« Les immigrés stimulent la croissance » ? Enjeux Les Echos avril 2013

L’immigration non européenne vue par le journal Les Echos : une comparaison pertinente des valeurs économiques ?

La chronique appropriée d’une étude économétrique ?

Enjeux Les Echos n° 299 Avril 2013 (pages 66 à 69)

« LES IMMIGRES

STIMULENT

LA CROISSANCE »

            En bas de page 66, la chronique est ainsi présentée :

            « L’immigration légale revient au Parlement le 17 avril. Un débat qui promet d’être houleux. Enjeux l’amorce avec les réactions de l’UMP, du FN et du PS à une étude exclusive sur la contribution des migrants à la croissance. »

            Citation : « Cet article propose un évaluation quantitative des interactions entre, d’une part, le produit intérieur brut (PIB) par habitant et le taux de chômage et d’autre part, l’immigration permanente en France métropolitaine, sur la période 1994-2008. » Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly voudraient clore une polémique qui dure depuis des années : l’immigration a-t-elle ou non un effet positif sur la croissance et les Français ? »

            Les données exploitées sont les titres de séjour de plus d’un an accordés entre 1994 et 2008 aux étrangers en provenance de pays non-européens.

           A la page 67, un graphique chronologique (1994-2008) des titres de séjour en distinguant les trois catégories, pour motif de travail, de regroupement familial, ou autre, et à droite, la suite du commentaire.

           Les données : entre 1994 et 1996, moins de 60 000 titres de séjour par année, dont moins de 30 000 pour regroupement familial ; de 1997 à 2000, le nombre des titres de séjour augmente chaque année, passant de 80 000 à 100 000, avec une progression parallèle du regroupement familial, et à partir de 2000, la courbe vogue vers les 150 000 par an entre 2002 et 2008, dont plus de la moitié  est dûe au regroupement familial, de l’ordre de 80 000 à 90 000.

           La page 68 est consacrée à la suite du commentaire de la même analyse, avec un encart intitulé :

 « Peut-on mesurer l’impact de l’immigration sur les comptes sociaux ?

           La dernière et quatrième page est consacrée aux réactions des trois représentants des mouvements politiques cités plus haut, avec un petit espace de fin de commentaire.

Discussion

          Expédions tout d’abord ces réactions politiques qui se sont naturellement contentées de donner un point de vue général sur le sujet, et abordons le sujet au fond.

          Indiquons par ailleurs que la chronique fait l’impasse sur le taux de chômage évoqué dans la citation du début.

          Première remarque relative au graphique des cartes de séjour : le commentaire :

         « La première (catégorie)  concerne les migrants qui se sont vus accorder un titre de séjour d’au moins un an pour motif de travail, soit 4 300  à 20 800 titres par an, et 7,6% en moyenne du total des titres délivrés, des hommes en grande majorité (68%). »

         Le graphique fait ressortir les statistiques par année en les échelonnant par strate de 30 000 unités, soit de 0 à 180 000.

         Le problème est qu’il est impossible, même en prenant son double-décimètre, de trouver les chiffres même moyens de 4 300 titres : au cours des années 1994 – 2 000, la moyenne a été plutôt de 35 000 à 40 000.

         Comment ne pas remarquer aussi que le nombre des titres de séjour pour regroupement familial a doublé à partir des années 2000, et que leur effet en valeur ajoutée mériterait d’être démontré ? Evidemment différent de celui des titres de séjour pour motif de travail, avec des effets collatéraux évalués en termes de logement, de scolarisation, de santé, de sécurité, notamment dans les quartiers sensibles, etc… ?

         Deuxième remarque relative au contenu de l’encart intitulé « Peut-on mesurer l’impact de l’immigration sur les comptes sociaux ? »

          Le texte évoque deux études dont le sens est opposé, la première, en 2004, du professeur Bichot, chiffrant à « 8 milliards le coût annuel net de l’immigration pour le système français de protection sociale », la deuxième, en 2010, de MM Chojnicki et Ragot, montrant que « la contribution nette globale de l’immigration au budget des administrations publiques serait positive et de l’ordre de 3,9 milliards pour l’année 2005. »

          Il est difficile de conclure, sauf à penser que l’incidence de ces chiffres sur les PIB examinés par les auteurs de l’analyse sur laquelle le journal s’appuie, a bien entendu, été prise en compte, s’agissant du contenu du PIB.

         Troisième remarque relative à l’effet calculé de l’immigration non européenne sur le PIB de la France, je cite :

       « En clair, cela signifie que pour la période considérée (1994-2005), lorsque le taux de migration (nombre de migrants rapporté à la population totale) augmente de 1%, alors le PIB par habitant augmentait lui d’environ 5 euros par personne et par an. A l’unité, cette somme peut sembler faible, mais multipliée par les 67 millions d’habitants de l’Hexagone, on obtient un gain de 300 millions d’euros. »(page 68)

         1° – Faible, certainement, pour ne pas dire non significatif compte tenu des rapports entre agrégats : 300 millions par rapport à un PIB de 1 718 000 millions en 2005, ou en considérant, par exemple, que de 2 005 à 2 006, la progression du PIB a été de 4,3% entre 2004 et 2 005, soit 4,7%, soit 80 746 millions, c’est-à-dire, 300 par rapport à 80 746 millions ?

         2° – Comment faire état de l’augmentation de 1% du taux de migration, alors que le graphique de la page 67 fait état de variations de ce taux entre 1994 et 2005 qui contredisent ce chiffre ?

        Les chiffres des titres de séjour qui figurent à la page 67 n’apportent pas la démonstration du commentaire : prenons les années 2000 et 2001, les titres de séjour passent en gros de 90 000 à 115 000, soit + 25 000 sur une population française de l’ordre de 60 000 000, soit un rapport infinitésimal que les modèles économétriques réussissent à capter ?

        Avec de tels calculs, la polémique est loin d’être close, sauf si le résumé de cette thèse optimiste ne correspond pas à son contenu.

        Est-il donc bien sérieux d’afficher le titre en question : « Les immigrés stimulent la croissance » ?

Jean Pierre Renaud