Carnets Buron – 1956-1958 Le pourissement

Carnets Buron – 2 – 1956-1958

III LE POURRISSEMENT (p,41)

Octobre 1956– Novembre 1957

         Vendredi 19 juillet

        « La situation pourrit doucement, semble-t-il en Algérie cependant que dans le pays le découragement gagne peu à peu. » (p,56)

         Le débat sur les pouvoirs spéciaux a ébranlé beaucoup de consciences :

       « Le terrorisme que fait régner le FLN dans certains quartiers de Paris et de plusieurs grandes villes peuplées de nord-africains est aussi révoltant évidemment que celui qu’il pratique en Algérie contre les fermiers d’origine européenne ou contre les musulmans loyaux et sans doute est-il plus vivement ressenti par l’opinion parlementaire.

        Certains députés du Nord sont écœurés par les procédés utilisés par le FLN pour détacher du MNA de Messali Hadj les ouvriers qui sont affiliés…

       Les tensions ont été très fortes au sein du groupe MRP…( p,58)

        Commentaire

      Le FLN procédait à une épuration de l’« ethnie politique » du MNA.

       « Dimanche 22 septembre (dans le DC7 qui me ramène de Nouméa à Paris… en 57 heures)

        Depuis le 1er octobre dernier, j’ai parcouru 170 000 kilomètres en avion ; j’ai séjourné plus de quarante jours en Amérique, trente en Afrique – dont 15 à Madagascar, aux Comores et à la Réunion au mois d’août – huit en Asie et quinze en Océanie… J’ai beaucoup vu et, je l’espère, beaucoup retenu depuis un an mais ne me suis pas assez concentré sur l’essentiel, c’est-à-dire le problème algérien…. (p,60)

        Mardi 1er octobre

       Le Gouvernement vient d’être renversé…

       Vendredi 18 novembre 1957

     « Le 18 octobre, l’Assemblée n’a pas investi Antoine Pinay… Une fois encore il apparait que dans l’Assemblée actuelle, toute majorité est « introuvable »…. Rien ne va plus ni à Paris, ni en Mayenne… ni ailleurs en France j’imagine…

        Le gouverneur général Delavignette a démissionné le mois dernier de la Commission de Sauvegarde instituée par Guy Mollet (Maurice Garçon et le représentant des anciens combattants ont d’ailleurs imité son exemple).

        Je l’ai rencontré récemment.

       Il est grave, triste mais net. Sa pensée, il me l’a résumée en trois phrases. « Ils s’entraînent là-bas et feront de même un jour en France. Il est grand temps de réagir si l’on croit encore à la liberté. Nous n’avons pu voir les témoins vraiment utiles; certains de ceux qu’on nous a laissé voir ont été sanctionnés par la suite »

        Il ajoute : « La situation pourrit rapidement »…

        J’ai vu, j’ai rencontré, j’ai reçu, j’ai lu… je suis écœuré. Je ne suis pas le seul à l’être. Mes mayennais sont à leur manière tout aussi troublés que moi. La durée – trente-cinq jours – de la crise ministérielle les a indignés. La situation financière les préoccupe et je n’ai pas le droit – au contraire – de les rassurer. Mais surtout, la situation en Algérie leur parait insupportable.

           Il y a dix-huit mois, ils ont accepté le sacrifice demandé. Il fallait en finir et pour cela le contingent était nécessaire. Soit ! mais comment 500 000 hommes, bien armés, n’ont-ils pu écraser en un an quelques milliers de fellaghas ? Les lettres de leurs fils les déroutent qui ne manifestent aucune sympathie pour les « Pieds Noirs » mais beaucoup de compréhension pour les musulmans, ceux du bled tout au moins. Et enfin les morts s’ajoutaient aux morts sans que l’issue soit en vue.

           La semaine dernière, j’étais à Bouère pour une fête locale. Le maire venait de m’exprimer son inquiétude devant l’état d’esprit de la commune qui comptait déjà deux tués parmi ses jeunes. Une heure après, un gendarme lui apportait en pleine séance le télégramme officiel annonçant le décès d’un jeune cultivateur dont le frère était revenu de là-bas, l’an dernier, pensionné à 50% pour tuberculose !

        « Gouvernement pourri, parlement pourri, situation pourrie ! » Telle est l’opinion générale. Ce qui empêche les poujadistes de l’exploiter comme ils le pourraient, c’est la prise de position sans nuance de leur chef en faveur de « L’Algérie française ». Là, il cabre les travailleurs des champs et des villes. A cela tient peut- être le destin de la République. » (p,64,65)

         Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Carnets Buron – 3 – 1958 Effacement du régime

Carnets Buron – 3 – 1958

IV EFFACEMENT DU REGIME (p,66)

Février- Juin 1958

         « Mardi 11  février 1958

         Cette affaire de Sakiet Sidi Youssef est lourde de conséquences… Mais Sakiet est en cette Tunisie dont nous avons refusé, il y a quelques mois l’offre, présentée conjointement avec le Maroc, de s’entremettre pour rétablir la paix…

      Le Parlement est malade, empoisonné par la guerre d’Algérie et l’impossibilité d’y mettre fin par une victoire qui ne se dessine guère après quatre ans de combat ou par un compromis que les français d’Algérie ni même l’Armée ne veulent accepter parce qu’il aboutira tôt ou tard à une forme d’autonomie, puis d’indépendance…

        Faut-il chercher une solution ailleurs ? (p,67)

        Il s’agissait de faire appel au Général de Gaulle :

           « Pour le reste, je suis un peu surpris de voir des hommes, de tendance gauchiste parfois marquée, mettre leur dernier espoir dans le général de Gaulle. A quel point la IVème République les a-t-elle donc déçus ! » (p,68)

         Robert Buron accepte d’entrer en contact avec le général :

        Vendredi 21 février

      « Au moment où je descendais l’escalier qui m’avait conduit au cabinet du général de Gaulle, rue de Solferino, le colonel de Bonneval m’a rattrapé par la manche : « Comment l’avez-vous trouvé ? m’a-t-il-soufflé. En bonne forme, n’est-ce pas ? »

       « Oui, certes, j’ai trouvé mon interlocuteur en bien meilleur état physique que je l’imaginais.

      Il y a douze ans, je l’avais vu, pour la dernière fois, à la veille de sa démission  dans un couloir de l’Assemblée, mais de loin… A mesure que la conversation se prolongeait – elle a duré trois quarts d’heure – une autre image s’imposait à moi, inspirée par La Loi, le roman de Roger Vailland, celle de Don César, grand seigneur âgé, prisonnier d’un style  qui bien souvent lui dicte ses attitudes quotidiennes, cependant qu’en son for intérieur, ayant accepté de vieillir, il se sent presque complètement « désintéressé »…

        Le Général pour  sa part m’a tenu surtout des propos découragés, énoncés d’une voix lasse :

  • Il est trop tard… la situation ne peut pas être rétablie avant plusieurs années et je serai alors trop vieux. Il faut d’abord que les français aillent au fond du fossé avant de pouvoir remonter la pente…
  • Parler ! je ne dis pas non, mais à quoi bon dans la période actuelle ?
  •  Non pas pour nous, Général ! mais pour les jeunes et aussi pour que votre pensée soit connue clairement, à laquelle tant de Français peut-être se référeront demain.
  • Hum ! je réfléchirai mais voyez-vous, Monsieur Buron, il n’y a rien de bon à faire dans ce pays divisé entre les partis, les factions…

Le général balayait alors la situation et les perspectives des anciennes colonies :

      … Mais je vous le répète, monsieur Buron, ajoute-t-il, il est trop tard, ce n’est plus la France qui décidera de cette évolution comme il eut été possible il y a douze ans, ce sont les événements qui commanderont et, pour nous, je prévois l’avenir en noir… Oh ! je ne doute pas du destin de la France, mais nous devrons rester longtemps encore dans le tunnel avant de revoir le jour. ..

      Mes amis ont raison. Il peut être encore un élément essentiel du grand jeu politique qui se prépare.

     Mais comment compte-t-il jouer sa partie ? A-t-il vraiment envie de la jouer ?

     Bien fin qui peut le dire aujourd’hui ! » (p,71)

      Vendredi 28 février

       La presse annonce ce matin que de Gaulle va sans doute parler. Que s’est-il passé depuis la semaine dernière ?… Dans les djebels les combats augmentent en intensité et les pertes sont lourdes ; en métropole les agressions FLN se multiplient, visant principalement les agents de l’ordre… » (p,73)

     Mardi 11 mars

      Déjeuner avec l’ambassadeur des Etats-Unis Amaury Houghton chez un de ses collaborateurs…. La discussion s’engage enfin sur l’Algérie. A.Houghton m’interroge sur l’impossibilité où parait se trouver le Parlement français de définir une politique raisonnable et par conséquent libérale. Je réplique aussitôt :

          Une telle politique ne peut être majoritaire que si le Gouvernement qui le préconise accepte le soutien communiste. C’est ce qui la condamne par avance aux yeux de la droite… » (p,74)

         Dimanche 20 avril, 18 heures

        «  Je rédige ces notes en attendant les résultats du dépouillement qui se poursuit dans les dix communes du canton de Villaines la Juhel, où, Conseiller général, je suis soumis à réélection…

         Nous avons beaucoup parlé de la guerre d’Algérie…

       J’ai donc fait paraître dans Mayenne-Eclair, le journal mensuel du MRP du département, les lignes suivantes : « Le drame algérien nous paralyse sur le plan de la politique internationale ; il nous crée sur le plan intérieur les plus graves difficultés que le parti communiste exploite sans vergogne et qui risquent de bloquer le fonctionnement du régime »…Il y a les droits incontestables des européens installés de longue date en Algérie…il y a les méthodes abominables employées par les fellaghas à l’égard de leurs frères musulmans qui voulaient travailler avec nous dans la paix… mais il y aussi l’éveil des musulmans d’Afrique du Nord à la vie moderne et leur aspiration à l’affirmation politique.

         Je conclus : « Il faut maintenant sans tarder, par un changement de direction et par l’intervention de mesures libérales, provoquer une détente du climat actuel et faire renaître un minimum de confiance entre musulmans et européens. Alors l’heure de la négociation aura sonné… Je m’étais montré honnête et prudent.

        « Trop prudent », m’ont dit à ma grande surprise beaucoup d’électeurs et plus encore d’électrices…

        Mardi dernier, le Gouvernement Félix Gaillard a été renversé dans un climat lourd et déplaisant d’anti-américanisme forcené… (p,76)

       Jeudi 8 mai

      « J’ai passé sous silence dans mon article de Témoignage Chrétien la rencontre organisée par Mahroug, ce kabyle catholique replié à Rabat que m’a présenté mon ami C.S. il voulait me mettre en présence de trois dirigeants FLN provisoirement installés au Maroc… la discussion a été passionnante…. Mais ce qui m’a le plus impressionné c’est leur conviction profonde que le temps travaille pour eux et qu’ils n’ont aucun intérêt à chercher des compromis.  Plus tard une négociation  sérieuse interviendra, plus elle sera favorable et si aucune négociation n’intervient, eh bien notre victoire sera plus tardive… mais elle sera totale… » (p,80)

         Pflimlin est pressenti pour être Président du Conseil :

      « Pâle et  résolu, le Président désigné fait une courte déclaration de style défense républicaine : «  Il s’est trouvé à Alger des chefs militaires qui on pris une attitude d’insurrection contre la loi républicaine… »

       Mercredi 14 mai

     A 3 heures du matin, le résultat est a été proclamé : 273 voix pour ; 129 contre ; 134 abstentions…

     Jeudi 15 mai

     Hier soir à Dinard réunion du congrès MRP… A 17 heures, avant que je monte à la tribune, on me tend deux flashes de l’AFP. L’un annonce que de Gaulle après avoir expliqué « l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’Armée…etc, par le fonctionnement du régime des partis, se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République. » (p,84)

     Commentaire

      A Paris, comme à Alger, le méli-mélo politique continuait. Aucune note de Buron sur le coup d’état du 13 mai à Alger, alors qu’il changeait complètement les données du problème algérien et facilitait le retour de de Gaulle au pouvoir. C’était en tout cas mon opinion, mais pas uniquement la mienne.

Dimanche 25 mai

     « Dans l’Ouest où je suis parti réfléchir et dormir quarante-huit heures, la femme de Roland Pré me joint par téléphone. Tour à tour, elle m’apprend que la Corse est passée aux mains d’un commando venu d’Alger et soutenu par des manifestants locaux, que la Chambre est convoquée pour demain, enfin que le général de Gaulle souhaite me rencontrer mardi matin, dès son arrivée à Paris…

        Mardi 27 mai

       « La radio de 7 h 30 annonce que le Général a regagné Colombey au petit jour… Il n’a plus besoin de me recevoir, ayant vu Pflimlin cette nuit à la Celle Saint Cloud, Pflimlin sans Guy Mollet qui, craignant les réactions de son parti, s’est décommandé à la dernière minute…

         Alors à midi, le tickler de l’Assemblée reproduit une déclaration venant de Colombey ; « J’ai entamé hier le processus régulier de formation d’un  Gouvernement républicain. » (p,93)

      La IVème République vient de disparaître. »

      Commentaire

Juin 1958 – Notre promotion sort de l’Ecole, trois mois de vacances avant notre incorporation à l’Ecole Militaire de Saint Maixent où nous devrons effectuer une instruction militaire de six mois plus approfondie que celle de la Préparation Militaire Supérieure à temps partiel que nous avons suivie pendant trois ans.

         A la sortie de Saint Maixent, en avant pour  la guerre d’Algérie !

      Il était évident que ce dénouement politique, au début imprévu, mais rapidement souhaité par beaucoup, changeait aussi notre donne : il nous posait de nombreuses questions sur notre avenir immédiat et sur notre carrière, pour autant que nous reviendrions vivants de la guerre d’Algérie.

       Le jour de notre « amphi-garnison », un charmant camarade de promotion, plus tard député et sénateur, m’annonça : « Renaud, le tirage au sort t’a désigné comme le mort de la promotion. »

          Robert Buron décrit dans ses notes les phases successives du processus de négociation avec le FLN, dont il fut un des premiers protagonistes, un processus qui prit beaucoup de temps, emprunta quelquefois des détours dignes d’un roman policier, mit beaucoup de temps (de 1958 à 1962) à déboucher dans une grande confusion sur un  résultat qui ne fut pas satisfaisant comme je l’ai écrit, dans son application concrète sur le terrain.

         Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

Carnets Buron – 1 – 1954-1956

Carnets Buron – 1-1954-1956

Première partie

I – Inconscience… 1954-1955 (page 9)

           2 novembre 1954, 5 heures du matin …

           « Voilà ce que je connaissais de l’Algérie en 1939. (c’est-à-dire pas grand-chose !)

         Durant la guerre, Alger a pris pour moi une valeur abstraite, sans lien avec son passé ou avec son avenir, ni sans doute simplement la réalité du moment…. L’armistice signé, l’Algérie a reculé dans l’ombre, loin du devant de la scène où je faisais mes premiers pas…

        Je me rappelle maintenant – avec quelque effort – la rébellion de 1945 et surtout la répression brutale qu’elle a entrainée, dénoncée discrètement par de rares hebdomadaires car la guerre n’était pas encore terminée…

      J’ai voté le statut de 1947 sans trouble de conscience et malgré les protestations de quelques radicaux et indépendants. Ma seule inquiétude concernait la complication du système imaginé et le caractère qui me paraissait quelques peu rétrograde de plusieurs de ses dispositions ; mais je n’étais pas un expert !

          Depuis que je siège dans les conseils du Gouvernement on a bien peu parlé de l’Algérie le mercredi matin ; à quatre reprises tout au plus en deux années – 1950 et 1951 – trois fois au sujet du renouvellement de la mission spéciale de six mois confiée à notre collègue Naegelen et la dernière pour commenter le résultat des élections.

           La presse, sinon le ministère de l’Intérieur, m’a appris qu’elles étaient scandaleusement truquées… Pierre Elain, mon colistier, parti soutenir la campagne de Ben Taïeb dans l’Algérois, en est revenu écœuré des mœurs administratives régnant en Algérie…

      En décembre 1951 je me suis arrêté à Alger. J’étais alors ministre de l’Information – en route vers Brazzaville. Invoquant ma fatigue supposée, le Gouverneur m’avait invité au dîner que des hauts fonctionnaires, corses pour la plupart et s’intéressant exclusivement aux problèmes concernant les Français d’Algérie dont la prospérité paraissait être le seul objectif proposé à leur administration.

      Les responsables de l’Information, de la Radio en particulier, étaient franchement réactionnaires, tous ces braves gens s’employant davantage à critiquer la politique de la métropole qu’à penser à l’évolution algérienne…

      J’aurais pu bénéficier davantage de ces contacts rapides, mais j’étais déjà très préoccupé de l’Afrique Noire et Alger n’était pour moi qu’une simple escale. Ainsi vont les choses !

      Et depuis ?

      Depuis, l’Algérie est sortie à nouveau de mon champ de conscience…

       Depuis la formation du Cabinet Mendès-France, le problème algérien a été évoqué en Conseil des ministres, parfois sur le plan économique, rarement sur le plan politique et François Mitterrand jusqu’à présent ne nous a rien appris de sensationnel à ce propos… (p,14,15)

       Evidemment, il faut convaincre les français d’Algérie ou leur forcer la main. Vichystes pendant la guerre, puis giraudistes et antigaullistes, ils refusent tout ce qui incarne la République en France et Mendès-France par-dessus tout. Pourtant, ils ont du cœur, et les jeunes ont fait plus que leur devoir pendant la campagne d’Italie. Le problème est de savoir les gouverner.

       Hélas, Pierre Mendès-France le saura-t-il, le pourra-t-il ? Radical de toujours, il a de vieilles amitiés avec les leaders algériens les plus conservateurs sur le plan économique et, quant à l’aile du RPF, de la majorité,  ce n’est pas elle qui soutiendra une politique courageuse et progressiste. » (p,16)

         Samedi 5 février, 6 heures du matin- 1954 (page 22)

       Fin du Gouvernement Mendès-France et fin sans doute de ma propre carrière ! Par 319 voix contre 278, nous venons d’être renversés. Je suis trop fatigué pour philosopher à ce sujet. Je peux seulement noter des impressions.

       Hier discours de Mitterrand, excellent quant à la forme, déplorable quant au fond, déplorable au sens propre du terme. Entendre Mendès et son ministre de l’Intérieur rivaliser de nationalisme cocardier pour tenter de retenir les éléments RPF ou indépendants qui nous avaient soutenus jusque-là, puis les voir en fin de compte, abandonnés même par les radicaux sympathisants et mes amis MRP qui, dans leur hâte de procéder à la mise à mort, ne se préoccupent même plus des motifs invoqués… C’était à pleurer.

       J’ai peine à penser que cette question algérienne ait l’importance que lui accorde la presse de gauche et qu’une nouvelle affaire indochinoise se prépare. Un Cabinet Mendès aurait dû, de toute façon, la traiter autrement que les cabinets Ramadier avant-hier ou encore hier Laniel n’ont traité la première…

     Mercredi 16 mars, dans l’avion vers Aoulef, Niamey et Garoua.

       Nous nous sommes arrêtés hier soir à Alger pour une courte escale de nuit. Ma femme m’accompagne dans cette tournée au Cameroun où nous nous rendons à l’invitation de Roland Pré que j’y ai nommé haut-commissaire il y a six mois…

       Dîner avec Jacques Soustelle, Gouverneur général :

       « Tout serait facile, dit-il, si les colons voulaient admettre qu’il est possible de gagner de l’argent sans pour autant exercer, à travers une administration docile, leur domination politique et sociale sur les musulmans et si les administrateurs venus de la métropole n’acceptaient trop vite les uns après les autres de fermer les yeux sur la vérité algérienne…

      Soustelle a compris tout de suite pourquoi le problème algérien n’était qu’incidemment policier et militaire et sa solution nécessairement politique. » (p,25)

         Mon commentaire

      Je faisais alors partie d’une des dernières promotions de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, complètement inconsciente, sans doute trop optimiste, car elle croyait qu’elle était destinée à servir une Communauté franco-africaine encore à construire et à faire vivre.

      A titre personnel, je m’étais engagé dans cette voie universitaire sur le conseil d’un aumônier qui m’avait encouragé à aller servir l’Afrique.

      La façon catastrophique dont la IVème République gérait les dossiers de la décolonisation, et en premier lieu celui de l’Algérie, nous inquiétait beaucoup, et encore plus, la perspective d’effectuer un service militaire de presque trois ans en Algérie.

     Nous suivions donc avec la plus grande attention l’actualité politique du moment.

II – Prise de conscience 1956 (page 26)

      Jeudi 26 janvier

      … Diner chez les Ardant où je retrouve Bouabid, le ministre d’Etat chérifien …. Il m’expose les revendications immédiates de l’Istiqlal… Nous parlons de l’Algérie. Visiblement – et c’est naturel – il est en relations suivies avec les dirigeants des maquis algériens. Sans complexe, malgré la situation assez particulière du nouveau gouvernement chérifien, il défend les thèses des révoltés. Il n’imagine pas de solution autre qu’une République algérienne indépendante au sein d’une communauté interdépendante…

        Mercredi 8 février (p,27)

     Que de souvenirs se lèvent à l’occasion de la réception réservée à Guy Mollet avant-hier à Alger par les jeunes fascistes du cru, les colons venus de la Mitidja pour l’accueillir à leur manière, mais aussi les cheminots, les électriciens et les traminots ! Cet accueil, m’a confié tout à l’heure Alexandre Verret, qui dirige son Cabinet, a profondément ébranlé Guy et pesé sur sa décision…

     Robert Lacoste va partir pour l’Algérie. Je le plains. Que pourra-t-il y faire vraiment ?

     Mercredi 29 février (p,28)

     Le problème algérien domine la vie politique. Un véritable sentiment d’angoisse s’empare de tous les Français. Le régime se délite peu à peu. Comment agir ?

… Que nous sommes mal informés ! Je dis nous car mes collègues sauf exception paraissent partager mon sort à cet égard.

… En métropole, une large majorité de l’opinion, qui, devant l’hésitation du pouvoir, est sur le point de choisir les voies de l’indiscipline, de l’individualisme, de la spéculation et de la « combinazzione » aux divers échelons, parait cependant prête à suivre un gouvernement qui réagirait avec énergie et mobiliserait ce qui reste en France de ce sentiment national dont les français ne se déprennent pas sans regrets, enverrait deux ou trois classes au-delà de la Méditerranée et inonderait de troupes (pour reprendre l’expression de Mendès-France au sujet de la Tunisie) les trois départements algériens, rassurant non seulement les « colons » mais les musulmans fidèles dont 37 ont été assassinés par les fellaghas…

        Les lettres que m’envoient d’Algérie les jeunes mayennais, en particulier mes propres cousins, laissent l’impression qu’ils se sentent victimes de l’ignorance, de l’irréalisme et de la confusion intellectuelle de ceux qu’ils désignent de ce terme malheureusement imprécis « les chefs »…

      Que représente vraiment pour nous le maintien de l’Algérie dans la France ? » (p,31)

       Vendredi 16 mars (p,31)

      « Guy Mollet a recueilli une majorité écrasante… mais a-telle une signification pratique ? Comment usera-t-il de ces pouvoirs spéciaux que nous lui avons concédés, C’est l’essentiel du problème… »

        En somme si la plupart des élus ne veulent songer qu’à la politique intérieure et à la vie quotidienne du Parlement, les plus lucides se convainquent qu’il n’y a pas d’issue concevable au drame algérien et voient l’avenir en noir… »  (p,33)

Robert Buron est de plus en plus perplexe sur le dossier algérien.

      « Mais alors, où est mon devoir ? Les français ne semblent pas voir la situation telle qu’elle est là-bas – sauf certains peut-être, tels mes petits mayennais appelés ou rappelés.

       Faut-il tenter de leur ouvrir les yeux et comment y parvenir ? » (p,40)

       Mon commentaire

      A cette date, j’avais fait ma première expérience de l’Afrique au nord du Togo et au sud, pendant un stage de six mois. A Sansanné-Mango, j’y avais rencontré Robert Buron qui s’acquittait d’une mission parlementaire aux côtés d’un député communiste et d’un député radical-socialiste.

     J’avais participé en cours du dîner à une conversation très ouverte sur l’évolution du continent africain et sur la décolonisation annoncée, dans une optique de coopération ouverte avec les nouveaux Etats en gestation.

        Du fait du mandat international de tutelle que la France y exerçait encore, la République du Togo expérimentait en quelque sorte les outils institutionnels des nouveaux Etats indépendants.

     Comme j’en fis à nouveau l’’expérience ailleurs, en Algérie, ou à Madagascar, ça n’était pas la France !

        Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Annonce de publication Comme déjà annoncé; Les Carnets politiques de la guerre d’Algérie de Robert Buron

Annonce de publication

Comme déjà annoncé

Demain, 14 février 2018, jour anniversaire de mon fils Hugues, je commencerai à publier une chronique sur les « Carnets Politiques de la Guerre d’Algérie » de Robert Buron.

Au cours du deuxième trimestre 2018, je publierai une longue chronique critique du « modèle de propagande postcoloniale » du collectif Blanchard and Co : pourquoi ?

Pour avoir servi la France, mon pays, tout au long de ma vie, j’estime que ce collectif, après avoir surfé, entre autres,  sur une « fracture coloniale » née de leur imaginaire idéologique, sème depuis trop d’années un poison de fracture nationale.

Jean Pierre Renaud