Premier semestre 2018: mon projet de publication,

Je publierai au cours des prochains mois, des extraits du livre de Robert Buron « Carnets politiques de la guerre d’Algérie »  par un signataire des accords d’Evian (Plon 1965), accompagnés de quelques commentaires pour la période de mon service militaire en Algérie, dans la vallée de la Soummam, dans les années 1959-1960.

            En conclusion, je renverrai à la lecture du roman d’Alice Zeniter « L’art de perdre » et de sa conclusion.

            Au cours des mois suivants, je publierai une réflexion sur le discours idéologique du collectif de chercheurs Blanchard and Co, avec pour intitulé  « Une Subversion postcoloniale ordinaire » le « modèle de propagande » Blanchard and Co.

            Les lecteurs pourront consulter sur mon blog (Subversion et Pouvoir, à compter du 17 septembre 2017) le sens de cette expression lancée par Noam Chomsky, en 1988, dans son livre « La Fabrique de l’Opinion publique ».

         Ils pourront vérifier que le modèle de propagande Blanchard and Co s’inscrit parfaitement dans cette définition, en concurrence avec les modèles de propagande des Raisins Verts de Benjamin Stora (Algérie, plus Algérie, et toujours Algérie !), ou celui de Médiapart, avec son arborescence idéologique, et sa nouvelle trouvaille, faute de prolétaire, le musulman.

        Le business du modèle de propagande Blanchard and Co a la particularité de pratiquer un mélange des genres efficace entre secteur associatif, public, et privé, l’agence de Com’ BDM.

       A mes yeux, et compte tenu d’une analyse approfondie de ces discours, notre pays doit faire face à une véritable entreprise d’intoxication historique et politique dont les bases scientifiques sont on ne peut plus fragiles, pour ne pas dire biaisées, tant sur le plan du dénombrement des vecteurs de culture, que de leurs effets sur l’opinion publique et de leur interprétation. (Voir le livre « Supercherie coloniale », bientôt en édition numérique.)

     Entre 1880 et 1962, la France n’a pas eu de « culture coloniale », contrairement à leurs dires !

        Il s’agit donc d’une forme de subversion nationale fondée avant tout sur une complète inversion des faits  historiques, faire croire que la France a été coloniale, qu’elle a été imprégnée par des flux d’images et de propagande jamais évalués : grâce à un inconscient collectif colonial non identifié et non identifiable, ni plus qu’une mémoire collective coloniale chantée par le mémorialiste Stora. Les Français et les Françaises d’aujourd’hui porteraient  encore dans leur mémoire les stigmates de cette maladie, le collectif préfère le mot de stéréotypes.

       En quelque sorte, le nouveau roman historique postcolonial, sans qu’il soit possible de distinguer entre le « vrai » et le « faux, comme chez Jean d’Aillon!

       En 1985, Umberto Eco avait publié un livre intitulé « La Guerre du Faux », et nous avons là un exemple de ce type de guerre décrit dans le chapitre IV « Chronique du village global » (page 125) – « Pour une guérilla sémiologique » (pages 127 à 136).

       A  les lire, je me suis souvent posé la question de savoir 1) s’ils avaient beaucoup fréquenté les récits de l’histoire coloniale, celle du terrain, 2) s’ils avaient beaucoup fréquenté les cours de statistique, celle de l’histoire quantitative.

     A mes yeux, il s’agit tout simplement d’une sorte de falsification de l’histoire.

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En amuse-bouche critique de l’analyse du «  modèle de propagande Blanchard and Co » 

        Un premier éclairage tiré du début d’un article de Laurence De Cock intitulé : «  L’Achac, de la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale. » dans la revue Cultures&Conflits, numéro 107, sous le titre « La production officielle des différences culturelles » (pages 105 à 121), chez L’Harmattan.

       Dans ce type de lecture, pourquoi ne pas s’attacher à comprendre le sens des mots utilisés, car ils en disent déjà long sur le discours du modèle de propagande qui sera décrit et critiqué ?

      « passé colonial » ou passé supposé et construit d’une France métropolitaine ?

       « stratégies entrepreneuriales », l’expression annonce clairement la couleur, et la présentation de l’auteure illustre bien les caractéristiques de la méthode historique mise en œuvre par ce collectif de chercheurs.

       Sommes-nous encore dans l’histoire, ou même dans la mémoire, ou dans le business mémoriel ?

      « L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination de diagnostic et dans la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités… 

     La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche… (p,105)

       Les mots soulignés par mes soins sont à la source des critiques de base qu’appelle le discours de ce collectif : 1) le diagnostic n’a pas été effectué, 2) et n’a de toute façon pas porté sur l’histoire coloniale, mais sur des représentations métropolitaines des mondes coloniaux, dont le dénombrement et l’interprétation ne sont pas fiables.

      Plus loin, l’auteure écrit :

    « En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée, avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché…

     Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne  de façon ostensible la question de la rentabilité. » (p,106)

        « marché », « rentabilité » ? Sommes-nous encore dans le domaine de l’histoire ou même de la mémoire, celui des usages académiques et savants de ce type de discipline, ou dirais-je dans celui de la marchandisation, c’est-à-dire du fric.

       L’auteure propose ensuite une analyse fort intéressante dont les paragraphes sont les suivants : « A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p, 106 à 108) – « Multipositionnalité de l’Achac » (p,209 à 111) – « Les partenariats institutionnels » (p,11 à 113) – « L’usage de la culture coloniale et du continuum comme instrument de catégorisation culturelle » « p,113 à 115) – « Le marché de l’histoire scolaire » (p,115 à 120) – « Essentialisation et déshistoricisation de la question immigrée » (p, 120,121)

     Nous reviendrons évidemment sur cette analyse éclairante de la problématique que soulèvent les « productions » du modèle de propagande que nous décrirons, et le fonctionnement du moteur entrepreneurial du modèle de propagande, incarné par Pascal Blanchard, dans cette entreprise de falsification historique labellisée par certaines institutions publiques, une entreprise de manipulation idéologique.

      Je recommande vivement cette analyse des origines et du fonctionnement de ce modèle entrepreneurial de propagande postcoloniale.

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Et pourquoi pas une petite mise en bouche historique signée JPR, avec quelques perles postcoloniales de choix ?

        « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (Culture Impériale, page 82, Mme Sandrine Lemaire) : sauf que ce riz indochinois allait dans nos poulaillers !

      «… la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps » (Fracture Coloniale, page 200, Mme Nacira Guénif-Souilamas) : qu’est-ce à dire ?

        « La Mauresque aux seins nus : l’Imaginaire érotique colonial dans la carte postale » (Actes du Colloque, page 93, M.Gilles Boëtsch : « la thèse soutenue par Gilles Boëtsch suscita de nombreuses réactions » (Arts et Séductions, page 87), avec la critique pertinente de M. Guy Mandery dans la note 6.

        Et enfin, pour dessert, le sondage de M.Nicolas Bancel  sur les anciens Colos dont je fis partie : son ambition était de déterminer une corrélation entre la participation à des mouvements de jeunesse, « avant ou au cours du cursus à l’ENFOM » et leurs choix de carrière.

       L’historien a adressé un questionnaire à 297 anciens Colos, reçu 55 réponses, dont 23 témoignaient d’avoir effectivement participé à de tels mouvements, soit 23 sur 297, sans déjà tenir compte de la base de données réelle, beaucoup plus importante.

      Ce qui n’a pas empêché pas l’historien d’écrire : « Le très fort taux d’anciens membres de mouvement de jeunesse est remarquable… Par ailleurs, l’idée d’une fonction de préparation de la pédagogie active aux aventures Outre- Mer… est massivement confirmée par ces réponses. » (Culture Coloniale, pages 188,189, et Culture Impériale, page 103) : 23 sur 297, soit 7,7 %= « un très fort taux », = massivement confirmée » : est-ce bien sérieux ?

             Jen Pierre Renaud

Le ça colonial ! L’inconscient collectif ! Supercherie coloniale, chapitre 9

Comme annoncé dans ma chronique sur « Le fer à repasser colonial ou postcolonial », le lecteur trouvera ci-après le texte intégral du chapitre 9 que j’avais publié dans le livre « Supercherie coloniale »

Chapitre 9

Le ça colonial ! L’inconscient collectif !

Freud au cœur de l’histoire coloniale

Avec l’Algérie, l’Alpha et l’Omega de la même histoire coloniale !

            Il est tout à fait étrange de voir des historiens, normalement adeptes du doute, de la méthode scientifique de reconnaissance des faits, des dates, des preuves, s’adonner, ou s’abandonner aux délices, ou aux délires, de l’inconscient, le ça du célèbre docteur Freud.

            Car les chiens de l’inconscient ont été lâchés dans l’histoire coloniale !

            Nous sommes arrivés presque au terme de l’analyse et de la contestation du discours de ce collectif de chercheurs et nous espérons que le lecteur aura eu le courage d’en suivre les péripéties au fil des chapitres qui avaient l’ambition d’examiner, un par un, les grands supports d’une culture coloniale posée comme postulat, et d’apprécier le bien fondé de la démonstration historique qui leur était proposée. Au risque d’avoir très souvent éprouvé une grande perplexité devant le flot des mots, des approximations, et des sentences historiques

            Notre conclusion est que cette démonstration n’a pas été faite, et reste éventuellement à faire. Ce n’est pas en invoquant à tout bout de champ le refoulement, les stéréotypes, l’imaginaire et l’inconscient collectif, les imprégnations, les schèmes, les fantasmes, les traces et les réminiscences, et bien sûr l’impensé, que leur discours trouve un véritable fondement scientifique.

            L’inconscient collectif est incontestablement un concept à la mode, avec d’autant plus de succès que personne ne sait exactement ce que c’est !

            Il est vrai qu’au Colloque de janvier 1993, sur le thème Images et Colonies, l’historienne Coquery-Vidrovitch avait fait une communication intitulée Apogée et crise coloniales et fait remarquer que pour des raisons personnelles, elle n’avait pas eu envie de venir à ce colloque, indiquant : « Pour comprendre un réflexe de ce type, il faut faire la psychanalyse de l’historien » (C/30).

Confidence d’une historienne confirmée confrontée par son passé à ce type de question.

            Nous proposons donc au lecteur de faire un voyage initiatique dans le labyrinthe du nouveau Minotaure colonialen quête d’un des dieux de l’Olympe ou de Delphes, d’un papa Lemba du culte Vaudou, ou encore d’une nouvelle pierre philosophale de l’histoire, qui va transformer l’inconscient collectif en histoire. Et pour ce faire, et pour doper sa quête de l’inconscient colonial, qu’il n’hésite donc pas à faire appel aux racines hallucinatoires de l’iboga gabonaise.

            Ou encore à s’immerger dans le grand secret des familles coloniales, théorie psychologique et psychanalytique à la mode, puisqu’au même colloque, un historien distingué n’a pas hésité à appeler la génétique à l’aide de sa démonstration.

            On voit déjà que certains historiens, chevronnés et réputés, avaient ouvert une belle boite de Pandore au profit de jeunes chercheurs, sans doute émoustillés par la nouveauté, comme par du champagne, et à l’affût de trésors éditoriaux.

            Le discours du collectif de chercheurs sur le ça colonial.

            L’ensemble des livres rédigés par le collectif de chercheurs fait constamment appel à l’inconscient.

            Dans le livre Culture coloniale, et dès l’introduction, les auteurs écrivent : « comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir, sans même l’anticiper. Non pas coloniaux au sens d’acteurs de la colonisation ou de fervents soutiens du colonialisme, mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel. »(CC/8)

            « L’école républicaine joue ainsi un rôle majeur en ancrant profondément dans les consciences la certitude de la supériorité du système colonial français… le bain colonial… »(CC/13)

            « Une culture au sens d’une imprégnation populaire et large. …une culture invisible. » (CC/15,16)

            « La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française, puis par héritage, à la république. « (CC/25,26)

            Après la fameuse et grande exposition de 1931 :

             « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale et de cette puissance retrouvée grâce à l’empire » (CC/36)

            Le lecteur aura pu se rendre compte, notamment dans le chapitre consacré aux expositions coloniales, de la réalité de cette imprégnation, partie rapidement en fumée.

            « Les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française en ce sens qu’elles renforcent, légitiment et alimentent le régime dans sa dynamique interne. »(CC/39)

            « Une culture coloniale encore rémanente plus de quarante après les indépendances dans la France du XXIème siècle. » (CC/91)

            « Le discours fut véhiculé par des médias touchant des millions d’individus, permettant de répandre et d’enraciner le mythe d’une colonisation « bienfaisante et bienfaitrice » et surtout légitime, dans l’inconscient collectif. » (CC/143)

            « Dans le cadre d’une société française totalement imbibée de schèmes coloniaux. »(CC/160)

            Le livre suivant, Culture impériale (1931-1961), développe le même type d’explication.

            « Pour la grande majorité des Français de cette fin des années 1950, imbibés consciemment ou pas de culture impériale, le domaine colonial est effectivement une utopie parfaite. » (CI/26)

            Alors que nous avons vu qu’il en était très différemment dans le résultat des sondages d’opinion publique.

            « Ces éléments marquent sans aucun doute l’importance qu’a prise peu à peu l’Empire dans les consciences tout autant que dans l’inconscient français. » (CI/54)

            Sa force réelle (la propagande) réside alors dans la constitution véritable d’une culture impériale sans que les français en soient forcément pleinement conscients. C’est tout le succès de la propagande coloniale au cours de ces années qui parvient à banaliser le thème colonial. C’est bien le concept de colonisation « modérée » qui fut ancré par ce biais dans les esprits. (CI/57)

            Et pour couronner le tout des citations, et à propos des effets du scoutisme sur l’inconscient colonial des Français :

            « L’étude de ces deux médiations  singulières (qu’ont été l’école et l’action extrascolaire) permet, d’une part, de rendre compte de la complexité et de la profondeur de l’éducation à la chose coloniale à laquelle a été soumise la jeunesse durant l’entre-deux guerres ; d’autre part, d’approfondir la compréhension du jeu subtil qui s’instaure entre l’ordre de la transmission raisonnée des connaissances (dans l’institution scolaire), et celui de l’incorporation inconsciente des valeurs –(au sein des mouvements de jeunesse issus du scoutisme). »(CI/93,94)

            Cher lecteur, pour rien au monde, je n’aurais voulu vous priver de cette belle citation ! Car elle valait le détour littéraire ! Elle mériterait de figurer dans un livre des records de bêtise intellectuelle !

            Le livre La République coloniale s’inscrit dans la même démarche de pensée :

« Il existerait un impensé dans la République (RC/III). Notre rapport à l’Autre serait travaillé par le colonial (RC/21)

            « Nous avons donc choisi de revenir à l’héritage, de comprendre comment se construit la généalogie moderne de la république, et comment cette généalogie lie en profondeur lie l’héritage républicain à la dimension coloniale. » (RC/40)

            « Ces éléments nous conduisent à établir une généalogie républicaine de l’intrication national/colonial. »(RC/103)

            « La France s’est imprégnée en profondeur de l’idée coloniale (RC/108)…Lorsque l’on veut comprendre la profondeur de l’imprégnation sociale du colonial en France. » (RC/117)

            « Long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés durant la période coloniale. »(RC/144)

            « Car la France continue de se voir à travers l’impensé colonial. » (RC/150)

            « L’omniprésence souterraine de ce passé. »(RC/160)

            Alors un bon conseil : chers historiens ! Il vous faut aller consulter les psy !

            Le livre suivant, La Fracture coloniale, ne fait pas non plus dans le détail à ce sujet.

            Dans l’introduction, signée Bancel, Blanchard, Lemaire, les trois animateurs du collectif de chercheurs que nous incriminons, ils écrivent :

            « Une littérature récente a d’ailleurs montré que la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savant (ce que l’on nommera ici une culture coloniale), dans les discours et la culture politique, le droit ou les formes de gouvernance. Il est par ailleurs légitime d’excéder les chronologies politiques qui rythment notre appréhension de la période coloniale : il serait trop simple de croire que les effets de la colonisation ont pu être abolis en 1962, après la fin de la guerre d’Algérie marquant celle de l’Empire français. Dans tous les domaines que l’on vient d’évoquer – représentations de l’Autre, culture politique, relations intercommunautaires, relations internationales, politique d’immigration, imaginaire …- ces effets se font toujours sentir aujourd’hui. » (FC/13,14)

            Le problème est que les trois auteurs renvoient dans la note 15, évidemment à leurs livres, c’est-à-dire ceux qui ont fait l’objet de notre analyse critique.

            Comment appeler en bonne logique ce type de raisonnement, sinon un cercle vicieux. ?

            Plus loin, les historiens Bancel et Blanchard écrivent :

            « Incontestablement, la République a contribué à forger politiquement les archétypes relatifs aux populations coloniales, en légitimant sur la longue durée leur subordination – le Code de l’indigénat étant la plus évidente expression de cette domination légalisée sous cette forme à partir de 1881 –selon un principe originellement racial, jusqu’à inventer culturellement l’ « homme/non homme » et le « citoyen/non citoyen » qu’est l’indigène. (FC/41)

            Est-ce que ces deux historiens croient et peuvent apporter la preuve historique que les Français, mis à part quelques spécialistes et une minorité de Français expatriés, aient jamais connu l’existence  du fameux code ?

            Mais le pire est encore à venir, lorsqu’on lit que « la mesure des discriminations et des vexations qu’ils subissent se trouve dans leur corps, que les réminiscences restent palpables, et que le déni du droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. » (FC/200)

            Une histoire donc en mal d’exorcisme ou de recette fétichiste capable de faire sortir du corps le mauvais esprit !

            Le même auteur, sociologue, n’hésite pas à écrire que les femmes indigènes ont eu à subir une double oppression qui ne fut jamais dénoncée, et que l’érotisation et la prédation sexuelle accompagnèrent toute l’histoire coloniale, en ce qui concerne les deux sexes pour faire bonne mesure. (FC/202) Est-ce que cet auteur a jamais fréquenté des récits d’explorateurs, pas uniquement colonialistes, ou des analyses des sociétés et des cultures africaines rencontrées ?

            Je renverrais volontiers l’auteur à la réflexion du début, celle de l’historienne Coquery-Vidrovitch quant à l’opportunité, dans le cas présent, d’une psychanalyse, et à une invitation à mieux connaître la condition de la femme dans certaines cultures maghrébines ou africaines.

            Mais le pire est encore à venir dans un propos d’un jeune de banlieue, rapporté par un autre sociologue :

« Quand j’étais dans les couilles de mon père, j’entendais déjà ces mots. « (FC/215) C’est-à-dire les mots de République, citoyen ou intégration.

            Comme quoi, la généalogie coloniale fonctionne effectivement !

Les sources historiques du ça colonial

            Et pour cela, il nous faut revenir au fameux Colloque de janvier 1993 dont le thème était Images et ColoniesCe colloque savant a ouvert la boite de Pandore du ça colonial, ainsi que celle des envolées éditoriales que nous connaissons.

            Le ton est donné dès l’introduction aux Actes de ce colloque (Blanchard et Chatelier) :

            « Ce qui frappe, après un période de refoulement du passé colonial, c’est le retour ces dernières années à l’exotisme. » (C/11)

            « Mais surtout, il faut maintenant exploiter les images, non comme simple illustration de la période coloniale, mais bien comme une représentation. Car l’image est, comme il a été montré au cours du colloque, un élément important de la diffusion de l’idéologie coloniale en France au XXème siècle. Elle fut l’allié puissant du colonialisme…Aujourd’hui encore elle est présente, comme par exemple dans le numéro spécial de mars 1993 « Faut-il avoir peur des Noirs ? » de la revue Max…

            Ces représentations, véhiculées par une multitude de supports, se sont immiscées tant dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Leurs influences nous semblent prépondérantes, puisque la grande majorité des Français n’a connu le fait colonial et le colonisé que par le prisme déformant de ces images. » (C/12)

            « Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (C/14)

            « Il semble que ces images soient devenues des « réalités » pour une majorité de Français, qui ne se doutent pas de leur véracité. » (C/15)

            La synthèse de la partie Mythes, Réalités et Discours, reprend brièvement les évocations et invocations d’un inconscient auxquelles se sont livrés quelques uns des hommes et femmes de science participant à ce colloque.

            Tout d’abord celle déjà citée de l’historienne Coquery-Vidrovitch. Dans sa communication Apogée et crise coloniale, elle déclare :

            « C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas d’images. Comment s’est constituée cette collection d’images, souvent très belles, qui n’en sont pas moins des stéréotypes qui ont marqué de leurs préjugés l’imaginaire français ? » (C/27)

            A propos de l’exposition de 1931 :

            « Il s’agit de la naissance volontaire et inconsciente mais définitive de stéréotypes coloniaux qui sont construits et systématisés. » (C/29)

            Et d’évoquer le rôle du Petit Lavisse et d’écrire : « Cette iconographie a eu la vie longue, et combien d’adultes d’aujourd’hui la portent-ils encore en eux. » (C/30)

            Est-ce qu’à part son cas personnel, l’historienne a apporté la moindre preuve de ce propos ? Non ! Alors que cette historienne s’est illustrée, tout au long de sa carrière, par des travaux historiques très sérieux, en apportant une contribution importante à l’historiographie coloniale française.

            « Auraient-elles disparu d’ailleurs, les images n’en demeurent pas moins dans les esprits qu’elles ont contribué à façonner. » (C/31)

            « Les images vont nous apprendre énormément sur l’idéologie coloniale française, mais peut être plus encore sur l’image que nous portons, consciemment ou inconsciemment, en nous. »

            L’historienne Rey-Goldzeiger, (Aux origines de la guerre d’Algérie-2002 – Le Royaume Arabe- Politique algérienne de Napoléon III-1977) écrivait :

            « A partir de 1918 l’image du Maghrébin et du pays se modifie et va définitivement amener les stéréotypes maghrébins dans le conscient et plus grave, dans l’inconscient collectif. Pourquoi et comment ? » (C/37)

            Et dans le passage l’Impact de l’image, l’historienne de noter que :

             « L’étude en est beaucoup plus difficile et demande une recherche méthodologique nouvelle. Car la perception ne suffit pas pour faire entrer l’image dans le champ du conscient et de l’inconscient de ceux à qui elle est destinée. »

            Et de philosopher sur le déroulement du temps à propos de l’intrusion de plus en plus prégnante de l’image dans le domaine idéologique :

            « Les événements vont vite dans le temps court cher à Braudel, la conscience est plus lente et se situe dans le temps moyen ; quant à l’inconscient, il suit le temps long. Entre ces trois temps, il y a décalages. »(C/38)

            Les temps longs de l’histoire relèvent-ils du domaine de l’inconscient ? Est-ce qu’il ne faut pas manifester une certaine inconscience pour énoncer ce type de propositions ? S’agit-il d’histoire, de littérature, de psychologie, de psychanalyse, ou encore de philosophie ?

            Et de rattacher ses réflexions à la guerre d’Algérie, et à la difficulté que la France a rencontrée pour aboutir à une paix négociée en raison d’un décalage : « Question de décalage de temps ! »(C/38)

            Ou tout simplement en raison du décalage qui a toujours existé entre les ambitions de la France officielle, celle des pouvoirs établis, obnubilés de grandeur, toujours la grandeur, et toujours l’aveuglement, et celles du peuple français.

            Et plus loin : « Aussi l’image se fait vie et va alimenter jusqu’à l’inconscient qui s’appuie sur une symbolique de virilité, de chasse, et d’érotisme. »(C/39)

            « En quelques années, la conscience française, ainsi préparée est capable de percevoir l’image de la colonisation française, miracle qui a créé le Maghreb et le Maghrébin, d’intégrer à sa conscience la notion de supériorité de la civilisation française qui fait le bonheur des autres, de faire passer dans l’inconscient toute la puissance des mythes, qui bloque les actions rationnelles pour donner l’avantage à la passion. » (C/40)

            J’avoue que je n’avais jamais trouvé, jusque là, une explication du drame algérien par le rôle de l’inconscient colonial. Et d’expérience concrète de la guerre d’Algérie, j’ai souvent rencontré des soldats du contingent qui répugnaient, en toute conscience, à faire la guerre que la France officielle, celle des pouvoirs constitués légitimes, leur faisait faire, et qui n’était ni la leur, ni en définitive celle du peuple français. A l’expérience de leur épreuve, l’Algérie française n’était qu’un mythe, le contraire de celui que diffusait la propagande, mais malheureusement, il y vivait plus d’un million de Français.

            Continuons l’inventaire avec la communication de l’historien Meynier.

            Le titre de sa contribution a le mérite de la clarté en affichant : Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux-guerres

            L’historien établit un constat qui ne va pas dans le sens des analyses de notre collectif, comme nous l’avons déjà noté, mais il pose la question :

            « Compte tenu de ce constat et des images officielles propagées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan lorsque l’on évoque les colonies

            Imaginaire colonial et inconscient colonial

            Inconscient français et mythes coloniaux : salvation et sécurisation. » (C/45)

            L’auteur n’hésite pas à rapprocher le mythe de Jeanne d’Arc à celui de Lyautey, ce qui est plutôt très hardi.

            Et dans sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent les stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français et doit très peu au grand large. » (C/48)

            Alors cher lecteur, si on y trouve les concepts de stéréotypes, d’inconscient français et d’imaginaire, incursion scientifique plutôt surprenante de la part de l’historien, elle concerne beaucoup plus l’inconscient français, prioritairement hexagonal,  que l’inconscient colonial.

            Les conclusions de ce colloque étaient ambiguës, et ne pouvaient éviter de l’être, compte tenu de l’impasse faite sur les questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons dans les conclusions.

            Il faut avancer dans la maîtrise de la méthodologie de lecture de l’image, qui est à la fois représentation figurative et forme de discours. D’une manière générale, peu d’historiens ont écrit sur les méthodes d’analyse et d’interprétation de l’image. Comme l’a montré Jean Devisse, il reste énormément à faire : ouvrir le chantier de la méthode mais également celui de la constitution d’un corpus. » (C/148)

            On peut effectivement se poser la question de la validité scientifique du corpus, car nous avons vu que son élaboration souffrait d’une grave carence d’évaluation quantitative  et qualitative, mais aussi de la capacité de la discipline historique à interpréter une image historique, sans faire appel au sémiologue.

            Ce qui n’empêcha pas les auteurs de la conclusion d’écrire :

            « La réflexion entamée  par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier. « (C/148)

            Il faut donc tout à la fois, ouvrir le chantier de la méthode, mais aussi chercher à déconstruire l’imaginaire édifié pendant des décennies !

            Tout cela est-il bien sérieux ?

            Le collectif de chercheurs dont nous avons dénoncé le discours s’est engouffré dans les voies obscures de l’inconscient collectif encensé par des historiens confirmés et aussi dans celles d’une célébrité médiatique provisoire.

            Il est tout de même difficile de fonder une interprétation de notre histoire coloniale, pour le passé et pour le présent de la France, sur le fameux ça, avec en arrière-plan l’obsession permanente de l’Algérie.

            Comment laisser croire aux Français qu’ils sont imbibés de culture coloniale, alors qu’elle leur a été étrangère, même au temps béni des colonies ?

                        L’analyse critique

            Je me demande s’il ne faut pas parler de constat plutôt que d’analyse, à partir du moment où l’objet de la connaissance historique se dérobe, pour se réfugier dans un inconscient jamais défini, et sans doute indéfinissable.

            Des historiens s’intéressent donc à l’imaginaire, pourquoi pas ?

            L’inconscient collectif du docteur Jung ? Pourquoi pas ? Alors que le docteur Jung avait déjà bien du mal à définir ce nouveau concept, structures héritées du cerveau, mais plus en termes de capacité à penser, à réagir, qu’en termes de transmission elle-même d’images, de stéréotypes, mais je ne veux pas m’avancer plus loin sur ce terrain des spécialistes qui ne sont d’ailleurs pas d’accord entre eux.

            Lorsque les historiens invoquent l’inconscient collectif, les stéréotypes, les archétypes, il conviendrait qu’ils définissent ces termes, leur contenu, leur champ d’application, et qu’ils nous expliquent par quel processus de pensée et de raisonnement ils sont arrivés à cette conclusion, ce qui n’est pas le cas.

             Il conviendrait de l’explorer et le définir avec un minimum de prudence scientifique, et avec une méthode éprouvée, qui ne parait pas avoir été trouvée.

.

            Les travaux effectués par l’historien Ageron sur les sondages de l’opinion publique montrent incontestablement la voie à ce sujet, et il ne suffit pas, pour énoncer un discours convaincant sur l’imaginaire colonial des Français d’adosser une réflexion historique sur une psyché personnelle, ou un inconscient individuel.

            Il est possible de nos jours, les outils de la connaissance existent, d’identifier et de dépeindre l’imaginaire moderne des Français. Encore faut-il s’en donner les moyens, et dépasser le stade artisanal de l’étude de Toulouse ! On serait peut-être surpris par les résultats d’une étude scientifique sérieuse.

            Quant à l’imaginaire du passé, celui postérieur à la première guerre mondiale de 1914-1918, ou à la deuxième guerre mondiale, qui peut avancer des hypothèses sérieuses ?

            Je fais partie d’une génération qui aurait été marquée par le Petit Lavisse, par la propagande coloniale de Vichy, puis par celle que le collectif de ces chercheurs qualifie d’impériale. J’ai eu beau creuser dans ma mémoire, je n’y rien trouvé de tout cela, mais j’avoue que je n’ai jamais été confessé sur un divan.

             Ma mémoire a été marquée par l’exode sur les routes, puis l’occupation allemande, et toute ma famille originaire de l’est a entretenu un imaginaire anti-allemand, avec la succession des guerres,  celle de 1870, la première guerre mondiale de 1914-1918, avec nos blessés et nos morts, puis la deuxième guerre mondiale, et dans la foulée, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, la menace de l’empire soviétique, à quelques marches de notre province. L’insurrection malgache de 1947 et la guerre d’Indochine appartenaient à une autre planète.

            Un imaginaire colonial réduit donc à sa plus simple expression, qui aurait explosé avec la guerre d’Algérie ? Mais est-ce qu’il est possible de réduire l’imaginaire colonial à l’Algérie ?

            Comment l’historien va-t-il procéder pour démêler tous ces imaginaires dans une chronologie déterminée, soupeser l’un et l’autre, souvent confondus, ou oubliés, tout en se gardant de tout regard anachronique, le plus grand danger de ce type d’exercice ?

            L’historien fera mieux que le psychanalyste de l’inconscient collectif ?

            Et pour que le lecteur comprenne bien notre propos, parce que ces chercheurs abritent leurs concepts sous l’ombrelle de la psychanalyse, il n’est pas superflu de rappeler quelques notions de la théorie freudienne sur le rêve et le fonctionnement de l’inconscient.

            L’inconscient, cette zone du cerveau toujours obscure- mais gît-elle vraiment dans le cerveau ?- serait à la racine de tous les phénomènes psychiques, l’inconscient des profondeurs psychiques, insondables, c’est-à-dire le ça, puis le moi avec son monde extérieur, et enfin le surmoi social. Le ça n’est jamais très loin de la libido, de la sexualité, une des clés centrales de la théorie de Freud, avec son refoulement, cause de toutes sortes de traumatisme psychique.

            Comme nous avons eu l’occasion de le constater, à la lecture de certains travaux, sur les cartes postales ou les affiches,  on n’est jamais loin de cette fameuse libido.

            Le ça est inaccessible à la conscience, et il n’est possible de le voir qu’à travers le rêve ou de symptômes, le rêve étant la voie royale d’accès à l’inconscient.

            On peut donc imaginer la difficulté que peut rencontrer un historien pour explorer l’inconscient collectif du peuple français, alors que le psychanalyste est déjà obligé de ruser avec la psyché individuelle pour apercevoir des lueurs du ça individuel, à travers les rêves.   Existerait-il des rêves coloniaux, des actes manqués, susceptibles d’être auscultés et interprétés ? Que le collectif de nos chercheurs aurait omis de nous décrire ?

            Le ça est le plus souvent une zone obscure et on ne risque pas grand-chose à mettre les historiens au défi de nous décrypter nos rêves coloniaux, s’il en existe ? A quelle catégorie de rêves faudra-t-il les rattacher ? Celles du chapeau, symbole de l’homme, ou de la castration ? Celles de l’escalier, ou de Bismarck ? Ou enfin celle du rêve absurde ?

            Ou de celles, toutes nouvelles, issues de leur créativité fantasmatique, de la fatma mauresque dévoilée ou du cannibale blanc enfin démasqué ?

            Alors, et compte tenu de tous les aléas rencontrés par l’interprétation psychanalytique, déjà considérables pour l’analyse individuelle, comment est-il possible d’avancer des explications historiques relevant de l’impensé, de l’inconscient, du refoulement ?

            Non, ce n’est tout simplement pas sérieux !

            Nous avons choisi pour titre La supercherie coloniale, mais Le rêve colonial aurait été aussi un bon titre. Il aurait fait l’affaire. Pourquoi ne pas proposer à ce collectif de chercheurs de se livrer à des exercices individuels et collectifs d’interprétation psychanalytique de leurs rêves coloniaux ?

            En ce qui nous concerne, nous renonçons à cette ambition impossible, puisqu’il  conviendrait aussi d’explorer l’inconscient de nos parents et de nos grands parents, morts.

            S’agit-il du racisme actuel des Français, réel ou supposé, de la domination coloniale française passée, ou tout simplement de la fameuse libido ? L’importance accordée aux cartes postales des mauresques nues, au thème de l’érotisme colonial, pourrait le laisser croire.

             Il n’est qu’à consulter les quelques pages que l’Illusion Coloniale consacre aux femmes pour s’en convaincre (IL/128 et suivantes), en concentrant l’attention sur la nudité, les Mauresques, mais en ignorant tout de la nudité noire, fréquente dans beaucoup de sociétés africaines des 19ème et 20ème siècles, en même temps que de sa condition habillée, et beaucoup plus mélangée entre le nu et l’habillé à Madagascar et en Indochine. Dans ces deux pays, les situations  étaient géographiquement inversées, nudité sur le côtes et vêtement sur les plateaux dans la grande île, et nudité dans les hautes terres et vêtement dans les plaines en Indochine.

            Pour illustrer le propos, on n’hésite d’ailleurs pas à joindre, de façon tout à fait anachronique, une affiche d’un film américain daté de 1953 !

            Inconscient collectif des Français aux différentes époques coloniales ou inconscient collectif des Français des années 2000 ? Inconscient des peuples anciennement colonisés ou inconscient des descendants des mêmes peuples dans leur pays ou en métropole ?

            Ou plus simplement inconscient caché de ces chercheurs ?

            Tout cela est on ne peut plus embrouillé, et à cet égard la fameuse enquête de Toulouse entretient la plus grande confusion, car ses auteurs ont déclaré eux-mêmes que l’Algérie en était ressortie comme un de ses thèmes obsessionnels. Alors que la guerre d’Algérie se situe dans la période de décolonisation.

            Depuis le Colloque de janvier 1993, au cours duquel le ça colonial a fait une très étrange apparition, les chercheurs n’ont pas beaucoup progressé, sinon pas du tout, dans l’élucidation du ça colonial, ou du ça de l’Algérie, ou du ça de la France.

            Alors faudra-t-il recourir au ministère du prêtre exorciste pour faire sortir le diable colonial de notre corps, ou aux services de sorciers fétichistes pour extraire les mauvais esprits du colonialisme de notre corps et de notre tête ?

            Le ça comme fétiche ?

            Je conclurais volontiers ce chapitre en rappelant que l’historien Ki-Zerbo reprochait au grand historien colonial que fut Henri Brunschwig d’être un fétichiste de l’écriture, par opposition à la tradition orale. Cette nouvelle école de chercheurs a abandonné les rives de l’écriture ou de la tradition orale, pour nous proposer celles du fétichisme de l’inconscient, le ça colonial.

            Avec l’excuse de s’être fait ouvrir la porte de l’inconscient collectif colonial au Colloque de 1993 par l’entremise d’historiens reconnus pour le sérieux de leurs travaux.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Chapitre tiré de mon livre « Supercherie coloniale » (2008)

Le livre « Supercherie Coloniale » Chapitre 7 La Propagande Coloniale

Supercherie Coloniale

Comme annoncé, ci-après le texte du chapitre 7, intitulé « La Propagande coloniale », page 169 du livre  

Chapitre 7

La Propagande coloniale

            Nous touchons ici à un domaine sensible puisqu’il fait référence à une entreprise de propagande politique qui a eu beaucoup de succès dans les régimes totalitaires, qu’il s’agisse des dictatures communistes, fascistes ou nazies.

            Les ministres des colonies et leurs gouvernements  de gauche comme de droite, qui se sont succédé entre les deux guerres, n’ont en tout cas pas eu peur du mot, en tentant de faire de la propagande coloniale. Entre temps, le mot a pris un tout autre sens ! Et dans l’acception des années 30 et pour les agences des colonies, il s’agissait plus de publicité, de contribution à l’organisation d’expositions, que de propagande politique !

            Est-ce que cette propagande eut du succès, compte tenu des moyens mis en œuvre ? La question mérite d’être posée et de recevoir une réponse.

            Constatons en tout cas que les Français n’étaient naturellement pas convaincus de l’intérêt des colonies, puisqu’il était nécessaire de tenter de leur inculquer, par le moyen de la propagande, un virus colonial qu’ils n’avaient pas.

            Il est donc très important d’analyser avec beaucoup de rigueur et de précision la propagande coloniale, et je dois dire dès le départ que le discours de l’historienne Lemaire sur la propagande coloniale, proposée comme la spécialiste de ce domaine historique dans les livres analysés, suscite beaucoup de questions de ma part.

            La première sur l’absence des références des sources qu’elle a consultées, entre autres au Centre des Archives d’Outre Mer à Aix. Quant à la thèse qu’elle a faite à ce sujet, à l’Institut universitaire de Florence que je n’ai pas trouvée.

            Nous examinerons les autres questions au fur et à mesure de l’analyse.

Un discours carré, catégorique, tonitruant sur la propagande coloniale

            Dans l’ouvrage Culture coloniale, et sous le titre Propager : l’Agence générale des colonies, l’historienne caractérise la puissance et l’efficacité des actions de propagande par un florilège d’expressions, et naturellement de jugements :

            « L’Agence : une machine à informer et à séduire (CC/138)… , et l’Agence des colonies fut chargée de faire l’« éducation coloniale » des Français (CC/139) … L’Agence : « chef d’orchestre »…La force de l’Agence fut de s’imposer, dès l’entre-deux guerres, comme l’épicentre de l’information coloniale… Au coeur de l’idéologie coloniale en métropole, il n’y avait dès lors que peu ou pas de contre discours, car l’Agence « inondait », gérait et générait son propre discours en s’assurant la maîtrise de sa production et des relais de diffusion. » (CC/140).

            « Le discours  était ainsi uniformisé grâce à un réseau structuré et multiple, capable de toucher toutes les strates de la société et l’ensemble des Français…L’Agence a ainsi tissé une toile où tous se sont retrouvés dans le credo colonial à « prêcher leur foi » dans l’empire. Une fois établie, cette structure servait à manipuler l’opinion par une panoplie de supports variés, allant de l’objet du quotidien au plus insolite, mais surtout en utilisant le pouvoir de la presse et des images, en grossissant, minorant, occultant, valorisant certains faits. En effet, la propagande ne se limite pas au martèlement d’un discours de promotion d’une idéologie déterminée, mais s’étend à la sélection des informations, à leur tri, à leur hiérarchisation, à leur mise en perspective de même qu’à leur rédaction et à leur accompagnement iconographique ou sonore. » (CC/140)

 Le lecteur doit se rappeler que cette analyse se rapporte à la période retenue par l’ouvrage, c’est-à-dire 1871-1931, et aura la possibilité plus loin de juger du sérieux de cette analyse, compte tenu de l’organisation et des moyens de cette Agence à cette époque de référence.

            Ce qui n’empêche pas l’auteur de faire appel à des expressions fortes, excessives, « tissé une toile, manipuler l’opinion, martèlement d’un discours. »

 Au risque de lasser le lecteur, il faut citer d’autres affirmations :

            « La force de l’Agence résidait exactement dans ce « brouillage des ondes » –omissions partielles ou totales -une grille de lecture édulcorée, imposant une vision qui, pour les métropolitains, rendait impossible d’aborder l’autre côté du miroir. » (CC/144)

            « Français, vous avez un empire : un mythe pérenne

            L’omniprésence de l’Agence, dans le temps, dans l’espace, dans les supports, dans les relais, permet de concevoir la création d’un espace mental basé sur des éléments disponibles au sein de la société et qui ont permis que fonctionne la fiction : supériorité de la culture occidentale, de la civilisation, du système économique, détention des clés du progrès. »(CC/144)

 Et en conclusion  de l’analyse de cette formidable machine de propagande, omniprésente :

            « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. Elle se mesure encore actuellement à travers les mêmes images, les mêmes discours tenus sur des pays du « tiers monde » ou » en voie de développement »  ou  « les moins avancés ».

            Ouf ! Nous avons échappé pour l’instant à la crise des banlieues et aux indigènes de la République !

            Histoire ou littérature, mémoire ou idéologie ? Je mets au défi l’historienne de tirer des cartons d’archives du Centre des Archives d’Outre- Mer des exemples concrets de la manipulation dénoncée, outre le fait qu’elle n’apporte aucune démonstration d’une intériorisation réussie.

            Dans l’ouvrage suivant, consacré à la Culture impériale, fixée à la période 1931-1961, nous retrouvons le même type de discours. Notons en passant que l’Empire a disparu des institutions en 1945.

            Sous le titre :

             « Promouvoir : fabriquer du colonial

            C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menée par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse et le cinéma. » (CI/45)

            L’historienne note :

            « Car ce qui fabrique et surtout inscrit durablement la culture impériale, ce sont les moyens mis en œuvre pour banaliser cet Empire, en le rendant omniprésent et quotidien. »(CI/47)

            « La stratégie consistait donc à frapper en premier lieu les imaginations puis d’inculquer, à la fois de manière subtile et très systématique, le contenu de son idéologie. »(CI/48)

            Le lecteur notera que je n’ai trouvé aucune trace de stratégie dans les cartons d’archives de la fameuse Agence. En ce qui concerne la propagande coloniale d’une presse subventionnée, nous reviendrons plus loin sur le sujet avec des chiffres précis.

            Et pourquoi ne pas avoir écrit que cette fameuse action de propagande qui aurait été magistralement menée par l’agence des colonies fut interrompue entre 1934 et 1937, puisqu’elle fut supprimée pendant ces trois années .

            L’historienne a fait paraître une deuxième contribution dans le même livre, intitulée Manipuler : à la conquête des goûts, dans laquelle elle fait un sort particulier au riz, analyse qui fera l’objet de notre contrepoint final.

            Dans un livre ultérieur intitulé l’Illusion coloniale, paru en 2005, l’historienne poursuit dans la même veine littéraire, La fabrique de l’opinion (ILC/70) :

            « Mais c’est principalement à partir de 1919, lorsque l’Office est réorganisé en Agence générale des colonies et que des agences territoriales la soutiendront dans cette action, que la propagande officielle trouve toute son efficacité. Organisme tentaculaire, au centre de la création et de la diffusion du mythe, la République promeut, grâce à lui, l’idéologie coloniale à une échelle jamais atteinte auparavant. »

            L’historienne n’hésite pas à écrire plus haut qu’à compter de 1899, jusqu’à  la perte de l’empire colonial en 1962, « la France a toujours disposé de cet organisme », ce qui est faux, comme nous l’avons relevé plus haut, en ajoutant que l’Agence qui lui a succédé a été supprimée en 1953.

            Plus loin :

            « La conquête du public

            Chargée de faire leur « éducation coloniale », l’Agence générale des colonies a pour objectif d’inciter le public à intégrer la notion d’empire dans son système de pensée mais aussi dans sa vie quotidienne. L’Etat cherchait à ancrer la conviction que le domaine outre-mer ne faisait qu’un avec la métropole, constituant une part intégrante de la nation rebaptisée la « Plus Grande France »…Utilisant une multitude de relais…l’Agence est capable de toucher les Français dans leur imaginaire comme dans leur quotidien » (ILC/72)

            « Séduire les enfants :

            La jeunesse est une cible privilégiée à laquelle on propose une stratégie savamment élaborée. » (ILC/74)

            « Les slogans de l’Empire :

            Sans s’en rendre réellement compte, soumis à un discours uniforme et omniprésent, les Français, y compris ceux qui ne se sentent peu concernés par l’Empire, sont pénétrés de cette mission et de ses slogans : enseigner, soigner, administrer, bâtir. » (ILC/78)

 Le lecteur aura noté la précision du propos « y compris ceux qui ne sentent peu concernés par l’Empire. » Qu’est-ce à dire ? A partir de quelle preuve ?

            Le livre La Fracture coloniale prend acte de ce discours dans l’enquête par sondage que ce collectif de chercheurs a effectuée à Toulouse en 2003, à propos du jugement positif ou négatif sur la période coloniale. Je cite :

            « On note toutefois une rupture générationnelle. En effet, 48,8% des plus de 55 ans estiment que « la colonisation a beaucoup apporté aux pays concernés » (les autres catégories d’âge s’échelonnant entre 18,8% et 28,8%.) Ce qui n’est pas surprenant, dans la mesure où ceux-ci ont été soumis durant leur adolescence à un enseignement du fait colonial nettement laudatif (les décolonisations n’étant pas achevées) et à une propagande dont plusieurs travaux récents ont montré l’ampleur.

            En note 6 de bas de page : Voir par exemple Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Francis Delabarre, Images d’Empire, La Documentation française, La Martinière, Paris 1997 ; Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Culture coloniale 1871-1931, op.cité et Culture impériale.1931-1961 . Autrement, op.cité (FC/277,278)

 Et la boucle historique des sources est bouclée ! Nous avons mis en gras les travaux récents.

 Les sources de ce discours

 La première source possible d’un tel discours aurait pu être l’analyse très documentée de l’historien Ageron parue dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer du premier trimestre 1990, intitulée Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939). Nous retrouverons l’analyse des premiers sondages dans le chapitre suivant.

            L’auteur écrivait :

            « L’objet de cet essai est une étude d’opinion publique : peut-on savoir si les Français, dans leur ensemble, s’intéressaient à leurs colonies entre 1919 et 1939 ; s’ils y étaient favorables, hostiles et indifférents ? Peut-on apprécier quel intérêt les attachait éventuellement à leur empire colonial et quelles furent les variations de ce qu’on appelait volontiers leur «  conscience coloniale » ?

            « Certes à cette époque, les techniques de sondage de l’opinion, déjà courantes dans les années trente aux Etats-Unis, sont à peine connues en France et une telle recherche peut paraître vaine sur le plan scientifique puisque nous ne disposons sur ce sujet que de quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939. Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire » de l’opinion, celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche. Ce que l’on peut recenser en fait d’opinion publique, c’est soit l’opinion de la classe politique, soit l’action des groupes de pression… »(RFOM/31)

            « Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur…

            Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un travail d’équipe.

            C’est précisément dans l’espoir d’éveiller l’intérêt de quelques chercheurs ou étudiants que nous avons voulu présenter ici, beaucoup plus modestement, une première approche, tel qu’il nous apparaît après une enquête rapide à travers la presse coloniale et non coloniale et après une recension critique des témoignages fournis par les spécialistes du « parti colonial » sur l’audience de l’idée coloniale. » (RFOM/32) …

            « Dans ce terrain non défriché, il eut été plus habile de s’en tenir à la classique prospection des sources et à leur présentation, illustrée d’exemples, d’une problématique et d’un échantillon de méthodes. Nous avons pensé qu’il était plus loyal de dire simplement ce que nous savions et ce que nous ne savions pas, réservant à l’enseignement d’un séminaire recettes et hypothèses de travail, indication de pistes et souhaits de recherches précises. » (RFOM/33)

 Il nous a paru utile de citer presque in extenso ce texte qui expose clairement et honnêtement les problèmes de méthode rencontrés pour aborder le sujet, problèmes que nous avons déjà longuement évoqués dans les chapitres précédents et qui mettent en cause les fondements scientifiques du discours tenu par ce collectif de chercheurs.

            Car ce collectif de chercheurs a fait l’impasse sur les problèmes méthodologiques qu’ils auraient du résoudre préalablement, afin d’être en mesure de présenter concepts et théories qui seraient censées donner une représentation historique de l’opinion publique des périodes analysées.

            Mais que nous dit donc l’historien sur les résultats de la fameuse propagande coloniale dans l’opinion publique, puisque c’est l’objet de notre chapitre.

            « En 1918, le parti colonial réclamait « un service de propagande coloniale doté de tous les moyens nécessaires »…

            Mais en 1920, le puissant groupe colonial qui s’était constitué dans la Chambre bleu-horizon ne parvint pas plus à faire inscrire au budget les crédits nécessaires à cette propagande de grand style que le ministre A.Sarraut déclarait pourtant indispensable. » (RFOM/35)

 La presse coloniale ne touchait pas le grand public, et le député radical Archimbaud, inamovible rapporteur du budget des colonies dénonçait lui-même l’apathie gouvernementale dans ce domaine.

            Dans les années Vingt, « les coloniaux et les colonisés étaient gens d’une autre planète, la masse de l’opinion française  demeurant dans son indifférence antérieure. »

 La grande presse jugeait « invendable » la propagande coloniale.

            La situation changea entre 1927 et 1931 avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale qui trouvera son couronnement dans la grande Exposition de 1931. La presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale.

            Mais l’historien de rappeler ce que déclarait, en juillet 1928, le directeur de la Ligue maritime  et coloniale, présentée comme un des moteurs de la propagande coloniale, au sujet des résistances des milieux d’enseignants :

            « Le milieu qui a charge de forger la mentalité française, c’est à dire le corps enseignant, est celui qui y est demeuré jusqu’à présent le plus étranger, à quelques exceptions près. » (RFOM/48)…

            « Le parti colonial disposait maintenant de l’appui du gouvernement Tardieu (1930)….Il n’est pas jusqu’au ministère des Colonies où, pour la première fois, on ne s’occupât de propagande impériale. » (RFOM/51)

            Alors que la fameuse Agence générale des colonies et que les agences économiques des territoires existaient depuis au moins dix ans, que ces outils de propagande étaient à l’entière disposition de ce ministère ! Le lecteur n’y retrouvera sûrement pas les descriptions qu’en a faites plus haut l’historienne Lemaire.

            Quant à l’exposition de 1931 qui a déjà été évoquée, et en dépit des campagnes de propagande et de son succès immédiat, rappelons le jugement de Lyautey qui en avait été le patron et un des initiateurs: « Ce fut un succès inespéré »,  disait-il le 14 novembre 1931, mais dès 1932, il ajoutait « qu’elle n’avait en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ni ceux des gens en place qui n’étaient pas par avance convaincus. » Telle parait bien être la juste conclusion qui se confirma, nous le verrons, dans les années suivantes. » (RFOM/52)

            Comme on le voit ici encore, on est loin des descriptions de la propagande que cette historienne a faite précisément pour cette période chronologique de 1919-1931 ! En ajoutant qu’il ne reste plus beaucoup de temps à nos brillants propagandistes coloniaux pour faire mieux, étant donné que quelques années plus tard la France va entrer dans une ère de turbulences internationales, et que cette situation va conduire les gouvernements, et derrière eux une partie seulement de l’opinion publique, à soutenir la cause impériale, ultime recours de la République en face de l’ennemi.

            Entre 1932 et 1935, la propagande aurait en effet été inefficace si l’on en croit l’analyse Ageron dans le titre IV « Le recul de l’idée coloniale dans l’opinion publique », mais il convient à présent d’examiner si d’autres sources postérieures peuvent accréditer le discours Lemaire.

            Le Colloque de janvier 1993

 L’historien Meynier y signa une contribution intitulée Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre deux guerres.

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c’est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C/41)

 Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Une des clés des explications historiques proposées à l’occasion de ce colloque par une palette d’historiens, comme nous le verrons dans un chapitre consacré au ça colonial, c’est-à-dire à l’inconscient..

            Notons que la communication limite sa réflexion au cas algérien.

            L’historien note « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale. » (Sans autre précision, ni évaluation)…

            « Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C/43)

 Nous quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à la conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. » (C/48)

            Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, un historien sérieux, à l’exemple d’autres confrères, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire coloniale ?

            La conclusion du Colloque rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches, et conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs effets :

            « Quand y-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. » (C/145)

 Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée. Notons en passant que les deux appellations colonies et France d’outre mer sont antinomiques.

            Comment enfin ne pas évoquer, au sujet de la presse, un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux  de province les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé L’organisation de la propagande, en qui concerne la période 1919-1939, et pour la période 1945-1962, deux articles sont concernés, l’un signé N.Bancel et G.Mathy sous le titre La propagande économique et l’autre signé E.Rabut, intitulé Un acteur de la propagande coloniale. L’Agence des colonies.

 L’introduction de l’ouvrage signée par l’historien Blanchard donne tout de suite la couleur de la propagande, en décrivant «  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public » et en écrivant « comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. »(IC/8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier marque une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC/113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analyse successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies reste modeste. Il donne un sous-titre évocateur à la suite de son analyse : Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse, passage où il note « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emporte. (IC/121)…(voir les tableaux de l’annexe 1)

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse. »(IC/123)

 Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. » (IC/124)

 Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

 Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

            Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée La propagande économique au cours de la période 1945-1962 pour trois raisons :

            – Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. »(IC/227)

 Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant, méthodiquement, et non superficiellement la presse.

            – Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après guerre. (IC/222) L’hégémonie de la propagande coloniale (IC/224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites (IC/227) Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande (IC/229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires françaises son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès. » (IC/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            – Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec la suivante.

            La troisième contribution d’Images et colonies est précise et rigoureuse. Il s’agit de celle d’E.Rabut, sous le titre Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies.

 L’auteur a exploité les archives du centre d’Aix, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme nous l’avons fait nous-même.

 Mme Rabut fait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC/232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies crée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralise la documentation fournie par les agences économiques crées à Paris par chaque grand territoire, Indochine et Madagascar, ou groupement de territoires, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre. Pour des raisons d’économies, l’Agence est supprimée par décret du 17 mai 1934 et réapparaît, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, en 1937, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy ranime l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            Le même auteur décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

 Que retenir du contenu de ces sources ? A l’exception de la contribution Rabut, un grand flou artistique sur le fonctionnement des institutions de la propagande coloniale et la plus grande imprécision, en valeur absolue et relative, sur l’importance des moyens que les pouvoirs publics ont consacrés à la propagande coloniale.

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), organisme tentaculaire, chargé de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques et administratives et des informations budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Un grain de riz aussi, trop gonflé, car nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

  Tous droits réservés

La deuxième partie sera publiée le lendemain 3 juillet 2014

SUPERCHERIE COLONIALE – INTRODUCTION

Supercherie Coloniale

INTRODUCTION

Les caractères en gras sont de ma responsabilité

            L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.

Un petit flash-back historique nécessaire

           Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.

       Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.

       Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre mit en péril les forces vives de la nation, beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :

           1) par la reconstruction du pays,

           2) par la lutte contre les effets de la grande crise économique de 1929,

           3) et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne et du communisme soviétique,

           4) que par la consolidation d’un empire colonial.

        Deuxième guerre mondiale-1939-1945 : une période très ambiguë avec l’affrontement  entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.

      Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à  se reconstruire, à se refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées de Sétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.

        Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car il est impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.

      Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu le champ clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années, 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?

         Les ouvrages en question– Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat ! Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.

        Actes du Colloque « Images et Colonies » (C) des 20 au 22 janvier 1993. Images et Colonies (IC) (1993), Thèse Blanchard (TB)(Sorbonne-1994), Culture Coloniale (CC)-(2003), La République Coloniale (RC) (2003), Culture Impériale (CI)(2004), La Fracture Coloniale (FC) (2005), L’Illusion Coloniale (IlC)(2006)

       Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire. Françoise Vergès (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de République Coloniale.

      Les Actes du Colloque (janvier 1993) – L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier).      

      Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur « une quarantaine d’illustrations (p13), alors que  la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p13), tout en veillant à  ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion « (p14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme, »

      Et que :

     » Cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquant un véritable bain colonial… » (p14).

       Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans  le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne!

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.

     Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.

       Images et Colonies– L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard).

       D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images « (p.8)

      Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.

     « Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXème siècle aux indépendances… à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande…Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique …comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande…pour comprendre les phénomènes contemporains … son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale  en janvier 1993. »

          Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.

      La thèse Blanchard intitulée Nationalisme et Colonialisme (Sorbonne 1994)– Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.

        Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.

         Culture Coloniale (2003)– Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant propos (Blanchard et Lemaire), intitulé « La constitution d’une culture coloniale en France », énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.

      « Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés… On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française : le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931) (p.7)…

        Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir…mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p.8) …L’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations (p.13)…

     Une culture coloniale invisible (p.16)… un tabou (p.17)…l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse (p.23)…

    La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française (p.25)

     Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes (p.32).

     L’indigène au cœur de la culture coloniale. « (p.33)

       1931 ou l’acmé de la culture coloniale… dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin « (p.35)

      « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale (p.36)

       Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française (p.39).

      L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude :

      « Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est déjà complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)

       Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?

      La République Coloniale (2003)- (Blanchard, Bancel, Vergès – une écriture à trois p.9).   

   Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale, à la République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.

      La situation qu’ils décrivent : «  Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)… ce retour du refoulé (p.III)…il existe un impensé dans la République » (p.III). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, « on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p.V)… les liens intimes entre République et colonie… Pour déconstruire le récit de la République coloniale » (p.V).

        Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au delà de l’incantation idéologique.

       Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.

       Culture Impériale (2004)-  Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.

       « Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur…reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7) La France s’immerge…imbibée naturellement (9)…C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961… »

       Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux !

      « Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire… mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire, et qui sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard ».(p.14)

     Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, « les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale » (p.26),  vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !

     La Fracture Coloniale  (2006- Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)

     Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.

       « Retour du refoulé…qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)… la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial » (p.23).

      Et nous y voilà,  le tour est joué !

     L’Illusion Coloniale (2006)- (Deroo et Lemaire) Les auteurs écrivent dans leur introduction :

       « Mais, en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français -bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer- elle ne représente qu’un rêve certes basé sur le concret de l’acte colonial mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies » (p.1)

       Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation  insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve…élaboré par des images flatteuses…

        « C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album…iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à  travers le tourisme…Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : « la Plus grande France » et de ceux qui se revendiquent amèrement les «  indigènes de la République ». »

      La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images?

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur a déjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés,  les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute « faite chair », comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.

      Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo-historiques qu’ils développent. Arrêtons- nous y un instant.

      Des titres attrape-mouches ou attrape nigauds ? Avec quelle terminologie ?

       Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !

     Culture, qu’est-ce à dire ?

    Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !

      Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.

    Une culture constituée de quelles connaissances, quand, partagée par qui, où, quand ?

    Fracture coloniale ? Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments, définition du Petit Robert. Comment  appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?

     Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :

    «  La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française… »

     Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !

    Fracture politique, économique, humaine, linguistique ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.

         Dans son introduction, le trio écrit :

« Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée » (p.13), – effectivement-, après avoir écrit (p.11), « Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer. »

       Et plus loin, « la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population » (p.24).

       Prenons quelques cas de figure ! Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ?  Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.

      Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images et de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.

      Il s’agit des  supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.

     Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes sources ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.

     Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historiques qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interprétation: nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.

Nous examinerons successivement :

Chapitre 1- Les livres de la jeunesse : livres scolaires et illustrés

Chapitre 2 – La presse des adultes

Chapitre 3 : les villages noirs, les zoos humains (avant 1914), et les expositions coloniales (avant et après 1914)

Chapitre 4 – Les cartes postales

Chapitre 5 –  Le cinéma

Chapitre 6 –  Les affiches

Chapitre 7- La propagande coloniale

Chapitre 8 – Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion

Chapitre 9 – Le « ça » colonial

     Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.

    Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »

    Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l‘historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.

      Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.

      Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’autoproclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autorisent à  délivrer des  ordonnances de bonne gouvernance sociale et culturelle.

     Avec cette méthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse et de propos.

      Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par un groupuscule dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.

            Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXème siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.

        Quoi de commun entre ces historiens ?

     Et comment interpréter enfin les récents propos de l’historienne Coquery-Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé d’historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?

     Comment distinguer entre l’histoire « scientifique » et l’histoire « marchandise », celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?

     Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.

&

Et pour une mise en bouche historique, une boulette de riz !

      Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonialtissé sa toileéduquémanipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.

       Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre  7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.

      Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.

     Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses :

    « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits « (CI/82)

    Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.

     Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que  le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.

    Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !

    Le lecteur aura le loisir de constater que le cas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs, insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.

     D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos le faux historique et la contrefaçon.

     Et pour les connaisseurs, une analyse qui n’a rien à voir avec la « Fabrique de l’opinion publique » et les « modèles de propagande » de Chomsky !

Jean Pierre Renaud

Scientificité des thèses d’histoire coloniale? Est-ce le cas?

Que penser des thèses d’histoire coloniale ?

Secret de confession universitaire ou tabou colonial ?

Pertinence scientifique et transparence publique des thèses en général et d’histoire coloniale en particulier ?

Sont-elles scientifiquement pertinentes, alors que leurs jurys cachent leur avis et le résultat de leurs votes ?

Au sujet des thèses Blanchard, Bancel, et Lemaire… et sans doute d’autres thèses !

             Au cours des dernières années, mes recherches d’histoire coloniale (d’amateur) m’ont conduit à aller à la source, c’est-à-dire à prendre connaissance de plusieurs thèses d’histoire coloniale qui donnaient, je le pensais, un fondement scientifique aux interventions verbales ou aux ouvrages écrits par leurs auteurs.

            J’ai donc consulté les trois thèses des trois historiens (Blanchard, Bancel et Lemaire) qui soutenaient la thèse soi-disant  historique d’après laquelle la France aurait été dotée, lors de la période coloniale, d’une culture coloniale, puis impériale.

            J’étais, en effet, plutôt surpris par la teneur des discours que ces derniers tenaient sur ce pan largement ignoré de notre histoire nationale.

            Accréditation scientifique ?

            La consultation et la lecture de ces thèses me donnèrent la conviction qu’elles ne suffisaient pas toujours, totalement ou partiellement, à donner une accréditation scientifique à leurs travaux, dans le domaine de la presse, des sondages, des images coloniales quasiment absentes et sans aucune référence sémiologique dans les thèses en question, et d’une façon générale en ce qui concerne la méthodologie statistique, économique ou financière mise en œuvre.

            Constat surprenant, alors que le terme de « scientifique » est souvent mentionné dans les arrêtés qui ont défini la procédure d’attribution du titre de docteur par les jurys : intervention d’un conseil scientifique, intérêt scientifique des travaux, aptitude des travaux à se situer dans leur contexte scientifique…

            Il me semblait donc  logique d’aller plus loin dans mes recherches, c’est-à-dire  accéder aux rapports du jury visés par les arrêtés ministériels de 1992 et 2006, rapports susceptibles d’éclairer l’intérêt scientifique des travaux. J’ai donc demandé au Recteur de Paris d’avoir communication des rapports du jury, communication qui m’a été refusée, alors que la soutenance était supposée être publique.

            Mais comment parler de soutenance publique, s’il n’est conservé aucune trace du débat, du vote (unanimité ou non) du jury, et s’il n’est pas possible de prendre connaissance des rapports des membres du jury, et donc de se faire une opinion sur la valeur scientifique que le jury a attribué à une thèse, ainsi que des mentions éventuellement décernées.

            Je m’interroge donc sur la qualité d’une procédure

            – qui ne conserverait aucune trace d’une soutenance publique, sauf à considérer que celle-ci n’a qu’un caractère formel.

            – qui exclurait toute justification de l’attribution d’un titre universitaire, appuyé seulement sur la notoriété de membres du jury, alors même que ce titre est susceptible d’accréditer l’intérêt scientifique de publications ultérieures, ou de toute médiatisation de ces travaux.

            Conclusion : les universités et leurs jurys seraient bien inspirés de lever ce secret, sauf à jeter une suspicion légitime et inutile sur le sérieux scientifique des doctorats qui sont délivrés, sauf également, et cette restriction est capitale, si mon expérience n’était aucunement représentative de la situation actuelle des thèses et des jurys.

            La transparence publique devrait être la règle.

            Pourquoi en serait-il différemment dans ce domaine de décisions, alors que la plupart des décisions publiques sont aujourd’hui soumises à des obligations démocratiques utiles de transparence publique.

            Il parait en effet difficile d’admettre que, sous le prétexte de préserver le secret de la vie privée, le secret des délibérations sûrement, mais pas le reste, il soit possible de sceller tout le processus supposé « scientifique » du même sceau du secret.

            A l’Université, en serions-nous encore, à l’âge du confessionnal et de l’autorité d’une nouvelle l’Eglise? Les jurys auraient donc quelque chose à cacher ? Un nouveau tabou ?

            Et en post scriptum, une thèse à l’EHESS :

             J’ai eu l’occasion d’analyser, en 2009, une thèse consacrée à l’histoire coloniale, au développement et aux inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française, au titre de l’EHESS, et sous la direction de Denis Cogneau (professeur associé à Paris School of Economics) et Thomas Piketty (professeur à l’Ecole d’Economie de Paris), avec le concours de deux rapporteurs, Jean-Marie Baland, professeur à l’Université de Namur, et Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology, plus deux autres membres éminents, Pierre Jacquet, Chef économiste à l’Agence Française de Développement, et enfin Gilles Postel-Vinay, Directeur de recherche à l’INRA, Directeur d’études à l’EHESS.

            La thésarde a fait un très gros travail d’analyse, mais sur des bases statistiques fragiles et en faisant un très large appel à un appareil de corrélation mathématique et statistique savant, mais audacieux, en projetant des raisonnements qui enjambent la période d’explosion démographique de la deuxième moitié du siècle, et quelquefois le siècle.

            Il serait intéressant d’avoir accès aux rapports des membres du jury, au contenu des délibérations, et au vote du même jury, et pas uniquement à l’article de Mme Duflo, dans Libé du 2/12/2008, intitulé « Le fardeau de l’homme blanc ? », dont le contenu était favorable aux conclusions de cette thèse.

            Et j’ai tout lieu donc de penser que, pour assurer son crédit scientifique,  la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence publique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige.

            Jean Pierre Renaud, docteur en sciences économiques, et ancien haut fonctionnaire