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Propagande postcoloniale contre propagande coloniale
II – « Images et Messages » : synthèse de Mme Anne Hugon (page 51 à 61)
Compte tenu de l’objet de ce colloque, cette synthèse est évidement la plus importante, étant donné qu’il s’agit de la détermination de la signification des images coloniales, du message qu’elles portaient, pour autant naturellement qu’elles aient fait l’objet d’un dénombrement rigoureux, contexte historique et chronologique par contexte historique et chronologique.
L’historienne rappelle les différentes thématiques abordées, militaire, mise en valeur, civilisation, ethnographie et discours racial, puis aborde le sujet important :
« Les discours de la méthode (p,55)
Plusieurs intervenants ont rappelé, même sans insister outre-mesure, le fait que l’iconographie coloniale ne représentait qu’une quantité modique, voire infime, de la production iconographique globale dans la France du XXème siècle. Daniel Rivet remarquait en introduction que les « grands hommes » de la colonisation passionnaient visiblement moins le grand public que les « grands hommes » tout court ! Quant à Laurent Gervereau, il signalait en conclusion que les affiches politiques sur la colonisation ne constituaient qu’un pourcentage minime du corpus global. Pour être iconoclastes, dans la mesure où elles amènent à nuancer l’idée d’une propagande massive et tous azimuts sur l’Afrique coloniale, ces affirmations ne doivent pas surprendre. En effet, elles rappellent que la recherche sur un point précis produit souvent un phénomène de loupe, à l’issue duquel on peut être amené à exagérer l’importance du fait étudié. Sans sous-entendre un instant que le sujet perdrait son intérêt à cause de cette réserve préliminaire, ces deux intervenants (rejoints d’ailleurs par Jean Barthélemi Debost dans son intervention sur la publicité) estimaient néanmoins nécessaire de l’évoquer.
Par ailleurs, de nombreux conférenciers se sont attachés aux questions de chronologie…
… Par-delà ces réflexions sur la chronologie, les communications des divers intervenants soulevaient – même indirectement – le problème des rapports entre le texte et l’image. Dans la plupart des cas, les conférenciers ont projeté des diapositives accompagnées de texte, pouvant prendre des formes variées ; brève légende éclairant une photo, titre d’ouvrage, slogan politique (Fig28), ou texte construit comme dans celui de la bande dessinée (Fig.31). Or le texte revêt une importance capitale dans l’interprétation de l’image, car il renforce ou oriente le sens attribué à l’illustration…
Cette question du sens accordé à une image dépasse de beaucoup les seuls rapports entre texte et illustration. D’un point de vue plus général, l’ensemble des intervenants a rappelé combien délicat est le décryptage iconographique.
Ils déplorent l’absence d’une méthode éprouvée qui, comme pour le commentaire de texte, permette non seulement de décrire l’image mais encore de l’analyser. D’autant que si l’on affirme volontiers qu’« aucune image n’est innocente », force est de reconnaître que certaines images donnent moins à voir (et à réfléchir) que d’autres. Plusieurs intervenants ont en effet opposé des illustrations soigneusement composées à des clichés pris « sur le vif », où le souci documentaire prime apparemment sur l’intention propagandiste. C’est le cas de Daniel Rivet, qui a projeté deux diapositives…
En définitive, on peut s’interroger sur l’utilisation du terme de propagande : d’ailleurs, de nombreux intervenants préfèrent parler de « messages », conformément au titre proposé pour cette partie. La notion de propagande renvoie en effet à une volonté délibérée d’influencer l’opinion publique. Si pour certains domaines, comme l’affiche politique ou les publications sur l’Empire cette volonté de convaincre est indéniable, il n’est pas toujours possible de déceler un tel souci de persuasion…
Entre message et propagande, se profile la notion d’intentionnalité, mais elle est délicate à prouver. C’est le travail de l’historien. » (p,60) : j’ajouterais volontiers, et du ou de la « sémiologue », car ce colloque a complètement fait l’impasse sur cette discipline.
Entre 1993 et 2003, il semble que ces questions de méthode aient été passées sous silence par le collectif de chercheurs animé par l’historien Blanchard.
Je me suis contenté de souligner les mots ou phrases clés importants de la synthèse Hugon, des mots clés qui pointaient l’ensemble des questions de méthode qu’il convenait d’aborder en tentant de leur apporter une réponse, ce qui n’a pas été fait.
III – « Arts et Séductions » : synthèse par Mme Barbara Boëhm (p,85, à 93)
Cet exercice de synthèse est d’autant plus difficile à faire que dans le domaine des arts et des séductions, chacun sait que toutes les interprétations sont possibles, et c’est entre autres une des leçons de l’exercice.
« Nous allons promener notre regard sur une multitude d’images qui ont été produites en Métropole depuis plus d’un siècle, diffusées par des supports aussi variés que complémentaires que sont les arts plastiques (le dessin, la peinture, l’aquarelle et les sculptures), la carte postale, l’affiche ou l’encart publicitaire, le cinéma (documentaires et fictions), véhiculant des « images de séduction » sur l’Afrique et les Africains….
En quoi cet imaginaire a-t-il pu contribuer à influencer le regard des Français sur l’Afrique et les Africains ? Ces productions artistiques sont-elles de la « propagande », ont-elles contribué à soutenir l’entreprise de propagande coloniale ou sont-elles dissociables du contexte colonial ? Ces interrogations nous permettront de dégager les différents processus et systèmes de représentation et leurs influences dans le cadre de l’imaginaire colonial.
Témoins de la colonisation ou supports de propagande ?(p,86)
La carte postale fut certainement le document le plus diffusé, les plus manipulé par les coloniaux à destination de la Métropole, principalement avant la Première Guerre mondiale…
Philippe David précise, dans le cadre de son intervention sur la carte postale : « Elle est un objet de communication facile, pratique, à prix réduit. Compte tenu de la rapidité et de la fiabilité de la Poste, la carte postale fut extrêmement populaire et massivement utilisée… »
« Pour clore son propos, Philippe David lance un « plaidoyer pour une analyse objective de la carte postale » et souligne que les productions coloniales grivoises sont extrêmement minoritaires dans le corpus global. Il récuse toute analyse, toute thèse « simpliste » qui n’intégrerait pas le rapport dans l’ensemble de la production et une production qu’il juge « pornographique ».
Indiquons qu’elle concerna avant tout les cercles familiaux de Français ou de Françaises partis aux colonies, et que son heure de gloire, chronologiquement parlant, fut plutôt brève.
De l’ordre du fantasme (p,87)
« Gilles Boëtsch (anthropologue), quant à lui, part d’un corpus de quatre cents cartes postales extrêmement spécifiques, présentant des « Mauresques aux seins nus ». Il analyse le rapport des Français à la colonisation à travers ces images et comment nous pouvons, aujourd’hui, sans porter de jugement en interroger le sens…
La thèse soutenue par Gilles Boëtsch suscita de nombreuses réactions. Il a explicité alors qu’il ne s‘agissait pas de dire si ces cartes postales représentaient la réalité ou non, mais de voir que l’on avait constitué une ethnie de plein pied, créé une fiction. La question n’est pas de savoir en quoi ces représentations ont servi, comment elles fonctionnent, et insister sur les rapports que nous pouvons y lire…
Jean-Bartélemi Debost (docteur en histoire) soulignait :
« Je pense donc que le travail d’analyse sur cette fiction, le décodage des messages, ne peuvent se faire que si nous maîtrisons parfaitement l’histoire des systèmes de représentation, la sémantique, l’icologie. (p,88)
Un anthropologue inventeur d’une nouvelle ethnie, celle des femmes aux seins nus ?
L’avis différent d’un historien de la photographie :
« Lors du débat, Guy Mandry, historien de la photographie, s’est inscrit en faux contre la thèse de Gilles Boëtsch : Il faut savoir que la femme aux seins nus dans la carte postale est un genre convenu, extrêmement répandu, et pas seulement chez les peuples colonisés… Faire cette sélection, c’est modifier la représentation que les photographes ont fait du monde colonial. Cette forme d’image – si elle est critiquable, je ne le nie pas – est aussi une forme d’orientalisme populaire ; si nous le condamnons, il faut aussi condamner l’orientalisme de Delacroix ou celui de Matisse. Or, ici, je n’ai entendu personne le faire. Enfin, je pense que s’il y a fantasme, et il est manifeste qu’il y a fantasme, cela veut dire qu’il y a désir. Et dans désir, il y aussi désir d’adhésion. » (Note 6, p,87)
De la part de qui ?
« C’est ailleurs qu’il faut chercher un vecteur d’images de fiction de plus grande diffusion concernant l’Afrique. Le cinéma français de fiction a été incontestablement l’un de ceux-ci tout au long de la période considérée. » (p,88)
Il s’agit d’une appréciation un peu rapide qui ne tient pas assez compte de la chronologie et des réalités cinématographiques qui n’étaient pas obligatoirement d’origine française et qui se cantonnaient au Maghreb.
Jean-Barhélemi Debost : « Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient censées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent pas nos référents, ni ceux de nos parents. » (p,91)
Le lecteur se rappellera que le même historien était beaucoup plus prudent dans les pages qui précèdent.
Conclusion
Les participants à ce Colloque ont soulevé beaucoup des questions de méthode que soulevait l’examen des images coloniales et messages présentés, leur dénombrement, leur classement chronologique ou thématique, le sens de ces messages, si message il y avait, ce qui n’a pas empêché une partie des mêmes participants de s’enrôler sous la bannière de l’idéologie, en détournant purement et simplement le sens affiché ou supposé de ces travaux.
Dix années plus tard, le collectif Blanchard s’engouffrait dans cette voie du détournement, avec l’appui de médias acquis à un anticolonialisme supposé, à la repentance, à l’autoflagellation nationale, sur des fondements pseudo-historiques largement fictifs.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés
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La semaine prochaine, publication de la lecture critique de l’ouvrage « Images et Colonies » (1993)