Gallieni et Lyautey, ces inconnus !
Eclats de vie coloniale
Morceaux choisis
A Madagascar, avec Lyautey et le colonel Charbonnel
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La vie mondaine d’une société coloniale réduite à sa plus simple expression
Un cadrage démographique utile et nécessaire
En 1905, la population non malgache dont l’effectif avait augmenté après la conquête, comptait 16 500 personnes, dont 7 800 Français pour un peu plus de moitié réunionnais), 1 900 étrangers (dont 1 000 Mauriciens), 2 800 Indiens, 450 Chinois, 67 Arabes et 3 500 Africains.
Ces seuls chiffres situent les enjeux d’une vie mondaine réduite à sa plus simple expression, d’autant plus que la population française était concentrée dans la capitale, et donnent une image plutôt très réduite de la société coloniale de l’époque.
Le 2 janvier 1901, le colonel Lyautey est à Fianarantsoa, siège de son commandement supérieur du sud de Madagascar. Il écrivait à sa sœur :
« Ouf ! Après ces deux jours de corvée.
En voici le détail :
Le 31 décembre, au bal dix- neuf femmes, dix- sept françaises et deux indigènes, au moins quatre- vingt hommes. Je me tenais en grande tenue, entouré de mes officiers pour recevoir les invités… Tout était délicieusement orné d’une profusion de fleurs, de plantes. Un entrain étonnant, avec un tenue parfaite, quelques jolies femmes et quelques toilettes très bien.
A minuit, j’ai mené tous les invités au buffet et j’ai porté le toast de la nouvelle année. A une heure le cotillon a commencé, étonnant comme objets. Jusque- là, ma dignité m’avait retenu mais au cotillon, j’ai dansé sans arrêter. Clôture à quatre heures du matin par une bataille de fleurs et un souper.
Le 1er janvier, à 7 h.30, j’étais debout
A 8 heures à la messe
A 8 heures 30, en grande tenue, sabre, croix, tout le tremblement pour les réceptions qui ont commencé par les missions catholiques, dix jésuites, six frères, cinq sœurs, et tous leurs élèves qui ont rempli le jardin. Allocution, grandes effusions, des Pères, musique des élèves et défilé. Ensuite les missions protestantes, françaises, norvégiennes, anglaises : même cérémonial.
A 10 heures, le corps des officiers présenté par le colonel Vallet
A 10h 30, les fonctionnaires présentés par M. Besson, puis la Chambre de Commerce, les colons, les hauts fonctionnaires indigènes et leurs femmes. Après le déjeuner, mes sous-officiers sont venus prendre la café.
A 3 heures, les confréries catholiques
A 2 heures 30, les affranchis, anciens esclaves libérés, chants chœurs, cadeaux.
A 3 heures, les notables protestants indigènes
A 3 heures 30 le corps des sous-officiers de la garnison. A 4 heures, je montais avec mes officiers pour aller rendre officiellement ma visite au gouverneur de la province et au commandant d’armes.
Enfin, à 5 heures, je rentrais chez moi et je me mettais en veston sans plus rien vouloir entendre ni dire.
Cela faisait près de vingt-quatre heures sans interruption sur les jambes d’amabilités, de frais, d’allocutions. Ouf ! » (LSM/p, 52)
Commentaire :
– Le nombre d’Européens était très faible, et la Chambre de Commerce d’une importance minime.
– Cette description montre bien l’omniprésence des missions à Fianarantsoa
– Le public de la réception n’atteste pas de la ségrégation qui existait à la même époque dans les colonies britanniques.
A l’exemple de son « maître », le général Gallieni, le colonel Lyautey était toujours en mouvement, à la fois comme chef des opérations de pacification militaire et de pacification civile, c’est-à-dire de la mise en place d’une administration moderne, de la création de routes ou d’écoles, tout en contrôlant la mise en application des instructions données à ses subordonnés.
Le 2 juillet 1901, il est à Fort Dauphin où il réunit la Chambre consultative, une institution tout nouvelle de représentation économique, mais dont l’assiette était alors tout à fait limitée.
A ma sœur,
4 juillet 1901, à Fort Dauphin,
« …Le soir je donne un bal à la Résidence ; Charbonnel, Alglave, Grandidier, ont déménagé la maison qu’on arrive à bien orner. Conversat tient le buffet ; beaucoup de fleurs, l’éclatant bougainvillier domine ; on sort les dolmans, les bottines vernies et les gants blancs. Tout cela pour neuf dames, début froid, puis entrain croissant jusqu’à 2 heures du matin. C’est la première fois qu’on danse à Fort Dauphin. Le piano a été emprunté à la mission. … »
5 juillet, Lyautey récidivait :
« Les contrastes continuent. Hier soir j’ai donné un bal. Buffets, souper, lanternes vénitiennes ; on a dansé jusqu’à 2 heures du matin. Bottines vernies, dolmans de grande tenue, gants blancs : sommes-nous bien les mêmes qui, il y a huit jours, en loques, gymnastiquions dans les rochers, attentifs aux embuscades et aux coups de sagaie ? Charme de cette vie ! Il faut, en Europe, évoquer les temps de Cyrano ou l’épopée impériale, pour retrouver cette combinaison constante du danger et de la fête, ce voisinage si proche de l’effort le plus rude et de la vie la plus policée.
Je vous quitte pour aller faire un tennis avec de charmantes Fort-Dauphinoises. » (LSM/p131)
Le 21 juillet, le général Gallieni arrivait à Tuléar sur un bateau de guerre, « l’Infernet », un beau croiseur de troisième classe, pour une des nombreuses inspections périodiques qu’il effectuait par la mer, tout autour de l’île.
1er, 2, 3, 4, 5, et 6 août
« Séjour du Général à Tuléar.
Coup de feu, nuit de travail, secrétaires sur les dents. Toujours lui avec son activité électrisante. Re-Chambre consultative, la plupart des choses accordées, crédits ouverts.
Vin d’honneur, bal, dix dames. » (LSM/p,168)
Bref commentaire : en dehors du travail, le bal traditionnel, mais avec un choix tout à fait réduit de danseuses.
Il est évident que la vie mondaine des garnisons de cette époque était tout à fait limitée, de rares colons et commerçants, et avant tout des officiers et sous-officiers : une société coloniale lilliputienne.
Est-il d’ailleurs possible de parler véritablement de vie mondaine et de société coloniale ?
Jean Pierre Renaud
Avertissement à mes lecteurs :
Je publierai sur ce blog, avant le 14 juillet, une contribution des morceaux choisis de la série « Gallieni et Lyautey, ces inconnus », consacrée à la société coloniale féminine et en septembre, une dernière contribution consacrée aux relations métropole et colonies.