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Les Expositions coloniales, exhibitions, zoos
Les auteurs des contributions concernées dans la série de ces ouvrages s’en sont donné incontestablement à cœur joie, mais quel crédit historique à accorder à ces discours ? Réalités ou mythes d’écriture ?
Emphase, exagération, mystification ?
Résumons quelques-unes des questions et critiques.
Il aurait été sans doute utile de donner le cadre historique des manifestations proposées, l’identité de leurs organisateurs, publics ou privés, les périodes concernées, ce qui n’a pas été le cas. S’agissait-il d’un phénomène français ou européen ?
Les rédacteurs ont été quasiment hypnotisés par la grande Exposition Coloniale de 1931 et par le parfum idéologique subtil des exhibitions d’indigènes.
Un langage savant, un peu bouffi ? : « Cette culture coloniale se constitue par strates. Dans ce processus, les expositions universelles sont des dates structurantes, celle de 1889, particulièrement… (CC,p,9)
1931 ou l’acmé de la culture coloniale
« La croisade coloniale devient avec l’exposition comme Jeanne d’Arc, Napoléon, Clovis et la révolution française, une brique supplémentaire dans l’édifice national. Sauf qu’elle se construit en même temps qu’elle s’énonce… » (CC,p,87)
Qu’est-ce à dire ?
Dans le livre La République coloniale, les auteurs écrivent :
« et la multiplication des expositions universelles ou coloniales. Ces dernières fonctionnent comme de véritables lieux de sociabilité coloniale au sein de la République. » (RC, p,99)
« Lieux de sociabilité coloniale » ? Qu’est-ce à dire ?
Les auteurs font évidemment un sort aux exhibitions d’indigènes, nus ou habillés, un des tops de l’histoire postcoloniale, symbole du racisme et de l’exploitation des êtres humains.
« Ces exhibitions ethnologiques vulgarisaient donc l’axiome de l’inégalité des races humaines et justifiaient en partie la domination associée à la colonisation.
L’impact social de ces spectacles fut dès lors immense, d’autant qu’ils se combinaient avec une médiatisation omniprésente qui imprégnait profondément l’imaginaire des Français. » (CC, p,89)
Sauf que dans le même livre et dans les pages précédentes, p,58 et 59, un des auteurs écrit :
« Elles portent en elles le rapport de domination coloniale, même si celui-ci s’applique également, toujours au travers des exhibitions humaines, aux Bretons ou aux Auvergnats, populations considérées par la France centralisée comme des populations « ethniques » encore à civiliser. » (CC,p,58, 59)
Mais alors Bécassine au recto, et Banania au verso » ?
Philippe David a fait un gros travail de recherche sur la reconstitution historique des expositions de « Villages noirs » qui étaient présentés dans des tournées de spectacle en métropole, et la conclusion de ce travail n’était pas la stigmatisation, mais la curiosité et la découverte.
J’ai publié sur ce blog une longue analyse du livre d’Eugen Weber intitulé « La fin des terroirs » qui relève qu’effectivement les fameux indigènes d’Afrique ou d’ailleurs, existaient alors aussi en métropole.
Ajouterais-je que les récits des explorateurs et des premiers administrateurs coloniaux donnent des exemples de rencontres avec les peuples africains qui éprouvaient le même type de curiosité à l’égard des premiers blancs qu’ils rencontraient, qu’ils paraient de qualités souvent étranges.
Je me souviens entre autres d’avoir lu le récit de ce type de rencontre que fit l’africaniste Delafosse, dans les années 1900, dans une peuplade de Côte d’Ivoire, où ils furent observés comme des bêtes sauvages par tout un village dans leur paillote de passage.
Sur la côte d’Annam, dans la baie de Tourane, dans les années 1880, le médecin de marine Hocquart racontait un épisode du même genre.
L’« Exposition coloniale internationale de 1931 » ?
Effet éphémère ou durable de cette Exposition sur l’opinion publique ? Telle est la question à laquelle il faut répondre.
Notons tout d’abord que, dans son discours, le collectif de chercheurs n’a pas peur des contradictions en n’hésitant pas, dans une page, à affirmer que les expositions ont été des dates structurantes (CC,p,13), tout en indiquant plus loin dans une contribution consacrée spécialement à l’exposition de 1931 :
« Si l’Exposition coloniale internationale de 1931 est aujourd’hui absente de la mémoire collective des Français, il faut voir dans cet oubli les effets d’un refoulement plus large de l’histoire coloniale qu’il reste à régler. » (CC, p210)
Et le tour est joué ! Une certaine histoire postcoloniale retombe sur ses pieds, en invoquant un « refoulement », une « mémoire collective » que personne n’a mesurée, et mesurée encore de nos jours.
L’historien Charles-Robert Ageron a donné une appréciation historique sur cet événement :
« En 1997, l’historien Ageron a proposé dans un des tomes de la collection « Les Lieux de mémoire », une lecture nuancée de l’événement.
Dans le livre Images et Colonies, il s’était interrogé sur le point de savoir si le mythe après le choc de la défaite de 1940 : « L’Empire devint la dernière carte de la France, le suprême recours, et beaucoup de Français naguère indifférents ou sceptiques se persuadèrent que l’Empire restait la seule porte ouverte sur l’avenir.» (IC,p,109)
Une conclusion qui avait donc un caractère très conjoncturel….
Lyautey, le chef d’orchestre de la manifestation grandiose, partageait ces conclusions. Et l’historien de préciser : « Aux élections de 1932, on vérifia que rien n’était changé : il n’y eut que dix députés pour parler des colonies dans leur profession de foi… »
Il ajoutait plus loin :
« Mais d’après le témoignage de tous les mentors du parti colonial, l’historien doit répéter que l’Exposition de 1931 a échoué à constituer une mentalité coloniale : elle n’a point imprégné durablement la mémoire collective ou l’imaginaire social des Français. »
Question : les députés manquaient-ils donc à ce point de culture coloniale, devenue impériale ? (Chap III – Expositions, page 83 à 107, Sup Col)
JPR – TDR