« Guerres d’Afrique, 130 ans de guerres coloniales, l’expérience française », de Vincent Joly, lecture 2

« Guerres d’Afrique

130 ans de guerres coloniales

L’expérience française »

Vincent Joly

Lecture critique

Volet 2 (volet 1 sur le blog du 11 mai 2011 )

La problématique de la guerre : « une espèce de guerre coloniale » ?

Le premier chapitre intitulé « Guerres et violences coloniales : thèmes et débats » ouvre le livre sur le véritable débat de fond, le contenu du concept de guerre, son évolution et sa définition selon les auteurs, et sa signification en tant qu’une « espèce de  guerre coloniale ».

Ma première remarque porterait sur la qualification coloniale : est-ce qu’une guerre coloniale, petite ou grande, courte ou longue, n’est pas, avant toute chose, celle qui est faite par une puissance qui entend en dominer « une autre », un nouveau territoire, une colonie, donc une guerre coloniale par destination.

La distinction que font les auteurs anglo-saxons entre celles qui ont eu lieu avant 1914, les « small wars », et celles d’après, les « imperial policing » ne suffit pas à décrire les différents états de guerre coloniale, selon les époques.

Ma préférence irait plutôt, en ce qui concerne la France, vers des critères techniques plus rigoureux, le théâtre d’opérations (désert, savane ou forêt), la latitude (tropicale ou non), une mise en œuvre artisanale (Soudan) ou industrielle (Tonkin, Dahomey, ou Madagascar), les effectifs mis en œuvre (africains ou non), les technologies disponibles et mises en œuvre, et évidemment la date, et tout autant la saison.

La thèse développée par l’historien Headricks dans le livre « The tools of imperialism » est tout à fait stimulante à cet égard : pas de conquête du Soudan sans vapeurs sur le fleuve Sénégal, et pas de conquête du bassin du Niger, sans télégraphe (ce que releva d’ailleurs l’historien Brunschwig), canons, et fusils à tir rapide, mais tout autant, sans quinine, et sans recours à une troupe africaine nombreuse.

Le recrutement de ce type de troupe donnait la possibilité de financer la conquête au moindre coût, en faisant appel au minimum de soldats européens mal adaptés, sur le plan de la santé et de l’acclimatation, à ce théâtre d’opérations

Les critères d’analyse retenus par l’historien Keegan dans son « Histoire de la Guerre » seraient sans doute plus pertinents, notamment ceux de « feu », de « logistique », marginalement de « fortifications » à l’occasion de la conquête de l’ouest africain (les fameux tatas), mais en y ajoutant la nature des troupes, la contrainte climatique, et l’importance de l’outil militaire de la conquête, la « colonne », au cours de ce qu’il conviendrait d’appeler la première phase des guerres « coloniales » modernes.

Au cours de la première période, c’est sans doute l’outil militaire de la « colonne » qui a été l’instrument majeur de la conquête coloniale, mis en pratique par les puissances européennes avec des caractéristiques et  une intensité militaire différente selon les enjeux, les époques et les théâtres d’opération.

Quoi de commun entre les premières colonnes de Gallieni en marche vers le Niger dans les années 1880 et celles qu’il commanda au Tonkin dans les années 1890 contre le Dé Tham dans le Yen Thé ?

L’auteur propose sa propre définition de la guerre coloniale qui réunirait trois caractéristiques, une défaite d’exception, la disproportion des pertes subies, la composition africaine de l’armée coloniale. (page 32)

Une telle définition appauvrit considérablement le concept historique, et n’est de toute façon plus applicable dans des contextes historiques tels que la guerre du Rif, ou celles d’Indochine et d’Algérie.

Et en ce qui concerne un des critères, celui des pertes, dans quelle case du bilan, conviendrait-il de mettre les pertes européennes causées par les maladies (le tiers des effectifs de l’expédition malgache en 1895-1896) ?

Le critère proposé par l’historien Henri Brunschwig, même s’il est également très général, traduit beaucoup mieux la relation coloniale entretenue par la métropole pour laquelle toute guerre coloniale, n’a jamais été que « secondaire »

A ce stade de la lecture et de la réflexion, je serais tenté de dire que faute d’avoir choisi un fil conducteur et une chronologie historique, une définition précise de la guerre coloniale, l’auteur brosse un tableau plus récapitulatif que comparatif et synthétique des guerres d’Afrique, dites « coloniales », sans que la rigueur historique y trouve en définitive son compte, en juxtaposant expériences et guerres « coloniales », sans qu’on en voie toujours les lignes de force communes ou antagonistes.

 Les ambiguïtés

Le titre du livre vise les guerres d’Afrique, et il parait tout à fait surprenant d’y inclure la guerre d’Indochine, même si on voit bien le lien que fait l’auteur entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, compte tenu des idées de guerre subversive, psychologique, révolutionnaire, qui ont inspiré, en Algérie, une partie des officiers d’active dans la guerre qu’ils y ont menée.

Mais ce rapprochement est tout à fait discutable, sauf à passer à un autre type d’analyse, celle des guerres « coloniales » modernes, de type d’abord asymétrique, puis de plus en plus symétriques, en raison des moyens militaires mis en œuvre, telle celle du Vietnam, qu’ont été certaines guerres d’indépendance nationale.

D’autant plus discutable qu’en Indochine, la confrontation est-ouest a très rapidement donné une coloration très différente au conflit, ce qui n’a pas été le cas de l’Algérie, même si certains officiers ont tenté d’accréditer cette thèse.

Une école algérienne de la guerre coloniale? Et la doctrine du fait accompli ?

L’auteur fait un sort à une école militaire algérienne à la mode Bugeaud, et classe Faidherbe dans la mouvance de cette école, mais cette ascendance, même si elle a existé, n’a pas obligatoirement conduit Faidherbe à mener ce type de guerre sur un théâtre d’opérations complètement différent, avec l’innovation des opérations amphibies,  et avec une conception coloniale encore plus différente de celle de l’Algérie.

L’auteur écrit : « Comme Bugeaud, il estime (Faidherbe) qu’il ne peut y avoir de sécurité sans occupation militaire même si celle-ci va à l’encontre de la politique voulue à Paris. Ainsi, en 1859, alors que de nouvelles instructions lui ordonnent de consolider le territoire acquis, il lance une colonne dans le Siné afin de « restaurer le prestige de la France ». En agissant ainsi, il inaugure une pratique du fait accompli et de lace vis-à-vis des pouvoirs civils métropolitains qui est érigée en principe par ses successeurs « soudanais ». Il est ici, selon la juste expression de R.Kanya-Forstner, le véritable père de l’impérialisme français au sud du Sahara. » (page 95)

J’ai consacré plusieurs années de recherches historiques dans les archives militaires et dans les récits de campagne des officiers, et il y en a eu beaucoup, afin de tenter de déterminer la place du fameux « fait accompli » dans l’histoire des conquêtes coloniales. J’ai livré le résultat de ces recherches dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et ces recherches démontrent :

 1) que dans le contexte des communications de l’époque, il existait effectivement une liberté large et inévitable de commandement. Au cours même de la guerre de 1914-1918, l’historien Keegan a montré les limites du commandement, même au plus près des combats, le chef n’étant le plus souvent pas informé, ou avec retard, de ce qui se passait en avant des tranchées,

2) que le fameux fait accompli était le plus souvent au moins autant celui du petit groupe politique colonial qui tirait les ficelles à Paris que celui décrit comme le clan des « Soudanais », « les épigones de Bugeaud » (page 115)

3) que la thèse de R.Kanya-Forstner avait le mérite d’exister, mais qu’elle n’était pas toujours fondée dans tous ses développements,

4) qu’en tout état de cause, aucune opération militaire ne pouvait se dérouler sans que son chef ait un minimum de liberté de commandement.

Et j’ajouterais volontiers que la course vers Fachoda, ou le lac Tchad, avec le désastre de la colonne Voulet-Chanoine, la guerre du Dahomey, l’expédition de Madagascar, pour ne citer que ces quatre exemples, ne s’inscrivaient pas dans la thèse du fait accompli colonial, mais bien dans celle de la décision politique ou du fait accompli politique.

Alors parler d’école algérienne de l’impérialisme parait tout simplement exagéré, pour ne pas utiliser un qualificatif plus fort. L’extension de cette conception génétique de la guerre coloniale à la guerre d’Indochine ou à celle d’Algérie, serait encore plus étrange !

Mais tout à fait curieusement, il semble qu’à l’arrière-plan de ce type d’analyse se profile l’ombre de l’Algérie, toujours l’Algérie, et sa guerre d’indépendance qui aurait effacé les autres colonies, même si l’Algérie n’était pas une colonie, une « ombre » familière à beaucoup de chercheurs de l’histoire coloniale ou postcoloniale.

Ecole algérienne, celle de Gallieni ou de Lyautey ? Cette thèse n’est pas fondée, en tout cas pour ceux qui ont fréquenté, et leurs récits, et leurs campagnes.

Une armée d’Afrique ?

J’avouerai qu’à la lecture de ce livre par ailleurs bien documenté grâce à son abondante historiographie, et intéressant, j’ai eu de la peine à retrouver les justes repères sur la nature des armées coloniales, sauf en ce qui concerne leur appel à un recrutement toujours très important de soldats africains.

A mes yeux, l’armée d’Afrique était celle d’Algérie, et plus largement celle de l’Afrique du nord, et pas celle des colonies africaines, formée de régiments d’infanterie ou d’artillerie coloniale, et pas du tout de régiments de zouaves ou de chasseurs d’Afrique. Il me semble que c’est d’ailleurs l’acception retenue par les spécialistes, notamment  Anthony Clayton, Troisième partie, L’armée d’Afrique (pages 243 et suivantes).

Ne s’agit-il pas là d’une confusion historique ?  D’autant plus étrange que l’auteur cite à la fois dans son livre et dans sa bibliographie le livre de Clayton, intitulé « L’armée française en Afrique : 1830-1962 »

L’analyse du concept de l’armée d’Afrique, de son contenu, de son recrutement, aurait été intéressant en tant que tel, étant donné la relation qu’il instituait entre le gouvernent, la nation, et la politique coloniale qui était menée en leur nom.

L’histoire des troupes coloniales montre à l’évidence qu’elles ont le plus souvent servi des guerres considérées comme secondaires, ignorées le plus souvent comme le relève d’ailleurs ce livre, d’autant plus facilement, qu’elles n’impliquaient pas l’armée française dans son ensemble, mais surtout, absolument pas dans son système de recrutement, c’est-à-dire la conscription citoyenne, et donc en conséquence dans son fonctionnement et ses missions.

Ce que l’auteur appelle « l’armée d’Afrique », hors Algérie, a généralement été dirigée par des officiers de métier, secondés par un petit noyau européen de soldats de métier, d’engagés, ou de volontaires, mais constituée, pour l’essentiel, de troupes africaines.

L’expédition de Madagascar avait par exemple montré les limites de l’appel à des formations militaires de la métropole. Les unités de soldats recrutés en métropole, fêtées par la population à leur départ, le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs, avaient perdu, à la fin de 1895, plus de la moitié de leur effectif.

L’historien Brunschwig avait fort justement qualifié cette expédition de « criminelle ».

C’est entre autres, la raison pour laquelle je remarquais au début de cette analyse que les guerres coloniales n’avaient jamais été celles de la France, de son peuple, mais celles de ce que j’appellerais la France coloniale.

Et c’est sans doute pour les mêmes raisons que, grâce à l’existence d’un article 35 tout à fait curieux de la Constitution, à la suppression du service militaire et  à la disposition d’une armée professionnelle, la France s’engage aujourd’hui dans des guerres extérieures, sans trop se soucier de l’avis du Parlement ou de l’opinion des citoyens.

Nous touchons ici du doigt une des causes de nos guerres coloniales, celle qui mettait à la disposition des gouvernements de la Troisième République une force militaire professionnelle dont l’emploi ne soulevait  pas de conflit politique majeur.

Dans les deux guerres « perdues » d’Indochine et d’Algérie, le facteur principal de la défaite fut dans un cas, l’absence de la mobilisation des citoyens pour assumer le conflit, et dans l’autre cas, l’engagement des citoyens, c’est-à-dire d’un contingent rapidement hostile aux buts de cette guerre.

Avant d’en terminer, toutefois un regret, que l’auteur n’ait pas assez fait état des archives d’opérations militaires elles-mêmes, et pu consacrer plus de temps à la lecture des récits des officiers qui ont été les acteurs de ces guerres coloniales, je pense notamment à Gallieni et à Lyautey, mais il y en a eu beaucoup d’autres.

Au-delà de leur métier militaire, ils avaient souvent un talent de plume incontestable !

 Et le regret aussi que l’analyse historique n’ait pas épousé strictement le concept de comparaison entre « guerres » chronologiquement et conceptuellement comparables.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900)

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011

1896: Gallieni fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011

Madagascar et Indépendance? « L’Afrique noire française » « L’heure des indépendances » « L’indépendance de Madagascar »

« L’Afrique noire française »

« L’heure des indépendances »

Lecture

Volet 2

5°partie : L’Océan Indien et l’indépendance de Madagascar

Ou comment on écrit l’histoire !

La contribution du Colloque intitulée « Les Tananariviens face à la proclamation de l’indépendance » (page 637 à 665) est fondée sur deux postulats historiques, non encore démontrés:

 1) que la capitale était représentative des réactions malgaches de l’ensemble de l’île à l’indépendance,

2) et que l’indépendance de l’année 1960  était étrangère aux « événements », à la « rébellion », ou à l’« insurrection » de 1947, ou plutôt à l’action du MDRM (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache), justement soulignée, à ce même colloque, par un de ses éminents représentants, M.Rabemananjara, ancien député à l’Assemblée Nationale (française).

Quelques observations sur le premier point : l’historienne évoque rapidement le retour des trois députés, Raseta, Ravohangy, et Rabemanjara, mais passe donc  quasiment sous silence leur rôle politique, avant 1947.

Pour le reste, pas grand-chose à dire sur l’histoire racontée des fêtes de l’indépendance, organisées par le régime du président Tsiranana, renversé en 1972.

L’historienne écrit :

« Mais les Tananariviens ne considèrent pas ce dernier comme le père de l’indépendance (il s’agit de Tsiranana). Et ils ne se laissent pas tromper : officiellement, Madagascar est souverain, mais les accords de coopération avec l’ancienne puissance colonisatrice sont signés tout de suite après la proclamation du nouveau statut. Pour la capitale, commence une période d’opposition au régime néocolonial, longue de douze ans. Le régime de Tsiranana tombe finalement sous le coup de grèves d’étudiants et d’élèves qui cristallisent le rejet des structures néocoloniales. Ces grèves touchent plusieurs villes de Madagascar, précédées par les manifestations du Sud, mais ce sont les manifestations du 13 mai 1972, devant l’hôtel de ville de Tananarive, qui donnent le coup de grâce à un régime moribond. Tananarive, comme d’autres capitales, fait et défait des régimes. » (page 663)

L’historienne pensait à Paris ?

Dommage qu’elle n’ait pas été plus prolixe sur la nature des structures néocoloniales qui empêchaient Madagascar d’être vraiment un pays indépendant, mais la critique de fond viendrait plutôt du témoignage de l’ancien député Rabemananjara, un témoignage fort intéressant de la part d’un des premiers artisans de l’indépendance malgache, un des trois véritables pères de l’indépendance..

Le témoignage fort intéressant de M.Rabemananjara :

L’ancien député reproche à l’historienne d’avoir fait une impasse sur le rôle et l’histoire du MDRM, qui fut effectivement un grand parti à Madagascar :

« L’on comprend donc que Tsiranana ait voulu occulter la vérité. Mais que les historiens fassent une impasse sur le MDRM, moi, je l’avoue, je ne le comprends vraiment plus. C’est comme si pour l’indépendance de la Côte-d’Ivoire, vous alliez faire une impasse sur le rôle du RDA. Vous allez parler d’Houphouët-Boigny ; mais vous vous abstenez de parler du RDA. Cela ne vous paraît un peu bizarre ?

Si j’insiste sur cette omission, ce n’est pas uniquement par souci d’éclairer des points d’histoire. Car, voyez-vous, quand on évoque ces événements, je choisis le mot événement, étant donné que c’est beaucoup plus neutre que le mot rébellion, que le mot insurrection. J’y reviendrai tout à l’heure.

Qui était au centre de toutes ces questions d’indépendance de Madagascar ? Nul doute, c’est le MDRM. Ici, j’attire l’attention de vous autres, les historiens, sur l’importance et sur la gravité du fameux télégramme de Marius Moutet, ministre des Colonies. Pour bien en mesurer le poids, il faut se rappeler que la France était sous un gouvernement tripartite : Paul Ramadier, Président du Conseil, était socialiste, comme Marius Moutet, Maurice Thorez, ministre d’Erat, vice-président du Conseil, était communiste, et Pierre-Henri Teitgen, garde des Sceaux, était MRP. Ces hommes se vantent d’appartenir à un Etat de droit, et ils sont d’accord pour permettre à Marius Moutet d’adresser au gouverneur général de Madagascar, le télégramme que voici :

« Abattre le MDRM par tous les moyens ».

 Vous rendez-vous  compte de la portée d’une telle décision ? Abattre le MDRM par tous les moyens. On abat les chiens enragés. On abat les sangliers. Sans qu’il y ait eu le moindre jugement, le MDRM est condamné sans appel. Un gouverneur général recevant un tel ordre de son ministre, de son gouvernement, que va-t-il faire ? Il ne cherche pas à savoir si le MDRM est coupable ou non ? Il exécute la consigne L’inqualifiable curée commence

Ces considérations vous amènent à croire que nous n’avons jamais donné l’ordre de cette fameuse rébellion et que nous n’en avons jamais conçu l’idée, ni élaboré le plan…. J’apporte ces précisions pour vous permettre d’avoir une idée plus claire de ce qu’il est commode d’appeler la rébellion malgache…

Je voudrais profiter de cette occasion pour rendre un hommage solennel à l’Assemblée nationale française ; jamais, elle n’a accepté de nous défaire de notre mandat, si bien que, pendant les années où nous croupissions en prison, dans les débats parus au Journal officiel de l’Assemblée nationale ; quand il y avait vote, vous pouviez lire : « Raseta, Ravohangy, Rabemananjara, empêchés ». Nous étions dans la geôle colonialiste et l’Assemblée nationale reconnaissait notre totale innocence. » (page725)

.Qu’ajouter de plus à ce témoignage pour l’histoire d’un des trois pères de l’indépendance malgache ?

Pour mieux comprendre ce qui s’est passé dans la grande île dans les années 1945, 1946, et 1947, les lecteurs intéressés pourront se reporter, entre autres, aux ouvrages de Pierre Boiteau, « Contribution à l’histoire de la nation malgache » (1958), et de Jacques Tronchon, « L’insurrection de 1947 » (1986). Et sans doute aussi à des travaux d’historiens malgaches.

En ce qui concerne le ministre Moutet, Jean-Pierre Gratien, propose, sur le même sujet, un éclairage historique dans un livre récent « Marius Moutet, un socialiste à l’Outre-Mer »

A partir de ces sources, il est possible de faire plusieurs commentaires :

A la fin de la deuxième guerre mondiale, la situation internationale, ainsi que celles de la France, en pleine reconstruction, ainsi que celle de Madagascar, affaiblie par la misère, était plus que trouble, mais il faut reconnaître que les gouvernements français des années 1945-1947, n’ont pas fait preuve d’un grand discernement dans la gestion des crises coloniales, pour ne pas dire plus.

Avec le recul des années, mais mon appréciation personnelle est déjà ancienne, le rôle et les décisions des gouvernements français de l’époque, ceux Provisoires de la République Française, et ceux de la 4°République, à compter du 22 janvier 1947,  dont la composition politique était tripartite (SFIO, MRP, et PC), paraissent tout à fait incompréhensibles, sans bon sens politique, en pleine contradiction avec l’esprit de liberté qui avait animé les mouvements de Résistance.

 Je vous avouerai que je n’ai toujours pas compris l’aveuglement, pour ne pas dire la bêtise, des décisions de politique coloniale prises par les gouvernements des années 1945, 1946, 1947 (Gouin, Bidault, Blum et Ramadier), en particulier celui de Ramadier, l’artisan et le responsable de la répression de 1947, alors que leur composition politique n’était pourtant pas réputée conservatrice.

Rappelons à ceux qui l’auraient oublié  que le la gauche était majoritaire dans ces gouvernements, la SFIO et le PC étaient les alliés du MRP

Leur aveuglement soulève la question de fond qu’il faut d’ailleurs poser quant à la politique coloniale de la France, tout au long de la période coloniale : qui prenait vraiment les décisions ? A Paris, ou dans les colonies ?

Mais dans le cas de Madagascar, la réponse semble assez claire : le ministre socialiste Moutet, ancien du Front Populaire, fut l’artisan de la répression coloniale tout au long des années 1946 et 1947 : il fut ministre de la France d’Outre- Mer, sans discontinuer, du 26 janvier 1946 au 19 novembre 1947.

L’instruction dont fait état M.Rabemanjara « Il faut abattre le MDRM par tous les moyens » est confirmée dans le livre Boiteau, et trouve sa source dans le témoignage de M.Boudry, un haut fonctionnaire des Finances qui fut le Secrétaire Général provisoire de la colonie en 1946. Il fut relevé de ses fonctions pour avoir refusé d’appliquer les instructions Moutet.

A noter que le même Boudry fut l’ami du grand poète Rabearivelo, sur lequel nous reviendrons ultérieurement grâce à son témoignage.

Moutet accusait le MDRM d’être « séparatiste », « nationaliste », et enfourchait la thèse classique de l’idéologie coloniale, celle d’une mythologie « hova », l’aristocratie « dominatrice » des plateaux, qu’il fallait combattre, et dont l’origine remontait au proconsulat Gallieni.

Il est tout de même curieux de voir que la France, avec Gallieni, fit tout pour détruire les éléments « naissants » d’un Etat de type centralisé, animé par la monarchie « hova », un Etat embryonnaire qui évoluait vers la modernité. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il y avait, en 1895, sans doute, moins d’illettrés sur les plateaux de l’Imerina que dans notre belle Bretagne.

La doctrine Gallieni ne fut pas celle de Lyautey en Indochine et au Maroc, mais le général Gallieni eut à faire face à une révolte importante, et s’il fit prendre alors un mauvais « pli » à la colonisation française, ses autres « plis » de proconsul ne furent pas tous négatifs. Il ne faut pas non plus oublier que Gallieni était un républicain laïc convaincu.

Et pour revenir à Moutet, ce dernier mit effectivement tout en œuvre, illégalités comprises, pour abattre le MDRM, et mettre fin à l’insurrection, quel qu’en soit le prix.

Et pour la petite histoire et grande histoire, il n’est pas inutile de rappeler que Gaston Defferre, celui de la loi émancipatrice de 1956 sur les colonies, bref Sous-Secrétaire d’Etat à la France d’Outre-Mer dans un cabinet Blum (16/12/46 à 22/1/47) accomplit une mission d’information dans la grande île au terme de laquelle il recommanda l’envoi urgent de renforts militaires.

La gauche restait donc fidèle à la politique engagée par Jules Ferry, alors que le monde avait changé, et cette fidélité avait toutes les caractéristiques de la bêtise.

Moutet nomma son ami de Coppet Gouverneur général de Madagascar, lequel appliqua les instructions de son ami ministre. De Coppet fut très mal accueilli à son arrivée à Tananarive, le 19 mai 1946, à la fois par les malgaches et par les français qui résidaient dans l’île, hostiles aux socialistes.

De Coppet fut assez rapidement relevé de ses fonctions, alors qu’il avait conclu à la nécessité d’engager le processus de l’indépendance de Madagascar.

En ce qui concerne les forces en présence, il n’est pas interdit de se poser la question du rôle de ceux qu’on appelle communément les « colons », dont le poids n’était pas négligeable dans la grande île , à la différence d’autres colonies, et de celui de la société coloniale de la grande île et du groupe de pression de la petite île de La Réunion, qui fut à l’origine de la colonisation de Madagascar, et qui continuait à avoir du poids politique.

Il est tout de même étrange que la thèse coloniale du dualisme entre côtiers et merinas des plateaux ait en fait servi (provisoirement) les intérêts des colons qui s’étaient implantés dans les concessions côtières.

 Qui commandait réellement à Tananarive dans les années considérées ?

Enfin, et pour citer un historien colonial à la fois compétent et réputé, Henri Brunschwig, dans le livre « La colonisation française », publié en 1949, c’est-à-dire encore  « à chaud » de ces événements, prit incontestablement un risque historique en écrivant :

 « Le MDRM semble avoir fomenté l’insurrection qui éclata brusquement dans la nuit  du 29 au 30 mars dans la falaise de la côte est. » (page 225)

Tout en rectifiant le tir dans le paragraphe suivant :

« Il n’est pas encore possible de faire une étude objective de la révolte. »

Jean Pierre Renaud

                    Les caractères gras sont de ma responsabilité

« Le colonialisme en question » Mes conclusions. Quelle valeur ajoutée?

« Le colonialisme en question »

« Théorie, connaissance, histoire »

Frederick Cooper

Mes conclusions

Quelle est la valeur ajoutée proposée aux chercheurs ?

S’agit-il du « best of » postcolonial studies?

            Incontestablement un travail important, qu’il est difficile de situer dans l’une ou l’autre des disciplines intellectuelles qui se sont intéressées au « colonialisme », l’histoire des idées ou l’histoire politique, la sociologie ou l’anthropologie…

Une historiographie abondante et puissante que l’auteur met à la disposition des chercheurs, mais dans quel but, et avec quelle valeur ajoutée ?

L’auteur leur conseille, au fil des pages, d’user de beaucoup de précautions, pour tenter de définir le colonialisme et son histoire, à partir de concepts clés tels que « Lumières », identité, globalisation, ou modernité.

Ses préférences le portent incontestablement vers les concepts dialectiques états – empires ou états – nations, mais il est possible de se poser la question de leur pertinence historique en faisant l’impasse du contexte, précisément celui de « l’ancrage temporel » qu’il recommande aux chercheurs de ne pas oublier.

Remarquons au passage que certaines descriptions frôlent l’à peu près idéologique, mais la démonstration méthodologique qu’il propose dans le cas de l’AOF, après la seconde guerre mondialeavec le rôle majeur des grèves des « évolués » n’est pas vraiment « concluante » , comme nous l’avons dit.

Aucune référence marxiste dans ces mouvements ? Seulement une revendication d’égalité sociale et citoyenne avec les citoyens français ? Avec le succès paradoxal d’un colonialisme à bout de souffle ? Hors d’un contexte colonial connu des historiens, des géographes, et des africanistes ?

Une compilation savante de tous les travaux qui se sont penchés sur ce type d’histoire, utile sans doute, mais qui laisse le lecteur sur sa faim, car les réflexions les plus stimulantes en sont restées au stade des promesses : quid, et concrètement, des fameuses connexions et interconnexions, des réseaux, des trajectoires, des limitations ?

Quid de la description précise des trajectoires, des connexions, des réseaux et de leurs effets ? Au stade des idées générales, pas trop de problèmes ! Mais au stade des chemins suivis et des résultats, des chiffres, des évaluations, ce livre ne propose pas de réponse pertinente.

Evoquer l’importance des relations transsahariennes ou transocéaniques, sans proposer aucune évaluation comparative et chronologique créée une frustration intellectuelle, pour ne pas dire historique, évidente.

Et en ce qui concerne le fonctionnement des « limitations », le cas de l’AOF après 1945 ? Et il y avait tellement de « fissures », et dès la conquête !

Et quant au fonctionnement concret du colonialisme, sur le terrain, et pour avoir lu beaucoup de récits coloniaux, il ne rentrait pas dans le système intellectuel et abstrait qui est décrit, c’était le plus souvent, beaucoup plus simple, je dirais presque élémentaire.

A propos du chapitre 7, nous avons proposé des concepts d’analyses stratégiques qui paraissaient mieux décrire ce fonctionnement historique.

Dès l’origine, le processus de la décolonisation était inscrit dans la « situation coloniale », sur le terrain, chez un certain nombre d’officiers et d’administrateurs, et à Paris.

Au sein même de la Chambre des députés, à Paris et non dans l’empire, les « fissures » dont parle l’auteur existaient déjà, de « grosses fissures », et dans l’attitude réservée des Français à l’égard des conquêtes coloniales.

Dans son discours à la Chambre des députés du 31 juillet 1885, après les affaires de Lang Son et du Tonkin, Clemenceau déclarait, en contestant les ambitions coloniales de Jules Ferry et ses justifications :

« Races supérieures ? Races inférieures, c’est bientôt dit… Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps. Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine, avec cette grande effervescence d’art dont nous voyons encore aujourd’hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui parait avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius !… » 

   Il n’est pas inutile de rappeler que des historiens aussi sérieux que Brunschwig et Ageron ont conclu l’un et l’autre, dans leurs analyses de périodes historiques différentes, à une certaine indifférence, pour ne pas dire plus, de l’opinion publique à l’égard des colonies.

Après la fameuse grande exposition coloniale de 1931, dont certains chercheurs font le « must » du colonialisme, le maréchal Lyautey, son responsable, et grand  « colonialiste » s’il en fut, reconnaissait qu’elle n’avait pas beaucoup changé le sentiment de l’opinion publique.

C’est un des raisons pour lesquelles, après avoir beaucoup fréquenté notre histoire coloniale, je fais partie de ceux qui considèrent que la France a toujours été beaucoup plus attirée par l’exotisme ou le verbalisme des « Lumières » que par le colonialisme, « frère jumeau » ou non.

Et je serais tenté de dire que les Français manifestent une belle continuité à cet égard si l’on en croit leur intérêt pour les émissions télévisées consacrées au voyage, au dépaysement, à l’exotisme, en dehors de tout « inconscient collectif » cher à Mme Coquery-Vidrovitch.

Je proposerais donc en conclusion de revenir au contenu de la phrase de Sun Tsu que j’ai citée dans mon introduction :

« Le fin du fin, lorsqu’on dispose ses troupes, était de ne pas présenter une forme susceptible d’être définie clairement… »

Mais il s’agissait dans le cas d’espèce de gagner une bataille, bien sûr, et dans le cas de ce livre, de convaincre le lecteur, j’imagine, pour qu’il partage son analyse, après l’avoir impressionné par le jeu des drapeaux et des étendards (identité, globalisation, modernité, empires), et aussi le « bruit des tambours » (un zeste d’idéologie), de la trouver pertinente, et donc de lui proposer enfin « une forme… définie clairement », celle, j’imagine, qu’aurait été l’AOF, après 1945, avec la montée des revendications syndicales.

Je crains fort que cette bataille n’ait pas été gagnée, bien que certains chercheurs, mais pas tous, aient été séduits par ces nouveautés venues de l’Ouest, ces modes intellectuelles qui font flotter drapeaux, bannières, et étendards, dans le sens du vent.

Jean Pierre Renaud, le 2 décembre 2010

Avec mes remerciements à mon vieil ami d’études, M.A. qui m’a donné, en tout cas, je l’espère, et grâce à ses conseils, la possibilité de ne pas trop oublier l’« ancrage temporel » et contextuel indispensable à toute réflexion historique.

« Le colonialisme en question » Frederick Cooper- Les possibilités de l’histoire- Lecture 6

« Le colonialisme en question »

Frederick Cooper

Troisième partie

« Les possibilités de l’histoire » (page 205 à 311)

« Etats, empires et imaginaire politique » (page 205 à 274)

Lecture 6

Le discours

            « Dans ce chapitre, je montrerai que la manière dont les dirigeants des Etats-empires percevaient leur Etat et les formes prises par la contestation  politique reflétaient une « pensée en termes d’empire ». Trouver l’équilibre entre les deux pôles de l’intégration (les sujets de l’empire appartiennent à l’empire) et de la différenciation (des sujets impériaux différents sont gouvernés autrement) était affaire de débats et des stratégies changeantes. Les équilibres furent régulièrement bouleversés par les actions des populations coloniales. Loin d’être un anachronisme politique dans l’« ère moderne », cette perspective impériale vaut pour la France, la Grande Bretagne et d’autres Etats importants des XIX° et XX°siècles…

            J’affirmerai que les politiques impériales – « anciennes » et « nouvelles » – constituaient un système dans lequel tout prétendant sérieux à une influence géopolitique devait penser et agir comme un empire. (page 206)

Et avant de revenir sur le contenu de ce chapitre, allons  à la conclusion du même chapitre :

            « Le point central de ce chapitre est aussi le plus simple : jusqu’à un passé très récent, les empires ont eu une importance fondamentale dans l’histoire mondiale. Nous devons examiner en profondeur ce que signifiait pour un Etat penser comme un empire, conjuguer intégration et différenciation, affronter les problèmes liés à l’extension sur de grandes distances et reconnaître les limites du contrôle de populations nombreuses et diverses. Penser comme un empire n’était pas la même chose que penser comme un Etat-nation et, si, les conceptions territoriales et culturelles de « la nation » furent dans certains cas plus fécondes – et eurent parfois des effets dévastateurs -, l’impératif d’agir comme un Etat-empire au sein d’un système global d’Etats-empires limitait drastiquement les possibilités d’action. (page 269)

            « Le fait le plus important concernant les empires est qu’ils ont disparu. Une composante autrefois ordinaire de la vie politique est devenue une impossibilité politique. Réfléchir sur les circonstances qui ont conduit à cette impossibilité permet d’apprécier les limites du pouvoir lorsqu’il prend ses dimensions extrêmes, la capacité des peuples à trouver des niches et des fissures dans les systèmes de contrôle et de contrainte, le conservatisme des Etats les plus progressistes et l’adaptabilité de peuples soi-disant traditionnels. (page 273)

            L’analyse de ce chapitre propose une vue panoramique de la plupart des empires qu’a connus l’histoire mondiale depuis l’Antiquité et nous propose de creuser les concepts d’empire et de nation, d’Etats-empires et d’Etats-nations, et relève en ce qui concerne les empires coloniaux du dernier siècle :

« Les empires ont commis des violences parce qu’ils étaient forts et parce qu’ils étaient faibles. La tactique de la terreur –massacres à grandes échelle durant les conquêtes et, par la suite, châtiments collectifs de villages et de groupes parentaux – fut la marque distinctive de la colonisation et la caractéristique durable de ses méthodes de contrôle, qui allièrent technologies nouvelles et tactiques séculaires…

Les vieux empires durèrent des siècles, tandis que les nouveaux – les colonies africaines françaises, britanniques et belges – durèrent seulement quelques décennies. Au premier abord, les nouveaux empires disposèrent de technologies et d’organisations plus efficaces pour exercer et maintenir leur pouvoir. Ce qui frappe dans ces comparaisons, c’est l’incapacité des Etats européens « modernes » à exercer ce pouvoir en Afrique. La domination coloniale fut un empire au rabais ».  (page 210)

Dans la description qu’il fait des différentes situations impériales, l’historien fait un certain nombre d’observations qui concernent l’histoire de France :

« La France ne devint un Etat-nation qu’en 1962, lorsqu’elle renonça au dernier élément vital de sa structure impériale, l’Algérie. » (page 209)

« Les grands courants des historiographies française et britannique ont longtemps traité les colonies comme des choses situées « là-bas », marginales pour une histoire avant tout nationale, ou comme des extensions de la culture et du pouvoir nationaux. » (page 229)

« Je vais d’abord décrire la conception impériale des sociétés britannique et française…La France s’est construite à partir de Saint Domingue, des conquêtes et des pertes françaises en Amérique du Nord, de l’aventure napoléonienne, et plus tard, de l’Algérie, de l’Afrique et du Sud-Est asiatique. Et le pouvoir d’imposer des limites à ses révolutions et ses réactions ne fut pas uniquement situé à Paris. (page 230)

« Tout examen d’une société impériale doit se mener en référence à la colonisation se déroulant sur le terrain. Dans les pages qui suivent, je prendrai l’exemple de l’Empire français pour illustrer les ambiguïtés de la citoyenneté au niveau impérial, et celui de l’Empire britannique pour illustrer l’ambiguïté du lien entre impérialisme et capitalisme. » (page 232)

« Dans la société impériale française, la qualité de sujet coexistait avec la citoyenneté – catégorie accessible en théorie, mais refusée dans la pratique. La notion de citoyenneté impériale, affinée en France pendant plusieurs décennies, contenait en puissance une notion restrictive, culturellement spécifique, de la francité, et une autre notion, davantage centrée sur l’Etat et concernant les droits et les responsabilités au sein d’une société complexe. Si l’Etat pouvait avoir besoin d’invoquer la citoyenneté, il pouvait également se trouver face à des revendications pour exiger cette même citoyenneté.

Les régimes coloniaux eurent besoin de la collaboration de « notables locaux », de personnel et surtout de soldats coloniaux…

Dans les années 1920, le gouvernement français tenta d’enrayer le processus de citoyenneté en mettant en avant un autre mythe : l’empire était la réunion de cultures et de nationalités différentes, toutes placées sous l’égide impériale garantissait la paix et la préservation de la diversité des cultures et des traditions. (page 235)

L’auteur cite Alice Conklin (note 64) : « la vision dominante était que les Africains vivaient et appartenaient à des tribus primitives et distinctes.

« Un point plus important est l’ancienneté des empires sur la scène mondiale : dans les années 1870, l’Europe n’était pas une Europe d’Etats-nations, mais une Europe d’empires – de vieux empires et d’aspirants    au titre d’empire. (page 244) »

« Nous sommes maintenant face au paradoxe central de l’histoire du colonialisme, à savoir les limites rencontrées par les puissances colonisatrices ayant apparemment la plus grande capacité d’action et la plus grande confiance en leur propre pouvoir transformateur. Les administrations coloniales, y compris celles de l’Etat britannique, n’étaient pas très fournies : elles avaient besoin de légitimité et de la capacité coercitive des autorités locales pour collecter les impôts et regrouper la main-d’oeuvre, et manquaient de connaissances du terrain… La structure de la domination accentua et rigidifia l          a distinctivité des unités politiques subordonnées au sein des empires. Le colonialisme favorisa l’ethnicisation de l’Afrique ».(page 246)

« La bestialité et les humiliations qui allaient de pair avec l’incapacité des régimes coloniaux à transformer en routine le contrôle et l’autorité coexistèrent difficilement avec l’autre pôle de l’impérialisme, à savoir l’idée que l’empire était une entité politique légitime dans laquelle chacun de ses membres trouvait un intérêt…

Tant en Afrique française qu’en Afrique britannique, la Première Guerre mondiale fut suivie d’une tentative visant à faire rentrer les génies de l’appartenance impériale dans les lampes tribales… (page 249)

« Expliquer l’échec de cette entreprise (de développement) nécessite un examen non seulement de l’évolution du capitalisme durant l’après-guerre (après 1945) – et en particulier du rôle prépondérant des Etats Unis – mais aussi de l’incapacité des puissances coloniales, malgré la croissance économique considérable durant la décennie de l’après-guerre, à transformer le développement colonial en un projet politiquement durable dans les colonies africaines. «  (page 251)

« En Afrique, ce qui s’effondra en premier fut non pas le colonialisme en tant qu’édifice rigide et immuable, mais le colonialisme dans sa dimension interventionniste. (page 252)

« Cette section a examiné le domaine le mieux étudié dans la multitude de travaux récents sur les sociétés coloniales : les empires ultramarins « modernes ». L’intérêt tout particulier de ces travaux est qu’ils se sont concentrés sur la manière dont l’Europe s’est définie et a défini les espaces colonisés dans une relation mutuelle. Ils montrent comment les régimes coloniaux ont perçu les Africains comme des corps à remodeler de manière qu’ils soient intégrés au monde moderne, comme des corps porteurs d’un moi racialisé, sexué, qu’il fallait fondre dans une niche particulière de l’ordre économique et social colonial, ou comme des corps incarnations de l’altérité. » (Page 254)

L’auteur ne peut esquiver le cas de l’empire américain qu’il évoque sous le sous-titre « L’empire malgré lui : les Etats-Unis »

Enfin, le chapitre traite brièvement (quatre pages et demie) un sujet plein d’intérêt, celui des « Réseaux et imaginaires intra, trans et anti-impériaux » (page 264)

Questions

Elles seraient naturellement innombrables tant les sujets abordés sont variés, complexes, et polémiques aussi, mais nous allons nous limiter aux plus importantes, à nos yeux, en tout cas.

La première :

Il est tout d’abord très difficile de situer ce type d’analyse dans l’une ou l’autre des disciplines de pensée telles que l’histoire, la sociologie, la philosophie des idées, ou l’histoire des idées, et je serais tenté de la classer dans l’une ou l’autre de ces dernières catégories, car elle passe sous silence l’histoire classique de relation des faits (dans un contexte déterminé), ainsi que l’histoire quantitative, financière et économique, celle des quantités et flux mesurables.

Est-ce que dans beaucoup de cas « coloniaux » (français et hors Algérie), il ne s’agissait pas de grandeurs marginales ? Avec des problèmes de grandeurs comparables ou non, d’échelles aussi ? Que pesait le commerce extérieur de l’AOF par rapport au commerce extérieur français ? A quelle échelle se situait le commerce extérieur de l’Indochine par rapport à celui de l’Inde ?

La deuxième :

Colonialisme, colonisation, empires, états-empires, états-nations, tout un ensemble de concepts d’analyse brassés au cours des siècles et sur tous les continents, pourquoi pas ? Mais au risque de ne plus identifier l’objet d’une recherche historique, sa chronologie et son contexte.

L’historien compare la longévité de trois empires, ottoman, austro-hongrois, et russe à la brièveté de vie des deux empires coloniaux britannique et français, mais ces situations historiques sont- elles comparables ? Sans tenir compte de la continuité géographique et des temps historiques ? L’empire américain serait sans doute une meilleure référence avec sa course vers l’ouest et le sud, dans la même continuité territoriale.

Dans un empire intercontinental, les communications revêtaient en effet un intérêt stratégique majeur : ni « colonialisme, ni empire sans communications ».

L’historien Brunschwig  a écrit quelque part que sans télégraphe, il n’y aurait pas eu de conquête de l’Afrique occidentale.

« Les empires coloniaux des puissances de l’Europe occidentale occupent une place relativement petite dans le paysage historique. » (page 270)

Effectivement, et à beaucoup de points de vue !

A un moment donné de son analyse, l’auteur recommande aux chercheurs de ne pas oublier le terrain, mais à le lire, on a plutôt l’impression qu’il ne respecte pas lui-même  cette belle recommandation, car à la lecture de nombreux récits de conquête coloniale et d’administration coloniale, le récit colonial concret, celui du terrain, ne fonctionnait pas comme il le décrit.

 Est-ce que l’administration coloniale française, en AOF, avec ses cent dix- huit commandants de cercle (exactement, et théoriquement) a pu réellement gouverner les 50 000 villages de l’époque en appliquant les méthodes dénoncées par l’auteur ? Partout, et en tout temps, et alors qu’ils ne séjournaient que quelques années dans leurs postes ?

La troisième :

Citoyenneté de l’empire ou de la république, c’était effectivement un vrai problème, mais comment était-il possible de le résoudre en dehors des rêves fous de quelques discours parisiens de la 3ème République ? Avec des populations en grande partie paysannes, très différentes les unes des autres, en particulier selon qu’elles habitaient en forêt, sur la côte ou dans le Sahel, et selon aussi leur appartenance à l’univers musulman, animiste ou fétichiste, alors que la grande majorité de leurs membres ne connaissait pas le français, et alors qu’aucune langue locale « dominante » ne s’imposait réellement ?

La quatrième :

L’auteur constate que l’historiographie française avait tendance à considérer les colonies comme un « là-bas », mais c’était effectivement le cas, car la population française ne s’est jamais sentie concernée par ce « là-bas » colonial, sauf pendant les deux guerres mondiales, et lorsque la guerre d’Algérie a débuté. On a bien vu alors dans quel sens allait alors le peuple français.

Une analyse qui parait donc trop abstraite, trop synthétique, en dépit de la pléthore de sources sur lesquelles elle s’appuie, et j’ai envie du dire que la micro-histoire, celle du terrain n’a pas fonctionné comme la macro-histoire des idées de l’auteur. Et le distinguo conceptuel entre centre et périphérie aurait été sans doute un outil mieux adapté au sujet.

La cinquième :

De plus, et comme nous l’avons déjà relevé, il est difficile d’analyser tous ces phénomènes, leur évolution en faisant l’impasse sur le quantitatif, et les idées les plus intéressantes esquissées par l’auteur, celles de l’importance des réseaux, des connexions, appelleraient incontestablement à la fois des analyses détaillées et des évaluations, c’est-à-dire des chiffres.

Influence de la révolution d’Haïti sur les destinées de la France ? Ecrire que  « la France s’est construite à partir de Saint Domingue… «  (page 230) est une appréciation qui étonnera sans doute plus d’un lecteur !

Il serait intéressant d’en savoir plus sur l’écho que cette révolution a eu dans l’opinion des Français de l’époque, vraisemblablement peu importante, compte tenu de l’état de la « nation » naissante du début du 19°siècle.

De même, citer en références les relations transsahariennes ou transocéaniques sans jamais proposer d’évaluations de ces relations parait notoirement insuffisant.

La sixième :

L’historien porte des jugements polémiques sur les situations coloniales, pourquoi pas ?

Mais est-ce qu’il n’est pas un tant soit peu réducteur, à la fois sur le plan intellectuel et rédactionnel, d’écrire : « Le colonialisme favorisa l’ethnicisation de l’Afrique » (page 246), ou, « Tant en Afrique française qu’en Afrique britannique, la première guerre mondiale fut suivie d’une tentative visant à faire rentrer les génies de l’appartenance impériale dans les lampes tribales. »  (page249)

Le sujet mériterait beaucoup mieux, car s’il a été quelquefois, par ignorance ou par calcul politique, instrumentalisé par la puissance coloniale, il l’a été beaucoup plus ensuite par certains politiciens africains.

La septième :

Quant aux pensées que l’auteur prête aux dirigeants politiques de la France et à la société française en général,  « la vision dominante », « la société impériale française », et sa conclusion qui proposerait « ce que signifiait pour un Etat penser comme un empire», ce type de réflexion nous laisse rêveur, très rêveur.

Je fais sans doute partie des ignorants de notre histoire coloniale, mais mes recherches et mes lectures ne m’ont pas véritablement convaincu qu’il y ait jamais eu de politique coloniale ou impériale en France, que le peuple français se soit beaucoup intéressé aux colonies, et c’est peut-être là qu’était le vrai problème, alors prêter à la société impériale française un « penser comme un empire », parait tout à fait imaginaire.

Et c’est bien dommage parce que l’auteur appâte le lecteur en mettant dans le titre de ce chapitre l’imaginaire politique, alors qu’il n’y consacre que quelques pages !

L’auteur esquisse quelques réflexions sur l’existence de connexions, de réseaux transnationaux, de limites au pouvoir colonial, et c’est sur ce terrain que la réflexion et la recherche aurait pu être la plus novatrice, mais le lecteur doit rester sur sa faim.

Empires ou non, états-nations ou non, imaginaire colonial ou non, en tout cas non démontré, la colonisation française n’a pas fonctionné de la façon abstraite décrite.

&

La France et l’Afrique n’ont jamais été en mesure de relever le challenge de la citoyenneté républicaine pour de multiples raisons, dont les deux principales sont celles des deux guerres mondiales : après 1918, une France saignée à blanc qui n’avait plus les moyens de ses ambitions coloniales, pour autant qu’elle en ait eu ; après 1945, une France encore plus affaiblie, et l’arrivée des Etats Unis, de la guerre froide qui a redistribué toutes les cartes.

Est-ce que le FIDES aurait pu exister sans le plan Marshall, financé par les Etats Unis ?

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Culture coloniale ou Supercherie coloniale: la censure Delanoë?

Culture coloniale ou Supercherie coloniale : la censure Delanoë ?

Culture coloniale, culture impériale, ou supercherie coloniale ?

Pourquoi le livre « Supercherie coloniale » a-t-il été écrit ?

Un livre censuré par Delanoë ? (1)

       Afin de démontrer que la thèse développée , en termes le plus souvent boursouflés, d’après laquelle la France aurait, à l’époque des colonies, baigné dans le colonial, est une thèse idéologique, et non historique, affectée de la plus grande indigence en matière d’évaluation et de mesure statistique des supports d’une culture coloniale supposée et de leurs effets.

            Les livres qui soutiennent cette thèse ont exploité, sans vergogne, les travaux d’un Colloque scientifique organisé en 1993, sans tenir compte des questions et des réserves, nombreuses, qui se sont alors posées, quant à l’interprétation des images examinées, car il s’agissait d’abord d’images coloniales.

L’objet de ce colloque était : « Nature, discours et influence de l’iconographie coloniale liée à la propagande coloniale et à la représentation de l’Afrique en France, de 1920 aux Indépendances »

            Les études universitaires de l’auteur et sa carrière professionnelle ne l’avaient pas habitué à une telle dérive intellectuelle, et c’est en découvrant le contenu de ces livres, qu’il s’est senti obligé de revenir à des sources de culture coloniale qu’il avait abandonnées, presque définitivement après son retour de la guerre d’Algérie.

§

            Avant d’esquisser rapidement les critiques essentielles qui doivent être faites à ce discours du bain colonial, évoquons en deux majeures :

–       La parabole du riz colonial : « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (Culture impériale, page 82), écrit l’historienne Lemaire, alors que 95% du riz importé allait dans les poulaillers et les étables !

–        L’inconscient collectif  entre en scène: faute de pouvoir démontrer la réalité des faits de propagande des images coloniales et de leurs effets, ces historiens invoquent l’inconscient collectif, le ça colonial. Diable ! C’est le cas de le dire !

Passons en revue, comme dans le livre cité plus haut, les différents supports d’une culture coloniale supposée, à l’époque coloniale, c’est-à-dire entre 1871 et 1945, car après la deuxième guerre mondiale, tout a changé.

Les manuels scolaires et les livres de la jeunesse : les livres scolaires, le Petit Lavisse, trop souvent cité, avec ses quelques pages, consacraient de l’ordre de 1 à 4% de leurs pages aux colonies. Il n’y avait sans doute pas de quoi matraquer le cerveau des jeunes français, indépendamment de la question des contenus, non examinés par ces chercheurs, et du fait que ces pages figuraient en fin de livre, donc en fin d’année scolaire.

            Quant aux BD, elles virent le jour, en France, après 1930.

            La presse : ces historiens ne procèdent à aucune  évaluation sérieuse de la presse à l’époque considérée, à la fois de la place (pages et colonnes) que la presse nationale et provinciale, ainsi que la presse spécialisée, réservaient au thème colonial, et naturellement du contenu, favorable, neutre, ou défavorable des articles publiés. La seule source  citée porte sur la presse de droite du sud-est pendant la période 1931-1945.

A leur décharge, il serait possible de noter que le livre « L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 » de l’historien Girardet ne fait pas, non plus,  grand cas d’une analyse sérieuse de la presse.           

            Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser des analyses de l’historienne Lemaire au sujet du rôle de la presse en matière de propagande.

            Les Expositions coloniales, les fameuses expositions coloniales, et leurs zoos humains : les expositions coloniales ont eu effectivement beaucoup de succès, notamment celle de 1931, mais Lyautey lui-même, commissaire général de cette exposition, constatait que l’opinion publique à l’égard des colonies n’avait pas beaucoup changé après cette exposition

            Des historiens coloniaux sérieux, notamment Brunschwig, ont fait le même constat général du désintérêt des Français pour leurs colonies.

Quant au zoos humains, renvoyons les lecteurs aux analyses qui ont été faites à ce sujet, en relevant qu’il ne s’agissait pas toujours des exhibitions humaines qui ont été légitimement épinglées, qu’elles furent d’abord le résultat d’initiatives privées, et enfin qu’il ne faut pas confondre zoos et villages africains tels qu’ils ont été présentés dans beaucoup de villes françaises.

            Les cartes postales : juste une mention, étant donné que ce type de support a fait l’objet des évaluations les plus fantaisistes.

            Le cinéma colonial : notons tout d’abord qu’il est difficile de faire état de ce type de culture coloniale supposée avant 1914, et qu’en ce qui concerne la période postérieure, les auteurs de la thèse critiquée n’ont pas avancé de chiffres sérieux sur le cinéma colonial.

M.Boulanger, spécialiste du sujet, faisait état d’un très petit nombre de films coloniaux, quelques pour cents de la production cinématographique, le plus souvent des films tournés au Maghreb, et d’ailleurs par des étrangers.

Les affiches : la source principale de l’analyse de ces chercheurs est constituée par l’exposition Négripub, faite à Paris, en 1987.

Un mot simplement sur l’indigence de cette source, étant donné la disproportion énorme qui existait entre le matériel présenté et celui enregistré à la Bibliothèque Nationale. Pour trois des années exposées par Négripub, 1930,1931, et 1938, 8 affiches ont été présentées, alors que pour ces trois mêmes années, le matériel enregistré était de 2.536 pièces.

            Les lecteurs intéressés pourront se reporter à l’ouvrage publié sur cette exposition pour savourer certains des commentaires « étranges » de certaines affiches.

            La propagande : la parabole du grain de riz qui a été une des introductions de notre critique caractérise parfaitement  la méthode intellectuelle, pour ne pas dire historique, qui a été utilisée pour apprécier le volume et les effets de la propagande initiée par l’Etat.

L’historienne Lemaire fait un sort tout particulier à l’Agence centrale des colonies qui aurait été la grande instigatrice de cette fameuse propagande. Elle aurait inondé la France, aurait joué le rôle d’une machine à informer qui aurait imprégné l’état d’esprit des Français, en leur inculquant, sans qu’ils en aient même conscience, les fameux stéréotypes coloniaux qui tapisseraient notre inconscient collectif :

–       Sauf qu’elle n’a pas existé longtemps, que son budget était modique, et qu’il était d’abord alimenté par les colonies elles-mêmes, et que les responsables de la dite propagande se plaignaient, à juste titre, de la faiblesse de leurs moyens.

–       Sauf que les subventions accordées aux journaux pour soutenir la cause coloniale n’ont jamais été à la hauteur des enjeux supposés : l’historienne Lemaire cite, parmi d’autres, la subvention accordée au Petit Parisien, en 1937, laquelle représentait la distribution gratuite de 75 000 journaux, alors que le tirage quotidien du journal était de l’ordre du million ! Pas de quoi vraiment à soulever les foules !

Le ça colonial, ou l’inconscient collectif : enfin, et pour convaincre le lecteur de l’inanité de la démonstration de cette nouvelle école idéologique, une soi-disant nouvelle école historique qui a besoin de faire appel à l’inconscient collectif ( CC, p,143), à l’impensé colonial (RC, p,150) !

Fiat lux !

            A la décharge de ces jeunes chercheurs, nouveaux entrepreneurs de l’histoire, d’après leur «  marraine d’histoire », quelques historiens ou historiennes de bonne réputation avaient ouvert la boite de Pandore au fameux Colloque de 1993.

            Il faudrait donc déconstruire notre imaginaire colonial, et ça marche !

Un colloque a été organisé en 2009, à la Mairie de Paris, avec le patronage du Monde, intitulé « Décolonisons les imaginaires !

            Défaut de démonstration historique, absence d’évaluation des supports d’une culture coloniale supposée, de leur volume, de leur place par rapport aux autres,  de leur diffusion, et de leurs effets, absence de représentativité des analyses proposées, outrance des mots et des conclusions, boursouflures d’écriture et de réflexion, tout cela ne serait pas grave si un tel discours n’avait pas reçu la faveur de certains médias, et ne contribuait pas à colporter une lecture idéologique de notre histoire.

            Il en faudra donc un peu plus pour que leur démonstration historique soit sérieuse !

            Mais d’ores et déjà, ils distribuent un matériau de propagande politique qui n’est pas de nature à faciliter le bien vivre en paix et le bon accueil dans la communauté française d’un certain nombre de jeunes citoyens français, dont les parents ou les grands-parents étaient originaires d’Afrique.

            Ces chercheurs doivent toutefois être félicités pour avoir exhumé de très belles images coloniales, et quelquefois monnayées contre espèces sonnantes et trébuchantes.

(1)    Un exemplaire de ce livre a été déposé, par mes soins, en 2008, dans le service compétent de la Direction des Bibliothèques de la Ville de Paris.

Ni accusé de réception, ni refus d’acquisition de l’ouvrage ! L’exemplaire a été retrouvé, quelques mois plus tard, dans une solderie du 5ème arrondissement, avec la  lettre d’envoi qui lui était jointe.

Censure clandestine d’un ouvrage qui conteste la thèse d’un colloque patronné par la ville, sous le titre racoleur « Décolonisons les imaginaires » ?

Jean Pierre Renaud – Supercherie coloniale- Mémoires d’hommes 2008