Annonce de publication Comme déjà annoncé; Les Carnets politiques de la guerre d’Algérie de Robert Buron

Annonce de publication

Comme déjà annoncé

Demain, 14 février 2018, jour anniversaire de mon fils Hugues, je commencerai à publier une chronique sur les « Carnets Politiques de la Guerre d’Algérie » de Robert Buron.

Au cours du deuxième trimestre 2018, je publierai une longue chronique critique du « modèle de propagande postcoloniale » du collectif Blanchard and Co : pourquoi ?

Pour avoir servi la France, mon pays, tout au long de ma vie, j’estime que ce collectif, après avoir surfé, entre autres,  sur une « fracture coloniale » née de leur imaginaire idéologique, sème depuis trop d’années un poison de fracture nationale.

Jean Pierre Renaud

Premier semestre 2018: mon projet de publication,

Je publierai au cours des prochains mois, des extraits du livre de Robert Buron « Carnets politiques de la guerre d’Algérie »  par un signataire des accords d’Evian (Plon 1965), accompagnés de quelques commentaires pour la période de mon service militaire en Algérie, dans la vallée de la Soummam, dans les années 1959-1960.

            En conclusion, je renverrai à la lecture du roman d’Alice Zeniter « L’art de perdre » et de sa conclusion.

            Au cours des mois suivants, je publierai une réflexion sur le discours idéologique du collectif de chercheurs Blanchard and Co, avec pour intitulé  « Une Subversion postcoloniale ordinaire » le « modèle de propagande » Blanchard and Co.

            Les lecteurs pourront consulter sur mon blog (Subversion et Pouvoir, à compter du 17 septembre 2017) le sens de cette expression lancée par Noam Chomsky, en 1988, dans son livre « La Fabrique de l’Opinion publique ».

         Ils pourront vérifier que le modèle de propagande Blanchard and Co s’inscrit parfaitement dans cette définition, en concurrence avec les modèles de propagande des Raisins Verts de Benjamin Stora (Algérie, plus Algérie, et toujours Algérie !), ou celui de Médiapart, avec son arborescence idéologique, et sa nouvelle trouvaille, faute de prolétaire, le musulman.

        Le business du modèle de propagande Blanchard and Co a la particularité de pratiquer un mélange des genres efficace entre secteur associatif, public, et privé, l’agence de Com’ BDM.

       A mes yeux, et compte tenu d’une analyse approfondie de ces discours, notre pays doit faire face à une véritable entreprise d’intoxication historique et politique dont les bases scientifiques sont on ne peut plus fragiles, pour ne pas dire biaisées, tant sur le plan du dénombrement des vecteurs de culture, que de leurs effets sur l’opinion publique et de leur interprétation. (Voir le livre « Supercherie coloniale », bientôt en édition numérique.)

     Entre 1880 et 1962, la France n’a pas eu de « culture coloniale », contrairement à leurs dires !

        Il s’agit donc d’une forme de subversion nationale fondée avant tout sur une complète inversion des faits  historiques, faire croire que la France a été coloniale, qu’elle a été imprégnée par des flux d’images et de propagande jamais évalués : grâce à un inconscient collectif colonial non identifié et non identifiable, ni plus qu’une mémoire collective coloniale chantée par le mémorialiste Stora. Les Français et les Françaises d’aujourd’hui porteraient  encore dans leur mémoire les stigmates de cette maladie, le collectif préfère le mot de stéréotypes.

       En quelque sorte, le nouveau roman historique postcolonial, sans qu’il soit possible de distinguer entre le « vrai » et le « faux, comme chez Jean d’Aillon!

       En 1985, Umberto Eco avait publié un livre intitulé « La Guerre du Faux », et nous avons là un exemple de ce type de guerre décrit dans le chapitre IV « Chronique du village global » (page 125) – « Pour une guérilla sémiologique » (pages 127 à 136).

       A  les lire, je me suis souvent posé la question de savoir 1) s’ils avaient beaucoup fréquenté les récits de l’histoire coloniale, celle du terrain, 2) s’ils avaient beaucoup fréquenté les cours de statistique, celle de l’histoire quantitative.

     A mes yeux, il s’agit tout simplement d’une sorte de falsification de l’histoire.

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En amuse-bouche critique de l’analyse du «  modèle de propagande Blanchard and Co » 

        Un premier éclairage tiré du début d’un article de Laurence De Cock intitulé : «  L’Achac, de la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale. » dans la revue Cultures&Conflits, numéro 107, sous le titre « La production officielle des différences culturelles » (pages 105 à 121), chez L’Harmattan.

       Dans ce type de lecture, pourquoi ne pas s’attacher à comprendre le sens des mots utilisés, car ils en disent déjà long sur le discours du modèle de propagande qui sera décrit et critiqué ?

      « passé colonial » ou passé supposé et construit d’une France métropolitaine ?

       « stratégies entrepreneuriales », l’expression annonce clairement la couleur, et la présentation de l’auteure illustre bien les caractéristiques de la méthode historique mise en œuvre par ce collectif de chercheurs.

       Sommes-nous encore dans l’histoire, ou même dans la mémoire, ou dans le business mémoriel ?

      « L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination de diagnostic et dans la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités… 

     La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche… (p,105)

       Les mots soulignés par mes soins sont à la source des critiques de base qu’appelle le discours de ce collectif : 1) le diagnostic n’a pas été effectué, 2) et n’a de toute façon pas porté sur l’histoire coloniale, mais sur des représentations métropolitaines des mondes coloniaux, dont le dénombrement et l’interprétation ne sont pas fiables.

      Plus loin, l’auteure écrit :

    « En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée, avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché…

     Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne  de façon ostensible la question de la rentabilité. » (p,106)

        « marché », « rentabilité » ? Sommes-nous encore dans le domaine de l’histoire ou même de la mémoire, celui des usages académiques et savants de ce type de discipline, ou dirais-je dans celui de la marchandisation, c’est-à-dire du fric.

       L’auteure propose ensuite une analyse fort intéressante dont les paragraphes sont les suivants : « A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p, 106 à 108) – « Multipositionnalité de l’Achac » (p,209 à 111) – « Les partenariats institutionnels » (p,11 à 113) – « L’usage de la culture coloniale et du continuum comme instrument de catégorisation culturelle » « p,113 à 115) – « Le marché de l’histoire scolaire » (p,115 à 120) – « Essentialisation et déshistoricisation de la question immigrée » (p, 120,121)

     Nous reviendrons évidemment sur cette analyse éclairante de la problématique que soulèvent les « productions » du modèle de propagande que nous décrirons, et le fonctionnement du moteur entrepreneurial du modèle de propagande, incarné par Pascal Blanchard, dans cette entreprise de falsification historique labellisée par certaines institutions publiques, une entreprise de manipulation idéologique.

      Je recommande vivement cette analyse des origines et du fonctionnement de ce modèle entrepreneurial de propagande postcoloniale.

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Et pourquoi pas une petite mise en bouche historique signée JPR, avec quelques perles postcoloniales de choix ?

        « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (Culture Impériale, page 82, Mme Sandrine Lemaire) : sauf que ce riz indochinois allait dans nos poulaillers !

      «… la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps » (Fracture Coloniale, page 200, Mme Nacira Guénif-Souilamas) : qu’est-ce à dire ?

        « La Mauresque aux seins nus : l’Imaginaire érotique colonial dans la carte postale » (Actes du Colloque, page 93, M.Gilles Boëtsch : « la thèse soutenue par Gilles Boëtsch suscita de nombreuses réactions » (Arts et Séductions, page 87), avec la critique pertinente de M. Guy Mandery dans la note 6.

        Et enfin, pour dessert, le sondage de M.Nicolas Bancel  sur les anciens Colos dont je fis partie : son ambition était de déterminer une corrélation entre la participation à des mouvements de jeunesse, « avant ou au cours du cursus à l’ENFOM » et leurs choix de carrière.

       L’historien a adressé un questionnaire à 297 anciens Colos, reçu 55 réponses, dont 23 témoignaient d’avoir effectivement participé à de tels mouvements, soit 23 sur 297, sans déjà tenir compte de la base de données réelle, beaucoup plus importante.

      Ce qui n’a pas empêché pas l’historien d’écrire : « Le très fort taux d’anciens membres de mouvement de jeunesse est remarquable… Par ailleurs, l’idée d’une fonction de préparation de la pédagogie active aux aventures Outre- Mer… est massivement confirmée par ces réponses. » (Culture Coloniale, pages 188,189, et Culture Impériale, page 103) : 23 sur 297, soit 7,7 %= « un très fort taux », = massivement confirmée » : est-ce bien sérieux ?

             Jen Pierre Renaud

Chypre et la décolonisation anglaise 1953-1956- Chypre et Algérie -« Citrons acides » Laurence Durrell

Chypre et la décolonisation anglaise

En Méditerranée, une situation coloniale des années 1953-1956

Chypre et Algérie

Avec Lawrence Durrell et son livre « Citrons acides »

Petit prologue de méthode sur les comparaisons historiques pertinentes

            Si j’ai bien compris les leçons de méthode historique qui sont préconisées dans l’univers postcolonial sérieux, il conviendrait de se garder du péché ethnocentrique, de ne pas oublier les leçons de l’histoire « méthodique », de ne pas hésiter à faire appel aux sources « d’en bas », d’ouvrir les champs historiques vers les « aires culturelles », etc…

           Mon propos sera moins ambitieux et concernera la question du champ des comparaisons historiques, pertinentes ou non, au cours de la période de décolonisation qui s’est déroulée en gros entre 1945 et 1960.

         J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet sur ce blog, notamment sur les comparaisons qui étaient faites par certains chercheurs entre des situations coloniales très différentes, dans le cas des comparaisons faites entre la Corée coloniale et l’Algérie coloniale.

        J’en rappellerai simplement les dates et les titres :

  • Le 20/08/2015 : « Petit exercice de critique historique » avec la Revue Cipango (Numéro 18-2011)  « Critiquer le colonialisme dans le Japon d’avant 1945 » de Pierre François Souyri, ou la « contextualisation » trompeuse du fait colonial.
  • Les 12/02 et 20/04/2016 : « Japon-Corée, France-Algérie –Réflexions sur deux situations coloniales et postcoloniales » de Lionel Babicz, avec la Revue Cipango (Numéro 19-2012)

          Est-ce qu’une comparaison entre les deux situations coloniales de Chypre et d’Algérie, dans le monde méditerranéen, à la même époque ne recèle pas une pertinence historique supérieure ? Loin de la mer de Chine ?

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            Pourquoi ne pas ouvrir cette petite chronique en indiquant qu’il y a plusieurs dizaines d’années, j’avais dégusté les livres de cet auteur anglais très original, en m’immergeant avec lui dans le monde méditerranéen, dans les îles grecques, ou à Alexandrie, dans la beauté poétique de ses paysages et la richesse de ses cultures, de ses traditions, et de ses milieux humains ?

            En relisant ces livres, alors que je me suis à nouveau intéressé à ce passé colonial, après plus de trente années  de jeûne intellectuel colonial, en prenant notamment connaissance de certaines thèses historiques, mémorielles, ou idéologiques, d’une nature étrange, je n’ai évidemment pas manqué de me poser au moins deux questions :

            La première a trait au classement qu’un historien des idées de talent  comme Edward Saïd aurait attribué à Laurence Durrell, orientaliste ou non ? Notamment dans ses descriptions du monde d’Alexandrie (Le Quatuor), ou du monde grec ?

         La deuxième, ci-dessus évoquée dans un petit prologue, est relative à la pertinence historique de travaux historiques insuffisamment comparatifs, à situations coloniales précisément comparables dans le même temps chronologique, dans le cas présent entre Chypre et l’Algérie dite française dans les années 1953-1956.   

            J’ai repris la lecture de son œuvre au cours des derniers mois.

         J’ai relu le roman « Citrons acides », dont l’intrigue se déroule à Chypre au moment où les ambitions de la Grèce, avec la revendication de son rattachement au continent, l’ENOSIS, et la progression d’un processus d’insurrection animé par l’EOKA,  de plus en plus violent, que l’auteur décrit fort bien dans ce livre.

            Les lecteurs de ce blog connaissent l’importance que j’attache à la lecture d’œuvres littéraires relatant des épisodes de la vie coloniale, des sources historiques souvent plus authentiques et plus éclairantes sur les « situations » coloniales que celles exploitées par certains chercheurs professionnels.

            Je me pose d’ailleurs le même type de question, quant au contenu des romans historiques et sur la rigueur comparée entre romans et récits historiques professionnels, lesquels ne font pas toujours  preuve de la même rigueur dans le respect des sources.

            En  tout début de son récit, après avoir jeté l’ancre dans l’île, pour s’y installer et acheter une maison, l’auteur rapporte une conversation tout à fait symbolique :

      « Nous prîmes encore une rasade d’ouzo et fîmes un sort au poulpe.

      « Ami, dit-il en utilisant de façon fort imprévue la, et quelque peu solennelle, du vocatif, ce n’est pas nous qui vous apprendrons ce qu’est la liberté… c’est vous  qui l’avez apportée en Grèce, dans les Sept Iles. Est-ce qu’on ne vous appelle pas les Phileftheri – les Amoureux de la Liberté ? Au cœur de chaque Grec… » 

      Tous ceux qui ont visité la Grèce ont eu mille fois l’occasion d’entendre de semblables tirades. Elles trahissent une inquiétude profonde, mais elles  n’en sont pas moins profondément sincères. Ici, à Chypre, j’étais doublement heureux, doublement rassuré d’avoir à les subir encore – car elles prouvent que le vieil attachement sentimental était toujours vivace, qu’il n’avait pas été tué par une administration bornée et par les mauvaises habitudes de nos compatriotes. Tant que ce lien tiendrait, si fragile, si sentimental soit-il, Chypre ne deviendrait jamais un théâtre sanglant…du moins je le pensais. » (p,26)

        Noter que l’auteur pouvait s’exprimer en langue grecque.

       Située sur les confins orientaux de la mer Méditerranée, l’histoire de Chypre est à la fois extrêmement riche et compliquée, une île disputée entre puissances séculaires ou éphémères, à dominante occidentale ou orientale, de religion chrétienne ou musulmane, avec une cristallisation de relations plus ou moins conflictuelles, anciennes ou récentes entre l’ancienne puissance ottomane, la Turquie, et la Grèce, dans les entrelacs des rivalités internationales de la guerre froide.

       La situation actuelle de l’île coupée en deux morceaux en est encore le témoin vivant, le résultat des violences qui ont ensanglanté Chypre au cours de la période racontée par Laurence Durrell, et à nouveau dans les années 1974.

      Enfin, un facteur clé a pesé sur la « solution » anglaise, la préservation à tout prix de la ligne de communication maritime et aérienne, stratégique et sacro-sainte, vers le Moyen Orient et l’Orient, celle  du pétrole et de l’ancienne route de l’Empire des Indes et de Hong Kong.

Chypre était administrée par un gouverneur anglais, au même titre que d’autres colonies anglaises africaines ayant alors accédé à l’indépendance.

      Laurence Durrell était bien placé pour apprécier la situation :

       « La vérité est que le monde britannique et le monde cypriote offraient un inépuisable champ d’observation pour un homme, qui, comme moi, n’appartenait ni à l’un, ni à l’autre. Le Dôme Hôtel, par exemple offre la plus invraisemblable variété d’êtres humains que l’on puisse voir ; comme si toutes les anciennes pensions victoriennes entre Folkestone et Scarborough avaient envoyé un représentant pour assister à une conférence internationale sur la longévité… Hélas ! les Cypriotes ne réalisent pas comme ils sont comiques ! Ils étaient seulement médusés par leur grand âge et les raffinements désuets dont ils s’entouraient.

      Et réciproquement, les Anglais ne voyaient que des silhouettes sans épaisseur ; ils ne soupçonnaient pas à quel point le paysage était peuplé de types humains aussi riches et divers que les habitants d’une petite ville de province qui font les délices de l’Anglais en vacances… «  (p,41)

     L’auteur avait acheté une maison dans un village  pour la restaurer et l’habiter, à proximité de l’ancienne abbaye de Bellepaix, et  cette opération, ainsi que sa facilité à parler grec, lui avaient permis de plonger dans la vie de cette île, encore préservée des tensions entre Cypriotes et Anglais, et entre Cypriotes grecs et Cypriotes turcs, d’y nouer tout un réseau d’amitiés.

      Au début de son séjour, l’auteur était encore optimiste et ne croyait pas au soulèvement que connut l’île plus tard.

     « L’absence de toute vie politique dans l’île était une grande faiblesse, et la scène politique environnante se divisait en deux portions : la droite et la gauche. Il était significatif, très significatif même , que même le puissant parti communiste n’osait ne pas tenir compte du sentiment populaire sur la question ethnique, et était forcé d’utiliser l’ENOSIS comme tremplin. Ce qui confinait presque à la folie si l’on songe que le gouvernement d’Athènes aurait dû faire alliance avec le parti si l’ENOSIS se réalisait. L’appel aux sentiments nationaux était-il donc un collecteur de votes si puissant que même les marxistes devaient le respecter, sous peine de voir s’effondrer leur parti ? Il le semblait bien. » (p,179)

      « … Personne à Chypre ne songeait encore à recourir à la violence ; l’archevêque était un homme de paix, et tout s’arrangerait pacifiquement. En réponse à la question : « Que ferez-vous si l’O.N.U refuse son arbitrage ? Il n’y avait alors qu’une réponse : « Nous recommencerons. Nous organiserons des manifestations pacifiques et des grèves. Nous mobiliserons l’opinion  mondiale. » Personne ne répondait jamais : «  nous nous battrons » ; et si quelqu’un suggérait une telle éventualité, le plus farouche nationaliste répondait en baissant la voix : « Nous battre ? Contre les Anglais que nous aimons ? Jamais ! » Malgré la tension croissante les porte- parole du mouvement ne cessèrent jamais de souligner que : « L’Enosis n’est pas dirigé contre les Anglais. Nous les aimons et nous voulons qu’ils restent en amis. Mais nous voulons être maîtres chez nous. » Mais il y avait aussi des avertissements qui nous pressaient de nous hâter si nous voulions maintenir cet état d’esprit dans le peuple et profiter de ces bonnes dispositions. «  (p,181)

      L’auteur notait que son village d’adoption était « un laboratoire idéal pour étudier le sentiment national à son stade embryonnaire » (p,183)

     A l’occasion des cours qu’il donnait dans un lycée de l’île, Durrell entretenait des relations de confiance avec ses élèves de plus en plus troublés par l’évolution inquiétante de leur île.

      Lors de ses conversations avec des adultes ou des lycéens :

      Question d’un élève :

     «  Un jour, il resta après le départ de ses camarades, préoccupé et mal à l’aise.

     « Puis-je vous poser une question, monsieur ?

  • Mais oui
  • Cela ne vous ennuie pas ?
  • Bien sûr que non
  • Il prit une profonde inspiration, s’assit à son pupitre, croisa ses longues mains nerveuses et dit :
  • « Est-ce que l’Angleterre nous forcera à nous battre pour notre liberté  ici ? » (p,193)

     Autre conversation :

    « En remontant avec moi la rue sombre, un soir Andreas me dit :

   « Dites-moi, monsieur, l’Angleterre va bientôt régler tout cela et nous vivrons en paix, n’est-ce pas ? Je commence à m’inquiéter pour les garçons ; à l’école, on dirait qu’ils passent leur temps à chanter des chants nationalistes et à participer à des manifestations. Cela va bientôt finir,  n’est-ce pas ? »

     Il poussa un soupir et je soupirai avec lui.

     « Je suis sûr que nous finirons par nous entendre dis-je. Je ne dis pas que vous obtiendrez l’ENOSIS à cause de nos responsabilités au Moyen Orient, mais je suis sûr que nous nous arrangerons. »

      Andréas réfléchit un moment.

     « Mais puisque nous avons offert toutes les facilités pour les bases, est-ce que cela ne suffit pas à l’Angleterre ? Est-il nécessaire qu’elle maintienne sa souveraineté sur Chypre ? (p,203)

      La presse mondiale se mit de la partie, alors que l’état de sécurité empirait chaque jour, grèves, manifestations, attentats, importations clandestines d’armes, fébrilité de plus en plus grande de la Turquie inquiète pour la communauté turque de Chypre.

    Laurence Durrell fut enrôlé par le gouvernement comme attaché de presse, mais il se rendit compte rapidement que le dossier était complètement enlisé.

     « Il y avait tant à faire que je n’avais pas le temps d’être de mauvaise humeur, bien qu’il m’arrivât parfois d’être énervé de fatigue. Le problème numéro un était de convaincre l’administration que la situation pourrait aisément devenir critique ; ce n’était pas le moment de se laisser aller à son bonhomme de chemin. Mais en cela, j’échouai complètement. Je me trouvais emprisonné dans les formules sclérosées du ministre des Colonies. Avec la meilleure volonté du monde (et il n’en manquait pas de gens prêtes à secouer la routine et à prendre de rapides décisions personnelles), il était impossible d’avancer dans cet océan de paperasses qui nous submergeaient tous, le gouverneur en premier. » (p,226)

       Panos, ami grec de l’auteur déclarait :

     « Ce qui me déroute, poursuivit-il, c’est le journal anglais : tout ce qu’on peut y lire prouve que le gouvernement n’a pas encore saisi le facteur le plus élémentaire du problème. Il parle toujours d’une petite bande de fanatiques excités par quelques prêtres intéressés, mais si Makarios était vraiment intéressé, ne serait-il pas plutôt partisan du statu quo, lui le chef d’une Eglise autocéphale ? Après le rattachement à la Grèce, il ne serait plus personne, et sur le même pied que l’archevêque de Crète par exemple. Non, quoi que vous pensiez de nous, vous comprenez sûrement que l’ENOSIS nous ruinerait financièrement ? Croyez-vous que c’est après le gain que nous courons ? »  (p,256)

        Il est évident qu’à cette époque, les Cypriotes comparaient leur situation à celles d’autres colonies devenues indépendantes, telles que l’Inde ou le Soudan.

       « La folie se déchaîne

     Le choix du 1er avril fut-il un hasard ? Je n’en sais rien … » (p,267)

        Toujours est-il que l’insurrection fut déclenchée, avec attentats, bombes, grenades, et participation des collégiens à ce festival de la violence.

     Laurence Durrell fut consulté par le gouvernement britannique, mais il s’agissait d’un dossier sans solution aux yeux des Anglais.

« Pour Whitehall aussi, le point de vue changeait car ici, à Londres, Chypre n’était pas seulement Chypre : elle était un maillon de la fragile chaîne de centres de télécommunications et de ports, la colonne vertébrale d’un  Empire qui s’efforçait de résister à l’usurpation du temps. Si l’on abandonnait Chypre, que deviendraient Hong Kong, Malte, Gibraltar, les îles Falkland, Aden… autant de rocs ébranlés mais encore fermes dans le dessein général. La Palestine et Suez avaient été des problèmes de souveraineté étrangère. D’un point de vue géographique et politique, Chypre faisait partie de cette colonne vertébrale de l’Empire. Ne fallait-il pas, dans ces conditions, la garder à tout prix ? » (p,288)

      Sir John le nouveau gouverneur affrontait donc un véritable état de guerre, et le terrorisme s’amplifiait.

      « Nous avions été les victimes de la politique à courte vue menée par Londres, et maintenant le militaire prenait le pas sur la politique. (Par exemple, la déportation de l’archevêque, si elle se justifiait aux yeux du militaire, était un non-sens politique – car il était non seulement le seul représentant de la communauté grecque qui fût irremplaçable, mais son absence laissait le champ libre aux extrémistes. Bien que sa complicité avec l’E.O.K.A fut évidente, il était pourtant la seule personne capable de réfréner le terrorisme. » (p,363)

     Et en définitive, l’auteur décida de quitter l’île.

     Précisons que l’auteur eut une vie d’aventures, et qu’il fit partie des services secrets britanniques en Égypte pendant la deuxième guerre mondiale.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

SUBVERSION ET POUVOIR – I – Une question ?

I – Question : la France est-elle l’objet d’une subversion, et si oui, laquelle ? Par rapport au passé ?

Le diagnostic est difficile à établir, car, à la différence des guerres révolutionnaires les plus récentes, marxistes, nazies, fascistes, ou nationalistes, comme ce fut le cas dans les guerres de décolonisation, notre ou nos adversaires avançaient souvent à la fois masqués et à visage  découvert.

       De nos jours, il s’agit de toute autre chose : adversaire, objectif poursuivi au plan national ou international, stratégies clandestines, notamment dans les domaines religieux, culturel, ou social, presque tout nous échappe, avec le sentiment, sinon la conclusion,  qu’aucune autorité ne maîtrise le sujet, le ou les problèmes, et les solutions.

         A quel adversaire avons-nous affaire ? Quelle peut ou doit être notre défense, et sur quel terrain ?

Depuis de nombreuses années, un certain nombre de troubles agitent notre pays en profondeur, différents de ceux qui l’agitaient dans les années 1970.

            Mis à part le cas de l’Algérie, compte tenu du poids qu’y avait la population européenne, la France s’était délestée sans beaucoup d’états d’âme de ses possessions coloniales, car contrairement à ce que certains commentateurs patentés racontent, la France n’a jamais eu l’âme coloniale.

            Le cas de l’Indochine fut différent, le capitalisme y était puissant, la population européenne peu nombreuse, mais très rapidement le communisme international y avait mis la main avec la guerre froide. Le lobby colonial y fut actif et influent, notamment la Banque d’Indochine, compte tenu des richesses de ce pays, et de la position de cette banque en Asie.

          La fin de la guerre d’Algérie est par ailleurs intervenue chez nous avec un gros ouf de soulagement.

           Qu’a-t-il bien pu se passer depuis les années 1970 ?

            Dans les années 1970, les populations d’origine maghrébine, africaine, ou asiatique, étaient quasiment inexistantes en France métropolitaine, de même que l’Islam : si vous relisez deux ouvrages de l’époque, « Choisir » de Pierre Mendès-France (1974), et « Le Mal Français » d’Alain Peyrefitte (1976), vous pourrez  constater que les deux hommes politiques en question n’abordaient pas ces deux sujets aujourd’hui sensibles.

            Le livre de Mendès-France était essentiellement tourné vers l’international, sur le terrain européen, économique et financier, celui d’Alain Peyrefitte, était comme obsédé par les problématiques de la bureaucratie française.

            Mendès-France y exposait ses idées, ses convictions européennes, y disait aussi des choses intéressantes sur la décolonisation nécessaire, la paix qu’il avait réussi à ramener en Indochine et en Tunisie, et l’espoir qu’il avait alors d’engager, en Algérie,  une autre politique que celle choisie :

       « Je regretterai toujours que le temps ne m’ait pas été donné d’entreprendre une politique algérienne libérale et loyale. Après l’Indochine et la Tunisie, c’était possible et beaucoup d’hommes de là-bas me l’ont dit, musulmans et Français. Nous aurions évité huit années d’une guerre affreuse avec toutes les conséquences qu’elle a eues, aussi bien en Algérie que dans la métropole ; aussi bien sur la politique française que sur la psychologie de beaucoup de nos garçons, expédiés en Algérie pour la plus basse besogne. » (p,82)

         Plus loin, Mendès-France mettait en cause les grands lobbys qui avaient bloqué cette évolution :

        « … les grands intérêts financiers, le lobby colonial, celui d’Afrique du Nord qui alimentaient la presse, noyautaient les couloirs, répandaient fausses nouvelles et faux documents. Il y en a eu de graveleux » (p,84)

       Ajoutons qu’un lobby politique des Européens d’Algérie, actif et influent, agissait au sein des Assemblées, d’autant plus puissant que la Quatrième République s’était illustrée par une succession de combinaisons parlementaires, dans lesquelles les groupe charnière jouaient un rôle tout à fait disproportionné, avec la présence de François Mitterrand, d’Edgard Faure, et d’élus d’Algérie influents.

      Le Tiers Monde s’est libéré de ses « chaines », la chute du Mur de Berlin a sonné le glas du marxisme, en tout cas, du communisme, avec l’explosion de l’Empire soviétique.

      Le monde est passé d’un état bipolaire à un état multipolaire. De nouvelles puissances ont connu une renaissance, ou sont apparues, la Chine, l’Inde, ou le Brésil, avec une mondialisation souvent sauvage qui a fait éclater les frontières et permis de diffuser, pour le meilleur et pour le pire, toutes sortes de cultures, de modes de vie, une mondialisation qu’a beaucoup facilitée l’explosion d’internet, des réseaux sociaux, des téléphones portables, tout autant que celle des transports.

      Jusqu’à la chute de l’Empire soviétique, Occident et URSS se sont combattu par personnes interposées, notamment en Afrique.

      Depuis, d’autres facteurs ont complètement changé la donne,  des crises successives en Europe, dans beaucoup de pays d’Afrique, des insurrections continues au Moyen Orient, dans le Golfe, en Afghanistan, de nombreuses guerres fratricides entre musulmans, sunnites contre chiites, l’instabilité des relations entre Israël et les pays arabes, le rôle messianique que certains courants de l’Islam entendent assumer à l’encontre des infidèles, des mécréants, hier Al Quaida, aujourd’hui Daech.

       Face à ce qu’il faut bien appeler un nouveau désordre du monde, l’Europe a été plutôt aux abonnés absents : la construction d’une première Union Européenne a été  difficile, et les Européens n’ont pas été encore capables de se doter d’une véritable union, politique, militaire et économique, cette nouvelle puissance du monde qui fait cruellement défaut.

     Après la création de l’euro, son élargissement à l’est, en 2002, avec la cohabitation politique Jospin Chirac (PS-RPR), a été une erreur.

      Au-delà de tout un ensemble de désordres humains, politiques, ou économiques, cet élargissement démagogique a contribué à faire encore plus de l’Europe, un ventre mou.

      L’évolution récente des grandes puissances actuelles du monde a fait redécouvrir l’importance capitale des patrimoines culturels et religieux, origines ou racines qu’il convient de rappeler sans « tabou », comme ce fut le cas en Russie après l’échec du communisme avec la religion orthodoxe, et de nos jours, en Chine, avec le confucianisme : comment ne pas y voir une forme de renforcement de la résistance à l’encontre de l’affaissement des valeurs portées par les cultures d’origine, à l’encontre de la subversion d’un consumérisme, à n’importe quel prix, d’un laisser-aller généralisé, du tout image, du tout fric, ou d’un nouvel islamisme  militant, qui surfe sur le même terrain, de toutes les addictions qui pèsent aujourd’hui sur notre destinée?

      Il faut dire sans hésiter qu’il s’agit d’une résistance de bonne « hygiène mentale » contre la sorte de nivellement multiculturel des valeurs, pour lequel toute valeur serait au moins égale à n’importe quelle autre valeur !         

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Stora, les « raisins verts », mon blog et les marabouts ?

A nouveau, ma surprise de lire le 5 juin dernier le commentaire d’un lecteur ou d’une lectrice, faisant sa pub pour inciter des lecteurs à consulter un marabout : le commentaire portait sur la troisième chronique que j’ai publiée, le 3 avril 2017, sur la guerre d’Algérie,  dont l’intitulé est :

« Qu’est-ce qui fait courir Monsieur Stora ? »

Je concluais ce texte par des citations des prophètes de la bible qui évoquent le rôle des « raisins verts » dans la vie des pécheurs.

Question : y-a-t-il un rapport quelconque entre les marabouts, les « raisins verts » et Stora ?

Je n’ai évidemment pas publié ce commentaire.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Synthèse critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Synthèse critique

            J’ai lu ce livre avec beaucoup d’intérêt, un livre vivant, riche d’ouvertures historiques, d’appréciations souvent convaincantes, quelquefois aussi d’éclairages de vérités dérangeantes.

        L’intitulé des trois parties parait justifié, sauf à dire qu’il manque peut-être une partie consacrée à la France coloniale de métropole, ses animateurs, ses outils de propagande, ses effets sur l’opinion publique, notamment à travers une presse qui n’a jamais fait l’objet, sauf erreur, d’une évaluation de l’écho qu’elle donnait aux affaires dites « coloniales ».

       Mes lecteurs savent qu’il s’agit de la critique fondamentale que j’ai formulée, avec démonstration à l’appui, à l’encontre du travail d’un collectif de chercheurs qui ont prétendu que la France avait « baigné » dans une culture coloniale, puis impériale.

         La France coloniale a toujours eu les yeux plus gros que le ventre, et la France postcoloniale au moins autant, à voir le nombre de ses interventions internationales tous azimuts.

        Les analyses de la troisième partie militent en ce sens. Je ne citerai qu’une phrase de la conclusion à ce sujet : « L’empire colonial a été une affaire d’élites. » (p322)

          L’auteur intitule sa première partie « Le fiasco des décolonisations » et je partage ce jugement, mais pouvait-il en être autrement de l’avis de ceux qui ont la chance d’avoir une petite culture historique sur l’histoire coloniale elle-même, sur les situations coloniales des années 1960, de la situation internationale elle-même avec la guerre froide, la propagande de l’URSS, de celle des Etats-Unis en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et du tiers-mondisme ?

          Pouvait-il en être autrement compte tenu du cours des choses en Afrique du Nord ou en Afrique noire, les deux cas de l’Indochine et de l’Algérie étant tout à fait particuliers ?

           Le risque de « balkanisation », alors dénoncé par Senghor, montrait bien que l’intéressé connaissait bien le sujet, une sorte de balkanisation ethnique et culturelle encore très prégnante, avec le constat que le découpage géographique et administratif effectué une soixantaine d’années auparavant entre les différentes colonies n’était pas de nature à donner naissance à ce qu’on appelait alors, et qu’on appelle encore de nos jours, des Etats-nations.

        De l’avis des bons connaisseurs de ces territoires, la décolonisation était inscrite dans l’histoire de ces pays, mais le processus de décolonisation ne pouvait qu’être difficile pour tout un ensemble de facteurs internes liés aux croyances de ces territoires, à leurs cultures, leurs mœurs, leurs coutumes, le nombre de leurs langues et de leurs peuples, pour ne pas dire ethnies, de leur manière d’être gouvernés avec l’importance du patriarcat que souligne l’auteur (p,147,148).

        Ajoutons à cette difficulté celle d’une recherche de modes de coopération avec un  islam très divers dans toutes les régions, au moins dans celles où cette religion bénéficiait d’une certaine cohésion religieuse.

        Dans son livre « La France en terre d’islam », le même historien décrit la situation de l’Algérie coloniale, en notant que le peuple algérien continuait à vivre dans une sorte de monde très largement musulman, parallèle à celui de l’Algérie française : « Une contre-société coupée de l’Algérie française ». (p,218)

      Dans les années 1959-1960, j’ai fait l’expérience concrète du parallélisme ainsi décrit en Petite Kabylie, plus d’un siècle après la conquête.

          Ce n’est pas tout à fait par hasard que la colonisation française, faute de pouvoir faire autrement, en tout cas en Afrique, faisait en sorte de respecter des statuts personnels très variés, avec le cas tout à fait particulier d’un l’islam qui y avait gagné beaucoup d’adeptes jusqu’à la décolonisation, un islam encore modéré.

         Les caractéristiques du statut personnel des musulmans rendaient difficiles sa compatibilité avec le statut personnel des français et des françaises, notamment après la grande loi sur la laïcité de 1905 ?

         Ce n’est pas par hasard, que de nos jours, notre pays rencontre des difficultés pour que l’islam de France joue le jeu de nos institutions fondée sur la laïcité et l’égalité entre les deux sexes ?

         La deuxième partie intitulée « Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,105 à 223) fait appel au terme d’élites, mais il aurait souvent été difficile de définir les élites auxquelles on avait à faire : les nouveaux citoyens, anciens ou nouveaux acculturés, les élites traditionnelles encore influentes dans leur ethnie d’origine ou leurs villages, les élites récemment formées dans nos universités, souvent formatées par le marxisme ? Des élites qui en tout état de cause étaient peu nombreuses et qui ne partageaient pas un consensus « national ».

          Pour citer deux exemples d’élites africaines du milieu « parisien » formatées par un marxisme international encore en vogue, à Paris et à Antananarivo : le premier celui des assemblées générales successives de la Maison de la France d’Outre-Mer qui accueillit beaucoup des jeunes élites de l’outre- mer dans les années 1950, au cours desquelles on pouvait entendre des discours interminables, jusqu’à point d’heure, sur la révolution prolétarienne, le marxisme international, l’anticolonialisme, l’exploitation des peuples d’Afrique, de jeunes élites qui arrivées au pouvoir s’adonnèrent rapidement aux dérives qui sont bien décrites dans l’ouvrage.

        Le deuxième, à Antananarivo, celui de l’amiral rouge Ratsiraka, lequel coule encore des jours paisibles en France, sorti de Navale, lancé dans une révolution populaire sur le modèle chinois, un mouvement sans lendemain « qui chante ». La grande île paye encore de nos jours les fruits de cette démagogie marxiste.

      Presque tous ces territoires ne disposaient donc pas des facteurs d’agrégation nationale suffisants pour que la décolonisation ne tourne pas au fiasco.

      La troisième partie intitulée « La France, les Français et leurs anciennes colonies « (p,223 à 321)

     Je ne suis pas sûr que beaucoup de Français soient capables encore de donner la liste de ces anciennes colonies, tout autant que les Français des années des indépendances aient été capables de faire mieux, et c’est toute l’ambiguïté qui pèse sur ce débat des histoires coloniales et postcoloniales.

     Il me semble que l’historien Ageron a montré dans une de ses études les limites de cette « culture métropolitaine », après la deuxième guerre mondiale.

     C’est la raison pour laquelle je pense qu’il aurait été intéressant de faire un bref rappel de la connaissance des mondes coloniaux qu’avaient les Français avant 1939 et entre 1945 et 1960, avec les premiers sondages que l’historien Ageron a cité dans une de ses études.

          Les analyses de l’’auteur font une large part au Maghreb, à l’Algérie, au Maroc qu’il connait bien, peut-être trop, sauf à dire, et c’est toute la question, que les années qui ont succédé aux indépendances, à celle de l’Algérie, a donné un  rôle central aux intellectuels sortis de la matrice algérienne, car c’est clairement ce qui en ressort.

         Avant la publication de cette  critique, les lecteurs ont pu consulter le texte que j’ai consacré à l’historien engagé politiquement Stora à travers l’ensemble des citations et prises de position qui ont  jalonné la période examinée, une sorte de fil « rouge » de lecture et d’interprétation de cette période qui a vu cet intellectuel occuper de multiples espaces médiatiques pour tenter de convaincre ses lecteurs et auditeurs que l’histoire de l’Algérie, et la guerre d’Algérie, constituent l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale et postcoloniale.

          Je ne crois pas que la propagande coloniale n’ait jamais disposé, dans le cadre historique qui fut le sien, d’un tel acteur et animateur.

         Les chapitres XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239à256) et XVIII et le chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289 à 303) ouvrent des perspectives fort intéressantes sur la composition et le rôle de ces élites et sur les manipulations de l’information, pour ne pas dire la propagande.

Révélations, analyses pertinentes ou éclairages intéressants :

     Le rôle des médias : cette question sensible est évoquée à de multiples reprises, et comme je l’ai dit, il est dommage que l’auteur n’en ait rien dit dans son ouvrage sur la période coloniale elle-même.

      Le livre donne quelques exemples de leurs manipulations qu’elles procèdent de l’Etat, des groupes de pression métropolitains ou africains, la guerre du Biafra ou le génocide du Cambodge, et son propos est plus précis sur la période récente :

     « Si la décolonisation crée une coupure entre la métropole et l’ancien monde colonial, les médias conditionnent et assurent le maintien de leurs rapports. Dans les années 1960 et 1970, coopérants et fonctionnaires européens font encore circuler connaissances et informations. Mais ce canal se tarit dans les années 1980. Le relai est ensuite pris par les entreprises, industrielles, financières ou de tourisme qui ne sont toutefois pas des médiateurs culturels : leur communication d’entreprise est déséquilibrée, car leur objectif n’est pas d’informer mais de communiquer. La médiation est aussi assurée par l’immigration postcoloniale qui s’intensifie dans les années 1980 avec le regroupement familial. Mais ce phénomène concerne surtout la société d’accueil, et peu sur celle d’origine. Les médias, la presse en particulier, jouent donc un grand rôle d’interface et d’interconnaissance des sociétés. Un petit groupe d’experts et de journalistes, informant le grand nombre, circule de part et d’autre. » (p,289)

        Au fil des pages, l’auteur constate que la presse est « aux mains des grands industriels » (p,291),  que les pays dépendants, souvent des dictatures, contrôlent et verrouillent les circuits d’information, comme on le voit bien dans les exemples fournis, le silence complet de l’Algérie sur la deuxième guerre civile des années 1990-2000, le contrôle qu’exerçait Ben Ali, ou de façon plus subtile, celui du Maroc, avec la collaboration de quelques journalistes de métropole patentés :

        « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine qui éclate au cours de l’automne 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes en charge des affaires internationales et du Maroc, ont  bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du royaume sur le Sahara. » (p302)

      Le néocolonialisme – L’auteur en décrit maints aspects, la Françafrique, l’hypocrisie de la Conférence de La Baule, avec Mitterrand en 1990, le rôle tout à fait étrange du ministère de la Coopération chargé de distribuer des allocations à certains chefs d’Etat africains. (p,162)

      La deuxième guerre civile algérienne des années 1990, décrite notamment à la page 168, et à l’occasion d’autres analyses, nous donne quelques informations sur cette guerre dont les méthodes et les victimes font encore l’objet d’un black-out complet de la part de l’Algérie.

        Il serait évidemment très intéressant que les intellectuels sortis de la matrice algérienne mettent leur talent  au service de l’histoire postcoloniale de l’Algérie, comme ils ont su le faire pour la seule guerre d’Algérie qui a duré moins de 10 ans, de 1954 à 1962.

     En ce qui concerne notre pays, il aurait été intéressant de connaître le nombre d’Algériens et d’Algériennes qui sont venus se réfugier chez nous, car le même sujet fait l’objet du même black-out.

     L’auteur fait un sort particulier au Sénégal, un cas particulier : « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide » (p,75), et au fil des pages, l’auteur revient sur cette situation particulière.

        Il convient de noter que le contexte de la guerre froide a beaucoup  pesé sur la décolonisation, et a été un des facteurs internationaux de ce choc, mais j’ajouterais que la situation coloniale du Sénégal n’a jamais été comparable à celles des autres colonies, pour au moins trois raisons, géographique en bordure de mer, historique avec une présence ancienne de la France sur ses côtes, religieuse et culturelle, évoquée d’ailleurs à la page 147, avec l’existence d’un islam modéré couvert par la grande confrérie mouride.

      Islam et choc des décolonisations

      Il s’agit d’un thème d’analyse et de réflexion qui court au fil des pages, notamment dans le chapitre XII (p,214,215,216,217), et c’est un sujet sensible que l’auteur connait bien, notamment en ce qui concerne l’islam du Maghreb.

      Le lecteur a la possibilité de mieux comprendre la fausse interprétation que nos gouvernements firent des « printemps arabes », notamment grâce à la manipulation des médias :

       « Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec la France et ses dirigeants oblige. » (p297)

     J’ai évoqué ce sujet sur mon blog.

     On se souvient de l’épisode qui mit en cause Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.

     L’immigration

     L’auteur consacre le chapitre XVIII (p,305) à la question « immigration » et propose tout un ensemble d’éclairages et de données chiffrées sur les flux de l’immigration et leur évolution.

     L’historien note : « La guerre d’Algérie et l’intensification paradoxale de l’immigration impériale » (p,308), un mouvement effectivement très paradoxal, compte tenu des raisons qui avaient incité de Gaulle à larguer l’Algérie, alors que l’immigration d’origine algérienne a effectivement augmenté au cours des années qui ont suivi la guerre d’Algérie, et jusqu’à nos jours.

     Cette situation mériterait incontestablement plus d’explications.

      Quant à l’augmentation de l’immigration impériale en général, elle soulève également beaucoup de questions, notamment sur la nature de ces flux, compte tenu notamment :

      « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question. Entre 1975 et 1985, 147 938 femmes et enfants marocains se sont installés en France. Et depuis 1976, les Français d’origine étrangère par filiation directe ont beaucoup augmenté (6,7 millions en 2008, d’après l’Insee).

    .…En établissant que les immigrés représentent toujours 10% de la population, au lieu de reconnaître que l’immigration s’est accrue, et a changé de nature, l’Etat a causé de graves conséquences : un débat tabou et biaisé sur l’immigration, un ressentiment d’enfants d’immigrés comme dans les autres classes populaires françaises. L’actualité en porte quotidiennement les traces. » (p,314)

      « Avec 12 millions d’immigrés et leurs enfants (sans parler de la troisième génération), la population française des années 2000 est donc très différente de celle des années 1930 (ou cinquante ?), ce que la classe politique (droite et gauche confondues) peine à formuler. » (p,317)

      Le plus surprenant dans toute cette évolution est le rôle que les intellectuels « algériens » y ont joué :

       « Fin de l’assimilation et apologie de la diversité, le rôle des intellectuels « algériens ». (p,318,319)

      L’Algérie, toujours l’Algérie ! Historiquement, un slogan fit une fortune très relative, « L’Algérie, c’est la France ! », mais de nos jours, certains pourraient commencer à dire : « La France, c’est l’Algérie !

     Comment expliquer une évolution tout à fait paradoxale, partant d’une France qui n’a jamais été à proprement parler une France coloniale jusqu’aux indépendances, une France qui n’a jamais peuplé ses colonies, à la seule exception de l’Algérie (avec le concours des immigrations italiennes et espagnoles), laquelle, après « Le choc des décolonisations » se retrouve progressivement colonisée par des populations venues de l’outre-mer ?

     Je conclurai cette lecture en indiquant que ce livre permet de mieux comprendre pourquoi la question algérienne, avec son courant d’intellectuels issus de la matrice algérienne continue à occuper une place idéologique, politique, et médiatique qui correspond de moins en moins avec notre histoire coloniale et postcoloniale.

     Je regretterai toutefois que l’auteur n’ait pas accordé un peu de place à l’histoire quantitative, celle des ordres de grandeur, des échelles, des rapports de force existant entre tous les acteurs du fiasco décrit.

       Pourquoi ? Parce qu’il s’agit là, et à mon avis, d’une des grandes carences de l’histoire postcoloniale, l’oubli de l’histoire quantitative.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie, suite et fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite et fin (e)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289)

        Un titre poétique pour un chapitre au contenu dérangeant, portant sur les nouvelles formes de propagande ou de contrôle de l’information qui touche l’ancien domaine colonial de la France.

       A l’heure actuelle : « Les acteurs et les pôles de pouvoir sont multiples. Entre la France et ses anciennes colonies, lobbys, groupes d’intérêt et de pression sont très divers : Etats, et services de renseignement, collectivités locales, médias (presse et télévision)…Or ces acteurs tentent peu ou prou d’influencer médias et auditeurs selon leurs intérêts. Fabriquer les opinions est un métier… L’information est une denrée que les régimes autoritaires veulent contrôler par tous les moyens. La présence durable et des contacts sur place sont irremplaçables : séjourner dans un grand hôtel avec les correspondants étrangers forge une information très différente. « (p,290)

        Une manipulation d’autant moins difficile avec une presse aux mains des grands groupes industriels que l’auteur décrit :

        « La plupart des médias français sont aux mains de 11 groupes privés… « Des médias audiovisuels très dépendants du service public » (p,292),avec pour résultat : « Pour toutes ces raisons, les régimes autoritaires contrôlent l’information diffusée en France et en langue française. Ce n’est pas pour eux une option, mais parfois une question de survie. Et certains médias français en profitent au passage pour renflouer leurs caisses. » (p,295)

      Comme le note l’auteur un peu plus loin et en ce qui concerne certains journalistes :

      « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine, qui éclate au cours de l’été 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes français en charge des affaires internationales et du Maroc, ont bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du Maroc sur le Sahara ? » (p,302)

      « …. Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec ses dirigeants oblige. » (p,297)

       Dans certaines affaires, les services de l’Etat ne sont pas en reste : « Du Biafra à la révolution tunisienne, la manipulation par les services de l’Etat français ? » (p,299)

Chapitre XVIII « L’immigration, porte ouverte sur le monde ou bonne conscience européenne ? » (p,305)

      L’auteur a eu raison de souligner à la page 306 une situation qui explique le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies, hors leur exotisme :

        « Depuis 1830, la France colonise sans peupler : les paysans y sont riches et dotés de terres ; l’excédent démographique est capté par Paris et les régions industrielles ; et la Grande Guerre tue ou mutile 1 homme valide sur 4 »

           Riches ? Par rapport à qui, où et quand ? D’autres facteurs étaient en jeu.

          Je ne m’attarderai pas sur le contenu de ce chapitre, sauf à remarquer que l’auteur donne quelques informations sur des sujets tabous ou ignorés, par exemple,  en ce qui concerne les Antilles :

         « Le nombre des Antillais de métropole double entre 1954 et 1962, puis augmente de 50% entre 1962 et 1968. En 1968, on dénombre 61 000 personnes devenues 800 000 en fin de siècle…. » (p,312)

          L’auteur évoque également le regroupement familial et je fais partie de ceux qui s’étonnent de la prudence, pour ne pas dire du silence des autorités sur ces flux mal contrôlés :

        « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question… « (p,314)

        Des flux qui, à mes yeux, n’ont pas contribué à faciliter l’intégration de certains groupes de population qui habitent dans les quartiers sensibles.

         L’analyse consacrée  aux flux algériens est éclairante, mais conduit à se demander pourquoi la politique d’immigration algérienne a quasiment toujours bénéficié d’une mansuétude de la part de notre pays, pour ne pas dire d’un privilège à l’égard des ressortissants d’un pays qui n’a pas noué de saines relations avec la France, et alors qu’une des raisons légitimes de la politique du général de Gaulle, quant au largage de l’Algérie, était précisément la volonté que notre pays ne devienne pas un jour, compte tenu des mouvements démographiques prévisibles, la colonie de l’Algérie, une dynamique qui parait bien engagée, compte tenu notamment du rôle des intellectuels venus de la matrice algérienne, un rôle fort bien décrit par l’auteur.

        « L’histoire des migrations en France, a fortiori des Algériens, est souvent écrite par des intellectuels venus ou passés par Alger … Abdelmalek Sayad, assistant de Pierre Bourdieu… René Gallissot… Benjamin Stora… » (p,318)

         « Le discours de Français Hollande du 15 décembre 2014, dans une Cité nationale de l’histoire de l’immigration dirigée par Benjamin Stora, renvoie au premier acte de sa campagne présidentielle en 2011, la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, auquel l’historien de l’Algérie n’est pas étranger. La volonté affirmée de « réconcilier » Paris et Alger participe de ce mouvement complexe…

        Cette surreprésentation des intellectuels et hommes politiques liés à l’Algérie dans la sphère étroite de la politique multiculturelle française révèle le silence persistant des « sujets » de cette politique, les immigrés récents et leurs descendants, exception faite de plusieurs intellectuels originaires des DOM. Elle dit quelque chose de la volonté des générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, et par sa désintégration, de reconstruire une cité idéale sur ses décombres. Avec le recul, l’Algérie française apparaît à ces intellectuels et hauts fonctionnaires comme une société ségrégative, injuste, inégalitaire, raciste et autoritaire, un anti modèle à dépasser. » (p320)

        J’ai souligné l’expression générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, parce qu’elle ne traduit pas à mes yeux les réalités historiques, sauf à dire que depuis plusieurs dizaines d’années, les Français sont manipulés par une nouvelle propagande insidieuse et beaucoup plus importante que ne fut jamais la propagande coloniale elle-même, beaucoup plus limitée et inefficace, fondée sur les « mirages exotiques », alors que la propagande distillée par ces groupes de pression cherche à investir les consciences et à manipuler notre histoire de France.

          L’expression « générations marquées au fer rouge » à rapprocher d’une autre expression qui se veut historique alors qu’elle n’a jamais été mesurée, celle de « mémoire qui saigne ».

        L’historien politique Stora a la paternité de cette expression historiquement saignante, c’est le cas de le dire.

Conclusion « Le legs singulier de la France coloniale »

         L’auteur souligne bien la situation française des colonies avec toutes les contradictions dont la France d’aujourd’hui souffre encore : les conquêtes coloniales ont largement été le fruit d’une alliance entre le sabre et le goupillon, la franc-maçonnerie dans les superstructures des colonies, mâtinée de christianisme à ses bases, faites de coups politiques relevant du fait accompli montés par la gauche républicaine ou entérinés par elle, à l’exemple de Jules Ferry au Tonkin, en 1883, ou de Mahy, originaire de la Réunion, en 1883, à Madagascar, lequel fut un bref ministre de la Marine et des colonies du 29 janvier 1883 au 21 février 1883.

        La gauche des décolonisations n’a pas été à la hauteur des enjeux en Indochine, à Madagascar, et en Algérie : c’est le gouvernement de Guy Mollet qui fit voter l’envoi du contingent en Algérie, un contingent dont je fis partie.

         « L’empire colonial a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales et républicaines ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire, l’exposition coloniale de 1931 demeurant un simple spectacle. Une première fois lors de la venue des troupes coloniales en métropole en 1914 et 1939 ; une seconde fois lors de la guerre d’Algérie, quand l’envoi de 2 millions de soldats et des attentats en métropole ont fait connaître l’Algérie; et une troisième fois par l’installation en métropole de millions de  ressortissants de l’ancien empire, la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien en dire. » (p,323)

      Je partage cette conclusion : paradoxalement, notre pays est devenu une sorte de nouvelle colonie du monde moderne, et je ne pense pas que la France coloniale, celle décrite à grands coups de brosse idéologique, par certains chercheurs,  réduite à une petite  élite ait jamais pu imaginer que notre pays allait devenir lui, une colonie de peuplement, alors qu’en dehors de l’Algérie, la France n’avait jamais pratiqué la colonisation de peuplement.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Troisième Partie « La France, les Français et leurs anciennes colonies » p,221 à 234)

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Tous droits réservés

Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Après avoir décrit le fiasco des décolonisations (I), puis la situation des décolonisés sous l’empire de leurs élites (II), l’historien analyse la situation de la France, des Français, et des anciennes colonies. (III)

      Comme je l’ai indiqué la décolonisation était inscrite dans l’histoire qui s’est effectivement déroulée, celle du « cours des choses » que beaucoup de membres de l’élite coloniale avaient prédit, ne serait-ce déjà que l’africaniste connu des spécialistes, Delafosse, et des bons connaisseurs de l’Afrique, lesquels proposaient l’association au lieu de l’assimilation.

        Il n’était pas facile pour les officiers de la conquête de manifester leur scepticisme sur ses buts, mais il en fut qui l’osèrent, je pense au colonel Frey qui exprima plus que de l’hésitation sur le bien- fondé de la conquête du Soudan, de nos jours le Mali, dans les années 1886-1888, une conquête dont il fut un des acteurs, je pense aussi au capitaine Toutée à l’occasion de sa mission politique et géographique vers le Niger, dans les années 1894-1895..

       Plutôt que d’aller à Madagascar, Lyautey, en ce qui le concerne, aurait préféré que la France s’attache à l’Indochine, le « joyau », respecte les institutions séculaires de l’Annam, de son Empereur, fils du ciel, plutôt que de les chambouler en remplaçant les mandarins par des résidents coloniaux.

       Un « cours des choses » qui toucha tous les empires » coloniaux, et qui se conclut généralement par un fiasco, même pour l’Empire des Indes, la Chine, ou l’Afrique du Sud pour ne citer que quelques-unes des terres coloniales les mieux loties.

        En ce qui concerne l’Afrique noire, je crois avoir démontré que les analyses de Frédéric Cooper sont trop décalées, historiquement, par rapport aux situations coloniales concrètes de l’après deuxième guerre mondiale en Afrique noire.

        En ce qui concerne la deuxième partie (II), son contenu illustre bien la difficulté qu’il y avait, compte tenu des caractéristiques de ces mêmes situations coloniales, en tout cas en Afrique noire, en termes de géographie physique, humaine, politique, économique, religieuse, culturelle, ethnique.

      La description qu’en fit le géographe Richard-Molard après la deuxième guerre mondiale suffisait à en montrer la très grande complexité.

    L’historien décrit toutes les dérives qui ont suivi les décolonisations, lesquelles découlaient largement de ces situations coloniales et de leur héritage, en termes d’Etat, de populations et d’élites.

       Je choisirais volontiers comme symbole de l’échec d’une certaine élite, Senghor, sorti de Normale Sup, un catholique d’exception élu grâce au soutien de la Confrérie musulmane des Mourides.

        Il se convertit à la solution du parti unique, une sorte de symbole de l’écart gigantesque qui existait entre des peuples qui n’étaient pas des nations et leurs petites élites, ou celui d’Houphouët-Boigny qui réussit à réaliser une certaine coagulation ivoirienne fondée sur un réseau de planteurs de cacao, mais surtout sur l’ethnie puissante que constituait le peuple Baoulé, en surfant sur une idéologie marxiste alors à la mode en métropole.

     Ai-je besoin d’ajouter que Mitterrand joua un rôle important dans la  « récupération » de ce leader, alors qu’il fut un des artisans de l’échec meurtrier de la décolonisation en Algérie.

      La troisième partie contient des analyses tout à fait intéressantes, d’autant plus qu’elles n’hésitent pas à mettre le doigt sur des incongruités historiques trop souvent méconnues.

        Le chapitre XIII ouvre le bal, mais à mes yeux, son titre même « Amnésie coloniale, mauvaise conscience, et beaux discours » souffre d’un biais courant et ambigu dans ce type d’analyse, c’est-à-dire qu’elle parait fondée sur un postulat, celui d’une « culture coloniale » des Français qui n’a jamais existé, et qui n’a jamais été mesurée, ne serait-ce que dans la presse, et qu’en même temps pour avoir existé, elle aurait été l’objet d’une « amnésie ».

     « Amnésie » pour qui ? Pour quelle amnésie ? Sur quel terrain colonial ? L’Algérie ?

     Les pages que l’auteur consacre aux politiques et surtout aux milieux intellectuels, montrent bien que c’est essentiellement l’Algérie qui leur a servi de toile de fond, leur rôle très actif dans le réveil d’une mémoire française qui aurait été coloniale.

       L’historien Stora en est, me semble-t-il un bon représentant, et c’est d’ailleurs son évocation qui ouvre ce chapitre (p,223), avec la référence de son livre « La gangrène et l’oubli » (1991), mais l’auteur souligne plus loin :

      « Cependant, il faut cesser de penser qu’il y alors en France ni débat ni réflexion sur cette guerre coloniale… » et plus loin, en titre de paragraphe « L’histoire coloniale engloutie par la guerre d’Algérie ».(p,224)

      Tout à fait !

     Il s’agit de l’objection la plus importante qui peut être faite au travail médiatique de Stora, finir par faire croire aux jeunes Français, et cela n’a pas l’air de bien marcher de nos jours, que l’Algérie fut l’alpha et l’oméga de la colonisation française, et lorsque j’écris « l’Algérie », il conviendrait de lire la « guerre d’Algérie ».

        Plus loin, l’historien cite le nom d’un autre intellectuel qui fit partie de cette nouvelle vague de propagande, lequel nous a entraînés récemment dans la désastreuse guerre de Libye:

     « La France passe en quelques années du mythe de la France résistante, installé par de Gaulle, à celui de la France collaborationniste porté par la jeune génération d’intellectuels, comme Bernard Henry-Lévy. C’est sur fond de retournement idéologique lié à l’irruption sur la scène publique de la génération nées après la guerre (Celle de 68 ?), que la mémoire coloniale» qui continue de « saigner », selon les mots de Benjamin Stora, refait surface. Bernard Henry-Lévy et lui-même appartiennent d’ailleurs à la génération d’intellectuels issus d’Algérie. » (p,232)

    Si mes informations sont exactes, l’intéressé ou sa famille auraient encore des intérêts en Afrique du Nord.

       Question : mémoire « coloniale » ou mémoire « algérienne » ? Que personne n’a d’ailleurs eu le courage de tenter de mesurer.

          Une mémoire qui « saigne » ? Diable ! Celle de Stora ?

         L’auteur note « La France des années 1960 ne veut plus entendre parler des colonies, inconnues des nouvelles générations. » (p,231)

         Je ne suis pas sûr que les anciennes générations aient plus entendu    « parler des colonies » avant les années 1939-1945, ce qui n’est pas démontré, sauf à quelques grandes occasions qui ont fait la une des actualités de l’époque, Fachoda ou guerre 14-18, la grande Exposition Coloniale de 1931, s’étant inscrite beaucoup plus dans le cycle des Grandes Expositions alors à la mode en Europe.

         Ainsi que je l’ai déjà écrit, les histoires coloniales et postcoloniales, avant tout, souffrent d’une  grande carence d’analyse de la presse, seul grand vecteur de mesure de l’opinion publique de l’époque.

     Ce livre nous donne à maintes reprises l’occasion de constater le rôle important que la mouvance des intellectuels issus de la matrice algérienne a joué dans ce que j’appellerais volontiers une  propagande coloniale inversée, beaucoup plus importante et plus efficace que ne fut la propagande du « temps des colonies », celle « adorée » par le collectif Blanchard end Co.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vemeren Troisième partie – Suite

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Tous droits réservés

Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

Suite

       A mes yeux, la mise en lumière de ce courant de pensée très influent, trop influent, pour ne pas dire de propagande repentante et auto-flagellante, de nature idéologique, le plus souvent amarrée à la gauche, une gauche héritière de la gauche des conquêtes coloniales et de l’échec meurtrier de la guerre d’Algérie.

      « La nouvelle guerre des mémoires après 2000 » (p,233)

       L’auteur donne à nouveau la parole à M.Stora, mais c’est l’évocation de la deuxième guerre civile d’Algérie, celle des années 1990, « Cette terrible guerre sans visage, qui fait 200 000 morts, réactive, dix ans après la guerre civile libanaise (1975-1990), la mémoire des violences et des clivages idéologiques du temps colonial », une guerre encore plus « sans nom » que la première, et cette fois complètement masquée, qui est éclairante, sans partager l’avis de M.Stora sur les élections présidentielles de 2002, avec la surprise Le Pen : « Sans aller jusqu’à estimer, comme Benjamin Stora, que cette situation emprunte directement à la guerre d’Algérie, on ne peut faire l’économie de cette réflexion. » (p,234)

       Une réflexion du mémorialiste Stora que je ne partage pas du tout, car une fois de plus, l’historien en question ne fait état d’aucune enquête sérieuse d’opinion sur la question.

      L’auteur souligne à nouveau le rôle des intellectuels issus de la « matrice » algérienne : « Les intellectuels anticolonialistes venus d’Algérie sont très en pointe sur ces débats, notamment au sein des colonnes du Monde. Des activistes comme les Indigènes de la République vont même jusqu’à abolir la distance historique entre la période coloniale et l’actualité française du début du XXIème siècle…. La nouvelle guerre des mémoires est inséparable d’une histoire coloniale dans laquelle les héritiers, voire les témoins  de l’Algérie française, sont les principaux acteurs. » (p,235)

       Toujours le même constat, la quintessence historique de l’Algérie en lieu et place de toutes les autres colonies !

        L’auteur note à juste titre « Des formations politiques durablement marquées, oui, mais toujours par la guerre d’Algérie » (p,235) :

        « Pour les socialistes français, la guerre d’Algérie est le naufrage  qui a emporté la vieille SFIO…avec la réapparition de Mitterrand :

       Le paradoxe est qu’il est porté au pouvoir par la génération d’après-guerre, qui, ignorant son passé, soutient un ancien partisan de l’Algérie Française. La responsabilité de la guerre est pourtant imputable à la classe politique de la IVème République dont il est issu. » (p,236)

       J’ajouterai, dont il a été un des acteurs les plus remuants et les plus influents dans les changements fréquents de gouvernement.

      J’élargirai mon propos en indiquant que ce fut la gauche républicaine qui se lança dans les grandes conquêtes coloniales des années 1880-1900, que la gauche du Front Populaire dans les années 1935-1936 a été incapable d’orienter une politique de décolonisation pourtant nécessaire, et qu’elle récidiva dans son action  « réactionnaire » avec la guerre d’Indochine, la répression de Madagascar (1947, avec Moutet), et enfin avec le désastre de la guerre d’Algérie.

    La gauche du Programme Commun (1981-1995) nous a laissé en héritage une Françafrique pour le moins ambigüe, le néocolonialisme, et une histoire de France de la repentance et de l’autoflagellation nationale.

     Le chapitre XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239)

     L’auteur a tout à fait raison d’appeler notre attention sur le rôle des élites rapatriées dans la vie nationale, et cette évocation est très éclairante sur l’évolution française :

     « La réussite et l’influence des élites rapatriées sont rarement abordées, comme si elles étaient un non-objet d’histoire…. Mais rien n’a presque été écrit sur la réussite et la réinsertion des élites pieds noirs et coloniales en métropole. Faut-il parler d’élites postcoloniales, d’héritiers ou de descendants des colonisateurs, et comment délimiter cette population ? Le risque d’arbitraire existe. Il revient à l’historien de proposer des termes justes.

    On peut chiffrer les personnes de retour de l’empire, les classer, définir des groupes de pieds noirs, fonctionnaires, militaires… Faut-il incorporer leurs descendants ? En 1991, (toujours Stora !) Benjamin Stora estime que 7 millions de métropolitains vivants ont été personnellement touchés par la guerre d’Algérie (2 millions de militaires, 2 millions de pieds noirs et leurs enfants, 3 millions d’algériens immigrés et harkis) un chiffre repris par l’ambassadeur de France à Alger…

     Quelle est l’influence de ce groupe sur « l’idéologie française », au sens où Bernard Henry-Lévy l’a définie ? Ce groupe a-t-il pesé sur la scène politique et intellectuelle, sur les milieux d’affaires, sur la représentation du monde des Français métropolitains ? » (p,240)

      L’auteur montre bien l’influence de ce groupe de pression, mais une fois de plus, il s’agissait plus de la matrice algérienne que de l’impériale au sens large, comme l’indique d’ailleurs la liste des membres de ce groupe qui figure dans la paragraphe : « Dispersion et importance de la scène artistique-médiatique » (p,245)

          Mais plus intéressantes sont encore les pages consacrées à :

     « Les trois temps d’une prise du pouvoir idéologique et intellectuel en France » (p,246)

      Le passage de ce livre éclaire tout à fait cette « prise de pouvoir idéologique et intellectuel en France », une situation le plus souvent ou trop souvent ignorée.

      Comment ne pas attribuer à ce nouveau « pouvoir », non issu du suffrage universel, une grande partie des dérives de victimisation, de repentance, ou d’auto-flagellation de notre histoire de la France ?

     Les pages 246,247, et 248 en donnent la liste.

     L’auteur cite d’abord Camus : « Figure tutélaire des intellectuels antitotalitaires et libertaires avant la lettre, il subit le magistère anticolonialiste de Jean Paul Sartre qui exerce avec brutalité son ascendant sur la gauche marxiste et indépendantiste…. Lors de la remise de son prix Nobel à Stockholm, il a prévenu : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Savait-il que la déconstruction était à l’œuvre ?

Les intellectuels nés, passés par, ou venus d’Algérie, occupent des positions clés dans les années 1960 et 1970 au sein de l’intelligentsia française et de ses grandes institutions. » (p,246)   

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie – suite c

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite (c)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Sont cités Derrida, Althuser, Cixous, Rancière, Badiou, Braudel, Charles-André Julien, Lacoste, Bourdieu, Bernard-Henri Lévy, Jambert, Stora…

           « La critique radicale du système républicain français, et par extension de l’Occident, est un legs compl                                                                             exe du XXème siècle.  A la génération suivante, après 2010, la déconstruction est à son tour la cible de nouveaux idéologues et polémistes. S’il est difficile de statuer sur l’ampleur et le devenir de cette nouvelle critique idéologique, au moins peut-on remarquer que ses principaux promoteurs Eric Zemmour ou Robert Ménard, gardent un  gros tropisme algérien, du fait de leurs origines… La capacité de cette terre à produire de l’idéologie est peu commune. » (p,248)

           Pourquoi ne pas rapprocher cette dernière phrase avec le titre du livre de Sudhir Hazareesingh  « Ce pays qui aime les idées » Histoire d’une passion française » ?

          Sauf que dans ce beau débat des idées, silence sur les Gardes rouges de Mao, sur la génocide cambodgien, ou encore sur l’écroulement du rêve marxiste,  pour ne pas dire de la dictature marxiste !

          L’historien enchaine sur la liste des politiques qui ont partagé le même sillon idéologique : »De François Mitterrand à François Hollande : le lourd passif des générations d’après 1981 » (p248)

        « Mai 1968 fait surgir à Paris une nouvelle génération sur la scène politique et sociale, qui entre dans les palais nationaux en 1981 », avec des hommes et des femmes qui ont une filiation avec l’Algérie : Daniel, Julliard, Guillebaud, avant que ne viennent Plenel, Amar, Elkabbach…

            « L’alternance de 1981 amène au sein du monde politique une génération porteuse de la mémoire algérienne, et des combats perdus ou inachevés que l’on pensait enterrés. Des militants, intellectuels et responsables nés dans l’empire colonial s’imposent au parti socialiste. » (p,249)

      Sont cités Dray, Attali, Guigou, Mélenchon, Strauss-Kahn, Quilès, Bartolone, Delanoë, Royal…

        « Ils forment un groupe invisible, relié par des préoccupations, des héritages, une vision de la France et du monde qui les distingue et les soude. Conscients ou inconscients de cet héritage colonial, de ses rêves, de ses fantasmes et de son fiasco. Ils poursuivent ce combat par d’autres voies. » (p,249)

          Cette analyse appelle de ma part deux réserves, la principale étant celle de la confusion conceptuelle qu’elle est susceptible d’entretenir entre le domaine algérien, par extension, le domaine maghrébin, et le domaine colonial en général, une des objections majeures que j’ai formulée à maintes reprises sur le discours mémoriel ou historique que tient, depuis des années, Monsieur Stora dans les médias, historien à la fois politique et médiatique, la seconde portant sur le rôle de l’inconscient dans cette affaire.

         Mes lecteurs savent combien je suis très réservé sur cette irruption de l’inconscient dans notre histoire de France, notamment lorsqu’il qu’il s’agit de « l’inconscient collectif » cher à Mme Coquery-Vidrovitch , laquelle a eu aussi, sauf erreur, des affinités avec ce groupe intellectuel.

       Extension du domaine algérien, oui, car l’auteur est un très bon connaisseur de la Tunisie, mais surtout du Maroc, et la page qu’il consacre à ces deux territoires l’illustre bien :

        « Repli sur le Maroc et la Tunisie, pour le meilleur et pour le pire » (p,253)

       « Forts de cette histoire algérienne puissante et cruelle, le Maroc et la Tunisie ont joué leur partition, en détournant en partie vers leur territoire et leur économie les mannes refusées par l’Algérie. De nombreux pieds noirs et juifs algériens aisés ont investi au Maroc et en Tunisie, et y ont pris leurs habitudes touristiques ou de villégiature.

          La liste est longue des personnalités et réseaux que le Maroc et la Tunisie sont parvenus au fil des décennies, à séduire et à fidéliser, pour leur plus grande protection en France, dans le cadre de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de lobbying… Les journalistes font l’objet d’une approche particulière, car leur influence est durable et leur rôle de médiateur est irremplaçable….

      « Les amis du Maroc » ont peut-être modifié leurs habitudes, mais la conspiration du silence et de l’amitié est demeurée intacte. Sous Mohammed VI, les personnalités de très haut niveau qui côtoient le Maroc, au Parti socialiste, au centre, à l’UMP et au Front national, n’ont peut-être jamais été aussi puissantes et nombreuses dans l’establishment politique français. Journalistes, hommes politiques, grands patrons, auxquels s’ajoute désormais la « tribu » des stars franco-marocaines, déploient une commune passion marocaine. » (p,254)

         En ce qui concerne ces dernières années, j’y ajouterais volontiers la liste des ministres ou secrétaires d’Etat qui ont la double nationalité, française et marocaine.

        La description qui est faite de ces relations est tout à fait éclairante, et renvoie par exemple pour le Maroc à une interview du même auteur, qui dans le Figaro ou le Monde, soulignait le rôle du Rif dans le trafic du haschich en France, avec sa corrélation, le nombre de nos jeunes que la consommation de hasch conduit dans nos hôpitaux.

         Ajouterais-je en finale que les élites postcoloniales qui sont en cause sont celles dont les origines sont liées à l’ancien monde colonial et au nouveau monde néocolonial.

Jean Pierre Renaud