Humeur Tique: L’image d’une France dérisoire face au nouvel empire de Chine. Guéant France 2 et Chine sur Arte

Humeur Tique : L’image d’une France dérisoire face au nouvel empire de Chine !

Une soirée ordinaire, le 30 avril 2013, au journal du soir de France 2, un ancien préfet, et sur Arte, le documentaire de Jean-Michel Carré « Chine, le nouvel empire »

                Au journal de 20 heures, les explications entourloupées  et dérisoires de l’ancien Préfet, ancien ministre, et ancien secrétaire général de l’Elysée sur la provenance d’argent liquide venant d’une vente de tableaux… et l’ancien « filleul » de son ancien grand « parrain » Pasqua de dénoncer la violation du secret de l’instruction, la plus hypocrite foutaise de notre droit.

            De l’argent noir, il y en a toujours eu dans les services de police, et à une époque ancienne, il y avait dans les hautes sphères des dits services, trois sortes de primes, les officielles, déclarées, les officieuses, alimentées par les fonds secrets (2002, la suppression Jospin), et les clandestines dont il serait sans doute intéressant de connaître la source.               

            Existeraient-elles encore ?

            L’ancien préfet aurait mis la main ou les deux mains dans les pots de confiture ?

            Le même soir, Sur Arte, un documentaire historique tout à fait intéressant sur l’histoire de la Chine qu’une grande partie de notre élite semble découvrir de nos jours.

            Il est difficile en voyant ces foules innombrables, graves ou joyeuses, le développement sidérant des villes « multimillionnaires » de Chine, de cette nouvelle puissance du monde, de ne pas être saisi de vertige.

            Il serait bon que nos dirigeants, chaque matin, en se levant, aient cette vision du monde à l’esprit !

           Comme l’indiquait d’ailleurs cet intellectuel chinois, la Chine n’aura même plus besoin d’affronter l’ennemi extérieur traditionnel, étant donné l’écart de puissance qui existera bientôt avec toutes les autres puissances de ce monde.

            Sauf si l’empire de Chine renouait un jour avec son grand passé de luttes internes impériales, avec la naissance de nouveaux « royaumes combattants » idéologiques !

France 2 Envoyé spécial du 7 mars 2013: « Les Branches esseulées: trafic de femmes vietnamiennes en Chine »

France 2 Envoyé spécial du 7 mars 2013 : le reportage intitulé «  Les Branches esseulées : trafic de femmes vietnamiennes en Chine »

Entre Chine et Vietnam, entre 1894 et 2013, la condition des femmes a-t-elle vraiment changé ? Dans le contexte historique de deux Etats Communistes ?

Avec le témoignage du colonel Gallieni, à l’occasion de son deuxième voyage en Chine à Long Tchéou (15-22 juin 1894)

            Après avoir évoqué  le souvenir que Gallieni avait conservé de la condition des femmes d’Indochine lors de son séjour au Tonkin, nous ferons quelques commentaires sur le reportage tout  à fait intéressant de l’émission « Envoyé Spécial » dont le titre a été rappelé plus haut.

            Le colonel Gallieni exerçait alors le commandement des Hautes Régions du Tonkin, à la frontière de l’Empire de Chine, où il s’efforçait tout à la fois d’éliminer les bandes de pirates annamites ou chinois qui troublaient gravement la paix publique de ces régions, et d’obtenir à cette fin la coopération des autorités impériales chinoises, gouverneur militaire, préfet et maire, notamment celle du gouverneur militaire du Quang-Si, le maréchal Sou.

            Il se rendait alors à Long Tchéou pour y rencontrer le maréchal Sou et clore le dossier du tracé des frontières sino-annamites.

            Dans son livre « Gallieni au Tonkin », le colonel racontait son expérience politique et militaire, et en ce qui concerne le voyage évoqué, il décrivait dans le détail le voyage en question.

            Retenons de ce récit uniquement les observations qui avaient trait à la situation des femmes vietnamiennes dans cette province frontalière de la Chine.

Gallieni voulait vérifier par lui- même tout ce qui lui avait été rapporté sur les relations des bandes pirates avec la Chine :

            « Les chefs des bandes les plus importantes… se trouvaient à la tête d’une vaste association, en quelque sorte commerciale, qui avait ses profits et ses pertes. De leurs repaires…. Ils dirigeaient leurs incursions dans toute la haute région, ramassant surtout des buffles, indispensables aux indigènes pour leurs cultures, et des femmes.

Les femmes sont rares dans le Quang-Si… de plus les femmes annamites étant particulièrement recherchées pour leurs qualités d’activité, de travail, d’économie et leurs aptitudes au négoce, les marchands chinois étaient très désireux d’en acquérir pour se faire aider dans leur commerce. Notre consul me fit remarquer plusieurs fois, dans mes visites aux boutiques de Long-Tchéou, la présence de femmes qui, malgré leur costume chinois et leur chignon caractéristique, étaient annamites et avaient été ainsi importées du Tonkin. Beaucoup me disait-il, en général bien traitées, suivant les habitudes chinoises et  se rendant par ailleurs très utiles à leurs maîtres, s’étaient adaptées à leur nouveau genre de vie et ne cherchaient pas à retourner au Tonkin. Mais d’autres regrettaient leur pays et s’adressaient quelquefois à lui pour demander leur rapatriement. C’est ainsi que, en ce moment même, deux femmes annamites s’étaient réfugiées au Consulat, et que, en dépit des réclamations du maire et du Tao-Taï (le préfet), M.Bonis d’Anty avait refusé de les rendre et devait les ramener avec lui, à son prochain voyage à Hanoï.

En échange des buffles et des femmes, les pirates rapportaient au Tonkin de l’opium, avidement recherché par les habitants de la haute Région, et même par les annamites….sous l’œil bienveillant des mandarins chinois. » (page 134)

Commentaire :

Le documentaire diffusé par France 2 sur le trafic de femmes vietnamiennes entre les deux Etats Communistes que sont actuellement le Vietnam et la Chine montre que ce type de dérive éthique persiste, même s’il prend les formes économiques les plus sophistiquées, au prix de 5 000 euros la « tête ».

L’existence même de ce trafic parait tolérée, puisqu’il a lieu dans des régimes politiques très encadrés, pour ne pas dire plus.

Un tel sujet est à replacer dans l’évolution de la condition féminine à travers les âges et les continents,  étant donné que dans la plupart des civilisations et des cultures, la femme n’a presque jamais été traitée comme l’égale de l’homme, et le  plus souvent comme une marchandise.

Dans notre histoire la plus récente, un certain nombre de mariages étaient des mariages de convenance d’intérêt, avec une marchandisation qui ne disait pas son nom.

Les femmes d’Afrique noire ont longtemps été sous le joug d’un régime dotal qui apparentait les mariages à un troc entre une femme et une dot en argent ou en nature.

Il semble que de nos jours, et pour des raisons d’émigration légale, certaines unions entre un citoyen français ou une citoyenne française et un ou une partenaire étrangère, soient aussi des échanges monétaires déguisés.

Les femmes du monde entier auront encore fort à faire pour se voir reconnaître leur dignité pleine et entière, et c’est sans doute l’intérêt de ce documentaire, avec deux clins d’œil ambigus, le titre même du reportage, « les Branches esseulées », et l’aveu fait par des candidats chinois à l’achat d’épouses vietnamiennes, quant à une corrélation qui existerait entre la chaleur de leur pays et la poussée précoce de leurs seins…

Jean Pierre Renaud

Guerre d’Algérie: Galula, nouveau maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire? Sa pertinence?

Gregor Mathias

« David Galula

Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire »

Editions Economica

Lecture critique

&

Volet 1

Le deuxième volet sera publié dans quinze jours

            Les qualificatifs du titre ci-dessus, notamment le troisième, celui de « maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire », et beaucoup d’autres, souvent élogieux, donnés au cours du livre, notamment par des Américains admirateurs de Galula, ont de quoi impressionner, intriguer, interpeller un ancien acteur de la guerre d’Algérie, lecteur aussi des écrits militaires de cette époque, sur cette même guerre, et enfin, au moins autant, ancien lecteur de Sun Tzu, de Clausewitz, de Mao Tse-Tung, de Liddell Hart, pour ne pas citer les noms de Gallieni ou de Lyautey.

            La juxtaposition des deux expressions, ici, la « contre-révolution », et dans la thèse Galula, celle de « contre-insurrection » est, dès le départ source de perplexité, mais la lecture de cette thèse est de nature à nous plonger dans une plus grande perplexité encore, quels que soient les mérites d’une analyse fouillée, exigeante, quelquefois difficile, tellement l’exposé de la  théorie de la contre-insurrection proposée par Galula soulève une multitude de questions et d’interprétations possibles, compte tenu à la fois du terrain algérien qui a été le sien, non loin de la capitale de la Grande Kabylie, Tizi Ouzou, et de la brièveté du temps de pacification qui a été aussi le sien dans le Djebel Aïssa Mimoun, 13 ou 14 mois, selon les décomptes.

            Notre lecture critique s’articulera autour de trois thèmes :

            1 – Le personnage de Galula est un mystère

            2 – La crédibilité de la théorie de la pacification, ou de la contre-insurrection initiée par Galula, avec ses huit étapes, comparée à une expérience comparable de terrain, en Petite Kabylie, sur une période plus longue de 21 mois.

            3 – La crédibilité de cette même théorie, à égalité avec les analyses remarquables d’un officier dont le nom n’est même pas cité dans l’ouvrage, Hogard, ainsi que quelques-uns de ses brillants collègues emportés par la tragédie de l’Algérie Française ?

Une crédibilité qui effacerait les analyses de la guerre proposées par Sun Tzu, Clausewitz, ou Liddell Hart, pour ne pas citer des auteurs français tels que Gambiez ou Beaufre ? Des théoriciens de la guerre auxquels Galula ne parait pas accorder d’importance !

Notre analyse ne portera pas sur la troisième partie du livre « David Galula et la contre-insurrection médiatique », pas plus que sur la cinquième « David Galula et la guerre des ondes », dont la critique du contenu est laissée aux spécialistes, sauf à faire observer que cette analyse aurait pu être rattachée à la stratégie indirecte, très insuffisamment utilisée pendant la guerre d’Algérie. Nous y reviendrons, mais sous cet angle.

L’histoire du vingtième siècle, et celle des avant et des après la deuxième guerre mondiale, des médias nazis et fascistes, de la BBC pendant cette guerre, puis de la Voix de l’Amérique pendant la guerre froide, ont, bien avant la théorie de Galula, laissé suffisamment d’enseignements et de stratégies pratiquées, dont il ne semble pas qu’elles aient retenu l’attention du capitaine dans son livre.

1

Le mystère Galula

            Avant son affectation en Algérie, en 1956, quelques repères !

Sorti de Saint-Cyr en 1940,  rayé des cadres par Vichy, il aurait été agent de renseignement à Tanger entre 1941 et 1943, avant d’être réintégré dans l’armée en 1943. Avec la 9ème Division d’Infanterie Coloniale, il participe en 1944 et 1945 à la campagne de France et d’Allemagne.

De 1945 à 1949, il est attaché militaire à Pékin, et c’est là sans doute qu’il puise une mine d’informations sur la guerre révolutionnaire de Mao.

1949-1950 : observateur des Nations Unies dans une Grèce bouleversée par une grave insurrection communiste.

1951- 1956 : attaché militaire au Consulat de Hong Kong, où il noue des relations précieuses avec des journalistes célèbres tels que John Alsop ou Henri Luce, et avec des membres de la représentation diplomatique américaine.

Affecté en Algérie, il dispose sans doute d’une bonne information sur les guerres révolutionnaires, mais sans avoir acquis l’expérience indochinoise de beaucoup de ses collègues avec lesquels il eut alors à collaborer, les Lacheroy ou les Trinquier, par exemple.

D’après les indications données par ce livre, il ne semble pas que l’intéressé ait jamais servi en Indochine, à la différence de la plupart de ses collègues, alors que la France ne s’est retirée d’Indochine qu’en 1956.

Dans son livre, « Orient Extrême », et à propos de la guerre d’Indochine, le grand journaliste Robert Guillain y évoque l’hécatombe des officiers :

« Sous de Lattre, la guerre consommait déjà une promotion de Saint Cyr par an. Maintenant, nous étions arrivés à trois en deux ans. En cinq mois 250 officiers avaient été tués, et à ce rythme on en serait à 800 pour l’année 1954. » (page 246)

Le capitaine Galula, électron libre en Algérie?

Beaucoup de lecteurs qui, comme moi, ont eu une assez large expérience du fonctionnement des sous-quartiers et quartiers, et des capitaines qui commandaient ces sous-quartiers, seront sans doute surpris de voir un modeste capitaine user de toutes les libertés de contact dont il est fait état dans ce livre, notamment avec des journalistes, mais aussi avec le commandement  civil ou militaire en Algérie.

« Hors hiérarchie militaire » ?

Même en considérant que cette guerre d’Algérie fut d’abord celle des sous-lieutenants, lieutenants, et capitaines !

A titre d’exemple : « Au début de l’année 1957, David Galula envoie des invitations aux journalistes pour venir voir les progrès de la pacification. » (page 108)

Invitations tout à fait étranges de la part d’un capitaine, commandant de sous-quartier !

Le « charisme » de ce capitaine dont il est fait état (page 24) ne peut suffire à expliquer cette situation exceptionnelle d’électron libre au sein de l’armée française.

Peut-être la proximité géographique de Tizi-Ouzou, lieu du commandement de cette zone militaire de Grande Kabylie, est un élément d’explication, mais sans doute insuffisant, en concurrence avec un réseau de relations, des « parrains », qui n’apparaissent pas clairement.

Le capitaine Galula a effectué de 13 à 14 mois de commandement en Grande Kabylie, au cours d’une période 1956-1957, une période plutôt courte, au cours de laquelle l’armée avait déjà largement défini les caractéristiques de la guerre qu’elle entendait mener en Algérie.

L’Algérie Française du capitaine Galula ?

Là est peut-être la clé de l’énigme Galula et de son succès auprès des Américains.

Le capitaine s’est tout d’abord engagé dans la défense de l’Algérie Française, telle que racontée, mais l’itinéraire qu’il suit après n’est pas clair, sauf qu’à la différence de beaucoup de ses collègues, en pointe intellectuelle sur les mêmes sujets de guerre contre-révolutionnaire ou de guerre psychologique, « épurés » par le gouvernement du général de Gaulle, il survit et rend des services dans une autre configuration militaire et politique.

Question : est-ce que la pléiade d’officiers, souvent brillants, nouveaux théoriciens de la guerre révolutionnaire, comme ils l’avaient dénommée, écartée de l’armée française, avait quelque chance de voir leur expertise être sollicitée par les Etats Unis ?

Il est permis d’en douter dans le contexte politique très sensible de l’époque, et c’est une interprétation que semble retenir M.Mathias.

Un électron libre avec l’éclairage du commandant Guillermaz 

Le capitaine Galula  servit en Chine, dans les années 1945-1951, sous les ordres du commandant Guillermaz qui avait alors la responsabilité des services de renseignement militaire à Pékin.

Dans son livre « Une vie pour la Chine », la commandant Guillermaz cite à plusieurs reprises le nom du capitaine, avec des commentaires élogieux.

Il raconte notamment l’expédition que fit le capitaine, en 1947, à travers une Chine bouleversée par la révolution communiste. Il fut fait prisonnier à deux reprises, eut la chance d’être libéré, et de pouvoir rejoindre le commandant Guillermaz pour effectuer, avec lui cette fois, une longue reconnaissance en Chine.

Le capitaine avait donc incontestablement l’esprit d’aventure, mais ses fonctions dans un service de renseignement, dans des conditions de discipline très différentes de la hiérarchie militaire habituelle, faite d’initiatives et de relations avec le monde extérieur, chefs de guerre, diplomates, ou journalistes, expliquent sans doute ses pratiques « dérangeantes » du commandement militaire, et la grande liberté de manœuvre qui fut la sienne en Algérie.

D’autant plus que le commandant Guillermaz, promu colonel, commanda, en 1957, au cours de la même période que celle de Galula, le 9ème Régiment d’Infanterie Coloniale à Dra El Mizan, dans la même zone géographique et militaire de Tizi- Ouzou.

Comment ne pas penser que cette forme de « cohabitation militaire » assez proche ne donna pas au capitaine un supplément de coudées franches, de relations, et de contact que celles d’un commandant « standard » de sous-quartier ?

Il conviendrait d’en savoir plus sur les contacts qui ont pu exister entre les deux officiers, mais à lire au moins un des témoignages, celui du colonel Guillermaz, sur son commandement en Algérie, il est possible de penser, qu’ils ne partageaient peut-être pas la même analyse du dossier algérien.

Le témoignage Guillermaz :

« Se posa alors la question de mon affectation. Le général Ely me demanda de retourner à Bangkok pour y prendre un poste à l’OTASE, dont les organismes militaires se mettaient peu à peu en place. Mais nommé colonel, je tenais à retourner au moins pour un temps dans la troupe et à prendre le commandement d’un régiment en Algérie. Finalement, le général Salan m’y confia le commandement du 9ème régiment d’infanterie coloniale, installé en Kabylie entre la mer, la forêt de la Mizrana et la chaine du Djurdjura, PC Bordj -Ménaïel. Le secteur, calme au nord de la route Alger-Tizi-Ouzou qui le coupait en deux, était beaucoup moins sûr dans sa partie sud où nos compagnies, installées en gros postes sur les crêtes, dominaient les maquis d’Ali Bounab, vieille zone refuge de tous les dissidents depuis la conquête romaine. Etonnantes continuités de l’histoire ! Il m’arriva à cette époque de relire Count Belizarius de Robert Graves, un de mes auteurs préférés. J’y retrouvai beaucoup de nos problèmes : Vandales et surtout Numides menant une guérilla insaisissable, difficultés de protéger les colons romains, insécurité des routes, indifférence de l’empereur de Constantinople aux demandes de renforts. Dans les deux cas la guerre devait se terminer par le renoncement de la métropole.

Personnellement, j’éprouvais estime et sympathie pour la population kabyle, laborieuse et grave, des villages et des mechtas de mon secteur, mais le monde musulman était trop loin du monde asiatique pour m’attirer vraiment. Son histoire, sa mentalité, ses habitudes, m’étaient également trop peu familières.

Je fus aussi rapidement déçu par notre politique hésitante mais dont, après l’abandon de nos protectorats sur la Tunisie et le Maroc, il était aisé de prévoir l’aboutissement. Notre prétention de mener « une guerre révolutionnaire », dont Mao Tse-Tung pouvait apparaître faussement comme l’inspirateur, me semblait absurde. Tout en empruntant à la guerre révolutionnaire quelques procédés de contrôle de la population ou d’action psychologique, nous menions au contraire, compte tenu des réalités ethniques et des aspirations des Algériens au nationalisme, une guerre contre-révolutionnaire, sans bases idéologiques ou politiques certaines. Enfin, puisque l’administration civile, aux mains d’un sous-préfet, avec lequel je m’entendais bien, m’échappait largement, il me semblait qu’elle dût se charger de toutes les missions et responsabilités non militaires y compris les moins agréables. Ce n’était pas le point de vue du général commandant la zone qui regroupait huit secteurs dont le mien. Mais, s’il avait raison, nous devions alors faire la guerre en respectant toutes les entraves légales d’un pays faussement réputé en paix et cela conduisait parfois sur le terrain à d’ubuesques absurdités. La situation devait s’améliorer un peu avec le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, mais j’avais quitté l’Algérie et l’armée active quelques jours plus tôt, pour me consacrer totalement aux affaires chinoises dans un cadre universitaire. » (pages 268 et 269)

2

Une théorie de la contre-insurrection crédible ?

A-   La théorie

             « En l’absence de toute doctrine, D.Galula conçoit lui-même les étapes de la contre-insurrection, qu’il décrit dans son ouvrage théorique. » (page 39)

  « Les huit étapes de la contre-insurrection au Djebel Aïssa Mimoun. »

Donc, une ambition de programmation chronologique de la pacification sur un terrain plus tactique que stratégique, car il convient de rappeler qu’un sous-quartier de Grande Kabylie avait des dimensions géographiques  très modestes, celles d’un « timbre-poste ».

Notre propos reprendra succinctement les éléments de ces étapes, en indiquant après chaque étape, l’appréciation de leurs résultats qu’en a faite M.Mathias dans ses conclusions, d’étape, ou générale.

Indiquons, dès le départ, qu’il existait bien alors, une doctrine de la contre-insurrection !

Etape 1 : « concentrer suffisamment de forces », c’est-à-dire ? Car dans l’analyse Galula, le propos n’est pas clair, « il faut mouiller la population », on est loin de la doctrine stratégique ou même tactique du concept de concentration des forces militaires, alors que l’opération Jumelles (1959-1960), en Kabylie, a effectivement constitué une première phase nécessaire de concentration et d’action des forces sur celles des rebelles, avec pour but, leur destruction, ce qui a été fait.

Est-il besoin de signaler qu’en tout état de cause elle ne pouvait être conçue ou mise en œuvre qu’au niveau d’un grand commandement, au minimum d’un secteur, et mieux d’une grande zone militaire, telle que la Kabylie, et pas dans un modeste sous-quartier, ce que confirme bien l’appréciation ci-après.

Appréciation Mathias : « La première étape concernant la concentration des troupes ne dépend pas de son niveau, mais des échelons supérieurs. » (page 163)

Etape 2 : « Affecter un volume de troupes suffisant pour empêcher tout retour en force des insurgés et installer des unités dans chaque hameau »

Une deuxième étape techniquement possible, à la condition que les bandes rebelles, et leurs sanctuaires aient été anéantis, mais avec la réserve qu’avait bien relevée le colonel Nemo et sa distinction majeure entre « les postes de combat fixes et les équipes-choc… chargées des missions mobiles. », c’est-à-dire, ce que furent effectivement les « commandos-chasse » dont l’efficacité fut grande dans cette deuxième phase de pacification.

En 1956, 1957, le capitaine Galula ne disposait pas des moyens militaires nécessaires, et en tout état de cause, ce type d’organisation dépassait ses compétences.

Arrêtons- nous un instant sur le rapprochement qui est proposé par l’analyse entre le travail du capitaine et celui de Gallieni et de Lyautey, lorsqu’ils définirent et mirent en œuvre leur tactique de la « tache d’huile ».

Le commandant Hogard utilise la même expression dans un de ses articles, pourquoi pas ?  Mais en ayant bien conscience que dans le sens algérien, l’expression avait inévitablement un autre sens, tant les périodes, le terrain, le contexte, et les moyens étaient différents, qu’il s’agisse des Hautes régions du Tonkin pour Gallieni (1894), ou de Madagascar pour Lyautey (1899).

Ajoutons que si Gallieni a été dans l’obligation de traiter le facteur « indirect » de la Chine, ce ne fut pas le cas de Lyautey, et à ce point de vue, le « modèle » de pacification proposé ne tient pas assez compte de ce facteur de stratégie indirecte qui a été capital dans la guerre d’Algérie, le Maghreb, l’Egypte, le Tiers Monde, les Etats Unis et l’URSS, mais tout autant la métropole.

Pour avoir été témoin et  acteur de cette deuxième phase mise en œuvre après l’opération Jumelles dans le sous-quartier de Vieux Marché – Chemini, la dispersion des moyens de la compagnie du sous-quartier dans plusieurs postes n’a été possible qu’après l’opération Jumelles, et elle n’a pas donné de garanties suffisantes de succès dans les phases ultérieures.

Ajoutons enfin que l’idée d’occuper chaque hameau était curieuse, alors que l’armée n’a jamais été en mesure d’installer un poste dans chaque village, et que cette installation n’aurait pas apporté de solution à la pacification.

Appréciation Mathias : « Cette étape n’atteint donc pas son objectif »

Etape 3 : « Nouer des liens avec la population et contrôler ses mouvements pour briser les liens avec la guérilla »

Incontestablement, la clé du problème, mais il était nul besoin d’un Galula pour avoir cet objectif en tête, et beaucoup d’officiers avaient également cet objectif, notamment tous ceux qui avaient combattu contre le Viet – Minh, ou qui avaient, au moins, quelques notions de la guerre révolutionnaire prônée par Mao Tsé-toung.

Les « bonbons » qu’avait le colonel dans sa poche pour adoucir son contact avec la population ont évidemment de quoi nous faire sourire, mais le véritable défi que la population lançait à l’armée française, était celui de son contrôle total, c’est-à-dire inévitablement de type totalitaire, avec quel objectif, quelle idéologie, pour ne pas dire quel idéal national ?

Appréciation Mathias : « Mais M.Galula exagère son action quand il donne un bilan chiffré de son action… Cette troisième étape est pourtant un succès : Galula semble avoir réussi à rassurer la population. Sa compagnie bénéficie de l’aide et du soutien de la SAS pour aider la population. Si le contrôle de la population est réussi dans les villages, il échoue en revanche sur les contrôles des déplacements de cette population ». »

Etape 4 : « « Détruire l’organisation politique locale des insurgés. »,

 c’est-à-dire l’OPA du FLN

            Une séquence politico-militaire qui ne peut venir en séquence, après la trois ou la deux, mais concomitamment avec la 2 et la 3.

Cette étape mélange les opérations de destruction de l’OPA et une action continue de contre-propagande, mais il faut reconnaître que les actions de contre-propagande menées par l’armée n’ont jamais été très efficaces, comme le signale le capitaine, mais pour des raisons de fond que nous examinerons plus loin.

Car, comme indiqué, seule une conception de guerre totale, à tous les niveaux, et dans le cadre d’une unité de commandement stricte, était de nature à priver les insurgés de toute chance de succès, ce qui ne fut pas le cas.

En tout cas, l’idée qui conduisit un subordonné à faire blanchir les maisons de certains villages kabyles dénotait une totale méconnaissance des mœurs kabyles, en même temps que de leur habitat traditionnel pittoresque.

Appréciation Mathias : «  La quatrième étape qui consiste à détruire l’OPA est un succès initial à court terme, mais un échec à long terme. »

Etape 5 : « Organiser des élections locales pour désigner de nouveaux dirigeants provisoires »

L’analyse que fait Galula du processus administratif et politique qu’il dit avoir mis en route dans son sous-quartier est plutôt confuse entre les délégués nommés par l’administration préfectorale, puis l’élection de conseils municipaux, de même que celle des rôles respectifs du capitaine et du chef de SAS.

En revanche, la même analyse montre bien toute la difficulté qu’il y avait à trouver des interlocuteurs « valables », et encore moins ceux que le capitaine appelle les « loyalistes »

Une élection municipale ne pouvait être organisée qu’au terme d’un processus de pacification long et crédible, et en n’ayant pas l’illusion de voir élus des conseillers ou un maire de type « loyaliste », loyaliste à quelle autorité ?

Enfin, ce type d’initiative et de prise de responsabilité n’entrait pas dans la compétence d’un commandant de sous-quartier, mais dans celle d’un officier SAS.

Et il conviendra de revenir sur la problématique générale de la pacification ou de la « contre-insurrection ».

Appréciation Mathias « La cinquième étape de désignation des nouveaux élus est clairement un échec, malgré les efforts de l’armée, de la SAS et de la préfecture. »

Etape 6 : « Tester la fiabilité des dirigeants en leur confiant des missions précises. Remplacer les mous et les incompétents, et distinguer les bons. Organiser des unités défense passive. »

Très beau programme, mais on ne voit pas pourquoi il s’inscrit dans cette chronologie, une sixième étape, alors qu’il est partie intégrante de la phase 2.

Une étape qui n’est de toute façon réalisable que dans une conception totale de la guerre contre-révolutionnaire, c’est-à-dire avec une perspective de sortie politique crédible, ce qui n’a pas été le cas en Algérie.

La citation de Galula qui aurait été faite par référence à la saga de Lawrence d’Arabie, pendant la première guerre mondiale, pour soulever les Arabes contre les Turcs, est difficile à comprendre, tant la chanson de geste de guerre, tout indirecte, de Lawrence d’Arabie, n’avait rien à voir avec la situation de la pacification en Algérie, mais soit !

Appréciation Mathias : «  La sixième étape, qui consiste à tester la fiabilité et l’efficacité des élus et à impliquer la population dans le maintien de l’ordre, est un échec. »

Etape 7 : « Regrouper les dirigeants au sein d’un mouvement politique national et les former »

National, c’est-à-dire ? Un qualificatif très ambigu, qui n’a jamais trouvé de traduction concrète, qu’il s’agisse de la fameuse troisième force toujours introuvable, ou du mythe de l’intégration défendue par les officiers de l’Algérie française.

Galula passe de son niveau local au niveau national, pour proposer quoi ? Ce n’est pas clair du tout !

Intégration contre indépendance ? Alors que l’intégration était un mythe ?

Appréciation Mathias : « La septième étape, qui consiste à former un mouvement politique national, est soutenue par D.Galula localement… Mais en raison de l’incompétence, de la passivité et du noyautage des élus locaux, ce mouvement ne peut qu’échouer à long terme avec le départ de son initiateur et en raison de l’échec de l’étape précédente. »

Cette étape n’était, de toute façon, pas du ressort d’un petit capitaine de sous-quartier !

Etape 8 : « Rallier ou neutraliser le reliquat des insurgés »,  la dernière étape d’une pacification « heureuse » ?

Appréciation Mathias : « Cette étape est donc un succès à très court terme, mais un échec à long terme, comme le montre la détérioration de la situation, après le départ de D.Galula, avec le retour de l’ALN »

Conclusion générale Mathias :

« Sur les huit étapes de la Contre-Insurrection prônées par D.Galula et appliquées au Djebel Aïssa Mimoun : une étape a un succès indéniable (la troisième étape : rassurer, aider, contrôler la population), trois autres étapes sont des succès à court terme et des échecs à long terme (les deuxième, quatrième et huitième étapes, une unité dans chaque hameau, la lutte contre l’OPA et l’ALN), deux étapes sont des échecs (les cinquième et sixième étapes : désigner et tester la fiabilité, ainsi que l’efficacité des élus), deux étapes ne relèvent pas dans sa compétence et n’ont pas une efficacité avérée (les première et septième étapes : concentrer des troupes et former un mouvement politique national). »

B – La pratique

Il convient  tout d’abord de saluer le travail d’ un historien qui a l’ambition d’analyser, de démonter, de critiquer, et donc d’évaluer, un exercice politique et militaire aussi difficile qu’une expérience de pacification pendant la guerre d’Algérie, une véritable analyse de cas militaire qui suppose d’avoir en mains tous les éléments d’information utiles et nécessaires, au niveau modeste de commandement d’un sous-quartier, et sur une période très courte.

Canevas de pacification ou théorie de la contre-insurrection ?

Pour avoir été un des  acteurs d’une expérience de pacification comparable, à Vieux Marché, en Petite Kabylie, dans les années 1959-1960, il parait possible de porter un jugement sur ce que j’appellerais plus volontiers le canevas de pacification de M.Galula, qu’une théorie de la contre-insurrection.

Il s’agit, en effet, beaucoup plus d’un canevas tactique de pacification, d’ailleurs contestable, dans l’ordre proposé de ses « huit étapes », que d’une théorie de contre-insurrection, et le fait que cette dernière ait connu un succès auprès des généraux américains ne peut que susciter étonnement et perplexité.

M.Galula a mis le doigt sur certains points sensibles de la pacification, mais dans un cadre tactique et stratégique incomplet, qui n’était pas celui de la guerre d’Algérie, car un processus  de pacification ne pouvait fonctionner de la façon décrite dans le Djebel Aïssa Mimoun.

Dans sa durée, 13 ou 14 mois d’action, en laissant croire qu’il ait été possible d’obtenir des résultats sérieux et stabilisés dans un délai aussi court ?

Avec un commandant de sous-quartier que se mêlait de tout, de la pacification militaire, des écoles, des affaires civiles qui étaient de la compétence de la SAS, notamment de tout ce qui touchait aux élections, allant jusqu’à demander à ses subordonnés d’aller assister aux conseils municipaux pour contrôler leur bon fonctionnement ? Et le capitaine aurait été capable dans un délai aussi court de mettre en place des conseils municipaux et de faire élire des maires ? Ce canevas ne s’inscrit pas suffisamment dans un cadre chronologique rigoureux et précis.

Et le canevas Galula mélange les niveaux de compétence entre un modeste échelon de sous-quartier et les échelons supérieurs du commandement civil et militaire, notamment en esquissant une réponse politique dans l’étape 8, celle du mouvement politique national.

Une question qu’il conviendra d’aborder plus loin.

La situation politique et militaire ?

La tout première séquence (étape 1) aurait dû porter sur l’analyse de la situation du sous-quartier, générale et militaire, l’état des forces dans le secteur, et hors des limites géographiques étroites d’un sous-quartier, nature et rapport entre forces rebelles et forces armées, en notant que notre armée n’était pas adaptée à ce type de guerre plus nationale que révolutionnaire, et que les soldats du contingent qui débarquaient dans le bled ,dans le djebel , n’avaient pas besoin de dessin pour réaliser aussitôt que l’Algérie n’était pas la France.

Les vrais théoriciens de la guerre sont d’ailleurs tous partis d’une analyse de la situation.

Comment penser qu’un canevas de pacification tiré d’une expérience limitée, à tous points de vue, puisse être représentative de la pacification en général, alors que les situations algériennes n’avaient souvent guère de points communs, entre les côtes vivant à la française, leurs villes, en contraste avec le bled et le djebel, entre incontestablement, des douars encore attachés à la France et d’autres passés dans le camp rebelle, comme c’était le cas dans le douar des Béni Oughlis, à Vieux Marché – Chemini.

Dans quelle chronologie efficace ?

La chronologie des étapes de la pacification ne pouvait guère être différente du schéma suivant,  qui a assez bien fonctionné concrètement, dans le sous-quartier de Chemini, sauf à remarquer que le cadre stratégique de ce schéma n’a jamais bien fonctionné, indépendance contre intégration, avec toute l’ambigüité du mythe de l’Algérie Française.

Nous verrons d’ailleurs plus loin que les théoriciens de la guerre révolutionnaire, notamment le commandant Hogard, mettaient en avant, comme conditions de réussite, la volonté (voir Clausewitz), la destruction des forces ennemies, et une action intégrée et combinée de toutes les autres actions de pacification qui avaient pour but de reprendre en mains la population, de lui redonner confiance, le facteur numéro 1 de réussite, donc la population, la population…

Une fois examinée la situation (étape 1), l’étape 2 : concentration des forces, c’est-à-dire une opération Jumelles, comme ce fut le cas en Kabylie, une grande opération de type stratégique et tactique durant le temps qu’il fallait, afin de détruire les katibas de la willaya 3, ainsi que leurs bases refuges, telle celle de la forêt d’Akfadou. Cette étape n’était évidemment pas du ressort d’un sous-quartier.

Etape 3, objectif : la population, grâce à une action à la fois militaire et civile de pacification (comme l’indiquait Hogard) : militaire avec un processus minimum de dispersion dans quelques postes clé, la destruction des restes des forces rebelles grâce à des commandos-chasse, et parallèlement la destruction de l’OPA des villages ; civile, avec la scolarisation, l’action médico-sociale, les travaux de reconstruction, la mise en place de délégués spéciaux des communes, et enfin, l’élection de conseils municipaux, avec effectivement tout le problème de la fiabilité de ses membres.

Car cette élection ne réglait rien à partir du moment où la France hésitait entre plusieurs politiques, notamment entre l’indépendance et l’intégration.

De Gaulle, en proposant aux Algériens le choix de l’autodétermination a ouvert un boulevard aux partisans de l’indépendance, étant donné que la France n’a jamais été en mesure de susciter une véritable troisième force algérienne, et convaincu les Algériens du sérieux du choix de l’intégration.

Ce type de débat concret et théorique fait ressortir plusieurs points que la doctrine révolutionnaire, notamment celle de Mao Tsé-toung, avait mis en valeur, le contrôle de la population, sans avoir peur de sa dimension totalitaire, mais en proposant un mythe révolutionnaire à réaliser, bien avant Galula, et alors que ce dernier avait pu se familiariser avec cette doctrine lors de ses séjours en Chine.

Le déroulement des nouveaux conflits révolutionnaires a fait également apparaître toute l’importance des opérations de stratégie indirecte telles que décrites dans les œuvres de Liddell Hart, la victoire ne pouvant procéder que de l’annihilation des forces étrangères qui soutenaient la rébellion. Est-ce que le Viet Minh aurait pu gagner la population à sa cause, sans l’appui de la Chine et de l’URSS ? Et dans le cas de l’Algérie, la Tunisie et le Maroc ont apporté un appui précieux à la cause du FLN.

Or dans les enjeux limités de la pacification décrite par Galula peu de facteurs dépendaient du capitaine, commandant de sous-quartier, et beaucoup du commandement supérieur, civil et surtout militaire d’alors, et en définitive du gouvernement français.

Tout cela dépassait très largement le champ d’une tentative de pacification très localisée, intéressante, mais très insuffisante, tant en termes de processus, de contenu, et donc de portée tactique et stratégique.

Jean Pierre Renaud

Gallieni et Lyautey, ces inconnus. Tonkin 1894, Gallieni en Chine chez le maréchal Sou

Gallieni et Lyautey, ces inconnus.

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Tonkin

5

1894, Gallieni en Chine : son premier voyage en Chine chez le maréchal Sou, le commandant militaire de la province du Quang-Si

            En 1892, lorsque le colonel Gallieni fut affecté au Tonkin, après avoir servi pendant de longues années, en Afrique de l’Ouest, au Soudan,  la retraite des troupes françaises devant les troupes chinoises, à Lang Son, en 1885, à une des portes de la Chine, était déjà du passé.

Par le traité de Tien- Tsin, signé la même année, la Chine avait reconnu la tutelle de la France sur le royaume d’Annam, et au fur et à mesure des années, le delta du Tonkin, partie la plus peuplée du royaume, fut pratiquement pacifié à l’exception de la petite zone du Yen-Thé, proche du 2ème Territoire Militaire, dont Gallieni allait prendre le commandement.

            Gallieni avait reçu la mission de pacifier la Haute Région du Tonkin, à la frontière de la Chine, dans sa province du Quang-Si, dont le maréchal Sou était le commandant militaire.

            Une très grande insécurité régnait dans cette région, habitée par les Mongs et les Thos, faite de massifs élevés et déchiquetés, coupés de vallées profondes, dans un paysage montagneux sauvage que Lyautey représenta fort bien dans les nombreux croquis qu’il a réalisés, car Lyautey était un fin dessinateur.

            Au-delà de l’évocation de sa mission de pacification dont il rend compte avec minutie dans son livre, celle de ses voyages en Chine est tout à fait intéressante. Elle nous ouvre en effet une fenêtre historique sur la Chine de l’époque, laquelle avait conservé beaucoup des attributs de sa puissance passée, tout en s’engageant dans la voie de la modernité occidentale.

Gallieni écrivait :

« Il ne se passait guère de jour sans que nous ayons à enregistrer des attaques de poste, de convois, des assassinats de courriers, d’habitants, des villages incendiés, etc. » (G/p, 25)

            Plusieurs bandes de pirates avaient mis ce territoire en coupe réglée, sans qu’on ne sache jamais s’il s’agissait de pirates annamites ou de pirates chinois.

            Gallieni décrivait fort bien cette situation :

            « Les Chinois savent ce qu’ils font en favorisant la piraterie au Tonkin : ils l’éloignent ainsi de leur territoire. Tous les malandrins des frontières savent qu’ils pourront piller, voler et tuer à leur aise au Tonkin, et transporter ensuite, en toute sécurité, leur butin, femmes, buffles, riz en Chine, mais à condition d’épargner leurs compatriotes chinois. Les mandarins de cette partie du Quang-Si favorisent la piraterie, parce qu’ils en vivent… » (G/p,30)

            « Les chefs des bandes les plus importantes, les Ba-Ky, Luong-Tam-Ky, Luc-A-Song, A-Coc-Thuong, etc… se trouvaient à la tête d’une vaste association, en quelque sorte commerciale, qui avait ses profits et ses pertes. De leurs repaires, situés surtout dans le 3ème Territoire militaire et dans cette région qui s’avançait en coin entre le 2ème et le 3ème Territoires, ils dirigeaient leurs incursions, dans toute la Haute Région, ramassant surtout des buffles, indispensables aux indigènes pour leurs cultures, et des femmes.

Les femmes sont rares dans le Quang-Si, ou tout au moins dans la partie méridionale de cette vaste province où, me disait-on à Long -Tchéou, on comptait à peine une femme pour cinq ou six hommes ; de plus, les femmes annamites étant particulièrement recherchées pour leurs qualités d’activité, de travail, d’économie et leurs aptitudes au négoce, les marchands chinois étaient très désireux d’en acquérir pour se faire aider dans leur commerce. Notre consul me fit remarquer plusieurs fois, dans nos visites aux boutiques de Long-Tchéou, la présence de femmes qui, malgré leur costume chinois et leur chignon caractéristique, étaient annamites et avaient été ainsi importées du Tonkin…

            En échange des buffles et des femmes, les pirates rapportaient au Tonkin de l’opium, avidement recherché par les habitants de la Haute région, et même par les Annamites du Delta. Mais pour se procurer cet opium ainsi que les fusils et cartouches qui leur étaient nécessaires, les chefs de bande avaient besoin d’intermédiaires : c’étaient précisément les honnêtes marchands de soie, au souvenir si prévenant, que je visitais ce jour-même…

C’était bien une véritable entreprise commerciale qui s’exécutait sous l’œil bienveillant des mandarins chinois, qu’on aurait certainement trouvés également à l’article dépenses, si on avait pu consulter d’un peu plus près les registres en question. » (G/p, 134)

En mars 1894, le colonel Gallieni se rendit donc en territoire chinois pour y rencontrer le maréchal Sou, commandant des troupes chinoises de cette province, et à Long-Tchéou, son chef- lieu, le Tao-Taï,  c’est-à-dire le préfet de cette même province, ainsi que le maire de Long-Tchéou, afin de mettre au point le dossier définitif de l’abornement de la frontière qui arrivait à son terme, et de tenter d’obtenir la neutralité de la Chine à l’égard des fameuses bandes pirates qui dévastaient encore la Haute Région.

Dès l’entrée en Chine, l’impression était bonne, avec des villages propres, mais des villes sales, où l’on sentait partout une odeur nauséabonde d’excréments et d’ordures.

Premier contact avec le maréchal Sou :

« Nous nous débarrassons de nos vêtements de voyage, revêtant nos uniformes de petite tenue, et, par une rue très étroite, précédés de plusieurs réguliers à hallebardes et suivis d’une foule de curieux, nous parvenons à la Pagode des Mandarins, où nous sommes reçus avec tout le cérémonial cher aux Chinois, dont nous avions déjà eu un échantillon dans la matinée.. Des soldats à casaques rouges, armés de fusils à répétition de modèles divers, ou porteurs de drapeaux, forment la haie dans une première pièce à l’extrémité de laquelle Sou vient au- devant de nous, la main tendue. Il nous salue à la chinoise, les poings levés à la hauteur du visage et nous conduit aussitôt sur des sièges élevés, disposés autour d’une deuxième salle, près de petites tables supportant des tasses de thé, sans sucre, à la mode chinoise.

Le maréchal Sou ne dément pas l’excellente impression qu’il avait faite, jusqu’à ce jour, sur tous les Européens qui avaient pu l’approcher. C’est un homme grand, vigoureux, de belle prestance, avec la tête assez petite, le visage plein, sous la calotte de soie des mandarins de rang élevé. Ses yeux sont vifs et intelligents ; ils regardent bien en face. Il porte avec aisance un élégant costume de soie rose et jaune.

Nous sommes tout de suite en confiance. » (G/p,34)

Plusieurs sujets sont abordés au cours de ce premier entretien, la piraterie, le réseau télégraphique et le chemin de fer de Lang-Son qui intéressent les Chinois, et enfin le dossier de l’abornement de la frontière entre Chine et Tonkin.

« Puis, nous passions à table où nous attendait une copieuse collation. Les mets étaient servis à la mode chinoise ; nous leur fîmes honneur sans aucune contrainte. La boisson offerte était du champagne, mais de qualité médiocre. Sou continua, pendant le repas, à nous entretenir de questions diverses, développant sur beaucoup de sujets, notamment au point de vue des cultures du pays et des aptitudes commerciales des Chinois, des idées réellement intéressantes à entendre. Bref, nous nous séparâmes très satisfaits l’un de l’autre, en nous donnant rendez-vous pour le surlendemain à Long-Tchéou (le chef- lieu de la province). Avant de partir, il exigea que nous emportions avec nous des pièces et poteries chinoises que nous avions admirées en entrant et qu’il remit, malgré notre refus, à l’un de nos boys.

Telle fut ma première entrevue avec le maréchal Sou. Depuis, nous nous revîmes bien souvent et nos relations devinrent de plus en plus étroites. De véritables liens d’amitié s’établirent entre nous. » (G/p,35)

Par souci de sécurité et de conservation des secrets militaires, les Chinois ne permirent pas au colonel de se rendre à à Long-Tchéou par la belle route large et stratégique qui existait, mais par de mauvaises pistes.

Il découvrit la ville chef-lieu, accompagné du consul de France, M.. Bons d’Anty :

« Long-Tchéou présente l’aspect de toutes les villes chinoises : rues étroites, pavées, d’une saleté et d’une odeur repoussantes, bordées de nombreuses boutiques parmi lesquelles dominent les boucheries, rôtisseries pâtisseries. Tout cela sent la viande faisandée, l’huile, la graisse rance et l’ordure. »

Il y rencontra le Directeur des Douanes qui y était domicilié, car il convient de rappeler ici que les douanes chinoises étaient contrôlées par les nations occidentales, en garantie des emprunts que le gouvernement de Pékin avait contractés auprès d’elles.

Les visites officielles du colonel et du consul s’effectuaient dans des chaises à porteur.

Au cours de ces visites, le colonel eut l’occasion de visiter la jonque de Canton, et nous évoquons cette visite pour illustrer la vie qui était celle de la Chine de la fin du dix-neuvième siècle :

« Nous visitons une grande et belle jonque chinoise, d’une trentaine de mètres de long, qui fait le service de Canton. Le bateau est bien aménagé, avec salon, cabines relativement propres. Le commandant du bateau, un Chinois de pure race, nous reçoit très courtoisement, nous offre la tasse de thé traditionnelle et nous donne des renseignements utiles sur les voyages qu’il accomplit. Il met en moyenne, quarante – cinq jours pour monter de Canton à Long-Tchéou et vingt – cinq jours pour en descendre. La navigation est pénible, le cours du fleuve étant accidenté et coupé de nombreux rapides. » (G/p,40)

Le colonel se rendit ensuite au Yamen, la résidence officielle du Tao-Taï « beau vieillard de haute taille, ayant réellement grand air avec sa barbe blanche et sa robe constellée de broderies… Il nous salue à la chinoise et nous conduit immédiatement à une table où est servie une copieuse collation ; mais les vins, Champagne, Bordeaux sont exécrables et dénotent la mauvaise qualité des marchandises que l’Europe envoie vers ces régions lointaines. » (G/p,43), puis s’enchaîne la visite au maire de Long-Tchéou :

«  Le Maire de Long-Tchéou vient au-devant de nous, empressé et souriant. C’est un homme de taille moyenne, encore jeune, sans barbe, au visage franc et ouvert, intelligent et sympathique. Il nous fait la meilleure impression. On reconnait en lui un Chinois de la nouvelle école, ami du progrès et de la civilisation européenne. Il faut se remettre à table et « collationner » à nouveau. Les mets servis, gâteaux, pâtes de fruit, confitures, bonbons à la menthe, sont d’ailleurs excellents. » (G/p,45)

Le colonel décrivait alors le système de pouvoir chinois :

« Il faut bien se reporter d’ailleurs ici aux mobiles qui dominent les actions de l’administration du Céleste Empire. Tout le système de cette administration repose sur la suspicion. Dans cette partie du Quang-Si, il y avait trois autorités : le maréchal Sou, le Tao-Taï et le Maire, tous les trois indépendants l’un de l’autre et chargés de se surveiller réciproquement. Sou, tant par la dignité et le rang qu’il occupait à la Cour de Pékin que par l’importance du commandement militaire sur les frontières du Quang-Si, semblait bien avoir le pas sur les deux autres ; mais, outre que les mandarins civils affectaient de mépriser leurs collègues militaires, il n’ignorait pas que toutes ses paroles et tous ses actes étaient espionnés et rapportés aux agents du Tsong-Ly-Yamen (Cour de Pékin). « (G/p,45)

Le colonel continuait à négocier avec le Tao-Taï, à son Yamen, le dossier de l’abornement des frontières, négociation qui fut conclue, une fois de plus, par une collation.

« Après cette longue séance, nous prenons part au copieux dîner auquel nous sommes invités, en même temps que nous, tous les officiers français et chinois qui ont collaboré aux travaux de la Commission d’abornement. Suivant l’usage, de ces sortes d’agapes chinoises, il y a un très grand nombre de plats. J’en ai compté trente au moins, parmi lesquels le potage traditionnel aux nids d’hirondelles, le ragoût aux ailerons de requins, de nombreuses espèces de porc rôti ou grillé, etc… Tous ces plats étaient bien préparés et se mangeaient avec plaisir. Mais, hélas, avec les Chinois, il faut boire. Sans cesse, il me fallait répondre aux toasts que le Tao-Taï, le Maire, le maréchal Sou, qui assistaient aussi à la réunion et les nombreux mandarins, assis à côté de nous, me portaient. Le champagne qui nous était offert était atrocement mauvais. De plus, dès que nos verres étaient vides, les boys allaient prendre dans une armoire placée dans un coin de la salle, des bouteilles nouvelles qu’ils choisissaient au hasard, de sorte que nos coupes étaient remplies successivement de bordeaux, de madère, de kirsch, de cognac, de pipermint, de curaçao, d’anisette, etc… Et moi qui, depuis de longues années, suis un abstinent, ne buvant que de l’eau ! Mon estomac fut soumis à une rude épreuve bien que, pour répondre à tous ces toasts portés, j’eusse délégué mes officiers, les lieutenants Détrié et Dumat, de la Légion et le lieutenant Querette de l’infanterie de marine, qui, pendant ce festin, poussèrent très loin leur dévouement à leur chef. Quant aux convives chinois, ils semblaient absorber tous ces affreux mélanges avec un plaisir évident. On devine dans quel état ils se trouvaient quand nous quittâmes la salle de banquet vers huit heures du soir. » (G /p,50)

Mais il fallut que le colonel Gallieni fasse un deuxième voyage en Chine, en juin 1894, pour signer la convention d’abornement de la frontière. Ce voyage sera évoqué dans le prochain chapitre.                    

    Jean Pierre Renaud

Chapitre précédent sur le blog du 3 juin 2012 : Than-Taï, l’Empereur d’Annam

Le film « Apart Together » du réalisateur chinois Quang Wang An

L’histoire se déroule dans la ville de Shanghai que l’on découvre au fur et à mesure du film dans sa démesure de mégapole urbaine qui avale successivement toute la cité ancienne, dont on voit encore quelques lambeaux : le fleuve puissant et mythique du Yang Tsé, les nouveaux gratte-ciel, une ville toujours en ébullition et en pleine mutation !

            Ce film raconte l’histoire intéressante de l’amour d’un couple marié que la guerre civile entre les nationalistes de Chiang  Kai-Shek et les communistes de Mao Tsé Tung a séparé en 1949, les troupes nationalistes défaites embarquant pour la nouvelle République de Chine à Taïwan, un amour qui ne s’est pas éteint.

            Jeune marié, le soldat nationaliste avait alors embarqué, sans avoir eu la possibilité d’emmener sa jeune épouse avec lui.

Cinquante ans plus tard, alors qu’il est veuf, il revient à Shanghai pour tenter de renouer le fil de son ancien amour. Belle histoire, mais son ancienne épouse vit avec un ancien combattant de la Chine communiste, conjoint modèle, dont elle a eu deux enfants, en plus du fils qu’elle portait, quand son mari l’a quittée.

 L’intérêt du film repose sur le cadre de vie social dépaysant, les rapports psychologiques et humains qui se nouent entre le vétéran nationaliste et le vétéran  communiste,  entre le premier et la famille recomposée de sa première épouse, des rapports humains et des situations familiales où les repas partagés, débordant de nourritures de toutes sortes, émaillent continument le film.

Le film s’achève sur le triomphe d’une sagesse humaine, qui s’impose aux trois principaux protagonistes de l’intrigue, c’est-à-dire, une forme de renoncement ou encore le don de soi à l’autre

Mais comment ne pas s’arrêter sur un détail, peut être insignifiant, et pourtant révélateur ? La différence de perception du souvenir que les trois personnages principaux ont conservé de ce jour de 1949, qui, pour le  vétéran communiste fut  une journée ensoleillée, alors que pour les deux amoureux, ce fut une journée de forte pluie !

Jean Pierre Renaud avec sa concubine préférée

Politique et Culture? La culture de nos femmes et hommes politiques? Mythe ou réalité? Doumer en Indochine en 1896

Politique et Culture ?

La culture de nos femmes et hommes politiques ?

Mythe ou réalité ?

Royal en Chine, Sarkozy à Dakar, Guéant à Paris

1896, en Indochine : l’exemple de Paul Doumer, Gouverneur général de l’Indochine

            Au fil des années, et à écouter nos femmes et nos hommes politiques, je me suis posé souvent la question de savoir si les dirigeants politique actuels étaient nourris d’une vraie culture.

            Tellement l’ignorance, béante, de nos gouvernants sur la civilisation chinoise, à l’occasion du passage de la flamme olympique à Paris, en 2008, paraissait évidente.

            Avec aussi le discours de Sarkozy à Dakar, ou celui plus récent du ministre de l’Intérieur sur les civilisations.

Autre exemple, si mes souvenirs sont exacts, celui de la visite de Mme Royal, habillée de blanc, couleur de deuil dans ce pays, sur la grande muraille de Chine avant les présidentielles 2007. Il me semble qu’elle ait porté, la même couleur blanche, celle aussi du culte vaudou, lors des funérailles du poète Césaire.

A l’occasion de l’émission du 8 mars  « De la parole et des actes » consacrée au candidat Bayrou, son déroulement connut, ce que j’appellerais un moment de grâce, ou tout simplement de culture, lorsqu’il fut convié à citer de mémoire des vers d’Edmond Rostand et de Louis Aragon, ce qu’il fit d’ailleurs avec un certain brio.

La culture de Doumer :

Pour mémoire, une longue carrière d’homme politique de la Troisième République, ministre, Président des deux assemblées, Président de la République en 1931,  assassiné en 1932. Trois de ses fils furent tués  pendant la première guerre mondiale, et le quatrième, gazé, décéda quelques années après.

D’origine provinciale modeste, son cursus de vie fut exceptionnel, l’exemple même de la méritocratie républicaine.

Doumer fut Gouverneur général de l’Indochine de 1896 à 1902, et il attacha son nom à la politique des grandes infrastructures de la colonie.

Afin d’avoir les moyens de mener à bien un important programme d’équipement de l’Indochine, la colonie avait besoin d’obtenir la garantie de l’Etat français pour réaliser un emprunt de 80 millions de francs or de l’époque, mais il y avait une sérieuse épine dans le pied de Doumer pour convaincre le gouvernement français d’accorder la garantie demandée, l’insécurité qui régnait encore dans le delta du Tonkin, à peu de distance d’Hanoï.

La rébellion du Yen-Thé sous la conduite du Dé-Tham

Le Dé-Tham,  tout à la fois chef rebelle et pirate, maintenait une très grande insécurité, depuis de longues années,  dans la province du Yen-Thé, à la fourche géographique de deux voies d’accès naturelles vers la Chine.

Doumer prit le parti de convaincre le Dé-Tham d’accepter sa soumission, et pour obtenir ce résultat, il chargea le commandant Péroz de lui mener la vie dure, sur le plan de la contre-guérilla, tout en lui ouvrant la porte d’une soumission pacifique.

Et pour ajouter du poids, du crédit à cette proposition de soumission pacifique, le Gouverneur général décida de faire une grande tournée à cheval, en novembre 1896, dans cette zone du Yen-Thé, que le lieutenant-colonel Péroz raconta dans son livre « Hors des chemins battus », en 1907. (1)

« C’est ainsi qu’une course à travers nos forêts, pour dangereuse et inconfortable qu’elle fut, n’était pas pour lui déplaire, s’il y voyait un résultat tangible…Pendant quatre jours, sous une pluie fine, serrée, incessante, nous parcourûmes à grande allure tous les recoins du Yen-thé. Soixante-dix à quatre-vingt kilomètres par jour ; une fois, nous dépassâmes la centaine. Tous les soirs, nous rallions le chef- lieu (Nha-Nam). J’avais cédé au gouverneur général ma chambre à coucher…

Commandant ! Commandant ! Le jour se lève. Partons-nous ?…

On déjeunait très sommairement sous le chaume d’un auvent : des sardines, quelques conserves, du biscuit et du thé (dans sa tournée à cheval)…

A table, il présidait avec ma femme en face de lui…L’extrême sobriété du gouverneur général nous étonnait… dans la demi-obscurité, que rendaient plus épaisse les lueurs vacillantes des photophores lointains, il nous charmait par la grâce et par la variété de ses entretiens…

Parfois, de sa voix métallique, il nous récitait des passages entiers des grands auteurs, si bien que, bercés par son débit coloré et chaud et fermant les yeux, nous avions l’illusion d’une audition de quel -qu’un de nos grands diseurs professionnels. C’était aussi, pour ceux d’entre nous qui avaient conservé le culte des lettres latines, des odes d’Horace et des lambeaux de tragédies antiques que notre vie tourmentée lui mettait en mémoire. »

Jean Pierre Renaud, dans le livre « Les confessions d’un officier des troupes coloniales – Marie Etienne Péroz -1857-1910 », dans le commandant Péroz et le Dé-Tham (chapitres 13 à 18) le passage en question – editionsjpr.com

Humeur Tique : Anelka à Shanghai, du foot « communiste » ? et Beckham à Paris, du foot « socialiste » ?

 Hier encore, à Shanghai !

            Les Echos du 13/12/2011, page 27 :

            « Anelka à Shanghai : dans le foot aussi, la Chine veut jouer dans la cour des grands. »

            « 10,6 millions en euros, le salaire annuel d’Anelka à Shanghai »

            Qui dit mieux ? Mais s’agit-il encore de la Chine communiste ?

            A lire une page d’information très intéressante de la Croix du même jour (page 25) intitulée « Le nouveau temple du luxe », mais surtout les repères qui figurent en bas de cette page, on peut en douter, pour ceux qui en douteraient encore !

            « Les 400 premières fortunes chinoises pèsent plus de 60 milliards d’euros.

            500 000 chinois ont des revenus supérieurs à 750 000 euros par an

 4,7 millions de foyers ont un pouvoir d’achat supérieur à 23 000 euros par an »

Il est vrai que ces chiffres sont à mettre en rapport avec le chiffre énorme de la population chinoise, mais quand même !

En tout cas, formons le vœu que le footballeur Anelka n’oublie pas ses petits camarades de banlieue dans ses largesses de fin d’année.

Aujourd’hui à Paris !

Le PSG recrute le joueur anglais Beckham au tarif de   800 000 euros par mois, pas mal non plus, non ?

La Mairie socialiste de Paris fait effectivement bon ménage avec les émirs du pétrole, mais est-ce que les citoyens parisiens n’auraient pas préféré que notre belle capitale, Paris, préfère « sponsoriser » un club de foot plus démocratique, tels ceux de Sochaux, d’Auxerre, ou de Lens ?

S’il est vrai que l’argent n’a pas d’odeur, pourquoi ne pas dire qu’il pue dans le football parisien ?

Post scriptum: en 2011, et sauf erreur, le PSG bénéficiait encore d’une subvention de 1 250 000 euros

Humeur Tique : le mal-être des écolos français, la démocratie relative de la zone euro, l’hypocrisie des statistiques ethniques, la Chine au réveil, et enfin la Belgique et Madagascar !

Le mal-être des écolos français !

Tout au long de ces dernières années, un mouvement politique incapable de trouver des leaders  populaires, d’adopter un positionnement politique crédible, de mettre en œuvre une véritable action sur le terrain !

            Un parti qui vient de faire le choix d’une candidate improbable aux présidentielles. Tout comme Hulot, elle vient de débarquer, tardivement, dans le monde politique, et on ne construit pas un leader politique comme on instruit un dossier de justice !

            Il est possible de se poser la question du pourquoi de l’échec de l’écologie française, à la différence de l’allemande ?

Peut-être parce que les Français, encore trop liés à leur terre et à ses paysages, ne croient pas que l’écologie soit de gauche ou de droite. Ils auraient sans doute préféré que la cause de l’écologie soit prise en charge par une grande association d’utilité publique, source de propositions, d’actions et de réflexions.

            Et à titre d’exemple ! Un décret vient d’être signé en catimini par le gouvernement portant le tonnage maximum des poids lourds de 40 à 44 tonnes : avez-vous beaucoup entendu les écolos à ce sujet ?

 Alors que cette extension va être la cause d’un plus grand nombre de morts sur nos routes et d’une plus grande détérioration de nos routes de campagne que les poids lourds préfèrent souvent utiliser afin d’éviter le coût des autoroutes.

Zone euro et démocratie toute relative des 17 pays membres de la zone euro !

L’euro est en danger, la zone euro n’a pas de gouvernance, et chaque mois donne naissance à une nouvelle crise de l’euro, la dernière en date en pleines vacances d’été.

Avez-vous vu les parlements des différents pays mettre fin à leurs vacances afin de proposer un saut institutionnel dans la gouvernance de la zone euro ? Non !

Il y a le feu dans la maison euro, mais nos grands élus européens, des assemblées nationales et de l’assemblée de l’union, sont restés en vacances !

Statistiques ethniques et hypocrisie :

 L’élaboration de statistiques ethniques est, comme chacun sait un débat sensible, récurrent, et plein de tabous.

Récemment, quelques élus issus de ce qu’on appelle la diversité,  de retour d’un voyage aux Etats Unis, ont préconisé le recours à ce type de statistiques, et le président du Haut Conseil de l’Intégration s’est aussitôt déclaré opposé à ce type d’investigation.

On est en plein délire, en pleine hypocrisie, car quelques groupes de pression issus de la diversité réclament à la fois la place qui leur reviendrait dans la société française et ses institutions, et quelquefois, une visibilité qui serait invisible (comment faudrait-il faire ?), mais ils refusent en même temps  toute transparence sur la composition de la population  française.

Comment expliquer à des enfants de l’école primaire qu’il faut lutter contre les discriminations, sans jamais se donner le moyen d’évaluer s’il y a discrimination ou non ?

Comment ne pas rappeler au Président du Haut Conseil de l’Intégration, qu’on verrait mal, un chirurgien-dentiste de son état, soigner les dents de ses patients, sans procéder auparavant à leur diagnostic ?

Et pour nous réveiller un peu ?

Le réveil en fanfare des écoliers de la Chine ? Patriotisme, nationalisme, identité nationale, culture impériale, respect de la collectivité ?

            Chaque jour, les 240 millions d’écoliers chinois, vous avez bien lu, 240 millions, saluent le drapeau et chantent l’hymne national, avant d’entrer en classe.

            Il y là incontestablement de quoi susciter beaucoup de réflexions !

            Le langage guerrier de la fin de l’hymne a incontestablement une parenté avec notre Marseillaise : « A l’assaut, à l’assaut ».

Et pour nous rassurer ou nous attrister sur l’importance d’avoir ou non un gouvernement :

Une Belgique sans gouvernement depuis plus d’un an affiche une croissance insolente !

Madagascar, sans gouvernement élu et légal depuis plus de deux ans affiche une décroissance insolente !

Edward Saïd et Victor Segalen: « Regard sur la Chine », Arte du 29/01/11

Edward Saïd et Victor Segalen

Un Orientaliste français, Victor Segalen, sur le « modèle » Edward Saïd ou non ?

Victor Segalen

« Regard sur la Chine »

Emission d’Arte du 29 janvier 2011

            En 1914, Victor Segalen a conduit une expédition archéologique en Chine pour faire l’inventaire de nombreux monuments funéraires, sculptures et statues de la grande dynastie des Han (la première, la plus longue, de 202 avant JC à 220), dans la province du Sichuan, au sud-ouest de la Chine.

            Arte a diffusé un documentaire fort intéressant sur la mission Segalen et  a fait découvrir aux téléspectateurs ces trésors de l’art chinois ancien et de la culture bouddhique.

            Segalen a fait partie, comme Loti, et beaucoup d’autres, de cette cohorte d’officiers de marine curieux de tout, à l’occasion de leurs nombreux voyages dans toutes les parties du monde. Et Segalen, après Loti, séjourna aussi en Polynésie et en Chine.

            Victor Segalen fut également poète et écrivain, et à la lecture de ses ouvrages, il est difficile, outre le fait de ces découvertes archéologiques à la gloire de l’ancienne Chine, de le ranger dans la catégorie des orientalistes français qu’Edward Saïd tentait d’épingler dans son livre « L’orientalisme », livre que nous avons commenté sur ce blog, le 20 octobre 2010.

            Les deux livres intitulés « René Leys » et « Le fils du ciel » ne paraissent pas répondre aux critères d’Edward Saïd

            Victor Segalen y décrivait en effet, avec une sorte de regard du dedans, un monde et une culture qui le fascinaient.

            Je rappelle en effet qu’Edward Saïd décrivait l’orientalisme comme un mouvement de pensée, construction pure et simple de l’Occident, très largement artificielle de l’Orient réel, laquelle aurait constitué l’outil idéologique de la domination de l’Occident.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: police à Bobigny et déontologie. Combien de sans-papiers? Combien de dissidents en Chine? « Tragicomédie ivoirienne » de Venance Konan, avec le PS et Villepin

Humeur Tique : la police à Bobigny et la déontologie ? Combien de sans-papiers en France ? Combien de millionnaires et de dissidents en Chine ?

La « Tragicomédie ivoirienne » par Venance Konan

Gbagbo, WikiLeaks et Villepin

            La police à Bobigny et la déontologie de la République ?

S’il est vrai que le travail des policiers dans le « 9 3 » est particulièrement difficile, et qu’il favorise les dérapages, il est inadmissible que les syndicats de police, les autorités de police, et le ministre de l’Intérieur lui-même, couvrent, qu’on le veuille ou non, et telle que «  l’affaire » a été lancée, des faux en écritures publiques, d’autant plus graves, qu’ils mettent en cause les libertés publiques.

On va finir par croire, que les fonctionnaires et les élus qui ont accepté de servir la République, prennent le chemin des dictatures « douces », car beaucoup de citoyens assez bien informés savent que certains officiers de police ont tendance à abuser des infractions supposées d’outrages à la force publique, et de la garde à vue pour un oui ou pour un non.

Combien de sans-papiers en France ? Les citoyens curieux ont pu entendre ou lire qu’il y avait de l’ordre de  200.000 à 400.000 sans-papiers en France.

Le bulletin de la FMP Mutualité n°572 de novembre décembre 2010 fournit à ses adhérents et lecteurs tout un ensemble de statistiques sur  les dépenses de santé (page 14 à 17), et sur le coût de l’Aide Médicale d’Etat (AME), c’est-à-dire gratuite, dont bénéficient en priorité les clandestins et les sans-papiers.

Les dépenses d’AME sont passées de 410 millions euros, en 2001, à 576 millions, en 2007, mais ce qui parait plus inquiétant c’est l’évolution du chiffre de bénéficiaires, passant de 73 300 en 2000, à 192 000, en 2007, et 215 000 en 2009.

Ces chiffres paraissent tout à fait surprenants, car ils voudraient dire en première analyse  que le nombre des sans-papiers est sans commune mesure avec les évaluations faites au doigt mouillé.

Combien de dissidents en Chine et combien de millionnaires ?

Réponse dans l’éditorial de Libé des 11 et 12 décembre, intitulé « Peurs », un éditorial consacré aux réactions de la Chine à la cérémonie de remise officielle du prix Nobel de la Paix à M.Liu Xiaobo, « en prison » :

« La Chine a beau avoir plus de millionnaires que de dissidents, ce prix défie justement la junte au pouvoir »

Voire !  Car nos appréciations ne tiennent jamais assez compte des grandeurs comparatives entre la Chine et la plupart des autres pays, dont la France, avec des enjeux de gouvernement complètement différents, avec sans doute la peur, vraie, de la part de ses dirigeants, de l’explosion d’un pays continent, soumis à des tensions de toute nature. Est-il sérieux de croire que les dirigeants chinois aient vraiment oublié l’histoire tourmentée de l’Empire des Fils du Ciel ?

Et sur le fond, le choix du modèle social, chinois ou occidental, mérite un vrai débat, et le fait que la Chine mette en lumière le modèle confucéen, plutôt que le modèle communiste, devrait nous inciter à la réflexion.

« Tragicomédie ivoirienne » de M.Venance Konan, journaliste indépendant et écrivain, le Monde des 11 et 12 décembre (page 17) Et WikiLeaks Villepin

Une lecture vivement recommandée à tous ceux qui veulent mieux comprendre la situation actuelle de la Côte d’Ivoire et ses enjeux, avec le rôle trouble du Parti Socialiste et de certains de ses dirigeants  qui  soutiennent encore le nouveau Napoléon de Côte d’Ivoire.

Ne s’agit-il pas là de l’ancienne ou nouvelle Françafrique du Parti Socialiste de Papamadit ? Le monsieur Afrique de l’ancien président Mitterrand ? Lang, en quête d’héritage ? Et en bonne compagnie, celle de M.Emmanuelli !

Le personnage « fascinant » de Gbagbo sorti tout droit des coulisses de notre Renaissance, beaucoup plus que du siècle de Napoléon, même si comme l’indique un article du même journal (11/12/10 – WikiLeaks Décryptages, page 17), il s’est trouvé dans une autre bonne compagnie, celle d’un autre admirateur du même Napoléon :

«  L’enthousiasme de Laurent Gbagbo à l’évocation de Dominique de Villepin »

Le président ivoirien assure aux Américains que l’ex-premier ministre lui a demandé de convaincre M.Chirac de le nommer à Matignon »