Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) Vive l’Indépendance de la France !

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

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Avant tout commentaire, et avant de se forger une opinion, il est difficile de parler de mémoire collective,  sans faire référence à l’ouvrage « fondateur », un qualificatif goûté par certains chercheurs, « La Mémoire collective » de Maurice Halbwachs, mort en déportation, publié après sa mort.

J’en ai proposé un résumé sommaire sur le blog du 15 avril 2010.

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« Initiatives mémorielles… organisationnelles… politiques…cet impensé… »

« Ventre Saint Gris » ! Comme aurait juré Henri IV !

 Presque 60 ans plus tard !

Vive enfin l’Indépendance de la France !

Les Confidences du Président à Arthur Berdah, journal du Figaro du 6 novembre 2020, page 8, sous le titre « Islamisme : ce que Macron a en tête »

Le Président a chargé Monsieur Stora, historien et mémorialiste de la Guerre d’Algérie  de lui faire un rapport sur le sujet en décembre prochain :

« Cette étape ouvrira ensuite la voie à des initiatives mémorielles, des initiatives organisationnelles pour la jeunesse et une série d’initiatives politiques »… « sur le sujet, toutes prévues entre 2021 et 2022. » (Comme parhasard !) « On n’a pas réglé le problème de la guerre d’Algérie parce qu’on n’a pas réglé cet impensé de l’histoire contemporaine française… »

            Pourquoi cette mission confiée à un historien-mémorialiste qui fait partie de la mouvance maghrébine des enfants dont les dents sont encore ou ont été « agacées » par Les Raisins Verts qu’ont mangé leurs parents en Algérie est une fois de plus incongrue ? Une mouvance intellectuelle qui ne pouvait qu’être placée sous le signe biblique des « Raisins Verts » : on récolte ce qu’on sème…

            Pour continuer à agiter un monde qui a très largement disparu et que des groupes de pression ont intérêt à manipuler pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’histoire ?

L’historien indien Sanjay Subrahmanyam introduit le chapitre IV « Nationalisme, identité et histoire universelle »,  dans le livre « Faut-il universaliser l’histoire ? (2020) »:

« La question de savoir pourquoi l’on choisit d’étudier l’histoire est bien trop souvent liée à celles concernant la personne qui a fait ce choix et son champ d’étude. » (page 89)

Propos d’un historien un brin dérangeant ! Son livre « Leçons indiennes » a fait l’objet d’une analyse critique le 3 juin 2016.

            L’historien Pierre Goubert confiait qu’il avait choisi d’étudier le Moyen Age afin d’éviter précisément ce mélange des genres entre histoire, mémoire et vécu.

            Il est évident que le Président a fait le choix d’un homme dont le parcours n’est pas de nature à faire naître la confiance dans l’ ensemble des initiatives qu’il lui recommandera : un historien qui depuis de longues années a ses petites et grandes entrées dans le microcosme politique parisien des princes, de préférence à gauche, qui nous gouvernent.

            Pour avoir été officier SAS du contingent pendant la guerre d’Algérie, sans que ma famille n’ait eu d’intérêt à défendre au Maghreb,  je ne suis pas du tout prêt à adhérer à ce type de manipulation politique : pourquoi me réconcilier et avec qui ? Avec la jeunesse algérienne qui manifeste depuis quelques années pour plus de liberté dans son pays, plus de 50 ans après l’indépendance de l’Algérie ?

Revenons au cœur de notre sujet : comment adhérer à la défense d’une thèse mémorielle, et non historique, ou même idéologique, à partir du moment où cette thèse n’a pas été fondée jusqu’à présent par une ou plusieurs enquêtes statistiques, comme il en pleut chaque jour dans les médias depuis plusieurs dizaines d’années ?

            Monsieur Stora a longuement exposé cette thèse mémorielle dans un petit livre intitulé « La Guerre des Mémoires », publié en 2007.

            J’ai analysé longuement les constats et raisonnements de son auteur, et publié à l’époque une critique de l’ouvrage sur le blog « Etudes coloniales » le 11/11/2007. Je l’ai publiée à nouveau sur ce blog le 20 janvier 2016 dans le cadre d’une synthèse sur le modèle de la propagande postcoloniale, celle développée notamment par les historiens Blanchard, Lemaire, et Bancel, laquelle souffre de la même carence  quantitative d’analyse des sources historiques et de leurs effets.

            Tout à fait curieusement, et sauf erreur, dans un livre truffé de chiffres et d’enquêtes sur « L’archipel français » de Jérôme Fourquet, le post-colonial est quasiment absent : la fameuse « Fracture coloniale » des trois historiens Blanchard-Bancel-Lemaire s’est évanouie, de même que les « saignements de mémoire ». de Monsieur Stora, page 90.

Je publie à nouveau cette analyse comme un des éléments de réponse à la décision tout à fait étrange et inacceptable de la désignation de l’historien mémorialiste à la tête d’une mission de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie.

Je précise que cette analyse critique ne porte pas sur les travaux d’un historien en cette qualité, mais sur le rôle, pour ne pas dire la « mission » idéologique et politique qu’il s’est donnée sur le sujet.

Le lecteur est bien obligé de constater que l’auteur se répand en propos sur la ou les mémoires, sans avancer aucun chiffre les accréditant.

Le lecteur trouvera en postface un certain nombre de références de chroniques que j’ai publiées sur le sujet et sur ce blog.

L’Observatoire B2V des Mémoires a publié en 2019 un livre intitulé « La mémoire, entre sciences et sociétés », sous la direction de Francis Eustache, un ouvrage savant, volumineux, qui ne s’inscrit pas vraiment dans l’héritage scientifique de Maurice Halbwachs : ces travaux ne font pas beaucoup avancer, à mes yeux en tout cas, la méthodologie statistique et scientifique d’analyse de la mémoire collective dans le domaine de l’histoire.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

La Question Post-coloniale 3 – Chapitre 2: L’importance des représentations géopolitiques – 2

« La Question Post-coloniale »

Le livre d’Yves Lacoste

Géopolitologue

3

Chapitre 2

« L’importance des représentations géopolitiques »

2

            L’auteur propose alors une revue de cet « écho » :

            « La guerre civile en Algérie (1992-2000) – les islamistes et le « choc des civilisations- Israël présenté comme la preuve que le colonialisme n’a pas disparu – – le sionisme, à ses débuts, ne fut pas une conquête coloniale-  le miracle de la guerre des Six-jours et le réveil géopolitique des rabbins- l’Intifada puis les islamistes contre un colonialisme imposé par les rabbins- le danger d’un mouvement antisémite en France.

   « Des jeunes qui se demandent pourquoi ils sont nés en France ? » (page 84)

     Très bonne question !

     Les jeunes des « grands ensembles » qui auront eu la chance de lire ces lignes auront pu avoir déjà une réponse : en distinguant ceux d’origine algérienne, antillaise, ou africaine.

     « Pourquoi les grands pères sont-ils venus vivre en France ? » (page 86)

   Le problème des causes de l’immigration post-coloniale se pose en de tout autres termes quant à ses débuts pour les Algériens peu près l’indépendance de l’Algérie, au lendemain d’une terrible guerre. Pourquoi ce choix, alors que nombre d’entre eux venaient de combattre courageusement l’armée française ? Nous sommes là au point de départ du paradoxe de l’immigration post-coloniale en France, car ces Algériens ont été suivis par beaucoup d’autres, puis par des Marocains, des Tunisiens…Il ne suffit pas de savoir comment ces combattants algériens ont pu rester en France en profitant des lois d’amnistie. Il faut savoir pourquoi ils ont quitté l’Algérie alors qu’ils venaient de jouer un grand rôle dans sa libération. » (page 87)

    Question : oui, pourquoi ? Sans réponse, alors que l’auteur aurait sans doute pu proposer une réponse, au moins une interprétation, compte tenu de son passé algérien.

    Je proposerai volontiers la mienne, sûrement iconoclaste, à savoir que la France avait vécu, en 1962, un miracle historique, la perte de sa condition colonialiste…

     L’auteur critique alors le contenu du livre de MM Blanchard et Bancel intitulé « La Fracture coloniale ».

     Je l’ai fait moi-même dans le livre « Supercherie coloniale » en déroulant  l’ensemble des critiques qu’appelaient les ouvrages de ce groupe de propagande postcoloniale Blanchard and Co, compte tenu de l’habileté que ce groupe d’historiens a démontrée en publiant des recueils d’images de qualité et de textes qui répondaient au « marché » de l’Indigène.

      L’auteur qualifie ce travail ainsi :

     «  Déni du passé colonial ou déni des causes de l’exode post-colonial ? (page 87)

     « Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, quand ils affirment l’existence d’une « fracture coloniale » entre les Français expliquent celle-ci par le fait qu’en France on pratique de multiples façons le « déni » du passé colonial : on évite d’en parler. Pourtant, dans la masse des écrits qui stigmatisent la colonisation, ces deux historiens ne sont pas les seuls. Il est vrai qu’ils soulignent ses effets en France, et non pas surtout outre-mer.

      Animé d’une préoccupation assez différente, l’un des aimateurs de l’appel des indigènes de la République, Nicolas Qualander déclare à Jérémy Robine : « Le but de l’Appel des indigènes se décline sur trois ou quatre plans : le premier c’est la question de la mémoire, le problème du passé qui ne passe pas. » Il ne croit pas si bien dire, car le «problème » n’est pas seulement « la reconnaissance des crimes coloniaux vis-à-vis de toutes les populations issues de l’immigration. » Cela est certes nécessaire non pas globalement et de façon métaphysique, mais pour analyser de façon précise l’histoire de chacun de ces crimes, et surtout en termes géopolitiques, puisqu’il s’est agi de rivalités de pouvoirs.

     D’un point de vue géopolitique, la « question de la mémoire », c’est d’abord de comprendre pourquoi ces Algériens patriotes et courageux ont quitté leur pays au lendemain de l’indépendance, pour venir dans celui de leurs oppresseurs. Comment expliquer ce paradoxe géopolitique qui fait que les enfants de combattants algériens ont ensuite eu la même nationalité que les colonialistes les plus acharnés au maintien de l’Algérie française et qu’ils parlent désormais la même langue ?

            Tout à leur démonstration de la « fracture coloniale », Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire estiment que le passé colonial fait l’objet d’un véritable « déni ». Ils pensent que ce serait par honte que les citoyens français évitent de parler du colonialisme et de toutes ses horreurs. Le Livre noir du colonialisme est pourtant un succès de librairie et les ouvrages de gauche et d’extrême gauche qui stigmatisent la colonisation sont de plus en plus nombreux. En fait les Français ne s’étaient plus préoccupés de la question coloniale dès qu’ils en avaient été débarrassés avec l’indépendance de l’Algérie. Ils s’en soucient de nouveau, mais de façon intense, à cause des émeutes des certaines banlieues. » (page 88)

    Commentaire :cette analyse mérite un long commentaire.

     Revenons rapidement sur les critiques de fond que j’ai listées dans le livre « Supercherie coloniale » à l’endroit des travaux de ce trio d’historiens : carence scientifique des évaluations statistiques des vecteurs des cultures coloniale ou impériale supposées, et même carence statistique sur leurs effets, en ce qui concerne les images, mêmes carences sémiologiques et contextuelles.

     Les travaux de ces trois historiens d’histoire géographie de gauche, comme c’est noté ailleurs dans une entreprise de propagande post-coloniale politique au mépris des leçons de l’histoire quantitative, de l’absence complète des évaluations statistiques nécessaires pour accréditer leur thèse politique.

     Deux anecdotes pour situer la qualité de ces travaux statistiques  tirés du livre « Supercherie coloniale », pages    231 et suivantes :

     Sandrine Lemaire, dans le livre « Culture impériale » (page 75) « Manipuler à la conquête des goûts »… « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits  » (CI, page 82)

     Sauf que ce riz subventionné allait dans nos poulaillers !

      A l’appui de  sa thèse, Nicolas Bancel citait un sondage qu’il avait effectué auprès d’anciens élèves de l’ENFOM, sous le titre « Entre acculturation, et révolution – Mouvements de jeunesse et sports dans l’évolution institutionnelle et politique de l’AOF » ( Présidente du jury Mme Coquery Vidrovitch. Elle le fut également pour la thèse Blanchard)

     Question : avant ou au cours de votre cursus à l’ENFOM, avez-vous participé à un mouvement de jeunesse ? Sur les 297 questionnaires envoyés, 55 réponses avec 24 oui, dont 13, j’ai participé à des mouvements scouts, et 11 à des mouvements catholiques.

       L’historien en tire une conclusion surprenante, sinon consternante :

      Commentaire : « Le très fort taux d’anciens membres de mouvement de jeunesse  est remarquable… 41 % sont issus du scoutisme catholique. La proportion est évidemment énorme… Par ailleurs l’idée d’une fonction de préparation de la pédagogie active aux aventures Outre mer (l’une des hypothèses du programme  Pédagogie de l’aventure modèles éducatifs et idéologie de la conquête du monde) est massivement confirmée par ces réponses. »

     « remarquable », « énorme », « massivement »des qualificatifs d’autant plus superfétatoires que ce sondage est privé de toute représentativité statistique.

     Revenons au contenu du livre d’Yves Lacoste.

      Je suis sans doute plus mal placé que l’auteur de ce livre, pour proposer mon analyse, compte tenu de mon expérience d’officier SAS (« colonialiste ») pendant la guerre d’Algérie (vallée de la Soummam en Willaya III), et de la vocation qui fut la mienne, l’ambition de servir ce que je croyais être la « communauté » franco-africaine.

      Je crois avoir servi la France et l’Algérie à l’exemple de l’immense majorité de mes camarades du contingent.

      Comme je l’ai déjà écrit à maintes reprises, et rappelé plus haut, que contrairement à ce qu’écrivent et disent ces historiens, la France n’a jamais eu de culture coloniale, qu’elle a toujours laissé faire, comme de nos jours dans notre politique extérieure, les gouvernements, leurs experts, ou les groupes de pression qui les animaient, et ce fut notamment le cas en Algérie.

     En réalité, le pays a découvert la question coloniale, oserais-je dire, grâce à la guerre d’Algérie, grâce aux centaines de milliers de jeunes français qui y ont été jetés par devoir patriotique, une question devenue très sensible avec les flux d’une immigration importante, venue précisément  d’Algérie.

      Pourquoi n’oserais-je pas dire que la dénonciation partisane de la colonisation a servi à justifier la présence algérienne en France, et nourrit d’une certaine façon une propagande postcoloniale beaucoup plus efficace que la propagande coloniale  dont les moyens furent très limités, comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale ».

       Question algérienne ou question postcoloniale ?

      « Pourquoi les patriotes algériens sont-il venus en France en 1963 ? (page 89)

   L’auteur rappelle la « La rivalité mortelle du FLN et du MNA », « Le conflit maquis de Kabylie (la Willaya III  / «armée de l’extérieur », « Silence persistant sur les rivalités de pouvoir dans le mouvement national » (pages 89-93) – avec ses purges et ses milliers de morts !-, puis consacre quelques pages à la Kabylie : « Esquisse des singularités géopolitiques de la Kabylie » page 93 à 100)

    Ces pages relèvent le rôle important des Kabyles dans le mouvement national et en France : les Kabyles étaient venus nombreux travailler en France, avaient appris notre langue, aidaient financièrement leurs familles et leurs villages et revenaient de temps en temps au pays. La loi sur le regroupement familial leur a donné le droit de faire venir leur famille, une des causes sans doute de l’immigration post-colonlale.

     Mon « séjour » en Petite Kabylie m’avait fait aimer ce pays et ses habitants proches de nos montagnards, mais je me suis souvent demandé  comment les épouses débarquant avec leurs enfants chez nous, sans parler français, pouvaient supporter un choc culturel aussi violent.

   « Que faire ? (p,100)

   « C’est en réfléchissant en termes géopolitiques que l’on a pu enfin prêter attention à la venue en France, dès la fin de la guerre les patriotes algériens en majorité kabyles. C’est un fait majeur pour la compréhension du paradoxe qu’est la question postcoloniale en France. ll a été pris en compte dès que l’on a pu envisager ce phénomène selon des raisonnements géopolitiques – les rivalités FLN/MNA et ALN/Willaya III sont en fait géopolitiques – et en fonction d’une approche particulière de la Grande Kabyle, qui est en vérité un cas géopolitique à part » (page 100)

Commentaire : « en majorité kabyles » : est-ce démontré ? Si oui, l’explication aurait incontestablement de la pertinence.

   « Aider au développement de mouvements culturels berbères et des divers peuples africains. » (p,103)

   Est-ce une solution ? Les Kabyles nous auraient attendus ? S’agit-il bien de nôtre rôle, alors que la problématique de l’immigration est liée au manque d’action culturelle dans beaucoup de quartiers ?

    « Se soucier des « grands ensembles » HLM et de leur avenir. » (p,102) ?

    Ne s’agit-il pas de la réussite partielle du plan Borloo – casser le béton -, mais avec précisément une carence sociale et culturelle que les dernières propositions Borloo, cohérentes, venaient combler, mais qui furent écartées par le nouveau Président, sous prétexte qu’il les jugeait comme celles de « deux hommes blancs ».

    Jusqu’au plan Borloo, entre 1981 et 2012, gouvernements de gauche ou de droite ont fait comme si le problème des banlieues n’existait pas.

       « Expliquer pourquoi le colonialisme a pu être vaincu, et pourquoi et comment il avait pu s’établir » (page 106)

     Il convient de préciser qu’il s’agit de l’annonce des analyses que l’auteur propose dans ce livre.

     Il s’agit d’une ambition d’autant plus hardie que sous quelque terme que ce soit, impérialisme, colonialisme ou domination, il n’est pas du tout assuré que la recette ait été trouvée pour mettre fin à un type de processus qui s’est déroulé au long des siècles, qui continue de nos jours sous d’autres formes géopolitiques, ne serait-ce que dans l’Algérie actuelle.

      Les préceptes Lacoste ?

     Sous le titre « Que faire ? », ces pages concernant les préceptes Lacoste pour une solution, font-ils partie de l’analyse géopolitique ?

     Citons quelques-uns de ces préceptes, sans nous embarquer dans la confusion avec les postcolonial studies, à la mode, comme venant une fois de plus des USA, en oubliant généralement que la discrimination raciale n’y a été supprimée que récemment, de même qu’on se réfère à un pays qui s’est illustré dans l’histoire de l’esclavage.

      « Ne pas confondre colonialisme et toute forme de domination » (page 107)

     L’auteur se lance alors dans un distinguo subtil pour distinguer les deux concepts : je ne me lancerai pas dans ce débat, en indiquant simplement, et à nouveau, que les impérialismes étant de tous temps et de tous lieux, ils se caractérisent par la domination d’un peuple sur un autre : l’Afrique de Samory ou de Béhanzin n’avait pas de traits colonialistes ? Ou celle de la Chine dans la presqu’île indochinoise ?  etc…

    Dans des contextes historiques qui étaient favorables aux pays de domination ?

   « Ne pas sous-estimer les indépendances post-coloniales qui pour la plupart ne sont pas factices »

     « …Aussi faut-il aider tous ceux qui vivent en France, quelles que soient leurs origines, à mieux comprendre le fait colonial et l’importance des luttes pour l’indépendance. Aussi sentiront-ils qu’il est assez vain de lutter pour des enjeux de mémoire alors que les enjeux actuels comme les risques sont autrement plus importants. » (p,110)

   Des enjeux de mémoire ? Mis en scène par des groupes de pression postcoloniaux, en faisant une impasse complète sur les histoires écrites – rares – -, les histoires orales – les plus fréquentes – des pays d’origine, sur l’esclavage africain de l’ouest et de l’est qui, dans le cas français a attendu les colonialistes pour commencer à disparaître etc.. que les historiens africains de l’époque moderne ont beaucoup de peine à évoquer.

     « Montrer la complexité des luttes pour l’indépendance, avant d’expliquer les conquêtes coloniales » (page 111)

    « Poser la question post-coloniale aujourd’hui, c’est aussi revenir de façon nouvelle sur le passé pour mieux comprendre le présent, et s’interroger sur les modalités de ce phénomène planétaire. Il ne s’agit pas de grandes causes civilisationnelles (les prétendus atouts de l’Europe et handicaps de l’islam). Je me suis intéressé aux luttes armées entre forces politiques adverses plutôt qu’aux formes particulières de chaque colonisation…. » (page 112)

   La formulation ambigüe du texte souligné ?

    « Qui parle ? (page113)

   « L’une des règles de l’analyse géopolitique est de porter attention aux représentations. Non seulement à celles de chacun des leaders des groupes qui s’affrontent pour la conquête ou la défense d’un territoire, mais il faut aussi s’intéresser aux représentations des analystes de ces rivalités de pouvoir, soit à titre de commentaire de l’actualité (et alors l’antagonisme des représentations est évidente), soit bien plus tard, lorsque que l’on sait qui a été le vainqueur de tel conflit. Même lorsque récits et analyses se font à titre rétrospectif avec un grand « recul de temps », il faut par principe essayer de tenir compte des représentations (conscientes ou non) de celui qui fait le récit ou l’analyse. L’exposé de faits anciens a qu’on le veuille ou non, ses conséquences sur la façon dont l’auditeur ou le lecteur se représente certains phénomènes contemporains.

    Cette démarche est d’autant plus nécessaire que l’on traite du colonialisme et de la colonisation, c’est à dire d’un ensemble de phénomènes géopolitiques qui ont fait autrefois l’objet de discours extrêmement valorisés dans les pays colonisateurs… » (page 114)

      Commentaire je bute toujours sur la signification des concepts proposés, avec une interrogation supplémentaire quant aux «représentations  conscientes ou non», c’est à dire un inconscient qui ne dit pas son nom ? Le fameux « inconscient collectif », colonial, bien sûr que j’ai dénoncé ?

    La mission d’un géopolitologue apprécié au temps de la fondation de la Revue Hérodote ? :

    « Essayer d’expliquer aux « jeunes » qui souffrent de la situation post-coloniale et qui se demandent pourquoi ils sont nés en France les raisons pour lesquelles leurs grands-pères ont dû venir dans ce pays, qu’ils avaient courageusement combattu, conduit à analyser et comparer les luttes  pour l’indépendance. Mieux comprendre la question post-coloniale m’a incité à remonter loin dans le passé afin de mieux saisir les causes qui avaient rendu possibles les conquêtes coloniales. » (page 119)

     En conclusion provisoire, et à cette lecture, il était quelquefois difficile de situer la nationalité de l’auteur.

     Articles revus après fin du confinement

      Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

L’histoire coloniale ou postcoloniale ? Contextes historiques et histoire quantitative ?

L’exemple de l’ouvrage Images et Colonies publié en 1993 !

            Les lecteurs savent que j’ai consacré beaucoup de temps à l’analyse et à la critique de cet ouvrage et aux livres qui ont été élaborés en grande partie à partir de cette source « historique », à l’initiative du groupe de chercheurs que j’ai classé dans le nouveau « modèle de propagande Blanchard and Co ».

            Au-delà des critiques de base que j’ai développées en ce qui concerne les carences d’histoire quantitative de ces thèses portant sur des vecteurs de propagande très imparfaitement évalués, autant dans leur importance physique que dans leurs effets éventuels, j’aimerais revenir sur une des contributions portant sur l’analyse proposée concernant la propagande économique entre 1945, date de la Libération, et 1962, date des Indépendances. L’historien Nicolas Bancel s’est illustré sur ce terrain historique (voir Images et Colonies pages 219- 232).

            Il apparait clairement 1) que cette analyse ne tient pas assez compte du contexte historique de la France d’après la deuxième guerre mondiale, et du nouveau monde d’alors, 2) qu’elle manifeste une carence manifeste de l’analyse statistique, économique et financière de la propagande économique de la période 1945-1962.

            1 – En 1945, la France était ruinée, ses usines avaient été dévalisées, beaucoup de villes avaient été détruites, et l’alimentation des français et des françaises était encore rationnée par les tickets d’alimentation, jusqu’en 1947.

            L’année 1947 constitue par ailleurs une date clé, puisqu’il s’agit du  début de la guerre froide, avec l’enchainement des conflits secondaires notamment en Asie, en Indochine et en Corée, puis en Afrique.

            Oublierait-on que les chars russes n’étaient pas très loin de la frontière française, et que la France avait bien du mal à sortir de la guerre d’Indochine 1945-1954, même avec l’aide financière américaine de plus en plus importante à partir de l’année 1951, la guerre d’Algérie lui succédant entre 1954 et 1962 ?

            Je serais tenté de dire très vulgairement, Français et Françaises se « contrefoutaient » alors, et comme avant, du monde colonial.

            L’historien Robert Ageron a publié au titre du CNRS un important travail d’analyse de l’opinion publique sur l’outre-mer de cette période, avec l’exploitation des nombreux sondages qui ont suivi la fin de la guerre, et ses conclusions infirment le discours tenu par l’historien. ( CNRS Colloque « Les prodromes de la décolonisation de l’Empire Français ». (4,5 octobre 1984/p,3)

            Citons une de ses conclusions : «  La connaissance de l’Outre-mer et l’intérêt porté au destin de l’Union française sont toujours restés de 1946 à 1962 le fait d’une minorité. Un quart seulement des Français portaient quelque intérêt aux informations concernant leurs territoires d’outre-mer et plus de la moitié d’entre eux ne pouvaient en 1949, donner une définition même inexacte de l’Union française. En 1962, malgré les guerres coloniales, et les indépendances, un quart de la population restait incapable de citer un seul des quinze Etats d’Afrique noire d’expression française…. »

            2 – Carence de l’analyse statistique, économique et financière :

            A lire la contribution Bancel sur la propagande économique coloniale dans les années 1945-1962, on ne peut manquer d’être frappé   par ses carences statistiques, tant sur la mesure des vecteurs de propagande  analysés (clichés et brochures) que sur les budgets de l’Agence de la France d’Outre-Mer ou que sur les procédures, mécanismes financiers, et volumes des crédits attribués aux plans de développement de l’outre-mer.

Les lecteurs pourront se reporter aux analyses que j’ai proposées à ce sujet à partir du livre de François Bloch Lainé.

            Il est évident que ce type d’analyse manque de pertinence historique et que l’auteur n’a pas su résister à ses pulsions idéologiques postcoloniales.

            Un seul petit exemple, à la page 224 de ce livre d’images, un paragraphe intitulé :     « La propagande comme masque »

                                   « L’hégémonie de la propagande coloniale »

            Comment est-il possible d’oser proposer de tels titres, alors qu’il s’agit cette fois de vraie propagande postcoloniale made in Blanchard and Co ?

             Jean Pierre Renaud

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (B) – Propagande coloniale -Les sources – le Colloque de janvier 1993

Propagande coloniale  5 (B)

Le Colloque de janvier 1993

L’historien Meynier y signa une contribution intitulée « Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux guerres. »(C,p,41)

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c’est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C,p,41)

Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Notons que la communication limitait sa réflexion « dans le cas algérien principalement ».

            L’historien notait : « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale.  (Sans autre précision, ni évaluation)…

            Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C,p,43)

            Quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. »(C,p,48)

       Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, le grand historien, à l’exemple d’autres, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire postcoloniale ?    

    Sans oublier que l’historien visait le cas algérien, un exemple de l’importance de la « matrice » algérienne très influente qu’a décrite récemment l’historien Vermeren dans le livre « Le choc des décolonisations ».

            La conclusion du Colloque (C,p,141) rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens, Gilles Manceron et Jean-Barthélémi Debost, que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches Elle conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs  effets :

                « Image et propagande

            Autres questions :

                « « Quand y-a-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. »(C,p,145)

Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée. Comment enfin ne pas évoquer au sujet de la presse un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux, en province ou ailleurs,  les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Je ne résiste pas à vous conter une anecdote professionnelle qui concerne la Lozère et son classement en Zone Spéciale d’Action Rurale dans les années 60.

            Nous avons vu débarquer un jour un journaliste du Monde qui venait faire un papier sur le cas de ce département. Quelle n’a pas été notre surprise de voir ce professionnel être venu comme un  réalisateur de cinéma prendre tout simplement le décor d’un article déjà écrit à Paris !

            Dans le livre Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé « L’organisation de la propagande » :

            Dans l’introduction de l’ouvrage, l’historien Blanchard n’avait pas fait dans le détail, en décrivant  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public et en écrivant comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. (IC,p,8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier manifestait une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC,p,113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analysait successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies y restait modeste. Il donnait un sous-titre évocateur à la suite de son analyse :

         « Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse »passage où il notait « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emportait. (IC,p,121)…

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse » (IC,p,123)

Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. « (IC,p,124)

Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

          Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée « La propagande économique au cours de la période 1945-1962 » pour trois raisons :

            – Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. » (IC,p,222)

Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant méthodiquement et non superficiellement la presse ?

            – Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après-guerre. » (IC,p,222) « L’hégémonie de la propagande coloniale (IC,p,224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites » (IC,p,227) « Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande. » (IC,p,229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires française son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès » (IC,p/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            Précisons par ailleurs que cet effort financier n’aurait pas été possible en l’absence du Plan Marshall !

            – Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec le contenu de la suivante.

JPR –  TDR

Propagande postcoloniale contre propoagande coloniale ? « Fragments du jeu académique postcolonial » par Vincent Chambarlhac

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

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La sirène ACHAC/BDM

« Fragments du jeu académique postcolonial (à propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine, ACHAC)

Vincent Chambarlhac – CAIRN INFO

            « Pour emblématique qu’il soit, le débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 vaut palimpseste, effaçant parce que le réécrivant le texte des polémiques intellectuelles qui contribuèrent à la structuration de la controverse coloniale. Partant, il ne s’agit pas pour autant de restituer un sens caché à ce débat (1), mais plutôt d’évoquer à grands traits un faisceau de pratiques universitaires, éditorialistes et militantes qui concourent à cette structuration dont le nœud gordien serait le lien tissé entre le passé colonial et le présent républicain. Soit l’irruption  des postcolonial studies dans le champ académique. Si l’essentiel de mon propos vise à restituer à une part des acteurs de ce débat leur rôle singulier, le politique dans sa version parlementaire et partidaire demeure en hors-champ de l’analyse. Dans la genèse intellectuelle du débat, ces jeux d’acteurs se saisissent à mes yeux dans l’horizon du postcolonialisme comme enjeu conceptuel simultanément universitaire et militant, à l’orée des années 1990 dans le monde anglo-saxon (2), aujourd’hui en France. Embrasser l’ensemble du champ français du postcolonialisme outrepasse évidemment le cadre de cet article : il se restreint à la part active prise dans le développement de ce champ par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et plus largement le collectif qu’est l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC) dans son lien avec l’histoire contemporaine. Dans l’historiographie française, leurs publications, et les stratégies qui les animent, constituent à mes yeux une part des débats en cours sur le postcolonial.

            L’hypothèse d’un transfert culturel ouvre l’analyse : elle n’est pas inédite, reprend un argument souvent brandi dans les débats. Cette hypothèse débouche sur la saisie de deux logiques complémentaires. L’une se situe aux confins des pratiques universitaires et médiatiques ; elle désigne autant un projet qu’une manière de se situer dans le champ de l’histoire universitaire. La seconde désigne l’appropriation politique de la problématique postcoloniale dans l’espace public, et postule que celle-ci participe de l’inscription du postcolonial dans le jeu académique. Toutes deux signalent des lieux et des passeurs par quoi et par qui les débats adviennent, se structurent et s’arriment au champ historique dans la récurrence des polémiques.

L’HYPOTHÈSE D’UN TRANSFERT CULTUREL

        «Sur le fond, ce qui se joue dans ce débat sur le fait colonial tient à ce que l’histoire de ce passé fait aux universaux républicains. Cette position travaille finalement peu le monde colonial : seule importe la métropole. Lié au présentisme des enjeux mémoriels, ce questionnement de la République à partir du fait colonial convoque les apports des postcolonial studies anglo-saxonnes. Ce mouvement, qui commence à partir du débat des années 1990, se déploie à partir de la culture comme objet. Significativement, l’une des premières manifestations de cette irruption des problématiques des postcolonial et cultural studies dans l’historiographie française est la longue recension que Christophe Prochasson donne de l’ouvrage d’Hermann Lebovics pour les Annales HSS (3) ce livre est finalement traduit chez Belin en 1995. Pour Christophe Prochasson, « le retour à une histoire politique passe par la publication » de tels ouvrages (4). C’est dans la conjoncture du renouvellement de l’histoire politique par l’histoire culturelle que se déploient l’appel aux travaux anglo-saxons et, dans le cas présent, la question du postcolonialisme. La situation peut se lire dans la problématique de l’appel au profane : en recourant aux travaux anglo-saxons, une partie des historiens français se distingue dans la reconfiguration en cours du champ historiographique par l’histoire culturelle (5)…

        On peut ainsi risquer l’hypothèse, à propos de la question coloniale, d’un transfert culturel paradoxal… L’irruption des thématiques propres au postcolonial studies bouscule en partie l’histoire du fait colonial naguère pratiquée à partir de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Déplaçant sur le sol métropolitain la prise en compte du fait colonial, elle fragilise l’équilibre des découpages jusque-là dominants où l’histoire coloniale occupait un secteur historiographique marginal.(6) Cet appel au profane présuppose l’hybridation des synthèses prévalant, multiplie les controverses possibles puisqu’elle postule dans la trame du national (réduite spatialement au métropolitain) la part du colonial, soit l’argument emblématique des racines coloniales de la république au sens de l’histoire politique.(7)…

          Ici, le rôle de l’ACHAC et des publications qui lui sont liées paraît déterminant. Son action se déploie à la charnière de ces deux logiques. L’une est militante et universitaire ; éditoriale la seconde se marque davantage à partir de 2003 des  signes propres au spectaculaire. Cumulées, ces logiques concourent simultanément à la légitimation universitaire d’une part des travaux d’un collectif au titre du postcolonialisme, et à l’évidence prescriptive de ces thématiques dans l’espace public. Dans son rapport à la société, l’historien parait ici thaumaturge puisque légitimant scientifiquement les nécessités d’une politique de la reconnaissance ; dans son rapport l’historiographie, l’historien paraît là challenger. La possibilité des polémiques et l’impossibilité des controverses naissent de ce positionnement singulier. » (11)    

         Commentaire :   

         Ce quime frappe dans cette analyse fort intéressante du type de problématique historique ou mémorielle rencontrée,  de la nature d’historicité racontée, c’est en arrière-plan, la question d’une historicité légitimée par sa scientificité, et dans le cas présent sa représentativité, sa validation dans une histoire quantitative dans le contexte historique métropolitain de la période coloniale, dénombrement des vecteurs et de leurs effets, mesure de la mémoire « coloniale » post-indépendance,  et d’un transfert supposé entre populations.

        Transfert culturel ou politique, pourquoi pas, mais comment en effet tirer une conclusion, une prescription, à partir du moment où les historiens, les sociologues, les anthropologues, les politologues, et ici les sémiologues, « bâtissent » une histoire ou une mémoire, en fondant   interprétation, mais pis, « prescription », sans évaluation scientifique des sources de validation ?

       Car, tel est bien le cas du discours pseudo-historique tenu par ce collectif.

        Les lecteurs de ce blog qui ont eu la curiosité de lire mes analyses des œuvres d’Edward Said, ont constaté que je posais la question de base du « quantitatif », à savoir si les « structures d’influence » supposées avaient été effectivement mesurées. Indiquons en passant que les travaux d’Edward Said se situent à un autre niveau d’exigence intellectuelle que ceux de ce collectif.

        L’auteur poursuit :

       « Une trajectoire historiographique

        L’ACHAC participe depuis 1989 d’une manière souvent déterminante à la promotion du concept de culture coloniale. La structure de l’association articule le monde de la recherche (Bancel, Blanchard et alii), des écrivains (Daeninck), des cinéastes et des artistes militants, et reproduit en partie la morphologie anglo-saxonne des postcolonial-studies. Son action repose sur des supports variés : l’exposition, le livre, l’article, le documentaire vidéo, la radio…  A l’ACHAC, on peut adjoindre, au moins pour son savoir-faire l’agence les Bâtisseurs de mémoire créée par Pascal Blanchard qui considère l’histoire comme un vecteur de communication au service des entreprises. Les travaux de l’ACHAC ont graduellement balisé l’irruption des thématiques postcoloniales. Ils se déportent progressivement de l’Afrique à la métropole, interpellant alors la République par le biais de la question coloniale. »

         Commentaire :                  

       Le texte ci-dessus est intéressant parce qu’il pose  plusieurs problèmes : – sur le qui fait quoi entre l’associatif, ou le public, et le privé, c’est-à-dire sur le mélange des genres, d’autant plus que Pascal Blanchard était répertorié dans un laboratoire du CNRS de Marseille ?

  • Sur le sens à donner à la dernière phrase sur le déport progressif de l’Afrique à la métropole… par le biais de la question coloniale »   

      A proprement parler, le déport n’a pas été fait de l’Afrique à la métropole, mais de la métropole à la métropole, à partir d’un corpus de représentations coloniales diffusées en métropole, des représentations qui n’avaient pas été manipulées par le Colloque savant de janvier 1993, comme le fit l’ACHAC.

        L’auteur découpe trois étapes :

       « Trois étapes marquent ce processus

        Dans une première phase, les travaux de l’ACHAC procèdent de la mission fondatrice de l’association, organisant autour de la bibliothèque de documentation internationale (BDIC) et de ses fonds des expositions sur l’Afrique coloniale. Le choix d’une entrée par la culture coloniale implique l’étude des représentations métropolitaines sur le fait colonial. Le catalogue d’exposition prend ainsi comme cible la propagande coloniale, mais aussi dans le sillage d’Edward Said, le regard des Occidentaux sur l’Orient, et ce jusqu’en 1962. L’empire colonial français fut également en 1997, l’objet d’une exposition.

       A partir de ce capital, une inflexion décisive se dessine avec la publication d’un ouvrage collectif consacré aux zoos humains. Ici, la traduction spatiale s’achève. La métropole seule importe comme cadre géographique des représentations coloniales, et la séquence chronologique embrassée par le titre (De la Vénus hottentote aux reality shows) signifie la pertinence d’une grille de lecture postcoloniale. Ce travail sur les zoos humains fut préparé par la publication d’un ouvrage portant sur la continuité de l’indigène à l’immigré. Les travaux d’Abdelmalek Sayad innervent cette problématique. L’essentiel de cette translation tient à sa dimension anthropologique où les représentations du corps, ses usages, deviennent le lieu déterminant de l’analyse. La problématique se noue à la discrimination positive, où le corps vaut marqueur social ; elle établit également un pont avec la question de l’esclavage. Au cours de cette seconde étape, l’approche s’institutionnalise scientifiquement par la création du groupe de recherche GDR CNRS 2332 « Anthropologie des représentations du corps » créé en janvier 2001 dans lequel entre l’Agence des Bâtisseurs de mémoire, représentée par Pascal Blanchard et Eric Deroo. Au cours de cette seconde étape, les problématiques employées se resserrent, à partir du concept de culture coloniale, sur la question du rapport à la métropole en termes de représentations. Les objections de Claude Liauzu à ces travaux désignent cette réduction du fait colonial au seul registre des représentations métropolitaines. A ce stade également, l’argument de la culture coloniale s’entend dans la configuration plus ample du succès d’une histoire des représentations dans le champ historique où Sylvain Venayre décèle la fin de la soumission du monde mental au social. Le propos de Claude Liauzu procède en partie du refus de cette fin, comme d’une historiographie aux paradigmes érigés avant le tournant culturaliste.

        La troisième étape voit la systématisation de cette entrée sur le fait colonial maintenant placé au cœur du récit national républicain. L’argument d’une République coloniale publié sous forme  d’essai prolonge la trilogie des Editions Autrement sur la culture coloniale. La publication en 2005 de l’ouvrage consacré à la culture coloniale clôt momentanément cette étape. Avec ce dernier opus, la grille postcoloniale se donne comme une clé d’explication possible de la question sociale contemporaine…Cinq ans plus tard, le volume Ruptures coloniales. Les nouveaux visages de la sociétéfrançaise  procède du même mouvement…

            Cette relecture de l’histoire politique au miroir du colonial emprunte nombre de ses arguments au questionnement des colonial studies anglo-saxonnes comme en  témoignent les entrées de Ruptures postcoloniales. Les racines intellectuelles d’un collectif s’affirment face à la polémique dans le champ scientifique ouverte par l’irruption de ce postcolonialisme académique.

      Ainsi ramassée, cette trajectoire historiographique nouée autour des publications de Nicolas Bancel et de Pascal Blanchard montre comment ceux-ci peuvent apparaître comme des passeurs dans le cadre d’un transfert culturel des problématiques postcoloniales. Peu à peu autour de leurs publications, s’ébauche un système éditorial qui construit progressivement leur position dans le champ universitaire à partir d’une critique sans cesse plus resserrée des représentations républicaines. En ce sens, leurs travaux s’apparentent à l’émergence d’une nouvelle génération de  chercheurs légitimant ces nouveaux champs de recherche par l’appel aux cultural studies. Les controverses universitaires suscitées par ces travaux construisent également par leur médiatisation, la réputation de ces chercheurs. Cette stratégie part des marges de l’institution universitaire (l’ACHAC, l’agence les Bâtisseurs de mémoire), elle trouve des points d’appui dans le monde universitaire anglo-saxon et se nourrit de chantiers proches tel celui de l’esclavage pour proposer in fine une autre écriture du récit républicain. Ce système éditorial ne set pas seulement cette position historiographique. La stratégie qui anime son progressif développement structure pour  partie la réception des problématiques postcoloniales dans l’espace public, ouvrant ainsi intellectuellement la voie à une appropriation large de ces travaux, questionnant le rôle social de l’historien dans la CitéLes enjeux politiques de l’histoire coloniale (de Mme Coquery-Vidrovitch , sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard ne cessent ainsi de scander dans l’espace public la question du postcolonialisme depuis 2005. Nécessairement celle-ci n’est donc pas uniquement académique, accolant ainsi systématiquement à la figure du chercheur celle du militant. L’assomption des propositions historiographiques de l’ACHAC tient à ce moment politique où la colonisation est convoquée dans l’espace public.

             Commentaire :

             Comparé à ces historiens entrepreneurs d’un nouveau genre, et pour les initiés, l’historien Lavisse était un ange !

        Il faut dire les choses, et pas à demi-mot, face à beaucoup de ces chercheurs qui ignorent beaucoup de choses, sur l’histoire coloniale et postcoloniale, mis à part le cas de l’Algérie, grâce, entre autres, au zèle médiatique et mémoriel de Benjamin Stora, animateur du modèle de propagande des Raisins Verts, que j’ai qualifié ainsi dans une de mes chroniques, l’agit prop d’un nouveau Trotskisme, faute de l’autre !

        Est-ce qu’ils ne sont pas définitivement fâchés avec les chiffres, ceux de l’histoire quantitative ? Ont-ils eu la curiosité, comme je l’ai fait, de tenter de mesurer l’activité des vecteurs d’une culture coloniale supposée, ainsi que de leurs effets qui n’a jamais existé ?

        Histoire, mémoire ou plutôt politique, car ce collectif fait semblant d’ignorer l’importance des flux d’immigration régulière et irrégulière qui sont venus dans notre pays depuis près de trente années, dont une majorité d’entre eux ignoraient presque tout de leur histoire coloniale.

         Il faut donc dire que ce collectif surfe depuis le début sur un créneau politique nouveau, un nouveau « marché », comme les analyses sérieuses l’ont démontré, en pratiquant un mélange des genres entre associatif, public et privé, surprenant et choquant pour tout connaisseur des affaires publiques.

       Le nom de baptême que l’auteur a décerné à Mme Coquery-Vidrovitch m’est allé droit au cœur : « sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard », car il s’agit bien d’une « sorte de guerre » masquée, qui ne dit pas son nom, mais qui sait y faire dans la marchandisation de l’histoire, à supposer quand même qu’il s’agisse bien d’histoire.

      Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale; le livre « Images et Colonies » – II

II – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies

Les contenus

      Une première question se pose évidemment quant à l’objet de cette publication, alors qu’à lire celui de l’association Achac son objet est différent, « L’Afrique contemporaine », et qu’il s’agit ici de la métropole, et  non de l’Afrique.

         Sous la signature de Pascal Blanchard, ce dernier fait état d’un chiffre  de plus d’un million d’images qui auraient été analysées, et la BDIC indique qu’elle a mobilisé plus de 20 000 images de presse et d’images de propagande.

       Nous reviendrons sur les chiffres du postulat de l’échantillon «supposé », car il s’agit d’un postulat postcolonial qui n’a pas été démontré, ni au Colloque, ni dans cet ouvrage, alors qu’il s’agit d’une des sources majeures du débat.

     L’ouvrage contient un ensemble de contributions souvent intéressantes sur le thème choisi, rédigées par de nombreux chercheurs connus ou moins connus, sinon, inconnus, mais peu de dénombrements d’images par thème et par chronologie.

       Sauf exception, les auteurs ont simplement donné quelques chiffres des images et des illustrations d’images qu’ils ont choisies, avec une numérotation.

         Il est important de proposer une synthèse de ces contributions, d’en préciser les enjeux et les limites, étant donné la place que ces travaux de recherche historique  a occupée dans la préparation du Colloque de janvier 1993.

        La lecture des Actes du Colloque, de même que celle de ce livre, fait apparaître de nombreux écarts d’interprétation entre leurs contenus et les présentations qui en sont faites par les animateurs de l’Achac, et encore plus avec le contenu des thèses du modèle de propagande postcoloniale Blanchard and Co développées plus tard dans leurs livres.

       Ces écarts de méthode historique, sémiologique, et statistique, pour ne pas dire biais ou détournements, méritent d’être relevés et contestés sur le plan scientifique.

       Cet important travail de documentation effectué par l’Achac et la BDIC, mais pose en effet de multiples questions de méthode, compte tenu du ou des postulats de recherche posés et de leur interprétation historique, notamment celle proposée par les animateurs de l’Achac.

Résumons ces questions de méthode :

Le postulat implicite retenu : ces images « coloniales » seraient représentatives des situations de culture coloniale ou impériale des Français et des Françaises de métropole entre 1880 et 1962, date des indépendances des colonies, des situations historiques crées par la propagande coloniale, selon le déroulement chronologique ci-après :

     I –  Exploration Conquête Exotisme (1880- 1914) (p,15 à 72)

     II – Quand les Africains combattaient en France (1914-1918) (p,72 à 96)

     III – L’Apogée coloniale (1919-1939) (p, 96 à 184)

     IV – L’enjeu impérial (1940-1944) (p,184 à 218)

      V – Propagande économique Décolonisation (1945-1962) (p, 218 à 264)

      VI –  Autres regards (p, 266 à 288)

Un échantillon représentatif des situations historiques ?

S’agit-il d’un échantillon représentatif des situations culturelles décrites ? Première question clé, et si oui pourquoi ne pas avoir indiqué comment cet échantillon a été déterminé ?

       Quelle est la cohérence statistique de cet échantillon ? Les corpus d’images présentés sont- ils représentatifs des réalités historiques décrites dans leur contexte chronologique des années 1880-1914, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962 ?

       Faute d’explications par les auteurs de cette documentation, nous avons considéré que l’ensemble des images constituait aux yeux des chercheurs qui ont piloté la sélection l’échantillon représentatif en question, et c’est donc cet échantillon qui va faire l’objet de notre examen.

      Il s’agit d’une imprécision méthodologique qui ébranle sérieusement les leçons de cette histoire postcoloniale supposée quantitative.

        La pointe d’un iceberg : cet échantillon propose une image paradoxale du domaine colonial, car les « coloniaux » en séjour ou de passage, et quelle que soit leur catégorie sociale ont laissé un héritage très important d’images et de mémoires, dont le dénombrement n’a rien à voir avec ce type de sélection centrée sur la métropole.

       Un effet de loupe, d’autant plus que beaucoup des discours historiques proposés sont souvent très indigents en ce qui concerne le dénombrement des vecteurs de culture examinés, leur « tirage », leur diffusion, et encore moins en ce qui concerne leurs effets dans l’opinion publique. Au Colloque, Mme Hugon avait évoqué ce type d’effet.

       En d’autres termes, leur thèse est hypothéquée par un effet de loupe que de jeunes statisticiens pourraient mettre en évidence assez facilement.

       Quel impact ? Que dire de la mesure des effets de ces images sur la culture des Français et des Françaises que cette documentation ne permet aucunement d’éclairer, avec le trou béant de la presse ?

      En quoi, l’échantillon supposé représentatif des images coloniales de l’époque permet-il de répondre aux questions posées ? Dans quelques cas seulement !

        L’ignorance de la sémiologie : à supposer que les corpus proposés soient considérés comme des éléments d’un échantillon sui generis, il est également tout à fait surprenant que les chercheurs-auteurs des contributions se soient lancés dans toutes sortes d’interprétations, sans faire appel à des sémiologues.

       L’histoire des images pourrait se passer de cette nouvelle discipline, de l’héritage d’un Barthes sur les signes ?

        Le champ géographique de la thèse historique proposée : à lire l’ensemble de ces contributions, s’agit-il de la métropole, de l’Europe, ou encore de l’Occident ? Ou tout simplement de la France métropolitaine ?

         Dans la présentation générale de l’ouvrage figure par exemple cette phrase en forme d’une conclusion qui ne manque pas d’ambition : « Les découvrir aujourd’hui, permet de réfléchir sur les rapports complexes que l’Occident entretient avec ce continent. »

      Nous mettrons en évidence les écarts d’interprétation entre le commentaire de présentation qui est fait par les chercheurs de l’Achac et le contenu de la plupart des contributions qui figurent dans cet ouvrage important, alors que  certaines d’entre elles nuancent très sérieusement leur discours ou même le contredisent clairement.

        Il en a été de même, comme nous l’avons déjà vu, entre la présentation Blanchard-Chatelier du Colloque de 1993 et le contenu des Actes du Colloque eux-mêmes.

       Nous allons revenir rapidement sur les chiffres, l’interprétation, les écarts de lecture historique entre les commentaires de présentation de type Achac et le contenu des contributions.

     En premier lieu, les chiffres de l’ « échantillon » ou le comment ? :

      Alors que ces données sont capitales pour interpréter les corpus des images proposées, la lecture des deux sources citées ne permet pas de connaître la méthode choisie pour sélectionner les images, les critères retenus, période par période, pour chaque champ géographique, et pour chacun des thèmes.

      Dans leur introduction aux Actes du Colloque, Pascal Blanchard et Armelle Chatelier écrivaient : « L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème siècle révèle un volume d’images très important dont l’estimation reste à faire… Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français…. Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (pages 13,14)

        J’ai souligné les mots qui font question !

        De la prudence donc quant à « l’estimation », la même année que la publication de cet ouvrage, alors qu’à la page 8, Pascal Blanchard écrit :

       « … Son groupe de recherche (Achac) a  recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire… » ) 

        Dans leur introduction, Nicolas Bancel et Laurent Gervereau écrivent :

     « Douze mille images sélectionnées ont permis une clarification méthodique des thèmes et des supports, étape indispensable pour dresser une histoire des représentations coloniales. » (p,10)

     Question : les images reproduites dans l’ouvrage pour chacune des périodes et pour chaque thème analysé correspondraient à un échantillon représentatif, au moins par période chronologique ?

      L’ouvrage compte, sauf erreur, 671 reproductions d’images, 167 pour la première période, 56 pour la deuxième, 215 pour la troisième, 66 pour la quatrième, 108 pour la cinquième, et 59 pour la sixième.

     Les deux animateurs de la production proposent, à eux deux, hors leurs textes de présentation ou de conclusion, plus du quart des textes et des images : 76 pages de texte (soit 27% du total) et 168 images (soit 25% du total).

     Dans sa contribution, Pascal Blanchard propose une analyse de la propagande coloniale au temps de l’occupation allemande et ne consacre qu’une seule page à la presse de cette époque. Nicolas Bancel tente de décrire la propagande économique pour la période 1945-1962, mais en faisant une assez large impasse sur les chiffres, le cadre tout à fait nouveau du FIDES, et le fait que l’outre-mer avait basculé dans un monde nouveau.

     Pourquoi ne pas noter que dans la liste des exercices de démonstration d’une propagande coloniale qui aurait immergé la France dans un véritable « bain colonial », Sandrine Lemaire, historienne et propagandiste postcoloniale de la propagande coloniale dans les livres ensuite publiés est aux abonnés absents ? Elle ne figurait d’ailleurs pas dans la liste des participants au Colloque.

     Le thème de propagande coloniale ayant été au cœur de la démarche, il convient de noter d’ores et déjà que les contributions de deux historiens sérieux, Charles-Robert Ageron et Gilbert Meynier, tempèrent sérieusement le discours Blanchard-Bancel, pour ne pas dire le contredisent.

      Le rôle que le livre scolaire a pu jouer dans l’éducation coloniale des enfants a fait l’objet de contributions d’autant plus intéressantes qu’à la différence des autres contributions, elles sont riches en chiffres, lesquelles ne concluent pas à un effet propagande.

      Est-ce que les nombreuses pages de Pascal Blanchard sur « L’enjeu impérial », c’est-à-dire la période de Vichy de trente mois, puis l’Occupation Allemande complète du territoire, ne vient pas, historiquement, démontrer le contraire de ce que l’auteur a voulu démontrer : est-il possible de raisonner comme s’il y avait eu une continuité entre la Troisième République et Vichy, entre une propagande républicaine « anémique » et une propagande dictatoriale fasciste et allemande ?

    L’analyse de la presse pendant la période coloniale n’a quasiment fait l’objet d’aucune contribution chiffrée et argumentée, alors que le vecteur en question était un des rares à pouvoir faire l’objet d’une évaluation des effets d’une propagande coloniale supposée, dans la presse nationale et provinciale, avec leur nombre d’articles par période chronologique, en colonnes et en surfaces, en contenus, etc…

      Il s’agit à mes yeux, et comme je l’ai relevé à maintes reprises, d’une des grandes lacunes de l’histoire coloniale et postcoloniale qui s’est cantonnée le plus souvent dans l’histoire des idées ou des faits, sans aborder l’histoire quantitative.

     Indiquons enfin que l’ouvrage contient deux contributions au contenu fort intéressant sur la sculpture et la peinture illustrée de belles images que n’importe quel expert aurait sans doute de la peine à classer dans la catégorie de la propagande coloniale.

     Comme nous l’avons indiqué, nous proposons un tour d’horizon de classement rapide et synthétique des pages de l’ouvrage, en mentionnant à chaque fois, si leur contenu est intéressant : Intérêt – i = oui-non – marqué par l’exotisme – ex = oui-non – marqué par la propagande – Prop. = oui-non – ? –

     Le lecteur pourra constater que la mention Prop.=oui  est plutôt rare, alors qu’il s’agit d’une des pièces maîtresses de leur thèse.

      Question : histoire méthodique ou manipulation idéologique ?

        Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? « L’enjeu impérial 1940-1944

V – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

IV L’enjeu impérial 1940-1944 (p, 184 à 218)

34 pages et 60 images

Avant-propos

            Il est Inutile de rappeler qu’à partir de l’année 1940, la France était entrée dans un autre monde historique, celui d’une France occupée, sous le joug de la propagande d’une dictature allemande.

         Le concept d’Empire, de même que le qualificatif d’ «impérial » utilisé par les deux historiens Blanchard et Bancel ont un caractère ambigu. 

         Il convient de rappeler aussi que les deux mêmes historiens, chevilles ouvrières de la collecte, du choix,  et de l’interprétation des images coloniales sont les auteurs ou co-auteurs, hors présentation ou conclusion,  de 28% des pages, et de 25% des images de ce livre.

        Pascal Blanchard Gilles Boëtsch – «  La Révolution Impériale Apothéose coloniale et idéologie raciale » (p,186 à 214 – 34 pages et 60 images)

          Le lecteur a sans doute été surpris de lire sous la plume d’un historien le mot « apothéose », synonyme de déification, ou de triomphe, alors que la France était sous la botte allemande.

         Indiquons par ailleurs que la thèse de l’auteur a porté en grande partie sur cette période et sur l’extrême droite française, en privilégiant le cadre géographique et historique de la France du sud-est.

       Il est dommage que l’historien qui avait alors commencé à défricher le domaine de la presse, le seul vecteur où il était relativement facile de dénombrer les effets de la propagande coloniale, n’ait pas orienté les recherches ultérieures de son collectif sur ce domaine d’évaluation capital.

         Pour avoir consulté sa thèse et analysé le texte actuel, il est évident que le collectif de chercheurs devait aller plus loin dans cette direction, c’est-à-dire procéder à un travail approfondi d’évaluation des tirages comparatifs des journaux, des pages consacrées aux thèmes coloniaux, en termes de surface ou de colonnes, avec  leur chronologie.

        « L’Empire à la croisée des destins » (p187)

         « C’est bien à un véritable contrôle de l’image, directement organisé par l’Etat, que nous assistons sous Vichy… Très vite l’actualité coloniale s’est imposée dans  l’imaginaire des français d’alors… (p,188)

        Et plus loin : « …Avant de porter un jugement sur la réalité d’une politique coloniale cohérente de Vichy, il faut se  souvenir que l’Empire et ses 60 millions d’habitants ne sont restés sous l’autorité de l’Etat français que trente mois.. » (p,189)

        Ah bon ? Et sans compter les bouleversements crées par la défaite et l’exode de 1940 ?

         Les supports de la propagande d’Empire (p,189)

        Apologie impériale dans la presse et sur les ondes radiophoniques

       … « Entre 1940 et 1944, la presse va largement promouvoir le discours sur l’Empire du nouveau régime, avec de nombreuses rubriques coloniales, régulières ou épisodiques, plus nombreuses qu’avant-guerre (voir l’encart sur « La presse et l’Empire ) » (p, 191)

      … « La propagande de Vichy est beaucoup plus volontariste que celle mise en place sous la République de l’entre-deux guerres. Nous assistons à un véritable matraquage en France comme dans l’Empire… » (p, 193)

        « Matraquage » le mot est-il approprié historiquement ?

       « L’idée coloniale sur les écrans français » (p,194)

       … «  L’ensemble de cette production entre 1940 et 1944 est sans grand éclat, du moins sur le thème colonial, et le discours officiel est peu présent… »(p,194)

       « Entre 1940 et 1944 » ? Dans la continuité historique ?

        L’auteur continue son inventaire des vecteurs de propagande, mais sans que l’on soit plus éclairé sur leur importance et leurs effets.

        … «  Les apothéoses impériales

        De la Semaine à la Quinzaine (p,201)

       … Le petit train de l’Empire … Le train exposition colonial fut une manifestation de propagande de grande ampleur organisée par le Secrétariat d’Etat aux Colonies, dans le cadre de la Semaine de la France d’Outre-Mer en 1941, puis de la Quinzaine impériale en 1944. En 1942, il circule de début mai à à fin juillet, s’attachant à toucher en priorité les jeunes (50% de son public). Visité par plus de 122 000 personnes, il dégage près de 350 000 francs de recettes (voir les listes déposées aux Archives Ansom n° 513) » (p, 203)

       L’auteur continue de préciser : « Ce périple va durer jusqu’au 27 juin 1944, après trente étapes et 113 000 visiteurs… » (p, 204)

     Commentaire : comment ne pas rappeler que la France avait été totalement occupée le 11 novembre 1942, après le débarquement allié d’Alger, que la Bataille de Midway dans le Pacifique avait donné l’avantage aux Etats Unis en juin 1942, que l’armée allemande avait été battue à Stalingrad en février 1943, et qu’un débarquement allié avait eu lieu le 6 juin 1944 ?

       Dans quel type de « bain » historique  sommes-nous  plongés ?

       L’auteur souligne ensuite les caractéristiques racistes de la propagande de Vichy, mais que faut-il en tirer, une fois de plus, dans notre débat ?

        « Les lendemains de la Révolution impériale

       « Pendant ces quatre années dramatiques, l’Empire fut certainement pour les Français un exutoire, un espoir pour l’avenir et une consolation. Puis après cette période de propagande incessante, de lutte pour la plus grande gloire de l’Empire…on retrouve fin 1944, la reprise par la République, d’un discours propagandiste sans réelle rupture quant à la forme avec les années précédentes : l’idée coloniale atteint alors son paroxysme en métropole. Gavés de la loyauté de nos « indigènes »…mais très vite, les Français de métropole retrouvaient leurs sentiments et leur indifférence pour cette Union française qui leur semble bien loin de leurs préoccupations du moment… » (p,210)

Commentaire :  j’ai souligné quelques-uns des mots et expressions qui fleurent bon à la fois l’exagération et la fiction, pour ne pas oser le mot de faux historique. Pourquoi ne pas proposer cet échantillon de texte à de jeunes historiens et historiennes pour un exercice de commentaire  historique critique ?

       Pascal Blanchard – « La Presse et l’Empire » (p 215, page unique et zéro image) : Intérêt = ? –  Ex = non – Prop. = non

       Un exercice de démonstration méthodologique qui aurait pu être intéressant, en dépit de son absence de signification historique, si l’auteur avait procédé à l’évaluation statistique des effets supposés qu’il décrit.

         Il semble difficile d’admettre que des chercheurs  s’évertuent à décrire des effets de propagande littéraire, alors que la presse manque à l’appel comme source d’évaluation précisément des effets de la propagande coloniale.

      Eric Deroo – « Les troupes coloniales » (pages 216 à 218 – 6 images)

      Intérêt = oui – Ex=non – Prop.= ? pour l’Union Française ?

      Conclusion : pourquoi ne pas souligner que, comme par hasard, la propagande coloniale décrite au cours des deux périodes de guerre 14-18 et 40-44, à la condition sine qua non qu’elle eut l’efficacité décrite, le fut beaucoup plus que celle des trois autres périodes (1880-1919 – 1919-1939 –   1945-1962) ?

       Sommes-nous encore dans l’objet historique traité ?

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

VI – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? V – « Propagande économique et décolonisation » – VI  » Autres regards »

VI – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

V – Propagande économique et décolonisation 1945-1962 (page 218 à 264)

46 pages et 108 photos

VI – Autres regards (page 265 à 289)

        Nicolas Bancel et Ghislaine Mathy « La propagande économique » (pages 221 à 231)  (10 pages – 26 images)

        I = ? –  Ex = ? – Prop. = ? De quelle propagande s’agit-il ? Dans la continuité de celle supposée, antérieure à 1939 ?

Commentaire : cette chronique souffre de plusieurs défauts, notamment l’insuffisance d’analyse du cadre juridique et financier d’une période qui n’avait plus rien à voir avec celle de la Troisième République fondée sur le self-suffering des colonies : la France était passée à une conception fondamentalement différente des relations « coloniales», celle de Plans financés par le FIDES, avec les trois clés de financement, subvention, prêt, et avance, la clé subvention se substituant très rapidement aux deux autres clés.

      Est-ce que cette sorte de révolution aurait été possible sans le Plan Marshall ?

       Traiter d’une propagande sans évaluation des vecteurs et de ses effets dans un exercice d’analyse économique suscite naturellement plus de questions que de réponses.

        Les  auteurs écrivent : «  Il est très difficile d’établir un chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de cette iconographie de la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non  spécialisés » (p,227)

       Comment comprendre la logique de ce langage historique ?

       A  la fin de leur texte, les auteurs écrivent :

      « Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires françaises son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès. Ces images sont indissociables de ce discours sur la nationalisation de l’économie qui a débouché sur l’expérience de la planification et finit par s’imposer après les indépendances.

        Il y a actuellement coexistence entre l’universalité technique du monde  occidental et les particularités culturelles des autres civilisations qui ont aujourd’hui à faire valoir leurs réponses à leur propre devenir. » (p,230, 231)

        Comment comprendre le sens de ces expressions écrites par deux auteurs qui, après avoir déroulé un discours historique aussi imprécis que lacunaire, osent utiliser les expressions les « images… qui martèlent dans les mémoires françaises… son infériorité… » ?

      Ajouterais-je enfin qu’il m’est arrivé de m’étonner ailleurs sur les caractéristiques statistiques très hypothétiques d’un sondage effectué par le même chercheur auprès d’anciens élèves de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, afin de nous expliquer doctement, sur la base d’un pourcentage de réponses anodin, que leur recrutement avait été motivé par leur appartenance passée à des mouvements de jeunesse, entre autres sportifs ?

      Nous y reviendrons plus loin dans la quatrième partie du mouvement de réflexion , dans notre résumé à propos des sondages, qu’il s’agisse de ce dernier ou de celui de Toulouse effectué en 2005.

       Elisabeth Rabut « Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des Colonies » (p, 232 à 236 – 12 images) : Intérêt = oui – Ex = non – Prop.  =  ?

Commentaire : une analyse précise et synthétique de l’Agence des Colonies, de son historique, son organisation, et ses moyens, avec en finale une interrogation :

     « La propagande sous ses diverses formes paraît s’être développée en confondant progressivement objectifs et moyens : selon quelle chronologie ? Sur quels fondements ? Pour quelle image du monde colonial ? » (p, 235)

      Bonne question, outre celle relative à la place chronologique de cette analyse dans l’ouvrage ?

       Le lecteur trouvera plus loin, dans le quatrième mouvement de notre réflexion, une longue chronique sur la propagande coloniale, telle qu’elle a existé, et non pas comme celle décrite par Sandrine Lemaire dans les ouvrages de ce collectif.

      Jean Barthelemi Debost « La publicité” (page 236 à 240 – 13 images)   :

      Intérêt = oui – Ex = ? – Prop.  = ?

Commentaire : sommes-nous encore dans le domaine de la propagande coloniale qu’il s’agisse  de la chronologie ou du fond ?

       La sémiologie a-t-elle été mise à contribution ?

        Retenons quelques-unes des expressions utilisées : « L’image de l’Africain des vingt-cinq années (c’est-à-dire de 1945 à 1970 ?) qui ont succédé à la Seconde guerre mondiale devient terriblement complexe…On l’a vu, la publicité chérit le stéréotype… » (p,239)

       Qu’en conclure ?

     Michel Pierre – « L’Afrique en bande dessinée (pages 241 à 245 – 19 images) :  Intérêt = oui –  Ex = oui – Prop. = ?

        « Il n’est pas d’aventure coloniale sans production de mythes aux couleurs des rêves, sans jeux de miroir sur la réalité. Dans la formation de cet imaginaire, la bande dessinée ou plutôt les « illustrés » comme on disait autrefois a joué un rôle essentiel même s’il est difficilement mesurable. Mais on devine comment des séries américaines ou européennes, Tarzan, Jim la Jungle, Akim … ont façonné des croyances, encouragé ou suscité des vocations… » (p, 241)

       Youssef El Ftouh et Manuel Pinto « L’Image  de l’Afrique dans le cinéma » (page 246 à 249 – 6 images) : Intérêt = oui – ex = oui – prop. = ?

       Deux remarques préalables, le propos couvre la période 1895-1962, et fait concurrence à une autre chronique du même livre.

      « Des débuts du cinéma en 1895 à la fin de la période coloniale en 1962, l’Afrique noire et surtout le Maghreb, ont servi de toile de fond et de lieu d’action à plus de 250 films de fiction, des centaines de documentaires, de films d’actualités et de publicités, pour ne citer que la production française….

      Car bon nombre de ces représentations perdurent encore tant au niveau des images que de l’imaginaire… Nous vous livrons ici à quelques notes d’un visionnage toujours en cours… » (p,246)

      « Esclaves « comiques » et rayés

       Les « Africains » faut-il le rappeler ne sont pas les personnages principaux de ces films…(p,247)

       En comparaison avec le Maghreb, peu de fictions françaises seront réalisées en Afrique noire, une vingtaine tout au plus… (p,248)

      « Civiliser c’est blanchir

     En résumé, le cinéma colonial traduit de manière remarquable l’idée d’une France venant « civiliser » un continent de « sauvages » et de « barbares »….(p,249)

Commentaire : plus haut, les auteurs avaient relevé « C’est l’Indien de l’Atlas », une image qui me parait assez bien résumer cette analyse qui soulève maintes questions liées à sa représentativité et à ses effets sur le public, quant à savoir si l’Afrique et l’Africain noir figuraient bien sur ces écrans, et quant au chiffre effectivement faible des films contenant un thème africain, noir ou maghrébin.

      Les spécialistes vous citeraient le nom d’un film américain tourné aux Etats-Unis dans un décor marocain.

        Benjamin Stora, « Quelques images fixes d’une fin d’Empire » (pages 250 à 264 –  32 + 24 images) : Intérêt = ? – Ex = ? –  Prop. = ?

       VI – Autres regards (page 266 à 288)

        Les contributions publiées ne manquent pas d’intérêt, mais elles sont éloignées de l’objet principal de l’ouvrage, à savoir la question de savoir s’il y avait bien une propagande coloniale en France, et si oui quels en ont été les moyens et les effets.

      L’image d’introduction de la partie VI du livre, le choix d’un dessin du journal satirique  l’Assiette eu Beurre (1902) est déjà tout un symbole : un soldat présente à un officier deux noirs embrochés sur une baïonnette.

       Le livre « Culture coloniale » a ouvert de la même façon illustrée la « Partie I Imprégnation d’une culture » (1871-1914), page 40.

        Cette caricature figue dans la contribution de l’historien Claude Liauzu intitulée « L’iconographie anticolonialiste » (page 266 à 271 – 15 images) –absent au Colloque de 1993.

      Ce texte est illustré de nombreuses caricatures aussi horribles les unes que les autres, mais l’anticolonialisme n’a jamais été dans notre pays, en tout cas jusque dans les années postérieures à la deuxième guerre mondiale, très vivant.

          A titre personnel, j’y verrais plutôt le désintérêt que manifestait une fois de plus l’opinion publique à l’égard des sujets coloniaux, beaucoup plus  qu’une adhésion au colonialisme qu’il fallait combattre : le mot ne fut connu qu’en 1910, comme l’indique le petit livre jaune « Les mots de la colonisation » de Sophie Dulucq, Jean François Klein, Benjamin Stora, page 30 .

      « L’image de l’autochtone maghrébin » de Malek Chebel (page 272 à 278 – 16 images) – absent au Colloque de 1993

       Un texte au contenu intéressant mais qui pose à nouveau le problème de l’objet même de ce livre, à savoir : regards des Français ou regards des peuples colonisés ?, sauf à dire qu’il s’agit d’une analyse de type rétroactif, étant donné que ces images furent dans la plupart des cas inconnues des peuples colonisés.

     « Regard : Images coloniales sur l’Afrique Noire » d’Achille Mbembe (page 280 à 289 – 10 images) – présent au Colloque de 1993

         L’historien traite le sujet avec une forme de violence intellectuelle que l’on peut comprendre, en notant toutefois que son propos concerne une partie de l’échantillon d’images coloniales proposé, en acceptant les deux postulats de raisonnement suivants : 1) l’échantillon proposé serait représentatif des situations historiques visées, 2) ces images auraient marqué, par hypothèse, leurs récepteurs français.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Conclusion – Le vrai du faux ou les biais et détournements historiques d’interprétation des images coloniales ?’interprétation

Conclusion

Le vrai du faux ou les biais et détournements historiques d’interprétation des images coloniales ?

Les « manipulations historiques » ?

       A la lecture des discours des deux historiens Blanchard et Bancel, pourquoi ne ferais-je pas part d’un aveu, celui de l’impression que je ressens en permanence, celle du souvenir lointain de mes études, en particulier celui des lectures de  Pascal sur les fausses sciences, tout autant que celui de la discipline intellectuelle de mon ancien métier, car sous couleur d’affirmations gratuites, quelquefois de doute, leur prose avance masquée ?

Le débat de fond : s’agit-il d’histoire des idées ou d’histoire quantitative ?

        Il s’agit d’un thème historique que j’ai déjà évoqué à plusieurs reprises sur ce blog notamment à deux occasions, l’analyse du livre de Sophie Dulucq « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale », et auparavant, des livres d’Edward Said « L’Orientalisme », « Culture et Impérialisme », notamment avec le concept séduisant de « structures d’attitudes et de références ».

        Dans l’histoire coloniale, Jacques Marseille avait fait faire un bond de méthode historique dans ce domaine avec les livres qu’il avait publiés sur l’impérialisme français et ses résultats, et ici même Charles-Robert Ageron a introduit la mesure des premiers sondages d’opinion dans ses analyses.

         Le problème que posent à la fois les Actes du Colloque de janvier 1993 et ce livre est que leurs animateurs posent comme principe de leurs analyses et discours, un concept de postulat d’échantillon représentatif dont on ne connait ni la méthode ni les résultats : à cette lecture, on en retire évidemment l’impression qu’on « joue » avec les chiffres, car il y en a, mais sans que l’on puisse les considérer le plus souvent comme des sources d’accréditation.

     Au Colloque lui-même, deux historiennes réputées et un historien également réputé, bons connaisseurs de l’histoire algérienne et coloniale, ont avancé  comme clé d’interprétation historique « l’inconscient collectif ».

         Dans de telles conditions, un doute sérieux plane sur le caractère historique et scientifique de ces démonstrations, d’autant plus que les animateurs de l’Achac ont proposé, comme argent historique comptant des interprétations qui se sont écartées du contenu des communications publiées

Ecarts ou biais d’interprétation

Le cas des Actes du Colloque de janvier 1993

       Afin  de pouvoir apprécier la cohérence « scientifique », ou en tout cas statistique ou historique, des discours de propagande postcoloniale du modèle de propagande Blanchard end Co dans les nombreux livres qu’ils ont publiés quelques années après ce Colloque de 1993, et la publication du livre « Images et Colonies », il n’est pas inutile de rappeler en effet que dès la publication des Actes du Colloque et celle de ce livre, les animateurs de l’Achac avaient pris quelques libertés  d’écriture dans la présentation et l’interprétation de ces travaux.

       Si le lecteur a pris la peine de prendre connaissance de la sorte d’inventaire que nous lui avons proposé pour la lecture de ce livre, comme de celle des Actes du Colloque de 1993, il a  pu se rendre compte que le rôle prêté à une propagande anémique ne pouvait suffire à démontrer  qu’elle avait marqué, réussi à imprégner le fameux « imaginaire » des Français et des Françaises, à la fois pendant la période coloniale et de nos jours.

       Il faut ouvrir ce débat sur le fameux « imaginaire » cher à Benjamin Stora, entre autres, que personne n’a eu le courage de mesurer, s’il est possible de le mesurer, mais pourquoi pas ?

      J’attends toujours qu’on nous propose une analyse scientifique et statistique de notre imaginaire colonial et de notre mémoire coloniale, tout autant que de notre ça colonial, « l’inconscient collectif ».

       Revenons aux textes qui caractérisent les écarts entre la présentation et les contenus:

Dans leur introduction des Actes du Colloque de 1993, Pascal Blanchard et Armelle Chatelier, distribuaient déjà quelques-unes de leurs cartes.

       Citons quelques-unes de leurs assertions – j’ai souligné quelques mots  qui ne reflétaient ni le contenu des communications, ni les conclusions de ce colloque :

       L’image ? « Elle fut l’allié puissant du colonialisme – en tant que système et structure idéologique, économique et politique – et fut en France, le miroir dans lequel celui-ci put admirer son œuvre en même temps qu’il l’élaborait… Ces représentations, véhiculées par une multitude de supports, se sont immiscées tant dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Leurs influences nous semblent prépondérantes, puisque la grande majorité des Français n’a connu le fait colonial et le colonisé que par le prisme déformant de ces images…» (p,12)

      Les deux auteurs notent que « L’étude du thème colonial dans la production  iconographique du XX°siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation reste à faire… Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion (faux ) et qui, par conséquent (faux), ont été vues par les Français… Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports évoquent un véritable bain colonial »  (p, 13)

      .. Ce bain colonial est-il le fruit d’une volonté politique. Comment les images s’inscrivent-elles dans le cadre colonial français ? Comment ont elles fonctionné jusqu’aux indépendances ? En quoi ont elles contribué à fabriquer une certaine représentation de l’ « indigène » ou pour la période actuelle, de l’« immigré… » ?

      Il semble que ces images soient devenues des « réalités » pour une majorité de Français, qui ne doutent pas de leur véracité. » (p,15)

      Nous y voilà ! J’ai envie de dire, Maréchal nous voilà ! Comme dirait un spécialiste de Vichy !

Le cas du livre «  Images et Colonies »

Examinons successivement les biais relevés :

        D’entrée de jeu, les animateurs du binôme Achac-BDM posent leurs jalons idéologiques, avec le but évident d’orienter la lecture des contributions savantes qui y figurent dans le sens souhaité.

1 – Au dos de la couverture, une présentation générale :

       « Trente ans après les indépendances, cet ouvrage fait le bilan de l’histoire coloniale de la France à travers l’extraordinaire diversité de l’iconographie produite de la fin du XIX°siècle aux années 60…

       Rien que cela ? Le bilan de l’histoire coloniale de la France ?

       Ces images ont profondément marqué les mentalités et forgé la conscience coloniale des Français. Dès les années 20, s’organise une véritable propagande sur l’Empire : convaincre les Français du bien-fondé de la mission civilisatrice, comme lors des fastes de l’Exposition coloniale en 1931, ou magnifier le goût du raid Citroën, deviennent une priorité. L’Afrique fut essentiellement connue durant ces années à travers ces images. Les découvrir aujourd’hui, permet de réfléchir sur les rapports complexes que l’Occident entretient avec ce continent. »

      A la lecture   attentive de cet ouvrage intéressant, il est difficile d’entériner le propos que j’ai souligné.

       Autre exemple d’écriture « historique » biaisée à la page 8, sous la signature de Pascal Blanchard, sous le titre qu’appréciera sans doute tout historien qui se respecte :

2 – AVANT

« IL EST TEMPS DE DECOLONISER LES IMAGES » (page 8)

       « Pour aborder cette question nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXème siècle aux indépendances et qui s’immisçaient dans la vie sociale d’alors… Des images qui entretenaient un rapport étrange entre la fiction, la symbolique et le réel, et devenaient à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande capable de séduire un large public. Dans la continuité des écrits de Gustave Le Bon et de sa « Psychologie des foules », les propagandistes d’alors ont largement repris son slogan : « La foule pense par l’image ».

        Le nouveau roman postcolonial enchaîne : « la négation de l’autre »… le « héros blanc ». Aujourd’hui encore, ces images restent présentes dans la production iconographique. Il faut donc s’attacher à mieux connaître ces images d’hier et décoder leur pouvoir de séduction et de conviction, pour appréhender différemment les représentations actuelles de l’Afrique et des Africains….

     En effet, la majorité des métropolitains ont connu le fait colonial et les Africains à travers le prisme déformant de cette iconographie…

Des images du passé qui interpellent aujourd’hui notre conscience et qui soulignent explicitement comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande…

Mais notre réflexion ne porte pas uniquement sur le passé. Née d’une interrogation sur le présent, elle passe par l’analyse de représentations anciennes pour comprendre des phénomènes contemporains…

      Et grâce à ce tour de passe-passe, à des cartes biseautées, le nouveau roman postcolonial mêle habilement fausse science et interrogation de frère prêcheur !

3 – INTRODUCTION

Nicolas Bancel Laurent Gervereau (page 10)

       « Douze mille images sélectionnées ont permis une clarification méthodique des thèmes et des supports, étape indispensable pour dresser une histoire des représentations coloniales… (page 10)

    … ce travail permet de souligner le passage entre des images « spontanées » sur l’Afrique, à l’ère de la colonisation et des explorations, et une véritable propagande organisée après la Première Guerre  mondiale…

      … Sans chercher, ni à perpétuer une quelconque nostalgie, ni à dresser un simple procès de la colonisation, nous souhaitons que ces réflexions, ces rappels historiques, et ces décryptages d’ensembles iconographiques, permettent au-delà des outrances, une meilleure compréhension de chacun. Dans cette perspective, il nous semble plus que jamais indispensable de poursuivre ces recherches, afin de défricher le large champ des questions qui s’est ouvert devant nous. »

Commentaire : le contenu de cette introduction dénote incontestablement avec celui de la page 8 sous deux réserves méthodologiques liées au premier postulat d’une propagande coloniale organisée, et au deuxième postulat d’un décryptage des « signes » qui puisse accompagner l’analyse historique.

Conclusion générale :

     1) Les synthèses de présentation proposées ne correspondent pas au contenu des deux sources citées,

      2) Les contenus des deux sources citées correspondent à un échantillon supposé représentatif dont on ignore la méthode d’élaboration, sur la base de chiffres et de données variables et mal établis,

         3) A supposer même que cet échantillon soit effectivement représentatif, l’analyse des contenus et des statistiques d’évaluation des vecteurs de propagande et de leurs effets ne permettent pas de conclure à la pertinence des discours pseudo historiques de ce modèle de propagande.

        Cette analyse montre donc qu’en raison, soit de la carence des sources consultées et des évaluations faites, soit des biais  d’interprétation historique relevés, il existe à l’évidence un soupçon grave et concordant de manipulation historique, c’est-à-dire de propagande postcoloniale !

                Jean Pierre Renaud    –    Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Deuxième partie : les deux sources savantes, le Colloque de 1993 et le livre « Images et colonies »

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Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

Deuxième partie

Une relecture historique postcoloniale savante avec deux sources:

  • le Colloque de janvier 1993 sur le thème « Images et Colonies »
  • le livre « Images et colonies »

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Le Colloque de 1993

Organisé par l’Achac du 20 au 22 janvier 1993 à la Bibliothèque Nationale Française

             A l’origine de la thèse de ce collectif, il convient de se reporter au Colloque Universitaire de janvier 1993 (C) sur le thème « Images et Colonies » avec la participation d’une brochette d’historiens connus et reconnus. Pascal Blanchard fut l’un des deux secrétaires de la rédaction de la synthèse de ce colloque  savant.

                             Je serais tenté de dire qu’il s’est peut-être approprié les travaux de ce colloque.

          Nous verrons dans le détail les écarts d’interprétation historique qu’il  convient de relever entre les avant-propos du duo Blanchard – Bancel et le contenu des Actes du Colloque ainsi que celui de l’ouvrage Images et colonies.

          Les contributions ainsi que les très nombreuses illustrations qui figurent dans le compte-rendu de ce colloque savant, de même que dans le livre,  sont pleines d’intérêt, mais leur contenu ne permettait pas en effet d’induire que la France de l’époque coloniale baignait dans la « culture coloniale » décrite par le collectif Blanchard, dans un « imaginaire » colonial qui a leur faveur.

          Qui plus est, le thème même de ce colloque, outre son contenu historique, posait la question de l’interprétation des images avec la contribution insuffisante de la sémiologie, laquelle sauf erreur, y était absente !

         Le contenu de ces travaux ne constituait donc pas une assisse scientifique suffisante pour énoncer certaines conclusions des deux auteurs de l’introduction (M.Blanchard et Mme Chatelier) :

     « …  le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’alliée puissante du colonialisme… et que cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (Introduction Colloque, p,14)

      Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque, toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique. 

        Dans le livre « Supercherie coloniale », j’ai récapitulé la série de critiques qu’appelait ce type de discours historique sur l’ensemble des vecteurs d’une culture coloniale supposée, les affiches, les livres, les expositions, les écoles, les journaux, le cinéma… et sur leurs effets supposés dans une opinion publique jamais mesurée.

        Car telle était la critique la plus sérieuse que je formulais, l’absence de mesure, d’évaluation des vecteurs proposés avec leurs effets sur l’opinion, alors que le seul vecteur qu’il était possible d’analyser sérieusement était alors la presse.

        La thèse du collectif Blanchard ne s’inscrit en effet pas dans une histoire « quantitative » qui aurait pu la qualifier pour être représentative de son objet, de ses objets, car ils sont multiples : il s’agit de la carence de méthode la plus grave, et c’est sans doute ce qui fait sa différence avec la thèse Huillery dont tous les efforts ont porté sur une « représentativité » historique supposée dans la ligne de l’histoire « quantitative », mais sur un terrain exotique et  géographiquement localisé.

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            Afin de bien comprendre les enjeux historiques, méthodologiques, et en définitive politiques et idéologiques du débat qu’il faut ouvrir sur le discours du collectif de chercheurs animé par l’historien Blanchard, avec l’appui de l’association Achac, il est nécessaire de revenir en effet à la source, c’est-à-dire le colloque savant qui eut lieu en janvier 1993 sur le thème Images et Colonies, en consultant les Actes publiés, leur introduction (Signatures Blanchard et Chatelier), leur conclusion (Signatures Debost et Manceron), ainsi que les différentes synthèses effectuées sur chacune des catégories de thèmes retenus :

            I « Mythes, Réalités et Discours » : synthèse par Mme Catherine Alcoer

            II «  Images et Messages » : synthèse par Mme Anne Hugon

            III « Arts et Séduction » : par Mme Barbara Boëhm

            IV «  Regards croisés » : sans synthèse

            La liste des participants comptait 39 noms, pour deux tiers d’entre eux des historiens et historiennes, mais il convient de noter que la discipline de la sémiologie ne comptait aucun participant, alors que la Colloque avait l’ambition d’analyser, avant tout,  des images et des messages.

            Il est important de revenir sur ce Colloque qui a analysé des lots d’images triées et proposées, si j’ai bien compris, par l’association Achac, première étape du parcours « historique » des chercheurs qui ont publié l’important volume intitulé « Images et Colonies » – (1880-1962) » comptant près de trois cents pages de textes et d’images, souvent très belles, incontestablement un travail de collection tout à fait intéressant.

            Au cours de la deuxième étape, le collectif de chercheurs a exploité ces sources et publié la série d’ouvrages relatifs à la Culture coloniale, impériale, à la Fracture coloniale, et à la République coloniale, « apanages » supposés de notre pays.

            La question de fond que posent ces parcours historiques est celle de savoir quels étaient les objectifs de ce colloque,  (voir mes soulignés), selon les deux auteurs de la conclusion :

         « La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. L’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier. Cela implique de nouveaux débats et de nouvelles rencontres ainsi que des incursions scientifiques dans des domaines extrêmement divers qui vont de certains aspects délaissés de l’histoire politique et économique de l’Europe contemporaine, à l’ethnographie, la sociologie et l’histoire régionale, politique et économique africaine, sans oublier une prise en compte de l’histoire de l’art, de celle du cinéma, de la photographie et de la publicité et la sémiologie de l’image. C’est à ce prix que l’on pourra œuvrer efficacement pour l’histoire comme pour l’avenir. » (p,148)

        Vastes chantiers donc à ouvrir, qui n’ont pas été ouverts, et qui n’ont pas empêché ces chercheurs de s’engouffrer dans celui de « l’avenir » c’est à dire celui de l’idéologie et de l’immigration.

      Vaste ambition, vastes chantiers, lesquels reposaient sur de nombreux postulats d’évaluation, de mesure, à vérifier, et à valider, aussi bien en Europe que dans ses colonies, qui n’ont pas été vérifiés et confirmés, comme nous le verrons dans le cas français, pas plus que l’existence de « l’imaginaire » énoncé.

        Le lecteur aura donc la possibilité de se poser la vraie question, à savoir si ce type de discours n’irrigue pas plutôt une construction anachronique et idéologique, tout à fait artificielle, d’un imaginaire qui a la faveur de ces chercheurs, un imaginaire censé expliquer ce qui se passe dans certains territoires de notre pays, un imaginaire qui n’a jamais été décrit et mesuré depuis plus de vingt années.

       La lecture de ces conclusions est fort instructive car elles ne militent déjà pas pour la thèse « historique » que je viens de rappeler, fusse celle de l’introduction signée Blanchard Chatelier, en dépit des imprécisions, affirmations et questions qu’elle contient.

        Dès le troisième paragraphe de cette dernière, les auteurs évoquent la période de Vichy comme un précédent de leur analyse, une référence pour le moins ambiguë, mais à laquelle ils ont fait un sort : d’après eux, la période coloniale aurait souffert de la même amnésie que celle de Vichy : colonisation française = Vichy ?

          Ils écrivent : «  Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été lues par les Français… Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un  véritable bain colonial. » (p,14)

      La phrase soulignée est une contre-vérité alors que leur thèse souffre d’une carence généralisée de l’histoire quantitative, c’est-à-dire l’absence d’évaluation.

     Bain colonial ou non ? Telle est la question, et les auteurs écrivent :

      « Ce bain colonial est-il le fruit d’une volonté politique ? », et les auteurs bifurquent aussitôt sur les figures de l’« indigène » et de l’immigré, le véritable objectif d’une démonstration historique supposée.

      Les deux auteurs ajoutent : « Il semble que ces images soient devenues des réalités  pour une majorité de Français, qui ne doutent pas de leur véracité. » (p,14)

      Il « semble » ? Les deux auteurs nous plongent en effet dans une grande perplexité, un doute insupportable !

       Les deux auteurs posent la question : « Quel impact cette propagande a-t-elle eu ? » (p,15) 

     Alors, bain colonial, oui ou non ?  Réalités, oui ou non ?

     Les deux auteurs évoquent à la fin, « un flot d’images » « reflet des phantasmes et des peurs de l’Occident ».

     En définitive, de quelle déconstruction  ou construction historique s’agit-il ? Pour démontrer quoi ?

      Est-il question des « phantasmes » des Français ou des « phantasmes » actuels du collectif de chercheurs, car les trois textes de synthèse proposent  un certain nombre de questions méthodologiques qui ont été abordées par des participants, auxquelles aucune réponse n’a encore été apportée.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés