La Parole de la France ? Petit résumé historique

La Parole de la France ?

Guerres d’Indochine et guerre d’Algérie

Guerre d’Indochine

Petit résumé historique

En annexe, des extraits de texte de Stanley Karnow (1984)

En bref

Extraits de texte

III

B

« VIETNAM »

Stanley Karnow

(Presses de la Cité- 1984)

 Ce livre est intéressant parce qu’il s’agit de l’analyse et de la réflexion d’un journaliste étranger sur le long conflit indochinois, d’abord français, puis américain et d’une analyse documentée sur les tenants et aboutissants de la première guerre d’Indochine (1945-1954), et son déroulement, qui seule retiendra ici notre attention.   

            Il convient de noter qu’il ne s’agit donc pas d’un reportage de guerre.

            Après son service dans l’US Army de 1943 à 1946, Stanley Karnow fut journaliste à Paris et l’époux de Claude Sarraute (1948-1955). A partir de 1959, il couvrit la guerre d’Algérie. 

Avant-propos

            « Les racines de ce livre remontent au début des années 1950, à Paris, où je commençais ma carrière professionnelle de journaliste. La France soutenue par les Etats Unis, luttait alors contre le Viet Minh, mouvement dirigé par les communistes, pour maintenir sa domination en Indochine. En écrivant sur le côté français de la guerre, je me familiarisai bientôt avec les noms  et les lieux du Vietnam, mais je ne m’imaginais guère qu’il ferait  plus tard  partie de ma propre expérience. En 1959, je fus chargé de « couvrir » l’Extrême Orient, et cette région qui comprenait le Vietnam devint mon secteur pour plus de deux décennies. Je me suis rendu tout récemment au Vietnam en 1981 pour sept semaines, le plus long séjour autorisé pour un correspondant américain depuis que les communistes ont étendu leur emprise sur l’ensemble du pays en 1975.

            On a écrit sur le Vietnam maints excellents livres, portant pour la plupart sur des épisodes spécifiques de la guerre que les Américains y livrèrent ou sur des périodes récentes de son histoire. J’ai considéré que je possédais peut-être la perspective nécessaire pour dresser un panorama qui, tout en s’attachant principalement à l’intervention américaine, décrirait et analyserait aussi en détail les origines du conflit contemporain. L’histoire est en effet une succession ininterrompue de causes et d’effets – passé, présent et avenir inéluctables… La péninsule du Sud-Est asiatique, que les Français appelèrent Indochine, et qui comprend le Vietnam, le Cambodge et le Laos, fut un champ de batailles pendant des siècles – et le demeure aujourd’hui encore. ..

            J’ai entrepris ce livre sans avoir de cause à plaider… » (p,8)

Chapitre II

La piété et le pouvoir

            L’auteur retrace un passé fait de religion et de goût des richesses, les débuts de la conquête française en Cochinchine avec les aventures missionnaires en Cochinchine de Pigneau de Béhaine au siècle de Louis XVI et ses ambitions d’y construire un « empire chrétien ». Il y croyait d’autant plus qu’il avait contribué à l’installation de l’Empereur Gia Long à Hué.

            L’auteur relève qu’à cette époque existait déjà une rivalité entre les Trinh au Nord et les Nguyen au Sud, et que le christianisme n’y était pas vraiment le bienvenu en raison des craintes de déstabilisation qu’il faisait peser sur le confucianisme et sur le culte de l’Empereur. Les persécutions reprirent en Annam comme en Chine ou au Japon à la même époque, et ce fut une des raisons avancées souvent pour intervenir dans les affaires d’Asie. Ce fut le cas en 1859 avec le fait accompli de la Marine française en Cochinchine, alors que Napoléon III n’y était pas opposé, sur l’avis d’une Commission Spéciale d’après laquelle une expédition pouvait être justifiée « par la force des choses qui pousse les nations occidentales vers l’Extrême Orient » (p,48)

J’ai souligné cette phrase parce qu’elle propose une explication pseudo-scientifique de l’impérialisme, « force des choses » ici, ou « les évènements ont marché » comme le déclarait le ministre des Colonies Lebon, à la fin du dix-neuvième siècle.

L’auteur propose alors un résumé historique des interventions successives de la France avec les épisodes Garnier, Philastre, Rivière, puis la conquête elle-même avec l’expédition de Jules Ferry dans les années 1883-1885, sa démission, et l’opposition de Clemenceau.

Très tôt, quasiment dès le début, la présence française suscita une résistance de nature diverse, mais constante tout au long des dix-neuvième et vingtième siècles.

III

L’héritage du nationalisme vietnamien (p,59)

            « L’Indochine, comme son nom l’indique, fut le lieu où s’affrontèrent deux grandes civilisations d’Asie : celle de l’Inde et celle de Chine… La Chine laissa son empreinte sur le Vietnam, que la géographie isolait de la sphère d’influence indienne…. Si l’identité nationale est difficile à définir, deux éléments importants ont façonné le Vietnam au cours des siècles. Les Vietnamiens originels apportèrent avec eux de Chine leur économie de base, reposant sur la culture irriguée du riz. Cette forme de culture, qui dépend des aléas météorologiques et nécessite des systèmes d’irrigation complexes, réclame une coopération dans le travail. Les communautés vietnamiennes développèrent donc un puissant esprit collectif et, quoiqu’autonomes, les villages se mobilisaient comme autant de maillons d’une même chaine pour combattre les envahisseurs étrangers. Les guerres fréquentes que connut le pays apprirent aux Vietnamiens à se défendre eux-mêmes et en firent des guerriers. Des siècles plus tard, pendant la guerre d’Indochine, le Français Paul Mus mit en garde contre l’idée « commode » que les paysans vietnamiens n’étaient qu’une « masse passive », ne songeant qu’à son bol de riz quotidien et que des agents entretenaient dans la subversion par la terreur. En fait, leur attachement à  la nation s’était forgé  bien auparavant.

            Comme la plupart des nations, le Vietnam fait remonter sa création à des royaumes mythiques. Les Vietnamiens entretiennent cette mythologie dans le dessein de démontrer que leurs racines nationales sont aussi profondes que celles des Chinois, leurs rivaux ancestraux. » (p,61)

Le souvenir de la révolte de deux femmes ; Trieu Au, en 248 avant notre ère, et Trung Trac, en 40 après JC, et tout au long des siècles, les rapports sino-vietnamiens furent fréquemment des rapports « tumultueux » (p,62)

            L’auteur en rappelle les épisodes les plus éclatants au cours des siècles en même temps que les guerres civiles entre les Trinh au nord et les Nguyen au sud.

            L’auteur rappelle ce que disait Gallieni à la fin du XIXème siècle «  On ne… pacifie pas un pays… par la terreur. Après avoir surmonté leur peur initiale, les masses deviennent de plus en plus rebelles, l’amertume accumulée monte en réaction à l’usage de la force brutale. » (p,66)

            L’auteur montre bien dans quel contexte historique d’une très longue durée la France avait imposé sa volonté et rencontré dès le début une résistance multiforme, constante, et grandissante, au fur et à mesure des années et des épisodes que raconte l’auteur.

            L’auteur cite l’exemple d’un grand intellectuel vietnamien, Phan Chuh Trinh, pourchassé par les Français, et fondateur d’une organisation politique moderne, le Zuy Tan (Rénovation) : « Ainsi, Phan Chuh Trinh introduisit dans la lutte pour l’indépendance deux éléments nouveaux : un appareil relativement complexe pour mobiliser les courants favorables à la révolte, et des liaisons avec d’autres militants d’Asie…

Phan Chu Trinh…. Etait fils d’un riche propriétaire foncier rallié à l’Empereur dissident Ham Nghi. Mandarin, il fut ministre de la Cour impériale de Hué mais donna sa démission en 1905 pour suivre Phan Boi Chau au Japon. Là, leurs chemins se  séparèrent. Prévoyant la menace de l’impérialisme japonais, Phan Chu Trinh repoussa  la perspective d’une alliance avec le Japon et rejeta même l’idée d’une monarchie libérale qu’il jugeait rétrograde. De retour au Vietnam, il eut l’audace  d’adresser au Gouverneur français une lettre ouverte l’avertissant que le pays finirait par se soulever si les Vietnamiens ne pouvaient s’exprimer sur le plan politique, économique et social. « Les abus de pouvoir de l’administration coloniale violent les principes démocratiques que la France  a toujours défendu », écrivit-il, propos qui garderont toute leur valeur un demi-siècle plus tard. » (p,70)

Au milieu du XIXème siècle, quand ils étendirent leur domination sur tout le Vietnam, les Français avaient eu un choix à faire. Ils auraient pu poursuivre une politique d’ « association », comme les Britanniques en Inde, en gouvernant indirectement à travers les institutions indigènes…Les partisans de ces deux thèses s’affrontèrent tant que la France demeura au Vietnam, et ni les uns ni les autres ne virent leurs idées triompher dans la réalité.» (p,71)

Commentaire : trois remarques, la première sur l’écho mondial qu’eut la défaite de la Russie face au Japon, en 1905, un premier réveil de l’Asie, la deuxième, relative au propos tenu plus haut, la contradiction permanente d’une politique coloniale qui s’inscrivait officiellement et hypocritement dans un univers démocratique et universaliste alors que sur le terrain, les acteurs de terrain faisaient le contraire, et la troisième au choix qui fut fait d’un régime d’administration directe, comme ce fut le cas du Vietnam, un État séculaire.

       Toutes les explications sont possibles, mais mes préférences portent sur les suivantes : 1) L’ignorance et l’incompétence des milieux gouvernementaux qui étaient censés donner le « la » de la politique coloniale, laissant le soin aux « experts » d’opérer, avec le soutien tacite d’une opinion publique qui ne fut jamais « coloniale ». 2) Le plus souvent, les « experts » étaient soit les idéalistes de tout crin, souvent des « francs-maçons » qui poursuivaient leurs rêves d’un Occident civilisateur, mais souvent doublés, comme ce fut le cas en Indochine, de « frères » très actifs dans le monde financier et économique. 3) Dernière explication, et peut-être la plus importante, la vie en Indochine fut souvent un rêve pour les Européens qui s’y installèrent une fois les conditions réunies de vie urbaine de type européen, au tout début du siècle passé.

        L’auteur fait une observation d’une grande pertinence historique qui explique beaucoup de choses dans le fonctionnement colonial français, la contradiction existant très tôt entre les expériences métropolitaines que firent beaucoup d’étudiants et d’intellectuels venus des colonies et la vie coloniale.

       « Une expérience pénible  attendait les jeunes vietnamiens appartenant souvent à des familles riches, qui faisaient leurs études à Paris. Après avoir connu la liberté et l’esprit de camaraderie du quartier  Latin ; ils étaient à leur retour au Vietnam, tenus en suspicion par la police coloniale, qui confisquait leurs livres et leurs journaux. En outre, ils trouvaient rarement un emploi correspondant à leur  qualification et ne gagnaient jamais autant que leurs collègues français. Pis encore, les petits fonctionnaires français, pour qui les tous les Vietnamiens se ressemblaient, les humiliaient en utilisant lorsqu’ils leur parlaient le tutoiement réservé d’ordinaire aux domestiques et autres subalternes. Un  de ces étudiants, condamné dans les années 1930 pour agitation nationaliste, déclara au tribunal que c’était l’injustice des Français qui avait fait de lui un révolutionnaire. » (p,72)

       Quelques lignes plus loin, l’auteur donne un autre exemple de la contradiction qui plomba presque jusqu’à  la fin de la politique coloniale française, un exemple célèbre puisqu’il s’agit d’Ho Chi Minh, né en 1890.

       Karnow en déroule le portrait international, français, et vietnamien qui en dit long sur l’homme et le personnage politique, ses expériences de travail en mer (trois ans),  ses voyages aux Indes, à New York, à Londres, et ses six années de séjour en France où il rencontra le gratin socialiste, dont Léon Blum, participa au Congrès de Tours en 1920 en qualité de « représentant de l’Indochine », va à Moscou où il rencontre Staline et Trotski, va à Hong Kong, etc… jusqu’en 1941, date à laquelle il se glisse subrepticement au Vietnam, y rencontre Giap et Phan Van Dong pour y fonder le Vietminh.

       Pour qui a une petite idée de la culture internationale des ministres qui officièrent dans le domaine colonial, je serais tenté de dire qu’aucun d’entre eux, même Clémenceau, ne disposaient d’un tel bagage d’expérience internationale, d’autant plus qu’il avait acquis l’expérience du terrain français et de son élite politique socialiste.

IV

La guerre contre les Français

      « Le 2 septembre 1945, Hanoi s’éveilla parée pour la fête…il monta (Ho Chi Minh) à la tribune, il proclama l’indépendance du Vietnam en commençant par une phrase que la plupart de ceux qui l’écoutaient ne connaissaient pas : «  Tous les hommes sont nés égaux. Le Créateur nous a donné des droits inviolables : le droit de vivre, le droit d’être libre et le droit de réaliser notre bonheur. » (p,80)

            L’auteur décrit alors le contexte international de l’époque, les hésitations et interférences américaines  en Indochine dans la complexité du contexte de soutien aux armées nationalistes chinoises aux prises avec les communistes, dresse le portrait du général Giap, lequel avait fait des études sérieuses :

      « Trop ambitieux pour rester à Hué, il se rend à Hanoi, fréquente le lycée Albert Sarraut et passe une licence en droit. Il écrit des articles en français et en vietnamien, dans des journaux nationalistes et, pour joindre les deux bouts, enseigne l’histoire dans une école privée. L’un de ses anciens élèves raconte qu’il évoquait les batailles napoléoniennes « comme s’il était Napoléon en personne. Il devait déjà préparer sa carrière militaire »

   Giap fut incontestablement un grand chef de guerre et stratège, même si on est loin d’approuver les formes de son commandement révolutionnaire.

     L’auteur évoque le coup de force japonais du 9 mai 1945 qui mit hors-jeu le pouvoir ambigu de l’amiral Decoux, et ouvrit la porte au Vietminh, alors que Bao Dai, «l’indolent empereur fantoche était à la chasse…, et que «  Dans le nord du pays, déjà pauvre en temps normal, deux millions d’habitants sur une population de dix millions moururent de faim. » (p,87)

      « Pendant ce temps, le général de Gaulle procède à deux nominations illustrant sa détermination à rétablir la domination française. Il choisit comme haut-commissaire en Indochine l’amiral Thierry d’Argenlieu, personnage quasi médiéval qui quitta la marine après la guerre 14-18 pour entrer dans l’ordre des Carmes puis ôta temporairement sa bure pour rejoindre les Français libres. Arrogant et inflexible, d’Argenlieu a la même foi absolue que de Gaulle en la grandeur de la France, conviction qui l’opposera fatalement au Vietminh, dont la ferveur patriotique n’est pas moins grande. Comme chef militaire, de Gaulle désigne le général Leclerc, qui comprendra vite la nécessité d’une solution politique mais commencera par appliquer le conseil que lui donne le général Douglas Mac Arthur : « Faites venir des renforts, autant que vous pourrez. »(p,90)

      L’auteur décrit  un processus de négociation on ne peut plus ambigu entre la France et Ho Chi Minh aussi bien à Paris, à l’occasion de plusieurs conférences à Fontainebleau ou à Dalat, avec le blocage que constitua la question de la Cochinchine que la France tenta en vain d’isoler du processus  de négociation, qui trouva une conclusion provisoire dans l’affrontement militaire de la fin 1946 à Hanoi.

    La volatilité des gouvernements n’arrangeait pas les choses, de même que la présence encore ambiguë du Parti Communiste comme une des troisièmes forces, à côté de la SFIO et du MRP.

        Il n’empêche que le PC n’avait pas encore été sorti du jeu politique officiel, en 1947, début de la Guerre Froide.

       « Ramadier dut aussi faire face à des pressions extérieures. Le général de Gaulle venait de mettre son immense prestige derrière un nouveau parti politique, le Rassemblement du Peuple Français, qui s’opposait fermement à l’abandon du Vietnam. L’opinion publique française était aussi sur une ligne ferme afin de retrouver la fierté nationale perdue dans la défaite de 1940. Les communistes français partageaient ce sentiment et Maurice Thorez, vice-président du Conseil du gouvernement Ramadier, contresigna une directive ordonnant une action militaire contre le Vietminh. La France fut ainsi entraînée dans la guerre par un régime socialiste trop instable pour faire front à ses adversaires conservateurs. » (p,96)

     Commentaire :  1) l’observation de la dernière phrase recoupe le constat historique que j’ai pu faire tout au long de la période des conquêtes coloniales et de la colonisation qui a suivi, la gauche étant le plus souvent aux premières loges de ces actions, le summum ayant été atteint en Algérie, avec l’engagement du contingent par la SFIO de Guy Mollet.

      2) « L’opinion publique française était aussi sur une ligne ferme… » :

    Question : est-ce que l’analyse de la presse de l’époque, des radios, ou les premiers sondages ont établi « l’état » en question de l’opinion publique française ?

       Commence alors la  véritable période de guerre, avec le renforcement militaire du Vietminh, l’aide de la Chine communiste sur les frontières du Tonkin, le guerre de Corée en juin 1950, l’internationalisation progressive du conflit, une aide de plus en plus importante des Etats-Unis.

     A peine sortie de la guerre, la France était bien incapable de soutenir un effort de guerre croissant, la « théorie des dominos », « l’endiguement du communisme », la reprise d’une stratégie obsolète de remise au pouvoir d’un Bao Dai qui avait bradé depuis longtemps son « mandat du ciel » »

      « De 1949 à 1950, Giap quadrupla le nombre de ses bataillons réguliers du Vietminh, qu’il porta à cent dix-sept. » (p,105)

       Le général de Lattre prend le commandement relance les opérations militaires, quadrille le delta par une grille de mille blockhaus, va plaider le soutien de Etats Unis, manifeste un talent incontestable pour tenter de rendre populaire la guerre d’Indochine. Il meurt avant d’avoir achevé la mission qu’il avait acceptée.

     « A la fin de 1952, le total des soldats français morts, blessés, capturés ou portés disparus depuis le commencement de la guerre, six ans plus tôt, s’élevait à plus de quatre-vingt-dix mille, et la France avait englouti dans la guerre deux fois ce qu’elle avait reçu des États Unis dans le cadre du plan Marshall. » (p,108)

       En 1952, Mendès France soulève la question capitale du choix qui se pose depuis le début de la guerre  entre le théâtre d’opérations indochinois et le théâtre d’opérations européen, mais sans résultat.

       La France est dans un engrenage à multiples facettes dont elle n’arrivera jamais à sortir avant la défaite de Dien Bien Phu, un choix du théâtre d’opération qui n’avait pas  fait l’unanimité au sein du commandement militaire du Corps expéditionnaire. (p,109)

     En quelques années, la guerre avait complètement changé de nature, avec une armée vietminh de réguliers bien équipée avec artillerie et génie, bien entraînée, pouvant facilement se réfugier dans un périmètre quasiment inviolable, dans les montagnes des frontières de Chine,  doublée par une guérilla de mieux en mieux implantée dans les deltas, et un contrôle idéologique de plus en plus efficace des villages et des villes. Ho Chi Minh et Giap avaient réussi à mettre en œuvre un des grands principes de guerre posé par Mao Tsé Tung, une armée révolutionnaire, « comme un poisson dans l’eau ».

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

La Parole de la France ? Les Héritages – Guerres d’Indochine et d’Algérie- III

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

III

Guerres d’Indochine et guerre d’Algérie

Guerre d’Indochine

Petit résumé historique

En annexe, des extraits de texte de Stanley Karnow (1984)

En bref

            Beaucoup de décideurs et d’acteurs français de la guerre d’Indochine, au niveau gouvernemental et indochinois, ignoraient tout, ou presque tout de la longue histoire de l’Indochine, de ses trois KY (Cochinchine, Annam, Tonkin), et de son passé impérial qui vit ces trois KY lutter à plusieurs reprises contre l’impérialisme chinois.

Colonisation française (1855-1954) et guerre d’Indochine ?

Le « moment colonial »

            Dans son livre « Histoire du  Vietnam contemporain » – « La nation résiliente », Pierre Brocheux, pose son analyse historique en parlant du « moment colonial » intervenu dans « un processus de longue durée », celui d’une histoire ancienne et complexe liée à la Chine, bousculée par une ouverture forcée à l’Occident, parallèle à celle de la Chine et du Japon.

            Le lecteur pourra se reporter, en ce qui concerne la France et le Japon,  à l’incident de Sakai, en 1868. (blog du 23/09/2011)

L’expression « moment colonial » me parait bien choisie, car l’on oublie souvent que la colonisation française n’a occupé, dans la plupart des cas, qu’un court espace de temps à l’échelle des siècles, de l’ordre de soixante à quatre-vingt années, de l’ordre de cinquante à soixante ans pour Madagascar ou la Côte d’Ivoire.

            Font exception, l’Indochine, si l’on tient compte de la première conquête de la Cochinchine, en 1855, l’Algérie en 1830, ou encore le Sénégal, avec Faidherbe, dans les années 1854 – 1865, sur les côtes, avec les Quatre communes. Il fallut attendre les années 1885 pour que la France mette la main complètement sur les deux autres Ky, l’Annam et le Tonkin           

1939-1945, embrouilles tous azimuts entre métropole, Indochine, Japon, Chine, Etats-Unis 

En 1945, l’Indochine française n’existait déjà plus.

Avant de rappeler brièvement la période 1945-1954, et pour comprendre le contexte historique des années 1945, il est important en effet de rappeler brièvement les événements qui ont marqué la période très confuse qu’a connue l’Indochine pendant  la Deuxième Guerre Mondiale.

    L’Indochine fut alors complètement coupée de la métropole, laissée à elle-même, alors qu’elle n’avait aucun moyen de défense pour résister au Japon, que la situation internationale était très fluctuante, incertaine et que l’Indochine ne pouvait que tenter de sauver les meubles.

     L’Indochine se trouvait dans une situation des communications avec la métropole qui ressemblait étrangement à celle de la période des conquêtes à la fin du XIXème siècle, à plus de 13 000 kilomètres de distance en face de la  puissance militaire du Japon, nouveau conquérant de l’Asie du Sud-Est.

     Le livre de Paul Rignac «  La désinformation autour de la fin de la l’Indochine française » nous livre beaucoup d’informations à ce sujet, même si le lecteur n’est pas obligé de partager toutes ses analyses.

    La citation d’un propos du général Catroux qui fut gouverneur général de  l’Indochine jusqu’au 21 juin 1940 propose déjà un bon éclairage résumé du sujet :

      « Quand on est battu, que l’on n’a pas d’avions, pas de DCA, pas de sous-marins, on s’efforce de garder son bien et on négocie. » (page 28)

       Il convient de rappeler deux choses, 1) le général Catroux fut le premier général à cinq étoiles à rallier le général de Gaulle, mais il fut déjà le témoin de la lutte ouverte qui  s’engagea en Indochine entre vrais ou faux pétainistes ou vrais ou faux gaullistes, avant que le régime de Vichy ne cède la place complètement au Reich, en 1942.  Nommé à ce poste le 23 août 1939, il fut limogé le 25 juin 1940 pour laisser la place à l’amiral Decoux.

      Le 30 août 1940, le gouvernement Pétain signait un accord avec le Japon qui élargissait les facilités militaires qu’avait déjà négociées le général Catroux.

      « En contrepartie, le Japon reconnait la souveraineté française sur l’Indochine et s’engage à respecter son intégrité territoriale. » (page 37)

    2) Le contexte historique qui fut celle du Corps expéditionnaire en 1945, ressemblait étrangement à celui des années 40 et 41, c’est-à-dire l’absence complète de moyens pour faire la guerre.

        Le récit très détaillé de cette période charnière par Paul Rignac décrit l’ambiance délétère et ambiguë qui agita les milieux politiques et militaires au moment de l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain le 10 juillet 1940, à la suite de la démission de la Troisième République, et cela jusqu’au moment où l’Allemagne occupa la zone sud, un moment de vérité pour bon nombre de Français.

       Saint Exupéry décrit dans ses souvenirs le même type d’état d’âme qui imprégnait alors une grande partie des milieux dirigeants civils ou militaires, alors que les fractures furent d’autant plus vives qu’elles se  creusaient en métropole même, à Londres, et en Algérie, où le général Giraud conservait beaucoup de partisans.

       Sur le plan international, il convient de signaler les grandes dates qui modifièrent complètement les contextes historiques et stratégiques occidentaux et asiatiques.

       En Europe, avant de l’envahir, le 22 juin 1941, l’Allemagne avait signé un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique, le23 août  1939.

       Dans le Pacifique, le Japon entrait en guerre avec les Etats Unis à Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, alors qu’il avait signé un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique, le 14 avril 1941.

      Cette dernière ne dénonça ce pacte que le 8 août 1945, alors que le Japon, après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima, le 6 août 1945, était dans l’obligation de capituler

       Cette dénonciation de dernière heure permit à l’URSS de s’asseoir à la table des négociations de capitulation du Japon, avec la complicité du Président  Roosevelt, obsédé par ses convictions sur l’indépendance nécessaire des peuples colonisés, dont l’Indochine.

       Dans sa conquête de l’Asie et du Pacifique, le Japon s’empara de  Singapour, une des grandes bases stratégiques de la puissance coloniale anglaise en Asie, entre le 8 décembre 1941 et le 21 janvier 1942, et des Indes Néerlandaises au cours du même mois.

       Le rapport de forces a commencé à changer après la bataille navale de Midway, le 5 juin 1942, puis la reconquête successive et meurtrière des Iles du Pacifique par les Etats-Unis.

    Les rapports de forces ont également commencé à changer en Méditerranée avec le débarquement des forces alliées en Afrique du Nord, et sur le front soviétique,  avec la bataille de Stalingrad, entre le 23 août 1942 et le 2 février 1943.

     L’Indochine n’était donc partie prenante de ces conflits qu’indirectement, en raison de la place stratégique de plus en plus importante  qu’elle occupait pour le Japon, contraint au rétrécissement de sa défense stratégique.

        Elle restait donc une proie tentante pour une puissance militaire en déclin, sur la défensive, dont un des mots d’ordre avait toujours été « L’Asie aux Asiatiques », et c’est ce que fit la Japon avant sa capitulation.

      Après le coup de force du Japon le 9 mars 1945, celui-ci fit le nécessaire pour renforcer les moyens militaires du Viet Minh.

     Le Japon occupait l’Indochine, mais l’administration de l’amiral Decoux, vichyste, continuait à fonctionner sous le contrôle de l’armée japonaise, jusqu’en mars 1945 : elle laissait alors le pouvoir vacant, après avoir massacré plusieurs centaines de Français, notamment les soldats et officiers de la garnison de Lang Son.

            Concrètement, le Japon laissait le pouvoir au  Vietminh.

            « En quelques jours, la présence administrative et militaire est totalement anéantie…(page 9)

       Quoiqu’il en soit, une évidence s’impose : l’Indochine française n’est pas morte à Dien Bien Phu ou à Genève. Elle a cessé d’exister le 9 mars 1945 après le coup de force du Japon. » «  (page 11)

       Et pendant ce temps-là… le Parti Communiste Indochinois, c’est-à-dire le Viet Minh construisait son nid, renforçait son organisation politique, terroriste, et militaire, en Cochinchine, en Annam, et aux frontières de Chine et du Tonkin, alors qu’il était le seul à savoir où il allait et avec quels alliés, avec le souci d’éliminer la rivalité  de nationalistes indochinois mal organisés, avec la complicité bienveillante du Japon.

            Le Viet Minh avait une organisation communiste qui disposait alors de peu de moyens, mais il était le seul à avoir une doctrine, et des ramifications sur tout le territoire.

&

L’héritage du nationalisme vietnamien (p,59) (Vietnam – Stanley Karnow-Presses de la Cité-1984))

            « L’Indochine, comme son nom l’indique, fut le lieu où s’affrontèrent deux grandes civilisations d’Asie : celle de l’Inde et celle de Chine… La Chine laissa son empreinte sur le Vietnam, que la géographie isolait de la sphère d’influence indienne…. Si l’identité nationale est difficile à définir, deux éléments importants ont façonné le Vietnam au cours des siècles. Les Vietnamiens originels apportèrent avec eux de Chine leur économie de base, reposant sur la culture irriguée du riz. Cette forme de culture, qui dépend des aléas météorologiques et nécessite des systèmes d’irrigation complexes, réclame une coopération dans le travail. Les communautés vietnamiennes développèrent donc un puissant esprit collectif et, quoiqu’autonomes, les villages se mobilisaient comme autant de maillons d’une même chaine pour combattre les envahisseurs étrangers. Les guerres fréquentes que connut le pays apprirent aux Vietnamiens à se défendre eux-mêmes et en firent des guerriers. Des siècles plus tard, pendant la guerre d’Indochine, le Français Paul Mus mit en garde contre l’idée « commode » que les paysans vietnamiens n’étaient qu’une « masse passive », ne songeant qu’à son bol de riz quotidien et que des agents entretenaient dans la subversion par la terreur. En fait, leur attachement à  la nation s’était forgé  bien auparavant.

            Comme la plupart des nations, le Vietnam fait remonter sa création à des royaumes mythiques. Les Vietnamiens entretiennent cette mythologie dans le dessein de démontrer que leurs racines nationales sont aussi profondes que celles des Chinois, leurs rivaux ancestraux. » (p,61)

Le souvenir de la révolte de deux femmes ; Trieu Au, en 248 avant notre ère, et Trung Trac, en 40 après JC, et tout au long des siècles, les rapports sino-vietnamiens furent fréquemment des rapports « tumultueux » (p,62)

            L’auteur en rappelle les épisodes les plus éclatants au cours des siècles en même temps que les guerres civiles entre les Trinh au nord et les Nguyen au sud :

            « La guerre civile entre Trinh et Nguyen se poursuivit pendant deux siècles. Tout comme les accords de Genève de 1954  divisèrent le Vietnam en deux le long du 17ème parallèle, les rivaux finirent par accepter une partition du pays suivant approximativement la même ligne. Ils convinrent également une trêve de circonstance, chacun espérant reprendre le combat dès qu’ils auraient recouvré des forces. » (p,66)

       L’auteur montre bien dans quel contexte historique d’une très longue histoire la France avait imposé sa volonté et rencontré dès le début une résistance multiforme, constante, et grandissante, au fur et à mesure des années et des épisodes que raconte l’auteur.

       « Au milieu du XIXème siècle, quand ils étendirent leur domination sur tout le Vietnam, les Français avaient eu un choix à faire. Ils auraient pu poursuivre une politique d’ « association », comme les Britanniques en Inde, en gouvernant indirectement à travers les institutions indigènes…Les partisans de ces deux thèses s’affrontèrent tant que la France demeura au Vietnam, et ni les uns ni les autres ne virent leurs idées triompher dans la réalité.

    Les Français gouvernèrent directement le Vietnam, comme les chiffres le montrent. En 1925, cinq mille britanniques administraient trois cents millions d’Indiens alors qu’il fallait autant de fonctionnaires aux Français pour gouverner une population dix fois plus petite. Cette même année, les salaires versés à l’administration coloniale engloutirent la moitié du budget des colonies françaises. » (p,71)

       L’Indochine n’est devenue une colonie à part entière qu’après la conquête du Tonkin, en 1885, avec les interférences traditionnelles de la Chine, l’Empereur d’Annam, Fils du Ciel, et Féal de l’Empereur de Chine, Fils du Ciel, continua longtemps à déposer chaque année son « tribut » de féal.

            En résumé, une longue histoire « nationale », avec quelques ingrédients principaux, la loi du « business » et l’ouverture forcée des ports d’Asie (opium et soie), l’impérialisme des nations occidentales, avec le rôle actif des Marines, ici la Marine française, l’expansion des missions chrétiennes qui commençaient à évangéliser l’Asie dans des conditions souvent très difficiles, avec le soutien de la même Marine, et au surplus un acteur trop souvent ignoré, le soutien d’une administration franc-maçonne : la conquête de la Cochinchine est un bon exemple de la collusion Marine- Missions- Affaires qui éclaire aussi certains aspects de la guerre d’Indochine, outre-mer le goupillon faisant bon ménage avec les francs-maçons.

&

Les dates clés de la guerre d’Indochine

« 1945-1954 »

            Trois périodes sont distinguées par le général Gras et par l’historien Tertrais :

Général Gras : « La guerre larvée (1945-1946) (p,41) – « La guerre coloniale (1947-1950) (p,159) – « La guerre  contre le communisme » (1950-1954) (p,305)

            Hugues Tertrais : « Une guerre coloniale aux moindres frais » (1945-1948) (p,25) – « L’inflation des coûts et la redistribution des cartes » (1949 – 1951) (p,69) – «  La guerre d’Indochine ou comment s’en débarrasser »(1952-1954) (p,119)

            Sur la scène internationale :

            2 septembre 1945 : capitulation du Japon

            1947 : la Guerre Froide commence entre les Etats-Unis et l’URSS, et plus largement entre l’Occident et le monde soviétique, avec son « correspondant » sur le plan intérieur, le Parti Communiste : le 4 mai 1947, les ministres communistes sont révoqués, par le Président du Conseil, Paul Ramadier. C’est la fin de la gouvernance politique tripartite, SFIO, MRP, PC, mais la valse des gouvernements continue….

            1949 : Mao Tsé Toung prend le pouvoir en Chine : ébranlement de l’Indochine encore « coloniale »

            1951 : guerre de Corée avec la confrontation Etats-Unis – URSS,  à travers Chine et Corée : ébranlement de l’Asie du Sud Est

            1955 : Conférence de Bandoeng : les pays du Tiers Monde s’organisent : ébranlement des anciens empires coloniaux

            1956 : Nasser prend le pouvoir en Egypte : ébranlement à distance du Maghreb et de l’Algérie

            Sur la scène indochinoise :

            Le 11 mars 1945, le Vietnam indépendant est proclamé par l’Empereur Bao Dai : monté sur le trône en 1925, à l’âge de douze ans, Bao Dai n’avait fait le plus souvent que de la figuration impériale.

      Le 25 août 1945, coup de théâtre, Bao Dai renonce au trône et laisse la place le 2 septembre, à la République démocratique du Vietnam, présidée par Ho Chi Minh ; il devient conseiller suprême de son gouvernement.

     Le 17 août 1945, l’amiral Thierry d’Argenlieu est nommé Haut-Commissaire, et le général Leclerc est désigné comme Commandant du Corps expéditionnaire : de Gaulle leur a confié la mission de rétablir la position de la France en Indochine. Les premiers détachements français débarquent en Indochine en octobre 1945.

       Leclerc atterrit en Cochinchine le 5 octobre 1945. Il en repartira le 18 juillet 1946, moins d’un an après.

      De Gaulle avait tout d’abord porté son choix sur Duy Tân, le 11ème  souverain des Nguyen en Annam (1899-1945), lequel s’était illustré en animant l’opposition nationaliste entre 1906-1916, ce qui lui valut d’être exilé par les autorités coloniales. Il refit surface au cours de la deuxième guerre mondiale en ralliant de Gaulle. Il  mourut dans un accident aérien.

    Le Général avait choisi un des « Fils du Ciel », ancien réfractaire à la colonisation française, pour reprendre le flambeau en Indochine.

     Le général Salan est nommé délégué militaire en Indochine du nord, avec la mission de faire partir du territoire les armées chinoises qui s’y sont installées. Salan a l’expérience de l’Asie.

      Comment ne pas noter que le général fit appel à un des généraux les plus prestigieux de la Deuxième Guerre mondiale, et que d’ores et déjà, Salan, un des fidèles de Leclerc, est de la partie avec un commandement important et sensible ?

      2 septembre 1945, Ho Chi Minh déclare l’indépendance du Vietnam à Hanoi.

       20 janvier 1946, le  général de Gaulle  démissionne de ses fonctions de chef du gouvernement provisoire

            6 mars 1946, signature d’un accord Ho Chi Minh-Sainteny : l’espoir d’une solution pacifique.

            3 avril 1946, signature d’un accord de coopération entre le général Salan, et le  général Giap, deux des acteurs majeurs de la guerre qui commence.

   6 juillet 1946, ouverture de la Conférence de Fontainebleau entre le gouvernement français et le Viet Minh, en présence d’Ho Chi Minh.

            12 septembre 1946 : échec de la conférence, les désaccords portant sur le statut de la Cochinchine et sur les nouvelles institutions à mettre en place, la France cherchant à maintenir, sous une forme ou sous une autre, son contrôle sur l’Indochine, notamment sur la Cochinchine, et sur les protectorats du Cambodge et du Laos.

      Le Corps expéditionnaire part à la reconquête de l’Indochine, contrôle les principales villes du pays et les grands axes, mais en parallèle, au cœur des rizières ou de la jungle, le Viet Minh commence à quadriller les villages, le cœur de ce pays, et contribue à créer un climat général d’insécurité.

       Janvier 1947 : le général Leclerc revient faire une inspection en Indochine et fait le constat que la solution ne peut qu’être politique. Il meurt quelques mois plus tard dans un accident d’avion, le 28/09/1947.

       Lors de son commandement (1945- 1946), les négociations avec Ho Chi Minh partaient du même constat.

            5 mars 1947 : Bollaert est nommé Haut-Commissaire et tente à nouveau de mettre en œuvre une solution de remise du pouvoir à Bao Dai.

            16 mai 1949 : le Président Queuille  envoie le général Revers faire une inspection en Indochine,  lequel préconise la recherche d’une solution politique.

            Le rapport secret en question fait l’objet d’une diffusion sous le manteau aussi bien dans les milieux dits autorisés que chez nos adversaires : le scandale Revers.

      25 mai 1950 : début de violentes attaques du Viet Minh sur la RC4, entre Cao Bang et Lang Son, la route coloniale qui longe la frontière de Chine et traverse une zone géographique et stratégique qui constituera le quadrilatère du commandement Viet Minh.

       Lors de la conquête du Tonkin, à la fin du dix-neuvième siècle, le Colonel Gallieni et le Commandant Lyautey avaient eu mailles à partir avec des bandes de pirates chinois et annamites dans les mêmes Hautes Régions, habitées par des minorités ethniques. Ils avaient réussi à pacifier ces Hautes Régions grâce à la collaboration du maréchal Sou, gouverneur du Kouang-Si.

      10 octobre 1950 : l’évacuation du poste de Cao Bang est un désastre. Les deux colonnes, l’une partie de Cao Bang, l’autre de Dong Khé, sont anéanties par le Viet Minh.

     6 décembre 1950 : le général de Lattre est nommé haut-commissaire et commandant en chef en Indochine.

      La France fait à nouveau appel à un des généraux glorieux de la Deuxième Guerre Mondiale.

      La France change de guerre, ou plutôt est dans l’obligation de changer de guerre dans le nouveau contexte international communiste : elle obtient le soutien des Etats Unis.

      La guerre devient une des guerres de la guerre froide entre les Etats Unis et l’URSS, par puissances interposées, la Chine communiste devenant un des alliés majeurs du Viet Minh.

     Lors d’une Conférence de presse, le 22 juin 1951, de Gaulle avait déclaré qu’il existait quatre solutions militaires :

    « Là-bas, il y a quatre solutions militaires possibles. On peut s’en aller. On peut se limiter à tenir quelques môles. Ce sont là des solutions de défaite. Quant à moi, je ne les accepte pas. Alors il en reste deux autres : ou bien celle qui est actuellement pratiquée, et qui consiste à sauver l’essentiel, non sans grands efforts et lourdes pertes, hélas ! mais qui ne tranche pas décidément la question. Pour que la question soit tranchée, il y a deux choses à faire et qui sont liées entre elles, envoyer des forces nouvelles au point de vue des effectifs et du point de vue matériel. C’est cela qu’a visé le général Koenig (-dans une interview, y envoyer le contingent-.) dans l’hypothèse où on voudrait et où on pourrait coûte que coûte en finir. » (Gérard Fleury- La guerre en Indochine-Le Grand Livre du Mois-2000- p, 461)

      De Lattre mène une guerre  de mouvements à partir de la chaine de postes fortifiés qu’il fait implanter sur tout le pourtour du delta du Tonkin, la zone la plus peuplée.

            18 décembre 1951, de Lattre, gravement malade, quitte l’Indochine, et passe le pouvoir à Salan : à peine un an de commandement, et la perte de son fils Bernard dans un combat du delta.

            Les grandes opérations militaires se  succèdent, le Viet Minh dispose de plus en plus de divisions bien entrainées et bien équipées par les Chinois, en même temps qu’il noyaute systématiquement les villages de l’ensemble de la péninsule.

            A l’instigation de René Mayer, la piastre, vecteur de toutes les spéculations et manipulations dans les deux camps, est dévaluée le            11mai 1953. Le cours de change entre franc et piastre avait été fixé en 1945 à un niveau tel qu’il nourrissait un important trafic de change entre la métropole et l’Indochine, de même que sur certaines places financières.

            La carrière politique et privée de René Mayer méritera d’être évoquée, car le personnage était intelligent et influent : il avait plusieurs cordes à son arc, la finance, le parti radical, ses attaches européennes et algériennes : il fut un des grands élus de l’Algérie française, à Sétif et à Alger.

            Sous les ordres du général Navarre, le commandement français crut pouvoir emporter cette guerre en piégeant les divisions Viet Minh autour de la cuvette de Dien Bien Phu, une vielle idée stratégique des commandements français, celle qui consistait à obliger l’adversaire à accepter le combat dans les conditions d’une guerre moderne.

            La sous-estimation complète des capacités stratégiques de Giap et des renforts chinois, de même que le choix d’une cuvette, conduisirent au désastre de Dien Bien Phu en 1954.

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Guerres d’Indochine et d’Algérie- Prologue avec Malraux, Delafosse et Guillain – 3

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

II

En Prologue

Nous proposons un éclairage du sujet avec les témoignages lucides d’André Malraux, Maurice Delafosse et Robert Guillain

3

 1946 – Les constats de Robert Guillain sur la guerre d’Indochine : en 1946 et 1954

1946 « La sale guerre » sans solution

 Dans son livre « Orient Extrême » (Le Seuil – Arléa – 1986), Robert Guillain, l’un des grands journalistes du XXème siècle et l’un des meilleurs spécialistes de l’Extrême Orient a consacré deux de ses chapitres à la guerre d’Indochine :

7. Indochine : L’explosion (1946) – (page 131)

                  11. A Dien Bien Phu (1954) – (page 219)

       Je propose à la lecture quelques analyses et de reportages qui nous permettent d’avoir une bonne vision de ce conflit.

       Dans l’une de ses analyses, l’auteur stigmatise « la France officielle », celle qui gouvernait, laquelle manifestait une grande incompétence dans la compréhension et la gestion de cette grave crise de décolonisation.

      Tout au long de mes propres recherches historiques, j’ai fait le même constat d’ignorance des mondes coloniaux par l’establishment parisien, tant pendant la période des conquêtes coloniales de la Troisième République que pendant celle de la colonisation.

      Pourquoi ne pas avancer que de nos jours, nos dirigeants politiques semblent affligés de la même ignorance du passé colonial de la France ?

       Dans quelques-unes de mes chroniques, j’ai proposé mon propre diagnostic et constat, d’après laquelle, non seulement, nos gouvernants n’y connaissaient pas grand-chose dans les affaires coloniales – ils laissaient faire les experts ou les responsables de terrain -, mais que la population française ne fut jamais animée ni d’une grande passion, ni d’un grand zèle colonial, à la grande différence des britanniques.

      « L’explosion (1946)

     « Dans l’insurrection d’Hanoi. La mission Marius Moutet. L’erreur de de Gaulle en Indochine. Six avions pour faire la guerre. Alerte au Pont des Rapides. Parachutage sur Namdinh. Bombardement à la planche. Un inconnu nommé Diem. »

     « Mes vacances duraient encore quand dans la dernière semaine de novembre (1946), je reçus un coup de fil de Maurice Nègre, directeur général de l’Agence France Presse. « Vous savez ce qui se passe en Indochine : c’est peut-être la guerre. Le gouvernement vient de décider d’envoyer là-bas une mission dirigée par Marius Moutet, le ministre de la France d’outre-mer. Il y aura une place dans l’avion pour un envoyé spécial de l’A.F.P. Je voudrais que ce soit vous. »…

      Au téléphone je protestai « Je connais le Japon, mais rien du tout à l’Indochine. Entre les deux, il  doit y avoir cinq milles kilomètres ! Réponse de Maurice Nègre : « Ça ne fait rien, vous êtes l’Asiatique de la maison ! « Je ne pouvais pas refuser.

     Effectivement, en « Asiatique » que j’étais tout de même, j’avais suivi ce qui se passait là-bas, et c’était un peu à mes yeux une suite du drame japonais. Le Japon, j’allais le retrouver en Indochine, ou du moins j’y verrais les effets de la bombe de retardement qu’il avait plantée là avant sa défaite, quand il avait prêché la révolte des colonisés, le renvoi des Blancs et l’Asie aux Asiatiques…

     … l’armée japonaise, dès avant la capitulation du mois d’août 1945, avait balayé l’administration française de l’amiral Decoux, et donné le champ libre aux violences du Vietminh. La France avait découvert l‘existence du problème indochinois, du nommé Ho Chi Minh, et le nom même du « Vietnam ». L’année 1946 avait été celle de l’espoir. Ho Chi Minh était venu à Paris et de difficiles négociations s’étaient ouvertes à Fontainebleau pour un accord d’apaisement, tandis que là-bas le général Leclerc commandait les troupes françaises qui revenaient à Saigon et à Hanoi…

      « Pire encore, trois jours avant que Moutet quittât Paris, éclatait à son tour, le soulèvement de Hanoi…Nous pensions arriver dans une ville en effervescence, nous trouvions une ville en guerre, en proie à la plus vicieuse des guerres. « La sale guerre », cette appellation qui allait coller à la guerre d’Indochine jusqu’au bout pendant huit ans, date de ces premiers jours, où je l’ai entendue. Hanoi venait de connaitre entre l’explosion du soulèvement, le 19 décembre, et la Noël, une semaine de sang et de feu… Nos forces ne tenaient de la ville qu’un ilot central cerné par les révoltés ; tout le reste était au Vietminh. Au premier matin, comme Marius Moutet visitait l’hôpital Yersin, j’entendais claquer des balles aux alentours. Simple démonstration peut-être, car on ne signala ni mort ni blessé, mais cela mettait tout de suite dans l’ambiance ce messager de la paix qui avait une colombe dans sa valise pour Ho Chi-Minh. L’oncle Ho n’allait plus jamais le rencontrer, il avait pris le maquis avec la moitié de la population, partie sur ordre du Vietminh…

       Tout de même, grâce à la rapidité de notre réaction, et à une certaine pagaille chez les révoltés, cela avait été finalement une Saint-Barthélemy ratée, où le nombre des civils massacrés fut « seulement » de 300, celui des disparus de 500 environ, dans une population française de 3 000 en chiffres ronds, dont environ 2 200 métis eurasiens…

       C’était la guerre, voilà tout ce que Marius Moutet, brave homme et honnête ministre, très « Troisième République », déchiré par ces constatations tragiques. Arrêter cette guerre ? Boutbien était pour, Messmer contre : c’eût été retirer nos troupes, donc capituler devant l’adversaire. Etait-ce possible ? Paris en déciderait. Mais pour Moutet, il ne restait plus qu’à se renvoler, mission accomplie, mission ratée, et à méditer sur le passé et les occasions perdues.

      Aurait-on pu l’éviter, la guerre d’Indochine ? Personnellement, je crois que oui. Mais en 1946, à Fontainebleau ou Hanoi, c’était déjà trop tard…. Oui, nous aurions pu éviter la guerre, à mon avis, si de Gaulle avait voulu comprendre les possibilités qui s’offrait à lui dans le courant de l’année 1945. Lui qui plus tard allait se montrer clairvoyant, ou au moins réaliste, en acceptant la décolonisation inévitable, il avait désastreusement raté la décolonisation de l’Indochine. (p,133,134,135)…

      Leclerc, esprit moderne et audacieux, ne mit pas long temps, en arrivant, à comprendre où il était. Dans ses rapports, il préconisait bientôt, admirable clairvoyance, l’instauration d’un Vietnam indépendant, qui aurait pris place comme Etat libre dans l’Union française. De Gaulle n’en fit rien, il fit la grave erreur de confier l’Indochine à l’amiral Thierry d’Argenlieu, patriote de la vieille école, homme de bonne foi et de foi, mais égaré par le rêve d’une restauration française dans les trois parties du Vietnam, Cochinchine, Annam et Tonkin. Dans ces conditions, toute négociation possible, à Fontainebleau ou à Hanoi était vouée à l’échec… » (p135)

Commentaire : il est tout à fait exact de noter qu’en choisissant un amiral,  qui plus est, un moine déchaussé, le général effectuait un retour vers le passé colonial de l’Indochine, en redonnant le pouvoir à la Marine qui avait choisi d’imposer, en 1854, un « fait accompli » en Cochinchine, en y réintroduisant la religion chrétienne.

       Dans au moins un de mes livres sur les conquêtes coloniales de la Troisième République, j’ai eu l’occasion de développer le rôle de la Marine dans leur processus, comme acteur ou comme expert.

      Il convient toutefois de noter aussi que le premier choix du Général s’était porté vers l’héritier impérial d’Annam, mort dans un accident d’avion avant son retour en Indochine.

      « Maintenant, nous nous trouvions pris au piège d’une guerre pour laquelle nous n’étions absolument pas préparés et que nous faisons dans les conditions les plus mauvaises possibles. « Nous faisons une guerre de pauvres ! » C’est un cri d’alarme, que j’entendais partout. Dès le départ, nous n’avions pas les moyens de faire cette guerre, encore moins de la gagner. Nos effectifs étaient dérisoires nos munitions et notre matériel insuffisants. En retranchant les états-majors et les services, nous disposions d’à peine 10 000 hommes au Tonkin…

      Un officier : « Notre infanterie coloniale combat sans jamais être relevée et sans espoir de l’être… Nous manquons de blindés. Quant à l’aviation, autant dire que nous n’en avions pas »

      L’aviation française en ce début de la guerre d’Indochine ? Chose à peine croyable, nous avions à Hanoi six avions de guerre, en tout et pour tout : six petits Spitfire, chasseurs monoplaces… » (page 136)

      « Sur les diverses opérations, desserrement du siège d’Hanoi, Pont des Rapides, expéditions de Namdinh, j’envoyai à Paris des télégrammes courts ou longs, que suivit une série d’articles envoyés par la poste de Saigon où j’étais redescendu. Les télégrammes passaient par le censeur militaire, et aucun ne fut retenu. J’imaginais déjà ma signature dans les journaux parisiens, au bas des papiers de « l’envoyé spécial de l’A.F.P. » Je devais apprendre plus tard que presque rien de ce que j’envoyais n’était diffusé. Mes informations, pour la plupart, n’atteignaient que les clients étrangers de l’Agence. La raison ? Prudence de l’Agence et consignes du gouvernement. Mais surtout, la France et plus encore la France officielle ne voulait pas regarder en face cette guerre importune, cette guerre stupide et lointaine. Elle « ne voulait pas le savoir », comme on dit. Après la guerre de Hitler, moins l’opinion en savait mieux cela valait, pour le moment.

     Et c’est ainsi qu’après un mois d’Indochine, l’A.F.P me fit rebondir vers l’Inde, pardon, vers les Indes, comme on disait encore à cette époque. Aux Indes se préparaient visiblement des événements importants, et mes « papiers » éventuels auraient peut-être un mérite aux yeux des Français : celui de montrer que la puissante Angleterre avait des ennuis, elle aussi, avec ses colonies en Asie. » page142)

    Commentaire :

     La situation décrite ne fut pas celle de l’Algérie, mais elle s’en rapprochait sur le plan militaire à ses débuts, alors qu’on ne peut pas dire qu’elle faisait partie, comme en Indochine,  d’un domaine caché de l’information.

    Le problème posé était celui de la connaissance qu’avaient les Français de leur domaine colonial et de son intérêt pour le pays.

      Robert Gulllain utilise l’expression « la France officielle » et cette expression est très parente de celle que j’ai beaucoup utilisée dans mes analyses, c’est-à-dire « la France coloniale », c’est-à-dire l’officielle, celle d’une petite élite parisienne et coloniale, alors que les Français se sont toujours désintéressés, sauf exceptions, des colonies.

      L’une de mes conclusions était celle que c’est à l’occasion de la guerre d’Algérie, avec l’engagement du contingent décidé par le gouvernement socialiste de Guy Mollet que le pays a commencé à s’intéresser aux destinées du domaine colonial.

     En Indochine, les gouvernements de la Quatrième République manifestèrent la plus grande incurie en ignorant ou en refusant de comprendre les enjeux de ce conflit, dans toutes ses dimensions stratégiques, internationales et nationales, le poids de l’histoire du Vietnam, notre capacité militaire à faire face à ce nouveau type de guerre révolutionnaire, à la fois sur le plan des forces et sur celui des idéologies.

      Le Corps expéditionnaire et notre commandement militaire n’était pas du tout préparé à ce nouveau type de guerre subversive et révolutionnaire qu’avait mis en œuvre Mao Tsé Tung en Chine : nos officiers étaient formés à la guerre classique, comme l’était encore le modèle du général de Gaulle.

      Sans que l’opinion publique en ait conscience, la France a alors sacrifié des milliers d’officiers, de sous-officiers et de soldats, sans parler des innombrables victimes civiles dans les deux camps, faute de pouvoir opposer aux revendications nationalistes une réponse politique et historique pertinente.

       Conséquence pour la guerre d’Algérie, une armée décidée cette fois à relever un nouveau défi colonial, et elle en avait les moyens, capable de proposer une doctrine contre-insurrectionnelle efficace, à deux conditions qui ne furent pas remplies : l’adhésion d’une population européenne toujours rétive à l’évolution démocratique d’une part, et d’autre part une proposition pertinente, sur le plan idéologique, face au nationalisme, d’une Algérie indépendante.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Guerres d’Indochine et d’Algérie- Prologue avec Malraux, Delafosse et Guillain

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

II

En Prologue

Nous proposons un éclairage du sujet avec les témoignages lucides d’André Malraux, Maurice Delafosse et Robert Guillain

1

« Antémémoires »

André Malraux

Folio

&

1945-1965 (p,121)

« Je venais quelquefois à Paris, car nombre de questions étaient encore du ressort du ministère de la Guerre. Je retrouvai Corniglion, devenu général et compagnon de la Libération. Il allait prendre bientôt le commandement de l’aviation contre le bastion de Royan, l’un des derniers points d’appui allemands en France. En attendant, il écrivait un bouquin humoristique avec le docteur Lichvitz, que j’avais connu à la 1ère DFL, et qui était devenu médecin du général de Gaulle. Il en lisait des chapitres, avec une intarissable bonne humeur à Gaston Palewski (à la suite de quelque conflit à Londres, cet ambassadeur était parti en Abyssinie conquérir Gondar, avant de devenir directeur du cabinet du général), au capitaine Guy, à quelques autres. C’est ainsi que je fis connaissance du fameux « entourage ».

      Quelques jours après le Congrès du MLN, nous parlâmes d’élections : on parle toujours d’élections. Je n’éprouvais nul désir de devenir député. Mais j’avais un dada : transformer l’enseignement par l’emploi généralisé des moyens audiovisuels. Seuls le cinéma et la radio étaient alors en cause ; on pressentait la télévision. Il s’agissait de diffuser les cours de maîtres choisis pour leurs qualités pédagogiques, pour apprendre à lire comme pour découvrir l’histoire de la France. L’instituteur n’avait plus pour fonction d’enseigner mais d’aider les enfants à apprendre.

      En somme, dit Palewski, voius voulez faire enregistrer le cours d’Alain, et le diffuser dans tous les lycées ?

        Et remplacer le cours sur la Garonne par un film sur la Garonne.

       Mais c’est excellent ! Seulement, je crains que vous ne    connaissiez pas encore le ministère de l’Éducation nationale.

       Nous avions parlé aussi de l’Indochine. J’avais dit, écrit, proclamé depuis 1933, que les empires coloniaux, ne survivraient pas à une guerre européenne. Je ne croyais pas à Bao Dai, moins encore aux colons. Je connaissais la servilité qui, en Cochinchine, comme ailleurs, agglutine les intermédiaires autour des colonisateurs. Mais, bien avant l’arrivée de l’armée japonaise, j’avais vu naître les organisations paramilitaires des montagnes d’Annam.

      Alors, me dit-on, que proposez-vous ?

       Si vous cherchez comment nous conserverons l’Indochine, je ne propose rien, car nous ne la conserverons pas. Tout ce que nous pouvons sauver, c’est une sorte d’empire culturel, un domaine de valeurs. Mais il faudrait vomir une « présence économique » dont le principal journal de Saigon ose porter en manchette quotidienne : « Défense des intérêts français en Indochine ». Et faire nous-mêmes la révolution qui est inévitable et légitime : d’abord abolir les créances usuraires, presque toutes chinoises, sous lesquelles crève la paysannerie d’un peuple paysan. Puis partager la terre, puis aider les révolutionnaires annamites, qui ont sans doute bien besoin de l’être. Ni les militaires, ni les missionnaires, ni les enseignants ne sont liés aux colons. Il ne resterait pas beaucoup de Français, mais il resterait peut être la France…

     J’ai horreur du colonialisme à piastres. J’ai horreur de nos petits bourgeois d’Indochine qui disent ; « Ici, on perd sa mentalité d’esclave ! »  comme s’ils étaient les survivants d’Austerlitz, ou même de Lang Son. Il est vrai que l’Asie a besoin de spécialistes européens ; il n’est pas vrai qu’elle doive les avoir pour maîtres. Il suffit qu’elle les paye. Je doute que les empires survivent longtemps à la victoire des deux puissances qui se proclament anti-impérialistes.

       Je ne suis pas devenu Premier Ministre de Sa Majesté pour liquider l’Empire britannique, dit Corniglion, citant Churchill.

       Mais il n’est plus Premier Ministre. Et vous connaissez la position du Labour sur l’Inde.

      Tout de même dit Palewski, vous ne pouvez pas exécuter un tel renversement avec notre administration ?

      Il y  a encore en France de quoi faire une administration libérale. Je vais plus loin. Pour faire de l’Indochine un pays ami, il faudrait aider Ho chi Minh. Ce qui serait difficile, mais pas plus que ne l’a été, pour l’Angleterre, d’aider Nehru.

      Nous sommes beaucoup moins pessimistes que vous…

    Ce qui nous mena à la propagande. L’Information était entre les mains de Jacques Soustelle, qui souhaitait changer de ministère.

    A peu de choses près, dis-je, les moyens d’information dont vous disposez n’ont pas changé depuis Napoléon. Je pense qu’il en existe un beaucoup plus précis et efficace : les sondages d’opinion…. Les procédés de Gallup n’étaient alors connus, en France, que des spécialistes. Je les exposai rapidement. » (p,124)

&

 Il est possible de disserter à longueur de pages et de temps, et les choses sont déjà bien engagées beaucoup plus sur le terrain idéologique ou politique que sur le plan historique, sur le bilan et les héritages des colonisations française et anglaise de la fin du dix-neuvième siècle et de la première moitié du vingtième siècle, mais la décolonisation n’a pas été un long fleuve tranquille.

      Quelques éléments dominent à mes yeux ce sujet polémique : la volonté de puissance de plus en plus anachronique d’un pays, la France, qui n’avait plus les moyens de faire face à l’évolution du monde après la Deuxième Guerre Mondiale, une France qui n’avait jamais eue vraiment la fibre coloniale, une France qui était privée d’un gouvernement à la fois compétent, lucide et stable (une volatilité de six mois en moyenne, comme sous la Troisième République), une France que la Guerre Froide conduisait à choisir le continent européen.

       Résultat : une guerre d’Indochine menée à veau l’eau (1945-1954), une répression rétrograde de l’insurrection malgache en 1947, une guerre d’Algérie militairement bien menée – l’Indochine était passée par là – et politiquement bâclée, pour ne pas évoquer le cas des autres territoires coloniaux dont les enjeux étaient moindres.

      Un observateur averti ne peut manquer de remarquer qu’au fur et à mesure des années et des présidences de la Cinquième République, une sorte de prurit cérébral d’ancienne puissance et de gloire continue à produire ses effets, au Zaïre, au Rwanda, en Côte d’Ivoire, en Libye, ou de nos jours au Sahel.

      Malraux avait raison de privilégier dans les facteurs d’évolution impériale plus le rôle culturel de notre pays que son rôle politique ou militaire.

2

1922 : le regard lucide et dérangeant de l’africaniste Maurice Delafosse :

       Delafosse avait été administrateur colonial en Côte d’Ivoire pendant plusieurs années, dans une Côte d’Ivoire qui venait de voir le jour comme première forme d’un Etat colonial, rappelons-le, et avait fait le choix de l’étude des sociétés africaines, de leurs langues, de leurs mœurs et de leurs cultures.

      Il était en quelque sorte devenu un expert des politiques indigènes qu’il était possible de mettre en œuvre en Afrique noire.

      En 1922, il publiait un livre intitulé « Broussard », et son diagnostic était le suivant.

     Il posait ce diagnostic précoce, à l’aube de la deuxième phase de la colonisation, c’est-à-dire les années 1920-1940, en partant du principe que les hommes, blancs ou noirs, étaient les mêmes, en Europe ou en Afrique, mais cela ne l’empêchait pas de proposer une politique indigène qui ne fut jamais celle de la France.

       Il écrivait au sujet de l’instruction : « Considérant simplement le bien ou le mal que peut retirer l’indigène africain d’une instruction à la française, je crois sincèrement que la lui donner constituerait le cadeau le plus pernicieux que nous pourrions lui faire : cela reviendrait à offrir à notre meilleur ami un beau fruit vénéneux « (p,111)

        Plus loin, il fustigeait les humanistes :

     « Les humanistes entrent en scène. Pour ces singuliers rêveurs, l’idéal de l’homme est de ressembler à un Parisien du XXème  siècle et le but à poursuivre est de faire goûter à tous les habitants de l’univers, le plus tôt possible, les joies de cet idéal » (p,114)

     La bombe d’Indochine

      «  Nous parlions d’un événement qui avait mis en émoi l’Indochine ; un Annamite quelque peu détraqué  avait lancé une bombe sur un groupe d’Européens assis à la porte d’un établissement public.

    Ce n’est pas dans votre Afrique, dis- je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs prenant le frais et l’apéritif à la terrasse d’un café, auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive.

     Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant n’est pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une question de temps. » (p,112)

     Et plus loin encore :

     « Félicitez- vous en pour eux aussi, pendant qu’il est temps encore. Mais s’ils ne sont pas mûrs actuellement pour se servir d’engins explosifs, soyez sûr qu’un jour ou l’autre, si nous continuons à nous laisser influencer par les humanitaristes et les ignorants, les nègres nous flanqueront à la porte de l’Afrique et nous ne l’aurons pas volé. » (p,118)

La Parole de la France ? -2- Les Sources

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

-2 –

Les Sources

Lucien Bodard   « LA GUERRE D’INDOCHINE » –  Editions Grasset&Fasquelle (1997)

Pierre Brocheux « HISTOIRE DU VIETNAM COINTEMPORAIN » –  Fayard (2011)

Vo Nguyen Giap «  MEMOIRES » -1946-1954 »  Tome III- Diên Biên Phu- Le rendez-vous de l’histoire – Anako Editions (2001)

Général Yves Gras « HISTOIRE DE LA GUERRE D’INDOCHINE » Plon (1979)

Graham Green « Un Américain bien tranquille » Robert Laffont (1956)

Robert Guillain « Orient Extrême : une vie en Asie » Le Seuil  (1986)

Georges Fleury « La guerre en Indochine » 1945-1954 – Plon (1994)

Stanley Karnow  « VIETNAM » Presses de la Cité (1984)

Henry Kissinger « DIPLOMATIE » Fayard  (1994)

André Malraux «  ANTIMEMOIRES » NRF (1967)

Nguyên Khac Viên « VIETNAM – Une longue histoire » Editions Thé Gioi (2007)

Paul Rignac « La désinformation autour de la fin de l’Indochine française » Atelier Fol’fer  (2013)

Hélie de Saint Marc « MEMOIRES » Les champs de braise » – Perrin (1995)

Hugues Tertrais « La piastre et le fusil » Le coût de la guerre d’Indochine »

            Comité pour l’histoire économique et financière de la France (2002)

Jean-René Van Der Plaetsen « La Nostalgie de l’honneur » Editions Grasset (2017)

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Indochine et Algérie – 1

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

Analyses, extraits de textes et commentaires

Le devoir d’obéissance ou les cas de conscience des officiers

Avec la question que pose le Président lors de son déplacement à Jérusalem et les comptes rendus des 23,24,25 janvier 2020 :

Nos camarades morts, officiers, sous-officiers, et soldats, sont-ils « MORTS POUR LA FRANCE » ?

?

1-

Introduction et prologue, avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc

« Honneur perdu et parole trahie »

La clé ?

« Les événements ont marché » ?

  Une expression d’André Lebon (1896-1898), ministre des Colonies !!!

J’ouvrirai ma réflexion sur ce sujet historique tragique en indiquant que mes deux dernières lectures furent consacrées au témoignage d’Hélie de Saint Marc dans « Mémoires-Les champs de braise », et au livre du petit-fils du général Crépin « La nostalgie de l’honneur » ;

            Il se trouve que j’ai évoqué dans un livre de souvenirs de la guerre d’Algérie l’Inspection que fit alors le général Crépin, Commandant en Chef, dans mon secteur militaire de la vallée de la Soummam en juillet 1960. Le   25 janvier 1960, il avait remplacé le général Massu, autre général gaulliste, avant qu’il ne soit remplacé lui-même, le 1er février 1961, par un autre général gaulliste, le général Gambiez, dont je fis plus tard la connaissance.

            Je reviendrai dans ma conclusion sur le deuxième livre qui propose une ou plusieurs explications du sens de l’honneur qui fait vivre et- combattre un soldat, le devoir d’obéissance, le droit de donner la mort.

        Lors de mon séjour en Algérie, en juillet 1960, j’avais entendu les témoignages des officiers du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui avaient assisté au briefing du général Crépin lors de sa tournée d’Inspection au PC 1621 de l’Opération Jumelles, des propos qui les encourageaient à continuer le combat.

Le témoignage d’Hélie de Saint Marc me fit revivre, avec beaucoup d’émotion, les rêves de ma jeunesse et mes propres expériences « coloniales », notamment celle de la guerre d’Algérie.

            Je me rappelais entre autres les débuts de l’opération Jumelles, en Petite Kabylie, un beau soir de juillet 1959, avec le passage des premières escouades de Parachutistes et de Légionnaires de la 10ème Division Aéroportée, qui montaient vers la forêt d’Akfadou et le massif du Djurdjura pour rejoindre le PC Artois 1621 sur les sommets qui dominaient la SAS. Le colonel Hélie de Saint Marc, dont j’ignorais bien sûr l’existence, faisait partie de cette Division qui mena à bien cette grande opération.

            Dans la Nouvelle publiée dans un livre sur la Guerre d’Algérie intitulée « LE VIDE PRESQUE PARFAIT » d’après Lao Tseu, je décrivais les tout débuts de cette grande opération. Ci-après un extrait :

         « … Un bruit courait dans les popotes du secteur militaire de Sidi Aïch depuis plusieurs semaines ; on ne parlait plus que de ça, un autre « ça » freudien ! Le rouleau compresseur de l’armée française allait passer sur la Kabylie, comme il venait de le faire dans l’Ouarsenis.

        La nouvelle était excitante. Elle laissait espérer une fin de la guerre, et un retour non moins rapide des soldats du contingent en métropole. Personne ici ne souhaitait vraiment s’attarder en Algérie.

        La rumeur enflait de jour en jour. La France s’était enfin décidée à employer les grands moyens. Elle avait mis sur pied une troupe de choc pour démolir les katibas qui faisaient encore la loi dans les grands djebels d’Algérie et soutenaient l’organisation politico-administrative de l’ALN dans les villages, celle de ceux que nous appelions les terroristes.

       Le 22 juillet, au cours d’une belle nuit de l’été 1959, l’opération démarra en petite Kabylie.

         La nuit était tombée depuis une heure environ, quand le lieutenant Marçot entendit le bruit d’un convoi monter vers le douar des Béni-Oughlis. Il empruntait une route qu’il connaissait dans le détail de ses épingles à cheveu et de ses moindres virages entre Sidi Aïch et Aît Chemini. Une compagnie de chasseurs alpins y tenait le poste et contrôlait les villages parsemés sur les tout premiers escarpements du massif du Djurdjura, le long de la vallée de la Soummam.

        La chaine du Djurdjura avait une allure impressionnante. Beaucoup de ses sommets dépassaient les deux mille mètres, et la neige les recouvrait le plus souvent en hiver. Jusqu’à aujourd’hui, elle était restée le sanctuaire naturel et inexpugnable des bandes rebelles.

         Le convoi venait de franchir la crête.  Il le savait uniquement au bruit, mais chose tout à fait nouvelle, il apercevait les premiers véhicules tous phares allumés. Les camions militaires roulaient comme en plein jour et formaient un cordon lumineux interminable.

Il n’avait jamais assisté à un tel spectacle. La nuit tombée, on n’osait pas défier les rebelles. Un spectacle incroyable !

      La nuit était douce et le ciel étoilé. Le convoi passa au poste de Chemini, sans s’arrêter. Les paras et les légionnaires allaient rejoindre leur position de départ à la lisière de la forêt d’Akfadou qui se trouvait à une dizaine de kilomètres.

      Le grand cirque allait démarrer, et le rouleau compresseur tant attendu, tout écraser chez les fels.

      Au début de l’année 1959, l’Armée de Libération Nationale était encore puissante en Algérie, alors que les frontières marocaines et tunisiennes avaient pourtant été verrouillées de façon efficace par d’impressionnants barrages militaires.

       L’armée française était empêtrée dans son dispositif de quadrillage…

        En Kabylie et en Petite Kabylie, onze secteurs militaires étaient concernés par l’opération « Jumelles », dans un vaste périmètre militaire allant de Tizi Ouzou à Lafayette et à Bougie …

        Les seigneurs de la guerre avaient fait irruption dans son douar. Ils venaient d’une autre planète.

       Un matin, à la popote militaire du PC des Chasseurs à Chemini, il se trouva nez à nez avec des lieutenants et des capitaines paras, très jeunes, de son âge ; leur essaim voltigeait et bourdonnait autour de leur colonel. Des casquettes à la Bigeard, tenues camouflées, corps musclés, teints bronzés, bottines astiquées, ils faisaient une dernière halte, pendant quelques minutes, au dernier poste militaire, sur la route de l’Akfadou.

        Ils entouraient leur colonel, papillonnaient comme des gamins autour de leur instituteur, le dévoraient du regard, l’adoraient manifestement comme un nouveau dieu. Ils étaient d’une autre race, et en faisaient parade.

     A côté d’eux, quelques Chasseurs Alpins du contingent ressemblaient à des manants mal fagotés.

       Les seigneurs de la guerre et les esclaves… » (p, 121,127)

Au fur et à mesure des années qui ont suivi le choix que j’avais fait d’aller en Afrique, pour servir ce que je croyais être la France,  la France d’Outre-Mer, avoir eu l’expérience concrète de la fin de la colonisation française, mais surtout après avoir été confronté à la violence de la guerre d’Algérie, j’ai mis une croix sur ce que je croyais être ma vocation.

            Une fois à la retraite et disposant du temps nécessaire pour lire des articles ou des livres parus après la période coloniale, dans l’explosion de toute une littérature postcoloniale de désinformation, plus mémorielle, ou idéologique, qu’historique, je me suis lancé dans des recherches historiques afin de comprendre le processus décisionnel des conquêtes coloniales, en même temps que j’ai passé au peigne fin le discours de désinformation « historique » que le collectif Blanchard, entre autres, développait, au fur et à mesure de ses publications sur les cultures coloniales ou impériales de notre pays.

            Au cœur de mes recherches et réflexions, j’ai toujours eu beaucoup de peine à comprendre pourquoi la France s’était lancée dans les conquêtes coloniales, alors que le peuple français n’avait jamais été piqué par le virus colonial du business, comme les anglais, ne s’était jamais véritablement intéressé à ce qui se passait outre-mer, sauf quand il s’est agi de faire appel aux ressources de ces territoires au cours des deux guerres mondiales.

            Pour avoir été acteur et témoin de la tragédie algérienne, tenté de comprendre les raisons de la colonisation française, de ses succès ou de ses échecs, je n’ai toujours pas compris les raisons de nos débâcles, politique et militaire en Indochine, et politique, en Algérie, sauf à dire que notre pays n’a jamais eu de politique coloniale, sauf à mélanger tous les genres, en laissant faire les multiples groupes de pression économiques, politiques, religieux, chrétiens, francs-maçons,  ou encore militaires, avec la Marine notamment …

            Je répète qu’à mes yeux, avec l’ensemble de mes recherches et réflexions sur le sujet, la France n’a jamais été une France coloniale, et qu’elle a toujours laissé faire ces groupes de pression, sous les prétextes de puissance, de gloire, et de grandeur.

            De nos jours, nos gouvernements usent des mêmes arguments pour prendre les initiatives politiques et militaires les plus risquées, voir la Libye ou le Sahel, et qui plus est avec la modification de la Constitution en 2008 qui donne tout pouvoir de faire la guerre à nos Présidents de la République : le Parlement a le droit de voter guerre ou paix, trois mois plus tard…

            Lors  de mon service militaire en Algérie, j’ai côtoyé et apprécié de nombreux officiers, sous-officiers ou soldats, survivants de la guerre d’Indochine, des hommes que la France engageait de nouveau dans le conflit algérien, sans que les gouvernements de la Quatrième République soient mieux inspirés pour conduire ce pays à l’indépendance, plutôt avec nous que contre nous, comme ce fut le cas en Indochine.

            La plupart de ces capitaines, commandants, ou colonels (survivants) avaient déjà effectué un ou plusieurs séjours en Indochine. Ils avaient compris la nouvelle stratégie de guerre populaire qu’il convenait de mettre en œuvre dans ce type de guerre, alors que les objectifs des gouvernements n’étaient guère plus clairs qu’en Indochine.

            Le résultat ?

            En 1961, la révolte des officiers qui avaient gagné la partie sur le terrain, et qui n’acceptaient pas que le pouvoir politique trahisse une fois de plus la parole donnée.

Avant-propos

Pourquoi ces témoignages et ces réflexions sur notre passé colonial ?

            Comprendre et tenter d’expliquer à travers la guerre d’Indochine l’engrenage d’une décolonisation violente  qui s’est poursuivie en Algérie, les héritages, souvent avec les mêmes acteurs et dans le même état d’esprit d’aveuglement quant à l’évolution du monde et les moyens de la France, subir au lieu d’agir, au rythme chaotique inscrit dans une des sentences ministérielles de la Troisième République : « Les événements ont marché. » (Signé Lebon) l’une des phrases de la continuité de la bêtise politique.

       Deux autres sortes de raisons, l’une, familiale, avec le souvenir de mon frère ainé qui, après la Résistance, s’était engagé à la Libération dans le corps expéditionnaire destiné à débarquer au Japon, lequel fut détourné finalement vers l’Indochine à la suite de la défaite du Japon (Cochinchine (5/11/1945-9/5/46), et Tonkin (9/5/46-4/5/1947), l’autre mon expérience personnelle de la guerre d’Algérie.

            A peine débarqué à Alger et dans le djebel kabyle, il ne fallait pas longtemps pour rencontrer des officiers et sous-officiers qui avaient fait la guerre d’Indochine, souvent d’ailleurs des types de qualité, des hommes que cette guerre perdue avait marqués.

            Il est en effet difficile de tenter de comprendre la guerre d’Algérie sans tenter de comprendre la guerre d’Indochine, son héritage, et de replacer ce type de problématique de guerre dans le cadre de la conception que la France « officielle » avait de la politique coloniale, pour autant qu’elle ait jamais existé tout au long des Troisième et Quatrième République.

            J’utilise souvent l’expression de France « officielle », car je pense que l’outre-mer n’a jamais été une préoccupation populaire, et que sauf exception, comme ce fut le cas pour l’Algérie, les gouvernements ont toujours bénéficié d’un laissez faire, fût-il nimbé de grandeur ou de gloire.

       Le grand journaliste Robert Guillain a usé de la même formule.

            Les deux conflits se déroulèrent selon un calendrier comparable, le deuxième succédant au premier, 1945-1954 pour l’Indochine, et 1954-1962, pour l’Algérie, soit une durée plus courte que celle du premier conflit.

            Il convient de noter toutefois qu’en 1945, l’Indochine sortait d’une période très troublée, violente, liée à l’occupation japonaise, un Japon qui avait su bien manœuvrer en jouant la carte d’une administration coloniale située dans la mouvance « officielle » de Vichy et de Pétain, et dans le contexte d’une deuxième guerre mondiale qui avait failli faire disparaître la France.

Il est difficile de résumer brièvement la guerre d’Indochine, mais nous nous risquerons à le faire, avec le concours des nombreuses sources consultées, afin de mieux comprendre les enjeux de cette guerre coloniale qui causa beaucoup de morts à la fois dans les deux camps, et dans la population civile.

            Nous proposerons donc une analyse à multiples facettes, en n’hésitant pas, pour ce faire, à multiplier la publication de nombreux extraits des sources consultées.

            A lire l’ensemble de ces récits, il est vrai longtemps après les faits, le lecteur en ressent l’impression que les gouvernements de la France vivaient sur une autre planète, ou continuaient aveuglément à gouverner comme si le monde n’avait pas complètement changé après la Deuxième guerre mondiale.

            Mon expérience de la guerre d’Algérie et des séjours outre-mer m’en avaient à titre personnel tout à fait convaincu.

        Lyautey considérait à juste titre que l’Indochine était le joyau des colonies françaises, et il avait raison eu égard à sa position géographique dans l’entourage d’une Chine potentiellement riche, de ses propres atouts économiques, de sa population industrieuse, de son passé séculaire, d’une gouvernance impériale et administrative sophistiquée grâce à ses mandarins triés sur le volet universitaire et au service du Fils du Ciel, enfin grâce à sa culture de l’effort collectif…

         Tout a véritablement commencé en Cochinchine, dans les années 1850, lorsqu’un amiral décida – fait accompli – de conquérir ce territoire en venant au secours de missionnaires persécutés, sorte d’alliance sacrée entre le sabre et le goupillon, dans le cas présent, celui d’une marine à la fois sensible à l’évangélisation de l’Asie et à son ambition d’escales à créer.

       Cette alliance entre le sabre et le goupillon exista souvent lors des conquêtes et au cours de la période de colonisation alors que la République se piquait d’être laïque en métropole.

        Tout s’est également terminé avec le Ky de Cochinchine pendant la guerre d’Indochine, la France se réservant le droit de détacher jusqu’au bout et d’une façon ou d’une autre, cette province des deux autres KY du Vietnam, l’Annam et  le Tonkin : ce fut une des causes, avec beaucoup d’autres, de l’absence de solution politique dans la négociation avec le Vietminh.

       J’ai longuement analysé les conditions dans lesquelles les conquêtes coloniales de la France furent effectuées sur les autres continents : l’absence quasi-complète de communications entre le terrain colonial et la métropole, donnait une entière liberté d’action aux exécutants, d’autant plus grande que les décideurs parisiens ignoraient quasiment tout des outre-mer.

       Aveuglement des gouvernements de la Quatrième République face au dossier indochinois, pour aboutir à la catastrophe de Dien Bien Phu en 1954, et même aveuglement de la Quatrième et Cinquième République, avec une sorte de sauve-qui-peut, avec la clôture bâclée de ce dossier, en 1962, par les Accords d’Evian.

       L’Indochine était incontestablement la colonie française la mieux dotée de tout le domaine colonial français, mais la France n’avait jamais réussi à mettre en œuvre un modèle de gestion indirecte de type anglais, et avait fait face à plusieurs crises de type nationaliste, quasiment dès la période de la conquête.

        La guerre d’Indochine s’est traduite par la perte chaque année d’une promotion d’officiers de Saint Cyr,  les plus connus, parmi les survivants jouèrent un rôle majeur dans la guerre d’Algérie, soit dans la stratégie qui y fut développée (Beaufre toujours, Trinquier…), soit dans les grands commandements de terrain, Leclerc, de Lattre, Salan, Bigeard, ou Crépin….

Le plan de publication:

1 – Introduction et Prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc

2 – Les sources

3 -Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du général de Gaulle, Maurice Delafosse, africaniste, et de Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient.

4 – Résumé historique de la guerre d’Indochine

5 – Les grandes séquences historiques avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais

6 – Situation coloniale de l’Indochine en 1945

A – Vues de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green, et Nguyen Khac Vièn

B – Vue de France avec Pierre Brocheux

7 –  Un nouveau type de Guerre ?

8 – Conclusion : avec le colonel Trinquier, le général Gracieux, et le témoignage du petit-fils du général Crépin

.Méthodologie d’écriture :

Le lecteur voudra bien excuser certaines répétitions dans les analyses et textes publiés dues essentiellement à deux causes, autant que possible le respect des textes cités, et au moins autant une méthode de travail et de publication qui demeure très artisanale.

        Comment ne pas conclure cette introduction par des  extraits du témoignage d’Hélie de Saint Marc, témoin privilégié de la destinée de  ces officiers issus de la Résistance, déportés, puis engagés, dans l’honneur et l’idéal d’un service patriotique, furent plongés dans des guerres coloniales que les gouvernements et les parlements furent incapables de mener dans l’honneur et le respect de la parole donnée, très souvent au péril de leur vie ?

Intoxication mémorielle ou « fièvre » chiraquienne à la « tête » de la République Française ?

Intoxication mémorielle ou « fièvre » chiraquienne à la « tête » de la République Française ?

Lu dans Le Figaro du 27 janvier 2020, page 8 :

« L’Élysée récuse toute comparaison entre Shoa et guerre d’Algérie »

« Aux yeux de Macron, le seul lien qui existe se joue au niveau de la charge mémorielle que représentent ces sujets pour un président »

Question préalable : l’auteur de l’article est-il bien l’auteur du titre et sous-titre ?

Car le titre et le sous-titre proposent une version édulcorée du contenu.

Citation du journal :

      « Exécutif Couper court. Face à la polémique naissante sur les propos d’Emmanuel  Macron – tenus dans l’avion présidentiel qui le ramenait d’Israël, où il a reçu le Figaro -, l’Élysée a récusé toute comparaison entre la Shoa et la guerre d’Algérie. En s’appuyant notamment sur ce que le Président avait déclaré dès jeudi soir.- « C’est le crime absolu qui ne peut être comparé à aucun autre », avait-il tranché, relevant la « singularité la plus extrême de l’Holocauste. » « Le Président a réaffirmé l’unicité de la Shoah : elle est indiscutable », complète l’un de ses conseillers, pour ne laisser aucun doute.

      (Macron ou un « conseiller » ?)

       Dans l’esprit du chef de l’État, le seul lien qui existe se joue entre «  les sujets mémoriels. » Dans leur ensemble, qui sont au « cœur de la vie des nations ». « Qu’ils soient utilisés par certains, refoulés par d’autres, assumés… Ils disent quelque chose de ce que vous voulez faire de votre pays et de votre géopolitique ». juge-t-il.

       Selon lui, un même processus en trois étapes est chaque fois nécessaire avant de pouvoir « regarder son histoire en face ». Il y a le travail de l’historien. Il y le travail du juge. Et quand on préside ou qu’on participe à la vid’une nation on a ce matériau à saisir », détaille-t-il. Entre les lignes c’est bien à la guerre d’Algérie que pense le Président. « Je suis très lucide sur les défis que j’ai devant moi d’un point de vue mémoriel et qui sont politiques. La guerre d’Algérie, sans doute, est le plus dramatique d’entre eux », confirme- t-il. On en a plein, comme ça. Mais la guerre d’Algérie est la plus problématique. Je le sais depuis ma campagne. »

        (« Matériau à saisir » ? Ne s’agit-il que d’un « matériau » ?)

      A l’époque, le candidat d’En Marche ! avait cru bon, lors d’un déplacement de l’autre côté de la Méditerranée, de qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité ». Une expression qu’il « ne regrette pas » aujourd’hui, même s’il se garde bien, de le réemployer. « J’ai crispé des gens. (Mais) je pense que je les ai ramenés, maintenant dans une capacité à distinguer », estime-t-il, citant tour à tour l’ensemble des parties prenantes. Désormais, il souhaite mettre fin au « conflit mémoriel » qui demeure sur  cette question. « Je n’ai pas la réponse » pour y parvenir, reconnait-il toutefois «  avec beaucoup d’humilité », admettant « tourner autour du sujet. « 

       En attendant de trouver la bonne formule, Emmanuel Macron s’inspire de son défunt prédécesseur, Jacques Chirac. « Quand (il) fait le discours du Vel d’Hiv, ça a un impact politique. C’est quelque chose qu’il fait à dessein, aussi, politiquement. Et  pas simplement historiquement », se souvient-il… Aujourd’hui, son lointain successeur considère que la charge mémorielle qui lui incombe avec  la guerre d’Algérie est équivalente. C’est tout le sens de ce  qu’il a confié dans l’avion.

          A ses yeux, s’il réussit le travail qu’il compte entreprendre sur ce sujet, la guerre d’Algérie aura « à peu près le même statut que ce qu’avait la Shoa pour Chirac, en 1995. »

       (« Statut » ? Qu’est-ce à dire ?)

        Ce rapprochement,qui ne porte que sur l’aspect mémoriel, a immédiatement fait bondir l’opposition…

       Soucieux de ne laisser aucun malentendu s’installer, Emmanuel Macron a précisé samedi au Figaro, le sens exact de sa pensée. « La       guerre d’Algérie est aujourd’hui un impensé de notre politique mémorielle et l’objet d’un conflit de mémoire comme l’étaient la Shoa et la collaboration de l’Etat français lorsque Jacques Chirac avait prononcé son discours du Vel d’Hiv », a-t-il expliqué. »

     Élu sur la promesse de « réconcilier les Français », le chef de l’Etat semble donc  se fixer un objectif pour sa présidence : celui de trouver la bonne approche pour refermer, enfin, ce chapitre qu’il a lui-même ouvert durant sa campagne. … » (Fin de citation)

        J’ai souligné le mot « impensé », un mot idéologique à la mode qui couvre en réalité un « business » postcolonial, un mot que j’ai cité (page 239) dans le chapitre IX du livre « Supercherie coloniale » intitulé « Le ça colonial » (pages 235 à 251).

         Le texte de ce chapitre a été publié in extenso sur le blog du 14 janvier 2016 et le livre lui-même a été édité en numérique.

     A lire ces réflexions successives, le lecteur ne peut manquer d’être frappé :

  1. par son manque de clarté : ne confondez pas les situations, mais elles se ressemblent, en comparant des situations historiques non comparables,
  2. par le manque de culture historique, pour ne pas dire tout simplement de culture générale de son auteur,
  3. par une envie politique irrépressible de chausser les bottes de Chirac.
  4. par la sorte de copié-collé d’un texte de Stora paru dans son livre intitulé « La guerre des mémoires » La France face à son passé colonial » :

       « Et puis en 1995 avec l’arrivée de Jacques Chirac au pouvoir, les nostalgiques de l’Algérie française se sont réveillés. Avec son fameux discours du 16 juillet 1995 reconnaissant la  responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs, le Président Chirac a fermé la page de Vichy, mais il n’a pas ouvert véritablement celle de l’Algérie. » (pages 20, 21)

      En ce qui me concerne, en ma qualité  d’ancien Officier de SAS du Contingent pendant la guerre d’Algérie, et en ma qualité de citoyen d’une République encore française, je récuse ce type d’assimilation mémorielle idéologique et politique entre Shoa et guerre d’Algérie.

        Mais alors, les camarades tués en Algérie ne seraient pas « morts pour la France », et nous-mêmes n’aurions pas servi la France ? Assimilation aux collabos et aux nazis ?

       Honte à un tel Président !

      Macron cherche une réponse ? Elle est toute trouvée !

Ayez le courage de faire procéder à une enquête mémorielle statistique complète, sérieuse, et contrôlée par le Parlement sur cette guerre d’Algérie, en distinguant naturellement les citoyens français d’origine algérienne, selon leur communauté  d’origine des autres citoyens, et en tenant évidemment compte des âges et des domiciles des personnes interrogées, et en ce qui concerne les citoyens français d’origine algérienne leur date d’arrivée ou de naissance dans notre pays.

            A plusieurs reprises, et sur mon blog, j’ai invité Monsieur Stora, propagandiste en chef d’une « guerre des mémoires » à procéder à cet exercice, mais il n’a jamais eu le courage de les faire mesurer « statistiquement » et « scientifiquement ». (voir « La parabole des raisins verts » blog du 17/9/2017)

&

            A lire ces « jugements » présidentiels successifs sur l’histoire de France, je ne puis m’empêcher de penser que notre pays est passé dans un univers de pensée familier à la vieille Chine et à celle de Mao Tsé Tung, résumé dans la maxime « Le poisson pourrit par la tête ».

            Le Président actuel ne serait-il pas à la « tête » du mouvement de subversion postcoloniale qui bouleverse actuellement la France ?

Petit éclairage historique

Le Fort des Capucins Presqu’île de Crozon, la carte postale d’un vieil ami, ancien ingénieur général de l’armement qui contribua à la mise au point les fusées atomiques sous-marines :

            « Landevennec, 13 mars 2003.

      Cette carte est destinée à illustrer votre prochain ouvrage sur les Colonies, à la rubrique « Bretagne » La France lui a imposé sa langue, mis en place des gouverneurs étrangers et traité sa population comme si elle  appartenait aux races inférieures. »

            Avec mes amitiés »

A l’adresse du groupe de propagande postcoloniale Blanchard and Co : Bécassine face à Banania !

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Premier trimestre 2020 – annonce de publication- Guerres d’Indochine et d’Algérie : les héritages guerres d’Indochine

Premier trimestre 2020

Annonce de publication

Je me propose de publier au cours du premier trimestre 2020 une série d’analyses et de morceaux choisis sous le titre et selon le plan ci-après :

La Parole de la France ?

Guerres d’Indochine (1945-1954) et d’Algérie (1954-1962)

Les héritages

&

  1. Introduction et prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc
  2. Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du Général de Gaulle, Maurice Delafosse, ancien administrateur colonial et africaniste, Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient
  3. Résumé historique de la Guerre d’Indochine
  4. Les grandes séquences historiques de la Guerre d’Indochine avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais
  5. Situation de l’Indochine en 1945 :
  • Vue de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green et Nguyen Khac Vièn
  • Vue de France, avec Pierre Brocheux
  1.  La guerre ? Classique, révolutionnaire, subversive, populaire ?

       « Morts pour la France » ?

&

Au cours du premier semestre, quelques pages seront consacrées aux acteurs de ces deux guerres, notamment du côté français.

La  liste est longue, des officiers français qui, à la fin de la guerre d’Indochine, exercèrent des commandements à tous les niveaux, pendant la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962.

Avant  d’aborder ce sujet, citons quelques noms connus, Massu, Salan, Crépin, Cogny, Trinquier, Allard, Gilles, Vanuxem, Gambiez, Bigeard, Ducourneau, ou Beaufre…

Jean Pierre Renaud

France et Algérie – L’ « absurde » colonial – A l’ombre d’Albert Camus

France et Algérie

L’« absurde » colonial !

A l’ombre d’Albert Camus

 France et Algérie

L’« absurde » colonial !

A l’ombre d’Albert Camus

 J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les pages que Monsieur Bajolet, ancien ambassadeur à Alger,  de 2006 à 2008, a consacrées à l’Algérie dans le livre « Le soleil ne se lève plus à l’Est ».

Le diplomate avait eu une première expérience de ce pays en qualité de premier secrétaire d’ambassade entre 1975 et 1978.

            Cette lecture soulève un certain nombre de bonnes questions, en même temps qu’elle laisse beaucoup d’entre  elles sans réponses :

            « Lors de notre entretien du 7 novembre 2006, Jacques Chirac, pourtant très populaire en Algérie, ne m’avait pas fait un tableau encourageant des relations franco-algériennes : « Elles sont foiroteuses, m’avait-il dit. Le peuple est beaucoup plus francophile que les dirigeants, qui sous-estiment ce sentiment. Je l’ai senti quand je suis allé en Algérie. Il y a des signes qui ne trompent pas. » (p,328)

            « Ma longue histoire avec l’Algérie

        Jacques Chirac avait raison. Trente ans plus tôt, lors de mon premier séjour en Algérie, j’avais déjà été frappé par la gentillesse des Algériens, qui m’accueillaient chez eux en famille dans toutes les régions du pays. Certains d’entre eux avaient pris les armes contre la France entre 1954 et 1962. Ils avaient peut-être tué des Français, sans doute aussi perdu des proches. Ils avaient défendu leurs libertés. Mais ils n’en voulaient pas à la France et encore moins aux Français. J’avais sillonné ce magnifique pays dans tous les sens. Jamais je ne vis de haine dans les regards ni entendis le moindre propos revanchard. (p,329)

      Contraste saisissant avec les relations officielles qui, elles, étaient glaciales, voire inexistantes. L’ambassadeur Guy de Commines, n’était jamais reçu par le président de l’époque, Houari Boumediene…

         Celui-ci ne voyait pas plus le ministre des Affaires étrangères, à l’époque Abdelaziz Bouteflika, qui ne passait quasiment jamais à son bureau. Le malheureux de Commines devait se rabattre sur les fonctionnaires du ministère. » (p,329)

       « L’Algérie, trente ans après mon premier séjour (p, 336)

         Lorsque je pris mes fonctions d’ambassadeur à Alger en décembre 2006, je fus immédiatement frappé par la profondeur d’un traumatisme que les « années noires », comme on les appelait pudiquement, avaient causé dans l’ensemble de la population… La lutte fratricide qui avait déchiré les familles elles-mêmes, ce sang, ces horreurs, les soupçons illustrés par le questionnement du « qui tue qui ? », le peuple algérien n’en voulait plus à aucun prix.

       Ainsi, l’Algérie que je retrouvais était en convalescence, ses blessures encore à vif. Je débarquais à l’aéroport tout neuf et pris l’autoroute, elle aussi récente, qui le reliait à la capitale : le pays avait développé ses infrastructures. De part et d’autre, je constatai l’extension de la ville : la population avait doublé depuis mon premier séjour. En revanche, à Alger, du métro, il n’y avait toujours que les bouches, construites depuis plusieurs décennies, sans doute pour faire patienter les Algérois. » (p,336)

        L’auteur décrit alors les ambiguïtés de la situation de l’Algérie, la corruption, en négatif, et, en positif,  les progrès de l’éducation avec un taux d’alphabétisation de 96 % et plus de 1 million d’étudiants à l’université, alors qu’en 1962 on ne comptait que huit cents étudiants algériens.

        « A ma surprise, la langue française, en dépit de la violente campagne d’arabisation de Boumediene puis de l’influence des chaines de télévision du Golfe, manifestait une résilience remarquable…. Je remarquai également la difficulté que les Algériens continuaient d’éprouver pour assumer un héritage autre que celui lié à la culture arabo-islamique. » (p,339)

       « Comme c’était le cas dans les années 1970, les Algériens avaient tendance à attribuer leurs retards et leurs échecs à la France coloniale. La question de la mémoire restait aussi vivace qu’à l’époque de Boumediene. Il y avait à cela deux raisons ; le groupe au pouvoir avait le sentiment que la France n’était pas au bout  du chemin ; il avait besoin, pour conforter une légitimité discutable, de continuer à s’appuyer sur la geste fondatrice du FLN…

      « Les difficultés que rencontrèrent les autorités algériennes de la période postcoloniale pour gouverner leur pays trouvaient donc en partie leur origine dans une conception absolue de la colonisation de la part de la France qui contrastait avec l’approche pleine de sagesse que Lyautey avait fait prévaloir au Maroc. Le contexte, il est vrai, y était différent : le Maroc disposait depuis plusieurs siècles d’un pouvoir monarchique déjà solidement établi, et la période du protectorat y avait été nettement plus courte (1912-1956).

      Pour autant, ce legs, ou plutôt cette absence de legs, ne suffit pas à excuser les échecs de l’Algérie indépendante. L’accaparement du pouvoir et des richesses par un petit groupe, la perte du sens de l’intérêt général, la prévalence des intérêts particuliers à tous les niveaux y ont leur part.

      Les Algériens, en tout cas les dirigeants au pouvoir lors de mon deuxième séjour, dont certains étaient nés français (à commencer par le Président) tendaient à regarder la France comme une sorte de mère indigne, qui les avait maltraités et qu’ils avaient rejetée, tout en gardant pour elle un fonds d’affection (souvent dissimulé), sans savoir, s’ils souhaitaient la voir davantage présente, mais dont ils exigeaient en tout cas une relation préférentielle, sinon quasi exclusive : la France les avait fait souffrir, et parce qu’elle les avait fait souffrir, pendant si longtemps, elle leur devait plus.

         La France ne pouvait et ne peut répondre à leur attente, car, si, pour les Algériens, même ceux qui lui sont les plus hostiles, elle reste la référence, il n’en est pas de même pour elle vis-à-vis de l’Algérie : les Français ont tourné la page et, face aux enjeux mondiaux et européens, l’Algérie tient une place certes non négligeable dans leurs cœurs et leurs esprits, mais relative. Du coup, les Algériens ressentent cette différence de perception comme un humiliation supplémentaire, que certains d’entre eux ne sont pas loin de croire délibérée.

       La charge historique et émotionnelle des relations franco-algériennes demeure donc réelle sur la rive sud de la Méditerranée, du moins en attendant que les nouvelles générations prennent la relève. Dans ces conditions, le meilleur parti n’est-il pas de faire un atout de cette dimension affective ? Force est cependant de reconnaître que celle-ci a plutôt été jusqu’à présent un handicap. Depuis l’indépendance de l’Algérie, elle n’a cessé de soumettre les relations entre Paris et Alger des mouvements oscillatoires de grande ampleur.» (p,341, 342)

      L’auteur relate alors les initiatives d’ordre divers qu’il prit ou fit pendre à Chirac, Sarkozy, et Hollande, pour tenter d’apaiser ce contentieux mémoriel, notamment la visite cordiale de Sarkozy en juillet 2007.

     « Le président Bouteflika

        Pendant mon séjour, j’avais établi une relation chaleureuse avec Abdelaziz Bouteflika qui me recevait souvent pendant de longues heures… Lors de notre premier entretien, en décembre 2006, je lui fis part du message « d’amitié, d’estime et d’affection » que le président Chirac m’avait chargé de lui transmettre…  » (p,349)

     « Avant de quitter Alger, en juillet 2008, j’écrivis pour le Quai d’Orsay une note de réflexion. « L’Algérie, constatais-je, est comme frappée d’une sorte de malédiction : elle a tous les atouts pour réussir dont certains, comme la richesse du sous-sol, peuvent faire envie à ses voisins. Mais, elle n’arrive pas à en tirer parti, car cette même richesse est gaspillée ou accaparée, quasiment depuis l’indépendance, par une nomenclature indéboulonnable et qui se renouvelle par cooptation, tandis que le peuple, habitué aux (très relatives) facilités de l’Etat providence et éloigné de la culture de l’effort qui permettrait au pays de décoller, n’attend lui-même que la distribution d’une partie de la manne, qu’on lui accorde chichement quand il faut. » (p,354)

Commentaire

         Il est toujours difficile de refaire l’histoire, d’autant plus pour un modeste acteur du terrain, officier SAS du contingent dans la belle vallée de la Soummam, en 1959-1960, alors que ce sont les récits mémoriels, quelle que soit leur authenticité, qui mènent encore le bal.

       Beaucoup d’eau  a coulé sous les ponts depuis, et mes jugements sur ce beau pays que j’ai « fréquenté », et aimé aussi, n’ont pas vraiment changé, en dépit de la lecture de ce témoignage diplomatique.

       La France a été dans l’incapacité de répondre au mieux et dans l’honneur, aux légitimes revendications d’indépendance de son peuple, et la fin du conflit, en 1962, avec les accords d’Evian a été un échec de plus.

     Etait-il possible d’ouvrir une voie légitime avec les chefs des six willayas qui avaient une représentativité « légitime » ? Je n’en sais rien. Est-ce que le crédo d’une armée française dite de pacification, d’après lequel la poursuite de l’effort de démocratisation entrepris en Algérie était susceptible de déboucher sur une autre Algérie indépendante, mais en étroite association avec la France ? Je n’en sais rien non plus.

      Avant mon départ, j’avais moi-même  fait élire les conseils municipaux des trois communes de ma SAS.

      Pour la plupart des soldats du contingent qui foulaient pour la première ou la dernière fois (« la quille ! ») le sol des djebels : 1) l’Algérie n’était pas la France, 2) ils faisaient ou avaient fait, en ce qui concerne ceux qui en étaient revenus vivants, tout simplement leur devoir au service de l’Algérie  et de la France.

      De Gaulle mit fin à ce conflit meurtrier dans des conditions discutables, mais existait-t-il alors une autre solution ? Il mettait fin au mythe d’une France coloniale, en tout cas de celle de la petite élite politique, économique, ou religieuse qui caressait toujours, hypocritement ou non, et en dépit de l’évolution du monde, le rêve colonial on ne peut plus ambigu, d’une assimilation possible.

      Dans beaucoup de mes écrits, j’ai eu l’occasion d’affirmer que la France, celle du peuple,  n’avait jamais été « coloniale ».

      Après l’indépendance de l’Algérie, la nomenclature FLN a toujours cru,1) que le pétrole suffirait à calmer le jeu politique et social, et comme souvent dans les affaires internationales, 2) que la condamnation à perpétuité d’une France colonialiste, coupable de tous les péchés du monde, « l’ennemi rêvé » suffirait également à calmer le jeu.

      Pour qui connait un peu l’histoire, les régimes autoritaires en grande difficulté ont toujours choisi de détourner l’attention de leur peuple vers un ennemi héréditaire.

      Je dirais volontiers à la jeunesse d’Algérie qu’il y a bien longtemps que la France, sauf dans quelques cas, a fait son deuil de leur pays, et qu’elle a souvent de la peine à comprendre leurs attentes.

       Avant de débarquer en Algérie, j’avais eu la chance de fréquenter les livres d’Albert Camus, enfant de l’Algérie coloniale, et je ne pouvais manquer d’y trouver le symbole de l’absurdité coloniale, cette absurdité longuement décrite dans ses œuvres.

      Je dirais volontiers à la jeunesse d’Algérie, ne vous laissez pas bourrer le crâne ! La jeunesse française, celle dont je fis partie, nourrissait les mêmes espoirs que ceux qui sont les vôtres hier et aujourd’hui, sauf à savoir s’il ne s’agissait pas du même  « Mythe de Sisyphe ».

            Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

L’Algérie et la France ! Un conseil postcolonial !

      En déclarant à Alger, que la colonisation était « un crime contre l’humanité », notre Président a semé un grand trouble chez nous.

        Il ne faut surtout pas, comme ce fut le cas il y a quelques années, que le Président actuel de l’Algérie vienne se faire hospitaliser dans un de nos établissements hospitaliers réservés aux victimes de la guerre ou du terrorisme.

       Imaginez la catastrophe que cela causerait s’il y perdait la vie (ou passait l’arme à gauche)(1) ! On accuserait la France d’un nouveau « crime contre l’humanité », un de plus !

Jean Pierre Renaud

  1. Source www.defense. Gouv.fr Ministère des Armées mise à jour du 17/06/15 ( Passer….ou « mourir »)