« 18 mars 1962 Les accords d’Evian » par Belkacem Recham – Deuxième épisode: le « regard » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

Autour des « raisins verts » ?

         Quatre chroniques sur la guerre d’Algérie et les accords d’Evian

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Deuxième épisode

« 18 mars 1962 Les Accords d’Evian » par Belkacem Recham »

Dans le livre « L’HISTOIRE DE FRANCE VUE D’AILLEURS » (pages 535,545)-Les Arènes

De Jean-Noel Jeanneney et Jeanne Guerout

            L’auteur est chargé de cours à l’Université de Strasbourg

« Le « regard » d’un ancien officier du contingent de l’armée dite « coloniale »

            Ma première remarque préalable portera sur le sens de l’adverbe « ailleurs » pour qualifier une source historique, quand l’on sait toute l’importance justifiée que les historiens de métier attachent à l’identification des « sources ».

            La quatrième de couverture de ce livre précise : « cinquante dates…. soumises au regard d’historiens étrangers… » : ma deuxième remarque préalableposera donc la question de savoir si M.Recham est un historien étranger.

            La question a d’autant plus d’importance que l’auteur place son commentaire sous le patronage de M.Harbi, ancien dirigeant du FLN.

            Rien de spécial à noter en ce qui concerne les premières pages relatant la phase des négociations secrètes qui ont précédé la signature de ces accords. (p,535,536,537,538)

            Les négociations se poursuivirent après le référendum de janvier 1961 qui donna, en quelque sorte, carte blanche au général de Gaulle.

       « Les points d’achoppement furent toujours les mêmes : refus par les Algériens d’une trêve préalable à toute négociation, perçue comme un  piège, le statut des Européens d’Algérie et surtout la question de la souveraineté du Sahara. Ce dernier point fit à nouveau achopper des discussions reprises en Suisse en juillet 1961 » (p,540)

       Le texte aurait pu souligner qu’aux yeux de De Gaulle, le maintien du Sahara dans une orbite française était capital, étant donné son importance pour la mise au point des bombes atomiques, au-delà du sort du pétrole saharien dont on aurait su s’arranger, l’objectif de puissance atomique comptant plus que tout le reste.

      Les accords signés :

       « L’Etat algérien exercerait une souveraineté pleine et entière, mais un certain nombre de conditions lui étaient imposées : souscrire à la Déclaration universelle des droits de l’homme, se doter d’institutions sur le principe démocratique et sur l’égalité des droits politiques entre tous les citoyens, respecter toutes les libertés et accorder aux Français toute une série de garanties. Les Français disposeraient pendant trois ans de droits civiques algériens, au terme desquels ils auraient le choix soit d’opter pour la nation alité algérienne, soit de demeurer citoyen français en se trouvant dès lors étrangers en Algérie. Dans les deux cas, ils auraient droit à un accès à toutes les professions, à l’égalité de traitement avec les nationaux, à la libre jouissance de leurs biens dont nul ne pourrait être privé sans une indemnité équitable préalablement fixée.

       En France, les passions se déchaînent

       En contrepartie, la France accorderait son assistance technique et financière…. Sur le plan militaire…. L’armée française serait réduite à 80 000 hommes, en attendant une évacuation totale dans les deux ans. Seules exceptions, la base aéronavale de Mers el Kébir, concédée pour quinze ans, et  les sites d’expérimentation nucléaire du Sahara accordés pour cinq. « (p542,543)

          Le constat « En France, les passions se déchaînent » mériterait de faire l’objet d’une mesure dans les médias de l’époque, car, dans mon souvenir, la grande majorité de la population française n’attendait qu’une seule chose, se débarrasser du dossier algérien.

         L’auteur note :

        « Le pari raté de la cohabitation

       Cependant, avant même d’être appliqués, ils furent contestés par une partie du FLN et condamnés par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), devenue le bras armé du refus de l’indépendance du côté des Européens. Celle-ci déclencha des opérations dites de harcèlement dans les villes algériennes, qui tournèrent à une sanglante chasse à l’arabe à laquelle ne manquèrent ni bombardements au mortier des quartiers musulmans ni attentats à la voiture piégée.

         L’exode massif des « pieds noirs » ne saurait, au premier chef, être imputable à une insuffisance des garanties vis-à-vis des Européens d’Algérie. La responsabilité revient en premier lieu au terrorisme anti-arabe de l’OAS à quoi répondirent, notamment à Oran, au début de juillet, les massacres d’un grand nombre d’européens. Redoutant de prévisibles représailles, les Français d’Algérie, frappés de panique, quittèrent en masse sans esprit de retour, ce pays où ils avaient été les maîtres et où, disaient-ils, ils ne voulaient pas devenir des sujets. Comme l’a bien dit Mohamed Harbi, « ces accords reposaient sur un pari : la cohabitation entre deux communautés sous l’autorité d’un Etat multiculturel. Il n’a pas été tenu. Le premier coup a été porté par l’OAS, les willayas ont fait le reste…. Aucun des deux interlocuteurs d’Evian ne maîtrisait son propre camp. L’une des deux parties essentielles des accords, le pari d’une réconciliation nationale des communautés, était naufragé. »

       Il n’empêche que ces accords représentèrent, au moins à court terme, le compromis souhaité par la majorité des Français, puisqu’ils furent approuvés par plus de 90% d’entre eux au référendum du 8 avril 1962. Ils ne le furent pas moins par les Algériens qui répondirent « oui » à plus de 99% lors du référendum sur l’indépendance du 1er juillet 1962. » (p,543,544,545)

        Quelques remarques sur cette dernière analyse historique en laissant le soin évidemment aux spécialistes d’en apprécier la teneur :

      Etait-il besoin de placer cette analyse sous le patronage « spirituel » ou « intellectuel » de Mohamed Harbi, lequel, fut un dirigeant du FLN  pendant quelques années après le pari de la cohabitation décrit, avant de pouvoir s’évader, en 1973, vers quel pays ? Bien sûr, la France !

       Le respect des droits de l’homme était oublié depuis longtemps.

        Est-ce que la phrase relative au « pari »…d’une » « cohabitation entre deux communautés sous l’autorité d’un Etat multiculturel » n’est pas rédigée hors sol de l’histoire algérienne, et de l’immense majorité musulmane de l’Algérie devenue indépendante ?

       Enfin, il me parait tout de même hardi de mettre sur le même plan le référendum français et le référendum algérien, sauf à ne pas avoir encore compris que la grande majorité des Français ignorait presque tout de l’Algérie, et qu’ils étaient enfin contents de se débarrasser de l’Algérie.

       Les Français et les Françaises d’alors ont  voté au moins autant, sinon plus pour leur indépendance : indépendance contre indépendance !

Jean Pierre Renaud

            Je publierai au cours des prochaines semaines, les deux derniers épisodes :

           3 – « Les raisins verts » : Benjamin Stora historien ou mémorialiste, sur la petite musique biblique des « raisins verts » de la « matrice » algérienne,

     4 – « Les mémoires dangereuses » ou les mémoires « littéraires », « dangereuses » dans un dialogue entre Benjamin Stora et Alexis Jenni, Prix Goncourt, au Club de Médiapart.

 » Le 19 mars 1962″ avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

A propos des « raisins verts » de la Bible

1962 : « Accords d’Evian » et guerre d’Algérie

  1.  « Les Accords d’Evian » avec l’historien du « dedans » Guy Pervillé,
  2.  « Le 18 mars 1962 Les accords d’Evian » avec l’historien « d’ailleurs », Belkacem Recham, selon le livre « Histoire de France vue d’ailleurs »,(page 535)
  3. « Les raisins verts » : Benjamin Stora historien ou mémorialiste, sur la petite musique biblique des « raisins verts » de la « matrice » algérienne,
  4. « Les mémoires dangereuses » ou les mémoires « littéraires », « dangereuses » dans un dialogue entre Benjamin Stora et Alexis Jenni, Prix Goncourt, au Club de Médiapart.

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            Je me propose de publier ultérieurement la lecture critique d’un livre de témoignage sur toute la période qui a précédé la guerre d’Algérie, celle qui lui a succédé, et « théoriquement » conclue par les Accords d’Evian, un témoignage historique, au jour le jour, qui vaut largement toutes les déconstructions ou constructions historiques ou mémorielles qui ont fleuri après les faits : il s’agit du livre « Carnets d’Algérie » (1965), signé par Robert Buron, ancien ministre, chrétien de gauche, témoin et acteur incomparable de la période en question.

« Le 19 mars 1962 » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

A propos des « raisins verts » de la Bible

1962 : « Accords d’Evian » et guerre d’Algérie

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Premier épisode, l’histoire vue du « dedans »

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

Préambule

            Pour avoir été un des modestes acteurs de la guerre d’Algérie en qualité d’officier SAS du contingent,  dans la vallée de la Soummam, au cours des années 1959-1960, y avoir servi la France et l’Algérie, sur décision d’un gouvernement socialiste incapable de dénouer le conflit par des réformes radicales, j’ai approuvé la venue du Général de Gaulle au pouvoir et sa politique algérienne jusqu’aux accords d’Evian, parce qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’en finir avec un conflit de plus en plus ingérable.

            J’ai souligné, jusqu’aux accords d’Evian, parce qu’à partir de cette date, mon désaccord fut total avec la façon dont ces accords furent appliqués.

        J’ai écrit ailleurs que j’avais été dire ce désaccord à un camarade de promotion affecté au Cabinet du Général, notamment au sujet des massacres de harkis que nous laissions faire.

         Depuis cette date, sauf à titre exceptionnel, je n’ai pas porté d’attention particulière à telle ou telle histoire racontée par des historiens, ou à la multitude de témoignages d’anciens d’Algérie qui ont tissé ou tissent encore une sorte de mémoire de cette guerre, sans que l’on sache toujours faire le tri entre le vrai et le fictif.

       J’éprouve tout autant, à tort ou à raison,  la plus grande méfiance à l’égard des historiens professionnels marqués directement ou indirectement par leurs lieux historiques de naissance, qu’ils le veuillent ou non, surtout lorsqu’ils excipent de leur métier d’historien, l’authenticité qu’ils revendiquent sur les discours de mémoire qu’ils tiennent dans les médias.

       Tel est entre autres le cas de Benjamin Stora qui illustre tout à fait cette proximité. Je l’ai déjà critiqué pour ses prises de position  répétées dans le domaine sensible des mémoires que l’on peut si facilement manipuler, sans chercher à savoir si elles existent bien, c’est-à-dire en les mesurant, ce que l’on sait faire de nos jours.

         C’est la raison pour laquelle les lecteurs pourront trouver à la suite de mon commentaire du livre de Guy Pervillé, qui ne fait pas partie, à ma connaissance, des historiens ou intellectuels issus de la matrice algérienne décrite par l’historien Vermeren, un additif « concurrent » consacré à l’analyse rapide des Accords d’Evian proposée par le livre « L’histoire de France vue d’ailleurs » de Jean-Noël Jeanneney et de Jeanne Guérout dans le « 18 mars 1962 Les accords d’Evian » de Belkacem Recham (page 535 à 547).

        Pourquoi ne pas rappeler à cette occasion que le père de l’historien Jeanneney fut un des acteurs clés de la mise en route des fameux accords d’Evian ? N’aurait-il pas des choses à nous dire plus de soixante ans après ?

       C’est pour les mêmes raisons que les lecteurs pourront trouver également plus loin, une réflexion sur la question de savoir si le positionnement politique ou idéologique de Benjamin Stora, tel que je l’analyse, ne soulève pas celle de la scientificité supposée de ce type de discours, quels que puissent être par ailleurs ses qualités supposées d’historien, dont je ne suis pas juge.

      La quatrième contribution que je propose à la lecture est relative au positionnement littéraire, idéologique, ou politique, au choix, que soulève le contenu de deux livres récents qui ont reçu le prix Goncourt, Alexis Jenni pour « L’art français de la guerre »  et Jérôme Ferrari pour « Le sermon sur la chute de Rome ».

      Ces deux exemples sont intéressants à cet égard, car ils soulèvent la question des comparaisons qu’il  devrait être possible d’effectuer avec d’autres œuvres brillantes, également couronnées dans le passé, par un prix Goncourt

        Cette contribution fait en effet écho au dialogue qu’ont entretenu Messieurs Stora et Jenni sur le thème « Les mémoires dangereuses » dans le cadre du Club de Médiapart, à la date du 25 février 2016.

       Je noterai simplement pour l’instant, que d’autres auteurs, titulaires du même prix, avaient une réelle expérience des guerres qu’ils racontaient, sans imaginer rétroactivement ce qu’était une guerre concrète, ou des situations coloniales concrètes, c’est-à-dire vécues, comme c’est le cas dans les deux œuvres citées.

            Jean Pierre Renaud