Guerre d’Algérie – Soummam 1960 – Lettre numéro 2, ou « Le sourire hygiénique du pacificateur »

Guerre d’Algérie

Soummam

Lettre numéro 2

Une lettre dont le titre pourrait être :

« Le  sourire hygiénique du pacificateur »

            Nous avons publié la première lettre sur le blog du  26 août 2011,  en expliquant aux lecteurs le contexte historique de ces lettres publiées dans un bulletin intitulé

« Bulletin de liaison Saint Maixent 1959

Promotion Communauté »

Bulletin numéro 11                            Mars 1960

JP Renaud

SP 86623

            « Je rentre de permission, je rapporte un grand sommeil de France, « France éternelle » qui esquive dans les jeux de fin d’année, par un réflexe de santé naturel les problèmes d’une France subversive.

Je réponds tout d’abord à notre ami Voisin. Pas très satisfait sur certain comportement A.A., j’ai saisi l’occasion qu’un Télégramme Officiel providentiel m’a offerte, je me suis porté « très volontaire » pour être remis à la disposition de mon arme d’origine. Mon colonel m’a convoqué, nous avons bavardé, satisfaction dans le principe, délai diplomatique dans l’exécution. Me voici donc toujours dans les A.A., à Ait Chemini, cette fois, après avoir essayé de créer une antenne SAS, vous savez ces petites punaises multicolores qui font chic sur les cartes murales d’Etat- Major. A part cela, toujours dans le cadre de la SAS de Vieux Marché, cadre formel puisque nous n’entretenons ; mon capitaine et moi, que des relations épisodiques et télégraphiques. Rien de fracassant assurément, une tactique qui ressortirait plus de la catégorie n°2 chère à V…, V…esprit classeur.

Ceci dit, depuis quatre mois, chef d’une antenne sans pouvoir, sans mission, sans moyens et sans attribution, j’ai pu suivre tout à loisir les développements de l’opération « Jumelles ». La Cie a fait un bond en avant, mais chinois, elle a construit un nouveau poste, très bien placé qui couvre maintenant la zone habitée. Je suis venu en septembre pour essayer d’étayer l’action militaire  pure par une action plus « civile », reconstruction d’une mairie, de deux classes, création d’un petit terrain de football ; visite de villages avec le sourire hygiénique du pacificateur, plus ou moins conseiller du Commandant de Cie. C’était une expérience passionnante, on avait l’impression de gagner du terrain, de retourner la population, le fameux « dégel » des journalistes s’annonçait.

Après un creux cet hiver, les progrès continuent : 70% de l’OPA est détruite, le fellouze ou le terroriste sont durs à trouver. Pas mal de prisonniers, quelques ralliés, situation difficile chez les petits gars d’en face. L’autodéfense a démarré dans les villages proches des postes, la Cie commence à se diluer à l’intérieur de la population.

Le problème politique reste entier, il n’y a pas de 5ème Arme de guerre révolutionnaire ailleurs que dans les bouquins, la chose a été légalisée récemment d’ailleurs. Nous faisons une guerre à l’américaine avec un armée qui n’est pas révolutionnaire, un peu dans le contingent, et peu dans la carrière, ou si peu ! Alors ? Melting des « petits gars du contingent » et des braves kabyles ? Chose faite, bonne chose, mais est-ce autre chose qu’un des articles de la pacification, est-ce que cela touche au mythe ?

Réponse à C…: je pense aussi qu’il faut mettre le paquet aujourd’hui, SAS éphémères !

Conclusion sur une antenne SAS : n’a de valeur que si elle se calque sur une compagnie et si elle en a les moyens. Dans le cas contraire, centre de repos avancé pour officier des A.A. anémié cherchant le fel par dilettantisme.

Avec mes bonnes amitiés. »

Deux commentaires sommaires :

A propos de V…, un camarade de promotion : dans une de ses lettres, il avait classé les types de relation avec le commandement et marqué sa préférence pour la méthode de la tergiversation à celle de la rupture. Etrangement, il avait récupéré l‘attaché des A.A. que j’avais viré pour corruption.

« Le sourire hygiénique du pacificateur » : dans un des numéros du journal de la FNACA , « L’Ancien d’Algérie », le journaliste avait compris « le seau hygiénique du pacificateur », et c’est le texte qui a été publié.

Le mal était fait, d’autant plus que la rectification de l’erreur dans un des journaux suivants se réfugiait dans un petit coin illisible de ce journal.

En tout cas, la formule utilisée se suffisait déjà à elle-même.

Guerre d’Algérie – Soummam 1959-1960- Lettres d’un Sous-Lieutenant Officier de SAS

Guerre d’Algérie

Soummam 1959-1960

Lettres d’un Sous-Lieutenant, Officier de SAS

Présentation

                        Les deux lettres qui vont être publiées successivement l’ont déjà été dans une publication plutôt confidentielle, intitulée « Bulletin de liaison Saint Maixent 1959 – Promotion Communauté ».

            En octobre 1958, une cinquantaine d’anciens élèves des grandes écoles (en très grande majorité de Normale Supérieure et de la France d’Outre-Mer) entrent à l’Ecole Militaire de Saint Maixent.

            Une quarantaine de ces sous-lieutenants rejoint l’Algérie en avril 1959, la moitié dans des unités combattantes, l’autre moitié dans les SAS, les Sections Administratives Spécialisées.

L’auteur faisait partie de cette promotion.

            La promotion décida d’éditer un bulletin de promotion intitulé « Promotion Communauté » destiné à échanger informations, expériences et réflexions sur la guerre d’Algérie.

            D’avril 1959 à octobre 1960, seize bulletins ont été publiés, relatant les expériences de ces jeunes officiers, affectés sur tout le territoire de l’Algérie. (1)

            Ces témoignages, « tout chauds » d’actualité, étaient authentiques, lucides, et sans beaucoup d’illusions sur cette guerre d’Algérie, et sur la mécanique diabolique de toute guerre. 

            L’auteur lui-même des deux lettres publiées sur le blog avait été affecté en Petite Kabylie, à la SAS de Vieux Marché, dans la vallée de la Soummam, arrondissement de Sidi Aïch, département de Sétif, à cette époque.

            La SAS en question vivotait dans une zone qualifiée de « pourrie », alors encore contrôlée par l’OPA du FLN et les katibas rebelles, dans la willaya 3 ; ces derniers pouvaient se réfugier facilement dans la forêt d’Akfadou, et conserver des liaisons faciles avec les katibas de Grande Kabylie.

            Petit rappel historique pour les non-initiés :

                        A l’époque des faits, l’Armée exerçait tous les pouvoirs, c’est-à-dire les généraux et tous les officiers chargés d’un commandement en Algérie.

            Dans les départements, les Préfets étaient les adjoints civils des généraux. Dans les arrondissements, les colonels, commandants de secteurs militaires, avaient pour adjoints les sous-préfets.

            Les secteurs étaient découpés en quartiers tenus par des bataillons, eux-mêmes découpés en sous-quartiers tenus par des compagnies.

            Pour remédier à la sous-administration de l’Algérie et pour reprendre en mains la population, le gouvernement avait créé dans la plupart des arrondissements, des Sections Administratives Spécialisées, les fameuses SAS. Leurs limites ne recouvraient pas toujours celles des sous-quartiers, et c’était le cas de la SAS de Vieux Marché.

            L’ancienne commune mixte de la Soummam, qui englobait le douar des Béni Oughlis, territoire de la SAS, était immense, puisque pendant la pacification, pas moins de quatorze SAS avaient été créées sur cette ancienne circonscription.

Les Officiers des Affaires Algériennes, Chefs de SAS, avaient une position ambigüe, puisqu’ils relevaient tout à la fois de l’autorité militaire et de l’autorité civile. Leur nature était hybride et leur recrutement très hétéroclite.

Lors d’une réunion du 29/05/1959, le Délégué Général du Gouvernement en Algérie avait dit des officiers SAS : « ils sont naturellement hermaphrodites. »

Il y avait autant de cas de figure de SAS que de situations militaires concrètes, et que de relations professionnelles et personnelles entre officiers de Sous-Quartiers et officiers de SAS.

Une SAS, en tant que telle, avait de la peine à exister dans une zone non pacifiée, totalement contrôlée par l’armée, et c’était le cas de la SAS de Vieux Marché.

La doctrine militaire de la pacification

La pacification dans le douar des Beni Oughlis mettait en œuvre la doctrine de « La guerre moderne », le livre du colonel Trinquier

Avec d’autres colonels qui ont voulu tirer les enseignements des échecs de la France en Indochine, le colonel Trinquier a été un des théoriciens de  la guerre révolutionnaire ou contre-révolutionnaire en Algérie.

Au cœur de cette doctrine figurait l’adhésion, sinon le contrôle de la population. Mao Tsé Tung était passé par là.

Les SAS constituaient donc une des pièces importantes du dispositif stratégique.

Mais les fondements de cette analyse stratégique, la situation en Algérie, son histoire, les caractéristiques du théâtre d’opérations, la nature de nos adversaires, de leur combat…  l’ensemble des facteurs stratégiques de l’Algérie d’alors, n’était pas du tout le même que celui d’Indochine, alors, sorte d’avant-garde du communisme international de la Chine et de l’URSS, et la solution du problème ne pouvait donc pas être la même.

Au cours du stage d’application de Saint Maixent, les élèves avaient eu l’occasion d’écouter une des conférences d’un intellectuel à la mode dans l’armée, résolument anti- communiste, un dénommé Sauge, et le contenu de la pensée de ce conférencier avait fait bien rigoler la majorité des élèves.

Quelques dates pour situer le texte :

            1/11/1954 : début de l’insurrection algérienne

            1957 : bataille d’Alger

            4/06/1958 : de Gaulle  à Alger : « Je vous ai compris »

            23/10/1958 : de Gaulle propose la paix des braves

            27/31/08/1959 : tournée des popotes, de Gaulle déclare :

             «  Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l’Algérie »

            24/01/1960 – 1/02/1960 : semaine des barricades à Alger

            13/02/1960 : explosion de la première bombe atomique au Sahara.

            3/05/1960 2ème tournée des popotes de de Gaulle en Algérie : de Gaulle évoque l’idée d’une Algérie Algérienne liée à la FRANCE

            Bulletin Numéro 3

            De JP Renaud                   juin 1959

SAS de Vieux Marché

SP 86 623

            « La SAS où j’ai été parachuté n’a rien de commun avec la SAS capitonnée, amoureusement préparée dans certains couloirs du Palais par quelque Procureur ; elle ne ressemble pas non plus aux SAS en mal de réformateurs agraires grandis à l’ombre de quelque Parti. Oh ! Camarades, qu’est devenue la vertu ?

Je ferai donc part de mes impressions aux gens sérieux.

SAS accrochée dans le « djebel », surplombant la vallée de la Soummam, entre Sidi Aïch et Akbou. SAS recouvrant à peu près un Sous Quartier « réservé » aux Chasseurs Alpins de la Première Compagnie.

Aucune élite présente, aucune délégation spéciale, ni a fortiori aucune municipalité. Tous les gens bien sont en France, dans les villes d’Algérie, dans le djebel, ou bien, tout simplement morts, et ils sont nombreux.

Il n’y a pas d’opinion politique ou, plus justement, la politique menée dans le Sous Quartier ne tient pas à la voir s’exprimer ; pourquoi avoir des municipalités FLN puisqu’on lutte contre lui les armes à la main ? Attendons que, par un traitement approprié de la population, celle-ci soit mûre et nous donne la preuve de sa capacité française.

 La population de la SAS se trouve pratiquement dans un noman’s land, disputé par les deux partis. Moutonnière, apathique, ennemie souvent, mais ce qui est  plus grave, considérée comme telle par nous. Au point de vue militaire, des progrès ont été réalisés ; les rebelles et les terroristes se promènent constamment dans le Sous Quartier, mais il est rare qu’une katiba soit réunie pour opérer. Les gens sont las de la guerre, sans doute, mais je ne pense pas qu’une politique ait jamais été fondée sur la lassitude des gens. Le Kabyle, ou plutôt, la « Kabyle » rentre dans sa coquille et laisse passer l’orage. La troupe n’a aucune prise sur la population, sauf par force. La théorie en faveur, et c’est un bien grand mot, est qu’il faut mater la population, l’épurer. C’est ainsi que le stage en taule est considéré comme favorable à l’éducation et à la moralisation des « pensionnaires »

On distingue les villages qui se conduisent bien et ceux qui se conduisent mal. Ceux-là ont le droit de venir travailler aux aménagements du poste pendant un certain nombre de journées. Ces deux cas ne sont qu’une illustration d’une méthode plus ou moins consciente qui pense que la verge ou la contrainte peuvent reconquérir la population. L’idéal serait que le Kabyle prenne un coup de règle sur les doigts chaque fois qu’il agit mal envers nous. C’est un moyen comme un autre de lui montrer qu’il ne peut se passer de nous. Il n’y a plus d’échanges, le ravitaillement des populations est interdit ou accordé au compte-gouttes. C’est la misère ou le marché noir, le retour à des procédés archaïques pour fabriquer sucre, cafés, aliments. L’asphyxie économique est encore un moyen d’éducation politique et de lutte contre le ravitaillement des bandes rebelles, puisque après le poste, c’est la zone ouverte aux incursions des rebelles.

Pourtant, il y a de l’argent, les femmes perçoivent des allocations familiales, des mandats provenant de leurs maris émigrés en France, des pensions… beaucoup d’argent, mais pas d’échanges. Le minimum vital est encore amoindri par la présence de réfugiés, un tiers de la population a été évacué pour organiser une sorte de cordon sanitaire entre le rebelle et nous.

Dans ce climat politique, militaire, économique, la SAS n’a pas un rayonnement exceptionnel. Elle était enfermée, tout récemment encore, dans ses murs ; une antenne administrative dans des bâtiments provisoires à l’ombre de la Compagnie. Un Maghzen peu nombreux, de valeur inégale, qui tient plus d’un hospice pour gens en danger d’égorgement que d’une troupe combattante, tout est à faire pour son instruction. Une SAS kyste dans la circonscription, que les gens ne viennent fréquenter que par intérêt.

Trois sortes de travaux : le travail administratif, encore prédominant ; militaire (instruction du Maghzen), politique, des tournées de contact assez illusoires dans le cadre des sorties militaires, un chantier de piste rurale.

Ceci dit, le pays est très beau, très touristique, et l’habitat est intéressant.

Tant que les moyens nécessaires ne seront pas donnés pour couvrir la région de troupes, il est illusoire d’escompter le ralliement de la population. »

(1)  L’historien Antoine Prost faisait partie de cette promotion. Le bulletin a publié deux de ses lettres, dans le numéro 11, celle du 10 février 1960, et dans le numéro 12, une autre, à la date du 15 avril 1960.

Sauf erreur de ma part, les « Carnets d’Algérie » qu’il a publiés, n’ont fait état ni du bulletin, ni de ces deux lettres.

« Printemps Arabes » et « La surpopulation » de Gaston Bouthoul

« Printemps Arabes » en 2011

 « Afrique, la bombe démographique » Les Echos du 10/06/11 (page 17)

&

« LA SURPOPULATION »

Gaston Bouthoul

(1964)

Lecture critique

            Un sociologue qui fut à la mode, à son époque, et qui acquît sa notoriété de chercheur, en créant la nouvelle discipline de la polémologie, présentée comme l’étude sociologique de la guerre, et dans le cas présent de la relation guerre-population.

            Ce livre, un brin provocateur, avec quelquefois de la verdeur dans les analyses et le propos, a le mérite de mettre l’accent sur les points sensibles de l’histoire de la vie de la planète, des points sensibles qui pour beaucoup d’entre eux, n’ont pas beaucoup changé.

            Comment ne pas relier le contenu de cet ouvrage à celui intitulé « Le colonialisme en question » de Frederick Cooper, qui a fait l’objet de notre analyse sur ce blog ?

            F.Cooper a évoqué le concept de « fissures » pour expliquer en partie de déclin du colonialisme anglais et français au XX°siècle, et nous avons tenté d’étoffer sa réflexion sur le concept en question, mais G.Bouthoul avait déjà identifié en 1964, une grande fissure dans le système, une vraie fissure, celle de la démographie.

            A ses yeux, la décolonisation était motivée par « un sauve qui peut » (page 81)  des colonialistes face à la démographie galopante des colonies.

            Qu’est-il donc possible de retenir des analyses de G.Bouthoul ?

            Le livre mettait l’accent sur l’étroite corrélation qui a existé au cours des âges entre les migrations humaines et les guerres, et il appelait donc l’attention sur les risques que faisait courir à l’humanité la surpopulation, en partie dans la ligne des analyses de Malthus.

            Il écrivait :

 « Aujourd’hui l’équilibre entre l’espèce humaine et l’univers est doublement rompu. Nous vivons désormais dans un monde délimité, inventorié, pesé, compté, et divisé : en un mot, dans un monde fini.

            A ce moment même, voici que l’humanité est saisie par une mutation démographique multipliant son potentiel d’expansion qui tend à devenir infini. Expansion accélérée dans un monde rétréci. Pire, expansion qui se produit dans un monde qui se contracte littéralement sous nos pieds comme une peau de chagrin. » (page 35)

            L’auteur relevait que si les pays occidentaux avaient eu la possibilité, c’est-à-dire le temps, d’accroître leurs ressources avant leur expansion démographique,  ce n’était pas du tout le cas des pays arriérés – de nos jours on dirait plus volontiers émergents – qui connaissaient une explosion démographique, sans pouvoir mettre en face l’accroissement des ressources économiques  nécessaires à leur vie et survie.

            Bouthoul mettait en lumière l’ensemble des facteurs qui pouvaient expliquer à la fois l’explosion démographique enregistrée dans beaucoup de pays, parallèlement au retard de leur développement économique, notamment les facteurs culturels et religieux.

            Il soulignait par ailleurs l’intérêt des initiatives qu’il baptisait du nom d’ « autocolonisation », les marches vers le progrès qu’avaient engagées des pays comme la Chine ou le Japon, capables d’adapter leur marche en avant aux contextes religieux et culturels de leurs sociétés.

            Et pour revenir pendant quelques instants sur quelques-uns de ses propos et jugements agressifs sur des sujets sensibles, l’auteur écrivait en 1964, c’est-à-dire peu de temps après l’indépendance de l’Algérie:

«  Faisons le bilan polémologique de la douloureuse guerre d’Algérie. Quel fut son aboutissement ? En faisant abstraction de tous les épisodes, la statistique répond : le résultat de ce conflit fut le départ de un million de chrétiens environ. Relaxation démographique, hélas proportionnellement égale à celle de la Guerre Civile espagnole (deux millions supprimés sur 27 millions d’habitants). » (page 82)

Et pour expliquer en partie le « sauve qui peut » de la décolonisation, ou comment il était possible, pour la France, sur ses ressources, et non pour ses colonies, sur leurs propres ressources, de faire face à leur explosion démographique en faisant droit à l’égalité de traitement entre citoyens, le sociologue écrivait :

« Voici comment les choses se passaient dans le secteur des petits fonctionnaires africains bénéficiant d’allocations familiales analogues à celles de la Métropole. Avec la prime au mariage et à la première naissance de l’épouse vierge, plus la rente supplémentaire correspondant à l’allocation de premier enfant, le fonctionnaire candidat-patriarche achetait une nouvelle vierge. Celle-ci lui assurait une nouvelle prime au mariage et à la première naissance, plus une multiplication d’allocations familiales….Exemple record : un petit fonctionnaire noir de Porto Novo qui avec ses 103 enfants touchait des allocations supérieures aux appointements du gouverneur général. » (page 83)

De nos jours, des observateurs bien informés pourraient citer le cas comparable de quelques maris polygames, heureusement très peu nombreux,  vivant dans la région parisienne.

Le message du sociologue n’était pas spécialement optimiste puisqu’il écrivait :

« Arrêtez le pullulement ou préparez- vous à la guerre. » (page 234)

Les sociologues qui ont poursuivi leurs recherches dans la ligne des travaux de Bouthoul, s’il y en a, devraient  être en mesure, peut-être, de nous dire si le mouvement d’expansion démographique de l’Afrique qui s’est poursuivi entre 1964 et 2010 a pu accréditer les sombres prévisions de Bouthoul.

Rappelons que les pays d’Afrique occidentale ont vu leur population multipliée, en cinquante ans,  par 3, 4, ou même plus de 7, dans le cas du Niger.

Relevons toutefois que le même sociologue notait que les deux innovations morales qui peuvent être de nature à infléchir le cours de l’histoire étaient, d’une part la Déclaration américaine des Droits, reprise ensuite par la Révolution française, et la libération de la femme.

« Depuis le Décalogue, la plus grande invention éthique a été la Déclaration des Droits américaine, reprise ensuite par la Révolution Française sous le nom de Déclaration des Droits de l’Homme… La seconde grande innovation morale des temps modernes a été la libération de la femme. Elle constitue le seul véritable fait nouveau dans nos conceptions sociales, politiques et morales. » (page 180)

Et plus loin :

« Le féminisme est la seule véritable nouveauté en politique. Il n’est possible que dans la modération des naissances » (page 236)

La thèse défendue par Bouthoul soulève beaucoup de questions, et dans le cas de la France, celle de la gestion des flux migratoires réguliers ou irréguliers suscités par l’explosion démographique des pays « émergents ».

Mais comment ne pas évoquer les crises récentes de la Tunisie et de l’Egypte, causées en grande partie par la proportion très importante des jeunes dans ces pays ? Plus de la moitié de la population égyptienne a moins de trente-ans ! Comment le pouvoir peut-il répondre à leurs aspirations, notamment en termes d’emploi ?

Et comment ne pas faire référence à l’une ou l’autre des analyses actuelles sur l’évolution démographique de l’Afrique ?

Dans les Echos du 11 juin 2011, la chronique d’Eric Le Boucher  dont nous avons reproduit le titre fait référence à des prévisions qui n’ont rien d’encourageant pour l’Afrique :

« La tectonique démographique dessine une Europe vieillissante et en partie déclinante, séparée par la mer Méditerranée d’une Afrique devenue une bombe démographique devenue bombe démographique : 416 millions d’habitants en 1975, 1 milliard aujourd’hui, 2,2 milliards en 2050. »

L’auteur prend comme exemple une ancienne colonie qui n’était pas française, sans doute par un heureux « effet du hasard », celle de la Tanzanie, en posant la question :

« Comment gérer une Tanzanie de 45 millions d’habitants aujourd’hui, à 138 millions dans quarante ans ? »

Il ne suffira sans doute pas de se contenter de dire : « Il n’y a de richesse que d’hommes » dans un contexte actuel de gouvernance qui fait courir ces pays à la catastrophe humanitaire, qui, ici, ou là, a d’ailleurs déjà commencé

Alors à qui reviendra-t-il la responsabilité de gérer les « excédents » de population, les flux migratoires des  pays  qui n’offrent pas à leurs citoyens des possibilités normales d’emploi ?

Jean Pierre Renaud

Bi-nationalité des Français, la fin d’un nouveau tabou: Libé du 7/06/11 et le Monde des 12/13/06/11

Bi-nationalité des Français, la fin d’un nouveau tabou ?

Libé du 7/06/11 et le Monde des 12/13/06/11

Quels enjeux et doubles jeux à moyen ou long terme ? Et pour la terre entière ?

La population française représente 1% de la population mondiale !

Opinions d’un footballeur sur son « terrain de jeu », M.Platini, et d’une politologue sur son « terrain de jeu scientifique »

Qu’en penser ?

            Sur le blog du 9 mai 2011, « Humeur Tique » a publié un petit texte à propos de la controverse engagée sur l’origine des footballeurs, texte intitulé :

            « Un débat mal engagé mais utile »

            Cet article concluait sur une des questions de fond posées: quid de la bi-nationalité en cas de conflit sur le pourtour méditerranéen ? 

            Deux interlocuteurs très différents par leur origines, l’un, footballeur célèbre, Platini, Président de l’UFEA, et l’autre universitaire, politologue, sont intervenus sur le sujet, le premier dans une longue interview de Libé du 7 juin 2011– Sports (page 22), la deuxième, Mme Labat, dans une longue interview du Monde des 12 et 13 juin 2011, à la page 17 « Débats Décryptages »

On ne pouvait pas trouver meilleurs interlocuteurs pour éclairer le sujet et poser les questions de fond du sujet, l’un très bon connaisseur du monde du football, à l’origine du débat, et l’autre, politologue, donc analyste de ce type de question, universitaire spécialiste, avec la distance qu’impose théoriquement l’exercice de cette discipline.

Que dit M.Platini ?

Son interview se situe dans le contexte des problèmes financiers et éthiques du football européen en général, et notamment des dérives financières des clubs européens, mais elle aborde par ailleurs  le problème du fonctionnement des équipes nationales, délaissées au profit des équipes des clubs les plus riches, et enfin celui des joueurs binationaux.

A la question du journal : Qu’avez-vous pensé de l’affaire des quotas, qui vient de secouer le foot français ?

« Que beaucoup de gens avaient raison. Je ne cautionne bien sûr pas les propos excessifs qui ont été tenus. Je pense que le débat sur les binationaux est un beau débat qui devait avoir lieu. La Fifa a changé les règles (en permettant, pour complaire aux pays africains, à des joueurs de pouvoir choisir quand ils veulent la sélection nationale du pays dont sont originaires leurs parents ou grands-parents, ndlr) contre l’avis de l’Europe. Moi, j’étais contre. A partir de ce moment-là, on peut se poser la question : que fait-on de Clairefontaine ? Je comprends que des joueurs non retenus en équipe de France choisissent la sélection nationale de leur pays d’origine ; mais je comprends qu’à Clairefontaine on s’interroge si une partie des joueurs qui y viennent choisissent une autre sélection que la France. Je n’ai pas la réponse, mais je pense que ce débat sur les bi-nationaux doit continuer tant que les règles de la Fifa n’auront pas changé. »

Le propos de l’ancien footballeur célèbre a le mérite de la clarté, et je vous avouerai que j’ai été un peu surpris de le voir accueilli dans un journal qui, généralement, est plus disponible pour d’autres discours.

Que dit, de son côté, Mme.Labat, politologue de métier et d’écriture ?

Le titre de son interview a le grand mérite de la clarté :

« Bi-nationalité : notre futur », avec une première question sur son titre : choix de l’auteur ou choix du journal ?

La politologue inscrit son analyse, mais d’abord son discours, dans un constat historique qui, pour le moins, prête à discussion :

On admettrait la bi-nationalité d’Eva Joly,

« Mais l’admettrait-on d’un Franco-Algérien ? Le doute est permis, car c’est bien la bi-nationalité d’anciens ressortissants de l’empire qui alimente un imaginaire dont on peut douter qu’il soit lui-même décolonisé. »

Soit ! Mais aucune école historique sérieuse n’a jusqu’à présent démontré que l’imaginaire de la France ait été colonisé, au temps du fameux empire colonial, pas plus d’ailleurs qu’aucune enquête statistique sérieuse et récente n’a d’ailleurs également démontré que le Français d’aujourd’hui souffrirait encore d’un imaginaire colonial, transmis sans doute par l’inconscient collectif français, ainsi que l’a prétendu une historienne postcoloniale assez connue. !

Est-ce que les chercheurs qui défendent ce type de thèse auraient peur des résultats de ce type d’enquête ? Sinon, pourquoi ne la font-ils pas ?

Pourquoi le CNRS et la CADIS, avec le soutien du grand journal qu’est le Monde, ne lancent-ils pas une enquête approfondie sur le sujet ?

Chaque jour voit en effet fleurir je ne sais combien de sondages et d’enquêtes de toute nature et de tout acabit !

Citons encore ses réflexions sur le même sujet qui n’ont à mes yeux pas un meilleur fondement scientifique :

« Seule l’ intégration de l’épisode colonial dans les représentations collectives françaises fragilisées par la mondialisation permettrait de repenser la question de l’altérité, et, par- là, celle de la construction nationale dans le cadre d’une République qui serait à même de reconnaître une forme de « diversité » de la société française susceptible de faire échapper les populations issues de l’empire à un statut d’éternelle infériorité »

Mais alors un nouvel imaginaire colonial serait à construire ou à reconstruire, puisqu’il faut une « intégration » ?

Et plus loin encore, mais là le commentaire montre le bout de l’oreille, celui de l’Algérie, toujours, et toujours l’Algérie !

« Ainsi chaque événement lié à notre passé algérien est-il irrémédiablement décliné sur un mode passionnel. Le consensus n’est toujours pas fait autour des tabous de la décolonisation et de la perte de l’Algérie française.

Autant d’occasions manquées qui auraient pu permettre de prendre publiquement acte au sein de la population française de millions de Français issus des ex-colonies et d’achever par cette unique voix le deuil de l’empire ainsi que la réconciliation des Français, d’où qu’ils viennent, autour de valeurs communes fondatrices d’une identité nouvelle et enrichie. »

On voit bien ici que Mme Labat, au même titre que beaucoup d’autres chercheurs, est obsédée par la question algérienne, mais l’histoire de l’Algérie n’est pas l’alpha et l’oméga de l’histoire coloniale, et une fois de plus, je mets au défi l’intéressée de nous produire une enquête sociologique sérieuse qui nous convainque de la justesse de son propos quant au deuil de l’empire.

Il y a là un immense malentendu entre ces chercheurs et la plupart des Français qui n’ont jamais eu besoin de faire leur deuil de l’Empire, mis à part ceux originaires de l’ancienne Algérie dite Française, et une petite minorité d’autres Français venus d’autres colonies.

Cette interview a le mérite de poser un certain nombre de questions de fond, mais au travers d’une analyse qui parait beaucoup s’éloigner des exigences d’une analyse scientifique solide, une opinion donc, plus qu’une analyse scientifique de la situation, sa problématique, ses caractéristiques, une mesure rigoureuse du phénomène et de son évolution.

Conclusion d’une scientifique ou opinion d’une militante ?

Très nombreux sont les intellectuels, romanciers ou philosophes qui ont milité pour telle ou telle cause nationale ou internationale, et c’était leur droit de citoyen, mais il semble plus difficile d’accepter un tel mélange des genres de la part de chercheurs qui prétendent inscrire leurs travaux dans l’exigence scientifique.

Opinion qu’elle a d’ailleurs donnée dans une interview au Quotidien d’Oran, le  2 juin 2011, en évoquant son livre consacré aux bi-nationaux franco-algériens :

« C’est la raison pour laquelle je conçois mon livre comme un ouvrage certes universitaire, mais aussi militant. Nous sommes nombreux  à être les parents d’enfants binationaux. Ils représentent une richesse… »

Comment écrire « l’imaginaire français n’a pas achevé de se décoloniser », sans apporter aucune preuve statistique de ce type de propos ?

Comment peut-on tenir ce type de discours, alors même que l’on est bien incapable de fournir aucun chiffre des bi-nationaux en question, sous prétexte qu’il est interdit en France de faire de la statistique ethnique ?

Dans son interview au Quotidien d’Oran l’intéressée déclare :

 « Par extrapolation, il se dit que les bi-nationaux représenteraient quelque quatre millions d’individus, statistique communément admise par les autorités françaises. »

Et sur ce total, combien de bi-nationaux franco-algériens ?

Déni du passé colonial ? C’est encore à démontrer, sauf en ce qui concerne l’Algérie, un dossier et une mémoire effectivement sensibles, mais il parait illusoire de croire que la bi-nationalité franco-algérienne apportera la solution, l’apaisement, bien au contraire, parce qu’il existe, comme la politologue le sait, d’autres groupes de pression influents qui cultivent effectivement leur mémoire, et qui ne sont sans doute pas prêts, comme beaucoup d’autres Français, à reconnaître que la France c’est l’Algérie.

Il est possible de comprendre, et d’apprécier la démarche personnelle de la politologue qui, en sa qualité de mère tente de faire le lien entre deux pays, les deux nationalités, mais il est non moins évident que la double nationalité constitue aussi un avantage pour ses bénéficiaires, et la politologue sait combien elle a été, après la deuxième guerre civile des années 1990,  et est encore  aujourd’hui recherchée, en Algérie.

Pourquoi la République Française s’interdirait de réexaminer les problèmes jusqu’alors inconnus, soulevés éventuellement par une bi-nationalité nouvelle, importante, liée sans doute aux séquelles de la décolonisation, il y a plus de cinquante ans, mais tout autant aux effets de la mondialisation des flux démographiques ?

Le dossier de la bi-nationalité est un dossier sérieux qui doit être ouvert dans toutes ses dimensions géographiques et humaines, qu’il s’agisse des anciens territoires français qui méritent effectivement un examen particulier, ou d’autres pays de la planète, temporelles avec la prise en compte du long terme, stratégiques, en tenant compte de l’instabilité du monde méditerranéen, et des risques de répercussion sur notre vie nationale, enfin de la dimension réciprocité.

J’ai entendu M. Bayrou se déclarer favorable à la bi-nationalité, pourquoi  pas ? Mais a-t-il bien pris en compte l’ensemble de ces données ?

Il serait intéressant de connaître son avis sur la situation d’un bi-national malheureusement célèbre, le soldat franco-israélien Shalit.

Tels sont les enjeux d’un vrai débat, qu’on aurait tort de simplifier, même sur la plan « scientifique » !

Pour clore provisoirement ce rapide examen, j’aimerais citer un de mes auteurs de jeunesse préférés, Albert Camus, qui prononça dans sa conférence de presse de Stockholm du 12 décembre 1957, la fameuse phrase contestée :

« J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »

Quelle sera la position des parents et des enfants bi-nationaux en cas de crise ou de conflit ?

Alors point trop d’angélisme, il ne faut !

Jean Pierre Renaud

« Guerres d’Afrique, 130 ans de guerres coloniales, l’expérience française », de Vincent Joly, lecture 2

« Guerres d’Afrique

130 ans de guerres coloniales

L’expérience française »

Vincent Joly

Lecture critique

Volet 2 (volet 1 sur le blog du 11 mai 2011 )

La problématique de la guerre : « une espèce de guerre coloniale » ?

Le premier chapitre intitulé « Guerres et violences coloniales : thèmes et débats » ouvre le livre sur le véritable débat de fond, le contenu du concept de guerre, son évolution et sa définition selon les auteurs, et sa signification en tant qu’une « espèce de  guerre coloniale ».

Ma première remarque porterait sur la qualification coloniale : est-ce qu’une guerre coloniale, petite ou grande, courte ou longue, n’est pas, avant toute chose, celle qui est faite par une puissance qui entend en dominer « une autre », un nouveau territoire, une colonie, donc une guerre coloniale par destination.

La distinction que font les auteurs anglo-saxons entre celles qui ont eu lieu avant 1914, les « small wars », et celles d’après, les « imperial policing » ne suffit pas à décrire les différents états de guerre coloniale, selon les époques.

Ma préférence irait plutôt, en ce qui concerne la France, vers des critères techniques plus rigoureux, le théâtre d’opérations (désert, savane ou forêt), la latitude (tropicale ou non), une mise en œuvre artisanale (Soudan) ou industrielle (Tonkin, Dahomey, ou Madagascar), les effectifs mis en œuvre (africains ou non), les technologies disponibles et mises en œuvre, et évidemment la date, et tout autant la saison.

La thèse développée par l’historien Headricks dans le livre « The tools of imperialism » est tout à fait stimulante à cet égard : pas de conquête du Soudan sans vapeurs sur le fleuve Sénégal, et pas de conquête du bassin du Niger, sans télégraphe (ce que releva d’ailleurs l’historien Brunschwig), canons, et fusils à tir rapide, mais tout autant, sans quinine, et sans recours à une troupe africaine nombreuse.

Le recrutement de ce type de troupe donnait la possibilité de financer la conquête au moindre coût, en faisant appel au minimum de soldats européens mal adaptés, sur le plan de la santé et de l’acclimatation, à ce théâtre d’opérations

Les critères d’analyse retenus par l’historien Keegan dans son « Histoire de la Guerre » seraient sans doute plus pertinents, notamment ceux de « feu », de « logistique », marginalement de « fortifications » à l’occasion de la conquête de l’ouest africain (les fameux tatas), mais en y ajoutant la nature des troupes, la contrainte climatique, et l’importance de l’outil militaire de la conquête, la « colonne », au cours de ce qu’il conviendrait d’appeler la première phase des guerres « coloniales » modernes.

Au cours de la première période, c’est sans doute l’outil militaire de la « colonne » qui a été l’instrument majeur de la conquête coloniale, mis en pratique par les puissances européennes avec des caractéristiques et  une intensité militaire différente selon les enjeux, les époques et les théâtres d’opération.

Quoi de commun entre les premières colonnes de Gallieni en marche vers le Niger dans les années 1880 et celles qu’il commanda au Tonkin dans les années 1890 contre le Dé Tham dans le Yen Thé ?

L’auteur propose sa propre définition de la guerre coloniale qui réunirait trois caractéristiques, une défaite d’exception, la disproportion des pertes subies, la composition africaine de l’armée coloniale. (page 32)

Une telle définition appauvrit considérablement le concept historique, et n’est de toute façon plus applicable dans des contextes historiques tels que la guerre du Rif, ou celles d’Indochine et d’Algérie.

Et en ce qui concerne un des critères, celui des pertes, dans quelle case du bilan, conviendrait-il de mettre les pertes européennes causées par les maladies (le tiers des effectifs de l’expédition malgache en 1895-1896) ?

Le critère proposé par l’historien Henri Brunschwig, même s’il est également très général, traduit beaucoup mieux la relation coloniale entretenue par la métropole pour laquelle toute guerre coloniale, n’a jamais été que « secondaire »

A ce stade de la lecture et de la réflexion, je serais tenté de dire que faute d’avoir choisi un fil conducteur et une chronologie historique, une définition précise de la guerre coloniale, l’auteur brosse un tableau plus récapitulatif que comparatif et synthétique des guerres d’Afrique, dites « coloniales », sans que la rigueur historique y trouve en définitive son compte, en juxtaposant expériences et guerres « coloniales », sans qu’on en voie toujours les lignes de force communes ou antagonistes.

 Les ambiguïtés

Le titre du livre vise les guerres d’Afrique, et il parait tout à fait surprenant d’y inclure la guerre d’Indochine, même si on voit bien le lien que fait l’auteur entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, compte tenu des idées de guerre subversive, psychologique, révolutionnaire, qui ont inspiré, en Algérie, une partie des officiers d’active dans la guerre qu’ils y ont menée.

Mais ce rapprochement est tout à fait discutable, sauf à passer à un autre type d’analyse, celle des guerres « coloniales » modernes, de type d’abord asymétrique, puis de plus en plus symétriques, en raison des moyens militaires mis en œuvre, telle celle du Vietnam, qu’ont été certaines guerres d’indépendance nationale.

D’autant plus discutable qu’en Indochine, la confrontation est-ouest a très rapidement donné une coloration très différente au conflit, ce qui n’a pas été le cas de l’Algérie, même si certains officiers ont tenté d’accréditer cette thèse.

Une école algérienne de la guerre coloniale? Et la doctrine du fait accompli ?

L’auteur fait un sort à une école militaire algérienne à la mode Bugeaud, et classe Faidherbe dans la mouvance de cette école, mais cette ascendance, même si elle a existé, n’a pas obligatoirement conduit Faidherbe à mener ce type de guerre sur un théâtre d’opérations complètement différent, avec l’innovation des opérations amphibies,  et avec une conception coloniale encore plus différente de celle de l’Algérie.

L’auteur écrit : « Comme Bugeaud, il estime (Faidherbe) qu’il ne peut y avoir de sécurité sans occupation militaire même si celle-ci va à l’encontre de la politique voulue à Paris. Ainsi, en 1859, alors que de nouvelles instructions lui ordonnent de consolider le territoire acquis, il lance une colonne dans le Siné afin de « restaurer le prestige de la France ». En agissant ainsi, il inaugure une pratique du fait accompli et de lace vis-à-vis des pouvoirs civils métropolitains qui est érigée en principe par ses successeurs « soudanais ». Il est ici, selon la juste expression de R.Kanya-Forstner, le véritable père de l’impérialisme français au sud du Sahara. » (page 95)

J’ai consacré plusieurs années de recherches historiques dans les archives militaires et dans les récits de campagne des officiers, et il y en a eu beaucoup, afin de tenter de déterminer la place du fameux « fait accompli » dans l’histoire des conquêtes coloniales. J’ai livré le résultat de ces recherches dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et ces recherches démontrent :

 1) que dans le contexte des communications de l’époque, il existait effectivement une liberté large et inévitable de commandement. Au cours même de la guerre de 1914-1918, l’historien Keegan a montré les limites du commandement, même au plus près des combats, le chef n’étant le plus souvent pas informé, ou avec retard, de ce qui se passait en avant des tranchées,

2) que le fameux fait accompli était le plus souvent au moins autant celui du petit groupe politique colonial qui tirait les ficelles à Paris que celui décrit comme le clan des « Soudanais », « les épigones de Bugeaud » (page 115)

3) que la thèse de R.Kanya-Forstner avait le mérite d’exister, mais qu’elle n’était pas toujours fondée dans tous ses développements,

4) qu’en tout état de cause, aucune opération militaire ne pouvait se dérouler sans que son chef ait un minimum de liberté de commandement.

Et j’ajouterais volontiers que la course vers Fachoda, ou le lac Tchad, avec le désastre de la colonne Voulet-Chanoine, la guerre du Dahomey, l’expédition de Madagascar, pour ne citer que ces quatre exemples, ne s’inscrivaient pas dans la thèse du fait accompli colonial, mais bien dans celle de la décision politique ou du fait accompli politique.

Alors parler d’école algérienne de l’impérialisme parait tout simplement exagéré, pour ne pas utiliser un qualificatif plus fort. L’extension de cette conception génétique de la guerre coloniale à la guerre d’Indochine ou à celle d’Algérie, serait encore plus étrange !

Mais tout à fait curieusement, il semble qu’à l’arrière-plan de ce type d’analyse se profile l’ombre de l’Algérie, toujours l’Algérie, et sa guerre d’indépendance qui aurait effacé les autres colonies, même si l’Algérie n’était pas une colonie, une « ombre » familière à beaucoup de chercheurs de l’histoire coloniale ou postcoloniale.

Ecole algérienne, celle de Gallieni ou de Lyautey ? Cette thèse n’est pas fondée, en tout cas pour ceux qui ont fréquenté, et leurs récits, et leurs campagnes.

Une armée d’Afrique ?

J’avouerai qu’à la lecture de ce livre par ailleurs bien documenté grâce à son abondante historiographie, et intéressant, j’ai eu de la peine à retrouver les justes repères sur la nature des armées coloniales, sauf en ce qui concerne leur appel à un recrutement toujours très important de soldats africains.

A mes yeux, l’armée d’Afrique était celle d’Algérie, et plus largement celle de l’Afrique du nord, et pas celle des colonies africaines, formée de régiments d’infanterie ou d’artillerie coloniale, et pas du tout de régiments de zouaves ou de chasseurs d’Afrique. Il me semble que c’est d’ailleurs l’acception retenue par les spécialistes, notamment  Anthony Clayton, Troisième partie, L’armée d’Afrique (pages 243 et suivantes).

Ne s’agit-il pas là d’une confusion historique ?  D’autant plus étrange que l’auteur cite à la fois dans son livre et dans sa bibliographie le livre de Clayton, intitulé « L’armée française en Afrique : 1830-1962 »

L’analyse du concept de l’armée d’Afrique, de son contenu, de son recrutement, aurait été intéressant en tant que tel, étant donné la relation qu’il instituait entre le gouvernent, la nation, et la politique coloniale qui était menée en leur nom.

L’histoire des troupes coloniales montre à l’évidence qu’elles ont le plus souvent servi des guerres considérées comme secondaires, ignorées le plus souvent comme le relève d’ailleurs ce livre, d’autant plus facilement, qu’elles n’impliquaient pas l’armée française dans son ensemble, mais surtout, absolument pas dans son système de recrutement, c’est-à-dire la conscription citoyenne, et donc en conséquence dans son fonctionnement et ses missions.

Ce que l’auteur appelle « l’armée d’Afrique », hors Algérie, a généralement été dirigée par des officiers de métier, secondés par un petit noyau européen de soldats de métier, d’engagés, ou de volontaires, mais constituée, pour l’essentiel, de troupes africaines.

L’expédition de Madagascar avait par exemple montré les limites de l’appel à des formations militaires de la métropole. Les unités de soldats recrutés en métropole, fêtées par la population à leur départ, le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs, avaient perdu, à la fin de 1895, plus de la moitié de leur effectif.

L’historien Brunschwig avait fort justement qualifié cette expédition de « criminelle ».

C’est entre autres, la raison pour laquelle je remarquais au début de cette analyse que les guerres coloniales n’avaient jamais été celles de la France, de son peuple, mais celles de ce que j’appellerais la France coloniale.

Et c’est sans doute pour les mêmes raisons que, grâce à l’existence d’un article 35 tout à fait curieux de la Constitution, à la suppression du service militaire et  à la disposition d’une armée professionnelle, la France s’engage aujourd’hui dans des guerres extérieures, sans trop se soucier de l’avis du Parlement ou de l’opinion des citoyens.

Nous touchons ici du doigt une des causes de nos guerres coloniales, celle qui mettait à la disposition des gouvernements de la Troisième République une force militaire professionnelle dont l’emploi ne soulevait  pas de conflit politique majeur.

Dans les deux guerres « perdues » d’Indochine et d’Algérie, le facteur principal de la défaite fut dans un cas, l’absence de la mobilisation des citoyens pour assumer le conflit, et dans l’autre cas, l’engagement des citoyens, c’est-à-dire d’un contingent rapidement hostile aux buts de cette guerre.

Avant d’en terminer, toutefois un regret, que l’auteur n’ait pas assez fait état des archives d’opérations militaires elles-mêmes, et pu consacrer plus de temps à la lecture des récits des officiers qui ont été les acteurs de ces guerres coloniales, je pense notamment à Gallieni et à Lyautey, mais il y en a eu beaucoup d’autres.

Au-delà de leur métier militaire, ils avaient souvent un talent de plume incontestable !

 Et le regret aussi que l’analyse historique n’ait pas épousé strictement le concept de comparaison entre « guerres » chronologiquement et conceptuellement comparables.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900)

Humeur Tique: le « tabou » de la binationalité

Humeur Tique : les nouveaux « tabous » de la République Française, voile et burqa, laïcité, et aujourd’hui binationalité !

Un débat mal engagé sur le foot, mais un débat utile !

Est-ce qu’il va être encore possible dans notre belle République, d’aborder sérieusement et démocratiquement, des sujets sensibles, pour ne pas dire dans la nation française devenue quasiment un gros mot pour certains, profondément transformée par l’immigration des dix ou vingt dernières années ?

Les Français seraient racistes ou populistes dès qu’ils oseraient aborder ces sujets ? Comme si le même type de réaction ne se poserait pas dans la plupart des pays du monde, en Afrique y compris.

Dans Mediapart, M.Patrick Weil souligne sans doute à juste titre, mais pour le condamner, que ce sont les Franco-Africains qui sont visés par le débat sur la binationalité dans le football.

D’après une réponse faite, en 2007, sur le sujet, par le ministre des affaires étrangères (JO du 20/09/07, page 1659) à une question d’un sénateur en 2007 (JO 5/07/07, page 1152), il n’existait alors aucun dénombrement des binationaux résidant en France.

La seule statistique disponible était alors celle du registre des Français établis hors des frontières : il y avait alors 614 914 binationaux sur 1 373 988 Français résidant à l’étranger, donc aucune statistique des binationaux en France.

Les belles âmes croient que la France vivra encore longtemps dans la paix internationale qu’elle connait de nos jours, il faut le souhaiter vivement et sans renoncement, mais comment deviner l’avenir ?

Beaucoup de familles françaises ont encore la mémoire d’au moins trois générations marquées par la guerre, 14-18, 39-45, et guerre d’Algérie.

 Et en cas de nouveau conflit sur le pourtour méditerranéen, comment notre nation, déjà très divisée, pourra faire face à l’épreuve avec une partie non négligeable de sa population binationale ?

Notre belle armée de métier y suffira ?

Un peu de lucidité donc dans un débat une fois de plus mal engagé, mais utile !

Propagande coloniale? Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial: année 1906, Algérie, Congo, Cochinchine

Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial

Le supplément du Petit Journal

Année 1906 numéro 138

Extraits de contenus

(Première chronique sur le blog du 25 octobre 2010)

Rappelons tout d’abord que, dans les années 1900-1910, le Petit Journal était un quotidien qui tirait à plus de 800.000 exemplaires, 835.000 en 1910, mais que le nombre des lecteurs ou abonnés du supplément était évidemment bien inférieur à ce chiffre.

            Rappelons que chaque supplément comprenait quinze pages, dont deux consacrées aux mouvements d’officiers.

            Rappelons également que les thèmes coloniaux représentent moins de 13% des colonnes d’information du total des suppléments de l’année 1906.

Le numéro 138 fait exception puisqu’il consacre près de 30% de son contenu à l’information coloniale.

Trois sujets ont retenu notre attention :

1 – « En Algérie »

Une étude de M.Ismaël Hamet, interprète principal de notre armée, dont le titre est « Nos sujets musulmans sont-ils assimilables »

L’auteur constate :

« Il est presque de dogme aujourd’hui, parmi les personnes qui n’ont pas vécu en Algérie, et même parmi celles qui ont vécu dans notre colonie… que l’indigène algérien n’est pas perfectible, que tel il était au temps de Mahomet, tel il est resté aujourd’hui, à l’aube du vingtième siècle. En un mot qu’il n’est pas assimilable, civilisable, au sens que nous attribuons à ces qualificatifs… »

L’auteur entend démontrer dans cet article que ce n’est pas le cas, et il en appelle donc de ce jugement décourageant. (3 colonnes et demie)

Est donc évoqué, dans cette étude, le dossier de la compatibilité entre la religion musulmane, son statut religieux et familial, et la loi républicaine, dossier très sensible, et toujours d’actualité comme la société française le découvre aujourd’hui chez elle, entre autres, avec le voile, la burqua, ou la polygamie.

 2 – « Au Congo français »

Le supplément évoque l’enquête qu’a effectuée Brazza sur les abus coloniaux dénoncés et constatés au Congo et informe ses lecteurs des instructions données par le ministre des colonies Clementel en vue de mettre fin à ces abus et à la collusion d’intérêts, au mélange des genres constaté entre l’administration coloniale et les sociétés privées, les fameuses compagnies concessionnaires, sources de beaucoup des abus dénoncés. (2 colonnes)

En 1905, Brazza avait été chargé par le gouvernement d’enquêter sur des exactions commises en Oubangui. Son rapport dénonçait tout un ensemble d’abus et de violences. En dépit du refus par la Chambre de publier ce rapport, Félicien Challaye publia le dossier avec le soutien du grand et célèbre écrivain Péguy.

3 – En Cochinchine

« Ce qu’il faut faire en Cochinchinele programme du gouverneur »

« On a enlevé aux notables de villages leurs pouvoirs de police ; on n’a rien mis à la place… Il faudrait pouvoir revenir en arrière. » (3 colonnes)

C’est en Cochinchine que la France prit d’abord pied, au milieu du dix-neuvième siècle, dans la péninsule indochinoise, précisément en Cochinchine, à l’instigation des amiraux, qui mirent le gouvernement de l’époque devant le fait accompli. Le territoire fut alors érigé en colonie.

La France n’avait défini aucune politique indigène, et de fil en aiguille, ses officiers et administrateurs pratiquèrent de plus en plus l’administration directe, au lieu de s’appuyer sur les élites locales qui existaient alors localement, le réseau des mandarins et des lettrés.

Le problème a été récurrent en Indochine où deux écoles de pensée s’affrontèrent en permanence, entre ceux qui proposaient des solutions apparentées au protectorat, dans le respect des pouvoirs traditionnels, l’empereur d’Annam au sommet, et ses lettrés, et celles de l’administration directe, qui fut la solution dominante.

JPR

Oran, le souvenir de l’Algérie Française: « Un balcon sur la mer », le film de Nicole Garcia

J’hésitais à aller voir ce film dédié à une certaine nostalgie de l’Algérie Française, bien éloignée des souvenirs que beaucoup de soldats appelés du contingent ont conservé du bled ou du djebel où ils ont servi, qui ne ressemblent pas du tout à ceux qui hantent encore beaucoup de Français ou Françaises d’Algérie, qui y sont nés, ou leurs descendants.

L’intrigue est simple, celle de la rencontre, en Provence, entre deux adultes, déjà mûrs, dont la famille avait été rapatriée en 1962 : l’homme éprouve un choc émotif, en étant convaincu qu’il vient de retrouver la petite fille qu’il avait aimée à Oran.

Donc une belle histoire d’amour d’enfance algérienne avec une intrigue qui se déroule sur un arrière-plan d’affaires immobilières malheureusement confus.

L’histoire en elle-même est intéressante, étant donné qu’elle nous donne l’image émouvante de ces Français et Françaises d’Algérie, attachés à leur terre de naissance, vivant dans leurs souvenirs toujours vivants.

Mais en ce qui me concerne, et lors de mon séjour de vingt et un mois dans le djebel, et alors que j’ai été un grand lecteur de Camus, j’ai eu le sentiment d’être beaucoup plus proche du décor de La Peste que de celui des Noces, à Tipaza, semblable aux quelques aperçus d’images du film.

Et pour illustrer cette appréciation, je me permettrais de rappeler, tout d’abord, un extrait d’Albert Camus, dans La Peste, une des vignettes que j’avais choisies pour introduire le récit de mes propres souvenirs dans un des djebels de la Soummam :

« Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie. »

« C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté. »

Pourquoi ne pas citer un autre extrait du même auteur, les premières phrases de « Noces à Tipaza », qui éclairent une autre face de l’âme, celle du film, la nostalgie de cette Algérie française ?

« Au printemps, Tipaza est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre. »

Mais pour dire la vérité, les descriptions d’Oran faites, dans un autre contexte, par le même auteur, ne sont pas toujours des plus romantiques, et c’est le moins qu’on puisse dire…

Jean Pierre Renaud

Guerre d’Algérie: « La grotte », roman de Georges Buis

Lecture

Une lecture de vacances sur la guerre d’Algérie, un livre acheté dans une brocante d’été

            Un livre du colonel Buis, écrit dans les années 1959-1960, et publié en 1961. Je ne l’avais jamais lu, car j’ai toujours manifesté une grande méfiance à l’égard de tous les livres de témoignages sur la guerre d’Algérie.

            Or il se trouve que j’ai trouvé dans ce livre une situation, une problématique, et un regard sur l’adversaire qui me furent familiers dans un secteur militaire voisin de celui du colonel Buis, sur l’état d’esprit et le comportement des militaires, des combattants algériens et des civils.

            A la fin du siège et de la réduction (par morts ou prisonniers) d’une grotte immense, aux ramifications nombreuses et profondes, dont l’entrée était cachée sur une très haute falaise, le héros du roman, le commandant Enrico est récompensé de son succès militaire par une mutation de sa hiérarchie qui sanctionne son refus de la politique officielle de regroupement de la population, et comme dans une tragédie antique, il est assassiné, puis égorgé, avant son départ d’Algérie, par un des rares survivants de la grotte.

            Double symbole donc de l’échec du commandant Enrico !

            Le décor de cette action militaire est superbe, et le savoir-faire militaire, à la fois classique, technique, et d’abord humain, mis en œuvre pour réduire cette grotte, est exceptionnel.

            Une certaine conception de la guerre 

            Le roman décrit bien les états d’âme d’un officier confronté à la complexité de cette guerre et le paragraphe suivant en propose un bon exemple :

            « Enfin – deuxième point –  je pense que pour réaliser le processus en cours et pour « contrer » celui que je pressens de la part des rebelles, il faudrait qu’il y ait un capitaine Valère par sous-quartier, soit mille capitaines Valère en service à la fois dans ce pays. Or, honnêtement, je ne crois pas qu’il y en ait dix dans toutes l’armée ou ailleurs. Alors ? Alors, c’est une question à traiter à la tête, par la politique, puisqu’on ne peut la traiter à la base par empirisme. » (p,88)

            Le commandant Enrico affiche un grand scepticisme sur la fameuse action psychologique de l’armée, et au cours de ses nombreuses conversations avec ses capitaines, il décrit la complexité des codes de langage, d’interprétation, de compréhension ou de non – compréhension qui existaient entre militaires et civils : qui était qui et quoi ? Les non-dits, les silences, les lâchetés, souvent légitimes…

            Lorsqu’on a fréquenté des villages kabyles à la même époque, la relation qu’en fait le commandant, à sa descente d’hélicoptère, est tout à fait celle qui aurait pu être mienne dans le douar des Béni Oughlis  (sans hélicoptère) :

            « Enrico appuyé sur sa canne, vent aboli, regardait cent cinquante sacs. Il maîtrisait de toute sa volonté une envie folle de s’asseoir parmi eux, d’être l’un d’eux, de parler avec eux… » (p,118)

            Les « sacs » silencieux que l’on rencontrait alors devant la mosquée de chaque village !

                        Un jugement sévère à la fois sur la guerre psychologique et sur la politique de regroupement de la population qui lui vaudra donc, à la suite de la visite d’un missus dominici de l’état major, sa mutation.

            Une dernière citation pour bien comprendre ce que pouvait être l’état d’esprit d’un officier lucide et expérimenté, à la fin d’un séjour en Algérie :

            « Pas d’assis aujourd’hui. Tout le village s’égaillait au travail…On eût dit un village heureux. Il fallait la surprenante solidarité qui liait secrètement dans une humiliation de même nature l’armée à la population, pour qu’Enrico sentît qu’une mince feuille d’isolant séparait l’image de la réalité. Car, appartenir, en dépit des apparences, à cette catégorie de gens à l’égard de qui les possédants, les technocrates, les malins, pratiquent un même paternalisme hypocrite, crée, sur fond de frustrations consenties ou subies, des sensibilités étrangement voisines. Mais si ce réflexe fondamental et affectif était un bon point de départ pour se comprendre, il n’offrait malheureusement aucune possibilité d’accord politique… (p,301)     

                                                                        Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: « Alger renonce à criminaliser le colonialisme »

Humeur Tique : « Alger renonce à criminaliser le colonialisme » (Le Figaro du 27/09/10)

            Les amateurs d’une histoire coloniale rénovée et repensée à l’anglo-saxonne, celle actuellement promue par l’historien américain F.Cooper dans son livre « Le colonialisme en question », y verront sans doute une coïncidence historique, et la justification du revirement du gouvernement algérien.

            Dans son livre, M.Cooper tente de démontrer en effet que le colonialisme a habité toutes les époques et toute la planète.

             Il convient toutefois de noter que le terme même de colonialisme cache une grande ambiguïté, selon que l’on raisonne en français ou en anglais, car le terme anglais s’applique de préférence à la colonisation, outre le fait que beaucoup de Français seraient sans doute bien en peine de définir le mot.