Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Exemples de critique historique : livres de la jeunesse et cinéma

Quelques exemples de critique historique, avant d’aborder le thème principal de la propagande coloniale.

         1 – Les livres de la jeunesse – Un sujet capital pour qui apprécie à sa juste valeur le formatage intellectuel qui peut en résulter, un formatage dont les « hussards noirs » de la Troisième République avaient fort bien compris le sens et l’importance.

        Les chercheurs de ce collectif développent à ce sujet un discours tonitruant qui tendrait à démontrer que l’école laïque de Jules Ferry aurait réussi à modeler l’imaginaire « colonial » des jeunes cerveaux au cours de la Troisième République :

      « Modeler l’esprit des écoliers. Les textes et plus encore les images des manuels scolaires de la 3ème République ont modelé l’esprit de plusieurs générations d’écoliers. » (CC/94)

       Seul problème, les travaux du Colloque savant ne permettaient pas d’en tirer une conséquence aussi simpliste, comme l’historien bien connu Gilbert Meynier le notait lors de ce colloque :

        « L’organisation de la propagande : en fait, sur un échantillon de quatre-vingt-sept manuels d’histoire, la part des colonies reste très modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus (Mémoire de maîtrise, Nancy, 1990)-(IC, p,113)

      « Le même historien joignait à la page 124 une annexe 2 intitulée : « Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire ». Les chiffres concordent avec ceux d’une étude faite par MM. Carlier et Pédroncini.

         Ces derniers auteurs avaient calculé que ce thème représentait quelques pour cents au cours de la période 1870-1940, dans l’enseignement primaire, supérieur, et secondaire.

        Dans les pas de l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, le même collectif faisait un sort au Petit Lavisse, le petit livre scolaire bien connu, mais les espaces consacrés au colonial, en textes comme en vignettes, représentaient dans l’édition de l’année 1930 moins de 5% sur un total de 182 pages : une culture coloniale à 5% ?

      Dans un  article intitulé « Les colonies devant l’opinion publique française », paru dans la Revue Française d’Outre-Mer, numéro 286, l’historien Charles Robert Ageron écrivait en 1990 :

       « L’étude des colonies avait certes déjà sa place dans l’enseignement, mais une place bien minime… Elle ne l’était pas à coup sûr pour forger cette mentalité coloniale ou impériale que souhaitaient les apôtres de l’idée coloniale »

        Il serait tout à fait intéressant d’avoir le même type de statistique  des livres scolaires patronnés par Sandrine Lemaire, et de mesurer les effets d’une déconstruction coloniale supposée. (Chap I, p, 31 à 63- Sup Col.)

       2 – Le cinéma colonial   Le cinéma colonial a-t-il bien existé et quelle place a-t-il occupée dans l’agenda du cinéma français de l’époque coloniale ?

       « Leur discours :

        Sous le titre « Rêver, l’impossible tentation du cinéma colonial » dans le livre Culture Coloniale, et dans la partie consacrée à la fixation d’une appartenance (après 1914) le critique de cinéma Barlet et l’historien Blanchard, en décrivant la situation du cinéma, écrivent :

         « En s’inscrivant dans la construction d’une  identité nationale, le cinéma colonial a de toute évidence puissamment contribué à la conceptualisation d’un  imaginaire en permanente évolution et encore à l’œuvre dans la France contemporaine. Il a surtout touché un vaste public qui, avec ces westerns coloniaux, va découvrir un monde, une épopée, un espace de conquêtes in connu. Une sorte d’initiation à la France coloniale, ludique et romanesque, où les rôles entre les « gentils » administrateurs, colons, médecins, missionnaires, légionnaires… et les « méchants indigènes » rebelles, fanatiques religieux… sont parfaitement répartis. » (CC, p, 122)

      J’ai souligné les expressions grandiloquentes ou trompeuses : « construction d’une identité nationale » : rien que ça !

       « Conceptualisation d’un imaginaire » dans ce cinéma colonial tout à fait limité en productions dans le temps et des espaces visités ?

      « Vaste public », alors que les deux auteurs se sont bien gardés de donner quelques chiffres documentés sur les films « coloniaux », en distinguant les époques, leur champ géographique, Maghreb ou Afrique, ainsi que les chiffres d’entrées de spectateurs qui ont pu être enregistrés dans les cinémas de l’époque.

       Plus loin, les mêmes auteurs écrivent : « La rhétorique du cinéma colonial découle d’un code proprement manichéen. » (CC,p,124)

        Plus loin encore : « Les schèmes coloniaux se déploient souterrainement dans les consciences, s’ancrent en silence dans les mentalités. «  (CC,p,183)

      Rien que cela ! Nous y voilà ! Le ça colonial !

      Ce qui n’empêchait pas le même historien, en 2005 de déclarer en toute cohérence intellectuelle et « sans doute » historique :

      A l’occasion du Cycle « Colonies » au Forum des Images, l’historien Blanchard a eu l’occasion de s’exprimer sur le cinéma colonial. Il y déclarait le 13 avril 2005 :

     « Toutefois il est certain que cette production est en marge du cinéma français, comme porteuse d’une malédiction en rapport avec le contexte de l’époque. Elle est donc peu diffusée, cachée, et même en grande partie « oubliée ».

      Le lecteur aura noté « oubliée », adjectif qui figurait dans le livre Boulanger. »

      Pierre Boulanger avait publié un livre fort bien documenté sur ce sujet, intitulé « Le cinéma colonial de l’Atlantide à Lawrence d’Arabie » (1975).

     Les lecteurs intéressés pourront consulter les pages que j’ai consacrées à cette critique que je concluais ainsi :

      « Et en conclusion, une grave insuffisance de chiffrage des pellicules et de leur audience comparative ! A croire que la nouvelle école de chercheurs est fâchée avec la statistique ! Absence complète d’évaluation de l’écho presse, ou radio à partir de 1935, que ces films ont reçu à chacune des périodes considérées ! » (Chapitre V, page 142, Sup Col)

     Et à partir d’un corpus très modeste, avant tout maghrébin, des affirmations et conclusions dont le lecteur pourra apprécier la pertinence, l’audace, sinon la mystification.

      Cette école de chercheurs a encore beaucoup de chemin à parcourir pour démontrer, et dans la rigueur de la recherche historique et du raisonnement, que le cinéma a été « un acteur de premier plan du mythe en construction de la culture coloniale en France ». »

JPR – TDR

TOHU – BOHU sur le harcèlement sexuel des femmes « Le film « Les femmes du bus 678 » au Caire – de 2011 à 2017 ?

Tohu-bohu  sur le harcèlement sexuel des femmes !

Je rappelle aux lecteurs de ce blog, le petit commentaire que j’avais fait, le 12 juillet 2011 sur un film égyptien qui dénonçait ce comportement au Caire.

En France, en Egypte, aux Etats Unis, et ailleurs, même combat !

Avec une petite morale de l’histoire : l’Occident est loin d’être toujours un modèle d’égalité !

Le film « Les femmes du bus 678 »  (Cairo 678)

De Mohamed Diab

Ou l’énigme du citron ?

Ce film  fort intéressant est bien sûr, et tout d’abord, une métaphore du mouvement multiséculaire d’émancipation des femmes, ici, au Caire,  donc dans le monde arabo-musulman, succédant aux mouvements du même genre qui ont agité le monde occidental, avec la reconnaissance du droit à l’égalité des femmes.

             Il brosse le combat, souvent désespérant, de trois femmes courageuses, dont une particulièrement, qui emprunte quotidiennement le fameux bus 678, qui affronte les regards et les attouchements des hommes, dans des bus bondés  qui facilitent toutes les initiatives de mâles frustrés.

            Si un tel film est représentatif de l’état d’esprit d’une partie de la société masculine cairote, il faudra encore beaucoup de temps, avant que les femmes de ce pays soient respectées comme elles le méritent.

            A lire certaines informations de la presse sur des incidents de « viol » qui ont frappé récemment quelques femmes sur la place Tahir, celle de la Révolution, dite du « Printemps Arabe », ce combat sera difficile.

             Il conviendra en effet de soulever véritablement des montagnes pour que la société dans son ensemble, et les corps constitués, ne soient plus complices de ces « viols », sous le prétexte hypocrite  de réputations mal placées.

       La France n’est pas non plus à l’abri de ce type de violences faites aux femmes : l’an dernier, une femme sur sept aurait fait l’objet d’harcèlement sexuel.

              Et enfin, ne sera pas dévoilé le secret de l’énigme du citron que seuls les spectateurs de ce film auront le droit de découvrir !

             Jean Pierre Renaud

Ballade nostalgique et mélancolique dans la mémoire de l’Algérie Française

 Le 10 janvier 2011, j’avais publié une réaction mitigée sur un film de Nicole Garcia, intitulé « Un balcon sur la mer », film dont le ressort était la nostalgie bien  légitime de leurs héros pour leur Algérie Française, celle d’Oran.

            J’avais relevé que la période de ma vie que fut la guerre d’Algérie dans la vallée de la Soummam, en qualité d’officier du contingent, ressemblait plus à l’Oran de « La Peste » qu’à celle de ce film.

             Cet  été, je suis tombé par hasard sur un magazine du Parisien, daté du 26 juillet 2013, qui contenait un long reportage sur une famille algérienne, binationale, qui partait, comme tous les ans, en vacances à Oran.

                L’article était intitulé :

             « Un été algérien avec la famille Bey

           Chaque année, Mohamed, sa femme Yasmina et leurs enfants retournent au « bled », à Oran. Partisan du président Bouteflika, le patriarche s’inquiète pour l’avenir de son pays. »

         M. Bey déclare « nous vivons en France et nous avons tous la double nationalité franco-algérienne »

           Plus loin : « Mohamed a « tout vécu ». Né en 1937 à Oran, dans l’Algérie Française, cet ancien chauffeur de bus «  a été torturé par les militaires français en 1962, à la fin de la guerre d’indépendance, pour avoir transporté des maquisards. Emigré en France en 1964. Il a eu plusieurs vies, avant de revenir en Algérie quelque temps puis de s’installer définitivement à Epinal, en 1991. »

        Une date qui correspond aux dates de la guerre civile des années 1991-1999, et qui fit, d’après le journal, 200 000 morts.

      Pour avoir servi la France, alors que la première guerre, celle dite d’Algérie, me paraissait inutile, un gâchis, le chemin de vie de M.Bey est le symbole de toutes les contradictions des anciens combattants du FLN qui ont abandonné leur pays quelques années après l’indépendance, l’ont à nouveau abandonné pendant la deuxième guerre civile, et qui de nos jours bénéficient de la double nationalité.

        Les mêmes anciens combattants du FLN qui revendiquent la repentance de la France ?

       Le symbole aussi de toutes les contradictions des groupes de pression et des chercheurs ou pseudo-chercheurs, qui, en France, diffusent ce qu’il faut bien appeler par son nom, c’est-à-dire une propagande « coloniale » sans égale par rapport à ce que fut, aux dires des mêmes chercheurs, la propagande coloniale des années coloniales.

      Il y a décidément de quoi troubler n’importe quel pied noir, ou descendant de pied noir, et tous ceux qui ont, d’une façon ou d’une autre, partagé cette histoire tragique, et nourrir beaucoup plus que de la nostalgie.

     Il y a tout autant de quoi éprouver malaise, sorte de mélancolie profonde, peut-être surprise, pointe de colère, ou pitié, de la part d’un ancien de la guerre d’Algérie qui a servi son pays et qui voit un ancien combattant du FLN abandonner au moins deux fois son pays et vivre aujourd’hui dans l’entre-deux confortable des deux rives.

   Malaise sur le qui était qui et le qui faisait quoi, et sur le qui est qui et le qui fait quoi aujourd’hui dans notre pays ?

       Qui assume vraiment son passé ?

       A l’aune de ce type d’exemple, le débat toujours recommencé, ou toujours rallumé à dessein, sur les mémoires de la guerre d’Algérie, parait bien dérisoire!

Jean Pierre Renaud

CAPES et Agrégation, avec un brin d’impertinence historique!

CAPES et Agrégation, avec un brin d’impertinence historique !

Les sociétés coloniales (1850-1950) : le puzzle de l’histoire coloniale ! 

            Le puzzle historique, un puzzle géant, comme un jeu intellectuel cher à certaines écoles pédagogiques ! Dans le cas présent, celui des sociétés coloniales d’Afrique, des Antilles, et d’Asie entre les années 1850 et 1950 ! C’est peut-être le choix qui a été fait dans la conception de l’ouvrage collectif dirigé par JF.Klein et C.Laux.

            Un puzzle géant composé de nombreuses pièces que les candidats au Capes et à l’agrégation d’histoire sont chargés d’interpréter et de classer selon la définition, soit du Larousse du XXème siècle en six volumes, des années 1930 :

            « Jeu de patience composé d’une infinité de fragments découpés qu’il faut rassembler pour reproduire un sujet complet »

 soit du Petit Robert :

            « Multiplicité d’éléments qu’un raisonnement logique doit assembler pour reconstituer la réalité des faits »

            Un puzzle dont les concepteurs ont peut-être caché certaines pièces, faussé volontairement d’autres, afin de renforcer l’intérêt de ce nouveau jeu.

            Puzzle ou casse-tête matériel ou immatériel,  selon la définition, en deux ou trois dimensions selon les « faiseurs de puzzle », et dans le cas présent, la troisième dimension  présente un réel intérêt, s’il s’agit de la profondeur historique, de la période de temps choisie et de celle des sociétés coloniales antérieures ou postérieures à ce calendrier.

            Et tout autant, le long et le large, s’il convient de limiter ou non le champ géographique du raisonnement, c’est-à-dire pour un cas de société coloniale déterminée dans un espace de temps également déterminé.

            Encore et enfin, pour reprendre le titre d’une des rubriques du livre de Mme Coquery-Vidrovitch « L’histoire des colonisés vus d’en bas » dans « Les enjeux politiques de l’histoire coloniale », est-ce que les pièces de ce puzzle expriment une histoire vue d’en bas ou des histoires d’en bas ?

            Et en ce qui concerne les propositions qui ont été faites par leurs auteurs pour entrer dans la composition de ce puzzle, s’agit-il des sources qu’ils ont exploitées eux-mêmes, ou d’un travail d’historiographie ?

            Les « faiseurs de puzzle » proposent donc de nous intéresser successivement à trois sous-ensembles de pièces de ce puzzle : « Politiques et encadrement des sociétés en contexte colonial », « Acteurs, groupes sociaux, résistances et accommodements dans les sociétés coloniales », et enfin, « Les pratiques culturelles dans les sociétés coloniales ».

            Le puzzle aurait pu tout aussi bien s’organiser autour de trois pôles :

le pouvoir colonial, comme dans une pièce de théâtre, avec quel message, quelle thématique, ou quelle intrigue,

 les acteurs,

le jeu lui-même, convaincant ou non, et pour quel résultat : bide ou succès ?        

             Au cours de leur tentative de recomposition de ce puzzle historique, les candidats à ces concours ne manqueront donc pas de trouver sur leur route d’assez nombreux pièges que leur ont sans doute tendus les concepteurs de cet ouvrage collectif.

            A titre personnel, et avec une formation universitaire différente de celle d’un historien, et uniquement en ce qui concerne les contributions dont les sujets me sont un peu familiers, deux sortes de pièges me sont apparus, les premiers d’une nature générale, les seconds dans quelques-uns des cas particuliers analysés.

I – Quelques pièges de nature générale, en conservant à l’esprit le fil rouge du raisonnement logique qui doit conduire à la réalité des faits :

Grandeurs économiques et financières, statistiques et évaluation : des grandeurs mesurables, fiables, et comparables ?

Il est difficile d’analyser des sociétés coloniales, et encore plus de les comparer entre elles, sans avoir à sa disposition tout un ensemble d’indicateurs statistiques statiques ou dynamiques, en termes de flux, portant sur la démographie, l’économie, les structures économiques et sociales, l’immigration…, et cela en fonction évidemment d’une chronologie, avec toujours l’addition de la situation coloniale et de son moment.

Ajouterai-je que dans un certain nombre de ces sociétés coloniales les séries statistiques disponibles, si elles existent, n’auront pas toujours une fiabilité assurée. Pour ne prendre que l’exemple de l’Afrique occidentale, les chiffres de la population ont mis beaucoup de temps à être connus, ne serait-ce qu’en raison des difficultés concrètes de recensement, et du fait que la population n’avait pas « envie » de se faire recenser, puisqu’elle donnait alors prise aux impôts de capitation.

Une des contributions procède à un long examen des migrations de travail, mais il n’est pas très facile de les interpréter sans disposer de séries statistiques solides et sans les mettre en rapport avec d’autres migrations de travail telles que celles des migrations blanches des mêmes époques, comparables ou non, entre autres, d’origine anglo-saxonne. Etats Unis, Australie, Afrique du Sud, et Nouvelle Zélande ont accueilli tout au long du XIXème siècle des millions d’anglo-saxons, dont une partie, pour les Etats Unis venait de « la colonie »  d’Irlande.

De même, et dans un tout autre domaine, celui de la littérature ou du cinéma qui concernent plus les métropoles que les sociétés coloniales, il est difficile de porter une appréciation sans avoir à sa disposition un certain nombre d’indicateurs tels que le poids de l’édition de type « colonial » par rapport à l’édition de type « métropolitain », nombre d’ouvrages, thèmes, tirages, etc… .. aux différentes époques considérées.

Le même type de remarque méthodologique pourrait être faite pour la presse qui n’a pas, en tout cas à ma connaissance, ou qu’on m’en pardonne, fait l’objet d’un travail d’inventaire et d’évaluation qui permettrait d’affirmer comme l’ont fait certains chercheurs que la France baignait dans une culture coloniale, à une époque coloniale française dont les bornes chronologiques ne sont d’ailleurs pas les années 1850-1950, mais 1870-1960, et de façon plus rigoureuse pour l’Afrique noire, 1900-1960.

Cette thèse n’a pas encore été démontrée, comme je m’en suis expliqué dans le livre « Supercherie coloniale ».

Comment ne pas être surpris, comme je l’ai été, de voir un historien connu autant qu’apprécié, traiter longuement dans un livre de « L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 », sans avoir fait procéder à une analyse statistique de la presse qui accréditerait l’influence effective de cette idée, tout au long de la période examinée ?

Il en est de même pour le cinéma. Dans le cas de la France, le cinéma colonial n’a pas beaucoup concerné l’Afrique noire, et les films diffusés avant 1939, n’ont pas été nombreux.t

En l’absence de chiffres comparables, il est donc difficile de faire des comparaisons !

Aliénation économique ou aliénation coloniale, selon le moment et le lieu ?

Autre remarque générale, liée au concept de situation coloniale, en matière d’entreprise, et donc de capitalisme colonial !

Il est difficile d’analyser une situation aliénée du travail, sans la rapporter à une autre situation aliénée du travail, dans le même continent à une étape comparable de développement, par exemple entre Indochine, Chine ou Inde, ou dans des étapes comparables de développement capitaliste, par exemple en France.

Pour reprendre une expression assez connue que nous trouverons plus loin : comment pouvait-on être coolie en Chine ?

Ordre colonial et truchement colonial

Dernière remarque générale, celle de la place et du rôle, au titre des acteurs et des groupes sociaux, ceux du truchement colonial, qu’on les appelle les lettrés, les évolués, ou les nègres blancs comme ce fut le cas en Afrique noire.

La dissertation intitulée « Ordre et maintien de l’ordre en situation coloniale » évoque le sujet, celui des intermédiaires, mais il est dommage que le texte n’ait pas été plus précis sur ce point, au lieu de perdre un peu le lecteur dans des considérations ou observations au demeurant intéressantes, mais en pratiquant une sorte de télescopage historique qui va des tournées de « maintien de l’ordre » des commandants de cercle aux fonctions des SAS, que j’ai bien connues, en passant au travail du renseignement et à l’évocation du rôle du célèbre Lawrence d’Arabie que l’auteur place gaiement dans une réflexion originale, mais crédible ? relative à une nouvelle stratégie fondée sur l’emploi des désordres dans les sociétés coloniales ?

Diable ! Lawrence d’Arabie revisité à ce point ? Dans quel type de société coloniale ?

Le texte était plutôt engageant au départ, en notant que le nouvel ordre colonial créait « un ordre colonial moins manichéen qu’il n’y parait. » (page126), s’il n’avait pas été un peu trop « tendance », au moins dans sa conclusion, en proposant un mot cher à certains chercheurs, l’impensé, ici, « l’impensée globale du désordre colonial. » (page 131)

Les pièges particuliers du puzzle historique

Dans la première partie, « Politiques et encadrement des sociétés en contexte colonial », les thèmes traités entrainent à l’évidence un grand risque de télescopage historique, de l’échec inévitable et peut-être programmé de la résolution du casse-tête, du fait de la variété des sujets et des époques, et à cet égard, il est possible de se poser la question de l’utilité de la pièce « Vichy » : où la mettre ?

Il manque peut-être à la pièce photographique du port de Tamatave, pour que le puzzle puisse fonctionner, un rapide état des communications à Madagascar,  à la date de 1895, c’est-à-dire le degré zéro.

Dans la deuxième partie du puzzle, « Acteurs, groupes sociaux, résistances et accommodements dans les sociétés coloniales », la pièce « Races et cultures d’entreprise. Travailler chez Denis Frères dans la Cochinchine des années 1930 » doit-elle se rapporter au concept moderne de culture d’entreprise, sans anachronisme ? Alors même que le concept d’analyse ne trouve pas toujours facilement, et même de nos jours, une application dans beaucoup de nos entreprises ?

Afin de pouvoir mesurer toute la relativité de la description, une citation :

« Ces derniers points montrent que « la culture d’entreprise », vue comme un ensemble de codes de reconnaissance dont l’assimilation est nécessaire pour faire partie  d’un groupe est ici biaisée par le rapport colonial. » (page 190)

Questions sur cette pièce du puzzle ? Un rapport colonial différent de celui qui existait dans la Chine voisine ? Différent également de celui qui existait encore dans beaucoup de nos entreprises à des époques de développement comparable en France, avec des salariés en condition aliénée, prolétaire, comparable, entre autres dans nos campagnes profondes, ou dans nos grands bassins industriels ?

Compte tenu de son importance et de sa grande influence, le  groupe de pression des compradors chinois, par ailleurs évoqué, dont la présence était antérieure à celle des Français, pourrait fournir une comparaison intéressante avec la hiérarchie raciale décrite.

Une pièce du puzzle colonial ou capitaliste ?

Dans les années 1930, et en France, il serait sans doute possible de trouver des exemples d’aliénation au travail, qu’il s’agisse des journaliers agricoles, travailleurs précaires,  embauchés à la fête de la Saint Jean, pour combien de temps ? Ou d’ouvriers ou ouvrières dans nos usines textiles ?

Dans la troisième partie, « Les pratiques culturelles dans les sociétés coloniales », quelques remarques sur une des pièces du puzzle, « La promotion sociale des indigènes au sein de la société coloniale à Madagascar, itinéraire du premier évêque malgache, Mg Ignace Ramarosandratana » (page 246)

Tout d’abord, et comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, parmi les pièces du puzzle rapportées aux acteurs, une ou plusieurs pièces sont manquantes relatives au groupe de plus en plus nombreux des intermédiaires de la colonisation et du truchement colonial, les lettrés, les évolués, ou les acculturés.

Dans le cas particulier de l’évêque, l’auteur note dès le départ : « Dans tous les cas, c’est bien l’impasse de la politique d’assimilation qui se révèle » (page 246)

.Je serais tenté de dire tout d’abord, à la condition sine qua non qu’il y ait jamais eu, sauf dans les discours, une politique d’assimilation.

Une deuxième remarque relative à l’intitulé d’une partie de la pièce « Prêtre, une position dans la société coloniale » : n’était-ce pas aussi le cas dans une société qui a priori n’était pas coloniale, la société française des siècles passés ?

Et pourquoi ne pas ajouter qu’à notre époque, il continue à en être encore ainsi, et quelquefois, dans la grande île ?

Troisième remarque relative au contexte de la pièce du puzzle : avant même la conquête de Madagascar par la France, l’île a été un champ de compétition entre missions protestantes et catholiques, une compétition qui continue de nos jours, avec une incidence importante sur le fonctionnement du pouvoir politique, avec quelquefois dans les villages des plateaux la construction d’une église face à un temple.

Difficile donc de ne pas analyser ce facteur, comme la description en est faite, comme un des facteurs importants de la situation politique de l’époque, avec les positions sans doute inévitables de tergiversation ou de manipulation de la part d’une administration coloniale théoriquement férue de laïcité : s’agissait-il d’un enjeu de position sociale ou d’un enjeu du pouvoir colonial ?

Une dernière remarque relative au « Chapitre 7 Sociétés coloniales au miroir de la littérature L’exemple impérial français. »

Nous avons déjà évoqué plus haut la difficulté de l’évaluation à la fois des vecteurs et de l’effet produit sur l’opinion publique par la littérature, alors que les premiers sondages d’opinion publique n’ont eu lieu en France qu’à la veille de  la deuxième guerre mondiale.

Prudemment, l’auteur esquisse les termes d’une approche du sujet, à partir de sa définition, de son évolution, et de son contenu, à savoir s’il s’agit de littérature coloniale ou exotique, et c’est là une partie importante de la question.

Rôle de propagande coloniale ou de contre-propagande coloniale ? à voir le nombre de romans qui n’ont jamais rien caché des réalités coloniales.

Est abordée également la question capitale du regard, avec la transposition du « Comment peut-on être Persan ? Ou comment peut-on être Français », entre civilisés, non civilisés, décivilisés… ?

Quel regard ? Celui du colonisateur ou celui du colonisé ? Le regard inversé du colonisateur, comme ce fut de plus en plus, et semble-t-il, le cas ?

En guise de conclusion d’analyse de ce puzzle historique, nous ferons nôtre le « Pour ne pas conclure » de l’auteur de cette pièce du puzzle :

«  Avec l’Histoire, la littérature en général, et coloniale en particulier, entretient des liens que l’on pourrait qualifier de dangereusement séduisants. Dangereux parce qu’elle n’est pas une duplication des faits historiques, dont elle est en quelque sorte décrochée, par le temps et par les sujets. Séduisants parce que l’on peut y lire l’histoire des projections des écrivains sur cette histoire, avec illusions, rêves, mensonges et témoignages. Souvent caricaturée, la littérature coloniale mérite d’être interrogée de façon renouvelée, comme c’est le cas aujourd’hui, pour la redécouvrir dans toute sa complexité qui témoigne des sociétés qu’elle s’attache à décrire. »

Histoire des idées ou histoire des faits, histoire des lettres ou histoire des chiffres ?

Vaste chantier aussi excitant sans doute sur le plan intellectuel que celui du puzzle dont la recherche de lien logique est proposée aux candidats comme exercice de préparation!

Jean Pierre Renaud

PS : dans les semaines qui viennent, nous proposerons à nos lecteurs et  à nos lectrices, car j’espère qu’il y en a, deux textes consacrés à Charles Péguy, et à Clio,le premier, avec pour thème « l’histoire ou les histoires », le deuxième, avec pour thème « l’Orient ou les Orients » vus par le grand peintre Gustave Courbet.

Humeur Tique: « yeux entrouverts des médias »! Verts de France et Printemps arabes!

   Les Verts et leur respect de la loi :

Le Tribunal de Grande Instance de Paris vient d’annuler la répartition des circonscriptions entre les courants du parti EELV, pour violation de ses propres statuts.

            Où allons-nous si un tel parti, toujours en pleine cuisine électorale, ose violer ses propres statuts, sous le regard de l’ancienne candidate des Verts, ancienne juge d’instruction, et nouvelle héroïne de la moralisation de la vie publique !

            « Printemps arabe » tunisien et libertés, Persepolis :

Une chaine de télévision tunisienne vient d’être condamnée à une amende de 1 200 euros, une condamnation d’un autre « genre », pour avoir diffusé le remarquable film d’animation Persepolis, sur l’Iran.

Une violation de la charia ?

Le « printemps arabe » de la Tunisie serait déjà si loin ?

Humeur Tique : le silence est d’or et le nouveau centre est nulle part !

Le silence est d’or !

            Bravo à l’artiste, et au film « The Artist », puisqu’il a été présenté avec un immense succès dans notre pays, sous ce « label ». Enfin un triomphe de la France, à Hollywood, capitale du cinéma mondial, ça n’est pas si fréquent !

            C’est toutefois, à se demander dans l’overdose actuelle des paroles de la campagne présidentielle, si les candidats n’auraient pas plus de chances d’être « écoutés » en restant muets !

Le nouveau centre de nulle part ?

       A lire les comptes rendus de la presse sur le dernier congrès d’un parti qui s’est dénommé le Nouveau Centre, il n’est pas interdit de s’interroger sur la véritable nature de ce petit parti politique, qui est en double pension financière, à la fois sur un bel atoll du Pacifique et au siège de l’UMP.

 Donc une fois de plus, avec le triste destin d’un plastron politique !