Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale – 5 (C) – L’Agence des colonies

5 (C)

Propagande coloniale (C)

L’Agence des colonies

            La troisième contribution d’Images et Colonies est précise et rigoureuse : « Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies. »  d’E.Rabut (IC,p,232)

L’auteure a exploité les archives du centre d’Aix en Provence, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme je l’ai fait moi-même.

Mme Rabut y faisait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC,p,232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies créée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralisait la documentation fournie par les agences économiques des grands territoires, Indochine, Madagascar, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre 14-18.

         Par décret du 17 mai 1934, et pour des raisons d’économies, l’Agence fut supprimée. Elle réapparut, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy a ranimé l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre-mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            La même auteure décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), chargée de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques, administratives et budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne Lemaire a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

Les institutions : ont-elles été opérationnelles, aux fins de la propagande, dans leur organisation et dans leur fonctionnement ? Non.

L’agence générale des colonies et les agences économiques des territoires n’ont jamais constitué la machine de guerre de la propagande coloniale volontiers décrite par l’historienne Lemaire et son collectif de chercheurs. Pour qui a pratiqué assez longtemps les administrations centrales, les moyens humains des agences correspondaient au maximum à ceux d’une sous-direction d’administration centrale. Rien à voir avec les machines de propagande des Etats totalitaires !

            L’agence générale était coiffée par un conseil d’administration composé pour partie de représentants de l’Etat et pour partie de représentants des entreprises privées, les agences économiques étant pilotées elles-mêmes par des représentants des administrations coloniales de l’AOF, de l’AEF, de l’Indochine, de Madagascar et des Territoires sous mandat.

            Il convient d’ailleurs de noter qu’en 1926, l’Agence générale comprenait quatre services, un service commun, un service de renseignements, un service administratif, et le service administratif des ports de commerce, Marseille, Bordeaux, Nantes et Le Havre. Au total, 160 personnes, avec une partie de personnels techniques, dont la moitié était affectée dans les ports.(FM/Agefom/408) 

            La structure des agences était celle décrite par Mme Rabut, avec en général, deux services un service administratif et un service de renseignements, avec une fonction de documentation, de relations avec la presse, et ultérieurement de propagande.

            En 1937, année du renforcement de la propagande gouvernementale, après le hiatus des années 1934-1937, les agences économiques de Madagascar, d’AOF, d’AEF, et des territoires sous mandat, comptaient respectivement, 8, 8, 7, et 9 cadres.

            Les rapports d’activité récapitulaient minutieusement, sur un mode militaire, les chiffres mensuels d’activité, nombre de visiteurs, demandes d’emploi, demandes d’information commerciale et industrielle, placement de capitaux, débouchés, exposition d’échantillons de produits…

            En 1932, l’agence de Madagascar reçut 1 006 visiteurs et rédigea 4 719 correspondances, dont 447 pour obtenir de l’information sur les débouchés et 591  sur l’industrie et le commerce. Elle examina 1 538 demandes d’emploi (FM/Agefom/C834)

            Les activités de l’agence d’AOF étaient moins importantes, avec un nombre total de visiteurs de 397 seulement en 1933, et 1 546 demandes de renseignements. (FM/Agefom/C744)

            Le système était plutôt hybride, les agences économiques faisaient partie du réseau d’agences piloté par l’Agence générale, quand elle a existé, mais agissaient comme donneurs d’ordre de commandes de prestations auprès de l’agence générale. Chacune des agences disposait de son propre budget alimenté par les ressources des budgets des différents territoires.           

            Ces budgets n’étaient pas considérables, comme nous le verrons.

            Il convient de noter enfin que le domaine de compétence de l’agence générale des colonies n’a jamais porté sur l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, alors que ces territoires représentaient plus de la moitié du commerce colonial de l’époque.

            Quant au tissage plus ou moins réussi d’un réseau de propagande coloniale, il est exact que les gouvernements, mais surtout dans les années 30 ont donné des instructions aux préfets pour les inciter à faire de la propagande, à faciliter la création de comités de propagande coloniale placés sous la houlette des chambres de commerce et d’industrie ou des unions patronales, surtout dans les années 1936 et 1937.

Pour qui connaît le fonctionnement de l’administration  préfectorale, ce type d’action fait partie du lot quotidien des fonctions des Préfets, mobilisés au coup par coup, en fonction de la conjoncture et de la politique des gouvernements. Il en a toujours été ainsi.

            D’ailleurs, les ministres des Colonies avaient contribué à la mise en place de ce qu’on appellerait volontiers une hiérarchie parallèle, selon les bons préceptes communistes, mais qui n’a jamais eu l’efficacité des hiérarchies parallèles communistes, et sans doute non plus celle de la hiérarchie maçonne, très puissante alors. Hiérarchie parallèle animée par les chambres de commerce et les unions patronales, mais comme les nécessités de la conjoncture et d’une action commune en font créer régulièrement dans l’histoire politique, administrative et économique du pays.

            Les archives (FM/Agefom/851) nous donnent la trace d’instructions ministérielles précises à ce sujet.

            En 1925, une circulaire ministérielle de M André Hesse avait prévu l’organisation sur tout le territoire métropolitain, de comités de propagande qui devaient avoir pour but d’intensifier la vulgarisation de l’idée coloniale.

            Le 30 mai 1930, dans la perspective de la grande exposition coloniale de 1931,  le Sous-Secrétaire d’État aux Colonies Delmont réunit à Paris les délégués des comités de propagande coloniale et des associations coloniales, lesquels existaient dans la plupart des grandes villes françaises. L’ordre du jour était : organisation des comités de propagande coloniale et création d’un lien entre ces comités.

            Ces comités étaient pour la plupart constitués de représentants des chambres de commerce ou d’entreprises intéressées par l’outre-mer.

            A titre d’exemple, le Comité de propagande coloniale de Cherbourg était constitué d’un Comité d’honneur composé du Préfet de la Manche, du Sous-Préfet de Cherbourg, du Maire de Cherbourg, du Président et d’un Vice-Président de la Chambre de Commerce, et son conseil d’administration de représentants des entreprises de la Manche.

            A la réunion ministérielle, il fut envisagé de susciter des comités départementaux, mais avant tout de créer une commission permanente des groupements d’action coloniale.

            Au cours de la séance, le représentant du comité de Bergerac exposa qu’il n’avait pas obtenu auprès des membres du corps de l’enseignement, tout l’appui qu’il aurait désiré pour faire connaître les colonies aux jeunes gens des écoles. Il demandait que le Ministre de l’Instruction Publique donne des instructions à ses subordonnés pour qu’à l’avenir, il n’y ait plus de malentendus. Le représentant de Dijon s’associa à cette demande.

            Le représentant du comité de Lyon y rappela les efforts faits par la Chambre de Commerce, 141 000 euros par an (valeur 2002, un budget très modeste.

            A la fin de la réunion :

            « Le ministre rappelle aux délégués des comités que l’essentiel, c’est de créer autour d’eux une mentalité, une foi coloniale et pour atteindre ce but, les collaborateurs les plus importants sont les instituteurs et les professeurs de collège qui peuvent agir sur l’esprit des enfants…Lorsque cette mentalité coloniale sera créée, la propagande verra ses fruits centupler et le public saura, tout comme en Hollande, que nos colonies permettent non seulement le placement des hommes, mais aussi celui des capitaux (vifs applaudissements) »

            Le lecteur aura constaté, qu’en 1930, la propagande coloniale n’avait pas encore eu les effets escomptés par certains sur l’opinion publique, et que le corps enseignant ne manifestait pas un enthousiasme débordant pour la cause coloniale, alors que nous avons démontré que les livres scolaires n’accordaient pas non plus une grande place aux colonies.

            Le 7 juillet 1930, le Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies adressait une circulaire à Messieurs les Présidents des Comités d’Action Coloniale en leur transmettant le procès-verbal de la réunion du 30 mai, au cours de laquelle il y fut décidé la consolidation, et là, où besoin sera, la réorganisation des comités actuellement existants, voire la création de comités nouveaux, ainsi que la création d’un organisme fédéral, la Commission permanente des Groupements d’Action Coloniale.

            Le ministre écrivait :

            « Je signale par une circulaire adressée ce jour aux Préfets, l’importance de vos Comités, en même temps que je leur envoie copie du procès-verbal de notre réunion, et que je les prie de vous accorder tout leur appui moral et matériel. Signé A.Delmont »

Les Comités locaux d’action coloniale continuèrent à exister au cours des années ultérieures, comme l’indique une circulaire ministérielle du 20 février 1934 qui adresse aux agences économiques des colonies la liste de ces groupements, en invitant les agences à entrer en liaison avec ces comités, en les invitant à vous faire connaître les entreprises  agricoles, industrielles, et commerciales de leur secteur, susceptibles d’acheter les produits des territoires que vous représentez ou d’y écouler les leurs. (FM/Agefom/40)

            Les archives fournissent beaucoup d’échantillons des correspondances échangées entre l’administration, les agences, et les comités. Leur contenu porte sur les informations de toute nature qui alimentaient ce réseau économique, organisation du réseau, relais d’information, liste d’entreprises et liste de produits exportés ou importés, etc…

JPR  –  TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? – 1 – Ivresse des mots et mots-chocs

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IVRESSE DES MOTS  ET MOTS-CHOCS

         Avant d’aborder le cœur du sujet, pourquoi ne pas citer quelques-uns des  éléments du langage historique auquel il est fait appel ?

        Je rappelle que ces derniers ont été publiés dans les livres suivants : Culture coloniale (2003) (CC), La République coloniale (2003) (RC), Culture impériale (2004) (CI), La Fracture coloniale (2005 (FC), L’illusion coloniale (2006) (IC), avec pour références du « Colloque » de 1993 (C) et du livre « Images et Colonies (IC).

            Sommes-nous ici dans l’histoire coloniale ou dans la médecine de Molière ?

            Introduisons ce petit inventaire à la Prévert, en citant une phrase de La République Coloniale (p,144) : « long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés pendant la période coloniale. »

A la lecture des ouvrages cités, il est difficile de résister à l’avalanche de leurs mots ou d’expressions, vous invitant rarement au rêve, souvent en coups de feu, un florilège de mots et d’expressions franchement abstrus, pour ajouter à ce mot un qualificatif du grand Hugo, qualificatif aujourd’hui un peu pédant.

            Prenons le risque, non historique, de proposer cette esquisse, en laissant le soin aux spécialistes, aux lexicologues, d’effectuer un travail complet sur le registre de ces mots et expressions.

            Des mots en mal d’évasion ! « Le bain colonial » (C,p,14, Introduction Blanchard-Chatelier (p,14/C) (179/CC), une expression souvent utilisée, alors que dans son acception commune, un bain ne dure jamais très longtemps, sauf dans certaines industries. La profusion des métaphores, des paraboles, des allégories, et le fantôme permanent de l’Autre, toujours l’Autre, la figure indéfinie.

         Le lecteur se rappelle sans doute mon évocation du fandroana, le bain royal des Reines de Madagascar : s’agit-il d’asperger les lecteurs d’une eau lustrale postcoloniale ?

            Une autre formule se veut heureuse : « la colonie est propre, parce que lavée plus blanc ». (IC,p,255)

            Une formulation poétique, mais combien subversive ! « Evanescence idéale des femmes aux seins toujours nus, à l’épiderme foncé (IC,p,255). Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, sur la manipulation des cartes postales mauresques, sur la méconnaissance du nu africain, tout autant que de l’habillé que l’on trouvait aux mêmes époques en Indochine, à Madagascar, ou en Afrique.

            Il ne faut pas avoir lu beaucoup de récits d’explorateurs, d’officiers, ou d’administrateurs qui n’étaient pas obligatoirement « colonialistes », pour l’avoir constaté à maintes reprises. Je le constatais ces dernières semaines et à nouveau dans le récit de la Croisière Noire Citroën en 1924-1925.

            « Nudité, érotisme,… animalité… restent une constante de l’impensé blanc » (IC, p,255). Les blancs étaient donc tous des obsédés sexuels, en tout cas tous ceux qui se trouvaient aux colonies, même les missionnaires ? Pour assouvir leurs fantasmes sexuels ! Les bordels de métropole leur manquaient tant ?

            Si l’anthropologue Gilles Boëtsch feuilletait le livre consacré au dessinateur et peintre, en même temps que bon petit Français, Patrick Jouanneau « MarocAlgérie, Tunisie – Dessins-Aquarelles- Peintures » (Editions Baconnier/Copagic) », il trouverait sans doute ce livre très frustrant, faute de « Mauresques aux seins nus »

            Des mots et expressions en coups de feu !

       L’Agence des colonies (sa propagande) « inondait » (CC,p,139) – « stakhanoviste » (IC,p,230) – « marteler » (IC,p,230) – « pour déconstruire le récit de la République Coloniale » (RC, V) – « le révisionnisme colonial actuel » (RC,p,36) –  « l’impensé colonial » (RC,p,150) – « ce qui signifie que la pensée républicaine n’est pas ontologiquement coloniale » (RC,p,104) – « une société de l’antimémoire coloniale » (RC,p,147) – « la déconstruction des impensés » (FC,p,182) – « érotisation et prédation sexuelle » (FC,p,200) – « à la mémoire du sang qui a abreuvé les villages algériens » (FC,p,236).

            Quelques autres mots savants ou pédants, et décidément abstrus !

          Quelques perles tout d’abord ! « richesses (Chrématistique) », «  formes excessives de jouissance (pléonexia) » (FC,p,143) « les aspects les plus galliques » (FC,p,148) « le vacillement sémantique du mot jeune » (FC,p,280).

        Il y a de quoi effectivement vaciller !

            Dans la description historique supposée de l’époque coloniale : « un espace désormais quadrillé, contrôlé, normé (CC,p,179)- « l’idéal type de l’anthropophage (CC,p,149) – « la majorité des Français ont connu… à travers le prisme déformant de cette iconographie – il semble que ces images soient devenues des réalités… pour une majorité de Français qui ne doutent pas de leur véracité » (C,p,15, Introduction Blanchard Chatelier) – « la torture : elle fut consubstantielle de la colonisation dès ses origines » (RC,p,155) – « sur des dispositifs d’animalisation et de bestialisation de l’autre (FC,p,141) – « la perception de l’autre résulte d’un bricolage identitaire où la mémoire fonctionne comme  filtre » (FC,p,233)

        Comprenne qui pourra un langage aussi obscur ! Mais s’agit-il encore d’histoire ?

         L’ambition du trio d’historiens : « il est temps de décoloniser les images » (IC,p,8) – « et de déconstruire » (RC,p,9)

            Le résultat de la colonisation : « elle a fait rêver cinq générations de Français » (RC,p,11) – « il faut sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie (IC,p,227) – « comment construire une mémoire ? » (RC,p,140) – « une réécriture de cette  histoire tronquée pour rendre compatible l’incorporation de la mémoire à l’imaginaire social » (RC,p,153) – « la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps » (FC,p,200)

         Ou Satan es-tu là ?

       « –Dans la partition sexuée de l’indigénisation contemporaine. » (FC,p,204).

         Tentons à présent d’entrer dans le corps du sujet, c’est-à-dire de plonger dans le « bain colonial » critique.

                 Jean Pierre Renaud   (JPR) –  Tous droits réservés (TDR)