« Guerre d’Algérie » Volet 3 « Japon-Corée », France Algérie », « Le Japon et le fait colonial »

« Guerre d’Algérie : réflexions »

Volet 3

« Le Japon et le fait colonial- II »

« Les débats du temps postcolonial, des années 1950 à nos jours »

« Japon- Corée, France-Algérie »

« Réflexions sur deux situations coloniales et postcoloniales »

Lionel Babicz (page 55 à 80)
Cipango
Cahier d’études japonaises Année 2012
Lecture critique
S’agit-il d’un « objet d’histoire » ?

            Indiquons dès le départ que l’auteur s’attaque à un sujet difficile, ambitieux, qui soulève beaucoup de questions de méthodologie concernant le concept de comparabilité historique, et nous verrons ce qu’il convient d’en penser.

            Avec une question préalable, s’agit-il d’un « objet d’histoire », alors que la Corée « coloniale » a disparu de la scène internationale après 1945, avec une partition en deux Corées, celle du nord et celle du sud ? De quelle Corée s’agit-il ?

            L’auteur écrit :

            « Histoire, paix, réconciliation. Si une quantité croissante de travaux sur ces thèmes ont été publiés en Asie orientale et en Europe, peu nombreuses sont les études comparatives. Le présent article résulte de ma participation à l’une de ces rares initiatives, un ouvrage japonais intitulé « Histoire et réconciliation publié en 2011 par les historiens Kurosawa Fumitaka …et Ian Nish. Ce livre, composé à la fois de travaux historiques et de témoignages directs, comporte également une partie comparative dédiée à des thèmes rarement abordés jusqu’à présent : mise en perspective des processus de réconciliation sino-japonais et germano-polonais, ou nippon- coréen et anglo-irlandais. Ma contribution personnelle fut une tentative de comparaison entre deux couples coloniaux n’ayant jamais encore été systématiquement confrontés, Japon-Corée et France-Algérie. Les quelques réflexions qui suivent sur divers aspects des situations coloniales et postcoloniales franco-algériennes et nippo-coréennes constituent une version remaniée et actualisée de ce texte japonais. » (p,56)

            L’auteur expédie le cas comparatif des mémoires de guerre de l’Allemagne et du Japon, effectivement très différentes de celui qu’il a l’ambition d’analyser, et écrit donc:

     «  Ces quelques pages se proposent ainsi d’examiner les parallèles et différences entre les situations coloniales franco-algériennes et nippo-coréennes, mais également de comparer la manière dont cette histoire porte une ombre encore aujourd’hui sur les relations au sein des deux « couples » .(p,57)

            Le lecteur aura bien noté que la réflexion porte sur les « situations coloniales », « parallèles » ou « différentes », les mots que j’ai soulignés.

            A la fin de notre lecture critique, nous verrons ce qu’il faut penser, de façon synthétique, d’une tentative de comparaison entre deux couples coloniaux n’ayant jamais encore été systématiquement confrontés, une comparaison qui soulève évidemment la question de sa pertinence historique.

         Je ne cacherai pas aux lecteurs que j’en doute sérieusement, et qu’à plusieurs reprises je me suis demandé quel maître à penser de l’INALCO avait pu souffler l’idée d’un tel sujet.

        « Le centenaire de l’annexion de la Corée (p, 57)

          Ces dernières années auront été emblématiques : les relations nippo-coréennes et franco-algériennes évoluent toujours à l’ombre de l’histoire et de la mémoire.

       L’année 2010 marqua le centenaire de l’annexion de la Corée par le Japon. En apparence, les choses se sont plutôt bien passées…    

       Le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie

      « Pour ce qui est de la France et de l’Algérie, l’année 2012 aura marqué le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie et de l’indépendance algérienne. Là aussi, polémiques et divergences furent au rendez-vous…

     Au-delà des gestes politiques, il semble également que l’année 2012 aura été l’occasion pour la France intellectuelle, artistique et médiatique de se pencher sur le passé algérien comme cela n’avait jamais été fait auparavant…

     De manière apparemment paradoxale, le cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne sembla avoir suscité plus d’intérêt en France qu’en Algérie, et ce malgré une série de célébrations officielles  démarrant en juillet 2012…

      En fait, la manière dont le Japon et la France ont respectivement commémoré les anniversaires de 2010 et de 2012 révèle, me semble-t-il, une différence essentielle entre les mémoires coloniales des deux pays. En France, l’Algérie suscite un important débat intérieur passionnant une grande partie de la société civile… » (p61)  

      Questions : j’ai souligné les réflexions qui posent problème.

        Comment est-il possible de comparer, sauf à dire qu’il s’agit de deux événements complètement différents en chronologie et en signification, entre une annexion de la Corée  datant de 1910 et la fin d’une guerre d’indépendance pour l’Algérie datant de 1962 ?

       L’année 2012… une occasion de se pencher sur le passé algérien… ? Vraiment ?

      Une différence essentielle entre les mémoires coloniales des deux pays ?  Est-ce le cas, alors qu’aucune enquête statistique sérieuse n’a pas été faite à ma connaissance sur cette fameuse mémoire coloniale, avant tout chère à Monsieur Stora. Alors qu’il s’agit bien souvent d’une mémoire mise au service d’une cause politique ?

      « La force du lien colonial (p,62)

      « Aussi bien dans le cas de la France et de l’Algérie que dans celui du Japon et de la Corée, on ne peut véritablement saisir l’état des relations bilatérales sans se référer à la réalité de la période coloniale. Quelles sont donc les similitudes et les différences dans les situations coloniales franco-algérienne et nippo-coréenne ?

       La similarité la plus frappante est peut-être la spécificité du lien qui reliait les deux partenaires coloniaux..

       L’Algérie fut une colonie française durant plus de cent trente ans (1830-1962… une colonie de peuplement… la possession française… indispensable stratégiquement (l’Algérie était la clef de l’Afrique, du Maghreb et du Proche Orient, et aussi symbole de la grandeur de la France. » (p63)

       Questions et constats sur les mots soulignés :

       La spécificité, incontestablement !

 Une colonie française jusqu’en 1962, vraiment ?

 Une colonie de peuplement, incontestablement !

 Indispensable stratégiquement (l’Algérie était la clef de l’Afrique, du Maghreb et du Proche Orient ?

       Une affirmation historique hardie, pour ne pas dire plus.

Grandeur de la France, incontestablement ! Une des raisons qui ont trop souvent conduit les gouvernements français à vouloir s’occuper de tout sur la planète aussi bien pendant les conquêtes coloniales, avec Jules Ferry et après, et encore de nos jours avec les interventions extérieures multiples de la Cinquième République, sous les houlettes de Messieurs Sarkozy et Hollande.

       « Deux catégories de personne » (p,64)

        « Il y avait une différence, cependant. Le Japon avait développé à l’égard de la Corée une idéologie de proximité raciale. Les Coréens étaient considérés comme des frères de race égarés, destinés au bout du compte à regagner le bercail originel d’une civilisation commune. Ce sont des idées, déjà présentes au moment de l’annexion en 1910, qui furent à la base des mesures d’assimilation mises en place à partir de 1938.

         En Algérie, pas de proximité raciale qui tienne. L’Algérie était destinée à être assimilée à la France par le biais d’une colonisation française (et européenne) et par la « francisation » progressive d’une élite locale. Durant toute l’époque coloniale, il y eut  essentiellement deux catégories de personnes en Algérie : les colons – citoyens français bénéficiaient de tous les droits – (auxquels furent adjoints en 1870 les Juifs algériens), et les indigènes locaux, les « Arabes », régis par le Code de l’indigénat de 1881. Ainsi lorsqu’on parle d’assimilation, il s’agit des citoyens colons, et non de celles des Algériens musulmans. » (p,65)

      Questions relatives aux mots ou phrases soulignés :

Proximité raciale, annexion en 1910, et mise en place en 1938 seulement, juste avant le début de la guerre mondiale ?

        Est-ce tout à fait pertinent ?

 « En Algérie, pas de proximité raciale qui tienne. » « francisation » progressive d’une élite locale »… assimilation ?

      Idem, une analyse pertinente, il est possible d’en douter, mais les remarques relatives aux frères de race … au bercail originel d’une civilisation commune sont, elles, tout à fait pertinentes, car le facteur religieux, la présence de l’Islam, fut un des facteurs qui rendait difficile, sinon impossible toute idée d’assimilation.

      Je rappelle à cette occasion que dans les années 1900, les colons, terme inapproprié pour dénommer les européens d’Algérie, étaient composés pour un tiers d’espagnols, un tiers d’italiens, et un tiers de français, et qu’en 1870, il n’existait quasiment pas encore d’Etat algérien.

         L’auteur note d’ailleurs que les projets d’intégration des Coréens, même tardifs, ne réglaient pas le même type de problème :

       «  Ainsi dans les deux colonies, au nom d’une lointaine et utopique assimilation, les populations  étaient l’objet d’une ségrégation intense, et les opposants les plus farouches à l’assimilation des Coréens étaient les colons japonais, craignant de perdre leurs privilèges. » (p65)

       Mais alors, qu’en penser ?

        Qu’il s’agisse de l’avant 1939 ou de l’après, toute comparaison parait difficile à faire, compte tenu de l’irruption du facteur international, la guerre, la défaite du Japon et l’indépendance de la Corée le 15 août 1945, puis la guerre froide, la guerre de Corée (1950-1953), la division du pays en deux Corées, un élément de l’histoire coréenne qui rend difficile toute comparaison pertinente avec l’Algérie

    L’Algérie, elle-même, ne sortira pas indemne de la guerre, et sera rapidement prise dans les soubresauts de la décolonisation, les interventions des Etats Unis, de l’URSS, et du Tiers Monde, puis la guerre d’Algérie.

      Corée et Algérie avaient basculé dans un autre monde.

     « Décalage chronologique, décolonisation

       Ce décalage des chronologies constitue peut-être l’une des différences essentielles entre les deux situations coloniales. « L’Algérie est colonisée beaucoup plus tôt que la Corée (prise d’Alger en 1830, colonisation officielle à partir de 1905 pour la péninsule) et se libère plus tard (la Corée est libérée en 1945, l’Algérie se libère en 1962)…

        En France, la perte de l’Algérie française a été vécue comme « une sorte d’amputation ». la guerre d’Algérie est également à l’origine de la création de la Vème République…

Occultation

        Ainsi après l’indépendance, la guerre fut occultée en France. Benjamin Stora publie en 1991, un ouvrage intitulé « La gangrène et l’oubli » dans lequel il analysait comment cette « guerre sans nom » demeurait une page blanche de l’histoire de France, et rongeait comme une gangrène les fondements mêmes de la société »

Occultation également en Algérie…

       En Corée, le processus de décolonisation fut totalement différent… Ainsi pour le Japon, le traumatisme de la perte de la Corée se dilua dans le traumatisme général de la défaite.

       Cependant, là-aussi, l’occultation était au rendez-vous. Les deux décennies suivant la fin de la guerre (1945-1965) furent une période de désintérêt total à l’égard de la Corée. » (p,68,69)

       Questions :

        Indépendamment de la question de base, – à savoir sommes-nous vraiment dans des « situations coloniales » comparables ? -, l’auteur fait référence à un historien qui surfe depuis des années, sur la mémoire d’une guerre d’Algérie qui l’a fait rapatrier à l’âge de douze ans.

       Pour avoir participé à cette guerre au titre du contingent, et avoir été attentif à ce qu’on en racontait après, je n’ai pas le sentiment que cette guerre ait été occultée, en tout cas, pas par les groupes de pression multiples qui ont tenté de s’en approprier la mémoire, souvent avec succès, notamment, celui qu’anime l’historien-mémorialiste cité.

          Quant au constat « Occultation également en Algérie », je laisse le soin à l’auteur de nous dire sur quel fondement il formule ce constat.

       « Normalisation nippo-coréenne (p,70)

        En 1965, le Japon établissait des relations diplomatiques avec la République de Corée, au Sud. Ce traité de normalisation était le résultat à la fois de pressions des Etats-Unis qui aspiraient à renforcer la stabilité régionale, et d’une convergence d’intérêts, essentiellement économique, entre la Corée et le Japon….le Ministre des Affaires étrangères japonais, Shiina Etsusaburo exprima les regrets de son pays pour ce « passé infortuné ».

       Il est évident que dans le cas d’espèce, les Etats-Unis étaient devenus maître du jeu.

      « La France et l’Algérie après l’indépendance (p,71)

      Contrairement au cas nippo-coréen où l’indépendance amena une rupture des liens bilatéraux,  entre la France et l’Algérie, le contact ne fut jamais rompu. Il est même surprenant de voir comment malgré la violence et les atrocités de la guerre dès son lendemain, les deux parties manifestèrent leur volonté de maintenir un lien étroit…

   En 1981, le président Mitterrand se rendit même à Alger

     Dégradation franco-algérienne, amélioration nippo-coréenne (p,73)

     Mais l’année 1981 marqua également un pic

        Question : une fois de plus, compare-t-on des situations historiques comparables ? A mon avis, non, sans oublier que derrière le décor franco-algérien se profilait l’accord secret sur les essais nucléaires au Sahara.

       Point n’est besoin de noter, en ce qui concerne les relations nippo-coréennes, qu’en 1998, le Mondial fut un nouveau facteur de normalisation, mais avec quelle Corée ? Et sous le parapluie américain?.

      « Vers la fin de l’époque postcoloniale ? (p,75)

       … Les traités de sécurité liant Séoul et Tokyo à Washington ont l’allure d’une véritable alliance trilatérale, et il ne fait guère de doute que ce triangle de sécurité est à la base de la paix dont jouit l’Asie orientale depuis un demi-siècle. » (p,76)

           Question : en dépit de l’existence d’un autre morceau de la Corée, celle du Nord, encore communiste et agressive, et la montée en puissance de ce qu’on pourrait appeler la nouvelle Chine, et la forme moderne de son impérialisme séculaire ?

       « L’Algérie et la France dans la tourmente (p,76)

         L’auteur rappelle à juste titre l’existence de la guerre civile des années 1988-1990, la deuxième après celle des années 1954-1962, une guerre qu’il parait légitime de dénommer une guerre de religion, et ils ont été nombreux les Algériens qui sont venus en France pour y trouver refuge.

       Depuis, ces relations n’ont trouvé ni apaisement, ni nouvel équilibre, en raison notamment, et souvent des deux côtés de la mer de Méditerranée, de la culture de mémoires partisanes, lesquelles, ont l’ambition d’exiger de la France une repentance coloniale.

      « Une surabondance mémorielle » (p,79)

         Je ne suis pas convaincu qu’il existe de nos jours une surabondance mémorielle, alors que l’ancien passé  aurait été occulté, par qui ? A quel niveau ?

      En tout cas, pas dans les très nombreuses associations ou groupes de pression qui ont cultivé la mémoire de cette guerre, avec une immense majorité de soldats du contingent, dont je faisais partie, qui n’avaient jamais été convaincus, en débarquant en Algérie, qu’ils se trouvaient sur une terre française.

      Pourquoi ne pas noter que les groupes de pression qui font le plus de bruit en faveur d’une repentance qui ne dit pas son nom, ont partie liée avec des partis politiques ou des publics issus de l’immigration ?

         Comment adhérer, au terme de cette lecture critique à cette sorte de conclusion caricaturale qu’en tire l’auteur ?

           « Les couples franco-algériens et nippo-coréens semblent ainsi constituer deux variantes d’une même situation postcoloniale. Les deux couples entretiennent aujourd’hui des relations  dictées essentiellement par leurs situations géostratégiques et leurs choix politiques. Dans ce contexte, la mémoire du passé colonial est souvent instrumentalisée pour des besoins intérieurs et extérieurs. Mais ces débats, disputes, accrochages et affrontements sont également l’expression de plaies toujours vives et qui ne semblent pas près de se refermer. La colonisation travaille en profondeur tant les sociétés des pays colonisateurs que celle des pays coloniaux. « (p,80)

        Comment ne pas interpréter une telle opinion qui ne correspond pas aux réalités françaises, sauf pour une petite partie  de sa population, comme un appel – une fois de plus- à un « inconscient collectif » cher à beaucoup de chercheurs, lequel « travaille en profondeur », qui constituerait l’alpha et l’omega, pour ne pas dire le graal des relations entre ces pays désignés ?

        Un « inconscient collectif » cher à Monsieur Stora !

Ma critique de synthèse

– Question préliminaire : le but de cette chronique était-il de faire apparaître toutes les différences qui séparaient la Corée et l’Algérie ? Si oui, il parait atteint.

– Une chronologie pertinente ? Non ! Car comment comparer des situations coloniales, datant l’une de 1830, et l’autre de 1905, celle de la Corée ne durant que quarante ans contre cent trente-deux ans pour l’Algérie, la première à un moment de la vie internationale qui ne soutenait aucune comparaison avec le début du XX°siècle, et selon  des durées « coloniales » difficilement comparables.

 – Des situations coloniales comparables ? Bien sûr que non !

        Comment comparer l’Algérie des années 1830, dépourvue de tout Etat, sous la gouverne des tribus, avec le contrôle lointain et superficiel de l’Empire Ottoman, avec la Corée des trois royaumes peuplés d’une population partageant une civilisation commune, mixant les grandes religions d’Asie, avec une Algérie musulmane, une Corée qui existait bien avant son annexion par le Japon ?

      Une comparaison de la Corée avec l’Indochine, gouvernée par l’empereur d’Annam, fils du ciel, comme en Chine, n’aurait-elle pas été plus pertinente ?

–  Le facteur stratégique ?

       L’auteur en souligne l’’existence, mais autant un tel facteur a été déterminant dans la conquête de la Corée, comme le souligne les auteurs d’autres contributions, ce facteur était inexistant à l’origine pour Alger, puisqu’il s’agissait avant tout de mettre fin au trafic d’esclaves chrétiens par les pirates barbaresques, et alors que la distance qui séparait les deux côtes ne donnait pas à l’Algérie cette caractéristique de sécurité nationale.

         Il fallut attendre la deuxième guerre mondiale, et le débarquement de troupes alliées en Afrique du Nord pour que l’Algérie devienne momentanément un élément important d’une stratégie nationale, une situation qui dura peu de temps, car contrairement à ce qu’écrit l’auteur,  je ne sache pas que l’Algérie ait eu une importance stratégique pour la France au Moyen Orient.

–    Le volet des « situations coloniales » sur leur plan économique et financier ? Un volet qui fait complètement défaut, alors qu’une comparaison intéressante et utile aurait pu être effectuée entre les deux pays, de même et de façon plus pertinente avec l’Indochine entrée dans une ère coloniale à peu près à la même période que la Corée.

        Il aurait été intéressant, si cette hypothèse de travail est pertinente, que l’auteur montre comment les banques de Corée, entre les mains du Japon, ont été l’instrument d’un impérialisme secondaire du Japon en Chine.

        Cette lacune de données économiques est très fréquente dans beaucoup de recherches d’histoire postcoloniale, alors que de nombreux outils d’évaluation statistique sont disponibles.

        La Corée, quelle  Corée ? Celle du Nord encore communiste, ou celle du Sud,  alliée des Etats Unis et du Japon ?

        A la lecture de cette chronique, il est possible de se poser la question.

–    Le mot de la fin, avec la contribution du détective Napoléon Bonaparte, célèbre pour ses enquêtes dans le bush australien, notamment chez les Arborigènes, en partie exterminés ou discriminés par les anciens colons de ce continent, un détective dont les enquêtes ont été popularisées par Upfield.

          Aurais-je envie de dire, qu’à la grande différence des enquêtes fouillées de Napoléon Bonaparte, qu’il m’arrive de trouver que certaines recherches postcoloniales manquent peut être de la même rigueur dans leur évaluation des faits ou idées analysés.

          C’est à se demander si les romans policiers les meilleurs ne font pas preuve d’une plus grande rigueur scientifique, pour ne pas citer certains romans historiques qui pourraient sans aucun doute en remontrer à certains chercheurs !

          Nous nous proposons d’ailleurs de publier plus tard une petite chronique sur ce sujet passionnant.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Le Japon et le fait colonial -1 L’Asie du Nord-Est coloniale- Années 1880-1920- Cipango

« Le Japon et le fait colonial – 1

L’Asie du Nord-Est coloniale – Années 1880-1920 »

Cipango

Cahier d’études japonaises – Année 2011

Avant- propos

            Il n’est peut-être pas superflu de rappeler quelques-unes des caractéristiques essentielles du cadre géographique et historique, et donc sécuritaire et stratégique, dans lequel ce type d’analyse se développe.

            Les côtes des territoires les plus proches convoités par le Japon sont situées à une distance de l’ordre de 200 kilomètres pour la Corée, à l’ouest, et de l’ordre de 40 kilomètres pour l’île de Sakhaline, au nord.

            Cette situation géographique est évidemment un des éléments de toute explication historique.

            Les récits qui seront commentés se situent dans une dynamique de conquêtes impériales en Chine, avec pour fond de décor, la décomposition de l’Empire de Chine, avec ses territoires associés, une décadence qui avait commencé il y a bien longtemps.

       Les épisodes les plus récents en avaient été la première guerre de l’opium menée par l’Angleterre en Chine, dans les années 1839-1842, et par la deuxième guerre de l’opium engagée avec le concours de la France, des Etats-Unis et de la Russie, dans les années 1856-1860.

            Ces deux guerres se conclurent par l’ouverture de ports au commerce international, des concessions territoriales, et le paiement d’indemnités.

            La deuxième guerre de l’opium « s’illustra » par le « Sac du Palais d’Eté ».

            A partir de 1854, les Etats-Unis, nouvelle puissance du Pacifique, ont contraint le Japon à ouvrir ses ports au commerce international, et poursuivi leur conquête des îles du Pacifique, en direction de l’Asie.

            Un mot enfin sur l’Asie du sud-est.

            Les Anglais avaient mis la main sur le joyau de l’Empire des Indes et de ses territoires accolés, mis en place une ligne de communication stratégique avec la route des Indes, une succession de ports anglais en direction de Hong Kong, devenu anglais.

        D’autres puissances, les Pays Bas en Indonésie, et la France en Indochine, s’étaient établies comme nouvelles puissances coloniales.     

        La question que nous nous sommes posée en permanence en rédigeant cette lecture critique est celle d’une comparaison possible ou non avec les autres « colonialismes » ou « impérialismes » de la même époque historique.

         La revue Cipango traite un sujet d’histoire « coloniale » intéressant pour un Français plus habitué à se documenter et à analyser l’histoire coloniale occidentale, avant tout celle de la France ou de la Grande Bretagne qu’à tenter de la comparer à l’histoire coloniale du Japon, de la Russie ou de la Chine.

        Le lecteur français sera peut-être étonné de ne pas voir évoqué dans cette chronique intéressante, même de façon marginale, le cas de l’Indochine, qui occupait alors, par rapport à la Chine, une position très voisine de celle de la Mandchourie ou de la Corée.

            Autres remarques préliminaires, la première relative à la durée de la période étudiée, 40 ans de 1880 à 1920, un choix chronologique qui fait question, et la deuxième, relative à l’intitulé choisi « Le Japon et le fait colonial ».

            Nous verrons qu’au cours de cette lecture critique, se pose en effet  la question de l’appellation « colonial » dans cette phase de domination historique, qui concerne autant la Chine, la Russie, ou le Japon, que la Grande Bretagne, les Etats-Unis ou la France, et dans le cas de la Chine, avec la superposition de plusieurs types de domination.

            A plusieurs reprises, l’auteur, Michel Vié, pose d’ailleurs, et à juste titre, la question de ce type de qualification, une vraie question : dans quel registre historique ce type d’analyse de la domination se situe-t-il ? Expansion territoriale du type américain vers l’ouest, ou russe vers l’est ? Expansion de type impérial sur le mode international telle que pratiquée en Chine ? Expansion de type impérial telle que mise en œuvre en Asie du Sud-Est par les Anglais ou les Français, aux Indes ou en Indochine ? Expansion coloniale avec immigration européenne telle que pratiquée par les Anglais dans le Pacifique ou en Afrique du Sud, et par les Français en Algérie ?

            Difficile à dire !

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            Le titre de la première chronique « La : Mandchourie et la « Question d’Extrême Orient » 1880-1910, par Michel Vié illustre bien à mes yeux la sorte d’ambiguïté qui pèse sur le mot colonial, équivalent à Question d’Orient ou des Balkans ?

            Deuxième chronique : « Un autre regard La Mandchourie des photographes pictorialistes japonais »  par Sandrine Dalban-Tabard, une chronique que nous avons laissée de côté par incompétence.

          Troisième chronique : « Hokkaido, An Zéro » Changements des rapports de domination et septentrion japonais à la fin du XIXème siècle », par Noémi Godefroy, une contribution dont le contenu pourrait être assimilé à ce qu’on entend souvent par histoire de la colonisation.

            Quatrième chronique : «  Les débuts de l’emprise économique japonaise en Corée coloniale 1900-1919 » par Alexandre Roy.

            Cinquième chronique : « Critiquer le colonialisme dans le Japon d’avant 1945 » par Pierre-François Souyri.

            A noter que la période proposée dans cette chronique est différente de celle indiquée dans le titre.

&

            A cette occasion, je rappelle quelques-unes des chroniques de ce blog, lesquelles donnent quelques éclairages chronologiques et géographiques, de type latéral, sur les sujets traités : Japon, Indochine, et Chine :

« Choc des cultures, des civilisations, des religions » 1868 L’incident de « Sakai »

A partir du livre d’Ôgaï Mori

L’ouverture forcée par l’Occident d’un pays fermé comme une huître

Blog du 23/09/2011

« Gallieni et Lyautey, ces inconnus »

Au Tonkin  (1892-1896), blog du 20/04/2012

Le colonel Gallieni chez le maréchal Sou, blog du 22/06/2012

Politique des races au Tonkin et à Madagascar, blog du 14/09/2012

Gallieni et son « bain de cerveau », blog du 1/10/2013

Edward Saïd et Victor Segalen, Regards sur la Chine, blog du 10/02/2011

« Les branches esseulées : trafic de femmes vietnamiennes en Chine », blog du 8/03/2013

       Par ailleurs, et à l’occasion de l’analyse que je proposerai sur l’Algérie, avec la Révolte du général Challe, puis une esquisse de comparaison entre le type de guerre contre-révolutionnaire en Malaisie, et en Algérie, avec le roman d’Han Suyin, « Et la pluie pour ma soif ».

         Enfin, je publierai une petite analyse critique d’un article de Lionel Babicz  paru dans « Le Japon et le fait colonial – II », intitulé « Japon-Corée, France-Algérie Réflexions sur deux situations coloniales et postcoloniales » en posant la question : s’agit-il de situations coloniales et postcoloniales » comparables ?

&

La Mandchourie et la « question d’Extrême Orient » 1880-1910 (p,19)

            Conquête, domination, annexion, colonisation militaire, humaine, économique, ou impérialismes ? Avec des impérialismes en concurrence, en coopération, ou en « cohabitation », et aussi des impérialismes superposés ?

            A lire cette étude intéressante, le lecteur retire l’impression d’une histoire inextricable face à la très grande complexité des facteurs historiques examinés, une sorte d’entrelacs où il n’est pas toujours facile de se repérer.

            Le titre choisi axe l’analyse sur la Mandchourie.

            Il s’agit d’une histoire au moins autant impériale que coloniale, avec l’enjeu de la conquête de la Mandchourie par les trois puissances voisines, les deux puissances terrestres de Russie et de Chine, et la troisième puissance maritime, le Japon,  une histoire marquée par deux guerres, la sino-japonaise en 1895, et la russo-japonaise en 1905, couronnées, toutes les deux, par les victoires du Japon.

  I – « La Mandchourie et les trois empires » (p,25)

            La remarque que fait l’auteur sur la nature de ces guerres est à citer, car elle pose à nouveau la question du « colonial » :

    « C’est pourquoi, il nous semble impossible d’expliquer la genèse et l’histoire des guerres sino-japonaise et russo-japonaise dans les schèmes de « la grande colonisation » (p,31)

       « La Mandchourie qui nous intéresse ici, peu connue au XIX siècle, est devenue vite célèbre au XXème  siècle comme lieu de réussite d’une industrialisation volontaire, peu fréquente en situation coloniale…. Mais quand la Mandchourie  entre dans l’histoire internationale, aux confins des XIX et XXème siècles, ce n’est pas la modernité économique qui en est le moteur, mais une modernité militaire qui se manifeste par les événements des deux grandes guerres sino-japonaise (1894-1895) et russo-japonaise (1904-1905). » (p,23,24)

        Les batailles livrées si loin, sont bien plus modernes, au point de vue technique que celles qui ont eu lieu, à la même époque à Cuba, aux Philippines (guerre hispano-américaine), au Transvaal, voire dans les Balkans. Forteresse russe assiégée pendant quatre mois (1904), Port Arthur devient aussi célèbre que l’avait été Sébastopol en Crimée. Mais ce sont les flottes de combat qui révèlent le mieux le niveau technologique des guerres. » (p,24)

        « Ainsi nous verrons que l’entrée de la Mandchourie (spécialement le Liaodang à l’extrémité duquel se trouve Port Arthur) dans l’histoire commence par des guerres qui ne sont pas du tout du type des guerres coloniales, mais qui préfigurent plutôt l’avenir immédiat de l’Europe. » (p,25)

        La Mandchourie était alors aux prises avec trois prédateurs, les trois empires de Chine, de Russie, et du Japon.

       « Ainsi, si l’on en juge d’après ses habitants, la Mandchourie en 1880-1890, la Mandchourie  n’est pas encore une terre chinoise »… Elle commence seulement à le devenir. La transformation en cours est due à une colonisation de peuplement rendue récemment possible…Seule la Chine put mener à bien ce type de colonisation. Seule, elle disposait du « trop plein » démographique indispensable, renforcé par une plus grande proximité. La Russie et le Japon auraient voulu parvenir à ce résultat ? Mais ils n’en eurent jamais les moyens. » (p,26,27)

        « Enjeux et stratégies de la constitution des empires face à la Mandchourie » (p,28)

         Face à des enjeux et stratégies variés et entremêlés, il n’est pas toujours facile d’y voir clair :

       «  Malgré d’incontestables interactions, il nous semble pertinent d’opérer deux distinctions. L’une tout d’abord d’ordre géographique, en séparant la Chine « proprement dite » et l’Asie du Nord-Est. L’Etat chinois est présent dans les deux cadres. Mais il est objet de colonisation de la part des pays occidentaux. Il est lui-même acteur de colonisation en Mandchourie et en Corée. L’autre distinction s’applique aux causes des guerres. Est-ce du fait de l’actuelle domination des paradigmes de l’économie de marché et des aspirations qu’elle suscite (goût du lucre, consumérisme, etc.) ? Il semblerait que, bien souvent, on ait du mal à percevoir, de nos jours, d’autres causalités que celles relevant du plan économique. Or les trois puissances ont des projets à long terme, voire résolument permanents qui sont surtout sécuritaires. » (p,29)

       Effectivement :

      « C’est pourquoi, il nous semble impossible d’expliquer la genèse et le déroulement des guerres sino-japonaise et russo-japonaise dans les schèmes de la « grande colonisation »

       L’auteur ne dit pas qui dit le contraire.

     « II – Coexistence ou incompatibilité des impérialismes  (1890-1901) » (p,32)

         L’auteur examine ensuite les problèmes de coexistence ou d’incompatibilité des impérialismes entre 1890 et 1901, et cet examen montre bien que l’impérialisme collectif a toujours su gérer ses intérêts, soit qu’il se soit tenu en dehors des conflits, soit qu’il en ait profité :

       « Globalement, le domaine reconnu à l’impérialisme collectif est volontairement tenu à l’écart des conflits, et de même, la région de Pékin, parce que la dynastie mandchoue y est le garant de la légitimité des traités. » (p,33)

       Une remarque tout à fait intéressante parce qu’elle donne la mesure du pouvoir de l’imaginaire impérial chinois, celle d’un Fils du Ciel complètement entre les mains de cet impérialisme international.

            La première guerre sino-japonaise est un exemple d’impérialisme collectif à la fin du siècle, parce ce qu’il juxtapose plusieurs interventions étrangères de nature tout à fait différente.

          Elle trouve sa conclusion dans le traité de Shimonoseki (17 avril 1895) avec l’intervention diplomatique de trois puissances (23 avril 1895) (p,37), la Russie, l’Allemagne, et la France.

            Le traité de paix imposé à la Chine contenait quatre catégories d’exigences :

    1) reconnaître l’«indépendance » de la Corée,

    2) payer une indemnité de guerre,

    3) faire bénéficier le Japon de la clause de la Nation la plus favorisée, de l’usage de plusieurs ports jusqu’ici non ouverts aux étrangers… Par ces dispositions, le Japon fait son entrée dans le système colonial collectif… ce qui conduit le Royaume Uni à adhérer à la paix de Shimonoseki.

   4) la remise par annexion de trois dépendances territoriales jusqu’alors chinoises : Taïwan, le petit archipel voisin des Pescadores et, en Mandchourie, la péninsule de Liandong dans sa totalité … Tous ces territoires mentionnés sont occupés par l’armée japonaise. » (p,37)

       « L’indépendance de la Corée » dura peu de temps. Le Japon se vit reconnaître l’annexion de trois territoires, Taïwan, encore revendiqué par la Chine, les Pescadores, îles à nouveau disputées de nos jours, avec une entrée officielle en Mandchourie.

    Et le démantèlement de la Chine continua :

    « Il est bien connu que de 1896 à 1899, la Russie, la France, l’Allemagne, le Royaume Uni ont obtenu de la Chine, des transferts de droits régaliens en leur faveur. Un peu plus tard, l’Italie et le Japon se sont engagés dans cette voie. » (p,41)

      « L’épisode des Boxers (1901-1902) » (p,46)

            « L’épisode des Boxers est un moment bref mais décisif. Il confirme la Chine dans sa fonction d’ « eldorado commercial ». Il rend presqu’inévitable la guerre russo-japonaise, à cause de ses effets sur la Mandchourie… «  (p,46)

            L’intervention militaire avait curieusement autant l’objectif d’imposer la domination de l’étranger que de conforter l’Etat Chinois.

         « Le danger le plus redouté est l’effondrement de l’Etat chinois, clef de voûte du colonialisme commercial. Une Chine souveraine et faible est une formule satisfaisante pour tous : Royaume Uni, Allemagne, France, Etats-Unis et Japon. La fragilité du système demeure, mais qui voudrait le frapper d’un coup mortel ? » (p,46)

    « En 1900, lorsqu’éclate, contre la colonisation occidentale, l’insurrection des Boxers, des questions graves demeuraient alors sans réponse :

       – La Chine a-t-elle un avenir comme Etat ?

        – Jusqu’où l’expansion de la Russie ?

        – Quel est, en Extrême Orient, le vrai statut international de la Mandchourie ?

       Cette insurrection apporte en quelques mois les réponses. «  (p,46)

     Cette intervention ressemble fort aux interventions militaires que l’on classe habituellement dans la catégorie coloniale, à la grande différence près qu’elle fut multinationale.

        «  Le traité de paix (Protocole des Boxers, 7 septembre 1901) représente le triomphe du colonialisme financier et commercial. L’Etat chinois est à la fois confirmé et complètement dépendant des banques occidentales auxquelles il doit emprunter pour payer les indemnités dues aux puissances colonisatrices. Les garanties militaires jointes au traité sont collectives…(huit grandes puissances (Etats-Unis, Japon et six Etats européens )» (p,48)

     Et le démantèlement continua !

     « L’inaptitude des coalisés à mentionner ou à résoudre le problème de la présence militaire massive des Russes en Mandchourie est le trait – négatif- essentiel du Protocole des Boxers. C’est par son « côté russe » (non pas chinois) que l’épisode des Boxers bouleverse la question d’Extrême Orient. Sous trois aspects : 1) le rôle des armées de terre en plus de celui des flottes ; 2) l’entrée de la Mandchourie entière dans les conflits ; 3) l’opposition insoluble entre Russie et Japon. » (p,48)

     L’auteur décrit alors l’épisode de III  « La colonisation militaire russe (1896-1904) » (p,50), puis les problématiques de conquête et de sécurité du Japon.

       « IV Les dilemmes de la politique sécuritaire du Japon (1894-1905) » (p,53)

     « Parmi les trois empires qui aux confins des XIX° et XX° siècles constituent l’Asie du Nord d’Est – la Chine, la Russie, chacune pour une petite partie de leur immense territoires, le Japon, pour la totalité de son espace insulaire – seul ce dernier, le moins puissant, entreprend une guerre contre l’un, puis l’autre de ses grands voisins. Le pouvoir central japonais n’ignore pas les dangers de telles guerres (sino-japonaise en 1894-95russo-japonaise en 1904-1905). Mais il affronte ces risques précisément au nom de la sécurité. Ces guerres sont considérées comme liées à sa survie. Le problème ici sera celui de la manière dont le Japon s’est représenté l’environnement. » (p,54)

        « La sécurité par la guerre », « La Corée comme muraille »

     L’analyse montre bien l’importance qu’a eue la stratégie sécuritaire du Japon, mais les guerres du Japon ont couvert aussi d’autres stratégies de type colonial, qu’explique à la fois la nouvelle puissance de son empire et le cadre géographique et stratégique de l’archipel.

       « Le point de départ du raisonnement est un postulat : la valeur de défense de l’insularité japonaise est insuffisante au niveau de Tsushima, excluant une défense uniquement maritime. Deux solutions s’offrent : l’une, guerrière, par envoi d’une armée sur le continent, l’autre, pacifique, par neutralisation de la Corée sur le modèle idéalisé de la Suisse. » (p,55)

       Il est possible de noter que la Grande Bretagne a eu historiquement le même type de problème de sécurité sur ses côtes européennes, avec la Hollande et la Belgique.

       « V La guerre russo- japonaise (1901- 1904-1905) » (p,56)

      « … Traits originaux de l’affrontement russo – japonais :

        En plus de sa modernité évidente qui résulte, tant des effectifs engagés que de la puissance de feu produite, l’originalité de cette guerre ressort de trois aspects : la modération des alliances, le financement international, la précision des projets stratégiques. Tous les trois en font un conflit qui, bien que local, est à la fois fortement encadré et soigneusement préparé  du côté japonais. »

      Il est évident que le Japon poursuivait des objectifs multiples, de sécurité bien sûr, mais tout autant d’impérialisme économique, qu’il s’agisse de la Mandchourie ou de la Corée.

        Au terme des épisodes diplomatiques et militaires racontés par l’auteur, La place forte de Port Artur capitule le 1er janvier 1905, et les 27 et 28 mai 1905, « la flotte russe venue de Baltique est coulée ou contrainte à la reddition. Il n’y a plus ensuite de grandes opérations si ce n’est l’occupation complète de Sakhaline. » (p,65)

      Le désastre maritime russe de Tsushima eut des échos dans toute l’Asie du Sud Est, notamment dans l’Indochine française, dans les milieux nationalistes, car il s’agissait du premier signe éclatant du réveil de l’Asie.

      Un traité de paix est signé entre la Russie et le Japon, le 5 septembre 1905.

      « La situation militaire »

      « Aucune des deux puissances ne peut plus espérer rationnellement parvenir à une victoire complète. L’espace confère à la Russie la certitude de l’invulnérabilité. Cette particularité était connue des dirigeants japonais avant qu’ils n’entrent en guerre. Mais à la suite des escadres russes, le Japon bénéficie d’une invulnérabilité équivalente. La marine japonaise est devenue maîtresse des mers environnantes. Il ne demeure donc dans cette guerre d’autres perspectives que la conquête (ou pour les Russes, la reconquête) de territoires. La grande victoire du Japon est d’avoir obtenu l’invulnérabilité. A partir de Tsushima, une sorte de  réciprocité sécuritaire encadre les batailles à venir, qui toutes ne peuvent être que terrestres, et a priori localisées en Mandchourie. » (p,66)

     Invulnérabilité ? Voire !

     Toujours est-il que le Japon a empoché deux autres territoires, la Corée et la Mandchourie du Sud !

      Curieusement, ce sont les Etats Unis qui se sont entremis pour faciliter un accord de paix, « l’accord Katsura-Taft l’illustre bien. Il met en cause la Corée et les Philippines sous la forme d’un échange. » (p,67)

       Cette observation est tout à fait intéressante, car on oublie trop souvent que non seulement les Etats Unis étaient partie de cet impérialisme collectif décrit par l’auteur, mais que dans le sud-est asiatique, ils venaient de faire la conquête coloniale des Philippines.

         « Avec les Etats-Unis, la question pourrait être plus complexe. En fait, ce que Taft propose à Tokyo, c’est seulement une entente de non-intervention militaire réciproque en Corée japonaise aux Philippines où depuis la fin de la guerre hispano-américaine (décembre 1898, traité de Paris), se déroule une violente conquête coloniale. Entre l’armée américaine (portée à un effectif de cent vingt- six mille hommes) et le mouvement indépendantiste d’Emilio Aguinaldo, l’affrontement est extrême. Le contraste entre les chiffres des victimes des deux camps – quatre mille deux cents américains, deux cents trente mille Philippins, soit un rapport de 1 à 50 est caractéristique d’un conflit colonial. Pierre Chaunu explique les méthodes de combat américaines par leurs expérimentations antérieures sur le territoire même des Etats – Unis, contre les tribus indiennes et, entre autres, comme « techniques d’extermination de la frange pionnière. » (p,71)

           Une observation : la conquête du Tonkin qui a mobilisé des forces militaires comparables n’a pas eu pour résultat, et de loin, le même écart entre les chiffres des victimes.

         Et pendant ce temps-là, le Japon met en œuvre en Corée une politique coloniale de protectorat sur les trois royaumes de Corée, laquelle cache une prise en mains directe de ce pays.

        « Dans le sud de la Mandchourie conquis sur les Russes et où il continue de contrôler et d’administrer ainsi la population chinoise, le Japon est loin d’obtenir une consolidation politique aussi décisive qu’en Corée. » (p,72)

        Les interventions multiples des nombreuses puissances qui se sont lancées dans l’exploitation coloniale de la Chine se sont tellement entremêlées qu’il est difficile d’y voir clair, d’autant plus que la Mandchourie est devenue un immense chantier pour des investissements privés de toute nature et pour une nouvelle colonisation chinoise, sous contrôle japonais, un des signes les plus manifestes étant la construction de lignes de chemin de fer.

        Le Japon mit en œuvre une méthode de colonisation qui ressemblait à celle du Congo Belge, en confiant tous les pouvoirs à une compagnie financière privée dénommée de « Mantersu » qui unit capitalisme d’Etat et une ouverture sur le capital privé.

        « La pacification de l’Asie du Nord-Est est un fait régional acquis en 1907…. Dans le Pacifique, Japon et Etats-Unis sont face à face. Mais des obstacles matériels les empêchent de s’affronter… » (p,76)

      L’auteur conclut :

    « Sans la guerre civile en Chine à partir de 1911 et la crise balkanique de de 1914, rien ne pouvait interdire d’imaginer comme durable la paix et l’ordre établis en Extrême Orient continental. C’est donc dans ce cadre que la Mandchourie cessant de n’être qu’un espace commence alors à devenir pour la société et l’économie mondiale une  réalité tangible dans l’Histoire. » (p,78)

         Avec un grand H ou un petit h ? Est-ce que cela ne mériterait pas d’être démontré ? Alors que la Chine était de plus en plus en décomposition ?

          Pour résumer les points forts de cette chronique :

        Son mérite est d’ouvrir les yeux sur d’autres mondes impérialistes ou coloniaux que ceux auxquels on est trop souvent confronté en France, avec la place sans doute exagérée de l’Afrique.

      La Chine de la « Porte ouverte », une Chine considérée comme un nouvel eldorado économique et financier, mais une Chine en décomposition, dont les puissances prédatrices prennent soin de préserver une « face » impériale tout fictive.

    Un impérialisme collectif, international, en action, mélange de guerre, de coopération, de coexistence,  de cohabitation, mais tout autant de conquêtes territoriales de la part des trois empires.

      Une Chine décadente qui continue à tenter de protéger ses frontières glacis.

      Une Russie qui continue sa conquête de l’Est, comme les Etats-Unis l’ont fait pour leur Ouest, en éliminant les tribus ou nations indiennes.

       Avec l’ouverture d’une nouvelle ère, dite de « Meije », un Japon en pleine modernisation, et en pleine phase de puissance nouvelle, dont l’ambition est faite d’un mélange de stratégie de puissance régionale, de sécurité, et de conquête de nouveaux territoires.

        Les Etats Unis, nouvelle puissance du Pacifique, laquelle a obligé le Japon à ouvrir ses ports au milieu du siècle, laquelle s’associe aux autres puissances pour participer au nouveau partage des richesses.

         Cette analyse mériterait d’être confrontée, au cas par cas, et période par période, aux analyses qui ont été faites sur les autres impérialismes qui ont  développé leurs initiatives notamment en Afrique ou dans l’Océan Indien.

       Indiquons pour notre part, qu’à l’exception de l’Afrique centrale belge et sud-africaine, et à des époques comparables, les impérialismes français et anglais n’inscrivaient pas leur action avec l’ampleur des impérialismes de l’Asie du Nord-Est.

     La conquête de la Chine se fit au moyen de techniques de prédation qui ont peu changé au cours des ans,  obligation à la « Porte ouverte » au commerce par l’installation de concessions territoriales dans les ports, paiement d’indemnités souvent souscrites par emprunt auprès des prédateurs, et compte tenu des incidents de remboursement, contrôle des douanes.

        La souscription d’emprunts par les puissances colonisées a constitué une méthode de domination utilisée dans d’autres cas de figure, tels que l’Egypte, ou la Tunisie.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Petit exercice de critique historique ? Avec la revue Cipango

Petit exercice de critique historique ?
Ou la « contextualisation » du fait colonial ?
Cipango Cahiers d’études japonaises
Le Japon et le fait colonial  I
L’Asie du Sud-Est colonial Années 1880-1920
Année 2011

            Au fil des pages, et avant d’être en mesure de commenter les deux tomes tout à fait intéressants consacrés à l’ambitieux sujet traité, j’ai noté dans le chapitre intitulé « Critiquer le colonialisme dans le Japon d’avant 1945 » de Pierre-François Souyri, Université de Genève, une sorte de curiosité d’écriture d’histoire postcoloniale, un mélange tout à fait étrange entre histoire et prise de position politique.

            « Mais il faut quand même contextualiser le discours de Yanagi et, même si l’homme n’était pas exempt de défauts, il n’en a pas moins contribué à faire connaître une céramique largement mésestimée. Après tout, où sont les esthètes français capables de monter en Algérie un musée des arts populaires algériens ? » (page 209)

            « Contextualisons » donc un tel discours :

            Convient-il de rappeler qu’en Extrême Orient,  l’Ecole d’Extrême Orient a été créée en 1898, et installée à Hanoï en 1900, que l’Ecole Nationale des Beaux- Arts d’Alger a été créée en 1888, et la villa Abd-El-Tif en 1906, pour ne pas citer encore la création de l’Académie Malgache en  1902 ?

Jean Pierre Renaud