Viet-Nam, Indochine, Empereur d’Annam, année 1904

Viêt-Nam, Indochine, Empereur d’Annam

Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial

Supplément du Petit Journal

Année 1904

3°chronique

Sur le blog du 25 octobre 2010, nous avons décrit les caractéristiques de ce supplément, en indiquant que le contenu des numéros de l’année 1904 n’était pas typiquement un contenu de propagande coloniale.

Sur le blog du 24  janvier 2011, nous avons proposé un condensé de lecture du numéro 138 dont trois articles avaient un contenu intéressant, le rapport de Brazza sur les scandales du Congo, « nos sujets musulmans sont-ils assimilables ? », et « Ce qu’il faut faire en Cochinchine ».

Le chronique ci-après concernera deux numéros, le 149 avec l’évocation d’une affaire de corruption coloniale allemande, et le 151, avec la « folie » de l’Empereur d’Annam.

Il n’y avait donc pas que les colonies françaises qui connaissaient des scandales de toutes sortes, à l’exemple de celui des concessions du Congo, sur lequel enquêta Brazza.

Le supplément numéro 149 évoque une curieuse affaire de corruption dans la colonie allemande du Cameroun. Le député allemand Erzberger interpella son gouvernement  sur les abus de l’administration coloniale, et notamment sur le comportement inqualifiable du gouverneur Jesko von Puttkamer qui s’illustra par ses exactions, ses débauches, et ses cruautés. Il évoqua également des cas de prévarication à Berlin.

Le numéro 151 intéresse peut-être plus les Français et les Vietnamiens, étant donné qu’il s’agit de la vie « impériale » de la belle colonie de l’Indochine.

Le sujet n’est peut-être pas d’en savoir plus – mais la question se pose aussi – sur la politique coloniale qui était celle de la France dans cette grande colonie, pour autant que les gouvernements en aient défini une, ce qui ne paraît pas encore démontré, mais sur le destin de l’Empereur d’Annam Thang Taï.

La France avait laissé une apparence de pouvoir  aux Empereurs d’Annam, fils du Ciel, comme ceux de Chine.

Dans le cas de Thang Taï, cette apparence de pouvoir fit problème :

Extrait du supplément

« Les journaux d’Indochine sont en effet remplis de détails sur les actes de cruauté commis par le souverain. Tantôt il tue sa concubine, la fait cuire, et force ses compagnes à manger cette horrible nourriture ; tantôt, il fait tenailler ses femmes, les fait plonger dans une huile bouillante ou rôtir à petit feu »

La France déposa donc l’Empereur « fou » et le remplaça.

« Indocile » à l’autorité coloniale ou « fou » ? Telle est la question posée par certains !

Dans le commentaire du livre « La vie militaire aux colonies », publié par Gallimard et ECPAD, nous avons relevé la présence étrange de la photo, en double page, de ce personnage à l’ouverture du chapitre 5 « La grande vie » des militaires aux colonies, en endossant le qualificatif de « fou ».

Fou ou pas, le choix qui a été fait par les éditeurs d’ouvrir le chapitre 5 par la photo du personnage demeure contestable pour illustrer « la grande vie » des militaires aux colonies : « grande vie » de l’Empereur d’Annam ou des Marsouins ( l’infanterie de marine)?

Mais l’état de santé de l’Empereur d’Annam  d’alors semble demeurer une énigme, même si certaines sources contestent la déposition su souverain, en 1907, pour cause de démence.

Le supplément du Petit Journal fait écho à ce qui alimente la presse d’Indochine de l’époque, dès 1904, trois ans avant la déposition.

Manipulation de l’opinion ou non, la manipulation était d’autant plus facile que la presse d’Indochine n’avait rien à voir avec celle de métropole. Elle était entre les mains des gros colons, et ses tirages étaient très modestes.

A l’époque des faits le Gouverneur Général Doumer (1896-1902) notait d’ailleurs dans ses Souvenirs, qu’il ne lisait jamais cette presse. C’était dire effectivement son intérêt.

Dans l’hypothèse d’une manipulation coloniale, ces journaux étaient évidemment disponibles pour la désinformation.

Citons simplement le texte de deux autres sources consultées :

« Accusé d’avoir dépassé les bornes de la bienséance dans la vie privée, puis de démence, il fut déposé par ordre du gouvernement français en septembre 1907, puis exilé à La Réunion. Retourne au Viêt Nam en 1947 pour y mourir en 1954 » L’Empire d’Annam (1802-1945) – La dynastie des Nguyen Phuôc

«  Vrai Empereur, faux fou » Magazine Good Morning (02/12/ 07) G.Nguyen Caô Dûc.

Alors énigme ou non pour les spécialistes de cette période de l’histoire coloniale ?

Jean Pierre Renaud

Propagande coloniale? Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial: année 1906, Algérie, Congo, Cochinchine

Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial

Le supplément du Petit Journal

Année 1906 numéro 138

Extraits de contenus

(Première chronique sur le blog du 25 octobre 2010)

Rappelons tout d’abord que, dans les années 1900-1910, le Petit Journal était un quotidien qui tirait à plus de 800.000 exemplaires, 835.000 en 1910, mais que le nombre des lecteurs ou abonnés du supplément était évidemment bien inférieur à ce chiffre.

            Rappelons que chaque supplément comprenait quinze pages, dont deux consacrées aux mouvements d’officiers.

            Rappelons également que les thèmes coloniaux représentent moins de 13% des colonnes d’information du total des suppléments de l’année 1906.

Le numéro 138 fait exception puisqu’il consacre près de 30% de son contenu à l’information coloniale.

Trois sujets ont retenu notre attention :

1 – « En Algérie »

Une étude de M.Ismaël Hamet, interprète principal de notre armée, dont le titre est « Nos sujets musulmans sont-ils assimilables »

L’auteur constate :

« Il est presque de dogme aujourd’hui, parmi les personnes qui n’ont pas vécu en Algérie, et même parmi celles qui ont vécu dans notre colonie… que l’indigène algérien n’est pas perfectible, que tel il était au temps de Mahomet, tel il est resté aujourd’hui, à l’aube du vingtième siècle. En un mot qu’il n’est pas assimilable, civilisable, au sens que nous attribuons à ces qualificatifs… »

L’auteur entend démontrer dans cet article que ce n’est pas le cas, et il en appelle donc de ce jugement décourageant. (3 colonnes et demie)

Est donc évoqué, dans cette étude, le dossier de la compatibilité entre la religion musulmane, son statut religieux et familial, et la loi républicaine, dossier très sensible, et toujours d’actualité comme la société française le découvre aujourd’hui chez elle, entre autres, avec le voile, la burqua, ou la polygamie.

 2 – « Au Congo français »

Le supplément évoque l’enquête qu’a effectuée Brazza sur les abus coloniaux dénoncés et constatés au Congo et informe ses lecteurs des instructions données par le ministre des colonies Clementel en vue de mettre fin à ces abus et à la collusion d’intérêts, au mélange des genres constaté entre l’administration coloniale et les sociétés privées, les fameuses compagnies concessionnaires, sources de beaucoup des abus dénoncés. (2 colonnes)

En 1905, Brazza avait été chargé par le gouvernement d’enquêter sur des exactions commises en Oubangui. Son rapport dénonçait tout un ensemble d’abus et de violences. En dépit du refus par la Chambre de publier ce rapport, Félicien Challaye publia le dossier avec le soutien du grand et célèbre écrivain Péguy.

3 – En Cochinchine

« Ce qu’il faut faire en Cochinchinele programme du gouverneur »

« On a enlevé aux notables de villages leurs pouvoirs de police ; on n’a rien mis à la place… Il faudrait pouvoir revenir en arrière. » (3 colonnes)

C’est en Cochinchine que la France prit d’abord pied, au milieu du dix-neuvième siècle, dans la péninsule indochinoise, précisément en Cochinchine, à l’instigation des amiraux, qui mirent le gouvernement de l’époque devant le fait accompli. Le territoire fut alors érigé en colonie.

La France n’avait défini aucune politique indigène, et de fil en aiguille, ses officiers et administrateurs pratiquèrent de plus en plus l’administration directe, au lieu de s’appuyer sur les élites locales qui existaient alors localement, le réseau des mandarins et des lettrés.

Le problème a été récurrent en Indochine où deux écoles de pensée s’affrontèrent en permanence, entre ceux qui proposaient des solutions apparentées au protectorat, dans le respect des pouvoirs traditionnels, l’empereur d’Annam au sommet, et ses lettrés, et celles de l’administration directe, qui fut la solution dominante.

JPR

Propagande coloniale, vous avez dit propagande coloniale? Le Petit Journal et son supplément illustré de 1906

Un coup de périscope historique sur la propagande coloniale en 1906

Le Petit Journal Militaire, Maritime, et Colonial

Supplément illustré du Petit Journal paraissant toutes les semaines – 3ème année

Abonnement (un an, 6 francs, soit 21 euros#) ou vente au numéro (10 centimes, soit 36 c d’euro #)

            Un groupe de chercheurs, bien introduit dans les médias, diffuse un discours d’après lequel la propagande coloniale aurait inondé la France, « matraqué » le cerveau des Français, entre 1871 et 1962.

Quoi de mieux que d’analyser un des outils de la propagande coloniale supposée, celle du supplément d’un journal, le Petit Journal, dont le tirage frisait alors avec le million de numéros ? 

 A cette époque, la presse provinciale faisait d’ailleurs jeu égal avec la presse parisienne.

Le titre du supplément est assez clair sur son contenu, trois thèmes, le militaire, le maritime et le colonial.

Chaque supplément  hebdomadaire comprenait 15 pages, dont une de publicité, et une ou deux consacrées aux mouvements de personnel militaire ou maritime parus au Journal Officiel, donc une douzaine de pages utiles à d’autres informations.

Les suppléments étaient abondamment illustrés de croquis, de photos et de cartes.

            En ce qui concerne l’année 1906, les thèmes d’information dominants portent sur l’actualité des armées française et étrangères, avec un accent sur l’armée allemande, les nouveaux armements, les marines et leurs navires, les plans de défense français, et accessoirement sur les colonies.

Les 52 numéros du supplément ont consacré de l’ordre de 13% de leurs colonnes aux colonies, avec quelques numéros exceptionnels, notamment le numéro 110, celui concernant la Conférence d’Algésiras au Maroc.

Les informations coloniales traitées sont très variées : officiers tués, agitation en AOF, en Mauritanie, ou à Madagascar, folie de l’Empereur d’Annam, assistance médicale en AOF, Exposition coloniale de Marseille et musique malgache, Tchad et portage, budget général de l’AOF, mission de Brazza au Congo, avec aussi des informations sur les colonies étrangères, notamment une histoire de corruption étrange dans les colonies allemandes.

Une citation intéressante sur la relation entre exposition coloniale de Marseille et convictions coloniales du personnel gouvernemental, à l’occasion de la visite à Marseille et de son exposition, ville coloniale par excellence, du Président de la République :

« Une réception d’autant plus enthousiaste… qu’elle marque la fin d’une sorte de défaveur dont leur magnifique Exposition coloniale a semblé être l’objet jusqu’à présent de la part du personnel gouvernemental. » (numéro 146)

A la lecture des suppléments, il parait difficile de dire que le Petit Journal bourrait le crâne de ses lecteurs. Il ne leur cachait pas la vérité sur l’actualité coloniale, aussi bien les troubles, les réalisations, que les problèmes rencontrés.

Citons à cet égard les informations sur les abus du système de « portage » au Tchad, ou l’enquête de Brazza sur les exactions coloniales au Congo.

Le contenu lui-même des articles était d’une grande neutralité sur les différents sujets. Rien de triomphant ou de dithyrambique en faveur de la cause coloniale !

Nous aurons l’occasion de revenir sur certains des sujets abordés dans le courant de l’année.

Jean Pierre Renaud