Sottise postcoloniale: Assimilation, intégration, « nettoyage de l’identité » Le Monde du 13 février 2015

Sottise postcoloniale : assimilation, intégration, « nettoyage de l’identité… »

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Journal Le Monde du 13 février 2015, page 10

« Nicolas Sarkozy veut lancer un débat sur l’Islam »

Alexandre Lemarié

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       M.Lemarié interviewe l’historien Blanchard, je cite :

            «  Assimiler c’est vouloir effacer »

            « … Pour souligner sa différence avec son concurrent, l’ancien président de la République a affirmé que la droite ne pouvait « pas continuer à utiliser le mot « intégration » mais devait désormais « utiliser le mot « assimilation ». Un terme qui est tout sauf neutre. « Il est directement issu de la période coloniale, rappelle Pascal Blanchard, cela suppose de vouloir faire rentrer l’immigré dans un modèle, avec la notion de nettoyage de l’identité. »

       Tout d’abord, un rappel de vocabulaire tiré du Petit Robert :

                  Assimiler, c’est rendre semblable

            Intégrer, c’est établir une interdépendance plus vivante entre les membres d’une société.

            L’historien  cite « l’immigré », mais s’agit-il effectivement de l’immigré, celui qui a une carte de séjour, ou du citoyen français d’origine immigrée ?

         Le même historien utilise aussi une expression douteuse, celle- là, «  la notion de nettoyage de l’identité », très proche de l’autre expression plus connue de « nettoyage ethnique ».

         L’ambition coloniale française de l’assimilation n’a jamais dépassé, sauf cas particuliers des quatre communes du Sénégal et des actuels départements d’outre- mer, le stade de la parole, de la propagande, pour la raison bien simple qu’elle était vouée à l’échec, même en cantonnant son sens à la citoyenneté politique.

      En Algérie, la place de l’Islam compliquait la solution du problème, et dans les autres colonies, hors Antilles, la diversité des cultures et des croyances, les statuts privés des peuples de ces pays, l’effectif des évolués par rapport au total de la population, le poids démographique et donc politique des peuples susceptibles d’être assimilés, la relation qui fut faite entre la citoyenneté politique et la citoyenneté sociale, c’est-à-dire le coût social qu’une telle opération représentait pour la métropole  enlevait tout fondement à ce type d’opération….

      L’assimilation « coloniale » n’a donc été qu’un rêve !

     Quant à parler dans le cas des immigrés, de « nettoyage de l’identité », il semble, et si j’ai bien compris, que le propos de M. Blanchard n’ait sans doute pas visé les immigrés eux-mêmes, mais les descendants d’immigrés.

     Si tel est le cas, et en ce qui concerne leur relation avec les institutions de la République Française, plutôt que d’assimilation ou d’intégration, il vaudrait mieux parler plus simplement d’application  des lois françaises.

     La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 et les principes de laïcité qui régissent notre République, doivent effectivement être appliqués, sans savoir s’il s’agit d’assimilation ou d’intégration.

    Cessons de jouer avec le feu des anciennes guerres françaises de religion, sanglantes au cours des siècles passés, et politiquement violentes, jusqu’au début du vingtième siècle.

      Cette loi française de paix civile est notre loi. Appliquons- la ! Sans ergoter !

     Jean Pierre Renaud

SUPERCHERIE COLONIALE – INTRODUCTION

Supercherie Coloniale

INTRODUCTION

Les caractères en gras sont de ma responsabilité

            L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.

Un petit flash-back historique nécessaire

           Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.

       Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.

       Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre mit en péril les forces vives de la nation, beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :

           1) par la reconstruction du pays,

           2) par la lutte contre les effets de la grande crise économique de 1929,

           3) et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne et du communisme soviétique,

           4) que par la consolidation d’un empire colonial.

        Deuxième guerre mondiale-1939-1945 : une période très ambiguë avec l’affrontement  entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.

      Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à  se reconstruire, à se refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées de Sétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.

        Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car il est impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.

      Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu le champ clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années, 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?

         Les ouvrages en question– Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat ! Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.

        Actes du Colloque « Images et Colonies » (C) des 20 au 22 janvier 1993. Images et Colonies (IC) (1993), Thèse Blanchard (TB)(Sorbonne-1994), Culture Coloniale (CC)-(2003), La République Coloniale (RC) (2003), Culture Impériale (CI)(2004), La Fracture Coloniale (FC) (2005), L’Illusion Coloniale (IlC)(2006)

       Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire. Françoise Vergès (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de République Coloniale.

      Les Actes du Colloque (janvier 1993) – L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier).      

      Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur « une quarantaine d’illustrations (p13), alors que  la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p13), tout en veillant à  ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion « (p14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme, »

      Et que :

     » Cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquant un véritable bain colonial… » (p14).

       Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans  le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne!

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.

     Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.

       Images et Colonies– L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard).

       D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images « (p.8)

      Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.

     « Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXème siècle aux indépendances… à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande…Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique …comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande…pour comprendre les phénomènes contemporains … son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale  en janvier 1993. »

          Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.

      La thèse Blanchard intitulée Nationalisme et Colonialisme (Sorbonne 1994)– Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.

        Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.

         Culture Coloniale (2003)– Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant propos (Blanchard et Lemaire), intitulé « La constitution d’une culture coloniale en France », énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.

      « Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés… On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française : le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931) (p.7)…

        Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir…mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p.8) …L’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations (p.13)…

     Une culture coloniale invisible (p.16)… un tabou (p.17)…l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse (p.23)…

    La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française (p.25)

     Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes (p.32).

     L’indigène au cœur de la culture coloniale. « (p.33)

       1931 ou l’acmé de la culture coloniale… dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin « (p.35)

      « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale (p.36)

       Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française (p.39).

      L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude :

      « Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est déjà complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)

       Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?

      La République Coloniale (2003)- (Blanchard, Bancel, Vergès – une écriture à trois p.9).   

   Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale, à la République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.

      La situation qu’ils décrivent : «  Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)… ce retour du refoulé (p.III)…il existe un impensé dans la République » (p.III). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, « on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p.V)… les liens intimes entre République et colonie… Pour déconstruire le récit de la République coloniale » (p.V).

        Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au delà de l’incantation idéologique.

       Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.

       Culture Impériale (2004)-  Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.

       « Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur…reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7) La France s’immerge…imbibée naturellement (9)…C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961… »

       Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux !

      « Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire… mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire, et qui sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard ».(p.14)

     Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, « les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale » (p.26),  vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !

     La Fracture Coloniale  (2006- Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)

     Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.

       « Retour du refoulé…qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)… la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial » (p.23).

      Et nous y voilà,  le tour est joué !

     L’Illusion Coloniale (2006)- (Deroo et Lemaire) Les auteurs écrivent dans leur introduction :

       « Mais, en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français -bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer- elle ne représente qu’un rêve certes basé sur le concret de l’acte colonial mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies » (p.1)

       Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation  insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve…élaboré par des images flatteuses…

        « C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album…iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à  travers le tourisme…Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : « la Plus grande France » et de ceux qui se revendiquent amèrement les «  indigènes de la République ». »

      La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images?

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur a déjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés,  les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute « faite chair », comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.

      Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo-historiques qu’ils développent. Arrêtons- nous y un instant.

      Des titres attrape-mouches ou attrape nigauds ? Avec quelle terminologie ?

       Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !

     Culture, qu’est-ce à dire ?

    Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !

      Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.

    Une culture constituée de quelles connaissances, quand, partagée par qui, où, quand ?

    Fracture coloniale ? Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments, définition du Petit Robert. Comment  appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?

     Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :

    «  La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française… »

     Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !

    Fracture politique, économique, humaine, linguistique ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.

         Dans son introduction, le trio écrit :

« Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée » (p.13), – effectivement-, après avoir écrit (p.11), « Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer. »

       Et plus loin, « la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population » (p.24).

       Prenons quelques cas de figure ! Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ?  Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.

      Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images et de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.

      Il s’agit des  supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.

     Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes sources ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.

     Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historiques qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interprétation: nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.

Nous examinerons successivement :

Chapitre 1- Les livres de la jeunesse : livres scolaires et illustrés

Chapitre 2 – La presse des adultes

Chapitre 3 : les villages noirs, les zoos humains (avant 1914), et les expositions coloniales (avant et après 1914)

Chapitre 4 – Les cartes postales

Chapitre 5 –  Le cinéma

Chapitre 6 –  Les affiches

Chapitre 7- La propagande coloniale

Chapitre 8 – Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion

Chapitre 9 – Le « ça » colonial

     Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.

    Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »

    Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l‘historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.

      Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.

      Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’autoproclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autorisent à  délivrer des  ordonnances de bonne gouvernance sociale et culturelle.

     Avec cette méthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse et de propos.

      Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par un groupuscule dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.

            Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXème siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.

        Quoi de commun entre ces historiens ?

     Et comment interpréter enfin les récents propos de l’historienne Coquery-Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé d’historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?

     Comment distinguer entre l’histoire « scientifique » et l’histoire « marchandise », celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?

     Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.

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Et pour une mise en bouche historique, une boulette de riz !

      Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonialtissé sa toileéduquémanipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.

       Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre  7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.

      Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.

     Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses :

    « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits « (CI/82)

    Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.

     Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que  le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.

    Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !

    Le lecteur aura le loisir de constater que le cas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs, insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.

     D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos le faux historique et la contrefaçon.

     Et pour les connaisseurs, une analyse qui n’a rien à voir avec la « Fabrique de l’opinion publique » et les « modèles de propagande » de Chomsky !

Jean Pierre Renaud

France-Algérie: après la « guerre sans nom », la « repentance sans nom » Regards Croisés, La Croix des 7,8/01/2012?

France-Algérie : après la « guerre sans nom », la « repentance sans nom » ?

France-Algérie, regards croisés, le dossier du journal La Croix des 7 et 8 janvier 2012

            Un dossier qui n’est pas dénué d’intérêt, mais qui soulève beaucoup de questions :

            Incontestablement, des regards croisés sur un des versants le plus « communicant » de cette histoire de la guerre d’Algérie ! Mais pourquoi un seul versant ?

 Je ne suis pas sûr que les trois historiens interviewés ne soient pas aussitôt suspectés de partialité, pour ne pas dire de « repentance sans nom », pour transposer le titre connu d’une « guerre sans nom », Blanchard mieux connu pour « ses images coloniales », Thénaut pour ses travaux sur la guerre d’Algérie, et Stora, incontestable spécialiste de l’histoire de la guerre d’Algérie, mais qui laisse à lire que cette histoire est l’alpha et l’oméga de l’histoire coloniale, et qui manifeste une activité, toujours débordante, dans la « guerre des mémoires ».

            Versant d’une lecture de l’histoire, avec tendance à la « contrition » parfaite ou imparfaite, et pour dire le mot, à la « repentance » ?

            Pourquoi ce silence sur les autres versants, alors qu’aux pages 6 et 7, le même journal donne largement la parole à un autre historien, Jean-Noël Jeanneney qui aurait pu proposer un avis utile et éclairé sur le même sujet, étant donné le rôle que son père a joué, notamment entre juillet 1962 et  janvier 1963, période « très sensible » de la mise en œuvre des accords d’Evian, alors qu’il était ambassadeur et haut représentant de France en Algérie ?

            D’autres historiens auraient pu également donner un avis pertinent sur ces relations, notamment sur les autres versants de cette histoire, et peut-être faire en sorte que le parapluie intellectuel sous lequel s’abrite Stora, la  « belle formule »  de Nora, « L’histoire rassemble alors que la mémoire divise », soit la réalité.

C’est bien dommage, car on peut sérieusement douter que ce dossier, pavé de bonnes intentions, contribue à ce que les lecteurs portent un regard apaisé et éclairé sur les relations « croisées », passées et actuelles, entre la France et l’Algérie, alors que l’Assemblée Nationale vient de voter, avec un nombre tout à fait restreint de députés présents, une loi mémorielle qui risque de mettre le feu à la maison des mémoires, et cela peu de temps avant le cinquantenaire du cessez le feu, le 19 mars 1962.

Une dernière remarque relative à la « naïveté » du propos d’un quatrième historien qui concerne les mariages mixtes franco-algériens : « Il y a plus de mariages mixtes franco-algériens que franco-allemands »

Pourquoi ne pas poser la question du pourquoi ? 

Ajouterai-je enfin que j’ai, et de beaucoup, préféré le même type de dossier que le même journal a consacré au « silence » ?

Jean Pierre Renaud

Respect Mag N°31 Octobre Novembre Décembre-100% Noirs de France: Notes de lecture

Respect Mag N°31

Octobre Novembre Décembre 2011

100% Noirs de France

Notes de lecture

Le texte qui nous est propre est en caractères italiques

            Un numéro de magazine riche, intéressant, et utile par les ouvertures d’information très diversifiée qu’il propose sur le « groupe » politique, social, économique et culturel des Noirs de France.

            Compte tenu de la grande variété des thèmes de réflexion proposés, il est difficile d’en donner un compte rendu fidèle.

            Nous nous attacherons à commenter les points qui nous paraissent les plus importants : la présence effective des noirs en France, la connaissance ou non que nous avons de la question noire, le problème sensible des statistiques, la créativité noire en France, l’avenir de l’outre-mer, et la mémoire.

            Nous examinerons enfin d’autres questions « impertinentes » qui auraient, également, pu être abordées.

            1 – La présence effective des noirs en France :

M.Dolum (page 7) note à juste titre : »Alors, oui, le monde noir existe bel et bien en France. »,  et le magazine n’esquive pas la question difficile des racines.

Dans le dialogue entre M.Kelman et M.Sar, le premier est partisan d’une rupture assumée avec le continent africain, alors que le deuxième revendique une filiation non moins assumée.

Et le magazine note, en ce qui concerne la « Diaspora africaine (page 43)

« Des relations réinventées

Porté par les premières générations d’immigrés, le mythe du retour est dépassé. On invente désormais sa relation avec le continent au gré des questionnements et des urgences. »

M.Cissoko déclare « Nous sommes sans cesse renvoyés à une culture que nous ne connaissons pas. »

M.Protche déclare : « Les Afro-français sont à la fois mieux installés ici et plus proches de là-bas. »

Et M.Diawara de répondre à un moment donné : « Je ne suis ni Français, ni Malien, mais les deux. »

Ces différentes interventions situent parfaitement la complexité du problème, et à ce sujet, il aurait été possible d’esquisser peut-être la   « fracture coloniale clandestine », qui divise sans doute cette « communauté » entre noirs originaires des îles Caraïbes et noirs venus récemment d’Afrique.

Une catégorie de fracture qui n’a pas été analysée par les auteurs du livre « La Fracture coloniale », dont les thèses qui concernent la France, prêtent à discussion, en tout cas sur la base d’une analyse fondée sur une évaluation statistique sérieuse  des mémoires qui existent ou non à ce sujet.

2 – La connaissance de la question noire : suffisante ou insuffisante ?

L’historien Pap Ndiaye la trouve insuffisante (page 24) :

« Cette présence en France n’est pas suffisamment étudiée parce que les Noirs sont trop souvent considérés comme extérieurs à la société française d’hier et d’aujourd’hui. Aux Etats Unis, les « black studies » se sont développés dans le sillage du mouvement pour les droits civiques. La plus grande visibilité des Noirs de France, depuis quelques années a enfin amorcé quelques conséquences universitaires. »

Et le même constat est proposé plus loin sous la rubrique «  Universités France-USA :

« A la recherche de la question noire

L’étude de la minorité noire est monnaie courante aux Etats Unis, via les fameuses Black Studies. En France, on peine encore à assumer cet enseignement. Des approches très différentes, révélatrices d’une histoire singulière. »

 « Le déni français », tel qu’il est décrit, existe-t-il ?

La référence qu’un certain nombre de chercheurs trouvent dans les Black Studies américaines est-elle effectivement pertinente ?

Les fameuses « Black Studies » comme modèle, et toujours l’exemple américain qui serait curieusement devenu un modèle de société « multiculturelle » pour les Français ?

Alors que l’armée américaine était jusqu’en 1948, une armée de discrimination, et que la discrimination n’a disparu, l’officielle, que dans les années 1960, comme par hasard juste après la fin de la guerre d’Algérie.

Une Amérique de la discrimination raciale, comme modèle ?

Est-il possible, sérieusement, de mettre la France et les Etats Unis sur le même plan ?

D’autant moins qu’il n’est nul besoin d’avoir de solides connaissances historiques à ce sujet, pour savoir que la nation américaine n’a été le fruit, ni  d’une longue histoire comme la nôtre, ni d’une nation marquée par la traite transatlantique !

Les initiatives de la Fondation Thuram dont le magazine rend compte (page 34), ont pour but de « traquer le racisme » dès le plus jeune âge : 

« L’homme de couleur »

« Une aberration

Une fondation, des livres, des interventions en milieu scolaire… l’ancien footballeur est toujours sur le terrain pour traquer le racisme ; droit au but : l’éducation »

L’article consacré à « La palette des petits » : à Mantes la Jolie, « Respect Mag s’invite pour évoquer le thème de la couleur avec des écoliers de toutes origines, instructif ! », une initiative tout à fait intéressante.

Dans la même perspective, l’historien Durpaire formule quelques propositions pour rénover l’enseignement de la question noire.

Il est incontestablement possible de faire beaucoup mieux dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, mais comment ne pas relier cette « carence » supposée au phénomène récent de l’immigration africaine des dernières années, et au fait que les Français, contrairement à ce que nous racontent certains chercheurs, ne se sont jamais, sauf pendant de courtes périodes, passionnés pour l’Afrique coloniale.

3 – Le problème très sensible des statistiques

Pourquoi ce refus des chiffres ?

Alors que les pages consacrées au thème « Société » montrent bien que, d’ores et déjà, les portes du présent et de l’avenir sont ouvertes aux membres de cette « communauté ».

La première question de fond à régler est celle du comptage des membres vrais ou supposés de la « communauté » noire : ce numéro de Respect Mag la pose à plusieurs reprises et à juste titre, sans se cacher derrière son petit doigt.

Comment dénoncer les discriminations qui existeraient dans de nombreux domaines, notamment le politique, sans pouvoir avancer l’importance numérique d’une communauté qui s’estime discriminée ?

Tant que les représentants de la dite communauté n’auront pas le courage d’afficher, si je puis dire, la couleur, leur discours aura évidemment peu de crédit.

Dans les premières pages du magazine, la journaliste Audrey Pulvar (page 8), raconte son itinéraire de vie, sous le titre « L’exemple doit venir d’en haut », et répond à toute une série de questions, dont :

Mesurer la présence des minorités pour avoir une lecture fiable de notre réalité et pouvoir agir, vous y êtes favorable ?

Je ne suis pas contre l’idée de compter les gens. Quand je suis arrivée à France 3, c’était la première fois qu’une noire présentait un journal sur une chaine hertzienne… »

Dans la rubrique « Emploi », le magazine rapporte :

            « Discriminations ethniques

Corriger sans compter ? »

M.Kamel Hamza déclare «  Il faut cesser d’être hypocrite, tout le monde compte. », et M.Legrand, sous le titre « Mesurer pour mieux comprendre », responsable de la diversité chez l’Oréal, explique comment dans son entreprise on procède pour faire avancer la cause de la diversité.

Et plus loin, dans les sujets de société, le thème revient à la charge :

En ce qui concerne le monde politique, les personnes interviewées constatent à l’unanimité que la « communauté » noire y est insuffisamment représentée.

M.Haidari y déclare : « Il a fallu la loi sur la parité pour prendre en compte les femmes car il n’y aurait pas eu de transition par les mentalités… de la même manière, il faudra agir sur les quotas pour insérer les Noirs en politique » (page 63)

Mais dans la page 64 qui suit, M. Yangé apporte sa réponse :

« Impossible d’évaluer le nombre d’entrepreneurs, d’emplois créés, le poids d’un chiffre d’affaires. Ce qui explique en partie pourquoi cette communauté a tant de difficultés à peser dans la société : on ne sait pas ce qu’elle représente. »

Et dans le même article, tout de même quelques chiffres :

« Une étude du Cran-TNS Sofres de 2007 estime la population afro-caribéenne en France à 1,9 million de personnes ». Un chiffre inférieur à la réalité », selon Didier Mandin du cabinet Aka-a (spécialisé en études d’ethno-marketing) : il ne prendrait en compte que les adultes et exclurait la troisième génération descendante de migrants. On se rapprocherait alors plutôt de 2,5 à 3 millions. »

A noter que sur le blog du 27/11/2011), dans une chronique intitulée « Rigueur historique ou non ? »,  j’ai fait état de la différence d’appréciation assez sensible qui séparait les chiffres de la communauté noire au XVIII° siècle avancés par les deux historiens Blanchard et Ndiaye, 25.000 pour le premier contre de 4 à 5.000 pour le second.

4 – La créativité noire en France le magazine nous propose un vaste panorama de l’activité des noirs de France dans beaucoup de domaines, notamment dans la musique et l’économie, avec la carence déjà signalée dans le monde politique, mais qui demande à être confirmée par la statistique, et dans le cinéma.

5 – Présent et avenir de l’outre-mer :

Le lecteur reste un peu sur sa faim.

« A la question,

« Un changement que vous souhaiteriez… Mme Pulvar répond :

Un changement institutionnel. Je suis pour une plus grande autonomie des départements d’outre- mer. .. Moi, je suis pour l’indépendance de la Martinique ; cela n’arrivera probablement pas de mon vivant, mais je pense que c’est un horizon accessible et souhaitable. »

C’est-à-dire concrètement pour le court et moyen terme?

Dans la rubrique consacrée aux « Enjeux », Mme Taubira déclare :

« Il faut comprendre que les Outre-mer sont un ensemble de lieux, pas des appendices de la France. »

Très bien, mais que propose comme solution institutionnelle Mme Taubira, et qu’a-t-elle proposé jusqu’à présent ?

« Première piste : replacer les Outre-mer dans un contexte économique, social, politique, qui soit tourné vers leurs voisins… Autre idée : présenter aux Présidentielles de 2012 un candidat commun à tous les Outre-mer. »

Un prochain numéro de Respect Mag nous en dira sans doute plus sur les propositions de l’intéressée pour replacer « les Outre-mer dans un contexte… qui soit tourné vers leurs voisins… », car c’est effectivement une partie du problème !

Mmes Pulvar et Taubira abordent à juste titre le sujet des institutions du monde caraïbe, mais j’aimerais savoir pourquoi, tout au long des années, les élites politiques locales, Césaire y compris, n’ont pas opté pour l’autonomie, sinon pour l’indépendance ?

Qu’a proposé et que propose de précis et de concret à ce sujet, Mme Taubira pour la Guyane ? Il serait donc très intéressant de le rappeler à vos lecteurs

– La mémoire

L’historien « entrepreneur » Blanchard, selon le nom de baptême que lui a conféré l’historienne Coquery-Vidrovitch, répond à un ensemble de questions posées sous le titre « Sortir des mythologies et de la méconnaissance », vaste sujet pour un chercheur plus spécialisé dans l’image coloniale, telle que montrée en France, que dans leur évaluation statistique, chronologique, c’est à dire historique. Dans le livre « Supercherie coloniale », nous avons démontré les limites de son exercice.

L’historien Durpaire note à juste titre qu’il ne convient pas de « réduire le noir à l’esclavage », notamment dans les manuels scolairesalors que tout un courant de chercheurs la choisit comme cause historique ou mémorielle numéro un, en faisant le plus souvent l’impasse sur l’esclavage domestique Mme Vergès déclare de son côté : « Il faut décolorer le droit », c’est-à-dire, sur le plan littéraire ou juridique ?

Et à cet égard, les historiens de la « périphérie » ont trop tendance à vouloir ignorer cet esclavage domestique (voir la proportion très faible des travaux universitaires de l’Université de Dakar sur le sujet), de même qu’ils feignent, souvent et aussi,  d’ignorer, sur un tout autre plan, les structures de castes qui existaient dans beaucoup de ces sociétés, lesquelles en conservent encore des séquelles bien vivaces  de nos jours.

Comment ne pas observer que de nos jours, l’esclavage domestique a laissé au moins autant de traces, sinon plus, sur les bords du Niger ou de la Betsiboaka que la traite des esclaves, transatlantique ou arabe?

Et en ce qui concerne l’histoire de la Réunion à laquelle Mme Vergès fait référence, il serait intéressant que dans un numéro ultérieur de Respect Mag, elle nous dise ce qu’elle pense de l’impérialisme de type secondaire qu’a été celui de son île, au cours des derniers siècles, un impérialisme de type secondaire qui a nourri d’abord une traite des esclaves malgaches et a conduit ensuite à la conquête de Madagascar. De nos jours, les destinées de Madagascar sont encore beaucoup trop influencées par le groupe de pression réunionnais.

7 –  Notre questionnement « supplétif » :

Comment ne pas examiner aussi les questions posées par le magazine à la lumière des courants d’immigration africaine des trente dernières années, un mouvement quasi-continu qui a profondément transformé le visage du pays ?

Immigration choisie ou pas, il n’est pas besoin d’accuser à tout moment les Français de ne pas jouer le jeu de l’immigration officielle ou clandestine, et de classer automatiquement les Français qui manifestent une hésitation légitime à ce sujet dans la catégorie des adeptes du Front National.

Certains citoyens de France estiment, à tort ou à raison, et à mon avis, en partie à raison, que notre pays a été trop « humanitaire », pour ne pas dire laxiste et irresponsable, compte tenu des problèmes d’intégration souvent redoutables qui n’ont pas été résolus, et vos lecteurs le savent parfaitement bien.

Beaucoup des thèmes analysés par Respect Mag mériteraient de l’être à la lumière de ces transformations profondes de la société française.

Mesdames et messieurs, pourquoi ne pas vous poser aussi la question du pourquoi des regards, des attitudes, du déni que vous prêtez à toute une partie du monde blanc ?

Est-ce qu’il vous arrive de vous interroger sur les difficultés qu’ont un certain nombre de Français à bien interpréter certains aspects de vos cultures d’origine, auxquelles vous êtes attachés, notamment en matière de parentèle ?

Une parentèle subtile, étendue, souvent collatérale, complexe que beaucoup de Français ne connaissent pas, et dont ils ne comprennent pas toujours les puissants enjeux de solidarité qu’elle représente.

Et votre très grande habileté, pour ne pas dire une forme de « génie », bien supérieure à celle de la plupart des Français dits de souche, pour utiliser toutes les astuces de nos législations nationales, et bien sûr, sociales.

Dans son livre « L’Afrique Noire est-elle maudite », Monsieur Konaté, que vous ne classez pas, je l’espère, parmi les traîtres au pays, a bien décrit un certain nombre de traits de la culture africaine qui font problème, une solidarité familiale ou clientéliste excessive, un modèle familial et social archaïque, la survivance des castes….

Les métropolitains ne comprennent pas toujours les éléments de l’univers culturel et religieux de leurs immigrés africains ou maghrébins, et à cet égard, pourquoi ne pas reconnaître que beaucoup de Français s’interrogent sur la capacité de l’Islam de France à entrer dans le cadre de nos lois laïques ?

Un effort de compréhension est donc d’autant plus nécessaire que beaucoup de nos communes n’ont compté aucun noir jusqu’à l’époque moderne

Le journal la Croix a publié le 14 décembre dernier une analyse intitulée « Comment mieux accueillir les prêtres étrangers », mais dans beaucoup de paroisses de nos campagnes, on n’avait jamais vu, il y a encore vingt ou trente    ans, un prêtre noir dire la messe du dimanche dans l’église du village. Il faut en avoir conscience avant d’avoir des jugements rapides.

Quelques témoignages intéressants de religieux qui, a priori, seraient sans doute à classer dans la catégorie des humanitaires, dans ce même numéro :

Trois sœurs sénégalaises à Lisieux (page 3) : « Pendant un an, nous avons observé notre environnement. Nous avons trouvé notre place progressivement…. Ce qui a frappé sœur Thérèse-Marie « les eucharisties ne sont pas aussi joyeuses qu’en Afrique … les gens ont tendance à garder pour eux ce qu’ils vivent. Ils ne l’extériorisent pas. »

Un prêtre malgache à Paris : « Mon arrivée ne fut pas très facile, j’ai été confronté à une nouvelle culture et à de nouveaux codes, par exemple, manger autre chose que du riz, qui constitue la nourriture de base chez moi. »

N’en rajoutons pas, car il est facile d’imaginer les problèmes d’adaptation d’immigrés venus grâce à leur famille, ne sachant ni lire, ni écrire, et ne parlant pas notre langue.

Enfin, et pour conclure, je dirais volontiers trois choses :

La première : il n’est pas sûr que le coup de projecteur que veut donner la fondation Thuram sur les zoos, les exhibitions, serve beaucoup la cause de sa fondation.

N’ayant pas vu cette exposition, je suis sûr que ses organisateurs ont eu l’honnêteté intellectuelle et historique de faire état des nombreux travaux de l’Association « Images et Mémoires » qui ont porté sur une autre forme d’exhibition, moins médiatique sans doute, c’est-à-dire moins provocatrice, et en tout cas, moins caricaturale, celle des « Villages Noirs » dont l’histoire de synthèse est racontée dans le livre « Villages Noirs » (Editions Khartala-2001). Le chapitre 3 du livre « Supercherie coloniale» (Mémoires d’hommes) propose par ailleurs une lecture moins anachronique de cette mode des zoos que celle de l’équipe animée par le « conseiller » historique de Thuram.

Sans évoquer un certain état de l’Afrique noire au moment des conquêtes coloniales, terre de castes, d’esclavage, et de guerres intestines, les premiers contacts entre noirs et blancs ont été placés sous le signe de l’étrangeté, le premier blanc rencontré étant perçu comme un être fantomatique, issu d’un autre monde, sinon maléfique.

Sur le blog du 17 mars 2011, j’ai rappelé l’expérience d’«exhibé » qu’avait faite l’africaniste Delafosse en Côte d’Ivoire, en 1907, dans le village de Siemen, dans la région de Man, racontée dans le livre « Broussard ou les états d’âme d’un colonial » (1923)

Une expérience vraiment différente de celles qui sont mises en vedette par l’ancien footballeur international ?

Pour mémoire, la Côte d’Ivoire a été créée de toutes pièces par un décret de la France coloniale du 10 mars 1893.

Pour revenir à l’actualité, certains journalistes de télévision à succès ne projettent-ils pas le téléspectateur dans un décor moderne de « zoo », par exemple, chez les Nenetz  du grand Nord ou les Himbas de Namibie ?

Croyez-vous, sérieusement, et par ailleurs, que sur un autre plan, cher à des historiens « entrepreneurs », ces exhibitions aient influencé « l’inconscient collectif » des Français, pour user d’une des explications favorites d’une historienne connue ? Par je ne sais quel processus caché ou secret, jamais décrit ou évalué, s’il existait, de cet « inconscient collectif » ?

Qui a-t-il eu la chance d’en vérifier la preuve ?

Je serais tenté de répondre, à ce sujet, par le texte de l’interview de Sonia Rolland (page 55) : « Soyez fières de votre négritude », car il me semble que beaucoup trop de noirs et de noires font précisément un complexe de négritude.

La deuxième : les pages consacrées aux initiatives créatrices des Noirs de France, dans notre pays, et sur le plan international, montrent que rien n’est impossible, à la condition de le vouloir.

J’attends d’un prochain ou des prochains numéros de Respect Mag qu’il mette en valeur toutes ces initiatives, s’il ne le fait déjà.

La troisième : je serais tenté de dire que ce numéro récapitule plus les réclamations, les revendications, les récriminations que les solutions, c’est-à-dire l’avenir que les personnes qui ont été interviewées dessinent pour eux, leurs familles, et en définitive pour la France.

Et c’est peut-être la tonalité générale de ce type de discours qui cause le plus de préjudice à la défense de la cause des membres de la « communauté » noire de France !

Pourquoi ne pas oser dire que les Noirs en général, et ceux de France aussi, ont trop tendance à adopter à la fois une revendication de reconnaissance, et une « posture » de victime, de réparation, et d’assistance, qu’ils manquent de confiance en eux-mêmes, et qu’ils ne sont pas tous prêts à proclamer comme Obama « Yes, you can ! », même s’ils ont souvent tendance à s’en réclamer !

Jean Pierre Renaud

Rigueur historique ou non? Respect Mag N°31 -100%Noirs de France -Interview historien Blanchard

Rigueur historique ou non ?

Respect Mag N°31

100% Noirs de France

« Sortir des mythologies et de la méconnaissance »

Interview de l’historien P.Blanchard

Oui, mais avec quels chiffres ?

             Un numéro de magazine au contenu intéressant, et sans doute utile, sur lequel nous reviendrons ultérieurement sur le blog, compte tenu des questions qu’il pose.

            Pour l’instant, arrêtons- nous sur le contenu de l’interview Blanchard dont l’analyse parait moins caricaturale que celle à laquelle il nous avait habitués dans les ouvrages qu’il a publiés, mais l’historien est décidément toujours fâché avec les chiffres et la statistique.

            Dans le livre « Supercherie coloniale », j’ai procédé à la critique systématique de la thèse de l’historien et de ses collègues, d’après laquelle il aurait existé en France une culture coloniale, puis impériale, pendant la période coloniale.

            Le point essentiel de cette critique portait sur l’insuffisance des instruments d’évaluation des supports de la dite culture coloniale, et des effets que la diffusion de ces supports aurait eu sur la mentalité des Français.

            L’historien parait décidément toujours fâché avec les chiffres et la statistique.

            Sur le blog du 4 février 2011, j’avais relevé dans le Lib Mag des 29 et 30/11/11, à propos des squelettes, têtes et corps qui existaient dans nos musées, que les chiffres avancés par l’historien semblaient tout à fait fantaisistes, des millions de squelettes, et des dizaines de milliers de têtes et corps.

            Récidive aujourd’hui avec la statistique des Noirs en France ?

            « A la question « Cette question en France est plus ancienne qu’on a tendance à le penser ? »

L’historien répond, à un moment donné :

«  25 000 noirs ont vécu en France  métropolitaine au XVIII° siècle. Soit beaucoup plus que des personnes de confession juive ou de migrants portugais, italiens, espagnols.»

L’historien Pap Ndiaye proposait un tout autre chiffre dans son livre « La condition noire » : en 1770, la France aurait compté de 4 à 5 000 noirs d’après les registres de police (page 116) et à la fin du XIX°siècle, d’après le même historien, il est probable que le nombre de noirs avoisinait le millier, dont quelques centaines à Paris. (page 126) (Commentaire de ce livre sur le blog du 16/05/11)

Qui a donc raison entre ces deux historiens ?

Jean Pierre Renaud

Libé Le Mag des 29,30 janvier 2011, « Libération » coloniale?

Libé Le Mag, « Libération » coloniale ?

Libé Le Mag des 29,30 janvier 2011

Information, désinformation, intoxication coloniale, et enfin de la vraie propagande coloniale !

« Musées, arrière-boutiques et horreurs

Têtes de nègres, anatomies formolées, écorchés… Un capharnaüm morbide, témoin des expéditions coloniales, s’entasse dans les réserves et embarrasse conservateurs et politiques »

            Avant toute chose, j’ai envie de dire à l’auteur de cette chronique : plût au ciel que vous n’ayez pas eu dans votre ascendance de Bretons ou d’Auvergnats !

Car à lire un extrait tiré d’une des œuvres de l’équipe Blanchard  que, vous, ou Libé, appelez en témoignage en fin de chronique, certains de vos ascendants auraient été victimes des Zoos humains :

            Ces exhibitions ethnographiques : « Elles portent en elles le rapport de domination coloniale, même si celui-ci s’applique également, toujours au travers des exhibitions humaines, aux Bretons ou aux Auvergnats, populations considérées par la France centralisée comme des populations « ethniques » encore à civiliser. » (« Culture Coloniale » pages 58 et 59).

            Oui, les Zoos humains ont existé, mais pas dans les proportions et les effets avancés par ces chercheurs, aux dires d’historiens plus sérieux, et la mise en scène souvent anachronique de leurs images a donné la possibilité à cette équipe de chercheurs de mettre leurs travaux en lumière, de surfer dans les médias souvent à l’affût de croustillant, quel qu’il soit ! Je recommanderais donc à l’auteur de prendre connaissance, entre autres sources, du livre « Les villages noirs », pour avoir une appréciation plus mesurée du phénomène des « zoos ».

            Chronique intéressante au demeurant sur les problèmes redoutables et de toute nature que pose aux responsables des musées la gestion de ces témoins de notre passé, à incidence scientifique, historique, ou anthropologique, beaucoup plus d’ailleurs que coloniale, et de témoins communs, sauf erreur, à la plupart des pays occidentaux.

            Les sujets de contestation de cette chronique portent sur plusieurs points :

            1- Incontestablement, l’analyse se situe dans un cadre colonial : dans le titre, le corps du texte, et les illustrations de bonne BD que propose M.Rabena.

            Deux des quatre pages de la chronique proposent en effet une BD simplifiée du « bain colonial », cher à l’équipe Blanchard.

            Le colonial est un des fils rouges ou noirs, au choix, sinon le seul, de cette chronique.

            2-  N’est-ce pas un peu exagéré, compte tenu des propos de M.Blanchard (page XII, et de ceux de Madame Laure Cadot, sur la même page ?

Mais il est vrai que cette fin de page en caractères noirs ne fait pas partie de la chronique de l’auteur.

            « Combien de dépouilles dans les musées français ? Faute d’étude exhaustive, impossible d’établir un chiffre approximatif.

            « Il y a un vrai problème de définition, estime Pascal Blanchard, historien de la colonisation, codirecteur de l’ouvrage Zoos humains. Si l’on inclut les squelettes, il s’agit de quelques millions de pièces en France. Si on parle des têtes et des corps, momifiés ou non, on parle de dizaines de milliers. »

Mais, juste après ces affirmations formelles, fussent-elles approximatives,  le journal a l’honnêteté de donner la parole à Laure Cadot restauratrice d’objets ethnographiqueslaquelle déclarait que « les reliques coloniales représenteraient une part « extrêmement limitée » des collections. »

Les chiffres communiqués par le Muséum de Paris (même page) portent sur plus de 20 000 individus et une vingtaine de têtes.

On est donc très loin des estimations Blanchard, lesquelles paraissent tout à fait invraisemblables.

A mes yeux, la contribution Blanchard s’inscrit dans la ligne de la thèse défendue dans ses ouvrages, d’après laquelle la France, pendant la période coloniale, aurait été coloniale sans le savoir, « imprégnée » par le colonial dans son inconscient, plongée dans le « bain colonial » de la propagande coloniale.

Le mérite de ce groupe de chercheurs a été de révéler à une certaine opinion publique la richesse des images coloniales, mais il n’a pas encore démontré avec des méthodes d’évaluation statistiques sérieuses le poids des vecteurs d’une culture coloniale supposée et de leurs effets sur l’opinion publique.

Même la présidente de son jury de thèse, Mme Coquery- Vidrovitch a convenu dans une de ses interventions que l’historien en question représentait un nouveau type d’historien, l’«historien entrepreneur », et aux yeux de certains, avant tout un efficace entrepreneur public et privé  d’images coloniales, et un habile propagandiste d’une nouvelle vulgate de l’histoire coloniale.

Cet historien de la colonisation, comme indiqué en bas de la chronique, a fait une thèse d’histoire coloniale intitulée « Nationalisme et Colonialisme, la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale », essentiellement à partir de la presse de droite et d’extrême droite du sud-est de la France portant sur la période 1931-1945.

Il serait donc juste de mettre au défi Monsieur Blanchard de faire connaître aux lecteurs de Libé la méthode de calcul qu’il a utilisée pour avancer des chiffres mêmes approximatifs des squelettes, des têtes et des corps, car ces chiffres paraissent tout à fait invraisemblables, même approximativement.

La propagande coloniale a paradoxalement beaucoup plus de succès de nos jours qu’à la grande époque coloniale, comme je l’ai démontré dans le livre  « Supercherie coloniale » (chapitre VII – La Propagande Coloniale), étant donné qu’elle a trouvé un terrain de choix avec le fonds de commerce des populations d’origine immigrée, la nouvelle mode d’une histoire humanitariste, comme elle fut dans le passé, nationale ou marxiste, l’ignorance de l’opinion publique, et le tout médiatique des images.

Mieux vaut une belle image qu’une démonstration historique !

Et pour qui a quelques lumières sur la propagande coloniale de la Troisième République, même en payant les journaux, ses animateurs avaient en effet  beaucoup de peine à faire publier leurs messages de propagande.

Je suis sûr que, dans le cas d’espèce, et à la différence de ses lointains prédécesseurs,  Monsieur Blanchard n’a eu aucune peine à faire passer sa propagande et le bon dessinateur de BD à voir ses images rémunérées.

En conclusion, et dans de telles conditions de manipulation de l’information, comment parler vraiment et sereinement des squelettes, têtes, et corps qui seraient les « témoins des expéditions coloniales », et qui encombreraient les réserves de nos musées ?

Jean Pierre Renaud

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale? (4)

& Histoire ou Mémoire, Repentance ou Révisionnisme

        Ce débat est sans doute étranger à un grand nombre de Français, qui ne comprennent pas que la repentance fascine, comme à l’habitude une minorité d’intellectuels, toujours enclins à flatter le masochisme de nos échecs nationaux.

        Il nous faut tout d’abord rappeler les définitions que le Petit Robert propose pour les deux concepts d’histoire et de mémoire :

            – Histoire, une relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (groupe ou activité) qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire.

            Donc toute l’ambiguïté attachée à la dignité de, donc aux disciplines intellectuelles capables de lui donner des garanties d’objectivité. Mais il ne faut pas être historien pour savoir que l’histoire n’est pas une science exacte et qu’elle est soumise à des modes, à des courants de pensée, situation qui n’autorise toutefois pas à écrire n’importe quoi.

            – Mémoire, la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passée et ce qui s’y trouve associé, faculté collective de se souvenir.

            Or le discours de ce collectif de chercheurs part continuellement à l’assaut de l’histoire et de la mémoire, et s’inscrit dans ce qu’on appelle communément la nouvelle guerre des mémoires. Et à cet égard le livre La République coloniale (Blanchard, Bancel, Vergès) est incontestablement le plus provocateur, le plus outrancier dans le verbe et dans la pensée, pour ne pas utiliser un adjectif plus fort. Le livre suivant La Fracture coloniale ne fait pas mal non plus dans le genre.

            Dans le premier ouvrage, les auteurs nous proposent tout simplement de déconstruire le récit de la république coloniale (RC/V), de déconstruire les fondements de son imaginaire (RC/160), et comment construire une mémoire (RC/140). Notons que dans leur conclusion du Colloque, les deux historiens Debost et Manceron avaient ouvert la voie, en écrivant :

            « La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier « .(C/148)

            Affirmation bien gratuite compte tenu du défaut d’analyse de ce fameux imaginaire colonial, alors et encore aujourd’hui ! Ce collectif a manifesté son incapacité à en démontrer l’existence au temps des colonies et à notre époque.

            Le livre La Fracture coloniale s’inscrit dans la même ligne, « projet inédit de décoloniser les esprits (FC/200), il faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour tenter de les déconstruire. (FC/219), comment décoloniser les imaginaires ? « .(FC/237)

            « Une politique  de la mémoire, redisons-le, devrait s’attacher à déconstruire les deux versants de ces perceptions, à savoir une strate que l’on pourrait qualifier d’  « immédiate » et l’autre de « profonde » « (FC/289)

               Vous avez-bien lu? « une politique de la mémoire »!

            Et dans le registre de ces citations et pour en égayer un peu la liste, un auteur n’hésite pas à écrire : « Mais il y a bien des Français pas comme les autres qui analysent le regard dépréciateur, le déni de droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. ‘ »(FC/200)

            Pourquoi ne pas rappeler que dans une controverse récente sur la repentance, entre deux historiens chevronnés, Mme Coquery-Vidrovitch et M.Lefeuvre, la première a défendu l’historien Blanchard en le qualifiant précisément d’historien entrepreneur ?

            Ce qui revient à reconnaître aujourd’hui le rôle du marché, de la concurrence, de l’argent et du profit dans  les travaux de recherche historique et mémorielle !

            Je dois reconnaître que le concept d’historien entrepreneur dérange, même quand, sur les pas de Paul Valéry, dans le texte que nous avons proposé au début de cet ouvrage, notre regard sur l’histoire reste lucide et notre esprit en éveil.

            Mais dans le cas présent de ce collectif de chercheurs, l’histoire devient encore plus problématique, puisqu’elle est faite d’affabulation historique.

            Comment alors ne pas accuser ces historiens entrepreneurs de poser, innocemment ou non, des bombes idéologiques construites de toutes piècesau sein de la société française, au risque de faire exploser un pacte républicain fragile.

            Au risque d’engager ou d’entretenir un processus d’autoréalisation de ces fantasmes de la mémoire. La conclusion de l’introduction des Actes du Colloque de 1993, consacrés au thème « Arts et Séductions » annonçait déjà la couleur, en rappelant les propos de l’historien Debost (Négripub), dont nous avons croisé la route à plusieurs reprises :

            « Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient sensées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent nos référents, ni ceux de nos parents.  » (C/91)

            Grâce à l’exposition, le fantasme colonial deviendra donc réalité, au même titre qu’on peut craindre que le discours mémoriel de ces chercheurs ne devienne réalité dans les banlieues.        

            Et avec de telles méthodes de diagnostic et de soins, on peut craindre, qu’à l’exemple des médecins de Molière, ils ne fassent crever le malade.

            Quant à la repentance, comment ne pas inviter ses promoteurs et défenseurs à méditer sur le sort des filles repenties de l’ancien régime, lesquelles trouvaient quelquefois le secours de refuges religieux ?

            Dans un tel contexte, repentance ou non, révisionnisme ou non, de tels mots n’ont guère de sens, sauf à nous faire revenir dans les temps de l’histoire chrétienne ou totalitaire, du monde communiste en particulier.

            Mais il faut garder la République française à l’abri de ces discours mémoriels qui propagent tout simplement leur supercherie, au risque effectivement de voir cette supercherie s’autoréaliser en mythe explosif.

            Au fur et à mesure de ces lectures rébarbatives, je me suis souvent demandé quel pouvait être le but de ces chercheurs. Erreurs de jeunesse ? Mais ils ne sont plus à l’âge de la puberté ou de la nubilité ! Vertige d’une médiatisation surprenante et réussie, grâce à l’exploitation du filon méconnu de beaucoup d’images coloniales, souvent belles ? Ou dénigrement conscient ou inconscient de la France, au risque, par leurs travaux mal fondés, de porter atteinte à l’unité de la République, et donc de fournir des arguments pseudo-scientifiques aux revendications des partisans de la disparition de la France

La « Culture Coloniale » du Larousse Mensuel Illustré (1907-1913)


            Dans leur livre  « Culture coloniale- La France conquise par son Empire »,
 les deux historiens Blanchard et Lemaire distinguent « trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française, le temps de l’imprégnation ( de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931… nous avons choisi de multiplier les approches pour mieux cerner ses modes d’expression. Cette transversalité de la démarche permet de comprendre la complexité d’un phénomène pourtant extrêmement simple : comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir, sans même l’anticiper. Non pas coloniaux au sens d’acteurs de la colonisation ou de fervents soutiens du colonialisme, mais au sens identitaire, culturel et charnel» (page 7 et 8)

            Vous avez bien lu : « charnel » !

            Et pour mieux nous guider, un détour par le Petit Robert !

            Imprégnation : 1° : Fécondation – 2° : Influence exercée par une première fécondation – 3° : Pénétration d’une substance dans une autre.

            Fixation : 1° : Action de fixer – 2° : Le fait de se fixer (personnes) – 3° Pyschan. « Attachement intense de la libido à une personne, à un objet, ou à un stade de développement… (Lagache)

            L’histoire coloniale a effectivement fait un grand pas, un pas de géant dans l’inconscient collectif, cher à cette nouvelle école de chercheurs.

            Un petit exercice de méthode donc, aux fins de tenter de mesurer, à partir d’un des vecteurs de cette culture coloniale supposée, ou fictive, comme nous le verrons, existant au cours du premier « temps de l’imprégnation ».

        Test d’évaluation de la « culture coloniale » de l’élite : le Larousse Mensuel Illustré des années 1907-1913

        Comment est-il possible d’affirmer que la France a eu une culture coloniale pendant la période coloniale, alors que l’histoire coloniale fait preuve d’une carence notoire dans l’analyse des sujets coloniaux traités par la presse nationale et provinciale ?

            A la lecture de certains ouvrages spécialisés d’histoire coloniale, l’ai été frappé par le discours que leurs auteurs tenaient sur la presse française au cours de la période coloniale allant de 1890 à 1960, une presse supposée coloniale, nationale ou provinciale, alors que la presse n’a jamais fait, à mon avis et jusqu’à présent, l’objet d’un travail d’analyse statistique sérieux, afin de déterminer la place accordée aux questions coloniales dans cette presse, en lignes, colonnes ou pages, et parallèlement en termes de contenus, favorables ou défavorables.

            Rares ont été les mémoires partiels, tous intéressants, déposés sur ce sujet, en tout cas, ceux que j’ai pu consulter.

            Le célèbre livre de Girardet intitulé « L’idée coloniale en France» (1871-1962), paru en 1972 est très succinct  sur la presse, pour ne pas dire muet, alors qu’il parait difficile de traiter un tel sujet, sans effectuer une analyse statistique solide sur la presse. Rien dans le chapitre IV intitulé « La conquête de l’opinion »!

            A croire qu’il n’existait, alors, pas encore d’outils d’évaluation statistique !

            Même constat, en ce qui concerne le petit collectif de chercheurs historiens ou sociologues, au choix, animé par les deux historiens cités plus haut, d’après lesquels, entre 1880 et 1960, la propagande coloniale aurait « tissé une toile », « inondé », et réussi à « parfaitement intérioriser la légitimité de l’ordre colonial », alors que ce collectif n’a pas apporté la démonstration de l’influence de la presse.

            J’ai consacré un chapitre du livre « Supercherie coloniale » (1) à la presse et démontré que rien, dans l’état actuel des recherches, n’accréditait un tel discours, dont le héraut principal, a effectué une thèse intitulée « Nationalisme et colonialisme » tout à fait limitée sur la presse, tant sur le plan chronologique (1930-1945), que thématique.

            Un exercice de mesure du colonial

            A titre d’exemple, je propose donc aux lecteurs de me suivre dans la consultation des Larousse mensuels illustrés pour la période 1907-1913, afin de mesurer la place que ces ouvrages destinés à une élite française consacraient à l’information coloniale.

            Au total, pour la période considérée, cette publication contenait sur plus de 1700 pages un ensemble très varié et très riche d’articles, de gravures, de croquis, de cartes et de schémas

            Notons tout d’abord que la table alphabétique des matières ne comporte aucune rubrique « colonies ».

            En ce qui concerne la période 1907-1910, la place de l’information consacrée aux colonies est très limitée, pour ne pas dire anodine : en 1907, une colonne, ou à peu près, pour le roi Toffa du Dahomey, en 1908, pour un personnage du Tonkin, Déo-van-tri, et pour la maladie du sommeil. En 1909, silence complet sur les colonies !

            En 1910, 2 pages sont consacrées à la pacification de la Mauritanie, mais surtout à l’action du général Gouraud dans l’Adrar. Une demi-colonne pour évoquer la définition de l’indigénat.

            Résultat  pour 1907-1910: l’information coloniale frise avec le zéro sur les 800 pages du volume !

            Qu’en est-il des années 1911-1913, sur les 914 pages du volume ?

            En 1911, 14 pages au total sur le Tchad, l’Ouaddaï, le Maroc, l’AOF et Dakar.

            En 1912, 8 pages sur Zinder, le Maroc, et l’Indochine.

            En 1913, 7 pages sur le Maroc, avec la guerre du Rif.

            Résultat : l’information coloniale frise également avec le zéro, 0,03% des pages.

            Alors, ni toile tissée, ni inondation, ni intériorisation de la légitimité de l’ordre colonial !

            Les textes les plus longs concernent :

            – en 1911, le bilan très technique de la construction du port de Dakar et des lignes de chemin de fer de la nouvelle AOF (4 pages1/2 avec 6 cartes) avec leur coût, 200 millions de francs de l’époque, soit de l’ordre de 640 millions d’euros.

            – en 1912 et 1913, les opérations militaires au Maroc (de l’ordre de 16 pages), la guerre du Rif, avec Lyautey, et l’Espagne sur le versant nord.

            – en 1912, une information technique sur les nouvelles lignes de chemin de fer en Indochine, notamment vers le Yunnan.

            Et pour terminer, le même dictionnaire consacrait 4 pages de son deuxième volume, en janvier 1913, à la guerre italo-turque de Tripolitaine.

            Au lecteur donc de juger de la pertinence de la thèse dénoncée et aux chercheurs en histoire d’aller plus loin dans le dépouillement statistique des sources d’une culture coloniale supposée ou fantôme, car il faut bien sûr aller plus loin et de façon sérieuse.

            Fécondation ? Voire ! Et en tout cas éviter à tout prix une fixation sur la deuxième période d’un découpage de période historique « suspect ».

            Jean Pierre Renaud – (1) Supercherie Coloniale – Mémoires d’Hommes – 2008

Scientificité des thèses d’histoire coloniale? Est-ce le cas?

Que penser des thèses d’histoire coloniale ?

Secret de confession universitaire ou tabou colonial ?

Pertinence scientifique et transparence publique des thèses en général et d’histoire coloniale en particulier ?

Sont-elles scientifiquement pertinentes, alors que leurs jurys cachent leur avis et le résultat de leurs votes ?

Au sujet des thèses Blanchard, Bancel, et Lemaire… et sans doute d’autres thèses !

             Au cours des dernières années, mes recherches d’histoire coloniale (d’amateur) m’ont conduit à aller à la source, c’est-à-dire à prendre connaissance de plusieurs thèses d’histoire coloniale qui donnaient, je le pensais, un fondement scientifique aux interventions verbales ou aux ouvrages écrits par leurs auteurs.

            J’ai donc consulté les trois thèses des trois historiens (Blanchard, Bancel et Lemaire) qui soutenaient la thèse soi-disant  historique d’après laquelle la France aurait été dotée, lors de la période coloniale, d’une culture coloniale, puis impériale.

            J’étais, en effet, plutôt surpris par la teneur des discours que ces derniers tenaient sur ce pan largement ignoré de notre histoire nationale.

            Accréditation scientifique ?

            La consultation et la lecture de ces thèses me donnèrent la conviction qu’elles ne suffisaient pas toujours, totalement ou partiellement, à donner une accréditation scientifique à leurs travaux, dans le domaine de la presse, des sondages, des images coloniales quasiment absentes et sans aucune référence sémiologique dans les thèses en question, et d’une façon générale en ce qui concerne la méthodologie statistique, économique ou financière mise en œuvre.

            Constat surprenant, alors que le terme de « scientifique » est souvent mentionné dans les arrêtés qui ont défini la procédure d’attribution du titre de docteur par les jurys : intervention d’un conseil scientifique, intérêt scientifique des travaux, aptitude des travaux à se situer dans leur contexte scientifique…

            Il me semblait donc  logique d’aller plus loin dans mes recherches, c’est-à-dire  accéder aux rapports du jury visés par les arrêtés ministériels de 1992 et 2006, rapports susceptibles d’éclairer l’intérêt scientifique des travaux. J’ai donc demandé au Recteur de Paris d’avoir communication des rapports du jury, communication qui m’a été refusée, alors que la soutenance était supposée être publique.

            Mais comment parler de soutenance publique, s’il n’est conservé aucune trace du débat, du vote (unanimité ou non) du jury, et s’il n’est pas possible de prendre connaissance des rapports des membres du jury, et donc de se faire une opinion sur la valeur scientifique que le jury a attribué à une thèse, ainsi que des mentions éventuellement décernées.

            Je m’interroge donc sur la qualité d’une procédure

            – qui ne conserverait aucune trace d’une soutenance publique, sauf à considérer que celle-ci n’a qu’un caractère formel.

            – qui exclurait toute justification de l’attribution d’un titre universitaire, appuyé seulement sur la notoriété de membres du jury, alors même que ce titre est susceptible d’accréditer l’intérêt scientifique de publications ultérieures, ou de toute médiatisation de ces travaux.

            Conclusion : les universités et leurs jurys seraient bien inspirés de lever ce secret, sauf à jeter une suspicion légitime et inutile sur le sérieux scientifique des doctorats qui sont délivrés, sauf également, et cette restriction est capitale, si mon expérience n’était aucunement représentative de la situation actuelle des thèses et des jurys.

            La transparence publique devrait être la règle.

            Pourquoi en serait-il différemment dans ce domaine de décisions, alors que la plupart des décisions publiques sont aujourd’hui soumises à des obligations démocratiques utiles de transparence publique.

            Il parait en effet difficile d’admettre que, sous le prétexte de préserver le secret de la vie privée, le secret des délibérations sûrement, mais pas le reste, il soit possible de sceller tout le processus supposé « scientifique » du même sceau du secret.

            A l’Université, en serions-nous encore, à l’âge du confessionnal et de l’autorité d’une nouvelle l’Eglise? Les jurys auraient donc quelque chose à cacher ? Un nouveau tabou ?

            Et en post scriptum, une thèse à l’EHESS :

             J’ai eu l’occasion d’analyser, en 2009, une thèse consacrée à l’histoire coloniale, au développement et aux inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française, au titre de l’EHESS, et sous la direction de Denis Cogneau (professeur associé à Paris School of Economics) et Thomas Piketty (professeur à l’Ecole d’Economie de Paris), avec le concours de deux rapporteurs, Jean-Marie Baland, professeur à l’Université de Namur, et Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology, plus deux autres membres éminents, Pierre Jacquet, Chef économiste à l’Agence Française de Développement, et enfin Gilles Postel-Vinay, Directeur de recherche à l’INRA, Directeur d’études à l’EHESS.

            La thésarde a fait un très gros travail d’analyse, mais sur des bases statistiques fragiles et en faisant un très large appel à un appareil de corrélation mathématique et statistique savant, mais audacieux, en projetant des raisonnements qui enjambent la période d’explosion démographique de la deuxième moitié du siècle, et quelquefois le siècle.

            Il serait intéressant d’avoir accès aux rapports des membres du jury, au contenu des délibérations, et au vote du même jury, et pas uniquement à l’article de Mme Duflo, dans Libé du 2/12/2008, intitulé « Le fardeau de l’homme blanc ? », dont le contenu était favorable aux conclusions de cette thèse.

            Et j’ai tout lieu donc de penser que, pour assurer son crédit scientifique,  la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence publique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige.

            Jean Pierre Renaud, docteur en sciences économiques, et ancien haut fonctionnaire

Clin d’oeil cinéma: le film « Hors la loi » et « l’historien » colonial Blanchard

Pages cinéma du Monde du 5 mai 2010: Clarisse Fabre évoque la polémique qui s’est engagée sur le film « Hors – la – loi ». Elle cite comme avis de référence celui de M.Blanchard, animateur d’un collectif de chercheurs qui diffuse depuis quelques années une littérature coloniale, de type idéologique, au mieux ingénue, sur le passé colonial de la France.

   M.Blanchard a effectivement fait des études d’histoire et soutenu une thèse de doctorat, sur un sujet circonscrit à la fois sur le plan géographique, chronologique, et thématique, et je recommande aux spécialistes la lecture de cette thèse, afin de vérifier si elle est susceptible d’accréditer ce chercheur comme référence médiatique de notre histoire coloniale, ce qui ne semble pas être le cas dans les mileux sérieux de l’histoire coloniale.

   Le titre de cette thèse est: « Nationalisme et Colonialisme, la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale »

   L’intéressé déclare à la journaliste, quant aux inexactitudes pointées par le Service Historique de la Défense :

   « Mais ce n’est pas le sujet, Hors-la-loi est une fiction ».

   Comme l’histoire coloniale de « fiction » dont le chercheur est un des hérauts? Avec un talent incontestable pour surfer dans les médias sur un filon à nouveau découvert, celui des images  coloniales.