Afrique Occidentale Française, histoire coloniale, développement et inégalités, la thèse Huillery

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

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Annonce de lecture critique pour l’automne

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Appel à la transparence de la délibération du jury de thèse en vue d’accréditer la « scientificité » des thèses d’histoire coloniale !

Appel aux jeunes chercheurs en histoire économique en vue de contribuer à la lecture critique de cette thèse !

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Les raisons de ma curiosité historique, financière et économique

            Dans le journal Libération du 2 décembre 2008 Mme Esther Duflo avait publié une tribune intitulée :

            « Le fardeau de l’homme blanc »

            Dans son texte, Mme Duflo tentait de démontrer que l’expression ne correspondait pas à une réalité historique, contrairement aux thèses que certains défendent quant au bilan positif de la colonisation, dans le fil du discours Sarkozy de Dakar (2007)  qui a nourri une grande polémique.

                   A l’appui de son propos et de sa démonstration, Mme Duflo renvoyait au contenu de la thèse défendue avec succès par Mme Huillery sur le sujet, sous la direction de MM. Denis Cogneau et de Thomas Piketty, qu’elle a eu le loisir d’examiner en sa qualité de membre du jury.

            L’expression « Le fardeau de l’homme blanc » fait allusion à celle devenue célèbre utilisée par Rudyard Kipling, chantre de l’impérialisme britannique, dans un de ses poèmes paru en 1899, mais dans un contexte colonial qui n’était pas celui de l’Empire des Indes, mais celui de l’impérialisme américain dans les îles Philippines.

            Chacune de ses strophes débutait par « Take up the White Man’s Burden,… », et cette expression fit florès en même temps qu’elle faisait évidemment l’objet de toutes sortes d’interprétations.

            A la suite de cette tribune, j’étais entré en contact avec Mme Duflo afin de pouvoir accéder au texte de cette thèse, ce qu’elle fit de façon fort aimable le 3 janvier 2009.

             J’ai donc analysé très longuement ce document bilingue qui comporte quatre chapitres intitulés, les chapitres 3 et 4 étant rédigés en anglais :

            Chapitre 1 Mythes et réalités du bilan économique de la colonisation française

       Chapitre 2 Le coût de la colonisation pour les contribuables français et les investissements publics en Afrique Occidentale Française

           Chapitre 3 History matters : the long-term impact of colonial investments in French West Africa

            Chapitre 4 The impact of European Settlement in within French West Africa – Did pre-colonial prosperous areas fall behind?

         La thèse en question est accessible sur le site de l’EHESS, et elle est donc de nature à susciter la curiosité et la lecture des jeunes chercheurs en histoire économique en général, et coloniale en particulier.

      Le contenu de cette thèse m’intéressait d’autant plus que mes recherches actuelles portent sur l’histoire coloniale et postcoloniale, notamment telle que certains chercheurs la racontent de nos jours.

      J’ai souvent noté en effet que beaucoup de travaux n’étaient pas fondés sur l’évaluation des phénomènes décrits en  termes de grandeurs statistiques mesurables et mesurées en fonction des situations coloniales rencontrées et de leur moment colonial.

        Cette thèse semblait donc répondre à une de mes préoccupations majeures.

       L’analyse de la thèse Huillery a suscité maintes questions de ma part, un nombre non calculable d’interrogations, sinon d’objections, que je vais tenter de récapituler, car j’avais archivé ce dossier depuis 2009, lorsque j’ai découvert que Mme Huillery venait de recevoir un prix du Cercle des Economistes pour l’ensemble de ses travaux, dont la thèse en question.

      Le journal Le Monde du 27 mai 2014 titrait une interview de l’intéressée :

      «  La France a été le fardeau de l’homme noir, et non l’inverse »

      Avec la question :

      Quel a été le sujet de votre thèse ?

      « Vouée au bilan économique de la colonisation française en Afrique de l’Ouest, elle bat en brèche la thèse de Jacques Marseille, publiée en 1984, selon laquelle la colonisation a été un sacrifice pour la France. Car l’examen des budgets coloniaux et métropolitains montre le contraire. Seulement 0,29% des recettes fiscales de la métropole ont été affectées aux colonies, dont les quatre cinquièmes sont en réalité le coût de la conquête militaire. L’investissement dans les biens publics ne représente qu’un coût équivalent à 0,005% des dépenses fiscales métropolitaines et n’a couvert que 2% du coût des investissements publics locaux : les chemins de fer, les routes, les écoles ou les hôpitaux ont été financés à 98% par les taxes locales. De plus jusqu’à la réforme de 1956, les hauts cadres coloniaux, les 8 gouverneurs et les 120 administrateurs de cercle (circonscription coloniale) absorbaient à eux seuls 13% des budgets locaux ! La France a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse »

     Mon intention n’est pas d’entrer dans le détail du débat qu’ouvre Mme Huillery sur la thèse de Jacques Marseille qui absorbe un grande partie de l’analyse du chapitre 1, mais d’examiner s’il est possible de fonder le constat qu’elle propose, un constat qui s’inscrit dans un contexte volontairement polémique, à partir d’une analyse économique et financière qu’elle récapitule dans les trois autres chapitres.

       Les deux questions de fond qui se posent sont celles de savoir :

       1 – si l’analyse proposée pour la colonisation française en Afrique de l’ouest permet d’affirmer que cette analyse est représentative de sa propre histoire économique ?

      2 – si cette analyse est susceptible d’être représentative de l’histoire de la colonisation française en général résumée par le slogan « La France a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse » ?

     Je formulerais volontiers ces deux questions sous le titre «  Miroir ou prisme » colonial, ou postcolonial ? », car la formule sur le fardeau de l’homme noir claque au vent comme un slogan politique !

      Ou encore sous le titre du « fardeau » de l’anachronisme postcolonial ?

     Nous examinerons successivement le contenu des quatre chapitres et nous tenterons en conclusion de poser les questions de base avec les réponses correspondantes qui seraient susceptibles d’emporter ou non une sorte d’adhésion.

      Le jury était composé ainsi : Jean-Marie Baland, Denis Cogneau, Esther Duflo, Pierre Jacquet, Thomas Piketty, Gilles Postel-Vinay

        Compte tenu de l’audience, du crédit, pour ne pas dire de l’influence, des membres de ce jury, dont certains animent la nouvelle Ecole d’Economie de Paris, il serait naturellement très intéressant qu’ils acceptent de publier le rapport du ou des rapporteurs, les éléments essentiels de leur délibération, ainsi que les résultats du vote, s’il y a eu vote, afin de contribuer à la fois à la bonne réputation de cette nouvelle école économique  et à la transparence des décisions des jurys de thèse, c’est-à-dire à la scientificité des thèses.

      Les textes relatifs à la délivrance des thèses par les jurys n’imposent en effet pas, sur le plan juridique, des formalités de publicité des décisions prises par les jurys, se limitant à la formule de « soutenance publique ».

       Sur ce blog, notamment le 11 juin 2010, j’ai proposé mon analyse du système actuel qui est loin d’être satisfaisant et fait quelques propositions de nature à accréditer la scientificité des thèses, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

     En gros, je notais que les arrêtés de 1992 et 2006 définissaient la procédure universitaire utilisée en faisant appel au concept de « scientifique » dans le cadre d’« une soutenance publique » qui ne laisse aucune trace du rapport, de la délibération et du vote du jury.

     A l’époque, j’avais déjà évoqué le cas de la thèse Huillery et conclu :

     «  Et j’ai donc tout lieu de penser que, pour assurer son crédit scientifique, la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence scientifique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige. »

      Cette innovation dans la transparence aurait répondu à l’une des résolutions écrites de cette thèse en ce qui concerne les recherches effectuées sur « Quarante années d’écriture du bilan économique de la colonisation » … « Nous allons donc prendre connaissance des recherches effectuées et sonder le type de socle scientifique. » (p,26)

     Un effort de transparence scientifique d’autant plus nécessaire que cette thèse, comme nous allons le démontrer, ne parait pas pouvoir accréditer le slogan : en AOF, «  la France a été le fardeau de l’homme noir ».

     Avec deux énigmes historiques à résoudre :

      La première : Avec ou sans « concession » ?

      La deuxième : Avec quelles « corrélations » ?

Jean Pierre Renaud

Empire colonial britannique et Empire colonial français: conclusions générales

XIXème et XXème siècles : Empire colonial britannique et Empire colonial français

Esquisse de tableau comparatif à grands traits : deux empires semblables ou différents ?

Quels héritages ?

Lilliput face à Gulliver !

Rêve ou réalisme ?

Empirisme ou théorie ?

Quelles conclusions générales est-il possible de tirer de la comparaison entre l’Empire britannique et l’Empire français ?

            Comme je l’ai indiqué au tout début de cette analyse comparative, la tâche était ambitieuse, à l’image du travail inlassable d’une termite à l’assaut de sa pyramide, mais au terme de notre examen, il est possible de se poser la bonne question, à savoir si les bases mêmes de cette comparaison ne la rendaient pas inopérante.

            La comparaison est d’autant plus difficile en effet, sinon impossible, qu’elle se déroule sur une longue période – quel moment colonial ? –  et dans des territoires géographiques on ne peut plus variés – quelle situation coloniale ? –  tellement les territoires avec leurs atouts et leurs handicaps, les épisodes de la colonisation, les manières coloniales de faire des Britanniques et des Français, leurs objectifs véritables, la conception de l’avenir qu’ils proposaient aux uns et aux autres, étaient différents, et encore plus les réactions infiniment variées des peuples « colonisés ».

            Alors aussi que l’Empire des Indes parait avoir « cannibalisé » cette histoire ! Et j’ajouterais volontiers qu’il en a été de même pour l’Algérie.

            Autre sujet d’interrogation et de doute à partir du moment où notre analyse a laissé dans l’ombre la comparaison historique entre grandeurs économiques et financières des deux empires en question.

            Au sein de son empire, la France n’a jamais trouvé la poule aux œufs d’or que constituait l’Inde, ni des territoires en capacité de se transformer rapidement en dominions.

                Une carence que nous regrettons d’autant plus qu’il s’agit d’une des critiques que nous faisons le plus souvent à la plupart des travaux des histoires coloniales et postcoloniales.

            Et qui plus est, alors que, comme toute histoire, elle est devenue non seulement un enjeu pour les historiens, mais plus encore pour les politiques.

            Comment distinguer entre le roman devenu « national » et la réalité des situations coloniales rencontrées ou racontées ?

            On voit bien qu’après une assez forte imprégnation marxiste des écoles d’historiens, un courant humanitariste s’est saisi des mêmes écoles, faisant un large écho aux constructions ou reconstructions des histoires dites de « la périphérie », très largement teintées à la fois d’un regard moins ethnocentrique, mais aussi de mauvaise conscience de la part des métropoles et de revendication d’assistance de la part de certaines anciennes colonies, en réparation des dommages que l’Occident leur aurait causé.

            Effet de loupe historique, comme dans le cas de l’Algérie, dont l’histoire laisse dans l’ombre tout un pan de  l’histoire coloniale, tout en lui imprimant la marque de l’histoire algérienne !

            Désintérêt aussi de plusieurs générations d’historiens pour l’histoire coloniale, un parent pauvre de la recherche, laissant le champ libre par exemple à des historiens « entrepreneurs » qui surfent sur les médias, d’autant plus facilement qu’ils se font l’écho, à tort ou à raison, et en France, en tout cas, des revendications, fondées ou non, formulées par des groupes de pression nourris par l’immigration.

            A cet égard, comment ne pas évoquer, à titre d’exemple le débat récurrent que certains historiens, politologues, sociologues, anthropologues, … et naturellement politiques,  ouvert sur la question de la « collaboration » des autorités indigènes, des « évolués » en général, avec les pouvoirs coloniaux ?

            Une « collaboration » que certains chercheurs teintent en France de la couleur de la collaboration entre Français et Allemands pendant l’occupation des années 1940-1945 !

 Il est d’ailleurs de plus en plus à la mode de parler des nazis plutôt que des allemands.

            Collaboration ou truchement inévitable ? Car à la vérité, et dans la plupart des cas, il s’agissait d’une collaboration qui s’inscrivait dans un truchement qui s’imposait, sauf dans les colonies de peuplement, entre un petit nombre de Blancs et un grand nombre de gens de couleur, une collaboration qui s’imposait au fur et à mesure des années avec le concours d’évolués de plus en plus nombreux.

            Il est évident que cette caractéristique était plus marquée dans les territoires de grande superficie que peu de Blancs administraient, par exemple dans l’ancienne Afrique Occidentale ou Equatoriale Française, en Nigéria du Nord, ou dans le Soudan anglo-égyptien.

            Ou encore « accommodement » ?, le terme utilisé par M.A. Adu Boahen, auquel nous avons fait une large référence ? Ce dernier a bien récapitulé les différents traits et types de collaboration rencontrés en Afrique, et de la nécessité, pour que le colonialisme existe et subsiste, qu’il puisse faire appel à un truchement indigène local, sans obligatoirement jeter un opprobre de principe sur ce type de relation.

            Comme nous l’avons rappelé dans un de nos textes, Henri Brunschwig écrivait quelque chose comme « pas de colonisation sans télégraphe », et nous l’avons paraphrasé en disant « pas de colonisation sans truchement ».

            Un seul exemple de l’incarnation d’un truchement réussi, celui du grand lettré Hampäté Bâ ! Un « collabo » ?

Le chemin choisi pour notre conclusion

            Pour la synthèse de nos conclusions, nous proposons de faire appel au même chemin que celui que nous avons emprunté pour nos réflexions sur les sociétés coloniales publiées sur ce blog, c’est-à-dire celui du théâtre, avec une récapitulation des scènes, des pièces avec leurs intrigues et leurs acteurs, et enfin des succès ou échecs des pièces en question, la question sensible des legs coloniaux.

Les scènes du théâtre colonial, c’est-à-dire les « situations coloniales » et les « moments coloniaux »

            Il est très difficile de comparer les scènes britanniques et les scènes françaises, tant elles étaient différentes en tailles géographiques, en caractéristiques démographiques, en potentiel économique, en évolution des types de gouvernances indigènes qui existaient ou n’existaient pas.

            Comme nous l’avons vu avec l’exemple de l’Empire des Indes, il y avait peu de choses en commun entre ce quasi-continent, cet empire secondaire anglais, et cette sorte de « cour » de l’Asie que pouvait représenter pour la France, le joyau que constituait l’Indochine, dans une tout autre échelle géographique, humaine et économique ?

            Pour retenir un autre exemple, sur les rives du canal de Mozambique, quoi de commun entre les colonies d’Afrique Australe et Madagascar ?

            De l’ordre de 570 000 kilomètres carrés à Madagascar contre 1 220 000 kilomètres carrés pour les quatre Etats de l’Union Sud-Africaine, soit le double, mais avec une population blanche sans comparaison : à Madagascar, 6 880 blancs en 1902, pour une population de l’ordre de cinq millions d’habitants, et dans l’Union sud-Africaine de l’année 1904, 1 116 801 blancs  pour une population de l’ordre de 6 millions d’habitants, dont 579 741 dans la colonie du Cap, 297 277 dans l’Etat du Transvaal, 142 679 dans celui d’Orange, et 97 109 dans l’Etat du Natal.

          Dans l’Union sud-africaine, une grosse industrie minière d’or et de diamant s’était déjà développée et avait donné naissance à des villes importantes.

         Autre indication, celle de la population blanche en AOF ou en Indochine : en 1913, 18 069 en AOF et 13 000 en Indochine.

            Le domaine colonial le plus comparable a été celui de l’Afrique tropicale qui a longtemps interdit l’immigration blanche, mais il était ouvert à l’échange international, côté anglais avec le grand fleuve Niger, et fermé, côté français, au même échange international, côté français, avec un fleuve Sénégal et son hinterland inaccessible.

            Pour le reste du continent africain, et à l’exception de l’Algérie, devenue colonie de peuplement, rien de comparable, ni en taille, ni en ressources, ni en flux d’immigration, entre les deux empires, avec la naissance ou le renforcement de colonies de peuplement blanc en Afrique Australe, au Kenya, en Rhodésie, et en Afrique du Sud, des colonies de peuplement qui avaient vocation à devenir des dominions du Commonwealth, comme ce fut le cas du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande. 

            Comment comparer le décor social qui régnait dans les deux empires ?

          Côté anglaisl’existence d’un décorum social très typé dans la plupart des colonies, un décorum bâti de toutes pièces, une stricte séparation entre les maîtres et les serviteurs, des lieux de vie séparée, et presque partout l’existence de « clubs » naturellement réservés aux Britanniques, avec l’exaltation aristocratique et quotidienne de la pratique des sports.

            L’exemple de Hong Kong est intéressant à cet égard : jusqu’à la fin du vingtième siècle, anglais et chinois cohabitèrent de façon séparée, sans aucune passerelle sociale.

              Côté français, et à la différence de ces scènes coloniales anglaises  socialement bien ordonnées et corsetées, les scènes coloniales françaises étaient plutôt décontractées, pour ne pas dire « débraillées ».

          Cela tenait beaucoup aux conceptions coloniales mises en œuvres, rêve d’égalité et d’assimilation pour la France, et pour l’Angleterre, réalité de deux mondes séparés sur un modèle aristocratique, avec le choix d’administrateurs qui, sur le terrain, « fabriquaient » l’une ou l’autre forme de colonisation.

            Dans un de ses récits de voyage, le géographe Weulersse rapportait la conversation qu’il eut avec un Français travaillant à Ibadan (Nigéria), dans les années 1930 :

            « Le héros de Kipling qui, perdu dans la jungle, seul dans sa case de feuillage, chaque soir revêtait son smoking, incarne bien l’idéal britannique. La colonisation anglaise porte faux-col, la nôtre se ballade, souriante, en débraillé. »

L’intrigue coloniale

            Au cours de l’exécution du premier acte de l’intrigue, c’est-à-dire la conquête militaire, les deux puissances coloniales usèrent des mêmes moyens militaires, des mêmes technologies (armes à tir rapide,  télégraphe, machines à vapeur, quinine…) pour imposer leur domination, la violence, avec des adversaires très différents, capables ou non de manifester des résistances d’intensité très variables en force et en durée, des résistances fort bien décrites dans l’ouvrage de l’Unesco.

            Certains auteurs ont pu dire qu’en Inde, en Asie en général, et en Afrique, l’Europe avait en face d’elle, pour des raisons d’inégalité de puissance, de divisions ou guerres intestines, des partenaires ou des adversaires qui étaient disponibles pour une domination coloniale.

      Comparées aux opérations de conquête militaire anglaises, les opérations françaises eurent beaucoup moins d’ampleur à la fois par le nombre des théâtres d’opération et par la puissance des moyens utilisés.

     Rien de comparable entre la conquête du Tonkin et celle du Soudan Egyptien par Kitchener !  Rien de comparable non plus entre la longue lutte anglaise contre  .les Ashantis en Gold Coast, et celle des Français contre les Sofas de Samory dans le bassin du Niger, ou contre les Amazones du  roi Behanzin au Dahomey !

        L’Empire Britannique put rapidement compter sur les ressources civiles et militaires de l’Inde, un Empire des Indes, en second du premier, pour renforcer les expéditions militaires que la Grande Bretagne menait en Asie en dehors des frontières de l’Inde.

            Tel fut le cas, comme nous l’avons vu, en Ethiopie, et en Birmanie !

         Des deux côtés, les guerres coloniales firent beaucoup de victimes, déstabilisèrent les sociétés locales, provoquèrent des flux d’émigration, mais sur le plan militaire, les guerres des Boers n’eurent pas d’équivalent dans l’empire français, à la fois par les moyens de guerre modernes mis en œuvre et par des méthodes de pacification qui confinèrent à une forme de génocide.

           Sans commune mesure entre les deux empires furent, également et à la fois, les flux d’émigration de population blanche d’origine anglo-saxonne vers les nouvelles conquêtes de l’Empire et les appropriations de terres indigènes, telles qu’elles furent pratiquées par les Anglais en Australie, en Nouvelle Zélande, en Afrique Australe et Orientale.

L’intrigue elle-même

           Au dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne avait atteint un niveau de puissance économique sans égal par rapport à la France. Bénéficiant de la maîtrise des mers du globe, d’un réseau commercial efficace, elle était fort bien placée pour se lancer à la conquête du monde et constituer un empire colonial qui s’ajoutait au premier, celui des siècles passés.

        En comparaison, la France était restée une puissance de type continental et agricole, tournée sur elle-même, une France des villages.

         Money and business, gagner de l’argent en faisant du commerce

       La Grande Bretagne persévérait  dans la consolidation de son modèle de « business » international et mondial, tout en mettant la main sur tel ou tel territoire du monde qui représentait pour elle une chance supplémentaire de puissance économique, tels que l’Afrique du Sud  ou la Nouvelle Zélande, et continuait à verrouiller ses voies de communication vers l’Empire des Indes et l’Asie, l’Egypte, Singapour, et Hong Kong.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng « Ghosts of Empire» méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

         Sir Charles Napier, gouverneur des Indes, déclarait dans les années 1872 :

       « in conquering India, the object of all cruelties was money » (Ghosts, page 96)

       L’historien notait à ce sujet:

      « This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

        Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

     “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

        Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en 1897:

      « The objects we have in our view are strictly business object » (Ghosts, page 278)

        Au moins les choses étaient claires au plus haut niveau de l’Etat du Royaume Uni, mais elles ne l’étaient pas du tout au plus haut niveau de la République Française, les acteurs d’une politique coloniale flottante mélangeant allégrement tous les objectifs imaginables, les bonnes ou mauvaises raisons de se lancer à la conquête du monde, l’ouverture de marchés, – mais la France n’avait pas la fibre commerçante -, la propagation d’une civilisation qu’elle estimait la meilleure au monde, ou encore son rêve d’assimilation et d’égalité qu’elle faisait miroiter aux yeux des peuples indigènes.

       A la vérité, alors que l’expansion  impériale anglaise ne trouvait pas son inspiration et son souffle dans une nouvelle volonté de puissance internationale, – elle l’exerçait déjà –  la France, après sa défaite dans la guerre franco-prussienne des années 1870-1871,  y trouvait une raison de revanche politique en fondant un nouvel empire colonial.

         L’intrigue impériale française était constituée d’un cocktail de facteurs au sein desquels le politique comptait plus que l’économique, quoiqu’en aient dit les défenseurs des conquêtes coloniales de la fin du siècle, Jules Ferry étant par exemple le défenseur des industries textiles des Vosges, un brin obsolètes, qu’il entendait protéger.

         Alors bien sûr, les deux métropoles se piquaient du désir de faire bénéficier le monde entier des bienfaits de la civilisation, le « fameux fardeau » de la race blanche, mais les deux métropoles ne l’entendaient pas de la même oreille.

        L’intrigue anglaise faisait confiance au modèle de vie anglais, incontestablement le meilleur du monde – nous sommes naturellement les meilleurs -, que les peuples indigènes auraient bien sûr le désir d’imiter et d’adopter, alors que l’intrigue française propageait une volonté d’égalité entre les peuples, le rêve de l’assimilation.

      Anglais et Français n’avaient pas la même conception du jeu de l’intrigue coloniale, les premiers n’entendant pas, en tout cas le moins possible se mêler des affaires indigènes, alors que les deuxièmes mettaient en œuvre une certaine politique indigène, hésitant beaucoup moins que leurs collègues anglais à interférer dans les affaires indigènes,  à voir dans les chefs des pays colonisés des agents subordonnés de l’autorité coloniale.

         Administration indirecte des Britanniques et administration directe des Français, selon le gigantisme des territoires, les différences n’étaient pas toujours aussi sensibles que le voulait la théorie de l’indirect rule, mais il est vrai que l’application du Code de l’Indigénat impliquait le pouvoir des administrateurs français dans la vie locale, alors que les pratiques répandues de discrimination raciale, poussées à l’extrême avec le système du Colour Bar tenait soigneusement les officers anglais à l’écart de la vie indigène.

      Il ne serait peut-être pas exagéré de dire que l’intrigue coloniale anglaise se déroulait dans un jeu qui s’affichait en termes qui seraient aujourd’hui qualifiés de racistes, alors que l’intrigue coloniale française se défendait officiellement de l’être, tout en étant concrètement et historiquement discriminatoire et en définitive raciste.

Les acteurs

Les grands acteurs du théâtre colonial

        Tout d’abord les officiers, dans la phase de conquête et de pacification

      Au cours de la première période, l’armée tint évidemment les premiers rôles, souvent composée en grande partie de troupes recrutées sur place, et nécessairement recrutées sur place dans les régions tropicales.

       Comment ne pas signaler que les deux puissances coloniales n’auraient pas pu se lancer à la conquête d’aussi vastes territoires sans le concours de tirailleurs recrutés sur place, tels que les Gurkhas des Indes ou les tirailleurs sénégalais d’Afrique occidentale ?

          Des armées de nature professionnelle le plus souvent commandées par des officiers de carrière qui étaient volontaires pour servir outre-mer, animés par l’esprit d’aventure, la recherche de la gloire, mais aussi par l’envie de servir leur pays.

       Parmi les plus connus, quelques-uns d’entre eux, Kitchener ou Lugard, chez les Anglais, Gallieni ou Lyautey, chez les Français.

       Ce sont les officiers qui mirent en place la première organisation de ces territoires, laissant progressivement la place et le pouvoir à des administrateurs civils.

      Dans un deuxième temps, et au fur et à mesure de la pacification, les officers anglais et les administrateurs coloniaux français, et aux côtés des officers le plus souvent de grands acteurs du monde économique, c’est-à-dire de grandes sociétés capitalistes, beaucoup plus actives dans l’empire britannique.

      Il convient de noter que ces acteurs déployaient en effet leur activité dans un contexte administratif très différent, centralisateur et bureaucratique chez les Français, et décentralisé et pragmatique chez les Anglais.

    La bureaucratie coloniale française fut le plus souvent écrasante, pour au moins deux raisons, le goût des Français pour tout réglementer, d’une part, et d’autre part par le fait que dans la plupart des colonies françaises, compte tenu de leur état et de leurs ressources, en l’absence de moteurs de colonisation privée, l’administration pourvoyait à tout.

    Le livre « Ghosts of Empire »  décrit à grands traits les caractéristiques des officers coloniaux anglais, issus le plus souvent de l’aristocratie, grande ou petite, qui maintenaient encore plus qu’à domicile, les distances qu’ils conservaient avec le peuple, ce qui n’était pas le cas des administrateurs français, d’origine sociale variée, mais concrètement, et selon les circonstances, il n’est pas démontré que les différences aient été très grandes.

    La pratique coloniale anglaise du chacun chez lui contrastait avec la pratique coloniale française qui laissait croire que les colonisateurs et les colonisés pouvaient immédiatement vivre sur un pied d’égalité en faisant l’impasse sur les deux éléments de l’intrigue qui constituaient le fond du décor, c’est-à-dire la « situation coloniale » et le « moment colonial »

Les acteurs de second rang

Les colons, individus ou sociétés

     C’est incontestablement dans ce domaine que la comparaison entre les deux Empires est la plus difficile.

      A titre individuel, le colon fut une denrée plus rare dans l’Afrique tropicale française que dans l’Afrique tropicale anglaise, et si l’on fait entrer en ligne de compte les colonies anglaises des Afriques Australe et Orientale, considérées comme des colonies de peuplement, toute comparaison est impossible, sauf à y introduire l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, mais dans un rapport de population de colons bien inférieur à celui des colonies anglaises.

     Quant aux sociétés commerciales ou industrielles coloniales, les Françaises faisaient pâle figure avec les Anglaises, le commerce africain étant par exemple très largement dans les mailles de sociétés britanniques.

    Dans le riche Empire des Indes ou à Hong Kong, les grandes sociétés anglaises ont pu déployer leur activité tout au long de la durée de vie de l’empire.

    Le livre « L’esprit économique impérial » a montré les limites relatives des succès des entreprises françaises dans l’expansion de l’Empire.

    Aucune des colonies françaises, à l’exception peut-être de l’Indochine, n’a bénéficié d’un développement économique ou industriel comparable à celui très tôt enregistré dans les  Indes ou en Afrique Australe

    L’Algérie entrerait en ligne de compte dans cette comparaison, si sa situation juridique de département français n’était pas venue la « fausser ».

Les populations blanches des sociétés coloniales, des acteurs ?

      Comme je m’en suis expliqué longuement dans les analyses que j’ai proposées sur le thème des sociétés coloniales, il est recommandé, avant toute chose, de se mettre d’accord sur la définition d’une société coloniale.

      A la fin du dix-neuvième siècle, les sociétés coloniales des différents territoires avaient des caractéristiques fort différentes, dues en partie à la présence plus ou moins importante d’immigrés blancs, importante dans les colonies de peuplement anglaises en Australie ou en Afrique Australe, comparable au seul cas français de l’Algérie, et faible notamment dans les colonies tropicales d’Afrique, qu’elles soient françaises ou britanniques.

    A noter en Indochine une minorité chinoise importante, et au Natal, une minorité indienne qui n’était pas négligeable et au sein de laquelle Gandhi commença à acquérir la grande notoriété internationale qui fut la sienne.

    Jusqu’à la moitié du vingtième siècle, il y avait peu de points communs en Afrique entre les sociétés coloniales de l’ouest africain français ou anglais et celles d’Afrique Centrale et Australe où s’était développée une grande industrie minière internationale.

     Comme je l’ai indiqué dans mes réflexions, la question peut se poser de savoir si, dans les territoires de climat tropical, où la population blanche était peu nombreuse, cette société coloniale vivant souvent en kyste, a eu véritablement un rôle.

    Dans les territoires où la même population blanche était nombreuse, les colonies de peuplement anglais, cette dernière a eu un rôle majeur dans leur modernisation, mais au moins autant dans l’établissement d’un état de relations discriminatoires tendues, notamment dans les colonies de l’Afrique Australe, où la proportion de populations noires était importante.

Les  véritables acteurs du changement

           D’une façon générale, il serait possible de dire que dans la plupart des colonies où la population blanche était peu nombreuse, ce sont les Asiatiques ou les Noirs qui ont les véritables acteurs du développement de leur pays, sans le concours desquels il n’aurait pas été possible, et que dans celles de peuplement blanc possible et encouragé, le même développement fut le résultat le plus souvent de l’exploitation de la main d’œuvre noire par le capitalisme anglais.

Succès ou échec de la pièce de théâtre ?

Legs et héritage 

       Dans les pages qui précèdent, nous nous sommes fait l’écho du regard que des historiens africains, un historien indien, et  deux historiens allemands, dans une version plus récente, ont porté sur l’héritage du colonialisme.

      Il est évident qu’il convient de placer toute appréciation de cette période dans le cours de l’histoire du monde, de ses phases successives de puissances dominantes, en raison de facteurs religieux, militaires, économiques, souvent grâce à une innovation qui leur a donné les outils de la conquête.

     A cet égard, pourquoi ne pas rapprocher la période coloniale de la période de la Renaissance, l’explosion de nouvelles technologies fournissant aux puissances européennes les outils et la capacité de dominer le monde ?

      Mais sans remonter à l’Antiquité, la Chine impériale et un Islam conquérant s’étaient déjà illustré dans la conquête du monde.

 L’historien Adu. B. Boahen caractérisait la période coloniale comme un « interlude » historique,  un choc qui n’avait fait qu’accélérer la transition du continent africain dans un autre âge, que les Occidentaux qualifient volontiers de modernité.

         Comme nous l’avons répété, en histoire coloniale, il est nécessaire de faire du cas par cas, « situation coloniale » par situation coloniale, et « moment colonial » par moment colonial, mais cette prudence historique n’empêche pas de rechercher les caractéristiques générales des dominations anglaise et française, et des legs qu’elles ont laissé dans les territoires dominés.

       Les analyses historiques qui constituent le livre publié par l’Unesco en 1987 sous le titre « Histoire générale de l’Afrique » proposent une lecture plutôt nuancée de l’histoire coloniale des deux empires, tout en relevant que le colonialisme a eu un tel un impact politique, économique et social qui a complètement déstabilisé les sociétés africaines.

     Comme déjà indiqué, M.A.Adu Boahen caractérisait la période coloniale en écrivant : « épisode ou interlude » ? (p,864), et dans un de ses commentaires précédents, il écrivait :

     « Aucun sujet n’est probablement aussi controversé que l’impact du colonialisme sur l’Afrique » (p, 838)

      Comment résumer l’héritage colonial à l’issue du temps relativement court de la colonisation à l’échelle de l’histoire de l’Afrique ? Succès ou échec de l’entreprise coloniale ?

     Nous avons tenté de résumer le bilan qu’en faisaient les historiens retenus par l’Unesco pour raconter l’histoire du colonialisme, mais sur le seul continent africain, un bilan effectué au cours d’une période qui suivait de peu la décolonisation, mais Der Spiegel Geschichte nous a proposé un regard plus actuel sous la question : « Was Bliebt ? »

     Un bilan ancien : il est évident qu’en ouvrant, par la violence ou non, les différents continents aux échanges économiques et politiques, les puissances occidentales ont complètement déstabilisé les sociétés locales, des gouvernances indigènes de type très varié, mais un tel bouleversement n’a été ni uniforme, ni simultané.

    Il ne pouvait s’agir que d’un choc violent, armé ou non, compte tenu de l’inégalité généralisée qui existait entre adversaires ou partenaires, inégalité en moyens civils ou militaires, et des écarts souvent gigantesques entre modes de vie ou de culture.

    Pour ne citer qu’un exemple dans l’univers des relations internationales du dix-neuvième siècle, celles de l’Océan Pacifique, les premiers contacts entre la France et le Japon, un Japon fermé à tout échange international, ont été d’une rare violence.     

J’ai publié sur ce blog une chronique consacrée à l’incident de Sakhaï, entre la marine française et l’armée japonaise.

La paix civile:

    Aussi bien M.Panikkar que M.Adu Bohaen reconnaissent que la domination occidentale a eu pour résultat l’établissement d’une paix civile.

    Les historiens les moins partisans reconnaissent en effet,  et au moins, qu’une fois la conquête réalisée, et pendant toute la période qui a précédé les convulsions politiques nées de la deuxième guerre mondiale, le continent connut une période de paix civile.

La création de grandes infrastructures:

   Au crédit de la colonisation, attribué par les historiens cités, il est possible de mettre la création d’un réseau de communications diversifié (pistes, voies ferrées, lignes télégraphiques), quoiqu’inégal, et souvent réalisé grâce aux sacrifices imposés à la population indigène, qui n’existait pas auparavant, même si certains auteurs reprochent aussi à ces infrastructures d’avoir été, avant tout, conçues pour l’exploitation économique de l’empire.

   Il est toutefois difficile, sur ce plan, de comparer des territoires aussi différents que l’Inde, capable dès le début du vingtième siècle, de disposer d’un premier réseau de voies ferrées et maritimes, et l’Afrique occidentale où à la même époque, aucune voie de communication ne reliait les côtes du Sénégal ou du golfe de Guinée au bassin du Niger, pour ne pas citer Madagascar qui, à la fin du dix-neuvième siècle, transportait encore par porteurs, les fameux « bourjanes », voyageurs ou marchandises, entre la côte de Tamatave et la capitale Tananarive.

Des villes nouvelles:

      Tout autant, et peut-être plus que la création de voies de communication, la construction de villes nouvelles fut sans doute un des facteurs majeurs d’une révolution dans les mœurs d’Afrique, et le livre de l’Unesco  a raison de ne pas faire l’impasse sur ce facteur de changement et de développement difficile à évaluer, même si le même facteur mettait en place ou consacrait des pratiques de discrimination plus ou moins fortes et persistantes selon les territoires.

     Nous avons vu que M.Panikkar montrait toute l’importance de cette nouvelle urbanisation, qui a été, comme nous l’avons déjà souligné un des grands facteurs de l’ouverture de ces pays aux échanges, à l’acculturation d’une partie de plus en plus importante de la population qui a été un des facteurs majeurs du truchement colonial.

Une économie monétaire et  des investissements:

     C’est sans doute en Afrique que l’introduction d’une monnaie commune a été un des facteurs les plus puissants du changement, comme le reconnaissait M.Adu Boahen.

      En ce qui concerne les investissements, l’héritage a  été très inégal selon les territoires, pour des raisons d’atouts économiques existants ou non, selon les époques, et surtout selon les territoires.

      L’Inde avait au moins un siècle d’avance sur l’Afrique, et en Afrique même, la découverte de grandes richesses minières en Afrique méridionale et centrale par les Anglais et les Belges a attiré très tôt le grand capitalisme international.

     L’Afrique de l’Ouest n’est entrée dans cet âge du grand capitalisme qu’après la deuxième guerre mondiale, notamment en Mauritanie et en Guinée.

Un nouvel état de droit:

     Il est toujours difficile de porter une appréciation scientifique sur l’expression état de droit, car selon les religions ou les cultures, selon les pays et selon les époques, l’expression peut recevoir des sens très différents.

    L’historien Panikkar reconnait à l’Empire indien le legs d’un état de droit unifié :

« C’est le droit qui gardera sans doute de façon la plus durable l’empreinte occidentale », le « système juridique », « l’égalité de tous devant la loi » (p,430)

    Ce legs doit être compris comme celui d’un droit qui se superposait aux coutumes locales, comme c’était le cas aussi dans les colonies françaises, mais également avec une dimension discriminatoire, étant donné que les indigènes ne disposaient pas d’une égalité des droits avec les européens.

    En Inde, le nouveau système juridique cohabitait avec le régime des castes, mais dans certaines régions d’Afrique, il existait également un régime atténué des castes entre nobles et manants.

La création d’Etats:

     Les deux historiens mettent au crédit de la domination occidentale la création d’Etats modernes et de leur bureaucratie

      Ces nouveaux Etats ont été souvent créés, en tout cas en Afrique, au travers des frontières poreuses des communautés ethniques traditionnelles, mais la décolonisation n’a pas remis en cause le statu quo, sauf dans le cas de l’Inde.

    Le sous-continent indien érigé en Etat unique par les Anglais a vu son unité brisée à l’indépendance avec la constitution de trois Etats, à l’est et à l’ouest, les deux islamiques du Bangladesh et du Pakistan, et au centre du sous-continent, l’Union Indienne

En 2013, quel regard ?

     Comme nous l’avons vu, la revue Der Geschichte du journal Der Spiegel a proposé son regard sur le legs de l’Empire britannique en donnant la parole aux deux historiens que nous avons cités.

    Les legs reconnus seraient en définitive plutôt limités, la langue anglaise et l’existence du Commonwealth.

    Incontestablement, la langue anglaise jouit d’un rayonnement mondial qui n’est pas celui de la langue française, parce que très tôt elle s’est inscrite dans un langage des affaires au moins autant que de culture, sinon plus.

   En face d’un Commonwealth dont les bases furent fondées dès le début du vingtième siècle, avec le concours de dominions blancs puissants, après le feu de paille de l’Union, puis de la Communauté française, la Francophonie fait pâle figure, mais quid de son influence réelle dans les affaires du monde ?

    Récemment, la Gambie a décidé de quitter le Commonwealth en l’accusant d’être « une institution néocoloniale », faisant passer le nombre de ses membres à 53 Etats.

    Je serais tenté de dire que les effets de l’impérialisme anglais ou français se situeraient de nos jours beaucoup plus dans les métropoles que dans les anciens territoires colonisés, en raison des courants d’immigration relativement importants qu’ont fait naître ou favoriser les relations impériales anciennes, notamment la langue.

    Il n’est pas démontré que les populations d’origine immigrée connaissent mieux l’histoire de leur passé, pas plus d’ailleurs que la population en général, mais elles sont réceptives à une forme de nouvelle propagande coloniale qui tend à les convaincre qu’elles ont un droit irréfragable à réparation, et donc à assistance, d’où le surgissement ou l’entretien d’ambiances de revendications

    Dans le cas de la France, les séquelles de la guerre d’Algérie dans l’opinion publique contribuent à oblitérer presque complètement toute mémoire coloniale.

    Je soulignerai volontiers qu’en dépit de mes nombreuses demandes de sondages approfondis et sérieux sur l’existence ou non d’une mémoire coloniale, et si oui laquelle, aucune institution ou média n’ont eu le courage jusqu’à présent de se lancer dans l’aventure.

     Est-ce qu’il n’en serait pas de même du refus officiel des statistiques dites ethniques, c’est-à-dire du refus  de pouvoir mesurer les discriminations qui affecteraient tel ou tel groupe de citoyens français, par rapport au poids qu’ils représenteraient dans la population française ? Une position très largement inspirée par des groupes de pression de type ethnique ?

    Et pour conclure sur le sujet, et ne pas être accusé aussitôt de développer une argumentation de type colonialiste, pourquoi ne pas donner la parole à un historien, grand spécialiste indien de l’histoire « connectée », Sanjay Subrahmanyam, dans les termes de la présentation de son interview par le journal Le Monde des 8 et 9 septembre 2013, intitulée «  Une terre d’asile vraiment ? »

     A la question : « Estimez- vous que la France a toujours du mal à assumer son passé, surtout son passé colonial ?

–       Est-ce que la France a plus de difficultés à assumer son passé colonial que les autres puissances impériales ? Qui parle aux Etats Unis de ce qui s’est passé aux Philippines aux XIX° et XX° siècles ? Personne, pas plus que l’on  a assumé la guerre du Vietnam dans ce pays.

     La comparaison doit se faire aussi avec l’Angleterre : d’un côté, les Anglais ont mieux digéré leur passé colonial, mais de l’autre, les Français ont une attitude moins dure envers les populations issues de leur ex-empire colonial. Le niveau de racisme que j’ai ressenti en Angleterre envers les Indiens et les Pakistanais est bien supérieur à ce qu’on vit avec les Maghrébins en France. Dans bien des milieux en Angleterre, on n’a aucune idée de ce qui s’est passé dans les colonies, et on croit parfois qu’il s’agissait d’une belle aventure.

 La vraie question est de savoir comment on enseigne ce passé… »

     Toute la question est là, l’enseignement du passé.

     En France, ce passé colonial, hors celui de l’Algérie, mais surtout de la guerre d’Algérie, n’a jamais passionné les foules, d’autant moins qu’un certain discours idéologique qui tend à faire croire qu’il aurait existé en France une culture coloniale, ou même impériale, n’a pas encore apporté la preuve statistique, par tout autre moyen que de belles images coloniales brandies comme preuves, qu’un tel état d’esprit de l’opinion  aurait effectivement existé.

    Comment ne pas compter sur des études approfondies de la presse de la période coloniale, qui n’existent pas à ma connaissance, des études qui mesureraient la place faite par la presse de province ou de Paris aux questions coloniales?

      Pour l’instant, je maintiens donc le point de vue d’après lequel la France n’a jamais été un pays colonial.

     Historiquement, seule une petite élite politique, économique et religieuse, a su et pu entrainer le pays dans ce type d’aventure.

   Comment ne pas mettre en parallèle les conquêtes coloniales de la Troisième République avec les expéditions militaires de maintien de la paix de la Cinquième République qui ont encore la faveur des gouvernements français, pour des raisons de prestige, d’un rôle international qui leur serait dévolu ?

     François Hollande est à cet égard le digne successeur de Jules Ferry qui décida de partir à la conquête du Tonkin, comme hier, en décidant de son propre chef d’engager la France dans la nouvelle guerre du Mali, puis dans celle de la Centrafrique

     De même que Sarkozy, pour la Libye !

Jean Pierre Renaud – Droits réservés

Une « ethnie » au Royaume Uni ? De quoi intriguer les chercheurs coloniaux ou postcoloniaux !

  « Le peuple de Cornouailles reconnu minorité » dans le Figaro des 26 et 27 avril 3014, page 10

            « Londres vient d’accorder à la vieille nation celtique de l’ouest de la Grande Bretagne un statut de minorité nationale protégée. Les revendications identitaires déchirent le sentiment d’union britannique…

            « Si un demi-million d’habitants y résident, seules 84 000 personnes se sont déclarées « corniques »…

            Cette démarche révèle des troubles profonds de l’identité du Royaume Uni… »

            Allons, bon !

       Une ethnie de plus dont l’existence va sans doute ravir les chercheurs de tout poil, anthropologues, ethnologues, sociologues, politologues, idéologues, tous docteurs en « logues » qui dissertent savamment sur la question de savoir si les ethnies sont « coloniales » ou non ?

            Avec la même ambition de proposer une définition qui ravisse tous les publics.

      Jean Pierre Renaud

Le legs colonial britannique avec un regard allemand! Was bleibt? Der Spiegel Geschichte 5ème partie

Cinquième partie

&

Cinquième et dernière partie, la quatrième ayant été publiée sur ce blog le   24 mars 2014

Mes conclusions seront publiées d’ici deux ou trois semaines

&

Le legs colonial de l’empire britannique avec un regard allemand !

Was bleibt ?

Der Spiegel Geschichte NR.1/ 2013

Das Britische Empire

Traduction libre avec citations dans le texte

Tous mes remerciements à mon vieil et fidèle ami Michel Auchère qui m’a apporté une aide très précieuse pour décortiquer le plus intelligemment possible ces textes. L’analyse consacrée à la contribution de M. Osterhammel est très largement de sa main.

        Der Spiegel a publié un numéro spécial d’histoire consacré à l’Empire Britannique, un numéro tout à fait intéressant et qui a l’avantage de proposer un regard allemand sur l’histoire de cet empire, un éclairage qui a donc le mérite d’introduire une autre analyse comparative que celle que nous avons proposée dans les pages qui précèdent.

       Rappelons que l’Allemagne, après s’être engagée tardivement dans la course au clocher qui scella le sort de l’Afrique coloniale à la fin du 19ème siècle, perdit ses colonies après la première guerre mondiale des années 1914-1918.

       En page de couverture, la photographie de la reine Victoria avec un sous-titre :

« 1600-1947 : Als England die Welte regierte »

« Quand l’Angleterre gouvernait le monde »

      A  la page 5, le magazine donne l’explication de la maquette de la première page : avec des images de James Cook, le vaisseau Vanguard lors de l’attaque de l’Armada Espagnole en 1588, une filature dans le Derbyshire, des soldats britanniques dans la première guerre de l’opium en 1841.

     En bas de page, trois sous-titres : «  INDIEN – Das Juwel of Krone » (L’inde, joyau de la Coronne)  «  SEEMACHT – Herrscherin über die Ozeane »  (Puissance maritime ou domination des océans)  «  COMMONWEALTH : Was vom Weltreich übrig blieb » (Commonwealth : que reste-t-il de l’empire mondial ?)

    Une page de couverture qui résume assez bien la réalité de l’Empire britannique qui a d’abord été celui de l’Empire des Indes, « le joyau de la Couronne ». La date choisie de l’année 1947 est celle de l’indépendance des Indes, avec la partition entre l’Inde hindouiste et l’Inde musulmane.

    Le choix de cette date est d’autant plus curieux que l’année 1947 n’a pas scellé la fin de l’empire britannique, comme nous le verrons dans le corps même des analyses de ce numéro spécial qui contient beaucoup d’images et de photographies, sauf à considérer que l’empire britannique se résumait à celui des Indes..

   .Le chapitre 1 (page 6 à 58) intitulé « AUFSTIEG Die amérikanischen Kolonien » décrit « la montée en puissance des colonies américaines » de l’empire britannique concentré sur l’Amérique du 18ème siècle, les colonies de peuplement, avec la rivalité franco-anglaise.

    Le chapitre 2 (page 58 à 110) intitulé « Blüte Das Weltreich », c’est-à-dire « l’apogée de l’empire », date le début de cette apogée à la victoire de Trafalgar qui donna à l’Angleterre la maîtrise des mers du globe.

    Il s’agissait du deuxième empire anglais.

   Ces pages décrivent bien l’importance et le rôle des Indes, sans négliger quelques autres territoires colonisés par l’Angleterre, tels que l’Australie ou le Canada, et montrent bien le rôle un peu secondaire que jouèrent les colonies de l’Afrique tropicale, à la différence de celles de l’Afrique du sud ou de l’est où émigrèrent de nombreux anglais.

     Le point est important étant donné que l’empire français était très largement cantonné dans l’Afrique tropicale, mise à part la situation très spéciale de l’Afrique du nord, où le cas de l’Algérie est évidemment susceptible de justifier une comparaison franco-anglaise.

    Les analyses décrivent sans concession la colonisation anglaise, qu’il s’agisse du pillage des Indes par l’East India Company (« Lizenz zum plündern » (page 68), des horreurs de la révolte des Cipayes en 1857, la « barbarie des deux côtés », de la violence des deux guerres de l’opium contre la Chine, de l’expulsion de leurs terres des aborigènes d’Australie ou des noirs d’Afrique du Sud ou d’Afrique orientale (Rhodésie ou Kenya)

     Le chapitre 3 (page 110 à 142) intitulé « Abstieg Vom Empire zum Commonwealth » (« descente de l’empire vers le Commonwealth »), avec en première analyse « Kampf für Freiheit » (« Combat pour la liberté ») (page 110 à 113), en précisant qu’il s’agit de l’Inde.

    La revue contient également quelques portraits des personnages qui ont compté dans l’Empire britannique, tout d’abord et évidemment la reine Victoria, mais aussi Drake, Nelson, Thomas Cook, celui de l’Agence bien connue, Cecil Rhodes, et le célèbre Kipling.

    L’analyse comparative des deux empires que nous avons tenté de faire ne couvrait pas le même champ historique, puisqu’elle concernait les années 1880-1960, mais cette dernière a l’avantage de faire ressortir les racines du deuxième empire britannique, celui qui est au cœur de la rétrospective « Der Spiegel », une approche institutionnelle pragmatique, la pose de jalons territoriaux et maritimes solides sur la route des Indes, la maitrise des océans.

    Notre propos se limitera donc au contenu de ce document qui concerne la période du deuxième empire britannique, celle des mêmes années 1880-1960.

   L’interview d’un historien spécialisé, le professeur Peter Wende introduit ce document, et un essai du professeur Jürgen Osterhammel propose une conclusion.

    Le professeur Wende a publié en 2008 « Der Bristische Empire. Geschichte eines Weltreichs »

    Le professeur Osterhammel a publié en 2009 « Die Verwandlung der Welt. Eine Geschichte des 19.Jahrshunderts »

     Au cours de l’analyse des propos du professeur Wende, nous citerons le nom de l’auteur de la contribution de M, Von Olaf Ilhau, intitulée « Das Juwel der Krone », journaliste à « Der Spiegel », qui a publié « Weltmacht Indien. Die neue Heraus-forderung des Westens »

L’interview du professeur Wende :

      Le professeur Wende défend la thèse la plus courante d’après laquelle l’empire britannique n’aurait pas été le résultat d’une volonté systématique de conquête, d’aucun plan qui aurait abouti à la distribution d’une multitude de petites ou grandes taches roses ou bleues sur le globe terrestre.

    Spiegel Herr Professeur Wende, der britiche Historiker John Robert Seeley hat im spâten 19. Jahrhundert gesagt, Groszbritannien habe sein Empire “in einem Anfall von Geistesabwesenheit” erworben. Weltmacht aus Versehen?

    –       Monsieur le Professeur Wende, l’historien britannique John Robert Seeley a dit à la fin du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne a acquis son Empire « en l’absence de réflexion ». Puissance mondiale par étourderie ?

     Wende« Er meinte, dass es nie einen Masterplan zur Schaffung eines Empire gab – und in diesem Sinn hat er volkommen recht. »

–       Cela signifie, qu’il estimait qu’il n’y avait pas de plan global pour la création d’un Empire, et dans ce sens, il a parfaitement raison.

      Nous avons vu que l’analyse qu’avait faite Kwasi Kwarteng du rôle des acteurs de l’empire britannique, dans « Ghosts of Empire », de même que l’histoire du même empire faite par l’historien Grimal pouvait laisser croire que l’empire colonial de la Grande Bretagne fut largement le fruit du hasard.

    Ce ne fut pas tout à fait le cas, car dans les colonies de peuplement ( Etats Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud), la métropole n’avait guère d’autre chose à faire qu’à canaliser les mouvements d’émigration et à réguler les nouveaux rapports qui s’établissaient  entre ces colonies, pièces du futur Commonwealth, et dans les autres colonies, à donner à chacune des conquêtes coloniales qui furent l’œuvre des ressortissants britanniques bâtis ou recrutés sur le même modèle social, c’est-à-dire la classe aristocratique, une solution institutionnelle qui devait lui conserver les mains libres.

     Le professeur Wende fait référence à Palmerston pour comparer l’empire britannique à l’empire romain, des Anglais inspirés et animés du même esprit de supériorité que les citoyens romains !

   L’interview note que la Grande Bretagne créa un ministère des colonies en 1854, une initiative qui avait évidemment une signification politique, au moins dans les intentions. En France, il fallut attendre la fin du 19ème siècle pour voir la création d’une institution politique du même genre.

    Comment ne pas observer enfin que l’Empire des Indes joua un rôle clé dans la constitution du nouvel empire, un rôle d’empire secondaire, ainsi que la construction persévérante d’un réseau mondial de communications articulé sur une chaine de points de communication stratégiques disposés sur tous les continents, et allant pour l’Asie, de Londres au Golfe Persique, à Singapour, et à Hong Kong ?

    Dans les années 1880, le commandement militaire français du Tonkin fut longtemps dans l’obligation de faire transiter ses communications par des câbles anglais, et dans la première phase de l’expédition de Madagascar, le commandement français souffrit du même type de servitude.

   Le professeur explique clairement qu’après la « perte » relative du premier empire, celui d’Amérique, la Grande Bretagne posa les fondements d’un deuxième empire dans le subcontinent indien, et ses propos illustrent parfaitement l’importance et le rôle des Indes dans la construction du deuxième empire.

    Les Anglais avaient tout d’abord laissé faire la Compagnie des Indes Orientales, mais après la révolte des Cipayes de 1857 avec la « barbarie des deux côtés » que note le professeur, Londres reprit en mains la conduite des affaires de l’Inde, mais toujours avec le même souci de ne pas s’impliquer dans l’administration directe du territoire et parallèlement de laisser la plus large initiative à ses représentants.

     Le professeur évoque l’intervention des Anglais en Abyssinie en 1867, un conflit souvent ignoré, alors qu’il montre bien la puissance de l’impérialisme secondaire des Indes.

     Le Négus d’Abyssinie avait écrit à la reine d’Angleterre, impératrice des Indes, un courrier auquel la reine Victoria ne prit même pas la peine de répondre. Vexé, le Négus mit en prison quelques- uns des Anglais présents dans son pays. Cette, action  fut le motif de l’intervention militaire anglaise en 1867, ou plutôt celle de l’empire des Indes.

     Il ne s’agissait pas de n’importe quelle expédition punitive anglaise venue des Indes, étant donné qu’elle était conduite par le gouverneur général des Indes, sir Napier, qu’elle était relativement importante avec 13 000 soldats, dont 4 000 britanniques. L’armée des Indes intervint avec l’appui de 54 éléphants de combat, sorte  de chars de combat avant la lettre.       L’armée du Négus fut défaite en 1868.

    A la même époque, l’expédition de Napoléon III au Mexique pourrait soutenir en partie la comparaison avec la grosse logistique de l’expédition « indienne » d’Abyssinie, mais il faudra attendre les années 1880, avec le Tonkin, puis 1895, avec Madagascar, pour voir la France et non l’une de ses colonies, engager un effort militaire comparable.

    L’armée des Indes était puissante, et elle fut mise à contribution pour intervenir et prendre possession des territoires qui constituaient le glacis de l’Inde, la Birmanie ou la Malaisie par exemple.

    Le professeur Wende souligne qu’un des grands principes de gestion impériale était celui du zéro coût pour la métropole : «  Das Empire sollte môglichst nichts Kosten », en relevant qu’à Londres, l’empire britannique ne disposait pas d’une administration centrale importante, comme ce fut le cas après la deuxième guerre mondiale.

    Un élément historique qui viendrait à l’appui de la thèse d’absence de plan dans les conquêtes anglaises.

      Nous avons déjà noté que la France s’était fixé la même ligne de conduite en 1900.

     Le même professeur propose une analyse du système colonial britannique qui ressemble à celle du professeur Grimal, avec un objectif principal, celui du business, des affaires et le souci permanent de se mêler le moins possible des affaires indigènes, donc de laisser autant que possible en place les autorités locales existantes.

     En ce qui concerne le Joyau de la Couronne, von Olaf Ihlau relevait d’une part :

« Nie versuchten die Briten, die sozialen Structuren des Landes zu  andern. (page 79)

   –       Aucun Britannique n’eut jamais l’intention de vouloir changer les structures sociales.

    –      Et d’autre part que :

 «  Gerade mal 1000 britische Beamte genügten, um ganz Indien zu regieren » (page 75)

–      1 000 britanniques  suffisaient pour gouverner toute l’Inde.

Il convient de noter toutefois à cet égard qu’il s’agissait de l’administration coloniale supérieure, celle du gouvernement de cet empire secondaire qui comptait plusieurs centaines de millions  d’habitants, pour ne pas dire de sujets, et qui couvrait l’espace géographique du sous-continent indien.

     En ce qui concerne les deux guerres des Boers de la fin du siècle, le journaliste pose la question sur la stratégie de terre brûlée des Anglais et sur l’existence de camps de concentration… « De nombreux critiques parlèrent de génocide »

Le professeur Wende :

     « Génocide est ici une notion trop forte. L’Empire a commis un génocide en Australie. On y a littéralement extirpé les habitants primitifs de l’île de Tasmanie jusqu’en 1876 non sans avoir photographié les derniers primitifs. Mais la guerre des Boers n’était pas une guerre d’anéantissement de politique raciste. Les camps de concentration résultaient d’une mesure contre la guerre de guérilla, mesure dont on a perdu le contrôle. On n’a plus été en mesure de nourrir les prisonniers, on ne les a pas tués intentionnellement. »

     Le professeur atténue donc le sens de la question que le journaliste lui a posée, en parlant de génocide. 

     En ce qui concerne l’Inde, le même professeur décrit de la façon suivante la situation des Indes à l’époque de la conquête :

      « Die Inder etwa waren es gewohnt, vom Eindringglingen beherrscht zu werden” (page 19)

      –       En quelque sorte, ils étaient habitués à être gouvernés par des envahisseurs !

      Il convient en effet de rappeler que l’Empire britannique des Indes s’est en quelque sorte substitué à l’Empire Moghol dans une grande partie de l’Inde, mais le même auteur fait par ailleurs remarquer que le mouvement de résistance du XXème siècle fut le fruit du colonialisme..

    Le troisième chapitre a l’ambition d’éclairer le lecteur sur le déclin et la disparition de l’Empire, causé en grande partie par les bouleversements de la deuxième guerre mondiale, avec la consolidation parallèle plus ou moins artificielle du Commonwealth, en mentionnant à peine quelques-unes des guerres coloniales que le Royaume Uni mena par exemple en Malaisie ou au Kenya, sans s’attarder trop sur des dossiers de décolonisation, tels ceux de Rhodésie ou d’Afrique du Sud, qui ne trouvèrent de solution qu’à la fin du vingtième siècle.

    La revue évoque aux pages 118 et 119 la question irlandaise, un dossier le plus souvent ignoré d’une des colonies les plus proches et les plus anciennes de Londres.

     Dans un tout autre domaine, celui de la Palestine rarement évoqué par les médias, et traité dans la contribution intitulée « Stützpunkt im Westpennest » par Mme Von Annette Grossbongart (p,120), le titre lui-même suffit à caractériser le rôle joué par la Grande Bretagne dans cette région sensible du globe :

    « Gut 30 jahre  lang herrschten die Briten im Nahen Osten, dann flohen sie vor Terror des judisch-arabischen Konflikts. Dabei hatten sie mit ihrer Schaukepolitik  selbst zur Eskalation beigetragen.”

      Comment les Britanniques ont avec les oscillations dans leur politique contribué à l’escalade au Proche Orient.

        L’interview se conclut sur la question :  «  Was bleibt vom Empire ?   Que reste- t-il de l’empire ?

    –    A cet égard, il me vient une expérience personnelle. Je passais des vacances avec mon épouse en France, et là-bas il y avait une innombrable colonie d’Anglais, comme par exemple dans le Périgord, qui depuis longtemps au Moyen Age appartenait à la couronne anglaise. J’étais alors frappé du fait que les Anglais restaient volontiers entre eux, par commodité, pour éviter de parler la langue du pays et organiser leur propre marché. Plus tard, j’ai lu un article dans le Sunday Times qui donnait la réponse sur l’endroit où les Anglais préféraient s’installer. Les principales critiques étaient : Où trouve-t-on des journaux anglais ; où –y-t-il des « Baked Beans, ou une « marmite » à point. C’est une tradition connue des Britanniques de préférer la tartine avec le goût des cubes Maggi. » (page 21)

       Une conclusion sous la forme d’une pirouette qui tendrait à caractériser un Empire rétréci à ce point ?

       Was Bleibt vom Empire ? (page 138)

     La réponse est peut-être à trouver dans le texte que propose un autre historien, Jürgen Osterhammel, que la revue a questionné précisément sur ce sujet.

    L’historien fait des gammes sur la notion d’ « héritage historique ». Pour l’Empire britannique ce serait « ce qui manquerait, si l’empire n’avait jamais existé ». Il déclare que « ce pourraient être tout d’abord le Commonwealth et la langue anglaise ».

      Puis, il s’attache à montrer que, de fait, Commonwealth et langue anglaise ont coupé les liens avec l’Empire britannique : «  C’est un club qui a sa vie propre (« ein Eigenleben »), la langue anglaise se développe pour des raisons qui n’ont plus rien à voir avec l’empire ». (aus Gründen, die mit dem Empire nichst mehr zut tun haben »)

     Pour Osterhammel, l’empire n’est plus visible que dans les vestiges architecturaux en Angleterre et dans le système judiciaire (« common law ») des anciennes colonies et autres possessions. ( Le droit anglais continuerait à influencer Israël dans certains domaines).

     Au crédit de l’« héritage » il pointe le fait que parmi les « failed states » et les dictateurs il n’y en a pas « pas trop » (nichst überdurchscnittloch viele) avec un passé colonial anglais, ainsi que le statut de Hong Kong au sein de la Chine.

   Mais la note générale reste critique. Il éprouve le besoins de dire qu’il ne reste pas grand-chose du « rôle particulier des Britanniques dans l’économie mondiale », « tout en reconnaissant parallèlement que Londres, comme place financière, a toujours eu un rôle impérial. « 

   Il termine son essai (Schlierzlich : en philosophe : « Après le déclin de tout empire ne subsistent que les souvenirs (Errinerungen). Et ces souvenirs restent « vivants » ou entrent au musée. En Afrique, où la période coloniale est encore contestée, ils restent vivants. »

   Par ailleurs, et en ce qui concerne la notion de probabilité historique d’une conséquence liée à une situation impériale telle que celle par exemple de l’empire britannique, avec la langue anglaise : que ce serait-il passé si l’empire n’avait pas existé en Birmanie ou en Malaisie (deux exceptions dans le règne de la langue anglaise), ou en Nouvelle Zélande : «  l’hypothèse selon laquelle l’indigène Maori n’aurait jamais pu trouver son chemin vers la démocratie… »

    Ou en Afrique où ce continent aurait pu se développer « naturellement » de façon harmonieuse et prospère.

     Toutes questions auxquelles il est difficile de répondre, mais l’historien déclare :

     « Avec toutes ces difficultés, la critique en un mot  est : que reste-t-il de l’Empire britannique ? Deux réponses peuvent à peine être contestées : le Commonwealth et la langue anglaise. »…

      « Le Commonwealth subsiste seulement aujourd’hui aussi, car les politiques britanniques ont été assez avisés pour ne pas chercher à sauver de la décolonisation un empire fantoche et de faire du Commonwealth un instrument de la politique étrangère britannique

      Aujourd’hui, 54 états sont dans le Commonwealth, avec depuis 1995, deux autres états, le Cameroun et le Mozambique qui n’étaient pas des colonies britanniques (à l’exception du Cameroun occidental qui comme mandat de la société des nations fut annexé en 1922 au Nigéria…

     Une distinction fondamentale avec l’Empire – peut-être la plus importante- réside dans le fait que le Commonwealth n’est pas une puissance militaire. » (page139)

    Pour les petits Etats comme pour les micro-états des Caraïbes et du Pacifique, le Commonwealth constitue un « forum de contacts et d’entraide »

      « Un demi- siècle après la fin de l’Empire britannique, le Commonwealth n’est pas un tas de ruines de la grandeur impériale, ni le prolongement du ministère des Affaires Etrangères britannique, mais un rassemblement volontaire d’états souverains dans l’esprit britannique inspiré de la transnationalité….

      Le Commonwealth est inoffensif (ce que l’on peut rarement dire des Empires) mais aussi sans aucune influence notable sur la politique mondiale.

     La langue anglaise est sans doute un héritage plus large de l’Empire… 

     M.Osterhammel rappelle qu’une discussion avait été engagée dans l’Empire des Indes,  dans les années 1930, pour savoir si les fils de l’élite indienne devaient être socialisés à l’image européenne ou asiatique. L’anglais s’est en définitive imposé de façon déterminante, mais aussi à cause de l’intérêt que les Indiens portaient à une langue de communication mondiale.

   « Aujourd’hui, l’anglais se propage en tant que seconde  langue enseignée aux autochtones pour des raisons qui n’ont plus rien à faire avec l’Empire

     Si l’anglais est sans concurrence la plus importante langue étrangère, il n’est plus possible de voir dans ce fait une suite lointaine du siècle impérial…

    Aussi, aujourd’hui, aucune autre langue ne peut surpasser la richesse du langage spécialisé des anglais : boursiers, guides touristiques, physiciens et économistes, communiquent ensemble pour l’essentiel, chaque fois dans la langue anglaise internationale. Presque personne ne se souvient à ce sujet de l’Empire britannique »

    L’auteur rappelle alors que la plupart des anciennes colonies ont conservé l’ordre juridique et le système judiciaire hérité de la période coloniale, tout en soulignant :

    « On doit de toute façon convenir que parmi les états défaillants (« failed states ») et les dictatures actuelles il n’y en a pas trop avec un passé colonial britannique. »

      L’historien cite les deux cas du Soudan et du Zimbawe.

      Il évoque enfin l’évolution très particulière de Hong Kong rattachée à nouveau à la Chine, en 1997.

     Au bilan mondial de l’année 2011, et sur l’échelle de l’index de développement humain des   Nations Unies, en cherchant à quantifier la qualité de vie, on en trouve sept parmi les Etats de tête, qui ont un passé colonial anglais.

     M. Osterhamel souligne enfin que l’Empire britannique était encastré dans « le système britannique impérial. Là-dedans on entendait toutes les structures économiques mondiales qui ont été créées et aussi en partie dirigées et manipulées par la Grande Bretagne…

      De ce rôle particulier, dans le monde économique, il n’est pas resté grand-chose »

      La conclusion de son analyse est intéressante, en tout cas pour l’Afrique puisqu’il y souligne que « l’image historique de la période coloniale, pour les historiens, les médias et les politiques qui, dans leur majorité, ont collaboré, est jusqu’à maintenant contestée. Aussi longtemps que l’Empire agitera les esprits, son souvenir ne deviendra pas entièrement un musée. » (page 141) 

      Michel Auchère, dans sa traduction et son commentaire précisait :

« S’il y a eu « collaboration », c’est collaboration entre les trois catégories pour la confection de l’image. »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Quatrième partie: Legs de l’Empire britannique en Asie, aux Indes avec M.Panikkar et de l’Empire français au Viêt-Nam avec M.Brocheux

Quatrième partie

Legs de l’Empire britannique en Asie

Le regard d’un historien indien : M.Panikkar

« L’Asie et la domination occidentale »

(Le Seuil 1953)

Le regard d’un historien français sur le legs français au Viêt-Nam, Pierre Brocheux

La troisième partie a été publiée le 3 mars 2014

1 – Le regard indien

                        Le livre de M.Panikkar date sans doute un peu, mais il a le mérite d’avoir été écrit par un historien indien, quelques années seulement après l’indépendance de l’Inde en 1947, c’est-à-dire dans une période encore profondément marquée à la fois par le colonialisme, les violences de cette indépendance, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, et enfin par la montée en puissance dans le Tiers Monde de l’esprit de Bandoeng.

           C’est dire que son analyse historique, son réquisitoire anticolonialiste, son regard sans complaisance, ont d’autant plus d’intérêt que le bilan qu’il fait de l’Empire anglais des Indes n’est pas complètement négatif pour la longue présence anglaise en Inde.

           La préface d’Albert Béguin qui ne passait pas, à la même époque, pour un intellectuel colonialiste est intéressante en ce qu’elle marque à la fois les points forts du réquisitoire Panikkar, de son « procès de la colonisation », mais tout autant ses fragilités, en relevant notamment « sa partialité d’historien passionné ».(p,24)

           La lecture de cet ouvrage en convaincra plus d’un, si besoin était, qu’il est difficile, sinon impossible de faire rentrer dans un travail de comparaison entre les deux empires anglais et français, tout autant l’Inde que les colonies de peuplement anglaises devenues des dominions.

       Le champ de comparaison le moins contestable concerne les différences d’approche institutionnelle et humaine entre les deux systèmes de domination coloniale, tant il existait un écart gigantesque, de toute nature, entre les deux empires. Dans l’Empire des Indes, les Anglais étaient dans un autre monde, et cet Empire des Indes cohabitait avec l’Empire britannique dans son ensemble, l’irriguant de ses richesses et dominant à son tour les terres les plus proches de l’Asie.

      Dans le livre « The tools of Empire », l’historien anglais Headrick a bien décrit les caractéristiques de cet empire britannique secondaire, un empire secondaire dont la France n’a jamais disposé, en tout cas à la même échelle.

       Le livre ne consacre que quelques lignes à quelques colonies « secondaires » de la domination occidentale en Asie  par rapport à l’Inde, c’est-à-dire la Birmanie, l’Indonésie, et l’Indochine, alors qu’il consacre beaucoup de pages à la Chine et au Japon.

Notre lecture critique portera successivement sur :

         –       la démarche historique de M.Panikkar

      –      la description qu’il fait des effets du choc colonialiste anglais en Asie et   aux      Indes.

1 – La démarche historique :

           L’historien décrit la constitution de ce nouvel empire et son fonctionnement, mais son propos sur l’écriture de l’histoire indienne, rendue possible, grâce au colonialisme, est tout à fait intéressant.

             Sa constitution

             L’historien rappelle le lointain passé de la domination anglaise aux Indes, la période de conquête qui se situa entre les années 1750 et 1858« L’âge de la conquête » avec le règne absolu de la Compagnie anglaise des Indes, et la captation du commerce asiatique aux dépens des  concurrents portugais ou hollandais, tout au long du siècle.

        L’auteur relève qu’après la défaite de Napoléon, en 1815, l’Angleterre fut « comme le colosse du monde », régnant sur l’industrie et le commerce maritime de la planète.

        1858 a marqué une date capitale, étant donné qu’à la suite de la violente révolte dite des Cipayes, le gouvernement anglais reprit la main des affaires indiennes, nationalisa la Compagnie, et nomma un Secrétaire d’Etat spécialisé.

        L’historien notait, qu’à cette époque, il existait déjà une puissante classe indienne de marchands dans l’Inde du nord. (p,100)

        Après « l’âge de la conquête »,  « l’âge de l’Empire » (1858-1914)

     « L’histoire de l’Inde au cours de cette période est dominée par la transformation graduelle de l’administration anglaise sous l’influence de facteurs économiques et géographiques. « Possession » et colonie au début, l’Inde anglaise se transforma par lentes étapes, en un « empire » qui continuait certes à dépendre de Londres, mais qui revendiquait hautement ses droits propres et qui forçait souvent le gouvernement de la métropole à suivre une politique qui n’était pas entièrement de son goût… » (p, 137)

          Le nouvel Empire des Indes, du fait de sa puissance humaine et économique,  – une Inde « vache à lait de l’Angleterre » – ,  de sa marine, de son armée, avait naturellement une influence sur la politique étrangère britannique, en Perse, en Chine, et en Afghanistan.

        L’historien décrit le fonctionnement de l’administration anglaise, son recrutement élitiste :

     « De cette administration pratiquement « toute blanche » dépendait une bureaucratie indigène, recrutée à l’échelle régionale et étroitement surveillée… Ainsi l’Anglais n’avait jamais de rapports directs avec la population elle-même » (p,139)

        Cette administration développait son autorité différemment sur tout le territoire du véritable continent qu’était l’Inde, car l’Inde des princes représentait les 2/5èmes du territoire, mais :

      « L’Inde anglaise et l’Inde des princes ne formaient plus ainsi qu’une seule réalité politique immensément puissante et contrôlée par Londres. » (p,140)

       « A partir de 1875, l’Inde devint un véritable Etat impérial, clé de tout le système politique de l’Asie du Sud. «  (p, 150)

          « L’Empire indien de l’époque était un Etat à l’échelle d’un continent » (p,154)

         Avec la naissance aussi d’une « Inde d’Outre-Mer » entrainée par« l’émigration massive des Indiens vers la Malaisie, l’île Maurice, et même vers les Fidjis… » (p,155)

        Une autre forme de colonisation dont le legs existe encore aujourd’hui dans ces terres d’émigration.

        Rappelons que Gandhi commença sa croisade pour l’indépendance de l’Inde au Natal, où il se trouvait.

       L’auteur notait que cette puissance avait toutefois une contrepartie :

    « L’’Inde de son côté, apprit qu’une politique impériale coûtait cher, car toutes les guerres de l’Orient étaient, jusqu’au dernier centime, financées par elle. » (p, 151)

          Son fonctionnement

        L’auteur décrit avec précision le type de relations coloniales, placées sous le timbre du prestige de la race anglaise, qui existait alors entre une petite minorité d’Anglais et la masse indienne des dizaines de millions d’habitants.

        « Le racisme anglais est une réalité aussi indiscutable et peut-être aussi importante que cette exploitation économique. » (p,142)… Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. » (p,143

        La haute administration anglaise, le Civil Service, de grande réputation, « une sorte de confrérie gouvernementale » dont les membres « Juchés sur leur piédestal »  y faisaient toute leur carrière, et mettaient en pratique « une étiquette compliquée ».

    « Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que les Européens de l’Inde soient restés totalement étrangers à la vie du pays. Un fossé infranchissable les sépara de la population jusqu’à leur départ. » (p,146)

      Les Anglais bâtirent une solide bureaucratie indienne, étant donné qu’ils ne pouvaient assurer leur domination qu’en s’appuyant sur cette participation indienne, la masse de ces nouveaux lettrés qui servirent de truchement à la domination anglaise, et qui nourrirent rapidement le recrutement des mouvements nationalistes indiens de la fin du siècle.

L’historien formule une remarque tout à fait intéressante sur le fonctionnement de la haute administration anglaise, le Civil Service gardant à l’égard des gens du business la même distance qu’avec les « petits » bureaucrates indiens.

      « Le Civil Service se refusait en effet à subir l’influence des intérêts commerciaux et industriels et son refus était hautement proclamé par toute la classe sociale qui formait son terrain de recrutement…

       ll n’y avait ainsi aucune alliance entre le Civil Service et le big business ; la bureaucratie britannique n’avait aucun intérêt dans l’exploitation de l’Inde. » (p,149)

      Cette remarque est à première vue paradoxale, mais n’illustre- t-elle pas, quasiment à la perfection, l’analyse que nous faisions dans la deuxième partie de notre exercice de comparaison entre les deux empires, quant à l’intervention de la fameuse main invisible, celle d’un libéralisme qui n’avait besoin que d’un bon cadre juridique de paix et de liberté pour pouvoir prospérer, à partir du moment, et ce fut le cas en Inde, où les initiatives des entrepreneurs trouvaient un terrain favorable à la création de richesses et à leur enrichissement.

      Il est évident que les « situations coloniales » sous l’angle de leurs atouts et de leurs communications favorables induisaient des solutions de domination coloniale tout à fait différentes : quoi de commun par exemple entre une Afrique de l’ouest encore coupée du monde et une Inde depuis longtemps connectée au même monde, à la fin du dix-neuvième siècle ?

     La première guerre mondiale de 1914-1918 a marqué une rupture  dans l’histoire des Indes, comme dans celle de toutes les colonies : plus rien ne fut comme avant.

     L’historien dénomme cette période « L’Europe en recul » et examine dans le chapitre premier « La guerre civile européenne et ses répercussions » », une guerre qui a donné à des milliers de soldats indiens à faire connaissance avec le monde occidental et ses « sahib ».

     L’historien cite à ce sujet les propos d’un ancien gouverneur général socialiste de l’Indochine, Varenne, dans un livre paru en 1926 :

      « Tout a changé depuis quelques années, les idées et les hommes… l’Asie elle-même s’est transformée… »

    Et il ajoute :

    « Varenne avait incontestablement raison. Le soldat indien qui avait combattu sur la Marne revenait chez lui avec de tout autres idées sur le sahib que celles inculquées par des années de propagande. Les travailleurs indochinois du Sud de la France rapportèrent en Annam des idées démocratiques et républicaines qu’ils auraient été bien en peine d’avoir auparavant. Il est curieux de noter que, parmi les Chinois qui vinrent également en France à la même époque, se trouvait un jeune homme du nom de Chou En- lai qui s’apprêtait à devenir communiste et qui fut, d’ailleurs expulsé pour l’activité manifestement subversive qu’il déployait dans les groupes  de travailleurs chinois. » (p,240)

      La deuxième guerre mondiale, avec l’effondrement des puissances  coloniales, le rayonnement de la nouvelle puissance américaine, la doctrine de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, puis la guerre froide, concurremment avec le développement des ressources du sous-continent indien et des mouvements nationalistes ne pouvaient que déboucher sur l’indépendance du pays, ce qui se produisit en 1947.

       « La création d’une nouvelle histoire », la démarche historique de M.Panikkar est d’autant plus intéressante qu’elle débouche sur la reconnaissance d’un des legs positifs de la domination coloniale, lié à la naissance d’un nationalisme indien,  l’éclosion d’une histoire de l’Inde :

         « Ce culte de la nation exigeait dans la plupart des cas la création d’une nouvelle histoire, puisqu’une nation ne peut exister sans une histoire qui donne un sens à son unité… ce sont les savants européens qui fournirent les premiers matériaux d’une histoire indienne… L’exemple de l’Indonésie est encore plus frappant…iI est indéniable en ce sens que les savants et penseurs européens, par des travaux tout désintéressés, permirent à l’Inde, à Ceylan et à l’Indonésie de penser en termes de continuité historique. » (p,431,432)  

       Point n’est besoin de faire remarquer que le constat fait par M. Panikkar pourrait valoir pour beaucoup d’autres territoires qui accédèrent à leur indépendance.

       En ce qui concerne l’Afrique, à la différence d’une Afrique morcelée, sorte de mosaïque humaine et politique, le même constat était difficile à faire, d’autant plus que le découpage colonial, au travers d’anciennes communautés ethniques ou religieuses, a généralement créé des « nations » souvent artificielles.

2 – Les effets du choc colonialiste :

       L’historien se livre à un examen discursif des relations nouées entre l’Orient et l’Occident au cours des siècles dont il est résulté un enrichissement mutuel de la pensée et de l’art, tout en notant que ces relations ont changé de nature avec la domination occidentale :

       «  C’est que la rencontre inégale de l’Europe et de l’Asie avait fait naître un racisme blanc. De nombreux observateurs ont remarqué qu’au XVIII° siècle, il n’y avait aucun préjugé de couleur parmi les Européens de Chine et de l’Inde ; on peut même dire qu’à cette époque les Chinois étaient encore respectés, et que les Indiens n’avaient pas encore à souffrir de l’orgueil et du racisme européens. La naissance du racisme a eu des causes multiples, mais la principale est sans aucun doute la domination politique que les Européens exercèrent au milieu du XIX° siècle et qu’ils  regardèrent bientôt comme leur droit le plus naturel. Le simple fait que ce racisme ait été assez peu marqué dans les pays restés indépendants, comme le Japon ou même le Siam, prouve à l’évidence son origine politique. » (p,420)

     L’auteur conclut que la domination occidentale sur l’Asie a complètement bouleversé l’histoire de ces pays, créé un véritable choc pour le meilleur et pour le pire, car le bilan que M.Panikkar effectue de la domination coloniale anglaise est en définitive assez nuancé.

     Au bilan, la création d’infrastructures, l’investissement de capitaux dans l’économie indienne, la formation de personnel, la naissance de mouvements humanitaires et libéraux qui sont venus contrecarrer l’exploitation capitaliste :

      « Ils pensaient que l’on pouvait se livrer sans danger à l’humanitarisme et propager parmi les peuples asiatiques les techniques qui libéreraient l’homme blanc d’une partie de son lourd fardeau » (p,427)…

        Les peuples asiatiques acquirent ainsi une expérience administrative et pénétrèrent le mécanisme du gouvernement moderne…. (p,427)

Un Etat moderne

        Au contraire des anciens Etats asiatiques :

     « Au contraire, le système que la Couronne institua dans l’Inde et que toutes les autres administrations coloniales furent bien obligées d’imiter, n’apportait pas seulement l’idée de l’Etat moderne, mais mettait en place tous les éléments nécessaires pour le réaliser. (p,428)

       « Bien que les Indiens, les Chinois et les Japonais aient aimé proclamer la supériorité de leurs propres cultures, ils ne pouvaient se dissimuler l’incomparable valeur du savoir occidental, non plus que l’immense force – sinon la stabilité – de l’organisation économique et sociale de l’Europe. » (p,435)

La prééminence d’un nouveau droit

       Dans la même conclusion générale de l’ouvrage, et en choisissant les legs colonialistes qu’il estimait les plus importants figure la mise en place du système juridique anglais britannique, c’est-à-dire un système national fondé sur le principe de l’égalité des citoyens devant la justice :

      « C’est le droit qui qui gardera sans doute de façon la plus durable l’empreinte occidentale … Il est donc à peu près certain que les nouvelles relations instituées par les systèmes juridiques de type occidental ne seront pas bouleversées avant longtemps. «  (,p,436)

         L’auteur estimait alors que :

      «  Il est donc à peu près certain que les nouvelles relations de type occidental ne seront pas bouleversées avant longtemps » (p,437)

       L’historien n’est pas du tout du même avis quant à la pérennité des structures politiques mises en place par l’empire, et sur l’avenir d’un régime démocratique qui s’est substitué à l’ancien despotisme oriental

Une nouvelle civilisation urbaine

           Une autre observation historique tout à fait intéressante à mes yeux, parce qu’il s’agit d’un facteur de changement, pour ne pas dire de modernité, trop souvent ignoré, ou minimisé, un facteur qui est au cœur du processus de la domination occidentale et de l’acculturation nouvelle des populations colonisées, c’est-à-dire le facteur urbain, la création ou le développement des villes.

        M.Panikkar relève tout d’abord qu’ :

      « Il existait une grande civilisation urbaine dans l’Inde, la Chine et le Japon avant l’arrivée des Européens ». (p,439)

      Il compare les processus d’urbanisation européenne des premiers âges de l’Europe à l’initiative de la  Rome antique à ceux que la domination occidentale a provoqués en Asie :

       « L’Asie fut le théâtre d’un processus identique, et la création des grandes villes restera sans doute le principal monument de l’Europe en Orient. 

       C’est la civilisation urbaine qui a créé les puissantes classes moyennes de l’Inde, de la Chine et des autres pays asiatiques ». (p,439)

        Ainsi qu’elle l’a fait à une moindre échelle et dans un calendrier différé en Afrique noire !

Enfin dernière innovation « impériale », la création d’Etats :

      « Une autre conséquence de la domination européenne a été aussi l’intégration de vastes territoires dans de grands Etats nationaux d’un genre nouveau jusque-là dans l’histoire asiatique… pour la première fois de son histoire, l’Inde formait un seul Etat qui vivait sous la même Constitution et les mêmes lois. » (p,440)

      Et pour terminer cette petite lecture critique de ce livre fort instructif, une notation qui en surprendra sans doute plus d’un, parmi ceux qui ont une certaine connaissance de l’histoire coloniale, quant aux effets et legs liés à « l’occidentalisation » ou non des territoires coloniaux :

       « Il faut cependant se rappeler qu’au cours de toute l’histoire des relations entre l’Europe et l’Asie, on ne tenta jamais d’imposer une idéologie aux peuples asiatiques. Si donc l’Asie a été marquée par l’Europe, c’est parce qu’elle lui a résisté, et parce qu’il était nécessaire, pour la combattre, de se pénétrer de ses techniques et de son savoir. Et c’est justement parce que l’Europe n’a pas tenté « d’occidentaliser » l’Asie que l’assimilation des techniques et des idéologies européennes est sans doute définitive, et portera ses fruits même dans plusieurs siècles. » (p,446)

        En lisant cette analyse incomplète et nécessairement imparfaite, le lecteur aura pu prendre la mesure de l’écart qui pouvait exister entre les deux empires, mais tout autant dans les appréciations, pour ne pas dire jugements, qu’il était possible de porter sur les legs laissés par le colonialisme en Afrique et en Asie.

        Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de publier un  extrait d’une encyclopédie d’Elisée Reclus qui eut son heure de succès, intitulée « Nouvelle géographie universelle – La terre et les hommes » tome VIII L’inde et l’Indochine 1883 Librairie Hachette », un texte que m’a communiqué mon vieil et fidèle ami Auchère :

           « L’Angleterre s’est donné pour mission, disent ses hommes d’Etat, de civiliser les Hindous et de les élever graduellement à la dignité d’hommes libres ; mais, en attendant que cette œuvre s’accomplisse, la riche Grande Bretagne vit aux dépens du pauvre Hindoustan : les cadets de l’aristocratie anglaise sont les parasites de leurs sujets les malheureux rayot. Sans parler des millions qui sont employés chaque année à subvenir dans les Indes mêmes aux dépenses des gouvernants anglais, à l’entretien de l’armée et de quelques vaisseaux, une somme variant de 360 à 450 millions de francs est envoyée chaque année en Angleterre comme part contributive aux charges du gouvernement britannique. De 1857 à 1882, neuf milliards de francs ont été ainsi prélevés sur la production des Indes au profit de ses conquérants. » (p,707, 708)

           Rien de comparable pour la France, même si les frais d’administration des colonies étaient à la charge des colonies elles-mêmes.

         Par ailleurs, cette somme de 9 milliards est à mettre en regard avec le budget de la République française qui était de l’ordre de 3 milliards de francs en 1883.

2 – Legs de la France au Viêt-Nam :

 Le regard de l’historien Pierre Brocheux

     Deux sources de documentation utilisées :

       –       un article paru dans la revue « Jaune et Or » de l’Ecole Polytechnique (1997), intitulé « Le legs français à l’Indochine »

       –       le livre « Histoire du Viêt- Nam contemporain « (2011)

        Il est évident que dès le départ, toute comparaison éventuelle doit tenir compte d’une différence gigantesque d’échelle géographique et humaine entre les deux territoires, à l’époque coloniale, entre une Indochine française dont la population comptait de l’ordre de l’ordre de 20 millions d’habitants par comparaison aux 400 millions d’habitants de l’Inde.

       Cette remarque préalable faite, trois différences capitales distinguent les deux colonies :

       Première différence : Les Indes anglaises ont constitué un empire à elles-seules, compte tenu de leur puissance et de leur richesse, un empire britannique « secondaire ». Certains auteurs ont d’ailleurs qualifié l’Inde de « poule aux œufs d’or » ou encore de « vache à lait ».

   Deuxième différence : avant l’intrusion française, et la colonisation, la presqu’ile d’Indochine constituait déjà un Etat relativement bien organisé, le royaume d’Annam, et disposait d’une administration royale ramifiée de lettrés.

L’Annam  continuait à verser un tribut annuel à l’Empereur de Chine, mais il s’agissait d’un lien assez symbolique.

     Troisième différence : A la différence des Indes, à l’arrivée des Français, le royaume d’Annam disposait déjà d’une histoire ancienne et commune à la Cochinchine, à l’Annam et au Tonkin, au cours de laquelle de grands personnages s’étaient illustrés au cours des siècles, dont les deux sœurs Trung et Triêu Thi Trinh, célébrées encore de nos jours, qui luttèrent pour l’indépendance de leur pays, contre la Chine au début du premier millénaire.

       Dans son article « Le legs français à l’Indochine », Pierre Brocheux introduit la réflexion en écrivant :

       « Les Français tendirent deux cordes à leur arc : celle de l’exploitation des ressources économiques et celle de la civilisation des hommes. »

Les ressources –

      L’historien décrit les résultats obtenus sur le plan économique, la  création d’un réseau ramifié de voies de communication par route (32 000 kilomètres macadamisées en 1943) et par rail (3 019 kilomètres en 1938), le développement des rizières, des plantations d’hévéa, des mines de charbon, et d’industries de transformation textiles ou alimentaires, sous la houlette de l’administration coloniale et de la Banque d’Indochine, très puissante, la seule banque coloniale à avoir été autorisée à battre monnaie.

      Dans son livre, Pierre Brocheux relève que la France a alors installé un système de production capitaliste, mais sans détruire le tissu artisanal dynamique qui existait alors.

          A noter par ailleurs, le rôle trop souvent passé sous silence de la communauté chinoise dans l’économie indochinoise, compte tenu de son poids, Pierre Brocheux utilise le terme de condominium franco-chinois :

      « En dépit des obstacles posés par le condominium économique franco-chinois, une classe d’entrepreneurs vietnamiens tenta de se faire une place au soleil. » (p,71)

La civilisation – 

       La deuxième corde de l’arc citée par l’historien, un effort important en matière de santé publique, avec la formation de personnel (367 médecins et 3 623 infirmières en 1939), la création d’hôpitaux (10 000 lits), et d’établissements, un institut Pasteur en 1891, une école de médecine en 1902, et enfin  des campagnes de vaccination massives.

      En parallèle, un effort non négligeable de scolarisation et la création d’une université, avec pour résultat la création d’une nouvelle élite de lettrés et de fonctionnaires.

     Seul problème, mais majeur le choc de civilisation que la France a imposé à une aussi vieille civilisation, sans que la France n’offre de véritable perspective politique à son élite !

Ce que relève à juste titre l’historien !

     « Quel bilan ?

     L’histoire de l’Indochine française fut celle d’une modernisation  à l’européenne imposée aux peuples indochinois, les Français ne surent ou ne voulurent pas prendre la mesure des changements qu’ils avaient eux-mêmes introduit ni en tirer des conséquences évolutives. Ainsi, faute d’avoir dirigé l’évolution ou de l’avoir devancée, ils furent entrainés et écrasés par elle » (p,5)

    Dans son livre, l’historien Brocheux utilise une expression plus forte, et à notre avis, pertinente, en choisissant pour titre de son chapitre 4 :

« De l’agression culturelle et de son bon usage. »

     Car il s’est bien agi d’une agression coloniale multiforme, comme le furent toutes celles, d’origine anglaise, américaine, russe, portugaise, italienne, ou allemande, qui jalonnèrent la fin du dix-neuvième siècle en Afrique ou en Asie.

     Il s’agit du vieux débat qu’avaient engagé les premiers gouverneurs sur la question de savoir s’il fallait instaurer en Indochine un véritable protectorat ou laisser l’administration coloniale imposer de plus en plus sa marque sur la colonie.

     Nous avons déjà évoqué cette question sur ce blog, notamment dans les chroniques intitulées «  Gallieni et Lyautey ces inconnus ! »

      Dans les années 1930, le gouverneur général Varenne, défendit à nouveau une évolution de notre gouvernance coloniale, mais sans succès.

      Dans l’« Epilogue » de son livre, Pierre Brocheux fait une lecture nuancée du legs colonial de la France :

     « L’histoire contemporaine du Viêt Nam illustre la résilience d’un fait national séculaire. Le moment colonial fut un intermède relativement court mais fécond en transformations de l’économie, de la société et de la culture. Dans ce dernier registre, les changements ont été déterminants parce qu’ils ont donné naissance à la modernité vietnamienne, une mutation largement inspirée par la civilisation occidentale mais qui n’a pas fait « sortir le Viêt Nam de l’Asie pour le faire entrer dans l’Occident ». Choisir préside à la transculturation et à l’enculturation : que prendre à la culture dominante pour faire évoluer sa propre culture ? Dans le registre matériel, il n’y a pas de dilemme technologique : sciences modernes, techniques industrielles s’imposent (c’est la « potion magique ») et leurs applications engendrent des transformations économiques pouvant être rapides. En revanche, dans la sphère spirituelle, particulièrement dans le registre philosophique et politique, le choix est plus délicat, plus problématique et les changements beaucoup plus lents.

        Qui peut mieux qu’un Vietnamien ayant participé au combat pour la libération nationale de son pays, évaluer l’effet déterminant de la domination française sur son pays :

       « Revenons vers le passé avec une vue large, objective, tolérante et passons en revue ce que la colonisation française a légué à notre peuple. Il nous faut avant tout reconnaître que les colonisateurs français avaient débarqué dans notre pays en pleine domination du régime féodal absolutiste. Il aurait fallu un authentique Meiji pour sortir notre pays des ténèbres millénaires des us et coutumes et croyances arriérées. Il nous suffit de comparer les cent ans du protectorat français avec les mille ans de domination chinoise pour mieux voir, pour comprendre plus à fond l’influence des deux civilisations comme les supports positifs pour notre peuple de ces deux régimes colonialistes. En cent ans, les apports des Français ne le cédèrent en rien à ceux des mille ans de domination chinoise. »

(Dâng Van Viêt -Mémoires d’un colonel Viêt Minh 1945-2005, p,217-218)

Pierre Brocheux Histoire du Vietnam contemporain, pages 251, 252

Post Scriptum

        Il y a quelques années, je me suis rendu au Vietnam en compagnie de mon épouse avec plusieurs objectifs : faire la connaissance d’un pays pour lequel j’avais toujours nourri à la fois de la curiosité et de l’attirance, confronter certains lieux de la conquête militaire et de la colonisation avec le résultat de mes recherches historiques, notamment sur la fameuse « retraite » de Langson en 1883, ou sur la révolte du Dé Tham dans le delta du Tonkin (1890-1908), et pourquoi ne pas le dire ?

        Répondre à la question : que reste-t-il de la colonisation française au Tonkin, à Hanoï, ou en Annam, à Hué, l’ancienne capitale impériale.

      De ce voyage sans doute trop rapide, ma conclusion était celle de la disparition quasi-complète de la colonisation française, mis à part, à Hanoï ou à Hué, quelques beaux bâtiments officiels de l’ancienne colonie, et surtout les célèbres villas coloniales, et naturellement le fameux pont Paul Doumer, datant du proconsulat de l’intéressé, toujours vivant !

     La citation qui a été faite plus haut propose évidemment une autre mesure du legs colonial que la France a pu laisser au Vietnam, dans un pays qui a été complètement dévasté par les deux guerres qui s’y sont succédé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

La France en Centrafrique: entre néocolonialisme, ingérence humanitaire, tutelle de l’ONU, histoire coloniale ou postcoloniale, à l’ombre de la Françafrique!

(Commentaires de contributions publiées dans le journal la Croix des 29 janvier et 7 février 2014)

            Le lecteur connait ma position de citoyen sur les modalités d’intervention de notre pays au Mali et en Centrafrique (voir mon article du 17 février 2014), et l’évolution des conditions de cette intervention militaire qui se déroule en dehors des missions normales de notre armée (une interposition dans une guerre civile !), donc un « piège » !

            Cette opération « militaire » dure, contrairement aux engagements du Président, et met en évidence, après son « fait accompli »,  l’extrême difficulté que la France rencontre pour trouver des concours internationaux, et montre clairement les limites de ce nouvel exercice de puissance dans une Afrique qui doit se prendre en charge.

            Pourquoi ne pas avoir laissé les voisins de ce pays, le  Gabon, la République du Congo, ou la nouvelle Afrique du Sud, qui paraissait motivée et en avait les moyens, prendre leurs responsabilités, avec l’appui de la communauté internationale, y compris la France ?

         La guerre civile qui sévit en Centrafrique pose à nouveau le problème des conditions de l’intervention internationale dans ce type de conflit.

           Ingérence ou pas ? M.Bayart, chercheur au CNRS, (La Croix du 7/02/14) prône une « nouvelle doctrine de l’ingérence », mais en invoquant des arguments sujets à caution : « Au Mali, sa sécurité était mise en cause du fait de la volonté des djihadistes de la frapper. »

           Question : l’Algérie n’était-elle pas le premier pays a priori concerné ?

       « En Centrafrique, les massacres rendaient intenable notre inaction »

Pourquoi la France, plus que l’Union africaine ou européenne, ou la communauté internationale dans son ensemble, c’est-à-dire l’ONU ?

     Plus loin, M.Bayart propose une autre justification qui a un vrai parfum colonial ou postcolonial, en écrivant :

     « En Centrafrique, les troupes françaises s’embourbent dans une mission d’interposition dont l’issue politique n’est ni prévisible ni même probable, tant est lourd le legs d’un siècle de prédation et de déshérence. »

        A quoi le chercheur fait-il allusion ? Au scandale des compagnies concessionnaires, forestières ou minières, de la fin du dix- neuvième siècle?

        Il serait sans doute plus approprié d’estimer, en faisant appel à un mot à la mode, le « ressenti néo-colonial» que la population de ce pays pourrait éprouver,  tout comme les quelques Français ou Françaises qui connaissent encore notre histoire coloniale.

       La position qu’a prise M. Jean Marie Guéhenno, professeur à Colombia University et président du Centre pour la dialogue humanitaire à Genève, dans le même journal, parait mieux fondée :

      « Ne promettons pas plus que ce que nous pouvons donner, mesurons les risques moraux et stratégiques de tout engagement extérieur, particulièrement quand il inclut l’usage de la force, mais n’oublions pas que l’abstention est aussi un risque moral et stratégique. »

        Un risque moral sûrement, mais dans le cas de la Centrafrique, l’intervention française ne s’inscrivait pas obligatoirement dans une stratégie nationale.

     Dans une autre chronique intitulée « Le retour des tutelles », M.Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po,  ( La Croix du 29 janvier 2014) soulève les questions de principe que posent les interventions françaises, en s’inscrivant dans une nouvelle conception des tutelles internationales.

      Pourquoi l’ancien principe des tutelles coloniales de la SDN, puis de l’ONU, ne trouverait-il pas en effet une nouvelle justification, plus fondée de nos jours qu’à l’ère coloniale ? On estimait alors que les pays sous tutelle n’étaient pas en mesure de se gouverner eux-mêmes.

      Un dernier mot relatif au contenu de la réponse à la question du jour de La Croix du 13 février 2014, posée à M. Marchal, « chercheur au CNRS et spécialiste de la Centrafrique » :

        « Peut-on parler de « nettoyage ethnique » en Centrafrique ?

        « Il faut plutôt parler de nettoyage confessionnel…car plusieurs ethnies sont regroupées dans ce nettoyage…. Mis à part les convertis, les communautés musulmanes proviennent de migrations malienne, tchadienne, sénégalaise et camerounaise… Ils ont immigré il y a plus d’un siècle, mais ils continuent à être considérés comme des étrangers parce qu’ils sont musulmans. »

       Il s’agit donc bien à la fois d’un nettoyage ethnique et d’un nettoyage religieux, comme notre belle France en a connu dans les siècles passés, sur son propre territoire !

         A relire, entre autres, le récit d’André Gide, « Voyage au Congo » dans cette région qui fait la Une de l’actualité, il y a moins d’un siècle (1926-1927), on a de la peine à y rencontrer des communautés sénégalaise ou maliennes, mais incontestablement celles d’autres ethnies, les unes d’obédience musulmanes, venues du Sahel,  les autres d’obédience chrétienne, issues des populations animistes ou fétichistes de la forêt.

     Dans la même réponse, le chercheur écrit :

     « La visite de Jean-Yves Le Drian doit permettre de mater les anti-balaka. »

     Le ministre de la Défense de la République Française va donc « mater » ?

     Jean Pierre Renaud

Empire colonial anglais et Empire colonial français: 2ème Partie

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.  

Empire colonial anglais et Empire colonial français (19 et 20ème siècles)

La première partie a été publiée le 21/01/2014

Deuxième Partie :

A Londres ou à Paris, des stratégies et des politiques impériales semblables ou différentes ?

A – Une esquisse de comparaison générale

            A lire un petit livre publié en 1945, paré de belles illustrations en couleur, d’un auteur peu connu, Noel Sabine, intitulé » « L’Empire colonial britannique», mais sans prétention historique, et à confronter sa description rapide à celle qu’un historien confirmé, Kwasi Kwarteng, dans le livre « Ghosts of Empire», livre qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog, et sur le contenu duquel nous nous appuierons pour étayer certaines de nos réflexions, l’analyste pourrait facilement conclure que la constitution de l’Empire britannique fut le fruit d’un pur hasard, servie par une poignée d’hommes distribués sur la planète, et concourant chacun, de leur côté,  à l’édification d’un empire, presque sans le savoir.

             Un « hasard » qui se serait tout de même étendu sur plus d’un siècle ?

            La création de cet empire planétaire et puissant pourrait effectivement servir à illustrer une des théories de stratégie asiatique, connue sous le nom du taoïsme, avec le cours des choses.

Le cours des choses

         Toute stratégie doit donc pouvoir discerner le vrai cours des choses et s’y adapter pour contrôler si possible la marche des événements.

         Personnellement, je pense que ce type d’analyse stratégique rend assez bien compte de la marche passée du monde et des séquences de dominations historiques qui l’ont marqué, soit parce qu’une doctrine religieuse s’imposait, ou une civilisation supérieure, ou encore, une puissance militaire dotée d’armes nouvelles ou disposant de chefs de guerre exceptionnels.

        Dans le cas présent, ma faveur va à l’explication analysée par l’historien Headrick dans son livre « The tools of Empire », car c’est l’explosion des technologies nouvelles, quinine, vapeur, câble, télégraphe, armes à tir rapide…qui a donné aux puissances européennes les outils, c’est-à-dire les armes de la puissance coloniale, d’une puissance coloniale qui n’a pas exercé très longtemps son pouvoir, ce qu’on feint d’ignorer, dans le cas général, entre soixante et quatre- vingt années.

        Une sorte de cours des choses technologique que le génie britannique, la disposition anglaise pour « the money », le business, toujours le business, a su canaliser, tirer profit, inscrire dans un code de nouvelle puissance coloniale.

        En comparaison, la création de l’Empire français serait la reproduction imparfaite d’un modèle politique et administratif de type centralisé, d’une philosophie abstraite de rêve égalitaire, d’un cours des choses standardisé.

          Nous verrons donc que l’Empire britannique n’est pas uniquement le fruit du hasard, même si un auteur comme Noel Sabine en dresse ce portrait.

       «  C’est l’aboutissement, non pas de projets longuement mûris, mais d’une évolution progressive et presque fortuite. » (p,7)

        En ce qui concerne les habitants du Royaume Uni : « Il est curieux qu’à aucune époque on ne constate chez eux une impulsion dynamique gagnant les couches profondes de la nation et les poussent à fonder un empire » (p,7)

      « De même que la création de l’empire britannique –  si toutefois il est permis d’appeler création un processus qui s’est accompli au petit bonheur – est l’œuvre d’hommes relativement peu nombreux, de même les problèmes qui en découlent n’ont jamais intéressé qu’un petit nombre de personnes, laissant indifférente la masse de la population des Iles Britanniques. » (p,8)

      L’auteur décrit bien la philosophie de cet impérialisme fondé sur deux principes directeurs, en oubliant peut-être le troisième, le principe capital sans doute, le « business », les affaires, c’est-à-dire «money », sur lequel nous reviendrons plus loin :

     1) laisser à celui qui est sur place toute latitude pour mettre en œuvre la politique dont les grandes lignes lui ont été simplement indiquées,

    2) éviter de substituer des institutions nouvelles aux anciennes, mais plutôt adapter celles qui existent  aux besoins modernes.

     Le même auteur relève qu’il est « difficile de distinguer un fil conducteur suivant et définissant nettement ce qui constitue la politique coloniale … Il est peut-être trompeur de parler de « politique coloniale », comme s’il était possible de suivre une seule et même ligne de conduite à l’égard de populations, de conditions et de problèmes aussi variés que ceux de l’empire colonial britannique ; par politique coloniale, j’entends plutôt des principes et une certaine manière de voir qui ont progressivement évolué, et au moyen desquels le Gouvernement britannique s’attaque aujourd’hui à l’étude des problèmes coloniaux. »(p,28,29)»

       A la différence de Paris, Londres n’a jamais cherché à tout réglementer, mais le gouvernement britannique eut très tôt à sa disposition un instrument gouvernemental capable de suivre les affaires coloniales, celles tout d’abord des plantations, puis de l’empire lui-même, avec la création du Colonial Office, en 1835.

     La France ne disposa d’un instrument politique du même genre, le ministère des Colonies, qu’en 1894, une administration qui eut d’ailleurs beaucoup de mal à exister politiquement, à avoir du poids au sein des gouvernements.

Jusque-là, et en ce qui concerne l’Afrique et l’Asie, le domaine colonial fut l’affaire de la Marine et des amiraux.

       Tout au long de la première moitié du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne mit en œuvre une politique impériale fondée tout d’abord sur la lutte contre le trafic d’esclaves et en faveur du free trade, et elle s’appuyait au fur et à mesure du temps, sur de nouvelles conquêtes territoriales, en ne perdant jamais de vue le distinguo fondamental entre les colonies de peuplement blanc, devenues les dominions, et les autres colonies.

       En ce qui concerne ces dernières, Londres faisait toujours valoir deux préoccupations, d’abord le business, avec le moins d’implication politique locale.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng       « The Ghosts » méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

Sir Charles Napier, qui fut peu de temps Gouverneur Général des Indes, déclarait dans les années 1872 :

« in conquering India, the object of all cruelties was money » (The Ghosts, page 96)

       M.Kwasi Karteng notait à ce sujet:

« This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

      Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

      “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

      Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en effet, en 1897:

« The objects we have in our view are strictly business object » (The Ghosts, page 278)

    Dans le livre « Ghosts of Empire », l’auteur, Kwasi Kwarteng, défend ce type d’interprétation, comme nous l’avons noté dans l’analyse de lecture que nous avons publiée sur ce blog.

     Sa démonstration est notamment fondée sur les portraits très fouillés qu’il a proposés pour un certain nombre de grands acteurs de l’Empire britannique, des acteurs recrutés dans la même classe sociale et fiers de leur modèle de société, qu’ils estimaient supérieur à tous les autres.

    « The individual temper, character and interests of the people in charge determined policy almost entirely throughout the British Empire. There simply no master plan. There were different moods, different styles of government. Individuals had different interest; even when powerful characters, sitting in White Hall, were trying to shape events of empire. More often than not, there was very little central direction from London. The nature of parliamentary government ensured that ministries came and went; policies shifted and changed, often thanks to the verdict of the ballot box, or even because of a minor Cabinet reshuffle.” (Ghosts of Empire, p,160)

      En examinant sur la longue durée historique, les différents éléments de la politique impériale anglaise en action et en résultats, nous constatons qu’il en existait tout de même bien une, dont les traits étaient très différents de ceux de la française, pour autant qu’il y en ait eu une.

     Pour emprunter une expression d’Adam Smith, le grand théoricien du libéralisme, il serait tentant de dire que l’empire britannique a été le fruit d’une «  main invisible »,  celle de l’économiste Adam Smith, celle de la liberté des échanges, mais au service d’une puissance économique et militaire, et d’une marine qui n’avaient pas d’équivalent au monde tout au long du dix-neuvième siècle, et donc du business, son objectif premier.

      Dans un tel contexte, et avec cet état d’esprit, « nous sommes les meilleurs », nul besoin de trop définir une politique coloniale, de vouloir promouvoir tel ou tel modèle d’administration coloniale, et la grande réussite de l’empire anglais fut de le construire à la fois systématiquement et au coup par coup.

      Même au cours de la période de  l’impérialisme anglais la plus tonitruante, à la fin du dix-neuvième siècle, alors que l’opinion publique semblait partager les ambitions coloniales de ses dirigeants, en rivalisant avec les autres puissances européennes pour se partager l’Afrique, Londres ne perdait pas le nord, ou plus exactement le sud, avec la poursuite de ses objectifs stratégiques de long terme, différents selon qu’il s’agissait de colonies de peuplement ou de colonies d’exploitation, ce que nous avons déjà souligné, et le contrôle de ses voies de communication sur toute la chaine stratégique de Londres vers l’Asie, par Gibraltar, Malte, Suez, Le Cap, Ceylan, Singapour et Hong Kong.

      La conquête des territoires d’Afrique tropicale qui n’étaient pas destinés à un peuplement d’immigration a conduit la Grande Bretagne à formaliser sa politique, notamment avec la doctrine de l’indirect rule que Lugard mit en œuvre au Nigéria, mais cette doctrine n’était pas nouvelle, car elle avait déjà été largement mise en œuvre dans l’Empire des Indes.

      Elle connut un certain succès vraisemblablement grâce à l’écho médiatique que l’épouse de Lugard, une femme de presse renommée, lui donna.

      Que l’on parle de « dual mandate » ou d’« indirect rule », la conception était la même, sauf à comprendre qu’il y avait deux niveaux de commandement superposé, l’indigène, et l’anglais, ce dernier étant voué à l’accession du territoire administré à la modernité, aux échanges du commerce au moins autant qu’à la « civilisation ».

      Une fois les deux empires coloniaux constitués, les deux métropoles pilotèrent deux systèmes de gestion très différents, mais elles avaient fixé la même ligne rouge à ne pas franchir, c’est-à-dire le principe du « financial self-suffering », pour les Anglais, et la loi du 3 avril 1900, pour les Français, c’est-à-dire l’autosuffisance financière imposée aux nouveaux territoires sous domination.

      Compte tenu de l’inégalité importante qui existait entre les ressources des territoires qui composaient les deux empires, et sur le fondement de ce principe, la France rencontra beaucoup plus de difficultés pour développer ses  colonies que la Grande Bretagne.

     L’empire anglais était constitué d’un ensemble de solutions disparates allant de la colonie administrée, c’est-à-dire l’exception, au territoire impérial que la métropole laissait gérer par les autorités locales, l’Inde représentant la quintessence de la mosaïque des solutions coloniales anglaises.

     L’historien Grimal le décrivait de la sorte :

    « La doctrine du gouvernement en cette matière, c’était de ne pas en avoir et de procéder empiriquement selon les lieux et les circonstances : de là l’extrême variété des systèmes administratifs utilisés et les dénominations multiples des territoires placés sous l’autorité britannique. Cette disparité apparente comportait néanmoins quelques principes communs : chaque territoire constituait une entité, ayant sa personnalité propre et un gouvernement responsable de ses affaires et de son budget : l’autorité appartenait à un gouverneur, assisté de Conseils consultatifs, formés essentiellement de fonctionnaires. «  (page 212)

       A l’inverse, l’Empire français était organisé sur le même modèle administratif  de la tradition centralisée de l’Etat napoléonien, l’élément d’organisation de base étant la colonie, avec un gouverneur, ou le groupement de colonies (AOF, AEF, Indochine), avec un gouverneur général exerçant tous les pouvoirs.

      La forme institutionnelle du pouvoir que la France donna à l’Indochine et à Madagascar est tout à fait symbolique de la conception qui présidait alors à l’organisation du pouvoir colonial.

     En Indochine, la puissance coloniale avait la possibilité de mettre en pratique une sorte d’indirect rule à l’anglaise, mais très rapidement, les résidents et gouverneurs se substituèrent aux représentants de l’Empereur d’Annam, alors que leur administration mandarinale était déjà très développée.

     A Madagascar, Gallieni eut tôt fait de mettre au pas la monarchie hova et de décréter l’instauration d’un régime colonial de marque républicaine.

      Il existait alors au moins un point commun entre les Anglais et les Français : les acteurs de terrain bénéficiaient d’une très large délégation de pouvoirs, dans un cadre républicain apparent beaucoup plus que réel pour les Français, et dans un cadre d’esprit monarchique et libéral pour les Anglais.

     Modèle soi-disant égalitaire de l’administration coloniale française contre modèle des classes aristocratiques supérieures, celui qu’incarnaient les administrateurs coloniaux britanniques, mais comme le remarquait M.M’Bokolo dans son livre « L’Afrique au XXème siècle », sur le terrain concret les différences entre les deux styles d’administration coloniale étaient beaucoup moins marquées :

    « Ainsi sont devenues classiques les distinctions entre l’assimilation et l’administration directe sous la version française ou portugaise et l’administration indirecte (indirect rule) chère aux Britanniques. En fait, compte tenu de l’immensité et de la diversité des empires coloniaux, les puissances de tutelle se trouvèrent en face de situations identiques et adoptèrent des solutions pratiques très proches : démantèlement des monarchies et des grandes chefferies, sauf là où, comme au Maroc, en Tunisie, au Bouganda, en Ashanti (Gold Coast), à Zanzibar, etc…, des accords de protectorat avaient été conclus, maintien, voire création, de petites chefferies, utiles courroies de transmission dans des territoires où le personnel européen était souvent peu nombreux ; ségrégation de fait entre les communautés indigènes et les Européens. Partout, prédominaient des méthodes autoritaires, teintées ici et là de paternalisme. En dehors des lointains ministères, souvent peu au courant des réalités locales, et de la bureaucratie centrale des gouvernements généraux, le pouvoir sur le terrain appartenait à l’administrateur européen, véritable « roi de la brousse », ayant son mot à dire sur tout et un pouvoir de décision dans les questions administratives, mais aussi en matière de justice, de police, et sur des problèmes plus techniques, touchant par exemple à la voirie, l’instruction et à la santé…) (page 42) »

      La différence capitale se situait dans la conception même du rôle de la puissance coloniale, l’anglaise n’ayant jamais envisagé une évolution politique et citoyenne au sein du Royaume Uni, la française promettant, complètement coupée des réalités coloniales, de conduire les indigènes à une égalité des droits au sein des institutions françaises.

B – Les différences impériales les plus marquantes

     L’analyse qui précède montre déjà, qu’au-delà de la dichotomie qui existait dans l’empire britannique entre les colonies de peuplement et les colonies d’exploitation, les deux empires ne partageaient pas les mêmes caractéristiques, historiques, géographiques, ou économiques.

     La Grande Bretagne s’était taillé la part du lion dans les possessions dont les atouts économiques étaient les plus grands, et déjà notoires, avec la place capitale de l’Inde dans le dispositif colonial, et le contrôle stratégique des voies de communication vers l’Asie qu’elle s’était assuré.

     Ces deux seuls éléments constitutifs de l’Empire britannique, l’Empire des Indes et la voie impériale vers l’Asie, suffiraient à eux seuls à exclure toute comparaison pertinente entre les deux Empires.

Les éléments les moins dissemblables des deux empires étaient situés en Afrique tropicale, mais comme le soulignait l’historien Grimal, en dépit de la réserve que la puissance gouvernementale anglaise s’était fixé :

     « Celle-ci fut progressivement contrainte à dépasser la limite qu’elle s’était fixée : le refus de toute implication politique » (page 128)

    Une certaine confusion existait dans les buts poursuivis par les deux puissances, mais il a toujours été clair que la politique anglaise poursuivait inlassablement son ambition du tout pour le business, alors que dans les motivations françaises, les préoccupations de conquête des marchés avaient beaucoup de mal à s’imposer face à celles de la puissance, ou du rayonnement supposé de sa civilisation qu’elle estimait être la meilleure, pour ne pas dire supérieure.

     Je dirais volontiers que la France avait l’ambition de projeter son modèle de civilisation supposée sur le terrain, ses « valeurs » qu’elle estimait universelles, tirées de la Déclaration des Droits de l’Homme, alors que la Grande Bretagne, sûre qu’elle incarnait un modèle de civilisation supérieure, ne faisait qu’escompter qu’on l’imiterait, le transposerait.

     D’une autre façon, la distinction entre les deux types d’institutions coloniales  recouvrait celle plus banale entre l’esprit « juridique » français, et l’esprit « pragmatique » anglais.

     Les deux puissances avaient pris au moins la même précaution, celle de ne pas prendre en compte sur les budgets des métropoles le financement du développement de leurs colonies, principe du « financial self suffering » chez les Anglais et loi du 3 avril 1900, chez les Français.

     La profusion des taches de couleur coloniale anglaise ou française sur la planisphère pouvait faire illusion, mais elles ne couvraient pas le même type de « marchandise » coloniale.

     L’empire anglais était un véritable patchwork institutionnel, un ensemble inextricable de solutions adaptées à chaque « situation coloniale », une architecture du cas par cas, une gestion directe à titre exceptionnel telle qu’en Birmanie ou à Hong Kong, mais le plus souvent une gestion indirecte laissant exercer le pouvoir par autant de sortes d’’institutions de pouvoir local qui pouvaient exister dans l’empire.

     Dans l’Empire des Indes, la puissance coloniale s’était réservée la charge de l’ordre public et des relations internationales, mais laissait tel rajah ou tel maradjah gouverner son royaume à sa guise, sauf quand il mettait en danger la paix britannique.

       Londres y pratiquait ce que l’historien appelait « le despotisme bienveillant de l’Inde » (p,220)

Donc rien à voir avec le modèle des institutions coloniales françaises où, comme au temps de Napoléon, les gouverneurs devaient marcher du même pas et mettre en œuvre le même modèle applicable à toutes les « situations coloniales », quelles qu’elles soient, alors qu’elles étaient évidemment très différentes.

Patchwork des institutions coloniales anglaises, certainement, mais dans  la deuxième « main invisible » anglaise, celle des hommes qui administraient les colonies, et le livre de M.Kwasi Karteng en confirme le rôle et l’importance.

      Une main invisible qui mettait en musique celle du fondateur de l’école libérale, Adam Smith.

     Résidents ou administrateurs, tous issus de la même classe sociale, c’est à dire sur le même moule, ils incarnaient le respect de la monarchie, et par-dessus tout, ils estimaient qu’en toute circonstance :

    1) ils étaient les meilleurs,

    2) et que leur modèle économique et social était également le meilleur.

C- Ressemblances et dissemblances coloniales ?

         Dans le livre que j’ai consacré à l’analyse de ce que l’on appelait « le fait accompli colonial » à l’occasion des grandes conquêtes coloniales de la France, en Afrique, au Tonkin et à Madagascar (« Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et dans l’introduction, figurait à la page 12 la reproduction d’une page de caricatures en couleur de la revue satirique allemande Simplicissimus de l’année 1904 :

      en haut « Comme ça, la colonisation allemande » avec un alignement de girafes sous la menace d’un crocodile tenu en laisse par un soldat allemand,

     au milieu « Comme ça, la colonisation anglaise », un soldat anglais qui passe un noir sous le rouleau d’une machine d’imprimerie pour fabriquer de l’argent,

      et en bas deux caricatures : à gauche, « Comme ça, la française » avec un soldat qui tire le nez à un noir, et en arrière- plan, un soldat  blanc et une noire qui se frottent le nez – à droite « Comme ça, la colonisation belge » avec un soldat belge qui fait rôtir un noir à la broche pour son diner.

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  Une contribution allemande à l’écriture de l’histoire coloniale: Simplicissimus 1904 ( © 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.)

      Ces clichés très caricaturaux ont toutefois le mérite de situer l’état d’esprit général des colonisateurs de l’époque de la conquête, mais il est nécessaire naturellement d’approfondir la comparaison franco-britannique.

     S’il était possible de résumer l’analyse qui précède, les traits les plus caractéristiques pourraient en être les suivants :

–       Une histoire coloniale anglaise beaucoup mieux enracinée en métropole et outre-mer que l’histoire coloniale française.

–       Un empire anglais qui fut le fruit d’un plus grand nombre d’opérations de conquête militaire que l’empire français, et beaucoup plus puissantes aussi.

–       Un patchwork institutionnel chez les Anglais, créé au coup par coup, face au système uniforme des Français.

–       Une politique de gestion indirecte dans l’empire britannique au lieu d’une gestion politique en prise directe dans l’empire français, mais avec beaucoup de nuances sur le terrain, compte tenu du rapport existant entre les superficies coloniales et l’effectif des administrateurs coloniaux.

–       Un empire français manquant de solidité face à un empire britannique puissant au sein duquel prédominaient les Indes et la voie impériale vers l’Asie.

–       Un empire anglais à double face, avec d’un côté les colonies de peuplement blanc dans les pays à climat tempéré, et de l’autre côté, les colonies de peuplement de couleur dans les pays à climat tropical,  alors que l’empire français, mis à part le cas de l’Algérie, était uniformément un empire de couleur et de climat tropical.

–       Une décolonisation anglaise au moins aussi difficile que la française, et beaucoup plus violente dans les anciennes colonies de peuplement, telles que l’Afrique du Sud, le Kenya, ou la Rhodésie. La seule comparaison, mais plus limitée géographiquement, étant celle de l’Algérie.

–       La relative réussite d’une communauté internationale née de l’empire anglais, le Commonwealth, sans comparaison avec ce que fut la tentative d’Union ou de Communauté française, mais qui bénéficia dès le départ d’un atout clé, celui de la communauté de langues et de mœurs des anciennes colonies de peuplement blanc.

Il nous faut à présent tenter de procéder à une comparaison des types de relations humaines, et c’est naturellement une gageure, qui pouvaient exister entre les anglais ou les français et les indigènes dans les deux empires, et des philosophies politiques qui inspiraient ou non l’évolution de leurs politiques coloniales.

D – Racisme, discrimination,  ségrégation, citoyenneté, démocratie ?

       Dans ce domaine des mots et de leurs sens, il n’est pas inutile de rappeler que les mots « racisme » ou « raciste » ont fait l’objet de définitions différentes et relatives au fur et à mesure du temps.

        En 1932, année on ne peut plus coloniale aux dires de certains chercheurs, voir «  la grande Exposition Coloniale de 1931 », Le Larousse en six volumes ne proposait pas de définition du mot racisme et renvoyait à ce sujet au mot raciste dans les termes ci-après :

      « Raciste, nom donné aux nationaux socialistes allemands qui prétendent représenter  la pure race allemande, en excluant les juifs, etc… »

       De nos jours, le Petit Robert (édition 1973) est plus prolixe :

      Racisme : « Théorie de la hiérarchie des races qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres »

     Raciste : « Personne qui soutient le racisme, dont la conduite est imprégnée de racisme. »

     Incontestablement, la colonisation a longtemps exprimé une forme de racisme, mais pas toujours dans le sens moderne que l’on donne au mot, mais qui trouvait en partie son origine, et à cette époque, dans une théorie soi-disant scientifique qui classait les supposées cinq races du monde en classes supérieures et en classes inférieures.

    Les propos de Jules Ferry, Président du Conseil, distinguant les races supérieures et les races inférieures auxquelles il convenait d’apporter la civilisation, propos dénoncés par Clemenceau, citant entre autres les civilisations d’Asie, témoignent bien de l’état d’esprit qui imprégnait alors une partie de l’élite politique française, mais il serait possible de rappeler, en ce qui concerne Clemenceau, que les Chinois qualifiaient de leurs côtés les nez longs de « barbares », et que dans beaucoup de régions du globe le même type de discrimination raciale existait aussi.

       « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ?

      Et pourquoi ne pas mettre l’héritage du Siècle des Lumières dans l’acte d’accusation ?

     Il s’agit donc d’un sujet qu’il nous faut aborder avec beaucoup de précautions afin de tenter de situer les différences d’appréciation et de comportement entre Anglais et Français

     Rappelons tout d’abord qu’à l’occasion des premiers contacts, les premiers échanges entre peuples différents faisaient apparaître un tel écart entre modes de vie, coutumes, et croyances,  entre les sociétés ayant déjà accédé à la modernité, celles du colonisateur, et celles l’ignorant complètement, qu’il était sans doute difficile pour un blanc de ne pas se considérer comme un être supérieur, ou tout au moins comme membre d’une société supérieure.

      Précaution et prudence parce que souvent cette appréciation de la relation avec l’autre, une relation de type non « raciste » dépendait tout autant de l’explorateur, officier, ou administrateur blanc, qu’il s’agisse de Duveyrier chez les Touareg, ou de Philastre en Indochine, pour ne pas revenir sur les propos de Clemenceau à la Chambre des Députés, en réfutation de ceux de Jules Ferry.

      Il convient toutefois de noter que dans l’histoire des sociétés du monde et de la même époque, entrées ou non dans la modernité, ou en voie d’y entrer, colonisées ou non, il n’était pas rare de voir des peuples se considérer aussi comme disposant d’un statut social supérieur, en Europe, avec les Romains ou les Germains, en Asie, ou en Afrique, sur les rives du Gange, du Zambèze, du Niger, ou de la Betsiboka.

     Toujours est-il que les coloniaux anglais ont toujours considéré qu’ils faisaient partie d’une « race » supérieure et qu’ils se gardèrent bien de faire miroiter aux yeux de leurs administrés la perspective d’une égalité politique, comme l’ont fait les coloniaux français.

      Chez les Britanniques, ce comportement des résidents coloniaux était d’autant plus naturel qu’ils étaient issus de l’aristocratie anglaise.

        L’historien indien K.M.Panikkar le relevait dans son livre « Asia and Western Dominance » :

      «  La supériorité raciale fut un dogme officiel de la colonisation anglaise jusqu’à la première guerre mondiale » (page 143)

          Le même historien retrouvait ce racisme chez les Français en Indochine qui, selon ses mots, auraient imité les Britanniques et caractérisait l’attitude anglaise en citant une phrase de Kitchener :

        «  Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. ».

      Si le racisme a existé dans les colonies françaises, et il a effectivement existé, les deux qualificatifs de « lucide » et de « délibéré », seraient inappropriés.

      La devise anglaise aurait pu être, chacun chez soi, et la paix civile sera toujours assurée grâce à la bonne intelligence des autorités indigènes locales, alors que la devise française était celle d’une égalité annoncée, mais fictive jusqu’au milieu du vingtième siècle.

       Dans l’empire anglais, existait le système du «  colour bar » poussé à l’extrême en Afrique du Sud ou en Rhodésie, les clubs réservés aux anglais, un habitat colonial anglais soigneusement étudié pour que chacune des communautés soit chez elle.

      Dans les quatre composantes coloniales de l’Afrique du Sud, le système du « Colour Bar », c’est-à-dire la discrimination des noirs et la séparation stricte entre blancs et noirs, avait été généralisé en 1926, dans une Afrique du Sud à laquelle le Royaume Uni avait accordé un statut de dominion depuis 1910 !

        Lors de son passage à Johannesburg, en 1931, le géographe Weulersse relevait que dans les mines d’or il y avait 21 000 ouvriers blancs en regard de 200 000 Noirs et qu’

       « Une telle masse de main d’œuvre à vil prix était une menace constante pour les travailleurs blancs…. On inventa la « Barrière de couleur », la « Colour bar »… en dessous du prolétariat blanc, on créa une sorte de sous-prolétariat pour ne pas utiliser un terme plus violent. Et pour le Colour Bar Act voté en 1926, cet ingénieux système est devenu la loi fédérale de l’Union, applicable dans tous les Etats, et dans toutes les industries, fermant à l’ouvrier indigène toute possibilité de progrès mais offrant à la discrétion de l’employeur une admirable et docile masse de « cheap labour ».

        Dans un registre beaucoup moins sévère, et à l’occasion d’un retour d’Asie, et séjournant en Inde, Albert Londres racontait qu’il se faisait accompagner par son assistant indien dans les lieux publics anglais qu’il fréquentait, et qu’il transgressait de la sorte les codes de vie sociale anglaise de la colonie.

       Le cas de Hong Kong pourrait être cité comme le modèle de ce type de ségrégation, étant donné que jusqu’à la fin du vingtième siècle et à son rattachement à la Chine, anglais et chinois, quelle que soit leur classe sociale, cohabitaient mais ne se mélangeaient pas, même dans les clubs les plus huppés de la colonie.

      Rien de semblable dans les colonies françaises, mais une ségrégation plus nuancée, qui ne disait pas son nom, à la fois pour des raisons concrètes de genre et de niveau de vie, et de gestion politique du système.

     Le Code de l’Indigénat en vigueur pendant des durées variables selon les colonies instituait bien une forme de ségrégation raciale que n’est jamais venu atténuer un accès large à la citoyenneté française.

    Toutes les analyses montrent que la citoyenneté française n’a été accordée qu’au compte-goutte, mais l’empire britannique ne vit aucune de ses communautés bénéficier de l’égalité citoyenne, comme ce fut le cas des quatre communes de plein exercice du Sénégal, et aucun territoire anglais des Caraïbes ne bénéficia, comme les Antilles françaises, d’une amorce de représentation politique au Parlement français.

    Si par indigénat on entend le pouvoir qu’avaient les administrateurs d’infliger une peine de prison pouvant atteindre quinze jours et une amende pour des infractions diverses, c’était selon Adu Boahen, un système propre à la colonisation française. (Histoire générale de l’Afrique VII Unesco, page 244)

     Mais si comme c’est le plus souvent le cas, on faisait appel au mot « indigénat » pour décrire le fait que les colonisés n’avaient pas le même traitement judiciaire que les colonisateurs, il s’agissait d’une pratique générale, anglaise ou française.

     Simplement, les Français mettaient plus la main à la pâte que les Anglais, qui s’abritaient derrière les autorités indigènes qu’ils contrôlaient.

     Le Code de l’Indigénat avait le mérite de la simplicité, outre le fait que pendant toute la période de pacification, sa rigueur apparente ou réelle n’était pas très éloignée des mœurs de beaucoup de peuples de l’hinterland qui n’avaient subi encore aucune acculturation européenne

     Avec quelques touches historiques qui ne sont bien sûr pas obligatoirement représentatives, les relations humaines entre dominants et dominés n’étaient pas les mêmes.

      A Madagascar, le 31 décembre 1900, à Fianarantsoa, Lyautey organisa un bal qui réunissait un petit nombre de femmes, 19 au total, dont deux femmes indigènes.

     L’historien Grimal décrit bien le système anglais :

     «  Ainsi les agents de l’autorité britannique ne venaient pas en Afrique pour y transporter leurs propres institutions démocratiques et parlementaires, mais pour y maintenir l’ordre et assurer le statu quo. Ils étaient les pions dans une école. Si l’un d’eux faisait  preuve d’une intégrité particulière, d’un intérêt passionné pour le « bon » gouvernement, c’était tant mieux. Mais, en aucun cas, les indigènes n’avaient à être encouragés à adopter l’English way of life, ni la culture, ni l’activité économique, ni les institutions. » (page 214)

     La comparaison entre les colonies tropicales anglaises d’Afrique occidentale et celles d’Afrique orientale montre bien que la politique coloniale anglaise était tout à fait différente, selon qu’il s’agissait de territoires favorables au peuplement blanc ou non. Dans ces derniers territoires, le Colonial Office eut beaucoup de mal à assurer un arbitrage entre Blancs et Noirs, d’autant plus que l’immigration anglaise s’était effectuée en spoliant les terres appartenant aux communautés noires.

    Les Français se donnaient eux l’illusion de vouloir assimiler des peuples indigènes très différents de religion, de culture, et de niveau de vie, et les agents de l’autorité française avaient la mission de promouvoir cette vision idyllique du monde. Autant dire que cette mission était impossible, et les réformes mises en œuvre après la deuxième guerre mondiale, ouvrant la voie à l’égalité politique entre citoyens de métropole et citoyens d’outre-mer n’étaient pas en mesure de soutenir une égalité en droits sociaux que la métropole était bien incapable de pouvoir financer

     Après 1945, la création de l’Union Française ne fut donc qu’un feu de paille, et ne pouvait être qu’un feu de paille, un très lointain reflet d’un Commonwealth dont les racines étaient fondamentalement différentes, la nature des partenaires, ainsi que le fonctionnement.

    En 1945, la fédération de l’Afrique Occidentale Française comptait 13 députés à l’Assemblée Nationale, et 19 Conseillers au Conseil de la République, alors qu’aucun territoire colonial anglais n’avait de représentation au Parlement Britannique, mais cette représentation ne résista pas au puissant mouvement de décolonisation qui intervint dans les années 1960.

     En résumé, il est très difficile de proposer une conclusion générale à une comparaison entre relations humaines et coloniales anglaise et française, étant donné qu’il conviendrait de procéder à des analyses qui tiennent  compte une fois de plus des « situations coloniales » et du « moment colonial».

    Qu’il s’agisse des Français ou des Anglais, les relations ont évolué selon les époques (conquête, première guerre mondiale, entre-deux guerres, deuxième guerre mondiale, guerre froide entre Etats Unis et URSS, etc…).

    Elles ont évolué aussi en fonction des participants (un rajah, un chef, un aristocrate, n’est pas traité par les anglais comme un paysan de la brousse ;  un « petit blanc » dans une ville n’a pas le même comportement qu’un administrateur chargé d’un cercle en Mauritanie, etc….

    Toute conclusion générale ne peut donc avoir qu’un caractère arbitraire à la fois en raison une fois de plus du « temps colonial » et de la « situation coloniale ».

    Un des grands leaders de l’indépendance africaine, celle du Ghana, Kwame Nkrumah, n’écrivait-il pas dans « Autobiography of Kwame Nkrumah (Panaf Edition 1973, first published 1957) en rapportant des souvenirs de sa visite d’un chantier d’un grand barrage hydro-électrique proche de Douala au Cameroun :

     « One thing I remember very vividly about the occasion – probably because it was the first time that i have ever it happen in any colony – was the way all the workers, both European and African, climbed into the waiting lorries when the lunch buzzer sounded. This complete disregard of colour on the part of european workers greatly impresses me.”

       Et pourquoi ne pas ajouter que, comparé au système du  « Colour Bar », le Code de l’Indigénat, n’empêchait pas un type de rapports humains qui n’avait pas un aspect aussi excessif, pour ne pas dire totalitaire.

      Rappelons,  pour conclure ce type de réflexions, que jamais, tout au long de son histoire coloniale, le Parlement britannique n’accueillit en son sein des députés de couleur, comme ce fut le cas en France, pour ne citer que ces deux exemples, la présence  de Victor Mazuline, d’un député de couleur, et fils d’esclaves, venu de Martinique dans l’Assemblée Constituante de 1848, et celle du ministre sénégalais Diagne qui entra à la Chambre des Députés en 1914.

Jean Pierre Renaud

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.

XIXème et XXème siècles: Empire colonial anglais et Empire colonial français

XIXème et XXème siècles : Empire colonial britannique et Empire colonial français

Esquisse de tableau comparatif à grands traits : deux empires semblables ou différents ?

Quels héritages ?

Lilliput face à Gulliver !

Rêve ou réalisme ?

Empirisme ou théorie ?

            Je remercie mon vieil et fidèle ami Michel Auchère, ancien diplomate, qui m’a fait bénéficier de ses commentaires toujours éclairés, nourris à la fois par sa culture « coloniale » et par son expérience approfondie du monde post-colonial.

            Je remercie également mon épouse pour son aide efficace dans la traduction de quelques-uns des textes publiés par Der Spiegel Geschichte, et dans la lecture critique de mes propres textes.

             Les caractères gras des textes ci-après sont de ma responsabilité

&

            Il s’agit d’un domaine historique, celui de l’histoire coloniale et postcoloniale,  qui nourrit les interprétations les plus contrastées, relevant très souvent de la théorie des idées, ou tout simplement de l’émotion, plus que de l’examen des faits, de leur évaluation et donc de leur mesure statistique.

            Pourquoi ne pas noter à cet égard qu’il est plus facile de fréquenter le premier domaine de recherche que le second ? Et de nos jours, certaines publications à la mode se complaisent dans un discours de type anachronique et humanitaire, comme si l’histoire du monde n’avait pas été une succession de dominations, quel qu’en soit le motif, religieux, militaire, ou politique.

            Je m’interroge depuis longtemps sur le passé colonial du Royaume Uni et de la France, sur les comparaisons qui pourraient être faites, en raison notamment du crédit ou du discrédit qui parait entourer le passé de l’une ou l’autre des deux puissances coloniales.

            Il n’est pas dans mes intentions de me lancer dans des comparaisons plus larges avec d’autres puissances coloniales de la même époque, sur lesquelles on fait généralement l’impasse, celles d’Europe, la Russie puis l’URSS, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, les Pays Bas, ou l’Allemagne, ou celle des Etats Unis.

            Je me propose donc de procéder à une récapitulation historique et comparative entre les deux empires coloniaux en question, une récapitulation qui nous permettra d’examiner successivement 1) les évolutions impériales comparées sur la période 1870-1960, les processus de conquête et de décolonisation, 2) les caractéristiques comparées des deux empires en ce qui concerne l’organisation, les méthodes, la philosophie coloniale,  et les hommes, 3) les legs coloniaux avec le regard d’historiens dits de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée », notamment l’historien Adu Boahen pour l’Afrique, 4) le legs colonial britannique en Asie d’après l’historien indien Panikkar et français pour l’Indochine avec l’historien Brocheux, 5) le legs de l’empire britannique avec le regard de deux historiens allemands interviewés par la revue « Der Spiegel Geschichte », 6) enfin une problématique comparée des legs français et britanniques.

            Je n’ai pas l’intention non plus d’évoquer le cas de l’Irlande qui fut la colonie anglaise la plus proche de nous. De mauvais esprits ont d’ailleurs dit que l’Algérie était « une sorte d’Irlande française »

            Il ne conviendrait naturellement pas de se méprendre sur l’ambition de ces réflexions qui n’ont d’autre but que de comparer à grands traits les deux empires coloniaux en question.

 Première partie

A grands traits, une évolution historique comparée

            Au terme des conquêtes des deux pays, l’empire anglais couvrait 33 millions de kilomètres carrés, et l’empire français, 12 millions de kilomètres carrés, trois fois moins, mais ce rapport des surfaces ne traduisait  absolument pas les rapports de forces humaines et économiques coloniales respectives, alors que les nombreuses taches de couleur rouge sur la planisphère, pouvaient faire illusion. L’Empire anglais comptait 450 millions d’habitants et l’Empire français 69 millions d’habitants. (Source Encyclopédie Universalis)

            A – Un bref rappel

         Sans revenir longuement sur la longue rivalité coloniale qui opposa la France à la Grande Bretagne au Canada et en Inde, au cours des siècles qui ont précédé la période examinée, il convient au minimum de rappeler que la Grande Bretagne a alors pris possession de ce qu’on a appelé l’Empire des Indes, confié à la Compagnie des Indes, et laissé à la France quelques comptoirs du format timbre-poste. L’Inde était un territoire très riche, aux dimensions d’un continent, à la grande différence de l’Algérie, nouvelle terre de conquête pour la France.

            La domination anglaise aux Indes semblait assurée quand les Anglais durent faire face, en 1857, à la fameuse révolte des Cipayes, qui se solda par des dizaines de milliers de morts.

            Il n’est peut-être pas inutile de signaler que dans une partie proche de ce continent, et au cours de la même période, une guerre civile chinoise, celle des Taiping, mit le feu à l’Empire de Chine : elle dura de 1851 à 1864. La répression y fut également féroce et se solda par un chiffre de victimes que l’on situe entre 20 et 30 millions de personnes.

            Il convient de noter à cet égard que, dans les années 1880-1890, lors de la conquête du Tonkin, les troupes coloniales françaises eurent maille à partir avec des résidus d’anciennes unités combattantes Taiping qui avaient rallié le camp des pirates annamites.

            On rappellera que le général Gordon, tué par les Mahdistes à Khartoum, avait apporté son concours à l’Empereur de Chine pour réprimer cette révolte.

        Après une période de flottement incontestable, la France se mit en tête de conquérir l’Algérie, et de difficiles opérations de conquête militaire se sont échelonnées de 1830 à 1872, lesquelles se sont également soldées par des dizaines de milliers de morts. L’historien Fremeaux a évalué le chiffre des victimes à 400.000 personnes environ.

           La répression de la révolte des Cipayes fut féroce, et des horreurs furent commises dans les deux camps. En Algérie, la conquête militaire fut également féroce, mais également dans les deux camps, sauf tout de même à rappeler que dans les deux cas, les envahisseurs furent les Anglais et les Français.

            Très tôt, et pour de multiples raisons, l’Inde bénéficia d’une attention tout particulière de la part des gouvernements anglais, et dès l’année 1858, un Secrétaire d’Etat pour l’Inde fut nommé, une des raisons étant que le gouvernement de Londres y vit l’occasion de faire porter la responsabilité de la répression sur la Compagnie des Indes, qui bénéficiait alors d’une charte de concession. 

          En Algérie,  tout était à faire, et la colonisation ne disposait pas des atouts et des richesses d’une Inde qui était dotée des moyens de développer son propre réseau de communications, ses lignes de chemin de fer et sa flotte, et commençait à jouer un rôle d’impérialisme secondaire, en Asie, au profit des Anglais.

            Parallèlement, les Anglais avaient pris possession de Hong Kong (1842) de l’Australie (1851) et de la Nouvelle Zélande (1852), dès le début du 19ème siècle, et les Français de la Cochinchine, résultat du « fait accompli » d’un amiral, du Sénégal, de la Nouvelle Calédonie, et d’une partie de la Polynésie.

            En Australie, les Anglais chassèrent les aborigènes de leurs terres, de même qu’ils le firent aussi, mais moins massivement, en Nouvelle Zélande. Les Français firent en partie de même dans une Nouvelle Calédonie aux dimensions beaucoup plus modestes. Anglais et Français avaient respectivement fait de l’Australie et de la Nouvelle Calédonie des colonies pénitentiaires.

            Il convient de noter que dès 1867, le Canada, une colonie de peuplement différente des autres, compte tenu de la présence de Canadiens Français, bénéficia d’un premier statut de Dominion de la Couronne britannique, première illustration d’une des caractéristiques futures de l’Empire britannique qui se transforma en Commonwealth, avec une évolution politique et statutaire différente entre les colonies de peuplement et les autres.

            Le Canada fut le prototype des Dominions, à population blanche, qui constituèrent le Commonwealth.

            Au début de la grande période d’expansion coloniale de la fin du siècle, la Grande Bretagne bénéficiait incontestablement d’une longueur d’avance sur la France, compte tenu de l’intérêt de ses prises coloniales, qu’il  s’agisse de ses colonies de peuplement ou de ses colonies d’exploitation.

B – L’explosion coloniale

 Rétroactivement, et pour un observateur de notre siècle, il est difficile de ne pas être surpris par la fringale coloniale que les deux puissances manifestèrent entre 1870 et 1914 pour conquérir des terres nouvelles, des ressources réelles ou supposées, de nouveaux marchés, et pourquoi ne pas le dire aussi ? dans certains cas, une illusion !

            Vers l’Afrique

      Les nouveaux conquérants virent dans le continent africain, effectivement et encore largement inconnu, une « terra incognita » qui justifiait à leurs yeux la « course au clocher » de toutes les puissances européennes, Allemagne comprise, venue tardivement  sur le « marché » des colonies.

         Le Congrès de Berlin en 1885 avait lancé la course aux « traités de papier » signés par tel ou tel chef africain local qui n’en connaissait le plus souvent pas la valeur que les occidentaux lui accordaient, mais aussi par quelques grands chefs africains, souvent islamiques, qui en connaissaient la valeur, tels Ahmadou ou Samory, en Afrique occidentale.

      Le partage entre puissances devait en effet s’effectuer sur la base de ces « traités de papier » que les acteurs du terrain, le plus souvent des officiers, tentaient de faire signer par les chefs indigènes.

       Le roi des Belges s’y illustra par la conquête « privative » de l’immense territoire du Congo, et accomplit l’exploit de faire reconnaitre ses droits sur « un Etat du Congo », avant même ce Congrès.

        Tous les motifs furent bons pour justifier ces conquêtes, la civilisation, le prestige national, l’évangélisation, le progrès du monde, ou plus simplement, le business, c’est-à-dire the money, l’argent.

            A cette fin, et plus encore que la France, la Grande Bretagne y fit plusieurs guerres, et y déploya de grandes expéditions militaires.

            Ces guerres furent généralement inégales, compte tenu de la grande différence d’armement qui existait alors entre les adversaires, armement à tir rapide et canons contre flèches ou lances, mais ce ne fut pas toujours le cas, avec les exemples de Samory, dans le bassin du Niger, dans les années 1890, de Béhanzin, au Dahomey, ou des Boers en Afrique du Sud, à la fin du siècle.

            J’ai envie de dire à ce sujet que, quelles qu’aient pu être les époques de l’histoire du monde, et entre puissances conquérantes et peuples dominés, les guerres furent le plus souvent inégales, quelle qu’en ait pu être la raison, armement supérieur ou non.

         En Afrique du Sud, l’Angleterre avait déjà annexé le Natal en 1844, pour y créer une colonie, au nord de sa colonie du Cap, poste de contrôle de la grande voie de navigation entre l’Atlantique et l’Océan Indien, avant la construction du canal de Suez en 1869.

      L’historien Grimal « De l’Empire britannique au Commonwealth » donne la justification de cette annexion :

        « … une donnée fondamentale de la politique impériale : l’exclusion de toute présence ou de toute influence étrangère sur la côte orientale d’Afrique, jugée dangereuse pour la sécurité des relations avec l’Inde. » (page,113)

      Les Anglais eurent successivement maille à partir avec la population autochtone, le royaume Zoulou, notamment, mais surtout avec les premiers colons de la région, les Boers. 

La puissance anglaise y fit une première guerre de type inégal avec les Zoulous, en 1879, puis une deuxième, en 1889,  au cours de laquelle le fils de Napoléon III fut tué, et à la suite de laquelle le territoire Zoulou fut annexé à la colonie du Natal (Afrique du Sud).

       Ces guerres mobilisèrent entre 16 000 et 23 000 hommes du côté anglais, et de l’ordre de 35 000 hommes chez les Zoulous. Les deux conflits firent un peu plus de 1 700 morts dans les troupes anglaises et plus de 8 000 chez les combattants Zoulous, mais naturellement beaucoup plus dans les populations civiles.

      Comparativement, la conquête française du Soudan qui se poursuivit entre 1880 et 1900,  ne mobilisa pas les mêmes effectifs, de même que les expéditions coloniales françaises du Dahomey, en 1892, de Madagascar en 1895, lesquelles ne soutiendraient pas la comparaison, en moyens déployés et en victimes, avec les guerres anglo-boers, pour ne pas citer l’expédition gigantesque de Kitchener au Soudan dans les années 1896-1898. Le même Kitchener s’illustra par ailleurs dans la deuxième guerre des Boers.

       Les Anglais firent une première guerre contre les Boers dans les années 1880-1881, afin de mettre au pas les deux républiques indépendantes du Transvaal et d’Orange, mais surtout une deuxième guerre très violente, féroce, au cours des années 1889-1902, motivées avant tout par la course vers l’or du Transvaal.

       La deuxième guerre mobilisa des dizaines de milliers d’hommes

      La Grande Bretagne se livra à une répression incontestablement inhumaine, en envoyant dans ce qu’il faut bien appeler des « camps de concentration », plus de 116 000 boers et plus de 120 000 africains noirs. On estime que cette guerre fit plus de 20 000 victimes, respectivement  dans la population boer et dans la population noire.

      L’historien Grimal écrivait :

     « Pendant trois ans, 60 000 Afrikaners luttant pour leur indépendance mirent au défi la puissance de l’’Empire. Leurs succès du début (« semaine noire ») semèrent la panique en Angleterre. Pour venir à bout des Boers, 400 000 hommes (y compris les contingents du Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Inde) furent nécessaires, sans compter les méthodes inhumaines de la « terre brûlée » et des camps de « protection » dans lesquels moururent des milliers de femmes et d’enfants ; tandis que les élégantes dames de Londres venaient faire du tourisme sur le champ de bataille. » (page 194)

        Dans la même zone géographique, dans le Sud -Ouest Africain, l’Allemagne, toute nouvelle puissance coloniale, imitait à sa façon les Anglais en combattant la population Herero et en mettant en œuvre des méthodes de pacification « de type génocidaire ».

       Un mot sur l’expédition Kitchener au Soudan, une opération gigantesque de reconquête coloniale, organisée de façon industrielle, avec la construction d’une ligne de chemin de fer vers Khartoum, l’utilisation de canonnières sur le Nil, une expédition qui n’avait rien à voir avec la toute petite « expédition  boy-scout » du commandant Marchand, à Fachoda, un des épisodes les plus célèbres des conquêtes coloniales de la France.

      L’épisode en disait long sur l’écart qui existait alors non seulement entre les moyens de la Grande Bretagne et ceux de la France, mais entre les rêves de grandeur de la Troisième République et la réalité.

            Les deux puissances menèrent chacune de leur côté des opérations dites de pacification pour assurer leur domination, la Grande Bretagne en Gold Coast, contre les Ashantis, en Nigéria ( charte de la  Royal Niger Company en 1886), ou en Sierra Leone, mais plus encore en Afrique Orientale, où les Anglais mirent la main sur les territoires du Kenya et de Rhodésie, en chassant purement et simplement de leurs terres les indigènes, la France du Sénégal vers le Niger, contre les Almamys musulmans du bassin du Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire, et en Afrique centrale.

            A noter qu’en Gold- Coast, et contre les Ashantis,  les Anglais y firent quatre guerres successives tout au long du siècle, la dernière dans les années 1894-1896, qui mobilisa 2 500 soldats britanniques, plus évidemment les auxiliaires.

            La France consolida par ailleurs son domaine en imposant un protectorat à la Tunisie et au Maroc.

            Vers l’Asie

 Les Anglais étaient Incontestablement en avance sur les Français dans la conquête de nouveaux territoires en Asie, mais ils avaient la chance de pouvoir s’appuyer sur les ressources d’un deuxième empire, l’empire secondaire indien, clé de la puissance anglaise en Orient, capable, dès la fin du dix-neuvième siècle de mobiliser une flotte et une armée capable de soutenir l’expansion anglaise sur le glacis indien, avec Ceylan, la Birmanie (1886), la Malaisie, et en se frottant militairement, mais sans succès, et pour la première fois, aux résistances des montagnards d’Afghanistan.

            Grâce au contrôle de l’Egypte (1882), « véritable chef d’œuvre de l’impérialisme britannique », comme l’a écrit l’historien Grimal, du canal de Suez, de l’entrée du Golfe Persique, de Colombo, Singapour, Hong Kong, les Anglais furent les maîtres de la voie stratégique entre l’Europe et l’Asie.

            Pourquoi « chef d’œuvre » ? Parce qu’à la suite de manœuvres directes ou indirectes continues, l’Angleterre réussit à supplanter la France dans un pays où cette dernière avait également des intérêts.

            En 1882, lord Milner, théoriquement Consul de Grande Bretagne, mais en fait véritable proconsul anglais institua en Egypte un régime sans précédent qui fut qualifié plus tard  « d’aussi indéfinissable qu’indéfini ». (p, 168)

      Il convient de noter par ailleurs qu’ils contrôlèrent longtemps le réseau câblé des communications télégraphiques qui leur appartenait entre l’Asie et l’Europe, et qu’à l’occasion de la conquête du Tonkin, et plus tard de Madagascar, les troupes françaises furent, dans une première phase, dans l’obligation d’utiliser le câble anglais pour correspondre avec Paris.

            En comparaison, l’expansion coloniale française fut modeste avec la conquête de l’Indochine dans les années 1880-1890, même s’il est possible de comparer les caractéristiques des expéditions militaires françaises à celles des anglais en Birmanie.

            A noter qu’au cours de cette période, l’Australie, en 1901, et la Nouvelle Zélande, en 1907, bénéficièrent du statut de Dominion de la Couronne, un statut qui correspondait à la situation de ces territoires qui étaient des colonies de peuplement blanc, la population indigène étant peu nombreuse, et chassée de ses terres naturelles.

            Car, dans un certain nombre de territoires, les deux puissances coloniales s’approprièrent des terres réputées vacantes pour de bonnes ou mauvaises raisons, le plus souvent mauvaises.

            Dans ce domaine, la France ne soutenait pas la comparaison avec l’Angleterre, sauf peut- être pour l’Algérie, au regard des appropriations de terres en Afrique du Sud, au Kenya, en Rhodésie, en Australie ou en Nouvelle Zélande.

        En 1914, les contours géographiques des deux empires étaient à peu près définitifs, mais deux différences capitales les distinguait, la quasi-absence de colonie de peuplement dans l’empire français, mis à part l’Algérie, et la grande diversité des statuts coloniaux anglais par rapport aux statuts coloniaux français, où il n’était pas question que les colonies ne marchent pas sur le même pas administratif, c’est à dire un statut standard, sur le modèle napoléonien.

       Les grands coloniaux que furent Gallieni et Lyautey se plaignirent à de multiples reprises de cette situation, de l’absurdité de ce prêt à porter métropolitain standard, mais sans aucun succès, mis à part celui tardif du Maroc.

C – Première guerre mondiale 1914-1918

     Les nouvelles colonies furent mises à contribution pour aider les métropoles à soutenir leur effort de guerre, en rencontrant ici ou là des résistances, mais globalement,  les choses se sont plutôt bien passées, et la victoire finale consacra celle des deux nations coloniales, sans minorer toutefois l’appoint capital de l’armée américaine en 1917.

     Il convient de noter qu’en dépit de la violente répression de la révolte des Cipayes en 1857, et de ses dizaines de milliers de morts, l’Inde ne répugna pas à apporter son secours à la puissance coloniale anglaise, bien au contraire, ce qui ne fut pas le cas pour la deuxième guerre mondiale,  en raison de l’évolution politique du sous-continent indien et de ses revendications en faveur de son indépendance.

D – 1919-1939

      La victoire des Etats coloniaux redistribua les cartes entre les deux empires à la suite de la disparition de l’Empire Ottoman au Moyen Orient.

       En 1939, et selon l’historien Grimal :

    «  Les troupes britanniques ou celles au service de l’Angleterre occupaient tous les territoires (à l’exception de la Syrie) des bords de la Méditerranée aux bords de la Caspienne et aux confins du Caucase. Entre le Béloutchistan et la Mésopotamie, aucune partie de territoire n’échappait à son contrôle. » (page 274)

      Dans le même livre, il évoque à ce sujet : « L’impérialisme du pétrole : le Moyen Orient » (page 271)

      « La Grande Bretagne avait inlassablement travaillé à se rendre maîtresse de la route Méditerranée-Golfe Persique, complément de la route de Suez. » (p,271)

      La guerre a en effet complètement redistribué les cartes impériales au Moyen Orient, avec la disparition de l’Empire Ottoman, et faute d’y trouver des « cadres de type national », avec la création ou la reconnaissance d’anciennes ou de nouvelles entités de caractère plus ou moins national, telles que le Liban, la Syrie, dont le mandat fut confié à la France, la Palestine, la Jordanie, l’Irak, et l’Iran, à l’exception de l’Arabie saoudite, tous territoires d’obédience impériale britannique.

      L’Angleterre encouragea la création ou la consolidation de royaumes arabes en Syrie, en Jordanie, en Irak, la Palestine étant réservée à la création d’un nouveau foyer pour l’émigration juive.

      La France reçut de son côté un mandat de la SDN pour administrer la Syrie et le Liban, ainsi que dans une partie du Togo et du Cameroun, et dut faire face, de même que l’Espagne, à une importante révolte au Maroc, dans le massif du Rif, qui fut d’abord une révolte contre les Espagnols.

     Au cours de la période de l’entre-deux guerres, les deux puissances commencèrent à faire face à des revendications de type national, avant tout dans les colonies les plus évoluées, telles que l’Egypte, les Indes ou l’Indochine.

    Ailleurs, le temps d’une prise de conscience nationale n’était pas encore venu, faute le plus souvent de trouver précisément un cadre national dans ce qui n’était que constructions administratives récentes et artificielles, celles des colonies.

     Aux Indes, la première guerre mondiale avait créé des espoirs de reconnaissance nationale dans l’élite politique indienne, favorables à une évolution vers le statut de dominion, mais faute de réponse positive, le parti du Congrès, sous l’impulsion de Gandhi, s’orienta de plus en plus vers des revendications d’indépendance, et l’immobilisme britannique conduisit le parti du Congrès à ne pas s’associer à la politique de défense britannique au cours du deuxième conflit mondial, ce qui n’avait pas été le cas en 1914-1918.

   En Indochine, mais dans une moindre mesure, des revendications nationalistes se développaient également.

     Pour compléter le tableau, il convient de noter qu’à la suite de la première guerre mondiale, la Société des Nations confia le mandat de gestion des colonies allemandes aux anglais, en ce qui concerne le Sud-Ouest Africain, et le Tanganyika, et aux Français, pour ce qui concerne le Togo et le Cameroun.

     Il convient de souligner enfin que la montée en puissance des Etats Unis et de l’URSS ont évidemment complètement changé la donne internationale.

E – La deuxième guerre mondiale et la décolonisation

     La défaite de la France, l’affaiblissement de la Grande Bretagne, la nouvelle puissance des Etats-Unis et de l’URSS, puis la révolution communiste en Chine, allaient ouvrir largement la voie à la décolonisation, fondée notamment sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

      En 1955, la Conférence de Bandoeng, dite des pays non alignés sur l’Ouest ou sur l’Est, donna une accélération supplémentaire au mouvement de décolonisation.

    Au bilan et en dépit de politiques impériales très différentes, que nous examinerons plus loin, on ne peut pas dire que les résultats de cette décolonisation furent très différents dans chacun des deux empires, des résultats très contrastés de décolonisation pacifique ou violente.

     En Asie, la Grande Bretagne eut la sagesse de donner l’indépendance à l’Inde en 1947, mais dans des conditions telles que cette indépendance entraina à la fois beaucoup de violences entre communautés différentes, notamment hindoues et musulmanes, et des transferts massifs de populations entre le Pakistan occidental et le Pakistan oriental d’un côté, et l’Inde de l’autre, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de personnes.

     Dans la même Asie, elle accorda son indépendance à la Birmanie en 1948, mais elle dut  faire face à un soulèvement communiste en Malaisie qu’elle mit longtemps à réprimer, entre 1948 et 1961, après avoir accordé son indépendance à ce territoire en 1957. Les pertes furent de l’ordre de 1 500 morts, côté anglais, et 6 700 morts, côté rebelle, des pertes qui n’eurent rien à voir avec celles du premier conflit indochinois, celui des Français.

    La population y était composée de Chinois et de Malais, et les Anglais se sont appuyés sur les Malais pour combattre les Chinois.

     A la différence de l’Indochine, la Malaisie n’avait par ailleurs pas de frontière commune avec la Chine, et la répression anglaise y fut donc beaucoup moins difficile.

      Ceylan devint indépendante en 1948.

     En ce qui concerne Singapour : « Après avoir reçu le self-government en 1957, l’Etat de Singapour s’intégra à la Malaisie en 1963, mais s’en retira en 1965, pour devenir un Etat-cité dans le Commonwealth. Il est un exemple parfait des anomalies politiques créées par l’impérialisme. » (Grimal, p,310)

   Comme me l’a fait remarquer mon vieil ami Auchère: « Qu’est-ce qui est normal en politique, s’agissant des créations de l’histoire ? » 

    Ne conviendrait-il pas d’ajouter au mot impérialisme le qualificatif de britannique, en notant l’extraordinaire créativité institutionnelle des autorités britanniques qui furent le plus souvent capables de s’adapter à n’importe quelle situation et de trouver la solution favorable à leurs intérêts.

    En 1945, la France s’engagea dans la guerre d’Indochine contre un adversaire largement contrôlé par les communistes, et au fur et à mesure des années, son corps expéditionnaire épuisa ses forces face à un adversaire de plus en plus épaulé par la Chine communiste, celle de Mao Tsé Toung.

     En 1954, la chute de Dien Bien Phu mit fin à ce conflit, en tout cas dans le Vietnam nord. La France y engagea des forces beaucoup plus importantes que celles des Anglais en Malaisie.

Pour le corps expéditionnaire, le conflit franco-indochinois se solda par 50 000 morts et 70 000 blessés, mais avec un bilan beaucoup plus lourd chez l’adversaire vietminh et dans la population civile.

     Il convient de souligner que la Grande Bretagne installée à Hong Kong depuis 1842, passa le cap des décolonisations mondiales jusqu’à la fin du vingtième siècle (en 1998), avec en face d’elle une Chine communiste qui pratiquait elle-même et en définitive le même jeu du business qu’elle.

     En Afrique, s’il n’y avait eu « la guerre d’indépendance de l’Algérie », dont une des causes fut similaire à celle existant dans la décolonisation des colonies anglaises à peuplement européen, c’est-à-dire un peuplement européen important, la décolonisation des colonies africaines françaises se déroula de façon relativement pacifique.  Le Cameroun fit toutefois exception, mais plus encore Madagascar, où la répression d’une révolte populaire fit, en 1947, de l’ordre de 80.000 victimes.

     Le bilan de la guerre d’Algérie fut lourd : plusieurs dizaines de milliers de soldats français et musulmans tués, de l’ordre de 150 à 200 000 rebelles tués, mais en parallèle un nombre de victimes civiles considérable causé à la fois par la guerre elle-même, et par l’autre guerre « civile » qui doublait la guerre officielle.

    En Afrique Australe et en Afrique Orientale, la décolonisation anglaise ne fut pas non plus celle d’un long fleuve tranquille, en raison notamment de la présence d’un peuplement blanc important.

     Nous reviendrons plus loin sur la distinction qu’il convient de faire à l’occasion de l’évolution historique de l’empire britannique, entre colonies de peuplement et autres territoires britanniques, avec les conséquences que cette distinction eut sur l’évolution du Commonwealth, fruit d’une coopération institutionnelle entre métropole et anciennes colonies de peuplement.

    Au Kenya, les Anglais durent faire face à la révolte des Mau-Mau entre 1952 et 1955 en mobilisant une troupe de l’ordre de 50 000 soldats, et le Kenya eut droit à son indépendance en 1963.

    La décolonisation de l’Afrique anglaise orientale ne se fit pas dans des conditions pacifiques, loin de là !

    L’historien Grimal a fort bien analysé les processus suivis. Après la première guerre mondiale :

    «.La Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) devint une « self-governing colony », sorte de dominion sans le nom…. Le pouvoir politique permit aux Blancs de disposer à leur gré de la terre et des habitants noirs. Toute la législation foncière tendit à favoriser l’extension de la propriété des colons. Dès 1920, les Africains avaient été privés du droit d’acheter des terres et de résider en zone européenne. Cette ségrégation ne cessa de s’aggraver… Les Blancs n‘étaient que 64 000 en 1945… En 1953 les chiffres donnaient respectivement 157 000 et 1 750 000. » (p,332)

     En Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie) et au Nyassaland (l’actuel Malawi), la situation était différente, compte tenu du petit nombre de blancs. En 1953, fut créée la Fédération de l’Afrique centrale qui fut rapidement un échec. Le Nyassaland et la Rhodésie du Nord obtinrent leur indépendance en 1964.

     De son côté, et à partir de 1965, la Rhodésie du Sud entrait dans des convulsions de guerre interethnique qui ne prirent fin qu’en 1990, tout en soulignant que le Royaume Uni a toutefois contribué par son action aux Nations Unies à la fin de la « dictature blanche »..

     Les autres colonies bénéficièrent de l’indépendance aux dates suivantes : , en 1956, le Soudan, en 1957, la Gold- Coast, devenue le Ghana, en 1960, la Nigéria, en 1961, la République Sud-Africaine et la Sierra Leone, en 1962, le Tanganyika et l’Ouganda, en 1964.

Comme on le sait la décolonisation opérée en Afrique Australe y laissa un régime d’apartheid, et en Rhodésie, une dictature blanche, deux puissants germes des violences qui ont embrasé ces territoires jusqu’à la restitution de leurs droits aux autochtones qui en avaient été dépossédés.

    La Rhodésie du Sud devint indépendante en 1980, sous le nom de Zimbabwe.

   En Afrique du Sud, ce ne fut qu’en 1994, que le pouvoir revint aux noirs avec la fin de l’apartheid, et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela que tout le monde connait de nos jours.

   Un dernier mot au sujet de la décolonisation portugaise qui fut longue et violente aussi bien en Angola qu’au Mozambique, devenus des Etats indépendants en 1975, et au sujet de la décolonisation du Congo Belge qui sombra rapidement dans la violence, en 1960.

F – Le Commonwealth

     Un mot sur le Commonwealth, dont l’historien Grimal a décortiqué le processus historique, une évolution qu’il est difficile de résumer, mais dont la logique était tout à fait claire, quasiment dès l’origine, avec la création des colonies de peuplement.

     L’Empire britannique avait en effet deux composantes, les colonies de peuplement blanc, et toutes les autres, dont les statuts des plus variés résultaient de la créativité pragmatique de l’impérialisme britannique.

    Car, dès l’origine, et comme l’indique le même historien :

   « Tous les responsables du Colonial Office de 1835 à 1868, hauts fonctionnaires ou secrétaires successifs, avaient la conviction que le « câble serait coupé » avec les colonies de peuplement » (p,83)

     La doctrine anglaise du « responsible government » fut rapidement suivie de celle du « self-government » et le Canada, dès l’année 1847 devint le prototype de cette évolution dont bénéficièrent ensuite les autres colonies de peuplement, l’Australie 1901), la Nouvelle Zélande (1907), et l’Union Sud- Africaine (1910).

    La première guerre mondiale vit naître le Commonwealth britannique, en mettant en évidence tout à la fois la cohésion de l’Empire britannique, et l’ambigüité des relations qui existait entre Londres et ses nouveaux partenaires.

    Ce fut le statut de Westminster qui, en 1931, reconnut que les grands dominions avaient atteint leur majorité.

     Le texte les décrivait comme des « communautés ayant une existence autonome au sein de l’Empire britannique, nullement subordonnées les unes aux autres dans leurs affaires intérieures et extérieures, bien qu’unies par leur loyalisme commun à la couronne, et librement associées dans la communauté des nations britanniques. »

    Il n’exista rien de commun dans l’évolution de l’empire français, étant donné qu’à l’exception de l’Algérie dont le peuplement européen n’a jamais eu l’ampleur de celui des dominions, les éléments de cet empire ressemblaient étrangement à ceux que l’on trouvait dans le reste de l’empire britannique, c’est-à-dire un empire colonial de couleur.

    Après 1945, l’Union Française fut une pâle imitation du Commonwealth et sa courte vie fut le symbole de l’ambigüité continue d’une politique française coupée des réalités, l’habillage juridique de situations diverses, plus ou moins claires.

Jean Pierre Renaud

Annonce de publication: Empire colonial anglais et Empire colonial français aux XIXème et XXème siècles

Annonce de publication

Empire colonial anglais et Empire colonial français aux XIXème et XXème siècles 

Esquisse de tableau comparatif : Empires semblables ou différents ? Quels héritages ?

            Ainsi que je l’ai déjà annoncé il y a plusieurs mois, je me propose de publier sur ce blog, au cours des prochains mois, une série de contributions sur les thèmes d’analyse et de réflexion que j’ai choisis.

Le plan de publication retenu est le suivant :

1 – A grands traits, une évolution historique comparée

2 – A Londres ou à Paris, des stratégies et politiques impériales semblables ou différentes ?

3 – Les legs des deux empires avec le regard d’historiens de la périphérie ( Histoire générale de l’Afrique VII – UNESCO)

4 – Les legs de l’Empire britannique en Asie avec le regard d’un historien indien : K.M.Panikkar, et de l’Indochine française avec celui de l’historien Pierre Brocheux

5 – Les legs de l’Empire britannique avec le regard d’historiens allemands –Der Spiegel Geschichte NR.1  – 2013 Peter Wende et Jürgend Osterhammel

6 – Essai de conclusion comparative

Jean Pierre Renaud