Les mots de la guerre du Mali

  Depuis le début de l’entrée en guerre de la France au Mali, nos dirigeants n’ont pas été avares de grands mots de la guerre, et tout autant, la plupart des journalistes.

            Hollande aurait gagné une « bataille » à Bamako ? Une guerre commentée quotidiennement par le nouveau correspondant de guerre Le Drian ? Et quelle chance pour quelques professionnels privilégiés d’avoir pu accéder au PC secret de cette nouvelle guerre !

            Les troupes françaises ont gagné des « batailles », effectué des « percées », ont déplacé leur « front », comme s’il s’agissait d’une vraie guerre, au Sahara, dans cet immense désert.

            Aujourd’hui, une nouvelle expression fait florès, comme on dit encore en français, la France mène une « guerre asymétrique », ce qui rend évidemment  la chose plus sérieuse.

            Il n’y a pas si longtemps on parlait de guérilla, de guerre subversive, révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, mais il est vrai qu’avec l’évolution technologique des outils de la guerre, les satellites, les drones, les avions…, avec les nouvelles formes de la guerre électronique, certains pourraient croire qu’on fait aujourd’hui la guerre sans mort.

Jean Pierre Renaud 

« La vie militaire aux colonies » par Eric Deroo – Lecture

« La vie militaire aux colonies »

par Eric Deroo

Lecture

            Un livre intéressant, avec de belles images, mais qui soulèvent quelques questions préalables, outre les autres remarques qu’il est possible de faire sur certains de ses chapitres, avec une grande réserve, pour ne pas dire plus, en ce qui concerne le contenu du chapitre 4 intitulé » « En colonne ». (page 64 à 112). Nous en donnerons les raisons.

 Il contient une introduction « Militaires et photographes » et sept chapitres intitulés : Au-delà de Suez, Rencontres avec l’autre, Des terres nouvelles, En colonne, La grande vie, Sous le casque blanc, et enfin Bâtisseurs d’empires, soit un total, 179 pages d’images et de textes.

            L’introduction prête sans doute une importance qu’elle n’avait pas, parce que non encore démontrée à ce jour (1), au rôle des images et de la photo dans la propagande coloniale :

«  Un processus implacable s’instaure, auquel elle participe largement (la photo) qui légitime l’œuvre coloniale en dévaluant les sociétés conquises et en renforçant la croyance commune dans une échelle des races, avec à son sommet  l’«homme blanc », et sur laquelle d’autres races progressent lentement, qu’il faut aider. »(page 5)

La question se pose par ailleurs de savoir pourquoi le livre a fixé comme borne historique, l’année 1920. (page 9)

Est-ce qu’il n’aurait pas été intéressant par ailleurs d’indiquer si les troupes de marine disposaient, à un moment donné des conquêtes, de photographes des armées, donc organiquement ou non, c’est-à-dire incorporés dans les unités militaires, et à quel niveau du commandement ?

Enfin, est-ce qu’il n’aurait pas été plus rigoureux, et aussi plus respectueux du travail et des œuvres des photographes, sur le plan de l’utilisation des sources, d’indiquer pour chaque image, le nom du photographe ou, faute de nom, de la source, avec si possible la date et le lieu, si possible, ce qui n’est pas toujours indiqué ?

Quant au contenu des chapitres eux-mêmes, rien à dire d’important sur les chapitres Rencontres avec l’autre, Terres nouvelles, Sous le casque blanc et Bâtisseurs d’empire, des chapitres qui illustrent convenablement les sujets traités.

Une observation qui concerne, le premier chapitre intitulé Au-delà de Suez, avec une belle photo d’entrée de jeu qui concerne le détroit de Magellan : un peu surprenant, non ?

Une autre remarque qui a trait au chapitre « La grande vie » : il est un peu étonnant également de voir le chapitre débuter avec la photo d’un empereur d’Annam, Thang Taï, complètement fou, destitué, parce qu’il torturait et assassinait ses concubines.

Et au sujet de ce même chapitre, il parait tout de même difficile de classer les nombreuses photos de la Fête nationale du 14 juillet dans la catégorie « La grande vie ».

Et d’ajouter que pendant la période de conquête, en gros, de 1880 à 1914, les marsouins et bigors qui connaissaient la grande vie, n’étaient pas très nombreux, car leur vie la plus ordinaire était la « colonne ».

Des critiques de fond sur le chapitre « En colonne » :

Le seul chapitre susceptible de faire l’objet d’une véritable critique de fond, sur le plan historique est en effet celui intitulé « En colonne », 48 pages de photos, sur le total des 179 pages de l’ouvrage, soit le quart des pages, avec le chiffre négligeable de dix photos qui ne font qu’esquisser le thème « En colonne », un des thèmes majeurs de la vie militaire pendant la période étudiée.

Avant d’aller plus loin, indiquons qu’il semble tout à fait incongru de classer dans ce chapitre la mission Pavie au Laos (pages 74 et 75) : rien à voir entre l’explorateur aux pieds nus et une colonne.

Les commentaires de présentation utilisent deux expressions pour dénommer une colonne, colonne de police ou colonne armée, sans attacher une autre importance à ce que fut la « colonne » dans l’histoire coloniale et dans l’histoire militaire de l’époque des conquêtes coloniales.

Elle fut le véritable instrument de la conquête coloniale, en Afrique, en Asie, et à Madagascar, avec des caractéristiques qui les rapprochaient quelquefois plus de la « colonne » que de l’expédition militaire, tel que ce fut le cas au Tonkin, au Dahomey, ou à Madagascar.

Les colonnes de la conquête coloniale furent toujours minutieusement préparées, organisées, et menées, avec une réunion des moyens, effectifs, armement, et ravitaillement sur une première base de départ, par exemple Kayes lors des premières colonnes du Soudan.

Une colonne était éclairée par des spahis en éclaireurs, comportait des effectifs plus ou moins importants, centaines ou milliers de combattants, avec le plus souvent une majorité de tirailleurs, des canons de montagne, un convoi de porteurs et de mulets chargés du ravitaillement, et en accompagnement, le long cortège des épouses de tirailleurs.

Et en terrain non pacifié, elle fonctionnait en permanence comme une force de combat, en défense ou en attaque.

A titre d’exemples :

–       En 1883, la colonne du colonel Borgnis-Desbordes qui prit pied à Bamako, comprenait 521 combattants, dont 217 européens et 27 officiers.

–       En 1886, la colonne du colonel Frey comprenait 607 combattants, dont 27 officiers, 50 spahis, 2 médecins, 2 vétérinaires, un service télégraphique. Elle disposait de quatre canons de 4, et de 300 porteurs. Il s’agissait d’un des premiers gros contacts avec l’Almamy Samory.

–       En 1891-1892, la colonne Humbert chargée de combattre Samory dans son fief de Bissandougou, sur le Haut Niger, comptait plus d’un millier de combattants, dont 144 européens. Elle disposait de quatre canons de montagne de 80, dont elle eut à faire usage pour réduire la citadelle de Samory. Sa logistique reposait sur des convois de pirogues venus de Siguiri et de mulets.

Le bilan de cette campagne fut  de 61 combattants tués, dont 2 officiers, et de 176 blessés, dont 12 officiers.

Au Tonkin, dans le Yen-Thé, d’octobre 1895 à décembre de la même année, le colonel Gallieni mit en œuvre des colonnes puissamment armées, avec canons et éléments du génie, pour tenter d’amener un des grands rebelles du Tonkin, le Dé-Tham à accepter sa reddition.

Dans un article très documenté de la Revue Maritime et Coloniale,  le capitaine Péroz examinait cette technique de conquête coloniale, en la comparant à celle comparable que mettaient en œuvre les Anglais, mais avec une intendance extraordinairement plus lourde que celle des Français.

Le capitaine Péroz proposait de comparer une colonne à une « forteresse ambulante », et pour avoir analysé en détail certaines des conquêtes coloniales de l’époque, ce terme était tout à fait approprié (2).

Il est donc évident que le très petit nombre de photos proposées pour illustrer le thème « en colonne » ne rend absolument pas compte de la vie et des campagnes en colonne qui constituèrent l’essentiel de la vie militaire aux colonies, jusque dans les années 1914, moins de dix photos, dont quelques-unes intéressantes, à Madagascar, en 1907, donc dans la phase de pacification postérieure à la conquête (page 64 et 65), et au Soudan, en 1898,  lors de la capture de Samory (pages 96 et 97) .

Jean Pierre Renaud

(1)  Voir le livre « Supercherie Coloniale » Mémoires d’Hommes 2008

Voir les analyses à ce sujet (page 179) dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions

« Le Colonialisme en question » de Frederick Cooper: « Modernité » – Lecture

« Le colonialisme en question »

Frederick Cooper

« Modernité »

Lecture 5

Le discours

            Je suggère aux lecteurs de commencer la lecture du volet 4 « Modernité » par le texte de la conclusion de l’auteur qui marque bien les limites de l’exercice :

            « Mon objectif n’a pas été ici de vider de son sens le mot modernité, et certainement pas de nier les problèmes sur lesquels travaillent ceux qui utilisent ce mot. J’ai simplement cherché à promouvoir une pratique de l’histoire attentive aux diverses perceptions que les gens se font du lien entre passé, présent et futur, à défendre une compréhension des situations et des conjonctures qui permettent ou empêchent des représentations particulières, et à susciter la réflexion sur les processus et les causes du passé, de même que sur les choix, les systèmes politiques et les responsabilités concernant l’avenir. » (page 202)

            L’auteur récapitule donc les différentes thèses qui ont l’ambition de donner un sens à ce mot, et son examen conduit donc à des recommandations méthodologiques relatives à l’utilisation du concept par les historiens, mais les sources bibliographiques citées dépassent largement le champ historique proprement dit.

            L’auteur relève tout d’abord que dans trois cas sur quatre, la modernité est attachée au rôle de l’Europe, et nous verrons plus loin, que derrière ce constat, c’est le colonialisme européen qui est visé.

Comment ne pas être d’accord pour constater que :

« le sens le plus ordinaire de moderne est ce qui est nouveau, ce que l’on peut distinguer du passé. En ce sens, la modernité nous a toujours accompagné et nous accompagnera toujours… » (page 161).

Et l’auteur de s’attacher à plusieurs reprises à examiner la relation existant entre le colonial et le moderne :

« La question coloniale n’est pas la question de la modernité, même si la question de la modernité intervient dans l’histoire de la colonisation. » (page 157)…  L’emploi par les historiens et d’autres chercheurs du concept de modernité coloniale oblitère l’histoire, élève des histoires confuses au rang de projet cohérent et minimise les efforts déployés par les populations colonisées pour détourner et s’approprier certains éléments des politiques coloniales, en démontant cette modernité que ses critiques laissent intacte. » (page 158)

« Certains chercheurs parlent de « modernité coloniale » ou d’une « gouvernementalité coloniale » qui est la manifestation du processus foucauldien de création d’un certain type de sujet. » (page165)

D’autres chercheurs préfèrent assimiler le concept à celui d’un « capitalisme plus », mouvement vers la modernité.

Certains auteurs écrivent à ce sujet : « Elle est incolore, inodore et insipide. La modernité n’est pas une catégorie analytique. Elle est une formation idéologique, fluctuante, souvent mal définie, certes, mais néanmoins une formation idéologique. » (page 175)

Vaste débat, et grande variété des opinions, et l’on ne peut qu’être d’accord avec le constat de l’auteur quant à « l’existence de de trajectoires multiples conduisant à des modernités multiples » (page 180), et dubitatif sur le sens des propos qui suivent :

« Que signifie attribuer le rôle d’agent à la modernité ? Si le colonialisme est un aspect de la modernité au sens actuel du mot modernité, il n’a alors pu guère être chose. Dès lors, les responsables des guerres meurtrières de la conquête coloniale, des cruautés du recrutement de la main-d’oeuvre coloniale, de la violence gratuite de la répression de la révolte herero de 1904 à 1907 comme de la révolte malgache de 1947 étaient « modernes ». (page 182)

Je serais tenté de renvoyer cette analyse à celle, plus synthétique, et tout aussi corrosive, d’Axelle Kabou qui revendique une autre conception de la modernité : « L’Afrique du XXIème siècle, dit-elle, sera rationnelle ou ne sera pas. » (page 186)

L’auteur consacre quelques pages à Une modernité coloniale ?  et note à juste titre :

« Si l’on croit sérieusement à la « mission civilisatrice » proclamée par le gouvernement de la IIIème République française à la fin du XIXème siècle, on ne peut tout de même ignorer que les dirigeants coloniaux consacrèrent peu de ressources – en enseignants, en médecins, en ingénieurs – à cette cause ,tandis que l’adversaire irréductible du républicanisme laïc, l’Eglise catholique, envoya dans l’Empire un nombre bien plus considérable d’hommes, dans le but non de civiliser, mais de convertir et d’entretenir un ordre social bien plus hiérarchisé et traditionnel que celui défendu en métropole et outre- mer par les modernisateurs républicains. » (page 196)

  Et dans sa conclusion, l’auteur note :

« Les critiques relèvent les dangers de l’invention par la modernité, d’un « homme universel » censé servir de modèle au monde entier, invention qui efface les origines coloniales de cet homme et de son « autre », traditionnaliste, non européen, qui lui sert de faire-valoir .Mais s’ils soulignent que la modernité est un ensemble d’attributs, ou que ses origines peuvent se réduire au capitalisme et à l’impérialisme, ces critiques ne reconnaissent toutefois la « modernité » que dans la version la plus occidentale du récit et ferment les yeux sur l’ampleur des débats et des luttes qui ont façonné ce que la raison et les droits peuvent prétendre signifier. »(page 202)

Questions

Histoire abstraite ou histoire concrète, réelle ? Histoire à entrées multiples ou à sens unique ?

Est-ce qu’il n’était pas suffisant, tout d’abord, de rappeler la définition tout simple de l’adjectif moderne, c’est-à-dire contemporain, et à l’évidence, un contemporain relatif à un contexte historique de lieu et de de temps ? Ou « nouveau » ? Ainsi que l’indique l’auteur lui-même ?

La première question est celle qui porte donc sur la nature du concept, est-elle une catégorie analytique ? Sûrement, mais l’auteur montre à la fois la variété et la complexité de cette catégorie analytique, et je ne suis pas sûr que la lanterne du chercheur soit mieux éclairée sur le sujet, sauf, si au lieu de fréquenter les mirages des grandes controverses intellectuelles, philosophiques, ou historiques, il se coltine à l’histoire concrète, au terrain, à condition naturellement qu’il y trouve des sources sérieuses d’information.

Car que voulait dire par exemple la modernité coloniale, ou occidentale, ou capitaliste dans l’Afrique occidentale de la fin du XIXème siècle ?

L’arrivée du télégraphe à Bamako en 1883, et en 1885,  avec le premier câble français entre Saint Louis et Ténériffe, une liaison directe avec Paris ? Ou la même année, celle de la première canonnière sur le Niger, et quelques années auparavant, l’arrivée de la voiture Lefèbvre, une des premières charrettes à roue dans l’économie africaine de l’époque sur les premières pistes qui reliaient la nouvelle capitale de Kayes à Bamako ? Ou plus tard, l’introduction des premières charrues (au lieu de la houe) en Guinée ? Pour ne pas évoquer l’ouverture de quelques ports, dont Dakar, sur la façade d’une Afrique occidentale souffrant d’une « anémiante continentalité » ?

Les romans d’Hampaté Bâ fourmillent de notations sur ces aspects de la modernité coloniale, évidemment relative. Comment ne pas citer l’épisode au cours duquel l’enfant Hampaté Bâ fait la connaissance de son premier vapeur sur le Niger, vapeur qui va précisément le conduire à Bamako, en 1905 ?

Alors, « face nocturne » ou « face diurne » de la modernité coloniale que le même Hampaté Bâ, rappelait ailleurs dans ses œuvres, en évoquant le grand et beau conte Peul, philosophique et métaphysique, de Kaïdara.

La deuxième question porte sur le champ conceptuel choisi par l’auteur, vaste champ qui parait enjamber toute la période qui va de 1492 aux années 1970, avec l’ambition de couvrir une grande partie du domaine interdisciplinaire, intercontinental, et en définitive intemporel de la modernité, au risque de perdre de vue le champ historique.

Il ne faut pas avoir fait beaucoup de recherches historiques, je crois, pour avoir compris que la modernité était un concept tout relatif, changeant au cours des siècles, et que sa signification n’a pas été la même dans les pays coloniaux ou pas qui affrontaient ou accueillaient leur « modernité » de l’époque, de même qu’elle n’était pas la même non plus dans les pays « émetteurs » vrais ou supposés de modernité.

Pour revenir un peu les pieds sur terre, certains d’entre nous se rappellent sans doute le nom de villes françaises qui, à la belle époque de l’expansion et de la modernité du chemin de fer, le refusèrent.

Troisième question, relative à la difficulté qui a toujours trait au processus  intellectuel qui permet de passer d’une analyse des faits, d’une situation, à un jugement, à supposer que le jugement soit la marque de l’historien.

L’auteur écrit : «  Si l’on croit sérieusement à la « mission civilisatrice » proclamée par le gouvernement de la IIIème République française à la fin du XIX° siècle, on ne peut tout de même ignorer que les dirigeants coloniaux consacrèrent peu de ressources – en enseignants, en médecins, en ingénieurs – à cette cause, tandis que l’adversaire irréductible du républicanisme laïc, l’Eglise catholique, envoya dans l’Empire un nombre bien plus considérable d’hommes, dans le but non de civiliser, mais de convertir, et d’entretenir un ordre social bien plus hiérarchisé et traditionnel que celui défendu en métropole et outre-mer par les modernisateurs républicains. »(page 196)

Plusieurs remarques à ce sujet :

L’écart entre le discours et la réalité était inévitable, étant donné que le Parlement, par une loi votée en 1900, s’était interdit d’accorder toute subvention aux colonies, leur demandant de trouver elles-mêmes leur financement. Sauf à remarquer tout de même qu’en accordant sa garantie, et en rendant possible une souscription publique, le Trésor français leur accorda certaines possibilités de financement, et donc d’équipement,  que celles-ci n’auraient pas pu trouver hors de cette garantie.

Il ne faut jamais oublier non plus qu’après la première guerre mondiale, la France était un pays « saigné », et qu’il y sans doute là une des explications de la politique coloniale ou de son absence entre les deux guerres.

Les rapports entre administration coloniale et églises d’outre-mer ne furent pas toujours, et loin de là, des rapports conflictuels, étant donné le peu de moyens dont elle disposait pour créer des écoles ou des dispensaires.

La franc-maçonnerie laïque fit souvent bon ménage outre-mer avec l’administration « républicaine ».

« Modernisateurs républicains » ? Compte tenu de la faiblesse de ses moyens, et de sa méconnaissance de la société africaine, l’administration coloniale fut bien obligée de s’appuyer sur l’ordre social existant.

Et nous expliquerons plus loin, à partir des analyses mêmes de l’auteur sur le cas de l’Afrique occidentale française, pourquoi les termes de la dialectique dominant- colonisé étaient posés dès le début des conquêtes coloniales.

Le témoin « colonialiste »

« C’est une idée banale que le colonialisme a contribué à faire entrer de nombreux pays dans la modernité. Ce qui est contesté c’est la façon dont la « modernisation » s’est faite.

            Par « modernité on entend les valeurs et les techniques de l’Europe et de ses extensions (Etats-Unis) – on dirait maintenant « de l’Occident ».

            Certains sociologues ont d’ailleurs qualifié d’«autocolonisation » les effets déployés par certains pays (Empire ottoman, Perse…) pour accéder à la modernité (on trouve par exemple ce terme dans les ouvrages de Gaston Bouthoul)

            Il y avait en effet à des degrés divers et dans des portions plus ou moins grandes des élites un désir de modernité. La question est de savoir si la colonisation (le colonialisme) a accéléré ou non la modernisation. Si l’on compare la situation des pays colonisés avec celle des pays non colonisés, il semble que le colonialisme ait été plus déterminant en Afrique qu’en Asie. Les exemples du Libéria et de l’Ethiopie témoignent peu en faveur de l’Afrique. En Asie, ce ne serait pas un exercice absurde que d’imaginer pour le Viet-Nam une évolution qui aurait été celle du Siam.

            La modernisation apportée par le colonialisme a été parfois brutale. Mais y-a-t-il des transformations profondes du droit, des valeurs, de la hiérarchie et de l’organisation sociale sans violence. L’exemple des révolutions incite à une réponse prudente.

            Un reproche qui pourrait être fait au colonialisme est celui d’avoir effectué une modernisation insuffisante. On a parfois l’impression qu’avec les moyens qu’on lui prête il aurait pu faire mieux. Ainsi au moment des indépendances africaines, on distinguait encore deux Afriques : une en cours d’évolution et une autre (plus étendue) restée traditionnelle.

            Quand la colonisation avait encore pignon sur rue au plan international, il était admis que la modernisation (l’accès à la modernité) devait conduire à l’indépendance (ou à son équivalent). C’était la philosophie du système des mandats et de celui de la tutelle. Les colonisateurs ont pu avoir la tentation de ne pas hâter les choses, et pout cela préférer diffuser les moyens de la modernité plutôt que l’esprit (critique) de la modernité. Les Belges, parmi d’autres, ont eu à subir ce reproche. Dans cette circonstance, il y a pu  y avoir une certaine antinomie entre colonialisme et modernité.

            Quelles que soient les ses imperfections la modernité léguée par le colonialisme reste une donnée qu’il appartient aux pays ex-colonisés d’exploiter. C’est ce qu’ont dû reconnaître les adversaires du colonialisme. Karl Marx, dans un essai célèbre sur la domination britannique aux Indes, disait déjà, -près avoir condamné des sacrifices humains énormes – que le colonialisme avait rendu possible ce sur quoi l’Inde construisait. De son côté l’historien indien Panikkar note dans son livre « L’Asie et la domination occidentale » (1953) :

« La domination européenne, en forçant les peuples asiatiques à la fois à résister et à s’adapter aux idées nouvelles qui, seules, pouvaient les aider à se libérer et à se renforcer, leur a donné une nouvelle vitalité et a réellement préparé l’avènement d’un monde nouveau. » (page 422)

Pour souligner l’importance de la relation entre le colonialisme et la modernité, on observera que si l’anglais est la langue de la modernité la plus actuelle, il le doit à la colonisation britannique. »

M.A

Les caractères gras sont de ma responsabilité