Humeur Tique: « Alger renonce à criminaliser le colonialisme »

Humeur Tique : « Alger renonce à criminaliser le colonialisme » (Le Figaro du 27/09/10)

            Les amateurs d’une histoire coloniale rénovée et repensée à l’anglo-saxonne, celle actuellement promue par l’historien américain F.Cooper dans son livre « Le colonialisme en question », y verront sans doute une coïncidence historique, et la justification du revirement du gouvernement algérien.

            Dans son livre, M.Cooper tente de démontrer en effet que le colonialisme a habité toutes les époques et toute la planète.

             Il convient toutefois de noter que le terme même de colonialisme cache une grande ambiguïté, selon que l’on raisonne en français ou en anglais, car le terme anglais s’applique de préférence à la colonisation, outre le fait que beaucoup de Français seraient sans doute bien en peine de définir le mot.

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale? (4)

& Histoire ou Mémoire, Repentance ou Révisionnisme

        Ce débat est sans doute étranger à un grand nombre de Français, qui ne comprennent pas que la repentance fascine, comme à l’habitude une minorité d’intellectuels, toujours enclins à flatter le masochisme de nos échecs nationaux.

        Il nous faut tout d’abord rappeler les définitions que le Petit Robert propose pour les deux concepts d’histoire et de mémoire :

            – Histoire, une relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (groupe ou activité) qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire.

            Donc toute l’ambiguïté attachée à la dignité de, donc aux disciplines intellectuelles capables de lui donner des garanties d’objectivité. Mais il ne faut pas être historien pour savoir que l’histoire n’est pas une science exacte et qu’elle est soumise à des modes, à des courants de pensée, situation qui n’autorise toutefois pas à écrire n’importe quoi.

            – Mémoire, la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passée et ce qui s’y trouve associé, faculté collective de se souvenir.

            Or le discours de ce collectif de chercheurs part continuellement à l’assaut de l’histoire et de la mémoire, et s’inscrit dans ce qu’on appelle communément la nouvelle guerre des mémoires. Et à cet égard le livre La République coloniale (Blanchard, Bancel, Vergès) est incontestablement le plus provocateur, le plus outrancier dans le verbe et dans la pensée, pour ne pas utiliser un adjectif plus fort. Le livre suivant La Fracture coloniale ne fait pas mal non plus dans le genre.

            Dans le premier ouvrage, les auteurs nous proposent tout simplement de déconstruire le récit de la république coloniale (RC/V), de déconstruire les fondements de son imaginaire (RC/160), et comment construire une mémoire (RC/140). Notons que dans leur conclusion du Colloque, les deux historiens Debost et Manceron avaient ouvert la voie, en écrivant :

            « La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier « .(C/148)

            Affirmation bien gratuite compte tenu du défaut d’analyse de ce fameux imaginaire colonial, alors et encore aujourd’hui ! Ce collectif a manifesté son incapacité à en démontrer l’existence au temps des colonies et à notre époque.

            Le livre La Fracture coloniale s’inscrit dans la même ligne, « projet inédit de décoloniser les esprits (FC/200), il faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour tenter de les déconstruire. (FC/219), comment décoloniser les imaginaires ? « .(FC/237)

            « Une politique  de la mémoire, redisons-le, devrait s’attacher à déconstruire les deux versants de ces perceptions, à savoir une strate que l’on pourrait qualifier d’  « immédiate » et l’autre de « profonde » « (FC/289)

               Vous avez-bien lu? « une politique de la mémoire »!

            Et dans le registre de ces citations et pour en égayer un peu la liste, un auteur n’hésite pas à écrire : « Mais il y a bien des Français pas comme les autres qui analysent le regard dépréciateur, le déni de droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. ‘ »(FC/200)

            Pourquoi ne pas rappeler que dans une controverse récente sur la repentance, entre deux historiens chevronnés, Mme Coquery-Vidrovitch et M.Lefeuvre, la première a défendu l’historien Blanchard en le qualifiant précisément d’historien entrepreneur ?

            Ce qui revient à reconnaître aujourd’hui le rôle du marché, de la concurrence, de l’argent et du profit dans  les travaux de recherche historique et mémorielle !

            Je dois reconnaître que le concept d’historien entrepreneur dérange, même quand, sur les pas de Paul Valéry, dans le texte que nous avons proposé au début de cet ouvrage, notre regard sur l’histoire reste lucide et notre esprit en éveil.

            Mais dans le cas présent de ce collectif de chercheurs, l’histoire devient encore plus problématique, puisqu’elle est faite d’affabulation historique.

            Comment alors ne pas accuser ces historiens entrepreneurs de poser, innocemment ou non, des bombes idéologiques construites de toutes piècesau sein de la société française, au risque de faire exploser un pacte républicain fragile.

            Au risque d’engager ou d’entretenir un processus d’autoréalisation de ces fantasmes de la mémoire. La conclusion de l’introduction des Actes du Colloque de 1993, consacrés au thème « Arts et Séductions » annonçait déjà la couleur, en rappelant les propos de l’historien Debost (Négripub), dont nous avons croisé la route à plusieurs reprises :

            « Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient sensées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent nos référents, ni ceux de nos parents.  » (C/91)

            Grâce à l’exposition, le fantasme colonial deviendra donc réalité, au même titre qu’on peut craindre que le discours mémoriel de ces chercheurs ne devienne réalité dans les banlieues.        

            Et avec de telles méthodes de diagnostic et de soins, on peut craindre, qu’à l’exemple des médecins de Molière, ils ne fassent crever le malade.

            Quant à la repentance, comment ne pas inviter ses promoteurs et défenseurs à méditer sur le sort des filles repenties de l’ancien régime, lesquelles trouvaient quelquefois le secours de refuges religieux ?

            Dans un tel contexte, repentance ou non, révisionnisme ou non, de tels mots n’ont guère de sens, sauf à nous faire revenir dans les temps de l’histoire chrétienne ou totalitaire, du monde communiste en particulier.

            Mais il faut garder la République française à l’abri de ces discours mémoriels qui propagent tout simplement leur supercherie, au risque effectivement de voir cette supercherie s’autoréaliser en mythe explosif.

            Au fur et à mesure de ces lectures rébarbatives, je me suis souvent demandé quel pouvait être le but de ces chercheurs. Erreurs de jeunesse ? Mais ils ne sont plus à l’âge de la puberté ou de la nubilité ! Vertige d’une médiatisation surprenante et réussie, grâce à l’exploitation du filon méconnu de beaucoup d’images coloniales, souvent belles ? Ou dénigrement conscient ou inconscient de la France, au risque, par leurs travaux mal fondés, de porter atteinte à l’unité de la République, et donc de fournir des arguments pseudo-scientifiques aux revendications des partisans de la disparition de la France

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale? (5)

Bain colonial, accès de fièvre coloniale, ou accès d’exotisme ?

Les colonies de la République française ou celles du peuple français ?

            Et si la France coloniale n’avait pas été plutôt la France officielle au lieu de celle du peuple français, la France des pouvoirs, des institutions officielles, de leurs corps constitués, publics et privés, rassemblés, gouvernement, administration, armée, églises, et grand capital ? Comme hier et aujourd’hui, la Françafrique ? Pour le fric ou le prestige ?

 Avec des réseaux d’influence parallèles, hier comme aujourd’hui ? Comment ne pas être surpris, en particulier, par la résistance et la puissance encore des relations maçonnes, et tout autant religieuses !

            Et si l’imaginaire des Français avait été plus attiré par un ailleurs étranger, et par toute autre chose que la colonie ou l’empire, dont on nous dit qu’ils étaient symboles de racisme et de mépris de l’autre ?

            Au terme de notre analyse, le lecteur éprouvera des doutes sur le sérieux du discours mémoriel et médiatique de ces chercheurs qui n’ont pas apporté, jusqu’à présent, de preuves à l’appui de leur discours.

            Nous sommes donc encore loin de pouvoir recenser et définir notre culture coloniale, selon la définition Herriot, pour autant qu’elle existe, par ce qui reste quand on a tout oublié.

 Puisqu ‘on ne connaît pas encore ce reste ! 

            Ce reste largement hypothéqué, et par les suites de la guerre d’Algérie et par la forte proportion de populations européennes ou maghrébines issues du Maghreb, et surtout d’Algérie, actuellement en France. Mais de là à tendre le voile de cette mémoire sur toute notre histoire coloniale, une telle option n’est pas fondée.

            Si la démonstration historique avait été faite par les auteurs du livre en question, l’expression République coloniale (aux mains de qui ?) répondrait mieux à l’analyse qui reste encore à faire sur la réalité de cette République coloniale. Mais comme nous l’avons écrit, ce livre développe un discours idéologique, le plus souvent outrancier, et ne se penche absolument pas sur les formes qu’ont pu revêtir, ses groupes de pression, politiques, religieux, économiques, maçons, et surtout sur les effets réels de cette superstructure « coloniale » sur l’opinion des Français.

            Car, s’il a bien existé un groupe parlementaire colonial, un groupe de pression économique et financier colonial, plus proche des industries traditionnelles que modernes, une toile d’araignée maçonne qui, à travers les différentes institutions françaises, a poursuivi avec la plus grande constance ses objectifs de plus grande France, au nom d’impératifs de plus en plus désuets, tels que la civilisation, le bien des peuples colonisés, le peuple français n’a jamais eu la fibre coloniale, pas plus qu’il n’a eu la fibre maritime ou commerçante.

            Et aussi en parallèle, les églises, mais qui n’ont pas toujours, et loin s’en faut, porté ce discours d’une plus grande France.

            La France coloniale a été la France officielle, et c’est la thèse historique que nous proposons, jusqu’à preuve du contraire. Celle des pouvoirs, des institutions, et rarement celle du peuple. Car il est difficile de ranger dans la catégorie d’une culture coloniale ou impériale, l’écho populaire que pouvaient recevoir les récits des conquêtes militaires, la chute de Behanzin au Dahomey avec ses ingrédients médiatiques incomparables, les sacrifices humains et les Amazones, la prise de Tananarive après la calvaire de l’armée française, ou l’épopée de Fachoda, à travers les marais

            Ou encore la conquête du Sahara avec les chevauchées fantastiques des spahis, en plein désert, au pays de la soif et de la chaleur, contre les rezzous des Touaregs.

            Il ne faut jamais oublier que dans notre histoire nationale, notre roman national,  l’esprit de gloire montré du doigt par Montesquieu, n’a jamais été loin des Français. Non plus d’ailleurs que celui de croire qu’on aimait les petits Français pour eux-mêmes !

            On pourrait aussi disserter à loisir sur le point de savoir si ces engouements temporaires ne ressemblent pas étrangement à ceux que provoquent les grands exploits sportifs, ou la découverte de mondes nouveaux, et c’est ici que notre réflexion bifurque : une France au goût de l’exotisme, plus qu’une France coloniale.

            Ce qui ne devrait pas empêcher de jeunes chercheurs de se lancer dans une quête nouvelle, celle de la ressemblance tout à fait étrange qui pourrait exister entre la France officielle de la 5ème République avec la France de Jules Ferry et de ses suivants, cette France au sein de laquelle une petit groupe d’hommes, et souvent un seul, sous la 5ème République, décide de poursuivre une politique africaine qui a incontestablement des relents d’ancien régime ou de lancer, toujours pour d’excellents motifs de paix, ou de grandeur internationale, des expéditions militaires à l’étranger, le Parlement étant toujours mis devant le fait accompli.

            Les partisans de ces interventions, défenseurs d’une grandeur passée, font valoir qu’elles sont faites aujourd’hui, et c’est nouveau, à l’initiative de l’ONU, c’est vrai, mais le gouvernement a-t-il demandé l’approbation du Parlement pour intervenir en Côte  d’Ivoire, ou au Darfour ? C’est à l’occasion de votes sur d’autres sujets, le budget, ou les lois, ou d’élections générales, que les parlementaires et les électeurs, auraient l’occasion d’approuver ou de refuser de telles initiatives, mais elles sont toujours un élément, parmi d’autres, d’un paquet politique à prendre ou à laisser.

            Il en est donc aujourd’hui à peu près comme du temps de Jules Ferry. Et ce n’est qu’à partir du moment où une initiative extérieure perturbe gravement la vie du pays que ce dernier s’y intéresse, comme cela a été le cas pour la guerre d’Algérie.

            Croyez vous que le peuple français se sentait plus concerné par les aventures coloniales que par nos aventures modernes en Afrique ou au Moyen Orient ? En principe humanitaires !

            Dans le livre Images et Colonies, l’historien Meynier avait accordé, dans ses analyses, une place à l’exotisme, notamment en tentant de classer par thème colonial les différents supports d’information et de culture qui avaient été mis à sa disposition. (IC/124), supports dont le nombre était à la fois faible, et non représentatif, pour les raisons citées dans le corps de cet ouvrage.

            Ces réserves faites, il avait relevé le thème de l’exotisme dans la moitié des affiches (sur 30), dans le tiers des illustrations de magazines et livres coloniaux (sur 76), et dans les quatre cinquièmes des cartes postales (sur 116).

            Goût de l’exotisme, curiosité de l’étranger, découverte de l’Orient, de l’Egypte, et maintenant de l’Afrique, l’engouement des Français pour un ailleurs de rêve ou d’étrangeté suivait les modes des époques.

            Des Français attirés par l’exotisme, sans doute, peut être aussi par les mœurs étranges des peuples africains ou asiatiques , mais cela était-ce tellement différent de la curiosité que l’ancienne France avait manifesté pour le Canada ou la Louisiane ? Ou de celle des téléspectateurs de l’an 2007 qui s’intéressent aux Papous de Nouvelle Guinée, aux Himbas de Namibie, ou aux Nenets de Sibérie, sous la conduite de Charlotte de Turckheim ?

            La route des épices et les mirages, mais aussi les richesses des Indes orientales ou occidentales ? Est-ce qu’un  Français devait être colonial, sans le savoir et sans le vouloir, au prétexte qu’il buvait du café ou chocolat, sirotait du rhum, ou assaisonnait ses mets de poivre ou de cannelle ? Ou encore mange quelques grains de riz disputés à la volaille ?

            Est-ce que la France a jamais été coloniale dans ses profondeurs, à Paris et dans ses provinces ? Histoire coloniale d’une France officielle plutôt que celle de son peuple, d’attirance pour l’exotisme plus que pour les colonies ou l’Empire ?

            Et pour terminer, comment ne pas évoquer un souvenir récent, lors d’une visite à la cathédrale de Chartres et à ses vitraux magnifiques ? Dans un des salons de thé de la vieille ville trônait sur un coin du comptoir une magnifique statue en plâtre, d’environ un mètre de haut,  d’un jeune antillais au teint chocolat,  pieds nus, avec un chapeau sur la tête, portant sur son épaule un magnifique régime de bananes, prunelles noires sur globes oculaires blancs.

            Cela ne vous rappelle pas les billes de loto de Négripub ?

            Personne ne semblait voir cette belle statue colorée, alors qu’elle s’inscrivait parfaitement dans le panorama mémoriel abondamment décrit par ce collectif de chercheurs, comme un phare au coin du comptoir – caisse de ce salon de thé. Incontestablement, un des symboles de l’inconscient colonial des Français !

            Et tout cela est bien dommage, parce que beaucoup de ces images ressorties des placards étaient souvent belles !

            Alors, s’il ne s’agissait que d’une invitation au voyage de Baudelaire ?

            « Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

                        Luxe, calme, et volupté. »

            Mais cher lecteur, vous ne partageriez peut être pas le goût de l’exotisme de Baudelaire qui le portait vers les canaux plutôt glacés et embrumés de la Hollande. Ne préféreriez-vous pas les plages blanches de Gauguin, celles des îles Marquises, et les eaux émeraude des îles du Pacifique ?

Les livres en question

Les citations sont suivies d’un numéro de page et de l’une ou deux initiales ci-après :

Images et Colonies – Actes du Colloque 1993 (C)

Images et Colonies- BDIC-Achac- 1993 (IC)

Culture Coloniale – 2003 (CC)

Culture Impériale – 2004 (CI)

La République Coloniale – 2003 (RC)

La Fracture Coloniale – 2005 (FC)

Supercherie Coloniale (2008) Mémoires d’Hommes 9 rue Chabanais 75002 Paris (20 euros port compris)

Indigènes de la République? Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale?

Avant Propos

            Je n’ai véritablement repris contact avec l’histoire coloniale, hors guerre d’Algérie, et hors relations familiales, qu’au moment de ma retraite, et surtout lorsque j’ai commencé à lire et à annoter les différents ouvrages qui avaient la prétention de donner aux Français une lecture de l’histoire coloniale qui ne me paraissait pas du tout correspondre à ma propre culture « coloniale », qui n’était d’ailleurs pas celle d’un « colonialiste ».

            Comment était-il possible de disserter savamment sur le sujet sans faire preuve de la plus grande rigueur méthodologique, d’autant plus qu’en racontant n’importe quoi les auteurs des ouvrages analysés, diffusaient un message d’histoire coloniale idéologique qui n’était pas de nature à examiner sereinement notre passé colonial, alors que chacun sait qu’une immigration africaine non négligeable existe d’ores et déjà dans notre pays, et que beaucoup de Français découvrent peut être notre histoire coloniale au travers de l’immigration.

            C’est la raison pour laquelle j’ai publié un livre intitulé « Supercherie Coloniale » dont l’ambition était de démontrer la carence méthodologique des auteurs  d’une thèse soi-disant historique, d’après laquelle la France aurait eu une culture coloniale et impériale à l’époque coloniale.

            Le lecteur trouvera ci-après un résumé des conclusions qui figurent dans cet ouvrage, à partir de l’examen critique des vecteurs réels ou supposés d’une culture coloniale qui aurait « imprégné » le peuple français, laquelle, par je ne sais quelle voie mystérieuse de son « inconscient collectif »,  – « maraboutique ? » –   conduirait le peuple français à considérer certains autres Français ou étrangers comme des « Indigènes de la République »..

            Dans le livre « Supercherie Coloniale », j’ai procédé à un examen critique des vecteurs de culture coloniale retenus pour accréditer cette thèse : les livres scolaires, la presse, les cartes postales, le cinéma colonial, les affiches, la propagande coloniale.

            La parabole du riz

            La jolie image du riz dans les assiettes pourrait être la parabole de cette thèse :

            Mme Lemaire a sous-titré une des ses analyses « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (page 82-Culture Impériale).

            Or, à cette époque, 95% du riz indochinois allait dans les poulaillers et non sur les assiettes.

            Le blog Etudes Coloniales a publié, le 27 octobre 2007, en l’illustrant de façon remarquable, le chapitre « Propagande coloniale »

            Nous proposons donc aux lecteurs intéressés un résumé des conclusions de ce livre, et après les vacances, nous publierons deux textes, l’un sur les « affiches coloniales », et l’autre sur le « ça colonial ».

            Les citations sont référencées par la première lettre de l’ouvrage.

Le résumé des conclusions :

Supercherie coloniale ou rêve exotique ?

            & « Second médecin

            A Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu’il le devint, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait.

            Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, Scène VIII »

            Cher lecteur, je ne suis pas sûr qu’au fil des chapitres, vous ayez pu apprécier la même beauté des choses, mais j’espère que vous avez pu vous faire une juste opinion sur le raisonnement de ces nouveaux médecins de l’histoire coloniale.

            J’avouerai que lire et annoter les livres qui contiennent le discours incriminé fut un vrai purgatoire, et jamais un exercice de plaisir. Et pour cette raison, mériterais-je déjà, et à ce titre, les indulgences plénières de l’Eglise.

            Une écriture souvent boursouflée dans la forme et dans le fond, quelquefois purement et simplement extravagante, et à titre exceptionnel, franchement hilarante, comme celle dissertant sur l’effet corporel du scoutisme sur les stéréotypes coloniaux, ou sur d’autres, de la même espèce, logés dans un corps.

            Alors, au lieu de la fréquentation de cette littérature historique, d’une littérature qui ne craint pas, presque à chaque page, de montrer son bout de l’oreille idéologique, je conseillerais vivement au lecteur de s’adonner à d’autres lectures de littérature historique, plus distrayantes, et aussi plus rafraîchissantes, la saga des paysans de Claude Michelet, celle des Messieurs de Saint Malo de Bernard Simiot, qui a du reste un rapport avec notre histoire coloniale, ou sûrement plus dépaysante, celle du Clan des Otori de Lian Hearn.

            Résumons succinctement le discours mémoriel de cette école de chercheurs, flot incantatoire de mots, d’affirmations sans preuves et d’approximations, de jugements définitifs assénés en miroir des uns et des autres : une culture coloniale populaire aurait existé en France, entre 1871 et 1931, puis une culture impériale, entre 1931 et 1962, lesquelles auraient ancré dans l’inconscient des Français d’aujourd’hui, les stéréotypes de la fracture coloniale, principalement le racisme et le mépris de l’Autre.

              Ne revenons pas sur les mots et expressions hypertrophiés qui visaient à nous convaincre que la France avait été immergée dans un bain colonial dont elle ne serait sortie qu’imprégnée profondément par son passé colonial.

            Une méthode historique étrange :  les écrits de ces chercheurs sont en complet décalage avec leurs sources :        

            Les travaux en question sont en complet décalage avec ceux du Colloque de janvier 1993 et ceux du livre Images et Colonies, publié la même année. Entre 1993 et 2003, aucun progrès dans la méthode et dans les résultats ! Alors que le Colloque avait soulevé d’importantes questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons, et auxquelles ces chercheurs n’ont pas répondu, mais aussi, avec beaucoup moins de bonheur, ouvert la boite de Pandore du ça colonial.

             A lire leurs écrits et à les comparer à ceux des contributions historiques qui leur ont servi sans doute de sources, il existe une distance intellectuelle incontestable entre les analyses des historiens Ageron et Meynier, notamment sur la propagande coloniale, et leur propre analyse, et nous avons démontré les graves insuffisances de l’analyse Lemaire sur la propagande coloniale.

            Les introductions des Actes du Colloque et du livre Images et Colonies ne traduisent pas fidèlement le contenu des contributions qui y figurent, et pour parler clair, elles semblent orientées, en posant des postulats non démontrés, ni par les communications du Colloque, ni par le contenu des contributions de ce livre.

             Au dire et au témoignage d’autres chercheurs, les responsables de ces travaux prendraient incontestablement des libertés avec les textes qui leur sont soumis pour être publiés ou les contenus des communications verbales qui sont faites  à l’occasion des colloques.

             Deux exemples concrets m’ont été donnés : celui d’une contribution écrite sur les cartes postales que devait contenir le livre Images et Colonies, et celui de l’exploitation des communications et débats du Colloque très médiatisé, organisé à Marseille, les 8 et 9 juin 2001, colloque dit des « Zoos humains ».

            Ces témoignages sont instructifs : ils éclairent les méthodes de travail des chercheurs dont nous contestons le discours mémoriel et médiatique, plus qu’historique. En 1993, la même équipe avait dirigé la publication du livre Images et Colonies, dans le sillage du Colloque de janvier 1993, sans même faire mention de son existence.

            Les carences de méthode

            Pour utiliser un adjectif fétiche de nos chercheurs, il n’est pas superflu de revenir sur le contenu d’un article fondateur de l’historien Ageron qui, dès 1990, dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer posait les bonnes questions méthodologiques de base que soulevait l’étude des colonies devant l’opinion publique française entre 1919 et 1939.

            Il y notait que les techniques de sondages étaient encore à peine connues en France, et que seuls quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939, étaient à la disposition des historiens. Ce point a été évoqué dans le chapitre Sondages.

            « Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire de l’opinion », celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche…

            Pour qui ne veut pas s’en tenir à l’étude de l’idéologie coloniale et à sa diffusion appréciée intuitivement à travers la seule littérature politique, il importe de rassembler tous les éléments d’information épars qui  permettront, par approche, indirecte, de se faire une idée plus précise du sentiment public français vis-à-vis de son empire colonial. Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur. S’agissant d’opinion contemporaine, elle devra porter aussi, tout naturellement, sur le volume et le contenu des informations et des images diffusées par les radios, le cinéma et la presse filmée hebdomadaire, voire par les manifestations et expositions coloniales diverses parisiennes et provinciales. Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un  travail d’équipe. »

            L’historien avait alors presque tout dit des préalables qu’il convenait de lever avant de pouvoir donner une lecture crédible de cet objet de recherche, mais il ne semble pas que cette leçon de méthode ait eu beaucoup de succès. En tout cas, ce collectif de chercheurs ne nous pas aidé à dépasser le stade de la préhistoire.

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale?

 Conclusions (2)

    &  

Les images coloniales

            Presque tout dit, pas complètement en effetparce que l’image coloniale est entrée en scène au Colloque de janvier 1993, auquel l’historien Ageron participait d’ailleurs. L’image, avec toutes les questions de méthodologie qu’elle soulevait, parallèlement à celles des textes, avec la spécificité de son interprétation, domaine de prédilection des sémiologues, lesquels dans le sillage de Barthes, ont aidé à la constitution de cette nouvelle discipline, profession complètement ignorée, semble-t-il, de ces chercheurs.

            Le Colloque de janvier 1993 avait posé de bonnes questions de méthode pour aborder le nouveau sujet des images, alors que l’introduction ambiguë des Actes du Colloque cadrait déjà le sujet, en considérant comme des faits acquis, des postulats historiques déjà démontrés, le bain colonial, la multitude des imagesl’image, allié puissant du colonialisme, tout en écrivant, contradictoirement, que :

            « L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème  siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation reste à faire. é

             Et plus loin :

            « Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut  évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français. « 

            Ce qui n’est pas vrai, car il n’y a jamais eu d’évaluation de cette diffusion.

            La synthèse de la partie du colloque consacrée au thème Images et Messages était beaucoup plus nuancée et prudente, en abordant le problème des discours de la méthode :

            « Plusieurs intervenants ont rappelé, même sans insister outre mesure, le fait que l’iconographie coloniale ne représentait qu’une quantité modique, voire infime, de la production iconographique dans la France du XXème siècle. Daniel Rivet remarquait en introduction que les « grands hommes » de la colonisation passionnaient visiblement moins le grand public que les « grands hommes » tout court ! Quant à Laurent Gervereau, il signalait en conclusion que les affiches politiques sur la colonisation ne constituaient qu’un pourcentage minime du corpus global. Pour être iconoclastes, dans la mesure où elles amènent à nuancer l’idée d’une propagande massive et tous azimuts sur l’Afrique coloniale, ces affirmations ne doivent pas surprendre. En effet, elles rappellent que la recherche sur un point précis produit souvent un phénomène de loupe à l’issue duquel on peut être amené à exagérer l’importance relative du fait étudié. (C/55)

            D’un point de vue plus général, l’ensemble des intervenants a rappelé combien délicat est le décryptage iconographique.

            Ils déplorent l’absence d’une méthode éprouvée qui, pour le commentaire de texte, permette non seulement de décrire l’image mais encore de l’analyser. « (C/57)

            Et dans la synthèse des actes relatifs au thème Arts et Séductions, et à propos de la contribution de Gilles Boëstch, intitulée : La Mauresque aux seins nus : L’imaginaire érotique colonial dans la carte postale, Barbara  Boëm rappelait les observations de l’historien Debost, sur la méthode d’analyse des images, et notamment :

            « Je pense donc que le travail d’analyse sur cette fiction, le décodage des messages, ne peuvent se faire que si nous maîtrisons parfaitement l’histoire des systèmes de représentation, la sémantique, l’icologie (sic). » (C/58)

            Ces textes sont intéressants, mais ils suscitent naturellement beaucoup de questions.

            J’aurais souhaité, en ce qui me concerne, que les propos du Colloque aient été beaucoup plus iconoclastes, car ces bons conseils et ces saines mises en garde ne semblent pas avoir été beaucoup entendues par nos chercheurs : mesure des corpus, effet de loupe, interprétation des images. Appartient-il à un historien de se lancer dans l’interprétation des images ?

            L’exposition Négripub (1987)  a fait l’objet d’un commentaire savant, mais idéologiquement orienté,  alors que le corpus examiné était on ne peut plus réduit, par rapport au tirage enregistré à la BNF, à la même époque.        

            Le chapitre Affiches a permis de constater qu’il était possible de faire dire n’importe quoi à une affiche, notamment à propos de la fameuse affiche de publicité du parfum d’Yves Saint Laurent.

            Il faut donc ouvrir le chantier des images coloniales aux sémiologues, d’autant plus que beaucoup d’entre elles sont purement et simplement des images publicitaires, et non des images de propagande en tant que telles.

            Ou alors, il faut dire qu’une affiche  de chocolat, de rhum, ou de banane, est par nature une affiche de propagande coloniale.

            Le discours de ce collectif de chercheurs fait apparaître une grande ambiguïté dans l’analyse, sans qu’on sache si elle porte sur l’image ou sur le texte, sur une image de propagande ou sur une image publicitaire, sur une image de propagande ou sur une image artistique.

            La même difficulté a été notée dans l’interprétation des films dits coloniaux, d’autant plus grande, qu’en grande majorité, ils concernaient le Maghreb. Laisser croire que les films tournés au Maghreb, et surtout au Maroc, avec de nombreux réalisateurs étrangers sont des films coloniaux est une tromperie intellectuelle.

            Leur discours mémoriel n’apporte pas de réponses aux questions qui étaient posées dans le prologue sur les méthodes de lecture des images, et d’ailleurs parfaitement exposées dans certaines communications du Colloque de 1993.

            En ce qui concerne l’interprétation des images coloniales, aucun progrès n’a donc été enregistré, entre 1993 et 2003. Où sont donc passés les sémiologues ? Est-ce que nos chercheurs en connaissent l’existence ?

            Concrètement, les méthodes improvisées, mais orientées, de lecture et d’interprétation des images coloniales, risquent de déboucher sur une nouvelle querelle des images religieuses qui a connu de beaux jours sous l’Empire de Byzance, aux huitième et neuvième siècles, avec la lutte de l’Eglise contre les sectes iconoclastes, iconoclastes contre idolâtres.

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale (3)

 Pourquoi critiquer sur le fond, et sur la méthode, le discours de ce collectif de chercheurs ?

            Ce n’est pas leur choix des supports d’une culture coloniale ou impériale supposée, que nous contestons, mais leur analyse fondamentale.

            Il n’est pas possible, sur le plan de l’honnêteté intellectuelle, de tirer des conclusions à partir du moment où l’on se refuse à tenter de mesurer le poids de chaque support, par exemple, le tirage des journaux aux différentes époques, la place qu’ils réservaient aux colonies, l’écho que les journaux parisiens ou provinciaux donnaient à tel fait colonial. Or rien de cela n’a été fait par ce collectif, et la thèse Blanchard n’apporte d’informations à ce sujet , que tout à fait relatives, avec un choix restrictif des titres,  pour une période de temps limitée et un champ géographique également limité.

            Absence d’analyse quantitative (colonnes, superficie, année par année…) et qualitative : est-ce que les journaux disaient du bien ou du mal des colonies, ou étaient-ils simplement indifférents, comme l’ont déclaré un certain nombre de spécialistes.

            Donc analyse, sans doute après échantillonnage statistique, garanti, du poids du support d’information et de culture, analyse du poids relatif de l’article ou des articles, de l’image ou des images consacrés à la chose coloniale, et analyse qualitative des contenus positifs, négatifs ou neutres.

            Peut-être aurait-il été nécessaire de mesurer les effets positifs, négatifs, ou neutres, d’un événement colonial sur l’opinion publique, en choisissant ceux qui ont pu l’agiter et ceux qui auraient du l’agiter, par exemple la guerre du Rif au Maroc, dans les années 1925-1926, ou la révolte de Yen Bay, en 1930, en Indochine, si tel a été le cas.

            Nous avons donné plusieurs exemples concrets de ce type de méthode statistique de lecture et d’interprétation dans le chapitre Presse, dont celui du journal Ouest Eclair, dans les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale.

            Le lecteur aura pu prendre la mesure de ces insuffisances et imprécisions dans presque tous les cas de figure, et notamment dans le domaine des livres scolaires, domaine dans lequel les travaux connus contredisent le discours mémoriel. D’autant plus que les pages consacrées aux colonies figuraient en fin de livre, c’est-à-dire à la fin du programme scolaire: qui peut assurer qu’elles ont été effectivement lues ou commentées par les enseignants, juste avant les grandes vacances?

            Mais les mêmes insuffisances et approximations existent pour les cartes postales, les affiches, le cinéma, ou la propagande elle-même.

            Chiffres changeants, incertains, dont il conviendrait de démontrer la consistance et l’origine, alors que les contributions elles-mêmes du Colloque ou du livre Images et Colonies portent sur des séries généralement réduites ou flottantes, ce qui n’empêche pas nos chercheurs d’en tirer des conclusions mirobolantes.

             Le colloque a examiné environ six cents images (C/141), mais l’introduction du livre Images et Colonies fait état d’un recensement du groupe de recherche de l’Achac qui porterait sur plus d’un million d’images qui auraient été analysées au sein de son séminaire, et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’Achac à la Bibliothèque nationale en janvier 1993,  suivi de la publication des actes. (IC/8) Il s’agit du même colloque et le chiffre du million parait surprenant, compte tenu des propos qui ont été précisément tenus à ce colloque.

            L’analyse que nous avons effectuée sur les différents supports a démontré qu’il manquait une évaluation quantitative et qualitative des supports d’information et de culture et de la place qu’ils accordaient à la chose coloniale, ainsi que de leurs effets sur l’opinion, pour pouvoir prétendre énoncer telle ou telle conclusion sur leur rôle respectif dans la formation d’une culture coloniale, posée comme postulat.

            La démonstration historique reste donc à faire pour savoir si la presse a été ou non coloniale, si l’école, les cartes postales, le cinéma, les affiches, les expositions, ont joué le rôle que lui prête ce collectif de chercheurs. Textes ou images, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes, et il est difficile d’admettre que l’interprétation des images, en tant que telles, et dans leur champ spécifique des signes, soit laissée à la seule initiative des historiens.

            L’effet de loupe-          Le discours de la méthode du Colloque de 1993 mettait en garde ses participants sur les dangers de l’effet de loupe, et nous avons vu, avec l’exemple du grain de riz de l’Indochine présenté comme le symbole d’une propagande coloniale tonitruante, à quelles conclusions erronées pouvait conduire ce type de déformation visuelle, mais d’abord intellectuelle.

            Encore conviendrait-il de remarquer que le mot propagande pour le bon socialiste qu’était Marius Moutet n’avait pas du tout le même sens que pour les fascistes, les communistes ou les nazis. Et d’ajouter qu’elle n’avait rien à voir avec celle de Tchakhotine et de son Viol des Foules.

            Effet de loupe sur l’objet même de l’étude à partir du moment où jamais n’est mis en comparaison l’imaginaire colonial, pour autant qu’il ait existé et qu’il existe encore, avec d’autres imaginaires puissants qui ont pu exister dans les différentes étapes de la chronologie historique : la saignée de la première guerre mondiale, la crise des années 30, la montée de la menace nazie et fasciste, la lutte fratricide franco-française pendant l’occupation allemande, puis le rêve américain et la guerre froide.

            Même effet de loupe pour le Petit Lavisse, les zoos  humains, les indigènes nues, Mauresques de préférence, Banania, ou Tintin au Congo ! Bled, Pépé le Moko, ou l’Atlantide ? Oublierait-on que Banania fut avant tout une publicité pour le petit déjeuner des enfants.

            Effet de loupe qui occupe plusieurs étages, les sous-sols de l’inconscient qui disputent la place des étages supérieurs, où se situent des imaginaires dominants ou dominés, en conflit, imaginaires qu’il conviendrait de définir et de délimiter aux différentes époques historiques. Le collectif de chercheurs n’a proposé à ce sujet aucune méthodologie, et naturellement aucun résultat.

            Donc, un puissant effet de loupe, ce qui veut dire sophisme du raisonnement historique, puisque l’effet de loupe procède d’un raisonnement sophistique.

            Nous avons vu en effet, au fil des chapitres, que nos chercheurs n’hésitaient pas à généraliser une observation, un fait, une image, sans se préoccuper de la question de leur représentativité dans un corpus déterminé. Selon le bon exemple du Français qui débarque sur les quais de la Tamise, voit une anglaise rousse, et en conclut que toutes les anglaises sont rousses.

            Car il nous faut revenir à présent sur les Actes du Colloque et sur le livre Images et Colonies pour apprécier leur discours par rapport au découpage chronologique de ces deux sources.

            Le Colloque n’avait pas, d’après les actes, d’ambition chronologique et historique, et n’avait pas encadré sa réflexion dans un calendrier historique précis. Il s’agissait plus de la part de ses participants d’un premier défrichage intellectuel du sujet, que d’un travail d’approfondissement de travaux déjà largement engagés.

            Il est d’ailleurs important de noter que l’objet du colloque était le suivant : Quelles représentations de l’Afrique ont aujourd’hui, les Français et les Européens ?

 Il  ne s’agissait donc pas d’un travail historique collectif proprement dit.

            Le livre Images et Colonies proposait lui un ensemble de contributions très variées, souvent de bonne qualité, qui s’inscrivaient dans une chronologie acceptable, 1880-1913, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962. La prise en compte séparée des deux périodes de guerre était tout à fait justifiée, car on ne peut pas mettre sur le même plan la situation de l’opinion publique, en temps de paix et en temps de guerre. C’est à peu de choses près, le découpage chronologique qu’avait proposé M.Gervereau au Colloque de 1993. (C/56)

            A chacune des périodes examinées, la facture de ces contributions était quelquefois historique, quelquefois artistique, ou simplement intellectuelle, et leurs auteurs n’avaient pas toujours l’ambition ou l’intention d’en faire un aliment pour une guerre des mémoires à venir.

            Alors que l’objet même du Colloque de 1993, l’évaluation des représentations que les Français et les Européens d’aujourd’hui ont de l’Afrique, le Colloque n’a pas suggéré de procéder à un sondage en vraie grandeur, à l’initiative  de la puissance publique, qui aurait pu mettre au clair cette question, question à laquelle le sondage de Toulouse n’a pas apporté de réponse.

            Les Actes de ce Colloque n’ont malheureusement pas débouché, en tout cas, à notre connaissance sur la mise au point de méthodes d’évaluation historique des textes et images de notre histoire coloniale moderne.

            Et, comme nous l’avons souligné plus haut, faute de preuves, des historiens distingués ont ouvert à cette occasion la porte du ça colonialde l’inconscient collectif, indéfini et indéfinissable, qui appelle à des interventions historiques ou mémorielles, liées à la psychanalyse, et qui sait à la sorcellerie.

Scientificité des thèses d’histoire coloniale? Est-ce le cas?

Que penser des thèses d’histoire coloniale ?

Secret de confession universitaire ou tabou colonial ?

Pertinence scientifique et transparence publique des thèses en général et d’histoire coloniale en particulier ?

Sont-elles scientifiquement pertinentes, alors que leurs jurys cachent leur avis et le résultat de leurs votes ?

Au sujet des thèses Blanchard, Bancel, et Lemaire… et sans doute d’autres thèses !

             Au cours des dernières années, mes recherches d’histoire coloniale (d’amateur) m’ont conduit à aller à la source, c’est-à-dire à prendre connaissance de plusieurs thèses d’histoire coloniale qui donnaient, je le pensais, un fondement scientifique aux interventions verbales ou aux ouvrages écrits par leurs auteurs.

            J’ai donc consulté les trois thèses des trois historiens (Blanchard, Bancel et Lemaire) qui soutenaient la thèse soi-disant  historique d’après laquelle la France aurait été dotée, lors de la période coloniale, d’une culture coloniale, puis impériale.

            J’étais, en effet, plutôt surpris par la teneur des discours que ces derniers tenaient sur ce pan largement ignoré de notre histoire nationale.

            Accréditation scientifique ?

            La consultation et la lecture de ces thèses me donnèrent la conviction qu’elles ne suffisaient pas toujours, totalement ou partiellement, à donner une accréditation scientifique à leurs travaux, dans le domaine de la presse, des sondages, des images coloniales quasiment absentes et sans aucune référence sémiologique dans les thèses en question, et d’une façon générale en ce qui concerne la méthodologie statistique, économique ou financière mise en œuvre.

            Constat surprenant, alors que le terme de « scientifique » est souvent mentionné dans les arrêtés qui ont défini la procédure d’attribution du titre de docteur par les jurys : intervention d’un conseil scientifique, intérêt scientifique des travaux, aptitude des travaux à se situer dans leur contexte scientifique…

            Il me semblait donc  logique d’aller plus loin dans mes recherches, c’est-à-dire  accéder aux rapports du jury visés par les arrêtés ministériels de 1992 et 2006, rapports susceptibles d’éclairer l’intérêt scientifique des travaux. J’ai donc demandé au Recteur de Paris d’avoir communication des rapports du jury, communication qui m’a été refusée, alors que la soutenance était supposée être publique.

            Mais comment parler de soutenance publique, s’il n’est conservé aucune trace du débat, du vote (unanimité ou non) du jury, et s’il n’est pas possible de prendre connaissance des rapports des membres du jury, et donc de se faire une opinion sur la valeur scientifique que le jury a attribué à une thèse, ainsi que des mentions éventuellement décernées.

            Je m’interroge donc sur la qualité d’une procédure

            – qui ne conserverait aucune trace d’une soutenance publique, sauf à considérer que celle-ci n’a qu’un caractère formel.

            – qui exclurait toute justification de l’attribution d’un titre universitaire, appuyé seulement sur la notoriété de membres du jury, alors même que ce titre est susceptible d’accréditer l’intérêt scientifique de publications ultérieures, ou de toute médiatisation de ces travaux.

            Conclusion : les universités et leurs jurys seraient bien inspirés de lever ce secret, sauf à jeter une suspicion légitime et inutile sur le sérieux scientifique des doctorats qui sont délivrés, sauf également, et cette restriction est capitale, si mon expérience n’était aucunement représentative de la situation actuelle des thèses et des jurys.

            La transparence publique devrait être la règle.

            Pourquoi en serait-il différemment dans ce domaine de décisions, alors que la plupart des décisions publiques sont aujourd’hui soumises à des obligations démocratiques utiles de transparence publique.

            Il parait en effet difficile d’admettre que, sous le prétexte de préserver le secret de la vie privée, le secret des délibérations sûrement, mais pas le reste, il soit possible de sceller tout le processus supposé « scientifique » du même sceau du secret.

            A l’Université, en serions-nous encore, à l’âge du confessionnal et de l’autorité d’une nouvelle l’Eglise? Les jurys auraient donc quelque chose à cacher ? Un nouveau tabou ?

            Et en post scriptum, une thèse à l’EHESS :

             J’ai eu l’occasion d’analyser, en 2009, une thèse consacrée à l’histoire coloniale, au développement et aux inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française, au titre de l’EHESS, et sous la direction de Denis Cogneau (professeur associé à Paris School of Economics) et Thomas Piketty (professeur à l’Ecole d’Economie de Paris), avec le concours de deux rapporteurs, Jean-Marie Baland, professeur à l’Université de Namur, et Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology, plus deux autres membres éminents, Pierre Jacquet, Chef économiste à l’Agence Française de Développement, et enfin Gilles Postel-Vinay, Directeur de recherche à l’INRA, Directeur d’études à l’EHESS.

            La thésarde a fait un très gros travail d’analyse, mais sur des bases statistiques fragiles et en faisant un très large appel à un appareil de corrélation mathématique et statistique savant, mais audacieux, en projetant des raisonnements qui enjambent la période d’explosion démographique de la deuxième moitié du siècle, et quelquefois le siècle.

            Il serait intéressant d’avoir accès aux rapports des membres du jury, au contenu des délibérations, et au vote du même jury, et pas uniquement à l’article de Mme Duflo, dans Libé du 2/12/2008, intitulé « Le fardeau de l’homme blanc ? », dont le contenu était favorable aux conclusions de cette thèse.

            Et j’ai tout lieu donc de penser que, pour assurer son crédit scientifique,  la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence publique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige.

            Jean Pierre Renaud, docteur en sciences économiques, et ancien haut fonctionnaire

« Essai sur la colonisation positive », un livre de l’historien Marc Michel

  Tout d’abord pourquoi ce titre un brin provocant ?

        Avant de proposer quelques notes de lecture, il n’est pas inutile, je crois, dans le contexte politique et idéologique actuel de certains chercheurs, plus qu’historique, d’éclairer le lecteur sur le sens complet du titre choisi, et pour ce faire, quoi de mieux que de citer une des phrases clés  de la conclusion ?       

            L’auteur rappelle à ceux qui ont la mémoire courte, qu’avant l’élection de Barack Obama, un exemple qui serait à suivre, la France a eu, depuis longtemps,  des députés, des hauts fonctionnaires noirs, des ministres… Sans attendre l’exemple américain !

            “Ils étaient le fruit d’une longue histoire où la colonisation a eu sa part, tantôt positive, tantôt négative toujours complexe, contradictoire, ambiguë.”

            Et pour éclairer le même propos, Amadou Hampâté Bâ, le grand lettré de l’Afrique occidentale, écrivait dans son livre « Amkoullel, l’enfant peul » (1992) :

            « Une entreprise de colonisation n’est jamais une entreprise philanthropique, sinon en paroles… Mais, comme il est dit dans le conte Kaïdara, toute chose a nécessairement une face diurne et une face nocturne. Rien, en ce bas monde, n’est jamais mauvais de A jusqu’à Z et la colonisation eut aussi des aspects positifs qui ne nous étaient peut être pas destinés à l’origine mais dont nous avons hérité et qu‘il nous appartient d’utiliser au mieux. » (p.492)

            Un regard de « collabo » des Français ? Si l’on retenait une des interprétations  qui figure dans le « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du Président Sarkozy » ? (voir mon analyse de ce livre sur le blog du 3 mars 2010)

            L’auteur nous emmène donc dans l’histoire des relations entre les blancs et les noirs en Afrique au cours d’une longue période, qui va de 1830 à 1930, en nous proposant très souvent une analyse historique internationale et transversale, du nord au sud, et de l’ouest à l’est de ce vaste continent.

            Sont successivement présentés les paramètres les plus intéressants de la problématique coloniale, des analyses et des synthèses fondées sur une historiographie très riche de sources toujours citées.

            Les réflexions sur les transitions économiques du XIXème siècle sont stimulantes : les sociétés côtières africaines réussirent à s’adapter à l’évolution, à passer de la traite des esclaves à la traite des produits, mais échouèrent à sortir du système des comptoirs côtiers, à franchir  le cap redoutable des  nouvelles technologies du commerce international, et notamment celle des transports maritimes.

            Les pages consacrées aux aventuriers font écho aux analyses pertinentes d’Headricks sur l’impact des nouvelles technologies de la médecine (quinine),des communications, et des armes, bien sûr, qui ont favorisé explorations, conquêtes coloniales, et aussi aventures. Les Blancs avaient d’autant bonne conscience qu’ils mettaient en avant le slogan des trois C de Livingstone: “ Commerce, Christianisme et Civilisation.”

            L’auteur écrit: “Si l’on compare donc la présence européenne dans les différentes parties de l’Afrique à la veille du partage, on ne peut être que frappé par des disparités géographiques extraordinaires. L’Afrique du Sud constitue une zone de peuplement blanc… comparable seulement à l’Afrique du Nord. Ailleurs, l’Afrique n’en est qu’aux balbutiements de l’apparition du Blanc dans le  monde noir, aux explorations.”(p.92) Le livre s’attarde longuement sur le cas de l’Afrique du Sud.

            Un continent de l’inconnu

            L’auteur relève qu’effectivement, l’Afrique était encore un continent à découvrir, un “continent de l’inconnu… la raison en est encore l’ignorance gigantesque de l’intérieur du continent pourtant le plus proche de l’Europe.” (p.93).

            Esprit de découverte encouragé par la curiosité et le dynamisme des sociétés de géographie. Rappel des grandes découvertes et du rôle des explorateurs les plus célèbres, Barth, Livingstone, Stanley, et Brazza.

            L’auteur note que Gallieni “ comme l’immense majorité de ses pairs à Saint Cyr, ne sait rien de l’Afrique intérieure lorsqu’il arrive au Sénégal en janvier 1877...”

            Et en ce qui concerne la mission Marchand, véritable “épopée nationaliste”, le livre observe qu’elle fut marquée par une “tache indélébile”… de violence inhérente à l’entreprise coloniale.” (p.127)

            Bible et fétiche

            Le chapitre intitulé “La Bible et le fétiche est un titre accrocheur, et c’est bien. L’histoire aborde là le sujet sensible du choc des convictions, et des cultures. L’écart était tel entre la culture occidentale et les cultures africaines qu’il était difficile à combler. Après la lutte contre l’esclavage atlantique, souvent animée par les Anglais, les missionnaires (ainsi que les autres blancs) se trouvèrent confrontés à la perpétuation d’une traite des esclaves intérieure, notamment en Afrique de l’Est, et à des coutumes, au mieux ésotériques et incompréhensibles, au pire barbares, que le livre rappelle, notamment les sacrifices  humains au Dahomey et en Ashanti. Mais quelle attitude adopter face au fétichisme existant sous de formes multiples, ou à la polygamie?

            Le livre décrit la condition des premiers missionnaires dont l’espérance de vie, sur place, ne dépassait guère trois ans (p.141).

             « La tentation missionnaire a été de tenir leurs chrétientés  à l’écart des influences délétères du monde profane et immoral des blancs (p.162), mais les missionnaires partageaient les mêmes préjugés que les autres blancs sur les noirs; leur position était, par ailleurs et souvent, ambiguë face au  pouvoir colonial. Les missions protestantes anglaises étaient beaucoup plus favorables à l’émergence d’églises indigènes que les missions catholiques.

            “Au total? Durant cette longue période des années 1820 aux années 1880…les Eglises chrétiennes s’implantèrent avec persévérance, malgré les obstacles, grâce à quelques dizaines d’hommes. Du point de vue chrétien, c’était une sorte de miracle…Du point de vue  des Africains, le succès tenait aussi au fait qu’ils avaient su saisir de ce christianisme importé qu’ils se sont approprié et y ont vu un instrument de modernité. Ce faisant, ils en ont fait aussi un instrument de contestation. Mais l’essentiel est qu’en définitive ils n’ont pas “choisi” entre la Bible et le fétichisme; ils ont ajouté l’une à l’autre. “ (p.173)

            Donc, la bible plus le fétiche!

            La parole comme enjeu: j’ajouterais volontiers la palabre, puisqu’il s’agit d’abord de cela.

            Le sujet n’est pas traité en tant que tel dans l’histoire coloniale, sauf ignorance de ma part, et à ce titre, il est novateur. Le thème est capital puisqu’il s’agit du truchement des mots et des pensées entre deux mondes qui s’ignoraient, et qui n’avaient pas grand-chose en commun à l’époque.

            Ainsi que le note l’ouvrage, la palabre avait de multiples sens, passant de la relation de pouvoir, à la négociation, à la sociabilité du groupe, à l’arbitrage, au jugement coutumier, au jeu …et s’il est vrai, comme le souligne l’auteur, que le pouvoir colonial  a fait dériver le sens du mot et de la coutume, pour les administrateurs coloniaux, le mot avait aussi un sens proche de celui que lui donnaient les Africains.

            Est-ce que le constat proposé par l’auteur: “En situation coloniale, “la palabre” devint très largement une coquille, progressivement repoussée dans le magasin des articles pittoresques, comme les “fétiches” ou les danses africaines.” ne force pas trop le trait de l’évolution? (p.208)

            Des guerres inégales: un chapitre très documenté qui met clairement en valeur la problématique de ces guerres, les enjeux respectifs, et les questions que pose leur interprétation en Afrique. L’ouvrage examine tout à tour les paramètres de la confrontation, armes, effectifs, organisation, logistique, art de la guerre…        

            Les nouvelles technologies ont donné un avantage décisif aux troupes coloniales. Les Africains leur ont le plus souvent opposé de gros effectifs et subi de lourdes pertes  humaines, mais dans quelques cas, la confrontation fut moins inégale, et prit incontestablement une allure européenne. Le livre cite le cas du Dahomey, mais au niveau d’unités plus  modestes, de l’ordre d’un ou deux bataillons, comme ce fut le cas en 1892, contre Samory, avec la prise de sa capitale, Bissandougou : les sofas de Samory y firent jeu égal avec les Français, nombre égal de fusils à tir rapide et art égal de la manoeuvre, au témoignage des officiers français.

            En 1897, à Dabala, où s’était réfugié Samory, alors pourchassé et sur le déclin, l’administrateur Nebout, en mission de contact chez l’Almamy, comptait encore près de mille fusils à tir rapide, soit encore, en équivalent, l’armement d’un ou deux bataillons.

            Guerres-batailles ou guerres de guérilla ?

            Je serais tenté de dire que pour tout classement entre “guerres-batailles et guerres de guérilla” (p.240), il conviendrait peut être de combiner les critères de niveau d’unité, d’armement, et de durée de l’affrontement. Je ne suis pas sûr que le concept de guérilla rende bien compte des confrontations les plus fréquentes, mais pas seulement africaines de l’époque, c’est à dire les “colonnes”, avec leurs accrochages successifs, l’assaut, et la prise du tata (village ou cité avec leurs fortifications), grâce au canon, “le roi des conquêtes” en pays soudanais.

            Sentiment patriotique des combattants africains ou culte du chef de la communauté? A Biassandougou, en 1892, les sofas de Samory lançaient l’assaut et mouraient en criant “Sokhona! Sokhona”, la mère qu’adorait l’Almamy.

            Enfin, deux remarques, la première partagée, la conquête coloniale n’aurait pas été possible sans le concours des Africains eux-mêmes, la deuxième, moins partagée quant à la conclusion:

            “Une chose est certaine, les Européens ne permirent jamais aux Africains de lutter à armes égales.”

            Est-ce qu’il y a eu beaucoup de guerres sans que l’initiative ne soit prise par un des deux camps assuré de disposer de la supériorité des armes?

            Il serait intéressant, par ailleurs, de savoir pourquoi des chefs de guerre africains intelligents ont le plus souvent donné la préférence à l’affrontement direct, et non indirect, en inscrivant peut être ce type de réflexion dans le registre des analyses de Victor Hanson, et de son livre « Carnage et culture » ?

            Quand le monde s’effondre L’auteur relève tout d’abord que le temps de la gestion coloniale a été un temps historique courtune cinquantaine d’années, mais qu’il a provoqué, en une génération, un profond changement, alors que les auteurs de ce bouleversement, sur le terrain, n’étaient que quelques centaines d’Européens.

            Le livre relève, comme aberrante, l’affirmation d’un « historien » à succès, d’après lequel il aurait existé un totalitarisme colonial, alors que les administrateurs coloniaux, les  rois de la brousse, les véritables leviers du changement n’ont jamais été guère plus d’une centaine, soit, en moyenne, un administrateur pour 150 000 habitants.

            Il a bien fallu que les administrateurs cherchent à connaître les africains dont ils avaient la charge, leurs cultures, leur organisation, il leur fallait les nommer, d’où la description des ethnies, sujet aujourd’hui controversé, mais comment pouvait-il en être autrement? Auraient-elles disparu de nos jours?

            Les femmes…  Et trouver des truchements, des intermédiaires, et le livre aborde là un sujet tout à fait novateur que frappe une sorte de censure historique, mais dont les historiens ne sont pas obligatoirement responsables.

            Pour avoir fréquenté de très nombreux récits d’explorations ou de conquêtes, il est exceptionnel que leurs auteurs parlent des femmes, sur un plan intime. Landeroin, l’interprète en langue arabe de la mission Marchand, évoque le sujet dans ses carnets manuscrits, mais ces carnets n’étaient peut-être pas destinés à être publiés tels quels.

            A titre anecdotique, à l’occasion de son retour de Fachoda à Djibouti, Landeroin notait lors de son séjour à Goré, en Abyssinie: “La belle pastèque, que Dieu soit loué, est revenue avec moi la nuit“. A titre anecdotique, Landeroin épousa une femme d’origine peule qu’il ramena en Touraine. Nebout, cité plus haut, épousa une femme d’origine baoulé.

            Dans ses carnets, Binger notait que refoulé de Whagadougou, en 1888, il était revenu chez le frère du chef de cette cité, qui lui avait offert trois femmes pour qu’il se marie avec elles, mais ce type d’information n’est pas très fréquent dans les récits de l’époque. (p.42)

            Il est dommage que le livre n’ait pas consacré à ce sujet quelques pages supplémentaires, faute de sources sans doute, parce qu’il en vaut la peine.

            Deux facteurs me paraissent déterminants à ce sujet, très au delà des interprétations égrillardes les plus répandues, la liberté des moeurs qui existait dans beaucoup des sociétés africaines rencontrées, et la nécessité professionnelle pour un administrateur, à côté de l’interprète ou du garde, de trouver un partenaire de confiance pour connaître et comprendre ce monde nouveau et inconnu dans lequel il se trouvait plongé.

            S’accommoder avec l’inévitable, c’est à dire la malédiction du travail forcé, dont les Européens n’étaient toutefois pas les inventeurs, une sorte de fil rouge dans la littérature, mais pour lequel il existe encore peu d’études… du portage qui fut une des plaies de la conquête, notamment en Afrique centrale, faute en partie d’une absence quasi-totale de voies de communication et de moyens de transport. Parce qu’il fallait produire.

            Soigner – Le passage consacré à la médecine coloniale est intéressant, parce qu’il touche, comme la bible, au domaine sensible des convictions; médecine rationnelle ou médecine traditionnelle, souvent celle des sorciers ou des marabouts. De toute façon, en 1914, et longtemps après, le pouvoir colonial n’était pas en mesure de la développer, étant donné qu’il n’y avait alors, en AOF, que 140 médecins, et qu’ils étaient  militaires.

             Ecoles et élites: aux origines du grand malentendu – Je me contenterai à cet égard de citer le jugement de l’auteur:

            ”Ensuite, l’école exprima dès le départ, plus manifestement que d’autres indicateurs, les contradictions de l’Etat colonial de se doter d’une classe sociale d’auxiliaires, celle des missionnaires de susciter des artisans pour de  nouvelles chrétientés, et celle des Africains de se rendre maîtres d’un outil de leur émancipation.(p.338)

            L’Afrique pendant la grande guerre – Le livre décrit la guerre sur le théâtre africain, un pan peu connu de la grande guerre et traite d’un sujet que l’auteur connaît parfaitement, l’effort de guerre colonial, l’appel à l’Afrique, le loyalisme des soldats africains. Il démonte en même temps la légende de la chair à canon, en démontrant par les chiffres, que leurs pertes étaient comparables à celles des Français, qui rappelons-le, étaient elles-mêmes considérables.

            L’évocation des rencontres et des images réciproques entre français et africains est éclairante sur la complexité des rapports entre cultures, en notant que dans beaucoup de cas, et de part et d’autre, jamais autant de personnes de race et de cultures différentes ne s’étaient déjà rencontrées.

            Mais contrairement à l’armée américaine, les Africains purent constater que l’armée française n’était pas une armée de ségrégation.

            Après la grande guerre, l’Afrique ne fut plus du tout la même.

            1916, la révolte en Haute Volta

            Pendant la guerre, l’AOF avait enregistré des refus et des révoltes, notamment, en 1916,  en Haute Volta. “La répression fut terrible et soigneusement cachée en France… Ce fut, semble-t-il, la plus importante  révolte qu’ait connue l’Afrique noire française durant la période coloniale.”(p.362)

            Les lendemains de guerre  Le livre souligne qu’après la guerre, on pouvait, encore moins qu’auparavant, comparer l’Afrique du Sud (plus la Rhodésie et le Kenya)  au reste de l’Afrique : “Plusieurs Afriques se dessinent…”; en France et en Afrique noire française, il existait un “non-dit” entre “identité et “assimilation”, qui alimente encore le débat.

            L’auteur résume:“Les sociétés colonisées d’Afrique sortirent à  la fois déstabilisées et encore plus contrôlées qu’auparavant de la période de guerre; les révoltes qui se produisirent alors marquèrent le terme presque définitif des “résistances primaires”, l’avènement réel de l’Etat colonial.” (p.395).

            Mais avec un regard nouveau de l’Europe sur ces civilisations, le “renversement que les sciences humaines opèrent après la Grande  Guerre…”, la naissance de l’africanisme, la découverte de l’art dit primitif…

            Et le contraste entre bonnes paroles et réalités     

            « Il est évidemment facile de souligner le contraste entre ces bonnes paroles et les réalités, la condescendance ou l’ignorance, quand ce n’était pas la brutalité, qui régissaient les relations entre Blancs et Noirs dans l’Afrique colonisée, à cette époque. Pour autant la construction coloniale comporta suffisamment d’aspects positifs par la suite, qu’on ne peut en nier l’ambiguïté fondamentale.” (p.408)

            Et l’auteur d’épingler “quelques idées reçues”: les Africains ne seraient “pas capables de modernité… les relations entre Africains et Européens n’auraient été que violence à sens unique…les Européens sont “coupables” de la traite, de la colonisation: “ils ont eu tort”. Certes… L’Afrique ne s’est pas défendue, elle s’est donnée…il y a une Afrique “authentique”, celle des paysans, de la “tradition” et une Afrique “pervertie”, celle des villes, des évolués...”

            Et l’historien de conclure avec le grand africaniste que fut Delafosse (un administrateur colonial) :

            “ Mais pourquoi perdre notre temps à toujours comparer les Noirs aux Blancs et les Africains aux Européens? C’est là une besogne assez vaine…” (p.411)

            En résumé, un livre dense et d’une grande honnêteté intellectuelle, dans la droite ligne des travaux du grand historien Henri Brunschwig, un livre rafraîchissant sur le plan intellectuel, parce qu’il nous sort du discours trouble et idéologique de certains livres qui flirtent trop souvent avec la mémoire, les médias, et le goût du jour, et qui surfent sur le terrain sensible de l’immigration africaine, et surtout algérienne.

            Il serait sans doute  intéressant de connaître l’accueil que les historiens africains feront à l’ouvrage

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: des crevettes de Madagascar et de notre histoire coloniale

 Une grande chaîne de supermarchés de l’ouest de la France a lançé une campagne de souscription en faveur de la construction d’un lycée à Madagascar: bravo!

      Si vous achetiez un kilo de crevettes de la Grande île, vous donniez un euro pour cette bonne et noble cause.

      Elles sont d’ailleurs excellentes, comme d’habitude, et je vous les recommande. Conseil tout à fait désintéressé!

      Deux questions  ont été posées aux quatre vendeurs du rayon « marée », trois femmes et un homme, de la génération 30-40 ans:

     Première question: savez-vous où se trouve Madagascar? Réponse; deux disent en Afrique, sans pouvoir préciser la localisation, les autres ne savent pas.

    Deuxième question: Est-ce que Madagascar a été une colonie française? Trois ne savent pas, le quatrième répond, interrogatif,  « une colonie anglaise?

    De quoi sans doute rassurer les zélateurs d’une histoire coloniale qui aurait marqué la mémoire des Français, et , plus sûrement encore, leur inconscient collectif.

   Ce petit sondage n’est bien sûr pas représentatif, mais il nous invite, une fois de plus, à mesurer sérieusement les fantasmes qui planeraient sur notre mémoire nationale.

JEUX DE MEMOIRE COLONIALE OU LE SEXE DES ANGES COLONIAUX

Mémoire collective

Contribution 4

Rappel des contributions précédentes :

Contribution 1 : définition de la mémoire collective (15/04/10)

Contribution 2 : « La guerre des mémoires » de M.Stora (25/04/10)

Contribution 3 : « Décolonisons les imaginaires » : le colloque de la Mairie de Paris du 12 mars 2009

(3/05/10)

Jeux de mémoire coloniale ou le sexe des anges coloniaux

« Françaises, Français, décolonisez vos imaginaires ! »

            Mémoire collective, inconscient collectif, stéréotypes, ces concepts sont à la mode dans certains milieux. Ils seraient l’alpha et l’omega d’une histoire coloniale que personne ne connaît, pas plus en France que dans les anciennes colonies, et qui, miraculeusement, rendrait compte de notre regard et de notre comportement actuels à l’égard des nouveaux indigènes de la République.

            La mémoire collective s’est substituée à l’histoire, et c’est beaucoup plus commode pour les ignorants.

            L’histoire coloniale est donc tombée dans le piège des mémoires, d’une mémoire collective que tout un chacun cite, sans jamais en avancer la moindre preuve, notamment des enquêtes et des sondages ? Sans en donner une quelconque mesure ? Sans produire une analyse enfin sérieuse de cette mémoire coloniale qui resterait quand on aurait tout oublié, pour paraphraser la  phrase célèbre d’Herriot sur la culture ?

            Un sondage chaque jour, sur l’alimentation, sur les retraites, les vacances… mais le désert complet sur la mémoire collective !

            Aurait-on peur des résultats d’un sondage exhaustif et honnête sur cette fameuse mémoire collective coloniale ?

            Il est tout de même étrange qu’une secrétaire d’Etat de couleur, et qu’un présentateur de télévision également coloré, figurent actuellement parmi les personnages publics les plus populaires d’une France ravagée par sa mémoire coloniale !

            Un historien médiatique a commis récemment un petit livre intitulé La guerre des mémoires. Dans un livre récent également, L’Europe face à son passé colonial, plusieurs historiens ont fait référence à la mémoire collective, sans jamais la définir et en donner de preuve, par une analyse des médias notamment.

            A l’occasion d’un colloque consacré aux images coloniales en 1993, plusieurs historiens sérieux avaient déjà évoqué les concepts magiques d’un inconscient et d’une mémoire collectifs, qu’ils n’ont jamais défini et évalué.

            Invoquer à tout propos une mémoire collective que personne n’a le courage de mesurer et d’évaluer, alors que chacun est à même de mesurer chaque jour les limites et les faiblesses de sa mémoire individuelle, parait donc tout à fait incongru.

            Nos mémoires individuelles sont déjà très fragiles, alors que dire de la mémoire collective ? Avancer pour toute explication, et sans aucune preuve statistique, compilation de journaux, d’émissions, de documents, mais surtout sans bonne et saine enquête approfondie, une mémoire collective indéfinie et indéfinissable, frise l’escroquerie intellectuelle et est purement et simplement de la manipulation.

            Les discours idéologiques et politiques qui enchaînent à tout propos mémoire collective, inconscient collectif, et stéréotypes coloniaux n’auront de crédit qu’à partir du moment où une enquête sérieuse, exhaustive, et objective en auront apporté commencement de bonne preuve, et bonne preuve.

            Le Maire de Paris a organisé le 12 mars 2009 un colloque sous le patronage du journal le Monde, intitulé Décolonisons les imaginaires.

            J’ai demandé au maire et au journal sur quelle base scientifique il était possible d’avancer que notre imaginaire était colonisé, mais j’attends toujours la réponse.

            Ce type d’initiative, irresponsable, contribue à accréditer un discours idéologique et politique qui alimente le feu couvant des banlieues.

            A l’heure actuelle, l’inconscient collectif, la mémoire collective et les stéréotypes coloniaux, sont donc à ranger, dans l’état actuel de nos connaissances,  dans le même rayon que le sexe des anges coloniaux.

Jean Pierre Renaud, le 8 juillet 2009

Et en guise de conclusion, une anecdote qui met en lumière le rôle des bibliothèques du Maire de Paris : dysfonctionnement administratif ou censure ?

            En 2008,  j’ai déposé moi-même au Service des Bibliothèques un exemplaire du livre « Supercherie coloniale », avec lettre d’envoi jointe, livre qui démontre, point par point,  l’absence de fondement, de méthode, et de sérieux, de la thèse d’un collectif de chercheurs sur le thème de la  « Culture coloniale », thèse largement répandue dans plusieurs livres, dans le but d’illustrer la colonisation de nos imaginaires.

             Ce livre s’est trouvé, quelques mois plus tard, dans une solderie de livres, l’exemplaire déposé contenant la lettre personnelle d’envoi avec l’adresse de l’expéditeur.

            Un livre égaré, avec sa lettre d’envoi avec le nom et l’adresse de l’expéditeur, vous ne trouvez pas ça étrange ?