VI – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? V – « Propagande économique et décolonisation » – VI  » Autres regards »

VI – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

V – Propagande économique et décolonisation 1945-1962 (page 218 à 264)

46 pages et 108 photos

VI – Autres regards (page 265 à 289)

        Nicolas Bancel et Ghislaine Mathy « La propagande économique » (pages 221 à 231)  (10 pages – 26 images)

        I = ? –  Ex = ? – Prop. = ? De quelle propagande s’agit-il ? Dans la continuité de celle supposée, antérieure à 1939 ?

Commentaire : cette chronique souffre de plusieurs défauts, notamment l’insuffisance d’analyse du cadre juridique et financier d’une période qui n’avait plus rien à voir avec celle de la Troisième République fondée sur le self-suffering des colonies : la France était passée à une conception fondamentalement différente des relations « coloniales», celle de Plans financés par le FIDES, avec les trois clés de financement, subvention, prêt, et avance, la clé subvention se substituant très rapidement aux deux autres clés.

      Est-ce que cette sorte de révolution aurait été possible sans le Plan Marshall ?

       Traiter d’une propagande sans évaluation des vecteurs et de ses effets dans un exercice d’analyse économique suscite naturellement plus de questions que de réponses.

        Les  auteurs écrivent : «  Il est très difficile d’établir un chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de cette iconographie de la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non  spécialisés » (p,227)

       Comment comprendre la logique de ce langage historique ?

       A  la fin de leur texte, les auteurs écrivent :

      « Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires françaises son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès. Ces images sont indissociables de ce discours sur la nationalisation de l’économie qui a débouché sur l’expérience de la planification et finit par s’imposer après les indépendances.

        Il y a actuellement coexistence entre l’universalité technique du monde  occidental et les particularités culturelles des autres civilisations qui ont aujourd’hui à faire valoir leurs réponses à leur propre devenir. » (p,230, 231)

        Comment comprendre le sens de ces expressions écrites par deux auteurs qui, après avoir déroulé un discours historique aussi imprécis que lacunaire, osent utiliser les expressions les « images… qui martèlent dans les mémoires françaises… son infériorité… » ?

      Ajouterais-je enfin qu’il m’est arrivé de m’étonner ailleurs sur les caractéristiques statistiques très hypothétiques d’un sondage effectué par le même chercheur auprès d’anciens élèves de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, afin de nous expliquer doctement, sur la base d’un pourcentage de réponses anodin, que leur recrutement avait été motivé par leur appartenance passée à des mouvements de jeunesse, entre autres sportifs ?

      Nous y reviendrons plus loin dans la quatrième partie du mouvement de réflexion , dans notre résumé à propos des sondages, qu’il s’agisse de ce dernier ou de celui de Toulouse effectué en 2005.

       Elisabeth Rabut « Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des Colonies » (p, 232 à 236 – 12 images) : Intérêt = oui – Ex = non – Prop.  =  ?

Commentaire : une analyse précise et synthétique de l’Agence des Colonies, de son historique, son organisation, et ses moyens, avec en finale une interrogation :

     « La propagande sous ses diverses formes paraît s’être développée en confondant progressivement objectifs et moyens : selon quelle chronologie ? Sur quels fondements ? Pour quelle image du monde colonial ? » (p, 235)

      Bonne question, outre celle relative à la place chronologique de cette analyse dans l’ouvrage ?

       Le lecteur trouvera plus loin, dans le quatrième mouvement de notre réflexion, une longue chronique sur la propagande coloniale, telle qu’elle a existé, et non pas comme celle décrite par Sandrine Lemaire dans les ouvrages de ce collectif.

      Jean Barthelemi Debost « La publicité” (page 236 à 240 – 13 images)   :

      Intérêt = oui – Ex = ? – Prop.  = ?

Commentaire : sommes-nous encore dans le domaine de la propagande coloniale qu’il s’agisse  de la chronologie ou du fond ?

       La sémiologie a-t-elle été mise à contribution ?

        Retenons quelques-unes des expressions utilisées : « L’image de l’Africain des vingt-cinq années (c’est-à-dire de 1945 à 1970 ?) qui ont succédé à la Seconde guerre mondiale devient terriblement complexe…On l’a vu, la publicité chérit le stéréotype… » (p,239)

       Qu’en conclure ?

     Michel Pierre – « L’Afrique en bande dessinée (pages 241 à 245 – 19 images) :  Intérêt = oui –  Ex = oui – Prop. = ?

        « Il n’est pas d’aventure coloniale sans production de mythes aux couleurs des rêves, sans jeux de miroir sur la réalité. Dans la formation de cet imaginaire, la bande dessinée ou plutôt les « illustrés » comme on disait autrefois a joué un rôle essentiel même s’il est difficilement mesurable. Mais on devine comment des séries américaines ou européennes, Tarzan, Jim la Jungle, Akim … ont façonné des croyances, encouragé ou suscité des vocations… » (p, 241)

       Youssef El Ftouh et Manuel Pinto « L’Image  de l’Afrique dans le cinéma » (page 246 à 249 – 6 images) : Intérêt = oui – ex = oui – prop. = ?

       Deux remarques préalables, le propos couvre la période 1895-1962, et fait concurrence à une autre chronique du même livre.

      « Des débuts du cinéma en 1895 à la fin de la période coloniale en 1962, l’Afrique noire et surtout le Maghreb, ont servi de toile de fond et de lieu d’action à plus de 250 films de fiction, des centaines de documentaires, de films d’actualités et de publicités, pour ne citer que la production française….

      Car bon nombre de ces représentations perdurent encore tant au niveau des images que de l’imaginaire… Nous vous livrons ici à quelques notes d’un visionnage toujours en cours… » (p,246)

      « Esclaves « comiques » et rayés

       Les « Africains » faut-il le rappeler ne sont pas les personnages principaux de ces films…(p,247)

       En comparaison avec le Maghreb, peu de fictions françaises seront réalisées en Afrique noire, une vingtaine tout au plus… (p,248)

      « Civiliser c’est blanchir

     En résumé, le cinéma colonial traduit de manière remarquable l’idée d’une France venant « civiliser » un continent de « sauvages » et de « barbares »….(p,249)

Commentaire : plus haut, les auteurs avaient relevé « C’est l’Indien de l’Atlas », une image qui me parait assez bien résumer cette analyse qui soulève maintes questions liées à sa représentativité et à ses effets sur le public, quant à savoir si l’Afrique et l’Africain noir figuraient bien sur ces écrans, et quant au chiffre effectivement faible des films contenant un thème africain, noir ou maghrébin.

      Les spécialistes vous citeraient le nom d’un film américain tourné aux Etats-Unis dans un décor marocain.

        Benjamin Stora, « Quelques images fixes d’une fin d’Empire » (pages 250 à 264 –  32 + 24 images) : Intérêt = ? – Ex = ? –  Prop. = ?

       VI – Autres regards (page 266 à 288)

        Les contributions publiées ne manquent pas d’intérêt, mais elles sont éloignées de l’objet principal de l’ouvrage, à savoir la question de savoir s’il y avait bien une propagande coloniale en France, et si oui quels en ont été les moyens et les effets.

      L’image d’introduction de la partie VI du livre, le choix d’un dessin du journal satirique  l’Assiette eu Beurre (1902) est déjà tout un symbole : un soldat présente à un officier deux noirs embrochés sur une baïonnette.

       Le livre « Culture coloniale » a ouvert de la même façon illustrée la « Partie I Imprégnation d’une culture » (1871-1914), page 40.

        Cette caricature figue dans la contribution de l’historien Claude Liauzu intitulée « L’iconographie anticolonialiste » (page 266 à 271 – 15 images) –absent au Colloque de 1993.

      Ce texte est illustré de nombreuses caricatures aussi horribles les unes que les autres, mais l’anticolonialisme n’a jamais été dans notre pays, en tout cas jusque dans les années postérieures à la deuxième guerre mondiale, très vivant.

          A titre personnel, j’y verrais plutôt le désintérêt que manifestait une fois de plus l’opinion publique à l’égard des sujets coloniaux, beaucoup plus  qu’une adhésion au colonialisme qu’il fallait combattre : le mot ne fut connu qu’en 1910, comme l’indique le petit livre jaune « Les mots de la colonisation » de Sophie Dulucq, Jean François Klein, Benjamin Stora, page 30 .

      « L’image de l’autochtone maghrébin » de Malek Chebel (page 272 à 278 – 16 images) – absent au Colloque de 1993

       Un texte au contenu intéressant mais qui pose à nouveau le problème de l’objet même de ce livre, à savoir : regards des Français ou regards des peuples colonisés ?, sauf à dire qu’il s’agit d’une analyse de type rétroactif, étant donné que ces images furent dans la plupart des cas inconnues des peuples colonisés.

     « Regard : Images coloniales sur l’Afrique Noire » d’Achille Mbembe (page 280 à 289 – 10 images) – présent au Colloque de 1993

         L’historien traite le sujet avec une forme de violence intellectuelle que l’on peut comprendre, en notant toutefois que son propos concerne une partie de l’échantillon d’images coloniales proposé, en acceptant les deux postulats de raisonnement suivants : 1) l’échantillon proposé serait représentatif des situations historiques visées, 2) ces images auraient marqué, par hypothèse, leurs récepteurs français.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Culture et impérialisme » Edward W. Said Lecture du chapitre 3 « Résistance et opposition »

«  Culture et impérialisme »

d’Edward W. Said

ou

Comment peut-on être un impérialiste ?

(chapitres 1 et 2 sur le blog des 7 et 19 octobre 2011)

Chapitre 3 (p,275 à 391)

« Résistance et opposition »

I – Lecture

I – Il y deux côtés

            L’auteur va tenter de définir et de récapituler les résistances et oppositions qui ont nourri le combat des « indigènes » contre l’impérialisme, et permis la décolonisation.

Il introduit curieusement son propos en citant « L’immoraliste » de Gide.

La vision de l’Afrique du Nord française par l’un de ses héros, Michel, est décrite ainsi :

«  Les Africains, et en particulier ces Arabes, sont là, sans plus. Ils n’ont pas d’art (ni d’histoire) capable de s’accumuler et de se sédimenter en œuvres.  S’il n’y avait pas l’observateur européen pour attester qu’il existe, il ne compterait pas. Se trouver parmi ces gens-là est agréable, mais il faut en accepter les risques (la vermine par exemple). » (p, 279)

Un autre constat plus révélateur :

« Les Occidentaux viennent seulement de se rendre compte que ce qu’ils ont à dire sur l’histoire et les cultures des peuples « subordonnés » peut être contesté par ces peuples eux-mêmes – peuples qui, il y a quelques années, étaient tout bonnement intégrés (culture, territoire, histoire et tout) dans les grands empires occidentaux et les discours de leurs disciplines. (Je n’entends pas pour autant dénigrer les travaux de nombreux chercheurs, historiens, artistes, philosophes, musiciens et missionnaires occidentaux dont les efforts conjoints et individuels pour faire connaître le monde extérieur à l’Europe ont eu un succès stupéfiant.) » (p,282)

L’auteur engage alors une réflexion rapide sur la chronologie des mouvements de résistance à l’impérialisme, et sur les rapports qu’ont pu entretenir les adversaires de l’impérialisme dans les métropoles et dans les colonies.

Le livre évoque ensuite le cas de la France :

« La France n’a pas eu de Kipling pour célébrer l’empire tout en annonçant sa mort imminente et cataclysmique, et pas de Forster non plus. Culturellement, elle était animée de ce que Raoul Girardet appelle un double mouvement d’orgueil et d’inquiétude – orgueil de l’œuvre accomplie dans les colonies, inquiétude pour leur avenir. Mais comme en Angleterre, le nationalisme asiatique et africain a rencontré en France une indifférence quasi-totale, sauf quand le Parti communiste, conformément à la ligne de la III° Internationale, a soutenu la révolution anticoloniale et la résistance à l’empire. Girardet remarque que, dans les années qui ont suivi L’Immoraliste, deux livres importants de Gide, Voyage au Congo (1927) et Retour au Tchad (1928), ont exprimé des doutes sur le colonialisme français en Afrique noire, mais ajoute-t-il avec lucidité, Gide ne remet nulle part en cause « le principe même de la colonisation ». » (p,297,298)

Aux yeux du même auteur, Malraux est à classer dans la même catégorie que Gide :

« Si j’attache tant d’importance à La Voie royale, c’est que cette œuvre d’un auteur européen à l’extraordinaire talent atteste de façon fort concluante l’inaptitude de la conscience humaniste occidentale à faire face au défi politique des territoires impériaux. » (p,299)

II – Thèmes de la culture de résistance

Une première citation éclairante de son propos :

« Ne minimisons pas la portée fracassante de cette idée initiale – des peuples prennent conscience d’être prisonniers sur leur propre territoire – car elle ne cesse de revenir dans la littérature du monde « impérialisé ». l’histoire de l’empire, ponctuée de soulèvements tout au long du XIX siècle, en Inde, en Afrique, allemande, française, belge et britannique, à Haïti, à Madagascar, en Afrique du Nord, en Birmanie, aux Philippines, en Egypte et ailleurs, perd toute cohérence si l’on ne voit pas ce sentiment d’être incarcéré, assiégé, cette ardente passion pour la communauté qui ancre la résistance anti-impériale dans un effort culturel. » (p,307)

« la nation captive »

III – Yeats et la décolonisation

L’auteur fait un sort tout particulier à Yeats, auteur d’origine irlandaise, et de noter que :

« Pour un Indien, un Irlandais, un Algérien, la terre était déjà dominée de longue date par une puissance étrangère qu’elle fut libérale, monarchique ou républicaine.

 Mais l’impérialisme européen moderne est une forme de domination intrinsèquement et radicalement différente de toutes celles qui l’ont précédée. » (p,315)

Plus que les processus économiques ou politiques à l’œuvre dans l’impérialisme :

« La thèse que j’avance dans ce livre, c’est que la culture a joué un rôle très important, et en fait indispensable «  (p,316)

« Cet eurocentrisme a inlassablement codifié et observé tout ce qui touchait au monde non européen ou périphérique, de façon si approfondie et détaillée qu’il n’a guère laissé de questions non abordées, de cultures non étudiées et de peuples non revendiqués. » (p,316)

Et en réaction :

« Ce moment de conscience réflexive  a permis au citoyen africain, caribéen, irlandais, latino-américain ou asiatique de décréter la fin de la prétention culturelle de l’Europe à guider et/ou à instruire le non-européen non-métropolitain. » (p,319)

« Pour l’indigène, l’histoire de l’asservissement colonial commence par la perte de l’espace local au profit de l’étranger. » (p,320)

« Et ce qui a été fait en Irlande l’a été aussi au Bengale ou pour les Français en Algérie » (p,322)

Et dans ce débat d’idées, l’auteur cite les œuvres de Césaire ou de Fanon, et même de Neruda, les trois côte à côte.

« Il est ahurissant que la lutte de libération irlandaise ait duré bien plus longtemps que les autres, mais soit si souvent jugée comme un problème étranger à l’impérialisme ou au nationalisme. On la voit plutôt comme une aberration dans l’univers des dominions britanniques. Il est pourtant clair qu’il s’agit d’autre chose.  Depuis le pamphlet de Spenser sur l’Irlande en 1596,  toute une tradition de pensée britannique et européenne a considéré les Irlandais comme une race à part,  inférieure, très généralement perçue comme barbare et irrécupérable, souvent comme criminelle et primitive. » (p,333)

IV –  Le voyage de pénétration et l’émergence de l’opposition

            « Il y a seulement trente ans (le livre a été publié en 2000), peu d’universités européennes ou américaines faisaient place  dans leurs programmes à la littérature africaine. «  (p,337)

« Néanmoins, beaucoup d’éléments constitutifs des grandes formations culturelles d’occident, dont le contenu du présent ouvrage « périphérique », ont été historiquement cachés dans et par le point de vue unifiant de l’impérialisme. On sait pourquoi Maupassant aimait déjeuner tous les jours à la Tour Eiffel : c’était le seul lieu de Paris où l’on n’était pas obligé de voir son imposante structure. Même aujourd’hui, puisque la plupart des analyses de l’histoire culturelle européenne mentionnent à peine l’empire, et que les grands romanciers en particulier sont étudiés comme s’ils n’avaient pas le moindre lien avec lui, le chercheur et le critique ont pris l’habitude d’accepter sans les remarquer, sous le couvert de l’autorité, leurs attitudes et références impériales. » (p,337)

Et en ce  qui concerne les anticolonialistes :

« Un cadre général impérialiste et eurocentrique était implicitement admis. » (p,339)

« Autrement dit  – et c’est la première idée que je relève –  une condamnation globale de l’impérialisme n’est apparue qu’après que les soulèvements indigènes sont allés trop loin pour être ignorés ou vaincus. » (p,340)

Le livre évoque alors le rôle des Etats Unis, et le cas de la guerre d’Algérie :

« Premièrement, le travail intellectuel anti-impérialiste effectué par des auteurs venus des périphéries, qui ont immigré en métropole ou y sont en visite, est en général une extension à la métropole de vastes mouvements de masse. On en a vu une manifestation flagrante pendant la guerre d’Algérie quand le FLN a fait de la France la septième Wilaya, les six autres constituant l’Algérie proprement dite : il faisait ainsi passer de la périphérie au centre de la France la lutte de décolonisation. » (p,344)

Le livre entend alors illustrer son propos, sa thèse, par la citation de quatre textes d’auteurs de la périphérie qui s’opposaient à l’impérialisme, C.L.R.James, George Antonius, Ranajit Guha, S.H.Alatas :

« Ils s’adressaient à lui de l’intérieur, et, sur le terrain culturel, contestaient et défiaient son autorité en lui opposant d’autres versions de lui-même, dramatisées, argumentées – et intimes. » (p,348)

            « L’effort inaugural des quatre auteurs que j’ai étudiés ici – leur voyage de pénétration –  a été fondamental pour tous ces chercheurs, et pour le front uni culturel qui désormais se construit entre la résistance anti-impérialiste des périphéries et  la culture d’opposition d’Europe et des Etats- Unis. » (p,366)

V – Collaboration, indépendance et libération

L’auteur aborde alors les suites très diverses de la décolonisation liées au nationalisme et au rôle des Etats.

Le livre cite une réflexion de l’historien Liauzu sur l’évolution de l’anti-impérialisme :

«  Claude Laiuzu avance que, en 1975, le bloc anti-impérialiste, bien réel jusque- là, n’existait plus. La disparition d’une opposition intérieure à l’impérialisme est une thèse plausible pour l’opinion moyenne en France, et peut-être aussi pour l’Occident atlantique en général, mais elle n’aide guère à comprendre la persistance des lieux de conflit, tant dans les nouveaux Etats que dans des secteurs moins en vue des cultures métropolitaines. » (p,371)

Et M.Edward.W.Said de citer à nouveau le rôle important de Fanon dans l’histoire des idées de cette époque :

« Si j’ai tant cité Fanon, c’est parce qu’il exprime en termes plus tranchés et décisifs que tout autre un immense basculement culturel, du terrain de l’indépendance nationale au champ théorique de la libération. Basculement qui a essentiellement lieu là où l’impérialisme s’attarde en Afrique après que la plupart des Etats coloniaux ont obtenu l’indépendance. Disons en Algérie et en Guinée-Bissau. » (p,374)

Et d’après Fanon :

«  Le colon fait l’histoire et sait qu’il la fait » (p,377) et « A la théorie de « l’indigène mal absolu »  répond la théorie du « colon mal absolu ».(p,378)

Un Fanon qui met en cause les nationalismes bourgeois et prône une libération universaliste qui permet d’échapper à l’enfermement, un Fanon dont le discours s’associe à celui de Césaire pour lequel « aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force. » (p,389)

II – Questions

Elles sont nombreuses, mais toujours dans le regard parallèle d’une culture que l’auteur, professeur de littérature comparée, considérerait peut-être comme représentative d’une « structure d’attitudes et de références » impériales, naturellement.

La chronologie de l’analyse fait incontestablement problème, car il est évident que la relation entre culture et impérialisme, si elle a existé, n’a pas du tout été la même au cours des cinq périodes de l’impérialisme, en tout cas français, la conquête (1870-1914), la première guerre mondiale (1914-1918), la colonisation (1919-1939), la deuxième guerre mondiale (1939-1945), et la décolonisation qui s’est achevée dans les années 1960.

De même que la mise en concordance chronologique et culturelle d’auteurs comme Yeats, Fanon ou Césaire ! Et pour les quatre auteurs cités, les œuvres de référence datent des années, 1938, pour C.L.R James et George Antonius, 1963, pour Ranajit Guha, 1977, en ce qui concerne S.H.Alatas.

D’autant plus que des auteurs tels que Fanon ou Césaire n’ont connu un certain succès, que dans la période des convulsions qui ont précédé les indépendances des colonies africaines, sur un champ géographique et idéologique limité, essentiellement l’Algérie, et alors que ces deux auteurs d’origine antillaise, n’ont pas revendiqué, à ma connaissance, l’indépendance de leurs Îles, c’est-à-dire la libération de leurs « nations captives » !

La comparaison entre les parcours des deux amis que furent Senghor et  Césaire éclairerait peut être leurs prises de position respectives, et plus précisément les situations géographiques et politiques des uns et des autres.

Il ne semble pas que Fanon, et même Césaire, en tout cas dans sa revendication de la négritude, aient eu une réelle influence sur le mouvement de décolonisation, sauf une influence restreinte auprès d’un milieu restreint d’initiés, peut-être.

L’auteur accorde beaucoup d’importance au cas très ambigu de la « colonie » Irlande, et cet intérêt est à lui seul original, car  la culture européenne n’a sans doute pas assimilé le cas de l’Irlande à celui du Bengale ou de l’Algérie.

Cohérence historique et géographique des thèmes de réflexion traités ?

Il parait tout de même difficile de mettre sur le même plan historique des événements qui ont lieu à des périodes très différentes et sur des continents également très différents, pour ne pas évoquer le cas du continent Afrique lui-même dont l’analyse historique et culturelle ne peut pas se résumer au postulat « toutes choses étant égales par ailleurs ».

Aux  XIX° et XX° siècles, peu de comparaisons sont possibles entre l’Afrique de l’Ouest et l’Inde, de même qu’en Afrique elle-même, problèmes et résistances étaient assez différents entre l’Afrique de l’Ouest et celle de l’Est ou du Sud, notamment parce que le colon n’y faisait pas, vraiment, et partout, l’histoire, et qu’après la deuxième guerre mondiale, ce fut  la mise en place d’un nouveau système d’aide sociale, associé à de nouveaux droits qui a largement contribué à faire l’histoire.

Echec ou succès impérial ?

Un concept de résistance très ambigu ! Il y aurait en effet beaucoup à dire sur les résistances décrites par l’auteur, lesquelles ne peuvent se résumer facilement, car elles furent quelquefois inexistantes, épisodiques, ou longues et violentes.

Alors, il est vrai qu’en magnifiant certains mouvements de résistance, et il y en eu beaucoup, plus ou moins violents, les intellectuels des pays concernés imitent les collègues d’Europe, notamment français qui ont construit notre roman national, mais il y bien longtemps, à titre d’exemple, que des historiens sérieux ont revisité les romans de la Révolution Française ou de la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale.

Impossible donc de généraliser et de proposer une thèse crédible, d’autant plus que les empires ont su trouver des appuis auprès des populations indigènes elles-mêmes ou de leurs chefs encore naturels !

A titre d’exemples :

Résistance de Samory contre les Français, en parallèle de celle des royaumes Bambaras qui n’acceptaient pas sa loi, résistance de Behanzin en parallèle aussi de celle de ses royaumes voisins qui n’acceptaient pas non plus sa loi ?

Comment ne pas évoquer également la discrétion des universitaires de l’Afrique de l’ouest  sur l’esclavage domestique?

 Dans le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy », M.Ibrahim Thioub note à la page 206, sous le sous-titre «L’esclavage domestique et les traites exportatrices dans l’historiographie africaine » :

« L’examen de l’historiographie africaine sur ces questions met en évidence une asymétrie. La faiblesse relative du nombre d’études consacrées à l’esclavage domestique contraste fortement avec l’ancienneté du phénomène, sa généralisation à l’échelle du continent, son ampleur variable d’une époque à une autre, le rôle et les fonctions des esclaves dans tous les domaines d’activité, la diversité de leur statut social. »

Et le même auteur de noter plus loin (page 207) : «  Sur les 884 titres que compte  le « recensement des travaux universitaires soutenus dans l;es universités francophones d’Afrique noire, on ne trouve que six références portant sur l’esclavage domestique. » 

Edward W. Said fait grand cas des œuvres venant des périphéries et qui ont mis à mal les certitudes impériales des métropoles, mais cette interprétation soulève au moins deux questions :

La première relative à la date de ces œuvres, et alors que le mouvement de décolonisation était déjà largement engagé, par la force des choses : comment ne pas remarquer d’ailleurs qu’en ce qui concerne l’Afrique française, l’absence d’œuvres d’auteurs de la périphérie n’était pas uniquement due à la censure, ou à l’impérialisme ?

La deuxième, quant aux effets de ces œuvres sur l’opinion publique : ont-ils été mesurés ? Non !

Je serais tenté de dire que les livres de Fanon ont surtout intéressé, à l’époque de leur publication, c’est-à-dire après 1945, des cercles intellectuels limités, et ce, surtout,  pendant la guerre d’Algérie.

Pourquoi ne pas dire alors que les analyses intéressantes de l’auteur, à ce sujet, sont plus représentatives des relations qu’a pu entretenir la culture et l’impérialisme après la deuxième guerre mondiale qu’avant, mais incontestablement avec une coloration rétroactive ?

Et comme souvent dans l’histoire du monde, une lecture rétroactive, trop généralisatrice, et souvent optimiste, des « résistances indigènes » ?

Après 1945, tout a changé dans le monde impérial, avec le rôle très ambigu des Etats-Unis, prosélytes à l’étranger de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais attachés encore chez eux à la ségrégation, la fracture Est Ouest, la politique extérieure de l’URSS qui se présentait comme un modèle social et politique.

Les périphéries impériales devenant donc les enjeux d’une compétition Est Ouest, et avec la tentative des pays de la Conférence de Bandoeng d’y échapper ou d’en profiter.

En conclusion provisoire donc, une grande difficulté à entrer dans les raisonnements de l’auteur, plus séduisants que convaincants, notamment en raison du fait qu’ils échappent beaucoup trop à l’histoire et à la géographie.

Et s’il ne s’était agi, en l’espèce, que de l’écoulement du cours des choses impérial, taoïste ou technologique, d’un impérial que les rapports de force, les capacités technologiques des uns et des autres, aurait de toute façon démantelé, pour passer à d’autres formes, toujours impériales, notamment celles des Etats Unis ?

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Jean Pierre Renaud