« Le 19 mars 1962 » avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

       Ma lecture mérite d’être précédée de quatre observations préliminaires :

            La première interroge la propriété de l’expression « Les événements fondateurs » : j’ai plutôt envie de proposer  « Les événements de désintégration ».

La deuxième interroge sur la signification du mot « réconciliation », sorte de succédané du mot « repentance » : dans notre conclusion, nous reviendrons sur son interprétation.

La troisième suggère un titre tout à fait différent :

« Tout ça, pour ça ! »

« Le double discours !

            La quatrième : la lecture de ce livre est démoralisante pour un ancien acteur de cette guerre d’Algérie.

&

            Il s’agit d’un ouvrage fort bien documenté (1), quelquefois difficile à lire, compte tenu de son impression, un livre qui soulève des questions et des réponses pour l’ancien et modeste acteur de la guerre d’Algérie que je fus, en ma qualité d’officier SAS, à Vieux Marché, dans les années 1959-1960, dans un secteur de grande insécurité de la vallée de la Soummam, en bordure de la forêt d’Akfadou (Djudjura).

Quelle était la situation militaire et civile dans mon secteur militaire au cours de l’été 1960 ? Représentative ou non ?

            Après l’opération Jumelles, qui se déroula en Kabylie, Grande ou Petite, et qui démarra le 22 juillet 1959 dans mon secteur, au cours d’une belle nuit d’été, la situation du douar se caractérisait, au cours de l’été suivant par une situation « Le vide presque parfait », selon l’expression de Lao Tseu, c’est-à-dire une quasi-absence de rebelles.

            Pour avoir connu au printemps 1959, un état d’insécurité permanent, une armée française sur la défensive, le noyautage ou le contrôle de  tous les villages par les rebelles, ceux que nous appelions les fels,  l’extrême prudence qui était la nôtre face aux embuscades ou aux mines.

          Lors des convois de ravitaillement hebdomadaire entre Vieux Marché et Sidi Aïch, les Chasseurs Alpins du 28ème Bataillon prenaient toutes les précautions nécessaires : il fallait ouvrir la piste de montagne, en cas de mine ou d’embuscade, la sécuriser par des patrouilles latérales, et pouvoir bénéficier de la couverture aérienne d’avions T6.

       Depuis juillet 1959, la situation avait changé du tout au tout.

            Il m’était possible à présent d’aller dans tous les villages avec un seul garde du corps, un ancien rebelle,  un gars formidable.

            Une petite anecdote d’ambiance, sur la route de Sidi Aïch, à l’aller puis au retour :

        « Vieux Marché, le 26/04/1960… Ce matin, au passage, sur la route,  des enfants m’ont jeté des bouquets de fleurs dans la jeep. Au retour, j’en ai ramené quatre pour leur faire faire un tour de jeep. J’ai mis les fleurs en vrac à midi, sur la table, un vrai décor champêtre. »

      Avant de quitter l’Algérie, j’avais par ailleurs organisé des élections municipales dans les trois communes de Tibane, Tilioucadi, Djenane, dont j’étais jusqu’alors le Délégué Spécial : ces trois communes disposaient, pour la première fois, de conseils municipaux élus.

        J’avais également fait reconstruire les écoles et les mairies brûlées par les rebelles, des écoles où des chasseurs alpins de l’«armée coloniale » firent à nouveau la classe aux enfants du douar.

     Parallèlement, les Chasseurs Alpins commençaient à pouvoir mettre certains des villages en position d’autodéfense.

       La SAS de Vieux Marché fut aux premières loges de l’opération Jumelles : c’est à partir de son territoire que fut aménagée la piste qui devait atteindre le PC 1621 de l’opération Jumelles, à travers la forêt d’Akfadou.

      Le 29 août 1959, le général de Gaulle fit un saut de puce à ce PC, et il y déclara entre autres devant un parterre d’officiers ; « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l’Algérie. »

      En 1960, comme je l’ai raconté dans une  de mes lettres, le général Crépin, commandant en chef fit une tournée :

      Chemini, le 15 juillet 1960…

      « Je rentre de la popote. C’est vraiment dramatique !

       Longue discussion à la suite de la visite du général Crépin, Commandant en chef en Algérie.

         Figures-toi, qu’il a dit à peu près ceci (propos répétés) :

  • Alors ces villages ! Lesquels sont pour vous, lesquels sont contre vous ?
  • Nous ne savons pas. La plupart continuent sans doute à payer les fellouzes.
  • Qu’est-ce que vous attendez pour descendre ceux qui ne veulent pas.  être pour vous. Cela fait trop longtemps que dure ce petit jeu !
  • Votre Compagnie ne sert à rien. Depuis trois mois, combien  de fellouzes au tapis ? Zéro ! Je veux des bilans ou je retire les troupes. »

         Comme je viens de l’indiquer plus haut, il paraissait difficile d’aller plus loin dans un secteur où le vide était presque parfait, mais ce type de discours continuait à persuader une partie des officiers que l’Algérie resterait française.

        Je reviens à nouveau sur ce passé après avoir lu l’ouvrage de Guy Pervillé, pour bien faire comprendre l’état d’esprit des officiers auxquels la France avait confié la mission  de rétablir la paix en Algérie.

      Beaucoup de ces officiers, dont je fis partie, avaient le sentiment de servir autant l’Algérie que la France, peut-être d’ailleurs plus l’Algérie que la France, compte tenu de sa situation.

       Je fis partie des officiers, et je ne fus pas le seul, qui ne voyait pas d’autre issue que celle d’un changement complet du statut de l’Algérie, y compris son indépendance, mais pas de la façon dont elle a été négociée et liquidée.

            Ce livre a le mérite de nous sortir du registre des discours des historiens, chercheurs, intellectuels, issus de la « matrice » algérienne, ou « assimilée », lesquels surfent encore, avec un certain succès,  dans les médias et dans certaines maisons d’édition, et publient ou diffusent des récits qui flirtent, pour ne pas dire plus, avec la repentance ou l’autoflagellation nationale.

         A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de dénoncer ces graves dérives, encore dernièrement à l’endroit du discours d’un auteur, Jérôme Ferrari, qui dans un de ses derniers livres couronné par un Prix Goncourt, irrigue son récit de ce type de discours. Dans un de ses billets publiés par le journal La Croix, le romancier philosophe pérorait sur la violence coloniale, les responsabilités de la France, citant en référence et à ce sujet, un propos de Joxe, le fils du ministre Louis Joxe, qui fit son service à Alger dans de bonnes conditions.

       J’ai commenté ce livre sur mon blog, le 4 mai 2016, mais je reviendrai plus loin, sur le sujet des « mémoires » frelatées en évoquant le dialogue qu’ont tenu Messieurs Stora et Jenni, autre prix Goncourt (2013), dans le cadre du Club de Médiapart.

       Il aurait été intéressant que le fils Joxe, comme le fils Jeanneney, en disent plus sur les responsabilités de deux pères qui furent à la fois de grands artisans des Accords d’Evian (lire le livre) et les acteurs de la non-application des mêmes accords, pour ne pas dire leur faillite.

        Les paternités en question ne s’inscrivaient-elles déjà pas dans le registre des « raisins verts » pour certains de leurs descendants ?

       Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, je me suis investi dans des recherches qui ont porté sur un domaine qui ne fut pas celui de la guerre d’Algérie, mais sur l’Afrique noire, l’Indochine, Madagascar, car l’Algérie ne fut pas, contrairement à ce que racontent les principaux thuriféraires de l’autoflagellation, l’alpha et l’oméga de la colonisation française, sauf qu’elle était située sur l’autre rive de la Méditerranée et qu’elle comptait plus d’un million de Français.

     Avant d’aller plus loin, Guy Pervillé analyse de façon rigoureuse et précise le déroulement de ce qu’on a appelé « Les événements d’Algérie » entre 1954 et 1962 dans les cinq chapitres de la première partie (p,16 à 89) « Des réformes aux négociations », la période chaotique et confuse qui précéda celle des négociations, et des positions successives du général de Gaulle.

     Dans la deuxième partie « Les négociations et les accords d’Evian » (p,89 à 147), l’historien analyse dans les trois chapitres suivants le déroulement incertain et difficile des négociations avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, conclu en février-mars 1962, par les fameux accords d’Evian, et le cessez-le feu du 19 mars 1962.

      Il aurait été intéressant d’avoir une analyse des positions, rapports de force existant alors, entre le GPRA de l’étranger et les Willayas de l’intérieur, avec lesquelles il aurait été plus logique de négocier.

     L’auteur souligne bien dans le chapitre 8 « De Gaulle et l’application des accords d’Evian » (19 mars-20 septembre 1962) les responsabilités de son échec « Le sabotage des accords par l’OAS » (p,120), « Le contournement des accords d’Evian par le FLN » (p122).

    « Contournement » ou « sabotage » du FLN ? Au moins autant que celui de l’OAS ?

    L’auteur pose la question : « La France a-t-elle respecté les accords d’Evian ? « (p,131)

     Il s’agit d’une analyse très complexe, et de nos jours encore passionnée, mais on vit rapidement que le FLN n’était absolument pas en état de gouverner l’Algérie et d’y assurer la paix civile, condition  sine qua non d’une application sérieuse des Accords d’Evian.

      Je fais partie de ceux qui estiment que le retrait de l’armée française, une sorte de sauve-qui-peut qui ne disait pas son nom, a empêché la France et l’Algérie de mettre en application ces accords, c’est-à-dire de les imposer.

      Dans la troisième partie, « Un demi-siècle de relations franco-algériennes (1962-2012) » (p,147 à 260), l’auteur en montre le déroulement chaotique, mais y réintroduit le concept de « réconciliation », une « repentance » qui ne dit pas son nom.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le 19 mars 1962 », le livre de Guy Pervillé – Suite et fin

« 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

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Autres réflexions

           Première réflexion sur la date des Accords d’Evian, le 19 mars 1962 : cette date est depuis l’origine un sujet de controverse, et il est évident que pour l’immense majorité des hommes du contingent, cette date clôturait cette guerre, une guerre qui n’a jamais été conclue en effet par un accord de paix.

       Le livre explique bien pourquoi cette guerre n’était pas finie.

         Deuxième réflexion, le livre en montre bien les raisons, notamment les graves carences du nouveau pouvoir algérien qui n’a jamais honoré sa signature, tout autant que le sabotage de tout accord par l’OAS.

        Troisième réflexion : le gouvernement du Général de Gaulle, et le Général lui-même, n’ont pas été à la hauteur pour maîtriser la mise en application respectée de ces accords, sur le terrain, pour au moins cinq raisons que l’on voit bien dans l’ouvrage, et une sixième que j’évoquerai :

  1. Le refus d’accueillir en France les harkis et moghaznis qui avaient rejoint notre cause pendant cette guerre, ainsi que leurs familles.
  2. La désignation d’un ambassadeur, M. Jeanneney, que son expérience professionnelle et politique ne désignait pas spécialement pour faire appliquer vigoureusement ces accords par le nouveau pouvoir FLN, entre les mains de la mouvance extérieure du GPRA.
  3. L’objectif principal du Général, qui fut de tout faire, pour ne pas dire tout accepter, afin de préserver jusqu’à la fin de l’année 1966, la possibilité pour la France de poursuivre  ses essais nucléaires au Sahara, et accessoirement, y exploiter le pétrole, avec pour corollaire, continuer à transfuser l’Algérie indépendante avec nos francs et à faire bénéficier ce nouvel Etat de dérogations exceptionnelles, pour ne pas dire laxistes, dans le domaine de l’immigration.

Ces dérogations continuent encore sous une forme atténuée, si je ne m’abuse.

La lecture des pages 175 et 176, avec le compte-rendu de la rencontre du 13 mars 1964 entre le Général et le nouveau Président Ben Bella en est une des illustrations.

  1. Réconciliation ou relation internationale entre deux Etats ? Je vous avouerai que je n’ai jamais compris la politique française après l’indépendance de l’Algérie. Les Algériens avaient choisi leur destin. Rapidement, le régime algérien fut celui d’une dictature du FLN.

Pourquoi De Gaulle n’a-t-il pas choisi le type de relations internationales qui était celui de la France avec l’URSS ou la Chine ? Sauf à dire que son objectif numéro 1 avait toujours été celui de la préservation, le plus longtemps possible des sites nucléaires du Sahara, en fermant les yeux sur le ratage complet de la mise en application des Accords d’Evian ?

Je me suis déjà exprimé à de multiples reprises sur un tel sujet, en affirmant que je n’ai jamais vu pourquoi nous, anciens soldats appelés, pas plus que les citoyens français, nous devrions faire repentance.

  1. La cinquième est celle de l’imbroglio dans lequel était plongée une armée française en pleine crise, avec, à Alger, la question du qui était qui ou quoi, entre les « loyalistes », les révoltés, ceux de l’OAS, et ceux qui ne savaient plus quoi penser, avec le souci du général d’y mettre fin le plus vite possible, sauf nouvelle crise nationale majeure à venir, c’est à dire en clair : il fallait « dégager » au  plus vite !

Comme la plupart de mes collègues, nous étions favorables à une évolution politique majeure de l’Algérie, mais pas à celle qui s’est produite sous la conduite d’un FLN venu de l’étranger, avec son armée des frontières, incapable de faire régner la paix civile dans ce territoire, et de respecter les Accords d’Evian, sans que notre pays ait fait ce qu’il fallait pour l’obliger à le faire.

6 – Plus de cinquante ans après ces accords, j’ai eu la mauvaise curiosité d’aller consulter dans les Archives militaires de Vincennes les Journaux de Marches et d’Opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui ont suivi mon retour en France, dans les années 1961 et 1962, et je vous avouerai que leur lecture m’a démoralisé.

      Une armée française qui avait ramené la paix civile dans cette région de la Petite Kabylie, à laquelle on donne l’ordre de se replier successivement vers la côte pour s’y embarquer, laquelle exécute loyalement les accords diplomatiques en question, sans que le gouvernement gaulliste fasse ce qu’il fallait pour obliger le FLN à les appliquer. Au fur et à mesure du retrait, le FLN n’avait qu’à lever le petit doigt pour inciter les soldats français d’origine musulmane encore en service dans les postes militaires à se soulever et à les faire tomber aux mains du FLN, les uns après les autres.

          La vallée de la Soummam, comme beaucoup d’autres régions d’Algérie, fut alors un lieu de tortures et de massacres des harkis et des moghaznis qui avaient rejoint l’armée française après 1954, jusqu’en 1962.

        Le rapport du sous-préfet d’Akbou Robert en a récapitulé à l’époque une partie dans la vallée de la Soummam.

       L’armée française a obéi au gouvernement du Général et donc appliqué les accords d’Evian, ce qui n’a pas été le cas du FLN.

      Ce livre montre bien le processus de désagrégation qui a suivi les accords d’Evian, l’impuissance du gouvernement algérien, en même temps que celle du gouvernement français, avec la mise en place d’une dictature politique et militaire servie par l’armée des frontières.

         Je terminerai en évoquant tout d’abord un des points les plus sensibles de ces accords, celui des crimes de guerre, car effectivement ces accords avaient par avance amnistié tous les crimes de guerre commis par les deux parties, et il est évident qu’il y en a eu, comme dans toute guerre de type révolutionnaire ou non, et c’est cette amnistie injustifiable qui a permis à trop de chercheurs ou de mémorialistes français de laisser croire que la France, en Algérie, n’a été que saloperie.

        Le fait qu’une chape de plomb pèse en Algérie sur toute cette histoire n’est pas de nature à apaiser les mémoires, souvent frelatées, d’autant moins qu’on trouve beaucoup moins de belles âmes pour exalter violences, crimes ou tortures de la deuxième guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie dans le années 1992-2000, et la mise en place d’un régime policier de type dictatorial.

        Je voudrais dire enfin que je n’ai jamais compris cette volonté de réconciliation, d’une repentance qui ne dit pas son nom, toujours affirmée par qui ? Le plus souvent par le groupe des intellectuels sortis de la « matrice » algérienne, ou par ceux qui flattent une histoire française de l’autoflagellation, ceux que j’ai appelés « les fossoyeurs » de l’histoire de la France

    Pour avoir beaucoup travaillé sur l’histoire coloniale et la décolonisation, je fais partie de ceux qui mettent en cause tout au long de ce processus la ou les gauches françaises, responsables des conquêtes coloniales de la Troisième République, tout autant que du « fiasco des décolonisations », selon l’expression de l’historien Vermeren.

                     Le cas de l’Algérie en est une des caricatures les plus funestes avec le tournant de guerre que le gouvernement Mollet Mitterrand  a fait prendre à la France, avant le retour du Général au pouvoir, en 1958.

            Alors tout ça pour cela ! Nous avons servi la France et souvent l’Algérie, nous y avons exposé nos vies, certains de  nos camarades y ont laissé la leur, et nous entendons à longueur d’année et depuis des années un discours sur la torture – tous nous aurions donc torturé -, – nous aurions été les seuls à exercer la violence dans un contexte de guerre -, nous devrions faire repentance -, mais en même temps, –  prôner une réconciliation – ?

            Avec qui devrions-nous nous réconcilier, nous, anciens soldats appelés du contingent ?

            Avec qui nos gouvernements devraient-ils se réconcilier ? Les gouvernements  d’une dictature FLN  qui continue ?

         Jamais jusqu’à nos jours, c’est-à-dire plus de soixante après les faits, et à ma connaissance, l’Algérie du FLN n’a donné l’occasion à une quelconque personnalité algérienne, respectée, intègre, capable d’incarner le partenariat  légitime d’une réconciliation entre les deux Etats.

            Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

(1) Il est bien dommage que le texte des Accords d’Evian n’aient pas été joints. Oserais-je dire que c’est la première source que j’y ai recherché.

« Coloniser, c’est Storaniser ! » Acte II

« Coloniser, c’est Macroniser ! »Acte I

« Coloniser, c’est Storaniser ! » Acte II

« Coloniser, c’est Customiser ! », à la sauce d’une agit-prop professionnelle !

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« Le Parisien du 17 février 2017, page 4 :

La chronique : « Mais quelle mouche  a piqué Macron ?

Polémique –  En qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité »… » et en défendant la Manif pour tous… »

En bas de page : avec la photo de M.Stora à gauche, l’interview de l’historien de l’Algérie, sous le titre :

« En matière de colonisation, la France a bâti un faux modèle républicain »

          Après les « crânes » des « résistants »  algériens, en 1854,  à rapatrier en Algérie, les « mémoires dangereuses »,  « les crimes contre l’humanité » !

           M.Stora a-t-il la prétention de prendre pour postulat de son discours le « modèle » algérien ? Lequel serait représentatif de l’histoire de la colonisation française ?

            M.Stora vient ici au secours du candidat Macron ? En aurait-il tant besoin ?

      « C’est un problème d’autant plus insoluble – (déposer plaintecontre les crimeset faire poursuivre) –  qu’en France, dès que l’on prononce les mots « crimes contre l’humanité », le débat est clos ou se politise. Il est quasiment interdit d’évoquer tout acte de violence commis par la France pendant la colonisation »

          Les historiens connaissent sans doute, et à ce sujet, les récits de Loti, Maran, Vigné d’Octon, Augagneur, Gide, Roubaud, Londres …, pour citer quelques auteursde la Troisième République, ou plus récemment, et par exemple, ceux de M.M Boiteau et Tronchon sur Madagascar, ou de Mme Branche sur la torture…

          « La France a bâti un faux modèle républicain » : la France a-t-elle voulu mettre en œuvre ailleurs qu’en Algérie, après 1945, et contre l’opposition permanente de la minorité agissante des Français d’Algérie, le « modèle républicain », avec la complicité des partis de gauche ou de droite ?

           De quelle République parlons-nous ? Celle de la République laxiste de Mitterrand et de Chirac qui ont laissé faire pour que la République soit tellement absente de nos quartiers sensibles ?

         A la fin de son interview, M.Stora repart sur son terrain de prédilection, celui des populations d’origine immigrée :

        « Comment expliquer à ces catégories de la population qui descendent de l’histoire de la colonisation que, soixante ans après, on ne peut toujours pas tenir en France des critiques contre ce système ? La colonisation est devenue un marqueur identitaire comme l’esclavage pour les Noirs. C’est une question historique aux conséquences politiques très vivaces. »

         Fermé le ban !

        Dieu soit loué ! En dépit de sa faible fréquentation, – pourquoi ? – la Cité de l’Histoire de l’Immigration contribue sûrement à combler ce gouffre d’ignorance.

          « On ne peut toujours pas tenir en France des critiques contre ce système »  : alors qu’à longueur d’année des historiens, des chercheurs, des intellectuels, dénoncent les méfaits de la France coloniale, le plus souvent sans connaître grand-chose de son histoire ?

        « Comment expliquer à ces catégories de population … ? Des catégories que M .Stora se garde bien de vouloir faire compter, car il n’a  jamais jusqu’à présent fait mesurer le champ d’un de ses thèmes préférés, celui de la mémoire coloniale, alors qu’il surfe en permanence sur le sujet ?

           Comment expliquer aux Français que cette absence supposée de critique puisse justifier que « la colonisation est devenue un marqueur identitaire… », alors que les « experts » ne savent même pas, ou ne veulent pas le mesurer, et que les Français constatent de plus en plus, compte tenu des flux de l’immigration passée « régulière » ou « irrégulière », que c’est l’Islam qui est peut-être devenu le « marqueur identitaire » ?

           Comme je l’ai déjà écrit, il est tout de même très étrange que ces catégories de population marquées du fer rouge de la colonisation, soient venues, et viennent encore nombreuses se placer sous le joug d’un  système colonial qui existerait toujours en France, pour appeler un chat un chat, notamment de la terre qui a vu naître M.Stora, au cours de la décennie noire des années 1990 2000.

           Pourquoi agit-prop professionnelle ? Parce que ces intellectuels tiennent un discours idéologique qui semble ignorer les grands progrès qui ont été réalisés dans l’histoire quantitative, et ici, dans la mesure statistique de ces fameuses « mémoires » collectives, ce qui n’était pas le cas avant 1939-1945.

       Ils ne font que se cantonner dans le discours des idées, et c’est évidemment plus confortable !

Jean Pierre Renaud

Le Poids « historique » des « Paroles »! Les harkis, La Croix, hommage aux croque-morts de l’histoire de France ?

Le poids « historique » des « Paroles » !

La Croix du 26 septembre 2016, page 11 :

« La France reconnait sa  responsabilité dans les « massacres » des harkis »

En hommage aux croque-morts de l’histoire de France ?

            La chronique rend compte de la décision qu’a prise le Président de reconnaître la responsabilité de la France dans le massacre des  harkis plus de cinquante ans après les accords d’Evian, mais quid de celles du FLN à la même époque ?

            Le journal publie sur ce sujet sensible le commentaire d’un professeur de sciences politiques, Monsieur Le Cour Grandmaison, « Paroles

            Une avancée qui reste limitée … »

            Seul petit problème, le professeur en question s’est illustré dans un récent passé par la publication d’un ouvrage pseudo-scientifique intitulé « Coloniser Exterminer », un ouvrage que les historiens Meynier et Vidal-Naquet  ont qualifié de « sottisier ».

            Dans cette gamme de références historiques vraies ou supposées, pourquoi ne pas avoir alors consulté l’ancien cadre du FLN de cette époque que fut M.Harbi, aujourd’hui historien, ou encore l’historien Jeanneney dont le père, était alors ambassadeur de France à Alger, lequel a sûrement laissé quelques mémoires sur le sujet ?

            Nous dirons plus tard un mot du livre de l’historien Guy Pervillé sur les accords d’Evian, un ouvrage dense et rigoureux qui aborde de façon précise cette question, en traitant de tous ses aspects, et notamment les responsabilités respectives de la France et de l’Algérie.

            Je rappellerai pour terminer, comme je l’ai déjà écrit ailleurs, qu’en 1962, je pris rendez-vous avec un camarade de promotion, alors membre du Cabinet du Général de Gaulle, pour lui faire part de mon entier désaccord sur la façon dont la France « gérait » le sort des harkis et moghaznis que nous avions abandonnés en Algérie.

Jean Pierre Renaud

Histoire ou politique? « Les têtes des résistants algériens… « Le Monde des 10 et 11 juillet 2016

Histoire ou politique ?

« Les têtes des résistants algériens n’ont rien à faire au Musée de l’homme »

Le Monde des 10 et et 11 juillet 2016, dans Débats & Analyses page 26
La signature :

 « Par COLLECTIF »  ( signatures de dix- neuf chercheurs ou intellectuels, dont dix historiens ou historiennes, avec la présence signalée de Mme Branche et de Messieurs Meynier et Stora))

&

Quel est le but poursuivi par ces intellectuels dans l’ambiance de la France des années 2015 et 2016 ? Faire parler d’eux ?

Qui en France, découvrant cette situation des siècles passés, qui donne l’occasion à ces intellectuels de manifester à nouveau leur « passion de l’histoire », s’opposerait vraiment à cette restitution ? Comme de beaucoup d’autres non signalées ?

&

            Ce texte qui rappelle un des épisodes sombres de la guerre de conquête de l’Algérie qui a duré près de cinquante ans, et il y en a eu beaucoup, est présenté sous un titre ambigu « Les têtes des résistants algériens » : les historiens signataires ne craignent-ils pas que certains de leurs lecteurs ou lectrices, ne mettent dans la même case historique des événements qui se situent les uns par rapport aux autres à plus d’un siècle et demi de distance ?

            L’histoire serait-elle à revisiter avec le concept de « résistance » des années 1939-1945 ?

            On ne fait sans doute pas mieux dans l’anachronisme.

            Les  auteurs de ce texte collectif se défendent à la fin de ce texte de vouloir « céder à un quelconque tropisme de « repentance » ou d’une supposée « guerre des mémoires, ce qui n’aurait aujourd’hui aucun sens. »

            Ils écrivent :

         « Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française »

            Je remercie les auteurs de cette proclamation d’avoir écrit « d’une supposée guerre des mémoires » dont un des signataires est l’un des plus ardents défenseurs : « supposée », oui, car elle n’a jamais été mesurée, en tout cas à ma connaissance, et en dépit de tous les sondages qui tombent chaque jour, sur n’importe quel sujet.

          « … l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française » ?

            Comment est-il possible de faire un  tel constat de corrélation entre la révolte de Zaatcha en 1849 et la France d’aujourd’hui, sauf à l’interpréter comme une énième tentative de manipulation politique ?

            Pour conclure provisoirement, je suis un peu surpris de voir autant de signatures qui ont ou qui ont eu, de près ou de loin, une relation avec l’Algérie, avec cette obsession de l’Algérie, qui à les lire, constituerait l’alpha et l’oméga de notre histoire.

            Les lecteurs les mieux informés connaissent bien l’efficacité médiatique de ces groupes d’intellectuels formés dans la matrice algérienne de l’anticolonialisme, notamment dans les colonnes du journal le Monde.

            La véritable question que pose une telle proclamation est celle du but poursuivi par ce collectif et par le journal Le Monde : s’agit-il, une fois de plus, et pour ce collectif, partie d’un « système » idéologique bien identifié, même s’il s’en défend, d’apporter une preuve datant d’un siècle et demi, afin de démontrer combien l’histoire de notre pays a été faite de noirceur, de violence et de crimes ?

            En misant peut-être sur le relais que les réseaux sociaux peuvent lui donner ?

          Si oui, il serait bien triste de voir un collectif d’intellectuels, dont beaucoup sont issus de la matrice algérienne citée plus haut, expliquer à nos jeunes enfants comment il est encore possible d’aimer la France, dans le contexte explosif du monde d’aujourd’hui, et des candidats au suicide de Daech.

            Ci-dessous le message que j’ai adressé au Courrier des lecteurs du Monde le 20 juillet dernier :

            « Bonjour, le collectif Blanchard and Co fait encore des siennes dans la nouvelle propagande postcoloniale, avec le concours d’un Stora, toujours en quête de médias, incapable jusqu’à présent d’avoir apporté la moindre preuve de sa « guerre des mémoires » 

        Toujours la matrice algérienne ! De l’histoire ou de la politique ?

        J’encourage vivement votre journal à organiser un concours international de têtes, à la condition toutefois de les situer historiquement et à chaque fois dans son contexte très précisément historique.

         Ce qui est sûr, c’est que ce genre de tribune pseudo-scientifique constitue un élément de plus de la contribution de ces belles âmes à la pacification des esprits dans le contexte historique « actuel » avec les décapitations de Daech, pour ne pas évoquer celles encore récentes d’Algérie ».

        Jean Pierre Renaud

            Post Scriptum : puis-ajouter que dans la liste des signataires figure un très honorable historien, Gilbert Meynier qui, avec le concours de M.Vidal-Nacquet fit un sort justifié au livre d’un autre signataire du même appel aux « crânes », Olivier La Cour Grandmaison, livre intitulé « Coloniser Exterminer » ?

        A lire cette analyse très fouillée sur le blog « Etudes Coloniales « du 10 mai 2006 !

       Un seul petit extrait :

       « A le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu de réflexion et de synthèse historique » … « En histoire, il est dangereux de tout mélanger. »… « On ne s’étonnera pas qu’OLCG se voie probablement en historien d’une espèce en voie d’apparition, dont le manifeste inscrit son auteur « contre l’enfermement chronologique et disciplinaire (p,22 »

           « En fait, il surfe sur une vague médiatique, avec pour fonds de commerce des humains désemparés et peu portée à l’analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu’il ne s’appuie sur les travaux d’historiens confirmés »

A ranger dans la catégorie des intellectuels fossoyeurs de notre histoire de France !

« Guerre d’Algérie: réflexions »

« Guerre d’Algérie : réflexions »

Volet 4, et dernier volet

La querelle du 19 mars 1962 ? Une querelle de mémoire ou une querelle d’histoire ?

Ou le constat historique que l’Algérie, comme les autres colonies, n’étaient pas la France ?

            L’analyse du sens mémoriel ou historique de cette querelle en dit plus long qu’on ne voudrait bien le dire, ou entendre dire habituellement sur la portée de cette date.

            Pourquoi ne pas reconnaître que le choix de cette date par les anciens soldats du contingent appelés à servir en Algérie sanctionnait le véritable constat historique, non pas celui de la fin de la guerre d’Algérie, mais le fait que l’Algérie n’était pas la France, contrairement à tous les discours qu’ils avaient entendus ?

            Convient-il de rappeler que ce constat fait par plus d’un million de jeunes soldats en Algérie valait bien n’importe quel sondage ?

            Les adversaires de cette date, pour des raisons tout à fait honorables, notamment les massacres postérieurs au cessez-le-feu, des Français et des Algériens pro-français, s’inscrivent encore dans le courant d’autres mémoires, et de l’histoire officielle de la ratification des Accords d’Evian, et donc d’un cessez le feu qui n’en fut pas un.

            Car une autre histoire continua en effet après la 19 mars avec le massacre des Algériens qui partageaient notre combat, lâchement abandonnés par le gouvernement, et celui de nombreux pieds noirs encore en Algérie.

            Un dossier d’autant plus  difficile à refermer que les accords d’Evian avaient accordé l’impunité pour tous les actes des deux camps commis auparavant, c’est-à-dire les crimes, et qu’après le cessez le feu, d’autres crimes commis par les représentants du nouveau pouvoir algérien furent couverts  par la même impunité.

            Un dossier d’autant plus difficile à refermer qu’un courant idéologico-mémoriel puissant tente en permanence de démontrer que la France a commis tous les péchés coloniaux du monde, et qu’en conséquence notre pays doit  s’adonner à des cérémonies permanentes d’autoflagellation.

            Un dossier d’autant plus difficile à refermer qu’un des zélateurs de ces mémoires, bien en cour, agite en permanence le flambeau d’une guerre des mémoires qu’il n’a jamais eu le courage, avec ses compères, d’évaluer, c’est-à-dire de mesurer.

Jean Pierre Renaud

« Guerre d’Algérie » Volet 3 « Japon-Corée », France Algérie », « Le Japon et le fait colonial »

« Guerre d’Algérie : réflexions »

Volet 3

« Le Japon et le fait colonial- II »

« Les débats du temps postcolonial, des années 1950 à nos jours »

« Japon- Corée, France-Algérie »

« Réflexions sur deux situations coloniales et postcoloniales »

Lionel Babicz (page 55 à 80)
Cipango
Cahier d’études japonaises Année 2012
Lecture critique
S’agit-il d’un « objet d’histoire » ?

            Indiquons dès le départ que l’auteur s’attaque à un sujet difficile, ambitieux, qui soulève beaucoup de questions de méthodologie concernant le concept de comparabilité historique, et nous verrons ce qu’il convient d’en penser.

            Avec une question préalable, s’agit-il d’un « objet d’histoire », alors que la Corée « coloniale » a disparu de la scène internationale après 1945, avec une partition en deux Corées, celle du nord et celle du sud ? De quelle Corée s’agit-il ?

            L’auteur écrit :

            « Histoire, paix, réconciliation. Si une quantité croissante de travaux sur ces thèmes ont été publiés en Asie orientale et en Europe, peu nombreuses sont les études comparatives. Le présent article résulte de ma participation à l’une de ces rares initiatives, un ouvrage japonais intitulé « Histoire et réconciliation publié en 2011 par les historiens Kurosawa Fumitaka …et Ian Nish. Ce livre, composé à la fois de travaux historiques et de témoignages directs, comporte également une partie comparative dédiée à des thèmes rarement abordés jusqu’à présent : mise en perspective des processus de réconciliation sino-japonais et germano-polonais, ou nippon- coréen et anglo-irlandais. Ma contribution personnelle fut une tentative de comparaison entre deux couples coloniaux n’ayant jamais encore été systématiquement confrontés, Japon-Corée et France-Algérie. Les quelques réflexions qui suivent sur divers aspects des situations coloniales et postcoloniales franco-algériennes et nippo-coréennes constituent une version remaniée et actualisée de ce texte japonais. » (p,56)

            L’auteur expédie le cas comparatif des mémoires de guerre de l’Allemagne et du Japon, effectivement très différentes de celui qu’il a l’ambition d’analyser, et écrit donc:

     «  Ces quelques pages se proposent ainsi d’examiner les parallèles et différences entre les situations coloniales franco-algériennes et nippo-coréennes, mais également de comparer la manière dont cette histoire porte une ombre encore aujourd’hui sur les relations au sein des deux « couples » .(p,57)

            Le lecteur aura bien noté que la réflexion porte sur les « situations coloniales », « parallèles » ou « différentes », les mots que j’ai soulignés.

            A la fin de notre lecture critique, nous verrons ce qu’il faut penser, de façon synthétique, d’une tentative de comparaison entre deux couples coloniaux n’ayant jamais encore été systématiquement confrontés, une comparaison qui soulève évidemment la question de sa pertinence historique.

         Je ne cacherai pas aux lecteurs que j’en doute sérieusement, et qu’à plusieurs reprises je me suis demandé quel maître à penser de l’INALCO avait pu souffler l’idée d’un tel sujet.

        « Le centenaire de l’annexion de la Corée (p, 57)

          Ces dernières années auront été emblématiques : les relations nippo-coréennes et franco-algériennes évoluent toujours à l’ombre de l’histoire et de la mémoire.

       L’année 2010 marqua le centenaire de l’annexion de la Corée par le Japon. En apparence, les choses se sont plutôt bien passées…    

       Le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie

      « Pour ce qui est de la France et de l’Algérie, l’année 2012 aura marqué le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie et de l’indépendance algérienne. Là aussi, polémiques et divergences furent au rendez-vous…

     Au-delà des gestes politiques, il semble également que l’année 2012 aura été l’occasion pour la France intellectuelle, artistique et médiatique de se pencher sur le passé algérien comme cela n’avait jamais été fait auparavant…

     De manière apparemment paradoxale, le cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne sembla avoir suscité plus d’intérêt en France qu’en Algérie, et ce malgré une série de célébrations officielles  démarrant en juillet 2012…

      En fait, la manière dont le Japon et la France ont respectivement commémoré les anniversaires de 2010 et de 2012 révèle, me semble-t-il, une différence essentielle entre les mémoires coloniales des deux pays. En France, l’Algérie suscite un important débat intérieur passionnant une grande partie de la société civile… » (p61)  

      Questions : j’ai souligné les réflexions qui posent problème.

        Comment est-il possible de comparer, sauf à dire qu’il s’agit de deux événements complètement différents en chronologie et en signification, entre une annexion de la Corée  datant de 1910 et la fin d’une guerre d’indépendance pour l’Algérie datant de 1962 ?

       L’année 2012… une occasion de se pencher sur le passé algérien… ? Vraiment ?

      Une différence essentielle entre les mémoires coloniales des deux pays ?  Est-ce le cas, alors qu’aucune enquête statistique sérieuse n’a pas été faite à ma connaissance sur cette fameuse mémoire coloniale, avant tout chère à Monsieur Stora. Alors qu’il s’agit bien souvent d’une mémoire mise au service d’une cause politique ?

      « La force du lien colonial (p,62)

      « Aussi bien dans le cas de la France et de l’Algérie que dans celui du Japon et de la Corée, on ne peut véritablement saisir l’état des relations bilatérales sans se référer à la réalité de la période coloniale. Quelles sont donc les similitudes et les différences dans les situations coloniales franco-algérienne et nippo-coréenne ?

       La similarité la plus frappante est peut-être la spécificité du lien qui reliait les deux partenaires coloniaux..

       L’Algérie fut une colonie française durant plus de cent trente ans (1830-1962… une colonie de peuplement… la possession française… indispensable stratégiquement (l’Algérie était la clef de l’Afrique, du Maghreb et du Proche Orient, et aussi symbole de la grandeur de la France. » (p63)

       Questions et constats sur les mots soulignés :

       La spécificité, incontestablement !

 Une colonie française jusqu’en 1962, vraiment ?

 Une colonie de peuplement, incontestablement !

 Indispensable stratégiquement (l’Algérie était la clef de l’Afrique, du Maghreb et du Proche Orient ?

       Une affirmation historique hardie, pour ne pas dire plus.

Grandeur de la France, incontestablement ! Une des raisons qui ont trop souvent conduit les gouvernements français à vouloir s’occuper de tout sur la planète aussi bien pendant les conquêtes coloniales, avec Jules Ferry et après, et encore de nos jours avec les interventions extérieures multiples de la Cinquième République, sous les houlettes de Messieurs Sarkozy et Hollande.

       « Deux catégories de personne » (p,64)

        « Il y avait une différence, cependant. Le Japon avait développé à l’égard de la Corée une idéologie de proximité raciale. Les Coréens étaient considérés comme des frères de race égarés, destinés au bout du compte à regagner le bercail originel d’une civilisation commune. Ce sont des idées, déjà présentes au moment de l’annexion en 1910, qui furent à la base des mesures d’assimilation mises en place à partir de 1938.

         En Algérie, pas de proximité raciale qui tienne. L’Algérie était destinée à être assimilée à la France par le biais d’une colonisation française (et européenne) et par la « francisation » progressive d’une élite locale. Durant toute l’époque coloniale, il y eut  essentiellement deux catégories de personnes en Algérie : les colons – citoyens français bénéficiaient de tous les droits – (auxquels furent adjoints en 1870 les Juifs algériens), et les indigènes locaux, les « Arabes », régis par le Code de l’indigénat de 1881. Ainsi lorsqu’on parle d’assimilation, il s’agit des citoyens colons, et non de celles des Algériens musulmans. » (p,65)

      Questions relatives aux mots ou phrases soulignés :

Proximité raciale, annexion en 1910, et mise en place en 1938 seulement, juste avant le début de la guerre mondiale ?

        Est-ce tout à fait pertinent ?

 « En Algérie, pas de proximité raciale qui tienne. » « francisation » progressive d’une élite locale »… assimilation ?

      Idem, une analyse pertinente, il est possible d’en douter, mais les remarques relatives aux frères de race … au bercail originel d’une civilisation commune sont, elles, tout à fait pertinentes, car le facteur religieux, la présence de l’Islam, fut un des facteurs qui rendait difficile, sinon impossible toute idée d’assimilation.

      Je rappelle à cette occasion que dans les années 1900, les colons, terme inapproprié pour dénommer les européens d’Algérie, étaient composés pour un tiers d’espagnols, un tiers d’italiens, et un tiers de français, et qu’en 1870, il n’existait quasiment pas encore d’Etat algérien.

         L’auteur note d’ailleurs que les projets d’intégration des Coréens, même tardifs, ne réglaient pas le même type de problème :

       «  Ainsi dans les deux colonies, au nom d’une lointaine et utopique assimilation, les populations  étaient l’objet d’une ségrégation intense, et les opposants les plus farouches à l’assimilation des Coréens étaient les colons japonais, craignant de perdre leurs privilèges. » (p65)

       Mais alors, qu’en penser ?

        Qu’il s’agisse de l’avant 1939 ou de l’après, toute comparaison parait difficile à faire, compte tenu de l’irruption du facteur international, la guerre, la défaite du Japon et l’indépendance de la Corée le 15 août 1945, puis la guerre froide, la guerre de Corée (1950-1953), la division du pays en deux Corées, un élément de l’histoire coréenne qui rend difficile toute comparaison pertinente avec l’Algérie

    L’Algérie, elle-même, ne sortira pas indemne de la guerre, et sera rapidement prise dans les soubresauts de la décolonisation, les interventions des Etats Unis, de l’URSS, et du Tiers Monde, puis la guerre d’Algérie.

      Corée et Algérie avaient basculé dans un autre monde.

     « Décalage chronologique, décolonisation

       Ce décalage des chronologies constitue peut-être l’une des différences essentielles entre les deux situations coloniales. « L’Algérie est colonisée beaucoup plus tôt que la Corée (prise d’Alger en 1830, colonisation officielle à partir de 1905 pour la péninsule) et se libère plus tard (la Corée est libérée en 1945, l’Algérie se libère en 1962)…

        En France, la perte de l’Algérie française a été vécue comme « une sorte d’amputation ». la guerre d’Algérie est également à l’origine de la création de la Vème République…

Occultation

        Ainsi après l’indépendance, la guerre fut occultée en France. Benjamin Stora publie en 1991, un ouvrage intitulé « La gangrène et l’oubli » dans lequel il analysait comment cette « guerre sans nom » demeurait une page blanche de l’histoire de France, et rongeait comme une gangrène les fondements mêmes de la société »

Occultation également en Algérie…

       En Corée, le processus de décolonisation fut totalement différent… Ainsi pour le Japon, le traumatisme de la perte de la Corée se dilua dans le traumatisme général de la défaite.

       Cependant, là-aussi, l’occultation était au rendez-vous. Les deux décennies suivant la fin de la guerre (1945-1965) furent une période de désintérêt total à l’égard de la Corée. » (p,68,69)

       Questions :

        Indépendamment de la question de base, – à savoir sommes-nous vraiment dans des « situations coloniales » comparables ? -, l’auteur fait référence à un historien qui surfe depuis des années, sur la mémoire d’une guerre d’Algérie qui l’a fait rapatrier à l’âge de douze ans.

       Pour avoir participé à cette guerre au titre du contingent, et avoir été attentif à ce qu’on en racontait après, je n’ai pas le sentiment que cette guerre ait été occultée, en tout cas, pas par les groupes de pression multiples qui ont tenté de s’en approprier la mémoire, souvent avec succès, notamment, celui qu’anime l’historien-mémorialiste cité.

          Quant au constat « Occultation également en Algérie », je laisse le soin à l’auteur de nous dire sur quel fondement il formule ce constat.

       « Normalisation nippo-coréenne (p,70)

        En 1965, le Japon établissait des relations diplomatiques avec la République de Corée, au Sud. Ce traité de normalisation était le résultat à la fois de pressions des Etats-Unis qui aspiraient à renforcer la stabilité régionale, et d’une convergence d’intérêts, essentiellement économique, entre la Corée et le Japon….le Ministre des Affaires étrangères japonais, Shiina Etsusaburo exprima les regrets de son pays pour ce « passé infortuné ».

       Il est évident que dans le cas d’espèce, les Etats-Unis étaient devenus maître du jeu.

      « La France et l’Algérie après l’indépendance (p,71)

      Contrairement au cas nippo-coréen où l’indépendance amena une rupture des liens bilatéraux,  entre la France et l’Algérie, le contact ne fut jamais rompu. Il est même surprenant de voir comment malgré la violence et les atrocités de la guerre dès son lendemain, les deux parties manifestèrent leur volonté de maintenir un lien étroit…

   En 1981, le président Mitterrand se rendit même à Alger

     Dégradation franco-algérienne, amélioration nippo-coréenne (p,73)

     Mais l’année 1981 marqua également un pic

        Question : une fois de plus, compare-t-on des situations historiques comparables ? A mon avis, non, sans oublier que derrière le décor franco-algérien se profilait l’accord secret sur les essais nucléaires au Sahara.

       Point n’est besoin de noter, en ce qui concerne les relations nippo-coréennes, qu’en 1998, le Mondial fut un nouveau facteur de normalisation, mais avec quelle Corée ? Et sous le parapluie américain?.

      « Vers la fin de l’époque postcoloniale ? (p,75)

       … Les traités de sécurité liant Séoul et Tokyo à Washington ont l’allure d’une véritable alliance trilatérale, et il ne fait guère de doute que ce triangle de sécurité est à la base de la paix dont jouit l’Asie orientale depuis un demi-siècle. » (p,76)

           Question : en dépit de l’existence d’un autre morceau de la Corée, celle du Nord, encore communiste et agressive, et la montée en puissance de ce qu’on pourrait appeler la nouvelle Chine, et la forme moderne de son impérialisme séculaire ?

       « L’Algérie et la France dans la tourmente (p,76)

         L’auteur rappelle à juste titre l’existence de la guerre civile des années 1988-1990, la deuxième après celle des années 1954-1962, une guerre qu’il parait légitime de dénommer une guerre de religion, et ils ont été nombreux les Algériens qui sont venus en France pour y trouver refuge.

       Depuis, ces relations n’ont trouvé ni apaisement, ni nouvel équilibre, en raison notamment, et souvent des deux côtés de la mer de Méditerranée, de la culture de mémoires partisanes, lesquelles, ont l’ambition d’exiger de la France une repentance coloniale.

      « Une surabondance mémorielle » (p,79)

         Je ne suis pas convaincu qu’il existe de nos jours une surabondance mémorielle, alors que l’ancien passé  aurait été occulté, par qui ? A quel niveau ?

      En tout cas, pas dans les très nombreuses associations ou groupes de pression qui ont cultivé la mémoire de cette guerre, avec une immense majorité de soldats du contingent, dont je faisais partie, qui n’avaient jamais été convaincus, en débarquant en Algérie, qu’ils se trouvaient sur une terre française.

      Pourquoi ne pas noter que les groupes de pression qui font le plus de bruit en faveur d’une repentance qui ne dit pas son nom, ont partie liée avec des partis politiques ou des publics issus de l’immigration ?

         Comment adhérer, au terme de cette lecture critique à cette sorte de conclusion caricaturale qu’en tire l’auteur ?

           « Les couples franco-algériens et nippo-coréens semblent ainsi constituer deux variantes d’une même situation postcoloniale. Les deux couples entretiennent aujourd’hui des relations  dictées essentiellement par leurs situations géostratégiques et leurs choix politiques. Dans ce contexte, la mémoire du passé colonial est souvent instrumentalisée pour des besoins intérieurs et extérieurs. Mais ces débats, disputes, accrochages et affrontements sont également l’expression de plaies toujours vives et qui ne semblent pas près de se refermer. La colonisation travaille en profondeur tant les sociétés des pays colonisateurs que celle des pays coloniaux. « (p,80)

        Comment ne pas interpréter une telle opinion qui ne correspond pas aux réalités françaises, sauf pour une petite partie  de sa population, comme un appel – une fois de plus- à un « inconscient collectif » cher à beaucoup de chercheurs, lequel « travaille en profondeur », qui constituerait l’alpha et l’omega, pour ne pas dire le graal des relations entre ces pays désignés ?

        Un « inconscient collectif » cher à Monsieur Stora !

Ma critique de synthèse

– Question préliminaire : le but de cette chronique était-il de faire apparaître toutes les différences qui séparaient la Corée et l’Algérie ? Si oui, il parait atteint.

– Une chronologie pertinente ? Non ! Car comment comparer des situations coloniales, datant l’une de 1830, et l’autre de 1905, celle de la Corée ne durant que quarante ans contre cent trente-deux ans pour l’Algérie, la première à un moment de la vie internationale qui ne soutenait aucune comparaison avec le début du XX°siècle, et selon  des durées « coloniales » difficilement comparables.

 – Des situations coloniales comparables ? Bien sûr que non !

        Comment comparer l’Algérie des années 1830, dépourvue de tout Etat, sous la gouverne des tribus, avec le contrôle lointain et superficiel de l’Empire Ottoman, avec la Corée des trois royaumes peuplés d’une population partageant une civilisation commune, mixant les grandes religions d’Asie, avec une Algérie musulmane, une Corée qui existait bien avant son annexion par le Japon ?

      Une comparaison de la Corée avec l’Indochine, gouvernée par l’empereur d’Annam, fils du ciel, comme en Chine, n’aurait-elle pas été plus pertinente ?

–  Le facteur stratégique ?

       L’auteur en souligne l’’existence, mais autant un tel facteur a été déterminant dans la conquête de la Corée, comme le souligne les auteurs d’autres contributions, ce facteur était inexistant à l’origine pour Alger, puisqu’il s’agissait avant tout de mettre fin au trafic d’esclaves chrétiens par les pirates barbaresques, et alors que la distance qui séparait les deux côtes ne donnait pas à l’Algérie cette caractéristique de sécurité nationale.

         Il fallut attendre la deuxième guerre mondiale, et le débarquement de troupes alliées en Afrique du Nord pour que l’Algérie devienne momentanément un élément important d’une stratégie nationale, une situation qui dura peu de temps, car contrairement à ce qu’écrit l’auteur,  je ne sache pas que l’Algérie ait eu une importance stratégique pour la France au Moyen Orient.

–    Le volet des « situations coloniales » sur leur plan économique et financier ? Un volet qui fait complètement défaut, alors qu’une comparaison intéressante et utile aurait pu être effectuée entre les deux pays, de même et de façon plus pertinente avec l’Indochine entrée dans une ère coloniale à peu près à la même période que la Corée.

        Il aurait été intéressant, si cette hypothèse de travail est pertinente, que l’auteur montre comment les banques de Corée, entre les mains du Japon, ont été l’instrument d’un impérialisme secondaire du Japon en Chine.

        Cette lacune de données économiques est très fréquente dans beaucoup de recherches d’histoire postcoloniale, alors que de nombreux outils d’évaluation statistique sont disponibles.

        La Corée, quelle  Corée ? Celle du Nord encore communiste, ou celle du Sud,  alliée des Etats Unis et du Japon ?

        A la lecture de cette chronique, il est possible de se poser la question.

–    Le mot de la fin, avec la contribution du détective Napoléon Bonaparte, célèbre pour ses enquêtes dans le bush australien, notamment chez les Arborigènes, en partie exterminés ou discriminés par les anciens colons de ce continent, un détective dont les enquêtes ont été popularisées par Upfield.

          Aurais-je envie de dire, qu’à la grande différence des enquêtes fouillées de Napoléon Bonaparte, qu’il m’arrive de trouver que certaines recherches postcoloniales manquent peut être de la même rigueur dans leur évaluation des faits ou idées analysés.

          C’est à se demander si les romans policiers les meilleurs ne font pas preuve d’une plus grande rigueur scientifique, pour ne pas citer certains romans historiques qui pourraient sans aucun doute en remontrer à certains chercheurs !

          Nous nous proposons d’ailleurs de publier plus tard une petite chronique sur ce sujet passionnant.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Guerre d’Algérie: quelques réflexions » Volet 2 suite et fin : « les scénarios des deux guerres »

« Guerre d’Algérie : quelques réflexions »

Volet 2

Suite et fin

Guerre anglaise de Malaisie (1948-1960) et guerre française d’Algérie (1954-1962)

&

Les scénarios des deux guerres

                Les buts de guerre étaient fondamentalement différents : dans le cas britannique, il s’agissait officiellement de lutter contre un ennemi communiste, de consolider les points stratégiques de l’empire britannique en Asie, notamment le port de Singapour, face à l’attraction nouvelle du modèle communiste chinois, tout autant que de préserver leurs ressources en  étain et caoutchouc.

             Les Anglais n’avaient pas du tout l’intention d’accorder la citoyenneté aux gens de Malaisie, mais ils tentaient d’aider à la mise en place d’institutions politiques nouvelles, capables de relayer leur pouvoir, sans perdre le bénéfice  de la poule aux œufs d’or qu’était encore la Malaisie.

               Rien de tel en Algérie où la présence d’un million de pieds noirs constituait un véritable casse-tête, un obstacle difficile à contourner compte tenu de son importance démographique, de son rôle politique, économique et financier, et pourquoi ne pas le dire de l’héritage qu’était le développement de l’Algérie, fut-il inégal, que le président Nasser reconnut lui-même, lors d’une de ses visites après l’indépendance.

               Officiellement, l’Algérie, c’était la France, et ses destinées s’inscrivaient toujours dans une perspective d’assimilation, puis d’intégration, avec une égalité des droits entre tous les habitants du territoire.

            En Malaisie, les Anglais n’ont jamais eu, ni l’intention, ni l’ambition d’accorder leur citoyenneté aux Malais ou aux Chinois de Malaisie.

                 Il ne faut pas non plus oublier deux choses, la première celle du rôle d’appoint et de charnière que jouaient souvent les députés d’Algérie dans la constitution des gouvernements de la Quatrième République, la deuxième relative au concours patriotique que les citoyens européens d’Algérie avaient spontanément apporté à la libération de la métropole, un facteur trop souvent oublié.

              Une fois la guerre engagée, à partir de 1954,  le discours politique a d’abord été, l’Algérie, c’est la France, disaient en chœur Mendès France, Mitterrand, mais au fur et à mesure de son déroulement, les objectifs devinrent moins clairs, celui de l’assimilation, une égalité entre citoyens, mutant vers l’intégration, et ce manque de clarté sur les buts de la guerre fut incontestablement une des raisons du flottement de notre politique, et en définitive du bâclage de ce dossier par de Gaulle.

            Avant la signature des Accords d’Evian, la situation du gouvernement en Algérie devint intenable, car on ne savait plus qui était contre ou pour de Gaulle, au sein même du pouvoir.

             Certains diront que l’occasion avait été manquée de confier le pouvoir à une élite algérienne pro-française, à la fois musulmane et française.

            Toujours est-il que si la rébellion touchait un maillon faible de la puissance française d’alors, elle n’était pas communiste, comme en Malaisie, et toutes les huiles politiques ou militaires qui ont déclaré que la France y combattait le communisme effectuaient une mauvaise analyse stratégique, sauf à dire que les dirigeants de cette rébellion rejoindraient à coup sûr le camp soviétique, une fois au pouvoir.

            La France éprouvait donc beaucoup plus de difficultés à fixer son ou ses buts de guerre  que la Grande Bretagne, en Malaisie.

           Toujours est-il que les deux pays mirent en œuvre des stratégies militaires de contre-insurrection très comparables, dans le cadre de l’Etat d’alerte des Anglais et  de l’Etat d’urgence des Français, mais selon des modalités et avec une intensité très différente dans la répression.

          Les Anglais mirent au point des outils de répression et de contrôle de la population à la fois très sophistiqués et très violents.

          A lire ce roman, je ne pense pas que la France n’ait jamais mis en œuvre et aussi longtemps un tel arsenal de répression, fusse avec l’emploi de la « torture », mais qui ne fut pas géographiquement et historiquement généralisé, quoiqu’on en dise ou écrive, mais je n’ai pas la compétence historique pour avancer une telle opinion.

         En Malaisie, la pendaison des terroristes, l’emprisonnement de rebelles, l’internement d’une partie d’entre eux, des techniques très sophistiquées de retournement de rebelles et de ralliement, les déplacements de population dans des camps d’internement entourés de barbelés et surveillées militairement.

        « Les prisons débordaient d’un assortiment de plus de trente mille suspects » (p,234)

           Une ambiance de suspicion généralisée avec l’utilisation de tout un ensemble de méthodes de  recherches et d’interrogatoire des rebelles ou des suspects de rébellion : 

       « On enfermait Ah Meï dans une cellule avec le suspect – toujours une jeune fille ou une femme…. Des noms, des noms, des noms » (p,140)

     L’action de ce roman se déroule beaucoup dans le camp de Todak :

      « A présent, Todak est un camp de réinstallation entouré de barbelés. C’est connu pour être un mauvais coin. »

        Les Anglais y faisaient une guerre psychologique, une expression qui eut son heure de gloire dans la guerre d’Algérie.

        Les rebelles capturés étaient classés en plusieurs catégories.

       « Il y avait les « PER », (partisans ennemis ralliés)… Les PER étaient d’un vif intérêt pour les sections de la « Guerre psychologique » et pour les étudiants américains désireux d’écrire des thèses de doctorat sur le communisme en Asie » (p,129,130

            « La bataille pour les cœurs et les esprits des habitants de Todak était déclenchée. » (p,191)

            L’auteure décrit les états d’âme d’un des officiers anglais, Luke :

            « Le malaise de Luke croissait. Même débordé de travail, traquant des hommes et des femmes pour leur credo politique, il s’interrogeait maintes fois sur ce qu’il faisait, tout  en se répétant que son devoir consistait à abattre le terrorisme, il lui arrivait de se demander pourquoi les moyens employés le bouleversaient tant. »  (p,206)

            Guerre totale ou guerre psychologique ?

            L’auteure met en scène une conversation tout à fait intéressante entre un ancien étudiant malais et un officier anglais, laquelle portait sur les méthodes de contrôle des esprits :

         « – Je vais te le dire dans un instant. Mahudin dit que le colonialisme britannique possède deux gros atouts. Le premier, c’est la comparaison avec la domination japonaise. Dans toute la Malaisie, on entend encore les gens déclarer : « Mais les Japonais étaient bien pire…

         Secundo, d’après ce que dit Mahudin, nous avons acquis une souplesse infinie. Il n’y a pas de limites aux déguisements, aux manteaux de vertu et de principe dont nous habillons les expédients qui nous servent à gouverner…

       Vous sapez notre confiance en nous-mêmes jusqu’à ce que nous n’existions que pour solliciter votre approbation. Pour vous « c’est injuste » équivaut à « ce n’est pas britannique » Vous nous gardez dans un perpétuel déséquilibre, péniblement conscients de notre infériorité, et voilà tout le secret de votre habileté et de votre pouvoir ?… (p343)

          Voilà ce que Mahudin appelle notre «  contrôle des pensées »…une hypnose d’infériorité provoquée, qui détruit confiance et initiative, et prolonge la période de tutelle que nous voudrions voir durer à jamais…

         Et je crois qu’en disant cela il a également mis le doigt sur sa propre faiblesse, car il a reçu une formation britannique dans nos écoles anglaises, et il ne peut nous échapper. Ainsi donc nous hait-il et nous aime-t-il tout à la fois » (p,344)

         Une admirable illustration d’une des formes de la domination de l’Empire britannique, vous ne trouvez pas ?

       La guerre coloniale anglaise était évidemment ambiguë, comme le soulignent les termes d’une conversation entre le général anglais et Quo Boon, le millionnaire chinois :

         « Nous faisons la guerre, une guerre à mort contre un ennemi dangereux, une bête menaçante qui rôde dans la jungle… et il nous faut toute la collaboration possible des gens de ce pays que nous protégeons contre cette bande de lâches assassins. Cette coopération, nous ne l’obtenons pas. Je sais ce que vous allez me répliquer… des arguments que j’ai déjà entendus : seul un peuple libre peut combattre le communisme…. Tant que  cette lutte anticommuniste est menée par un gouvernement colonial, c’est notre lutte, pas la vôtre. Voici pourquoi tant d’entre vous se prélassent en nous laissant tout le boulot. Vous êtes assis sur le mur. » (p, 368,369))

        C’était effectivement tout le problème, mais dans un contexte historique et politique très différent, la France rencontra le même type de difficulté, obtenir le soutien de la population, tel qu’elle put s’appuyer sur ce que certains appelaient une « troisième force », celle dont rêvait entre autres le général Challe, mais pour tout un ensemble de raisons, les jeux étaient déjà quasiment faits au moment de cette guerre.

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« Le sacrilège malais »
Pierre Boulle

            Comme annoncé en début de lecture du roman « … Et la pluie pour ma soif… », il parait intéressant de relier son contenu à celui de Pierre Boulle, dont le roman décrit ce à quoi ressemblait la Malaisie anglaise avant la deuxième guerre mondiale.

          L’intrigue de ce livre mettait en scène la vie d’un jeune ingénieur français, Maille, aux prises avec l’univers parfaitement organisé des plantations d’hévéas de Malaisie, une des richesses de la colonie, avec l’étain, que la puissance coloniale tenta de préserver après le désastre qu’y fut l’occupation japonaise.

       Une plantation d’hévéa était organisée et fonctionnait à la manière d’une industrie textile ou mécanique.

       Le lecteur pourra y faire connaissance avec le monde colonial anglais de Malaisie, les soubresauts de la conquête de la Malaisie par l’armée japonaise, le traumatisme national que fut la reddition de Singapour, fleuron de l’impérialisme anglais sur la route des Indes.

         A la défaite du Japon, les grandes sociétés capitalistes de l’archipel engagèrent la reconstruction des plantations comme si de rien n’était.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Guerre d’Algérie: quelques réflexions » Volet 2 Guerre de Malaisie et guerre d’Algérieaisie

« Guerre d’Algérie : quelques réflexions »

Volet 2

Guerre anglaise de Malaisie (1948-1960) et guerre française d’Algérie (1954-1962)

Les guerres de décolonisation anglaise ou française en Asie et en Afrique du Nord, années 1950

Esquisse de comparaison entre la guerre d’Algérie et la guerre de Malaisie, à partir du roman d’Han Suyin « … et la pluie pour ma soif » Malaisie, 1952-1953 (Stock 1956)

Les situations coloniales

Prologue

            J’avais lu avec beaucoup d’intérêt le roman mondialement connu de « Multiple splendeur », et je découvrais tardivement le roman cité plus haut, un roman dont le contenu était fort intéressant, non seulement par sa belle écriture, très souvent poétique, son intrigue humaine, celle d’une femme médecin, eurasienne, plongée dans une situation de décolonisation et de guerre coloniale, mais aussi par la description historique de cette guerre, dans sa situation de transition encore coloniale, avec ses acteurs, entre anglais « au poil roux », chinois et malais, entre les saigneurs des hévéas des grandes plantations de caoutchouc, les rebelles de la jungle, les membres de l’armée ou de la police, avec maintes évocations des méthodes de grande violence pratiquées par les deux adversaires principaux, les anglais et ceux de « L’intérieur », d’obédience communiste.

            Comme l’indique l’auteure, qui fut médecin en Malaisie dans les années 1952-1953, il ne s’agit que d’un roman, mais dont le contenu suffit largement à nous documenter sur le type de guerre de décolonisation alors pratiquée en Malaisie, sur le terrain, comparée à celle que j’ai connue et pratiquée en Algérie dans les années 1959-1960.

            Je me suis attelé à ce nouveau chantier de lecture critique parce que je continue à me poser la question suivante : est-ce que dans la Grande Bretagne d’aujourd’hui, les Anglais, ou certains milieux anglais, politiques, idéologues, historiens, gens des médias, sont continuellement en train, comme en France, de dénoncer les violences coloniales qui ont effectivement existé, de faire une pénitence historique, alors que la France n’a pas obligatoirement à souffrir d’une comparaison négative ou positive entre son passé colonial et celui du Royaume Uni, pas plus qu’entre la façon dont elle a mené ses guerres de décolonisation, compte tenu des situations coloniales respectives qu’elles avaient en face d’elles.

            Tel pourrait être effectivement le cas offert par le roman de Han Suyin.

            Ce débat a d’autant plus d’importance que dans notre pays, un courant d’histoire idéologique distille en permanence, auprès notamment des jeunes de certaines de nos banlieues, un discours permanent d’autoflagellation, pour ne pas dire de vengeance historique à accomplir, comme c’est notamment encore le cas pour l’Algérie.

            Pourquoi ne pas souligner aussi que le contenu historique d’un tel roman, écrit à hauteur d’homme et de femme, vaut sans doute largement des analyses ou des synthèses historiques trop souvent abstraites, qui se situent de préférence dans une histoire d’en haut, celles des élites ou des villes?

            Enfin, et avant de commencer, un mot sur la thèse qu’a défendue le capitaine Galula, après la guerre d’Algérie, et sur l’analyse critique que j’ai publiée sur ce blog à propos de ce qu’il a baptisé du nom de « guerre contre-insurrectionnelle ».

            Je rappelle que j’ai émis des doutes sur l’originalité et la paternité de cette thèse stratégique, compte tenu de ma propre expérience militaire, de ma culture stratégique personnelle, et des sources qui ont pu être celles de cet officier.

            Rappelons simplement que le capitaine Galula a été en poste diplomatique à Pékin au moment de la prise de pouvoir de Mao Tse Tung, de 1945 à 1949,  et qu’il fut aux premières loges des observateurs de la guerre de Malaisie et d’Indochine entre 1951 et 1956, alors qu’il était attaché militaire au consulat de Hong Kong.

            Il n’a d’ailleurs pas pris part à la guerre d’Indochine.

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            En fin de lecture, il m’a paru intéressant de la relier au contenu d’une livre que Pierre Boulle a écrit sur la Malaisie d’avant le soulèvement, celles des années 1937-1939, avec la description de ce qu’était une colonie britannique riche, celle des plantations d’hévéas et des mines d’étain, avant l’invasion japonaise et la prise de Singapour.

           Il s’agit du livre « Le sortilège malais » (1955). Les lecteurs connaissent bien l’autre livre du même auteur « Le pont de la rivière Kwaï ». dont le sujet ainsi que le film qui l’a immortalisé, a fait le tour du monde.

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L’analyse

            Au cours de l’année 2014, mes chroniques sur les « situations coloniales » ont été lues ou consultées par plus de 2 000 lecteurs ou lectrices. Je leur propose à nouveau le même canevas de lecture en trois parties : le théâtre colonial, ici dans le contexte de la guerre de Malaisie, les acteurs de cette lutte, leur scénario respectif de guerre.

Les théâtres de guerre  coloniale de Malaisie (1948-1960) et d’Algérie (1954-1962)

Luminosité et plein soleil méditerranéen avec Les Noces d’Albert Camus ou  chaleur tropicale et glauque de la jungle malaisienne avec «… et la pluie pour ma soif » de Han Suyi

            Comparé au théâtre de la guerre d’Algérie, celui de la Malaisie était assez différent, encore plus différent que celui de l’Indochine, où la France était en guerre contre le Vietminh, parce que l’Indochine avait une frontière commune avec la nouvelle Chine communiste, ce qui n’était pas le cas de la Malaisie.

            Géographiquement, l’Algérie était composée de trois départements français situés en zone méditerranéenne, avec pour frontières terrestres, les deux protectorats français de Tunisie et du Maroc, alors que la Malaisie se trouvait en zone tropicale, une zone occupée par une jungle mitée par de grandes plantations de caoutchouc.

            Hors Sahara, l’Algérie avait une superficie de l’ordre de 220 000 kilomètres carrés (2,4 millions avec le Sahara), et la Malaisie, de près de 330 000 kilomètres carrés, et respectivement, une population de l’ordre de 9 millions d’habitants, contre 6 millions d’habitants.

            Différence capitale entre les deux situations, l’Algérie comptait une minorité d’un million d’européens contre huit millions d’Algériens musulmans, alors que la Malaisie comptait une petite minorité d’anglais, les six millions de ses habitants étant partagés entre deux types de communautés, les Chinois et les Malais, un partage ethnique et religieux qui faisait problème, mais plus encore en termes de puissance financière, économique et urbaine.

         Rien à voir donc et non plus dans leur composition démographique, car la Malaisie était composée alors de Malais pour moitié et de Chinois pour l’autre moitié, les Chinois concentrés à Singapour, et dans quelques villes de l’intérieur, et les Malais dans  la jungle tropicale de la Malaisie.

            En termes de domination impériale ou coloniale, la Malaisie affichait la superposition d’une domination anglaise et d’une domination chinoise, avec le rôle capital de l’île de Singapour, dont beaucoup connaissent encore le rôle majeur que ce port a joué sur la ligne stratégique maritime de l’Empire Britannique vers Hong Kong, un port qui a attendu la fin du siècle pour être restitué aux autorités chinoises.

            Quo Boon, le banquier, le roi du caoutchouc, un des grands millionnaires chinois déclarait : « Otez les Chinois de Malaisie, et il n’y aura plus de Malaisie. » (p,317)

            La situation des deux territoires était très différente sur le plan politique.

            Après la deuxième guerre mondiale, l’Algérie, composée de trois départements français, plus une circonscription administrative du Sahara, était dotée d’institutions plus ou moins représentatives, notamment une Assemblée Algérienne, mais la France n’avait pas réussi à mettre sur un pied d’égalité politique ses habitants, pour tout un ensemble de raisons, dont l’existence de statuts personnels étroitement liés à la religion musulmane.

            Dirais-je que les petits soldats du contingent qui débarquèrent dans le bled pendant la guerre d’Algérie avaient pu constater que l’Algérie n’était pas la France, en tout cas pas encore !

            L’Algérie comptait des députés et conseillers de la République dans nos assemblées parlementaires.

            Une situation politique et administrative qui n’avait rien à voir avec celle de la Malaisie, établie en Fédération à partir de 1948 :

         « Singapour, était une colonie de la Couronne, la Malaisie c’étaient neuf sultanats  groupés en une fédération, neuf sièges médiévaux étayés par la puissance britannique. » (p,315)

          Rien à voir non plus sur le plan économique, car la Malaisie était riche en caoutchouc et en étain, et ces ressources comptaient dans l’empire britannique, sans comparaison avec celles de l’Algérie, où il fallut attendre la fin de la guerre d’Algérie pour que le pétrole du Sahara profite non pas à la métropole, mais à l’Algérie indépendante :

     «  Car le caoutchouc, de même que l’étain, c’était sacré. » (p193)

        Propos de Quo Boon :

      «  Tant qu’on aura besoin de caoutchouc, les Britanniques ne nous lâcheront pas . » (p,357)

         Les séquelles historiques de la deuxième guerre mondiale

        Singapour avait connu les horreurs de l’occupation japonaise, de la reddition des troupes britanniques, et les Japonais avaient dû lutter contre une insurrection de type à la fois communiste et nationaliste, dans une Asie au sein de laquelle le communisme de Mao Tsé Tung marquait des points décisifs.

        Il est évident qu’après la défaite du Japon, rien ne pouvait plus être comme avant, et la Grande Bretagne engagea un processus de décolonisation difficile, compte tenu du poids des anciens résistants communistes, et de leurs revendications, et faute de vouloir ou de pouvoir leur ouvrir les portes du pouvoir, ce furent ces anciens résistants communistes qui alimentèrent la nouvelle insurrection malaise.

          Le discours britannique était donc celui d’une lutte contre le communisme, avec la projection d’une stratégie de guerre contre-insurrectionnelle sur le terrain, une stratégie sophistiquée, incontestablement inspirée du type de guerre communiste que menait Mao Tse Tung en Chine, avec en mirage, le règne politique et social du prolétariat opéré grâce à un quadrillage idéologique, et quasi-physique du peuple.

         Ajoutons que la situation de la Malaisie britannique, et de ses  élites locales, était celle d’un pays assez corrompu : « A Singapour, où l’argent seul vous nantit d’un rang. » (p,307,308)

       A la même époque, le théâtre de la guerre d’Algérie était très différent.

        L’Algérie avait contribué à la Libération du territoire national, en mobilisant beaucoup de ses enfants, pieds noirs ou musulmans.

       La France avait incontestablement une dette à acquitter, alors qu’elle avait beaucoup trop tardé à y engager un vrai processus de décolonisation, mais il ne s’agissait pas pour elle de lutter contre un adversaire communiste, mais contre un adversaire, une partie des musulmans,  qui revendiquait la fin de leur traitement inégal.

        En 1945, la révolte très meurtrière de Sétif, avait constitué un signal annonciateur de toutes les difficultés à venir dans le processus de décolonisation de l’Algérie, avec le rôle et le poids d’une importante minorité européenne.

      Il est évident que le type de stratégie contre-insurrectionnelle mise en œuvre par les Britanniques en Malaisie n’était pas adapté au théâtre algérien, même si certains de ses « outils » pouvaient l’être, une perspective idéologique et politique combinée avec une lutte implacable contre un adversaire dont la seule ambition paraissait être celle de l’indépendance, une ambition qui trouva d’ailleurs vite ses limites après l’indépendance.

       La guerre que nous avons menée contre les nationalistes, et contre le FLN, qui avait éliminé tous ses alliés, dont le MNA, n’était pas, et ne pouvait être celle d’une guerre contre une insurrection communiste, et il s’agit là d’une des critiques de base qu’il est possible de faire contre les théories vaseuses qui animaient celles d’un Sauge, intellectuel promu comme le héraut de la lutte internationale contre le communisme, alors qu’effectivement, et depuis 1947, le monde était divisé en deux camps, entre le camp soviétique, marxiste- léniniste et le camp américain, libéral et capitaliste.

       J’ai raconté ailleurs que les conférences qui nous furent assénées à Saint Maixent par l’intéressé nous avaient paru se situer en dehors de la plaque, du contexte algérien auquel nous avions à faire face.

        Malheureusement, cette dérive d’analyse stratégique imprégna une partie de notre commandement militaire, obsédé par la guerre froide, et n’aida pas la France à trouver une solution politique réalisable.

       La Fédération de Malaisie acquit son indépendance en 1957, et l’Algérie en 1962, mais la guerre contre-insurrectionnelle dura jusqu’en 1960.

      En 1965, Singapour se détacha du système malais : une nouvelle Ville – Etat émergea et sanctionna donc l’échec d’une fédération groupant la communauté chinoise et les communautés malaises.

      Pendant ces périodes de guerre, la France mobilisa de l’ordre de 500 000 soldats, et l’Angleterre, de l’ordre de 150 000 combattants (p,82- Source journal du communiste terroriste (C.T.) Chan Ah Pak)). L’auteure cite par ailleurs le chiffre de « cent cinquante mille de ces miliciens, qui, armés de fusils, patrouillaient les forêts de caoutchouc. » (p, 222)

Les acteurs des deux guerres

       La lecture d’un livre comme celui d’Han Suyin, témoin de cette guerre de Malaisie, constitue une source historique inégalable, parce qu’elle nous décrit concrètement les acteurs de ces combats entre l’armée britannique composée de beaucoup de combattants Gurkhas venus de l’Empire des Indes,  entre les « poils roux » anglais, et leurs adversaires communistes de la jungle, ceux de l’Intérieur, dans un contexte de rapports ambigus entre blancs et asiates, de souche malaise ou chinoise, leurs portraits et leurs d’états d’âme.

        L’auteure nous fait vivre de l’intérieur la lutte militaire, idéologique, et politique entre les deux camps qui se faisaient la guerre, alors que le gouvernement anglais avait déclaré « l’Etat d’alerte », et que dans les années 1951-1952, elle exerçait ses fonctions soit à l’hôpital, soit dans des dispensaires, soit  dans les infirmeries des camps d’internement ou des prisons.

         « L’Etat d’urgence » mis en application pendant la guerre d’Algérie au mois de mars 1955, étendu à la métropole par le général de Gaulle en 1958 ressemblait étrangement à cet « Etat d’alerte » que la Grande Bretagne avait décrété en Malaisie.

        « Chinois, Malais, Indiens, trois mots, trois généralisations dont on a projeté de former une nouvelle nation, de créer un pays nommé « Malaisie », un seul peuple qu’on appellera peuple de Malaisie, toujours confondu à l’étranger avec les Malais, l’une des trois races qui composent la Malaisie….Déambulant dans les couloirs ténébreux de l’hôpital, j’écoutais parler les pauvres – Malais, Indiens, Chinois –  et je me demandais si de cette Babel, ici rassemblée, il sortirait une nation homogène. » (p,46,47)

        Les acteurs anglais tout d’abord, et l’auteure était bien placée pour ce faire, étant donné les relations quotidiennes qu’elle avait avec les officiers ou les policiers d’une organisation anglaise très sophistiquée de lutte contre-révolutionnaire. Elle avait entre autres nouée une relation amoureuse avec un officier anglais.

       Il s’agissait, soit d’officiers ou de policiers de la vieille école qui avaient connu la Singapour coloniale, puis la Palestine ou l’Inde, soit de ceux plus jeunes qui comprenaient mieux la situation actuelle.

      Luke Davis était l’un d’entre eux, et le lecteur a la possibilité de suivre son parcours, ses réflexions et ses états d’âme (p,206) sur la guerre dont il était un des acteurs, responsable d’une section de renseignement.

       « Le malaise de Luke croissait. Même débordé de travail, traquant des hommes et des femmes pour leur crédo politique, il s’interrogeait maintes fois sur ce qu’il faisait. Tout en se répétant que son devoir était d’abattre le terrorisme, il lui arrivait de se demander pourquoi les moyens employés le bouleversaient tant.

       Ainsi le doute habitait-il en lui, comme dans la jungle l’odeur et la matière de la putréfaction concourent à la naissance d’une vie végétale neuve. Il avait l’impuissante conviction de n’être pas convaincu en dépit de toute raison. Et il souffrait d’un point de vue où tout ce qui était des plus justes et convenables lui apparaissait sous un jour grotesque et trivial. » (p,206,207)

       Autre portrait d’officier, celui de Tommy Uxbridge, chargé d’un camp de réinstallation.

       « Le fil de fer barbelé fait corps avec le pays…Je roulai jusqu’à Todak, un dimanche, par une matinée étouffante, pour tomber au milieu d’un couvre-feu rigoureux. La police et l’armée perquisitionnaient de maison en maison, les autos blindées, chargées d’hommes et de fusils braqués vers l’extérieur, patrouillaient les pistes boueuses, entre les rangées de huttes … »(146)

     L’officier britannique, l’OZ, de la zone de réinstallation a été descendu.

      A Kuala- Lumpur, le général anglais déclarait à Quo Boon, le millionnaire chinois déjà cité : «  Nous faisons la guerre, une guerre à mort contre un ennemi dangereux… » (p,368)

       Avec l’Etat d’alerte, les Anglais avaient mis en place un dispositif de lutte militaire, policière, et idéologique, impressionnant, comparable à celui du communisme chinois, et son incarnation contre cette insurrection malaise.

       La vie mondaine continuait à Singapour comme si de rien n’était, comme si la jungle, l’Ennemi de l’intérieur, les gens de l’Intérieur, n’existaient pas, et l’auteur fait une belle description d’une grande réception, celle du millionnaire chinois Quo Boon :  une centaine d’invités, ses épouses et filles, des Anglaises, femmes ou fiancées de policiers, des Chinoises, des officiers de police britanniques en tenue de mess, des fonctionnaires du gouvernement en veston, les towkays chinois appartenant aux diverses compagnies, aux guildes, associations et clans fondés par Quo Boon, qui tous avaient quelque rapport avec la police…

       « Et au milieu de la foule, tel un vaisseau solitaire voguant avec décision sur les flots incertains et sinueux de l’océan…l’un des hommes dont la vie, consacrée à fabriquer de la richesse, avait créé la Malaisie…Il faut que nous apprenions à ramper avant déclara Sir Moksa… le gentleman malais sirotait son jus d’orange… en lui se manifestait un phénomène colonial, au contact des dirigeants étrangers émergent des types d’hommes qui, par leur fidèle mimétisme, sont d’incontestables caricatures de leurs maîtres. » (p,94,95)

        « Mais la jungle était présente au fond de l’esprit de tous ces hommes réunis. » (p,103)

        « …entre deux terreurs : celle de la police et celle des Gens de l’Intérieur » (p,57)

         Toutes les pages que l’auteure consacre à décrire la vie des Malais et des Malaises dans les camps de réinstallation, d’internement, mais principalement dans les infirmeries, lieux de toutes les ambiguïtés, les événements qui s’y déroulaient, entre la terreur des « poils roux », et la terreur des gens de l’Intérieur, met en évidence les très grandes difficultés que rencontraient les pauvres pour continuer à vivre entre le soutien spontané ou imposé à la rébellion  communiste, et un maintien de l’ordre rigoureux, sans concession.

            Y sont décrites les multiples destinées de ravitailleurs, de policiers, de miliciens, de rebelles capturés pendus ou retournés, ou d’habitants, hommes ou femmes en cours de rééducation idéologique… des descriptions qui démontrent que personne ne savait véritablement qui était qui ou quoi, entre le camp de l’ancien ou toujours actuel soutien à la rébellion et ceux qui étaient chargés de réprimer la rébellion, et d’arriver à faire le tri entre les détenus, tentant à la fois de les identifier, de pouvoir les condamner, éventuellement à mort, et de les rallier.

        On y fait la connaissance d’une des héroïnes du roman : « Ah Meï est l’Ennemi capturé N° 234, camarade communiste prise dans un combat de jungle. » (p, 25)

         « C’était principalement parce qu’Ah Meï n’était pas une PER. Elle était un oiseau plus rare, une PEC (partisan ennemi capturé), et elle était en vie. Les PEC, on les pendait, on les condamnait à une détention perpétuelle ou très longue. Ah Maï faisait exception. Son crime, punissable de mort, avait été commué en dix ans d’emprisonnement rigoureux, mais on l’avait détachée pour l’installer parmi les PER. » (p,131)

        Le roman déroule le parcours tourmenté de cette jeune femme entre les deux camps, sans que l’on sache vraiment auquel camp elle appartient, sauf à noter que pour la beauté de l’intrigue, l’héroïne a vécu dans la jungle une histoire d’amour, comme par hasard avec Sen, un des fils du richissime chinois Quo Boon, parti dans cette jungle.

       « Il y avait Sen, le fils de la jungle. Le fils de Quo Boon, Sen, de façon imprévue, s’était toujours montré impitoyable, violent en silence, catégorique, impétueux dans ses rêves et d’un entêtement intense et sauvage… Il rêvait d’un grand monde neuf, et pour cette cause il avait quitté son foyer, n’admettant nul délai pour sa justice. Sen ne savait pas que même le futur doit avoir un passé… Quo Boon se languissait de lui avec une nostalgie désespérée, mais ne voulait pas en parler. « Et je ne lèverai pas le petit doigt pour lui venir en aide. » « p 354,355)

         Le chapitre IV Ceux de l’Intérieur reproduit  « Le Journal du communiste terroriste (C.T.) Chan Ah Pak. Fiche de recherche N° 0789. Membre du 10ème Corps indépendant de l’Armée de Libération des races de Malaisie. En opération dans les jungles de l’Etat de Johore, Malaisie fédérale

       Une lecture utile qui nous donne la mesure de l’ordre implacable qui régnait dans le camp communiste :

       2 mars – A la réunion d’aujourd’hui, notre commandant nous a informés que notre journal, L’Etoile, nous blâmait de n’avoir pas accompli, l’an passé notre plan de travail. Nous étions en retard de quelques milliers d’arbres, d’après le plan, et notre quota d’exécution des traitres, intendants de domaines, de chiens rampants (1) se trouvait au-dessous du chiffre prescrit…. » (p,71)  – (1) Les Chinois qui « collaborent ».

      « L’Armée antijaponaise du peuple de Malaisie est à présent « l’Armée de Libération des Races de Malaisie » (p,74)

       A lire ce journal, le parti communiste faisait régner la terreur dans son propre camp, en procédant à des exécutions pour déviationnisme, imposait sa collaboration, faisait exécuter les traitres etc…

        Dans une telle ambiance, il ne devait pas être facile de s’y retrouver entre les suspects, les ralliés, ou les partisans de l’un ou l’autre camp.

        Il en fut de même pendant la guerre d’Algérie, mais avec des caractéristiques très différentes d’intensité et de gravité, selon les périodes et les lieux, entre la côte européenne et le  bled, ou le djebel,  et notamment entre douars dont certains furent effectivement pro-français et d’autres anti-français, comme le douar où j’ai servi comme officier de SAS, mais dans une conjoncture de guerre qui avait durci les contours des deux camps.

         Dans tel ou tel village, – qui était qui et pour qui ? -, c’était généralement la même et sempiternelle question, avec le soupçon,  toute l’ambiguïté qui colorait et imprégnait les rapports humains.

         Contrairement à ce que certains historiens idéologues racontent, la guerre d’Algérie se déroulait entre deux adversaires dont la nature était très différente de celles de la Malaisie, un  FLN devenu dominant du côté rebelle, et  de notre côté une armée qui, en dépit de certaines dérives difficilement évitables dans ce type de conflit, ne fut pas une armée coloniale, et dans un cadre d’une administration et d’un gouvernement républicain.

Le lecteur a pu se rendre compte que tel n’était pas le cas en Malaisie.

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Suite du texte, le dimanche 10/04/2016

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Guerre d’Algérie: quelques réflexions » La révolte du général Challe le

« Guerre d’Algérie : quelques réflexions »

EN PROLOGUE IMPREVU

Mémoire, histoire, propagande, et manipulation à propos de la commémoration du 19 mars 1962 ?

Avec un petit prologue d’actualité tout à fait imprévu sur les manipulations politiques et médiatiques dont souffre le pays !

          Le Monde des 21 et 22 mars a publié un article intitulé « La guerre d’Algérie enfièvre le débat politique » page 5, et dans le même numéro, page22,  une tribune signée MM Harbi et Manceron.

            En ce qui concerne le premier texte, une seule citation, celle de Monsieur Stora, une citation tout à fait déchirante : « Les mémoires continuent  de saigner, portées notamment par des associations d’expatriés ».

           Une seule petite question ? Est-ce que notre mémorialiste-historien et militant politique a jamais tenté de mesurer les flux « sanguins «  en question ?

          Quant à la tribune elle-même, il faut tout de même avoir du culot pour signer et publier une tribune intitulée « Cessons de ressasser les mémoires meurtries de la guerre d’Algérie », dans le Monde du 21 mars 2016, sous la signature d’un ancien dirigeant du FLN, Mohammed Harbi et d’un professeur d’histoire géographie, Gilles Manceron, présenté comme historien.

        Ces gens- là osent nous donner une leçon d’histoire ? Et le journal de référence leur ouvre ses colonnes ?

        Avec un titre de nature outrancière « Cessons de ressasser les mémoires meurtries » ? Mais messieurs, ne s’agirait-il que de mémoires « meurtries », ou du souvenir des blessés et des morts ?

     Cessez messieurs, de vous prendre pour les nouveaux « hérauts » d’une histoire qui a beaucoup trop tendance à confondre mémoire frelatée et histoire !

        Ci-après le texte du message que j’ai adressé le 20 mars au Courrier des lecteurs de ce journal :

         « Bonjour, pour avoir fait la guerre d’Algérie, comme officier SAS (contingent) en Petite Kabylie, je puis vous dire que ce n’est pas ma mémoire qui « saigne », mais mon intelligence, pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un bon lobby politique et éditorial très souvent, trop souvent animé par Stora, lequel n’a jamais eu le courage de faire vérifier par une enquête sérieuse ce qu’il racontait soi-disant sur la « guerre des mémoires » dont il est un des animateurs patentés. Qu’il demande à son ami Hollande de la faire faire !

         Vous avez fait effectuer une enquête  sur le sujet avec la Fondation Jean Jaurès, avec l’IFOP, mais cette enquête manquait sérieusement de pertinence statistique.

       Ayez la courage de faire effectuer une enquête sérieuse sur les soi–disant mémoires « coloniale » ou « algérienne », cette dernière que Stora a tendance a confondre avec la « coloniale », et nous verrons ce qu’il en est !

        Quant à vos deux donneurs de leçon, Harbi et Manceron, comment donner du crédit à un ancien FLN qui n’a jamais fait cette guerre, et que le FLN indépendant a vite mis à l’écart, pour ne pas dire plus, ou à un enseignant qui fait autant de politique que d’histoire ?

          Cessons de donner la parole aux propagandistes de la mémoire, et comment ne pas être surpris de lire l’expression « mémoires meurtries », alors qu’il s’est agi de morts ?

          Pour terminer, je puis vous dire que les mémoires qui sont agitées par tel ou tel lobby devraient enfin céder la place à l’histoire, mais à une histoire indépendante de tel ou tel vécu, ou de telle  ou telle allégeance politique affichée. Cordialement. »

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Guerre d’Algérie : quelques réflexions

            Nous nous proposons de publier successivement :

  • I –  une analyse du livre du général Maurice Challe, intitulé « Notre révolte » (1968) sur la guerre d’Algérie (1954-1962)
  • II – un essai de corrélation historique pertinente avec la guerre contre-insurrectionnelle anglaise de Malaisie (1948-1960) à partir du roman d’Han Suy «…  Et la pluie pour ma soif… » (1956)
  • III – un essai de corrélation historique, à mon avis non pertinente de l’historien australien Lionel Babicz, entre les situations coloniale et postcoloniale de la Corée et de l’Algérie (1830-1905-2006)

Premier volet

La Guerre d’Algérie du général Challe

« Notre révolte »

La révolte du général Challe ? Comment l’expliquer ? La ou les questions ?
Le mouvement du 22 avril 1961

        Un premier commentaire d’un ancien officier de SAS en poste en Petite Kabylie dans les années 1959-1960 : la stratégie militaire du général Challe était incontestablement la bonne, et c’était celle que, tous, nous espérions voir mise en œuvre sur le terrain.

       Quant à la stratégie politique de Challe, les plus lucides d’entre nous n’y croyaient pas, sauf si la France avait joué la carte des chefs des willayas, et de leur prise de pouvoir, ce qui n’a pas été le cas.

            Dans une brocante de l’été, je suis tombé cette année, en 2015, tout à fait par hasard, sur un livre du général Challe intitulé « Notre révolte » publié en 1958, dont je ne connaissais pas l’existence.

        Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que je lisais quelques témoignages sur cette guerre, car j’ai toujours manifesté la plus grande méfiance à l’égard de tout ce qui touchait à la mémoire, souvent manipulée, de ce conflit, en me posant toujours la question de base, mémoire ou histoire ?

        C’est la raison principale pour laquelle j’éprouve la plus grande méfiance sur ce qu’écrit ou raconte un historien bien en cour sur cette période, né en Algérie, lequel a découvert, parait-il, Albert Camus, la quarantaine passée, si j’ai bien entendu ce qu’il disait à l’occasion d’une émission de télévision.

          Méfiance en raison du mélange des genres que cet intellectuel pratique entre la mémoire et l’histoire, et de la confusion qu’il propose souvent entre ce qui touche à l’Algérie et ce qui touche aux autres domaines coloniaux.

          J’ai moi-même publié un petit livre sur cette guerre, sur mon expérience militaire d’officier SAS dans la vallée de la Soummam, en me posant un certain nombre de questions de base sur le sens de cette guerre.

      J’y faisais le constat suivant :

      «  Je serais d’ailleurs tenté de penser que l’échec de la France en Algérie a de multiples  causes, mais que les généraux y ont une grande part de responsabilité parce que leur analyse stratégique n’était pas la bonne, leur obsession du communisme international non fondée.

         Ils ont poursuivi un rêve impossible qu’il n’était déjà plus possible de réaliser, mais peut-être est-ce à mettre à leur crédit » (page 25)

         Les observateurs les plus lucides savaient qu’après 1945, le destin de l’Algérie était plié, compte tenu de l’incapacité de la Quatrième République à réformer le statut de ce territoire.

         50 ans plus tard, je n’en changerais pas un mot, car la plupart des officiers français, en tout cas ceux que j’ai rencontrés, n’avaient pas la culture d’une armée coloniale, celle que des chercheurs idéologues à la mode nous dépeignent volontiers, pour ne pas parler des histoires officielles en vogue de l’autre côté de la Méditerranée, mais estimaient qu’ils avaient été trompés, que le général de Gaulle les avait trompés.

        La lecture du livre de Challe me donnait donc l’occasion de comprendre ce qui avait réellement poussé Challe à la révolte.

        Ma curiosité était d’autant plus grande qu’après avoir participé à cette guerre, j’ai consacré un peu de temps à l’étude des théories de la stratégie, directe telle celle de Clausewitz, ou indirecte, celle de Sun Tzu et de Liddell Hart, et que j’ai continué à m’interroger sur les buts de cette guerre d’Algérie : quels étaient les buts que poursuivaient de Gaulle ou son entourage immédiat ? Quels avaient été les buts des généraux, tels ceux de Challe, qui fut un excellent chef de guerre sur le terrain.

       Nous y reviendrons en conclusion en écho aux théories de Clausewitz et de Sun Tsu.

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         Au cours des dernières années, je suis revenu sur le sujet en lisant un livre sur le capitaine Galula, qui, après avoir servi dans plusieurs postes en Algérie, notamment dans une SAS de la Grande Kabylie, se disait l’inventeur d’un nouveau type de guerre, celle de la guerre de contre-insurrection.

         J’ai publié une analyse critique de cette thèse politico-militaire sur ce blog (21/09/2012 et 05/10/2012), et relevé que la stratégie décrite n’était ni novatrice, ni pertinente, et qu’elle souffrait d’une indigence des buts de guerre, notamment dans l’hypothèse d’une troisième force qui n’existait pas, ou plus.

        Le roman de Han Suyin intitulé « … et la pluie pour ma soif » nous en apprend plus sur la guerre contre-insurrectionnelle que menèrent les Anglais en Malaisie, en 1952-1953, que les écrits du capitaine Galula, d’ailleurs en Asie à la même époque.

        Je me propose d’ailleurs de tirer de ce roman fort intéressant ma propre lecture de la guerre contre-insurrectionnelle que les Anglais ont menée dans cette colonie riche en étain et en caoutchouc, à quelques encablures de Hong Kong où le capitaine Galula était attaché militaire au Consulat français.

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             Avant que le Plan Challe ne déferle sur mon secteur militaire situé dans la vallée de la Soummam, en lisière de la forêt d’Akfadou et du massif du Djurdjura, mes camarades et moi pensions que la seule solution militaire capable de nous redonner les clés d’une solution politique était ce que nous appelions et attendions, le rouleau compresseur du plan Challe, qui avait parfaitement compris comment la France pouvait réduire militairement la rébellion conduite par le FLN.

         C’est ce qui fut fait et que j’ai vu de mes propres yeux, et auquel j’ai participé comme acteur modeste de terrain.

       Au cours de la nuit du 22 juillet 1959, l’armée française reprenait possession du terrain que les rebelles occupaient dans cette région montagneuse qui leur était particulièrement favorable.

      Tous phares allumés, d’importants convois militaires gravissaient les routes et pistes qui les conduisirent successivement vers le sommet et le nouveau PC dénommé 1621.

         Au printemps de l’année 1960, la pacification était en bonne voie, et l’armée avait réussi à réaliser ce que j’ai appelé dans mon livre « Le vide presque parfait », pour reprendre une expression de Lao Tseu.

         Dans cette zone d’insécurité militaire maximum, il m’était possible pour la première fois de fréquenter, à pied, tous les villages du douar des Beni Oughlis avec un seul garde du corps, un rebelle rallié qui était un type formidable.

         A lire le témoignage du général Challe, et pour l’officier que j’étais alors, il est évident qu’il fallait de l’honnêteté, mais aussi une certaine innocence politique, pour entrer dans le double jeu politique de Delouvrier et de Debré.

       « Mon plan était donc le suivant : continuer à mener à bien les grandes opérations et en particulier la guerre des djebels car il ne fallait pas laisser au FLN de territoire à lui où il pourrait mener son instruction, avoir d’importants dépôts, se reconstituer après les coups durs, enfin, être souverain politique de morceaux géographiques.

       Mais contrairement à ce que l’opinion publique croyait, à ce que le gouvernement faisait semblant de croire, ce n’était pas l’essentiel. Mes cadres et moi aurions été de piètres chefs de guerre si nous n’avions pas compris depuis longtemps qu’une guerre de subversion est d’abord une guerre politique, et que la possession du terrain, si, elle est importante, n’est pas essentielle… On entend alors les âneries alors bien connues : « L’armée ne doit pas faire de politique ; » « Ne nous rabattez pas les oreilles avec les slogans de Mao Tsé Toung » » « Faites la guerre et ne vous occupez pas du reste », etc.

     Comme si l’Armée choisissait la guerre qu’on lui fait !

      Bien sûr quand on exprime fortement sa pensée, personne ne contredit en face. Quand on sort, comme je l’ai fait en décembre 1959, un règlement sur la pacification qui codifie autant que faire se peut, les attaques et les parades  de la guerre subversive, personne, pas même le gouvernement, ne vous demande de retirer le règlement ou ne le désapprouve…

      Mon plan était donc de faire front d’abord et d’attaquer ensuite tous les domaines de la guerre subversive…

         Il s’agissait :

     1) de continuer le nettoyage des djebels…

     2) de tenir le contact avec la totalité des populations algériennes par l’extension à l’ensemble du territoire de ce que l’on a appelé le quadrillage ….

    3) Enfin de faire prendre la guerre à son compte par la population musulmane…

         Il importait que les communautés qu’étaient les douars et les villages considèrent cette guerre comme leur guerre…

       Il s’agissait de développer au maximum et partout ces autodéfenses et d’en faire non pas des auxiliaires statiques mais les éléments constructifs d’une force politique coordonnée et majeure – Ceci fut entrepris au début du dernier trimestre de 1959 lorsque le succès progressif mais déjà net de l’opération « Jumelles » sur les Kabylie fit comprendre à tous, partisans, adversaires et neutres, que l’armée française était en train de gagner irréversiblement la partie la plus traditionnelle militaire de cette guerre…

   Je créai ainsi la Fédération des unités territoriales et des autodéfenses.

     Et j’ordonnai la mise sur pied d’une école des autodéfenses par secteur où seraient formés  les responsables des autodéfenses à leurs missions politique et militaire…

      La Fédération des unités territoriales et des autodéfenses devait être le grand parti européo-musulman, ossature de l’Algérie française nouvelle dans l’union des communautés…

      Leur rassemblement avec les autodéfenses musulmanes dans une grande fédération devait donner un sens politique au combat commun.

      Avais-je le droit comme commandant en chef de faire cela ?

     Je pense que j’en avais non seulement le droit mais même le devoir à partir du moment où j’estimais que c’était le seul moyen, et qui plus est moyen honorable, de gagner cette guerre, guerre qui encore une fois nous était imposée.

      Car si l’on peut admettre qu’un gouvernement et un chef d’Etat aient des secrets pour les subordonnées, fussent-ils commandant en chef sur un théâtre d’opérations, il est impensable qu’un chef d’Etat et un gouvernement puissent tromper systématiquement ce commandant en chef sur les buts de guerre alors que ces buts de guerre conditionnent étroitement la conduite des opérations. »  (p,146,147,148, 149)

      Dans mon cas, en m’ordonnant de lutter pour l’Algérie française, le gouvernement ne me trompait pas et je devais exécuter par tous les moyens normaux et légaux appropriés, ou bien, il me trompait, et alors tout cela devenait une histoire de fous. Or, avant de prononcer son discours du 16 septembre sur l’autodétermination, de Gaulle était venu tâter le pouls de l’armée en Algérie. Je l’avais accompagné pendant plusieurs jours. Il m’avait complimenté sur la manière dont je menais la guerre. Nous avions discuté en tête à tête au P.C. Artois d’où je menais l’opération « Jumelles », et, à maintes reprises au cours du voyage. Il m’avait à quelques mots près récité son discours à venir et nous avions parlé des trois options. Comme je lui demandais de se prononcer pour la seule option française, il m’avait répondu ne pouvoir, en particulier devant l’opinion internationale, proposer un choix d’options et sans plus attendre fixer son choix sur une des options. C’était logique et je faisais donc la seule demande à faire à mon échelon : « Mais moi que vais-je dire à l’armée ? Je ne peux demander aux officiers et soldats de se faire tuer pour la sécession que d’ailleurs vous condamnez. Je ne peux guère leur parler d’association car ils savent aussi bien que moi qu’en période de crise aigüe  on ne peut prôner un relâchement des liens sans courir à la catastrophe. Alors puis-je dire que l’armée se bat pour la francisation ou au minimum pour l’Algérie française ?

      De Gaulle noya sa réponse dans un flot d’explications, procédé habituel, et je reposais mes questions à plusieurs reprises en demandant instamment des directives. Jusqu’à la fin d’octobre 1959, lorsque Delouvrier revint de Paris me dit : » Vous pouvez dire que l’armée se bat pour que l’Algérie reste française. C’est Michel Debré qui m’a prié de vous dire cela et il confirmera par écrit. » Et le délégué général lors d’une tournée qu’il fît dans le bled peu après développa ce thème.

      Lorsque mon instruction sur la pacification parut le 10 décembre 1959, elle se référait à cette thèse et j’employai le terme « Algérie française » plusieurs fois.

    J’en envoyai plusieurs exemplaires au chef d’état-major général, le général Ely, au ministre des Armées Guillaumat, au Premier ministre, au général de Gaulle.

    Jamais personne ne me dit que j’avais commis là une faute ou une erreur ou que je m’étais rendu coupable de déviationnisme comme disent les communistes dès qu’on ne récite plus mot à mot la catéchisme provisoire du dictateur en place. Et cette instruction était distribuée jusqu’à l’échelon bataillon et encore en vigueur début 1961. » (p,151)

       Comme témoin à la façon de Fabrice del Dongo, je me rappelle deux choses : d’une part, la vue et le bruit de ce train d’hélicoptères qui survola la SAS le jour où de Gaulle se rendit au PC Artois, et d’autre part le compte rendu succinct fait par un des officiers présent à l’une de ses réunions  d’un propos du général Crépin d’après lequel on continuait à mettre au tapis la rébellion.

       « Autodéfenses… fédération des unités territoriales et des autodéfenses », des initiatives qui tentaient donc de constituer les éléments d’une troisième force de plus en plus introuvable en Algérie, car pour beaucoup d’entre nous, il était déjà trop tard !

      « Lorsque pendant la semaine des Barricades, le 29 janvier 1960, de Gaulle prononça le discours bien connu, il demanda s’il était possible que lui, de Gaulle, puisse ne pas souhaiter «  la solution la plus française ». Après coup, on peut revenir sur le fait que « souhaiter » ne veut pas dire « croire possible »…

      Or nous savons maintenant que de Gaulle ne souhaitait pas, que de Gaulle faisait et allait faire tous ses efforts pour arriver à la solution opposée.

     Et on envoyait les garçons se faire tuer pour un mensonge.

     Et on engeait à nos côtés des centaines de milliers de musulmans sachant parfaitement qu’ils paieraient de leur vie leur confiance dans la France, dans la parole de la France…. » (p151)

       Au cours des premiers mois de l’année 1961 : « … » Pour moi la paix était donc une affaire de quelques mois… Les bandes éteint réduites à quinze hommes et moins… C’est alors que survint l’affaire Si Salah. » (p,167)

      Une négociation de paix semblait alors possible entre les chefs de quelques willayas et le gouvernement, en raison du fossé qui existait entre le commandement des willayas et le GPRA, mais cette négociation échoua.

     Faute de conserver la confiance de de Gaulle, le général Challe quitta son poste le 23 avril 1961.

      Des officiers et des français d’Algérie commencèrent à jeter les bases d’un complot destiné à leurs yeux à sauver l’Algérie française et sollicitèrent l’appui du général Challe.

      « On nous expliqua qu’un mouvement de sédition militaire était tout prêt et qu’on attendait plus que nous… En métropole, ce qui était prévu était d’une légèreté qui condamnait toute tentative à l’échec certain. » (p,181)

       Comme il l’écrit, Challe était tout à fait conscient de l’état de l’opinion en métropole :

    « Or les forces dont nous disposions, compte tenu d’une opinion publique défavorable, étaient beaucoup trop minces pour que les chances de réussite soient suffisantes. Au contraire tout déclenchement de révolte me paraissait devoir lancer le pays dans une aventure aux résultats parfaitement imprévisibles.

     Je refusais donc de m’associer à une tentative quelconque en métropole. » (p,182)

     Oui, mais alors, cette révolte n’avait aucune chance de réussir.

     « Le 11 avril 1961, de Gaulle annonçait clairement le « dégagement », savoureux euphémisme, et souhaitait « bien du plaisir » à ceux qui prendraient notre suite. 

     On endormait le peuple français en lui expliquant que tout se passerait gentiment, qu’il y aurait des garanties formelles, que l’armée française serait garante. Toutes choses que nous, qui connaissions l’Algérie, savions fausses et destinées seulement à tromper les nombreux métropolitains acquis au lâchage de l’Algérie , mais qui, par un sursaut de fierté à retardement, ou par simple humanité, tenaient à ce que le dégagement se passe dans l’ordre et la dignité !

     Après sept ans de guerre dure, ce n’était plus possible…

     Pour éviter à mon pays un parjure qui se terminerait dans la honte, et à l’Algérie une aventure qui la ferait régresser et tomber dans la misère et le chaos sanglant, le 12 avril je donnais mon accord…

     Il faut ici que je dise quelles étaient mes idées sur l’avenir de l’Algérie. Car je ne partais pas pour mener n’importe quelle guerre aboutissant à n’importe quelle paix.

    J’avais été partisan de la loi-cadre algérienne et je ne pensais pas que l’intégration définitive de l’Algérie à la métropole par assimilation fût souhaitable en fin de compte. Pour que l’Algérie puisse progresser il fallait un traitement particulier. » (p187,188)

      Challe proposait de faire évoluer le statut de l’Algérie vers une fédération dans un cadre français, tout en estimant :

    «  Le statu quo était donc indispensable pendant quelques années, assez peu en vérité, le temps de réaliser deux ou trois plans de Constantine et de lancer la province sur la route du progrès… » (p189)

      Une fois Challe revenu en Algérie, la révolte ne fut qu’un feu de paille, car au fur et à mesure des jours, les soutiens militaires se volatilisèrent, faute de courage quelquefois pour les officiers qui avaient déclaré auparavant leur soutien, mais avant tout parce qu’il s’agissait d’une révolte sans avenir.

       Que d’obstacles à franchir ! La stratégie politique de Challe n’était pas à la hauteur de celle qu’il avait mise en œuvre en Algérie pour défaire militairement la rébellion : une solution institutionnelle imprécise, une métropole hostile, et sur place, ne l’oublions pas, un contingent de soldats appelés qui n’avaient jamais eu la conviction que l’Algérie, c’était la France.

      Il y avait un immense fossé entre Alger ou Oran et le bled, ou le djebel !

     Courageusement, une fois l’échec de sa révolte consommée, Challe décida de se livrer à la justice de son pays :

     « Vers midi mon avion décollait de Maison Blanche. Une dernière fois, je survolais la Méditerranée toute bleue et si belle. A 17 heures, nous nous posions à Villacoublay…. Vers 17 h 30 j’arrivais à la Prison de la Santé… J’allais maintenant comparaître devant la justice de mon pays… Evidemment, je ne me faisais aucune illusion sur ce qui m’attendait. Un général qui se met à la tête d’une rébellion est fusillé lorsqu’il est pris. Mais comme je l’ai dit devant mes juges : «  Il n’y a pas de loi au monde, il n’y a pas de raison d’Etat qui puisse obliger un homme à faire du parjure son pain quotidien… » (219)

    Je n’ai pas voulu faillir au serment que j’avais maintes fois répété sur ordre du gouvernement et abandonner ceux qui avaient eu confiance en la France à travers moi.

   Au moment de l’échec, je m’étais livré pour ne pas abandonner ceux qui, dans l’armée, avaient eu confiance en moi.

    Ce procureur et ces juges, particulièrement choisis par le pouvoir, il a bien fallu qu’ils avouent.

     Qu’ils avouent qu’au- dessus de la politique du moment, au- dessus de l’obéissance, au- dessus même de la raisons d’Etat, existent des lois morales plus fortes.

    Puisqu’ils n’ont pas osé, l’un requérir contre moi la peine de mort, les autres la prononcer.

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            « En prison, je reste un homme libre…

Prison de Tulle

1961-décembre 1962

         A cette date, j’étais bien loin de l’Algérie et je constatais une fois de plus que la France n’abordait pas le dossier algérien de la bonne façon, pour autant qu’il y ait eu encore une chance de « bonne façon », ce dont je suis beaucoup moins sûr, tant la situation des relations  de la France avec l’Algérie était dégradée.

       Je suis convaincu, comme je l’étais déjà en servant la France en Algérie dans les années 1959-1960, qu’il était illusoire de croire à l’existence d’une troisième force – celle envisagée par Challe, entre autres – , mais je pense que la France aurait pu conduire le processus d’indépendance d’une autre façon, étant donné que nous étions maîtres du terrain et que nous avions un devoir moral de soutien de tous les Algériens qui avaient soutenu notre cause.

       Ce que n’a pas fait le général de Gaulle !

      Une fois les accords d’Evian signés,  et compte tenu  de la honte que j’éprouvais pour mon pays devant le lâche abandon de nos moghaznis et harkis, je rendis visite à un de mes camarades en poste au cabinet du général de Gaulle pour lui dire cette honte, et mon refus de m’associer à cet abandon, mais évidemment sans succès.

      Ceci dit, mon interprétation serait celle d’une révolte « sacrificielle » pour l’honneur, de ces officiers qui restaient fidèles à la parole donnée, et cette révolte sans but stratégique clair et cohérent n’avait aucune chance de réussir : Alger n’était ni l’Algérie, ni la France !

        Ajoutons que la présence massive du contingent des appelés constituait dès le départ un handicap mortel.

     Plus loin, et à ce sujet, Challe propose dans son livre comme explication de son échec une « manœuvre psychologique trop tardive » : « Mais j’ai commis une faute dans la manœuvre psychologique : mon tempo a été trop lent vis-à-vis de la troupe. » (p,285)

     Vu d’Alger peut-être, mais le contingent n’avait jamais considéré dans son ensemble, sauf pour la partie résidant sur la côte et dans les grandes villes européennes, que l’Algérie, c’était effectivement la France.

        Challe criait à l’imposture !

L’analyse qu’avait faite depuis longtemps Clausewitz dans le traité  « De la guerre » aurait pu annoncer l’échec inévitable de Challe, car il n’était plus maître des buts de la guerre : « La guerre est un instrument de la politique » (p,703), « Subordonner le point de vue militaire au point de vue politique est donc la seule choses que l’on puisse faire » (p,706)

       Si les buts de cette guerre avaient été définis par de Gaulle, ce qui reste à démontrer, ou qu’ils lui aient définitivement échappé, tant la situation du pouvoir à Alger était fragile, un pouvoir déliquescent qui, à la fin, n’y contrôlait plus grand-chose.

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Les autres éclairages historiques

       Le même livre propose d’autres éclairages historiques tout à fait intéressants :

France- Algérie- Communauté (p,233)

       « En mars 1957, J’ADRESSAIS un mémoire à Bourgès-Maunoury, alors ministre de la Défense nationale. Bourgès-Maunoury est avec Guy Mollet en particulier un des très rares ministres que j’ai connus, capables de se hisser au niveau d’homme d’Etat. J’étais alors major général des Forces armées et étudiais les questions de défense des territoires sous pavillon français.

      Dans mon mémoire, je préconisais la reconnaissance immédiate ( au 14 juillet 1957) pour des raisons historico-sentimentales) de l’indépendance des Etats d’Afrique Noire qui faisaient partie de ce qu’on appelait encore l’Union française. En effet, après une étude détaillée des possibilités de défense, je concluais que l’Afrique noire française était indéfendable dans l’état de notre armée et de nos finances…

      Je pensais que nous devions nous limiter en tout état de cause à la défense et au développement de la métropole, de l’Algérie-Sahara, et des quelques territoires qui passeraient avec nous un véritable contrat d’association. » (p,233)

    Plus loin, Challe donnait son interprétation du fameux colonialisme français :

     « … Mais il est bien entendu que c’est toujours le voisin qui est colonialiste. En particulier, chacun sait que la France, bien qu’elle abandonne tout son domaine et même qu’elle le jette par-dessus bord, est colonialiste…

    Tandis que la Russie n’est pas colonialiste…

    Les Etats Unis ne sont pas colonialistes. Demandez aux habitants du Japon, de la Corée, de Formose, du Laos, ou même du Congo ex-belge…

     L’Indonésie n’est pas colonialiste. Mais elle tient essentiellement à faire le bonheur des Papous de Nouvelle Guinée… (p,235)

    Le point de vue d’un grand dignitaire gaulliste, Guillaumat :

            « Je me souviens encore de Guillaumat, technocrate intelligent et sympathique, qui a régné sur l’atome français, l’électricité, le pétrole, l’Ecole polytechnique et aussi sur le ministère des Armées, me disant un jour de 1959 en parlant du sort futur de l’Algérie : «  Mon cher, ce qui compte ici c’est le pétrole, tout le reste c’est de la poésie. » Je lui disais alors : « Si vous pensez que nous garderons le pétrole tout en larguant l’Algérie, vous vous faites des illusions. » Guillaumat me répondit avec un petit sourire en coin : « Mais voyons, le pétrole appartient à des sociétés puissantes dont les imbrications internationales empêcheront tout gouvernement algérien d’en disposer. » Voire lui dis-je.

Il est vraisemblable que l’armée avait raison puisqu’elle avait contre elle à la fois les fabricants de théories, le « mur d’argent », et les technocrates !!

Elle avait raison, mais elle en est morte »

Février 1966 » (p,377)

L’Armée française en Algérie

            « Pour avoir bonne conscience, une grande partie de l’opinion française admet que l’armée française a fait en Algérie une dure guerre pour le compte des puissances d’argent et des gros colons. Elle admet que seul de Gaulle a pu faire cesser cette effroyable dépense d’hommes et de finances en terminant les hostilités qui avaient trop duré et en donnant aux Algériens une indépendance qu’ils réclamaient tous à cor et à cri.

      Pour le coût des hommes, il n’y a qu’à se référer aux statistiques officielles.

      Pour le prix en argent, il suffit de comparer avec la suite.

     Pour le reste, il faut y revenir car cette croyance, habilement et fortement entretenue, permet à l’opinion de renouveler le geste de Ponce Pilate et de se désintéresser des sévices inimaginables (1) subis par les Européens et les Musulmans qui avaient cru en la France et de lire d’un œil serein les récits d’aujourd’hui sur la misère algérienne.

   Or cette croyance est basée  sur un énorme entassement de mensonges.

     Il est faux que l’armée ait mené la guerre plus durement qu’il était nécessaire.

     Il est faux qu’elle l’ait fait pour le compte des Européens les plus riches.

    Il est faux que de Gaulle ait terminé la guerre au mieux et au plus tôt.*

    Il est faux que les Algériens musulmans aient en majorité demandé l’indépendance. … » (p,395)

  1. Dans l’annexe IV, Challe a publié un ensemble de témoignages, sur ces sévices inimaginables ( page  421 à 441) qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie et dont ont souffert, mort très souvent comprise, de très nombreux harkis, moghaznis, ou Algériens qui s’étaient engagés à nos côtés.
PUTSCH (p347)

         Dans ce chapitre, le général Challe se défend d’avoir fait un putsch :

       « D’abord, il n’y a pas eu de putsch DU général Challe. Nous étions de nombreux officiers à nous rendre compte de ce qui allait se passer, en dépit des acrobaties verbales du gouvernement. La réunion d’Evian était annoncée, et nous savions qu’en ce moment sonnerait le glas de la France, de Français, et de l’œuvre française en Algérie.

     Ce qui s’est effectivement passé.

     Je n’étais pas seul, Dieu merci à prévoir. Beaucoup d’officiers, désirant que j’achève la victoire de l’armée française, que de Gaulle m’avait empêché de gagner totalement, voulaient que je fusse à la tête du dispositif de révolte.

     Je ne me sentis pas le droit de refuser le poste…. (p,347)

    Voilà très exactement comment fut orienté ce que l’on a appelé à tort un putsch, et qui fut en réalité une révolte militaire contre le lâche abandon de nos promesses et d’un territoire français, aussi français et depuis longtemps que Nice ou la Savoie. » (p349)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés