial que les uns et les autres se refusent à oublier pour aller de l‘avant, et qui pèse de tout son poids chaque fois que surgit un scandale opposant un ressortissant ou un descendant originaire d’une ancienne colonie française à un Français citoyen de la métropole de l’ex-empire colonial »

           Seule difficulté et de taille, l’auteur semble faire partie, peut-être à son corps défendant, de cette cohorte de chercheurs au tempérament auto-flagellant ou victimaire, qui invoque à tout propos une mémoire coloniale ou postcoloniale qu’ils n’ont jamais eu le courage de mesurer, et qu’il ne suffit pas d’habiller son discours de la référence savante à Marcel Mauss pour convaincre le lecteur.

               De Marcel Mauss à Benzema, quel raccourci anthropologique vertigineux !

             Il s’agirait donc de « la postcolonialité dans l’univers du football », du rôle des médias dans cette diffusion, le tout, à l’avenant avec l’évocation à nouveau des joueurs « subalternes », à ne pas confondre avec les « indigènes de la République », etc, etc…

            L’auteur conclut de façon péremptoire :

          « Le piège identitaire des racismes réciproques s’est ainsi refermé sur l’Euro 2016. A travers l’affaire Benzema, la France montre qu’elle est l’objet d’une fracture raciale, fracture qui révèle l’existence d’un passé colonial en attente de liquidation. Quelles qu’en soient les raisons qui peuvent être invoquées à l’appui de la sélection ou du rejet de tel ou tel joueur, c’est ce paradigme postcolonial qui fait désormais office d’étalon des valeurs d’une société revendiquant pourtant, de façon paradoxale, la République comme seul et unique principe d’organisation. »

             Que de grands mots pour soutenir un discours sans preuve, un discours qui, sous prétexte de ne pas fracturer notre société contribue innocemment à le faire avec ce type de raisonnement idéologique.

            Rappelons que l’auteur prône la non-discrimination, mais refuse tout recensement ethnique, seul moyen statistique approprié afin de savoir s’il y a discrimination, effectivement discrimination, compte tenu des grandeurs démographiques en jeu, en même temps que de savoir qui est qui, ou qui est quoi dans notre pays ! (Voir sa thèse dans le petit livre « Au cœur de l’ethnie »)

         « Piège identitaire » ?  « Paradigme postcolonial » ? Diable! dans quel univers sommes-nous ?

            Ne pourrait-on pas rétorquer à ce type de discours politique qu’il est particulièrement difficile pour un ethnologue et anthropologue de vouloir tout à la fois se mettre à la place du sujet observé et ausculté, tout en conservant la distance scientifique nécessaire, d’échapper en quelque sorte à cette nouvelle maladie d’ethnocentrisme inversé, mâtiné d’autoflagellation nationale ?

         Foot ou foot-aise anthropologique ?

          Les lecteurs les plus curieux pourront se reporter au petit texte que j’ai publié sur ce blog intitulé « Un anthropologue chez les Dowayos »

    Jean Pierre Renaud

La planète handball au Qatar: du ballon ou du fric qui roule? un idéal pour notre jeunesse ?

La planète handball au Qatar : du ballon ou du fric qui roule ?

Ethique et modèle civique pour la jeunesse de France ?

Un idéal pour notre jeunesse ?

Le vrai débat !

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            La dernière Coupe du Monde de handball au Qatar a de nouveau mis en pleine lumière, dans les déserts du Golfe du gaz et du pétrole, le débat toujours engagé sur la marchandisation du sport et sur les dangers qu’elle fait courir à notre jeunesse.

Modèle de l’effort ou modèle du tout fric ?

        J’ai déjà eu l’occasion sur ce blog de critiquer la prise en mains par le Qatar du club parisien le PSG, par le biais de la concession du Parc des Princes, une opération qui a permis à cet émirat étranger de mettre la main sur l’image de la capitale, Paris, mais aussi de la France.

          Cette opération a reçu l’approbation de « l’établissement » parisien de la gauche et de la droite par l’intermédiaire du Conseil de Paris, alors que la municipalité était dirigée par le socialiste Delanoë.

         Il est évident que cette opération de marketing international visait à mettre au premier plan les réussites sportives d’un club bourré aux as par le Qatar, un beau succès pour ce que les esprits savants dénomment le « soft power » des nouvelles puissances.

          J’ai analysé cette nouvelle forme d’impérialisme sur ce blog.

        Ce mélange des genres entre le sport et le fric est de nature à détourner le sport de ses objectifs initiaux et de changer la formule de Coubertin « L’important dans ces Olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part » en « il est important de payer ou de se faire payer ».

         « Le foot entre civisme et affairisme (Forum&Débats), le 6 juin 2014, et à propos de la Coupe du monde de football, M.Mignon écrivait dans la Croix, sous le titre :

        « Un producteur de citoyenneté » :

        « Par le maillage du territoire national réalisé par les presque 18 000 clubs, le football partage avec l’école des problématiques communes, telles que l’accueil des familles défavorisées et marginalisées là où une partie des services publics a disparu, et représente ainsi une des institutions structurantes de la société française. »

        Le même jour, dans la même page, et sous le titre « Sport et mondialisation, unis par un lien dialectique » M.Boniface plaçait sa réflexion sur un terrain différent :

         « … En 2022, pour la première fois, la Coupe du monde aura lieu dans un pays arabe et musulman, le Qatar. Le choix est critiqué, mais le vote obtenu en 2010 par 14 voix contre 8 pour les Etats Unis est dans la logique d’expansion des pays hôtes et de la recherche de l’universalisme. Il ne serait guère étonnant que la Coupe s’installe en Chine en 2026…. Sport et mondialisation sont unis par ce lien dialectique. »

         Tout le monde ou presque sait que la régularité de  ce vote  a été contestée, mais il est tout de même étrange de placer ce type d’analyse dans le champ du concept de l’universalisme, lequel ? La mondialisation du tout fric ?

Je serais tenté de dire que la balance entre civisme et affairisme penchait déjà nettement vers l’affairisme, sans discussion.

          En écho, aux attentats de janvier, le même journal publiait le 26 janvier 2014, une chronique cosignée de MM.Boniface, directeur de l’Iris et de Massiglia, président du CNOSF, intitulée : « En quête de repères »

       Afin de démontrer le rôle positif du sport sur la société française, cette chronique s’appuyait sur deux exemples, ceux de Singapour et de Medellin.

           Il parait tout de même difficile de comparer la situation française, ne serait-ce que sur le plan d’une représentativité statistique assimilable à celle de nos quartiers sensibles, à celle de Singapour, une ville-Etat de type dictatorial, et Medellin « soumise au sinistre cartel qui porte son nom… », comme cette chronique le rappelle.

        Est-ce que le sport mondialisé, soumis aux lois du tout fric, la forme triomphante d’un nouvel universalisme, made in Boniface accrédite encore l’appréciation qui suit ? :

         « Le sport est un exemple réussi de méritocratie républicaine. Le talent et le travail, qui ne sont rien sans l’autre, y sont justement récompensés »

       La Coupe du monde du handball qui vient de se dérouler au Qatar mérite le détour dans ce type de débat, car de la plume des journalistes eux-mêmes, cette compétition était la caricature du sport.

       Dans Le Monde du 3 février 2015, sous la plume d’Henri Seckel :

      « La farce qatarie, que tout le monde voyait s’achever en quarts de finale, a duré plus longtemps que prévu. »

        Dans les Echos du 3 février 2015, sous la signature de Guillaume Maujean

     « Mascarade sportive

      Par un de ces pieds de nez que le sport sait parfois distiller, le Qatar a donc reçu, à l’issue d’une finale de handball dominée par la France, la médaille d’argent. Dee l’argent, il n’en a pas manqué lors de ces championnats du monde organisés par l’émirat gazier… il a bâti une armée de mercenaires… Il a enfin fait venir tous frais payés, des supporters espagnols pour encourager son équipe…

     Comment ne pas voir en effet dans cette aventure le stade ultime du sport businesse, où l’on peut désormais acheter sur commande une compétition, des joueurs, des supporters…

     Le Qatar est aussi au centre des turpitudes d’une autre fédération, celle de football ; qui lui a confié l’organisation de la Coupe du monde de 2022…Une autre mascarade. »

     Pourquoi donc ne pas se poser une bonne question : universalisme du fric ou universalisme des lumières revisité, modèle 2015 ?

     Pour conclure avec un nouveau tir au but, l’article de Jean-François Fournel dans la Croix du 5 février 2015 sur la Coupe d’Afrique qui a lieu en Guinée équatoriale :

    « La Guinée équatoriale s’est qualifiée pour la demi-finale de la Coupe d’Afrique de ce soir contre le Ghana, grâce à un pénalty imaginaire accordé par l’arbitre en sa faveur, lors du quart de finale contre la Tunisie…

      Le sélectionneur de cette équipe, nommé deux semaines avant le match d’ouverture, a eu quelques jours pour composer un groupe de joueurs totalement inconnus, dont quelques-uns ont été naturalisés en urgence. »

Jean Pierre Renaud