« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 6

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

6

De l’essoufflement au renouveau (p,209)

(années 1930-1950)

           Il est tout de même curieux, et pour dire la vérité, tout à fait contradictoire de parler d’ « essoufflement » dans le titre,  et quelques lignes plus loin d’écrire :

         « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la plus grande France et celles de l’épanouissement d’une « culture impériale », les historiens coloniaux paraissent ne pas avoir su tirer leur épingle du jeu d’une situation manifestement favorable. En métropole, en effet, leur position semble souvent bien défensive face aux attaques de leurs détracteurs, tandis que les courants dominants de l’historiographie française – de la Revue historique à la revue des Annales – n’accordent qu’une place marginale à une spécialité jugée en grande partie obsolète, dans ses objets comme dans sa méthodologie. » (p,210)

      Décortiquons, si vous le voulez bien, ce passage qui révèle toutes les ambiguïtés de ce type d’analyse postcoloniale, c’est-à-dire quelques-unes de ses clés :

      « …l’apogée d’une propagande tous azimuts… » ? C’est la thèse défendue par le collectif Blanchard and Co d’ailleurs cité en note 4, mais, il s’agit d’un constat tout à fait superficiel comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale », et c’est entre autres une des raisons pour lesquelles les historiens coloniaux étaient bien incapables de « tirer leur épingle du jeu  d’une situation  manifestement favorable ».

       Le succès de la fameuse Exposition coloniale de 1931 ne fut qu’un feu de paille, comme l’a d’ailleurs reconnu son organisateur Lyautey, car contrairement à ce que raconte ce collectif, les Français n’avaient pas plus la fibre coloniale qu’auparavant.

       Curieusement toujours, et plus loin, l’auteure pose un point d’interrogation sur le sous-titre «  Au rendez-vous de l’Exposition coloniale : l’apogée des années 1930 » ? (p210)

      « Entre autosatisfaction et pessimisme » (p,210)

      Alors apogée ou non ? Comme le note Johannès Trammond :

     « L’histoire coloniale reste une spécialité sans communications suffisantes avec l’ensemble du mouvement historique en France et dans le monde entier » (p,211)

        Ces historiens connaissaient beaucoup mieux leur situation que le collectif en question, et tout au long de l’analyse des chapitres de Sophie Dulucq, on voit bien qu’il existait bien d’autres raisons de cette situation « coloniale ».

       Parmi ces dernières, l’’auteure cite l’émergence des courants dominants de l’historiographie française issue de l’école des Annales, qui reconnaissait la « place marginale » à cette spécialité jugée en grande partie « obsolète, » etc…

      Il est dommage que l’auteure n’ait pas cité la période au cours de laquelle cette école historique a ouvert son nouveau chemin méthodologique.

         Question : combien d’historiens et d’historiennes sortis de l’Ecole Normale Supérieure ont eu l’idée ou le courage, avant et sans doute après 1945, de s’intéresser à l’histoire coloniale ?

       En ce qui concerne Hardy, grand promoteur de ce type d’histoire, et alors, et sauf erreur seul  enseignant issu de cette grande école :

       « Le bilan dressé par Georges Hardy pour l’A.O.F est plus désenchanté, sans  doute parce qu’il est dressé par un historien professionnel. » (p,212)

          Il n’est guère envisageable de confier ces recherches aux militaires et aux fonctionnaires de l’administration coloniale (ce qui fut très souvent le cas) déjà écrasés de besognes administratives. En l’absence d’enseignants du supérieur en A.O .F (pourquoi ?), seuls quelques maîtres du secondaire et du primaire, eux aussi accaparés par leur métier… «  (p,214)

      Nous sommes alors en 1931 dans un pays qui a été plongé dans un « bain colonial »,  dixit le collectif Blanchard and Co, et dans une A.O.F, privée de moyens financiers à consacrer à ce que l’on pourrait appeler la danseuse qui avait pour nom « histoire coloniale » aux yeux de la « gentry » de Norma-Sup.

    « Une institutionnalisation en panne ? » (p,214)

      Ou plutôt en échec, et en écho de celui d’une propagande coloniale qui n’a jamais eu l’efficacité que certains proclament à tort et à travers de nos jours, faute d’évaluation sérieuse de ses vecteurs et de ses résultats ?

     « Or, dans les années 1930, l’institutionnalisation de la spécialité demeure fragile. Depuis une décennie, la Sorbonne a renoncé à l’histoire coloniale dans ses programmes et les spécialistes du domaine ont perdu tout espoir de s’y faire une place. »

      La Sorbonne, le Saint des Saints ?

      Et au Collège de France, le résultat n’est pas non plus très concluant.

      « En 1937, le renouvellement de la chaire d’Alfred Martineau au Collège de France, (une chaire qui avait été « conquise » en 1921, après un long combat institutionnel), est l’occasion de constater une fois encore que l’histoire coloniale n’est pas solidement installée dans le paysage…L’affaire traîne durant l’année 1936, période de grands bouleversements politiques. Au début de 1937, le nouveau ministre du Front Populaire, Marius Moutet, acquiesce finalement au maintien de la chaire d’histoire coloniale, qu’il souhaite néanmoins voir baptisée « chaire d’histoire de la colonisation française et étrangère. »

      En juin 1937, Edmond Chassigneux est élu :

     « Bref, c’est un candidat qui s’inscrit bien dans le profil des historiens coloniaux alors légitimés…. »

    Pourquoi ne pas noter que son parcours s’était signalé par ses travaux sur l’Indochine, le « joyau » de l’Empire, et non sur l’Afrique, et dans le cadre de l’Ecole française d’Extrême Orient ?

     Pourquoi ne pas rappeler aussi que Moutet s’inscrivait dans la lignée de la gauche républicaine qui avait été le moteur des conquêtes coloniales, sous le drapeau fantasmagorique de la civilisation française et de l’assimilation promise ?

      Pourquoi ne pas rappeler aussi, que dans le cas de Madagascar dont l’histoire a paru attirer l’intérêt de l’auteure, les « évolués » malgaches avaient cru à ses promesses de citoyenneté, et que l’arrivée du Front Populaire n’avait rien changé à ce sujet ? Le poète et homme politique Rabemananjara en fit l’amère expérience après le magnifique succès populaire de la manifestation qu’il organisa au stade Mahamasina sur la foi d’un nouveau projet de citoyenneté que la République française entendait mettre en œuvre.

      Pourquoi ne pas rappeler aussi que les politiques qui avaient la charge généralement peu convoitée des colonies, puis de l’outre-mer, étaient remplis de contradictions : l’exemple de Moutet est assez intéressant, car il engagea la France dans la répression de la révolte malgache de 1947 ?

    A lire ces analyses très fouillées de l’auteure, il parait difficile d’adhérer à sa conclusion :

     «  On le voit, les années 1930-1940 sont marquées, en métropole comme dans les territoires colonisés, par un renforcement des dispositifs institutionnels propres à assurer l’essor ders disciplines spécialisées dans le domaine colonial » «  (p,221)

     Vraiment ? et un peu contradictoire avec la notation : « Dans ce contexte, la perte de la chaire en Sorbonne est un handicap certain pour le rayonnement de l’histoire coloniale… (p,222)

      Que dire à nouveau sur le constat d’ « une propagande massive », laquelle ne l’a jamais été, et sur le constat final :

      « Sans doute l’apogée de l’histoire coloniale a-t-il déjà eu lieu » (p,221), qui n’aurait été qu’un feu de paille, à l’exemple du succès populaire de l’Exposition coloniale de 1931 ?

      « La diffusion de l’histoire coloniale : expansion ou tassement ? » (p, 222)

      « Pourtant dans le domaine scolaire, les efforts continus des milieux coloniaux ont conduit à une intégration de nombreux éléments d’histoire coloniale dans les programmes d’enseignement…Dans une mesure appréciable, ce discours scolaire est l’un des échos directs de la production de l’histoire coloniale « savante », tout comme les manuels de Lavisse sont le reflet de l’histoire méthodique professée en Sorbonne. .. » (p,222)

    En Sorbonne ?

     Quant au leitmotiv que véhiculent certains chercheurs sur le manuel Lavisse, je propose aux lecteurs de lire, en annexe, la petite documentation et évaluation du corpus colonial en question dans plusieurs de ces manuels.

     Même type de remarque sur les observations ci-après :

     « L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale. »  (p,223)

     Une exposition « continue » … ? Vraiment ?

      Le « consensus des années 1920-1930… » ? Sans qu’aucune évaluation de ce consensus n’ait été effectuée, et alors que la France sortait à peine de la boucherie de la guerre 1914 et qu’elle venait d’entrer en 1929 dans la grave dépression économique que chacun connait ?

     Et l’auteur de nous expliquer ensuite que les candidats à l’enseignement supérieur n’étaient  pas spécialement attirés par cette discipline, alors qu’  « En Grande Bretagne, les chaires d’imperial history jouissent d’un prestige certain entre les deux guerres… à Oxford, … Londres… ou Cambridge… » (p,224)

     Est-ce que la clé de cette situation n’est pas à trouver précisément dans des situations coloniales très différentes, un empire britannique prospère, riche en perles coloniales, animé par des élites fières de leur empire, dotées d’un esprit solide de libre entreprise, de conquête de marchés, grâce à la suprématie de la flotte anglaise sur toutes les mers du globe, et la mise en place patiente de la fameuse ligne de communication portuaire stratégique,  vers l’Egypte, l’Inde et la Chine, au lieu d’un empire français construit à la petite semaine, pauvre, et de petite échelle par rapport à l’anglais.

     En France rien de semblable, ni dans les élites, ni dans les universités !

   J’ai publié sur ce blog un ensemble de pages qui avaient pour but d’esquisser une comparaison entre les deux empires coloniaux de Grande Bretagne et de France. Ces textes ont été beaucoup consultés, et le sont encore. Ils permettent, je crois, de mieux comprendre le grand écart qui séparait les situations dans les deux empires.

      « En France, donc, l’histoire coloniale trouve finalement son audience sous une forme essentiellement vulgarisée auprès d’un public plutôt populaire, celui des écoles, celui des lecteurs d’une certaine presse coloniale, des amateurs de chansons, mais aussi des visiteurs des expositions et des musées….» (p,225)

     Une « audience » jamais évaluée, ni dans les écoles, voir la supercherie du fameux Lavisse ! (lire notre petite annexe a) sur le Lavisse) Des « lecteurs d’une certaine presse coloniale » encore moins évaluée dans l’ensemble de la presse française, mais en tout état de cause en nombre limité ! Des « visiteurs » en quête d’exotisme plutôt que de colonies !

    Et effectivement :

     « Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les historiens « coloniaux » aient pu ressentir quelque frustration à ne pas réussir à toucher les milieux savants de l’époque avec la même réussite que leurs collègues spécialistes de Byzance ou de la Gaule romaine. Seuls ceux d’entre eux dont les travaux peuvent se rattacher aux champs de l’histoire – reconnus particulièrement les spécialistes de l’Afrique du Nord romaine ou dans une moindre mesure, ceux des civilisations orientales et extrême-orientales – ont pu être intégrés de façon réussie dans les arcanes du monde universitaire. Les autres, arc-boutés à des problématiques ou à des territoires du savoir moins reconnues – la colonisation française à travers les âges, l’Afrique subsaharienne et ses peuples réputés sans écriture… se sont retrouvés sur des positions de plus en plus défensives vis-à-vis de l’historiographie dominante. » (p,226)

       Une fois de plus, il semble qu’on découvre la situation réelle de l’histoire coloniale par rapport à celle « dominante » de la métropole, qui, avant 1945, n’attirait pas obligatoirement une partie des meilleurs historiens pour les raisons politiques, marxistes, ou autres, qui sont apparues après la guerre, et pourquoi ne pas se poser de nos jours le même type de question incongrue sur l’histoire postcoloniale ?

      En ce qui concerne le domaine colonial, est-ce qu’il existe une thèse scientifiquement fondée, comparant effectifs et formation des historiens dits coloniaux et des autres historiens reconnus pour l’être en métropole dans l’enseignement secondaire et supérieur, étant donné que les « coloniaux »  constituèrent longtemps une cohorte d’amateurs ?

     « L’histoire coloniale sur la sellette ? » (p,226)

      « Dans un contexte de dynamique institutionnelle modeste (c’est le cas de le dire !), les faiblesses épistémologiques inhérentes à cette histoire coloniale sont l’objet de contestation de la part des avant-gardes historiographiques. La dimension idéologico- politique qui sous-tend explicitement ou implicitement la démarche de maints historiens coloniaux continue également de les placer dans une position délicate par rapport au monde universitaire. Henri Brunschwig fait remarquer qu’après 1945, les Annales d’histoire économique et sociale de Lucien Febvre et Marc Bloch aussi bien que la Revue de Synthèse historique d’Henri Berr ont superbement ignoré l’Afrique et le monde colonial en général : c’est plus vrai encore dans l’entre-deux guerres, pour des raisons qui tiennent essentiellement au mépris dans lequel ces revues d’avant-garde tiennent la vielle histoire coloniale. » (p,226)

      Question : « La dimension idéologico-politique qui sous-tend explicitement ou implicitement la démarche… » ?

      Est-ce que cela n’a pas toujours été le cas ? Comme avant et après 1945, l’histoire a-t-elle vraiment réussi à être indépendante d’un des courants forts dominants, le marxisme, et de nos jours, dans l’histoire postcoloniale, d’un autre courant fort lié à une sorte d’humanitarisme, de repentance qui ne dit pas son nom, pour ne pas dire d’autoflagellation ?

    A l’époque considérée, des historiens comme Julien ou Deschamps, étaient  membres du parti socialiste, comme aujourd’hui Stora, après avoir été trotskyste. 

     L’auteure note d’ailleurs que Deschamps comme Hardy furent des « Collaborateurs » du Régime de Vichy.

     L’auteure cite l’exemple d’une des chaires que le groupe de pression colonial, soi-disant puissant, avait réussi à imposer au Collège de France, une chaire entre 1921 et 1935, laquelle vacante, créa un vrai problème quant à la désignation du successeur, et au nom de baptême de la chaire elle-même..

      « Au tournant de la Seconde Guerre mondiale : des ferments de renouveau

      Un nouveau contexte politique et institutionnel » (p,237)

      L’auteure écrit :

      « Dès les années 1930 pour les plus précoces, de manière plus perceptible à partir de la fin des années 1940, on note dans maints textes de chercheurs, dans maintes déclarations de principe, un décalage grandissant du discours savant avec les finalités coloniales. Ces « fissures » dans les sciences coloniales, presqu’impalpables, ont des causes variées.

      D’abord le consensus autour de l’idée impériale commence à se lézarder après 1945, George Balandier évoque dans deux textes autobiographiques le climat intellectuel et politique qui règne en Afrique après la guerre… « L’Afrique d’après-guerre ne supportait plus la clôture coloniale, elle s’en échappait et entrait dans une autre période de son histoire, tôt orienté  vers la réalisation des indépendances. » (p,238)

     « impalpables » ? Un adjectif historique ? Les « fissures » dataient quasiment des premières années de la colonisation, et c’est la deuxième guerre mondiale qui a été le véritable facteur de l’écroulement de la « clôture », car le monde était entré dans un autre monde.

     J’ai cité ailleurs (blog du 3/11/2015- intitulé « Le témoignage Delafosse : les « humanistes » et la bombe d’Indochine ») le passage de son livre « Broussard » (1922) qui relatait une conversation rapportant l’information d’après laquelle un attentat avait été commis au Tonkin :

      «  Les humanistes entrent en scène (p,114)… « une bombe » en Indochine… « à la terrasse d’un café… Ce n’est pas dans votre Afrique, dis-je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs… auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive.

      Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant n’est pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une question de temps. » (p,112)

     L’auteure note le rôle de Suret-Canal, mais il s’inscrivait aussi dans un courant d’historiens marxistes qui prit de l’ampleur après 1945.

      «… vers la réalisation des indépendances » ? Une lecture très différente de celle de Frederick Cooper.

      Comme le note l’auteure, l’Institut Français d’Afrique noire, créé pendant le gouvernement du Front Populaire, en 1936,  a joué un rôle moteur dans cette diversification des courants :

     « Le bulletin de l’Institut français d’Afrique noire est emblématique des « contradictions entre deux pôles du savoir », mais aussi de leur dépassement dans les années 1950 : il cristallise les tensions entre une science « coloniale » – et singulièrement une histoire « coloniale » – et un  projet scientifique qui s’affranchit du contexte impérial, voire le critique… Si minime soit-elle encore, la professionnalisation relative de l’histoire en A.O.F conduit aussi, comme l’analyse Marie-Albane de Suremain… «  (p,242,243)

      Notons simplement que cet  institut ne disposa pratiquement d’aucun moyen avant 1945.

      Il aurait été intéressant de connaître l’évolution postérieure des moyens financiers mis à la disposition de l’IFAN avec la création du FIDES, un régime de subvention associé à des prêts à très faible taux d’intérêt, qui constitua une, petite révolution dans les relations financières entre la France et l’A.O.F, étant donné qu’auparavant, le principe de ces relations était fondé sur  la maxime « aides- toi toi-même »

      « Un monde de nouveauté dans le monde des historiens métropolitains

       Les bouleversements intellectuels, politiques, et institutionnels qui affectent l’Afrique des années 1950 contribuent peu ou prou à infléchir le cours de l’historiographie. «  (p,243)

     L’auteure cite les exemples de Charles-André Julien qui occupa en 1948 une chaire à la Sorbonne, de Robert Montagne au Collège de France, mais comment ne pas noter que ces deux scientifiques étaient des spécialistes de l’Afrique du Nord, et que le premier des deux était très marqué à gauche ?

     Les observations qu’elle consacre à cette dernière situation mérite d’être citée parce qu’elle caractérise toute son ambiguïté :

      «  Robert Montagne  est élu sans coup férir : c’est d’ailleurs le seul candidat à la chaire, son outsider, Jean Lecerf, n’ayant été sollicité que pour souscrire au règlement du Collège de France qui interdit théoriquement les candidatures uniques. Le poids du contexte politique de l’époque – la montée des revendications nationalistes dans les colonies – ainsi que l’orientation de Lucien Febvre vers une histoire « science sociale » contribuent donc à l’élection a priori paradoxale d’un sociologue à une chaire d’histoire. Ce faisant, cette élection sanctionne la double disqualification de l’histoire coloniale classique, tant politique qu’épistémologique

      Avec la nouvelle maison Les Editions Sociales  «  une contre-histoire coloniale est donc en train d’établir ses bases : elle va s’épanouir  quelques années plus tard. «  (p247)

     Question : est-ce que l’auteure est véritablement convaincue que ce nouveau cours de l’histoire est étranger au cours de l’histoire du monde et de France, et à la situation politique internationale et française, avec la présence de l’empire soviétique, l’URSS, et du PCF, son affilié, pour ne pas dire son inféodé.

     L’auteure cite l’exemple d’Henri Brunschwig, lequel « investit le champ de l’histoire africaine avec rigueur et ténacité », et c’est à mes yeux un bon exemple d’historien resté à l’écart des modes et des influences politiques de l’époque.

      « La prise de parole des chercheurs africains (p,250)

     … ils ont désormais accès à un espace éditorial spécifique, celui de Présence Africaine. L’intellectuel sénégalais Alioune Diop a en effet créé la revue en novembre 1947 et la maison d’édition en 1949. Son mot d’ordre est de lutter contre l’assimilation politique et culturelle et de donner aux écrivains noirs les moyens de s’exprimer et de se forger une identité propre… »

     Plus loin, l’auteure cite Cheikh Anta Diop :

     « Si Cheikh Anta Diop, au milieu des années 1950, ne parvient pas à ébranler sérieusement cette vison dominante (l’occidentalo-centrisme de la discipline), il se pose en pionnier d’une histoire émancipatrice : il prend à rebrousse-poil une historiographie coloniale forte de ses certitudes tout en proposant aux Africains un autre rapport à leur passé, fait de fierté et de dignité. Son influence va être déterminante à bien  des égards à partir des années 1960, parfois jusqu’au fourvoiement de certains de ses disciples qui pousseront les logiques afro centristes jusqu’à la caricature.

     Ce n’est pas cette stratégie de rupture qu’adopte Abdoulaye Ly, alors même que son travail d’historien recèle aussi, dans le contexte du milieu des années 1950, un fort potentiel de renouvellement de l’historiographie dominante. »  (p,253)

      Je rappelle qu’en 1956, fut appliquée la réforme Defferre, et qu’en 1960, le mouvement des indépendances était arrivé presque à son terme.

      « Mais au-delà de ces apparences, l’analyse de la colonisation en Afrique de l’Ouest entre, avec Aboulaye Ly, dans une nouvelle dimension : elle est étroitement articulée aux phénomènes mondiaux, et particulièrement au basculement du centre de gravité de l’économie monde vers la sphère atlantique à l’époque moderne. L’histoire coloniale anecdotique, penchée sur les moindres faits et gestes de tel ou tel obscur  administrateur ou tel audacieux voyageur, a vécu…. » (p,255)

       Ne s’agit-il pas du résumé un peu trop caricatural de l’histoire coloniale, qui, après tout, et faute de moyens, faute pour les historiens de métropole qui venaient de découvrir la richesse du travail des Annales, d’avoir eu le courage d’investir dans une autre histoire que celle chère aux universitaires d’alors, l’Antiquité, le Moyen Âge, les rois de France, les Révolutions, les Empires ou les République, en était réduite à la portion congrue ?

      « Les années 1930-1950, loin de consacrer le triomphe de l’histoire coloniale en France, sont au contraire celles de l’essoufflement et de la marginalisation, non seulement par rapport à une historiographie dominante imprégnée de l’histoire méthodique, mais également vis-à-vis de l’avant-garde historiographique du temps. Alors que la discipline s’est professionnalisée, constituant une communauté formée dans les mêmes moules universitaires et en position idéale de coupure avec le monde civil, censée placer l’historien au-dessus des débats partisans de son temps, l’ancrage de l’histoire coloniale dans le monde politique et dans celui des affaires lui donne une image d’amateurisme et d’engagement militant. Globalement, ses liens consubstantiels avec le projet impérial lui valent la suspicion des milieux universitaires et l’empêchent  d’affermir ses positions institutionnelles en métropole.. dans les territoires colonisés, malgré des moyens de recherche améliorés, le nombre des historiens reste limité et leur marge de manœuvre réduite… » (p,255)

      Question : ne s’agit-il pas d’une lecture par trop autoflagellante, compte tenu de l’écart gigantesque qui existait entre les deux mondes universitaires, pour autant qu’il ait été possible de comparer les deux, une comparaison qui aurait mérité  d’être mieux justifiée et mesurée?

     Essoufflement et marginalisation ? Est-ce que cela n’a pas toujours été le cas ?

    Engagement militant ? N’était-ce pas aussi le cas de Suret Canal et de Julien ? Et parallèlement des autres collègues marxistes de l’époque, en dépit ou à cause, et très rapidement, en 1947,  de la guerre froide et de la propagande de l’Union Soviétique et du Parti Communiste ?

       Le chapitre 6 contient un ensemble d’analyses souvent pleines d’intérêt, mais empreintes d’une certaine ambiguïté, tant il est difficile de naviguer dans le dédale de l’histoire et des histoires, avec des situations coloniales diverses et changeantes,celle de la situation métropolitaine, également changeante, et leur chronologie.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

L’enseignement de l’histoire coloniale en métropole et en Afrique : la pertinence historique des exemples cités par Sophie Dulucq dans son livre « Ecrire l’histoire coloniale de l’Afrique à l’époque coloniale »

            L’auteure aborde ce sujet au moins à deux reprises en examinant rapidement le cas de la métropole, et plus longuement celui de l’A.O.F

            Dans le premier cas, celui de la métropole, et sans citer le livre d’histoire Lavisse auquel l’historienne Coquery-Vidrovitch a fait un sort, de même, et plus largement encore, le collectif de chercheurs Blanchard, mais non démontré, comme je l’ai moi-même démontré dans mon livre « Supercherie coloniale », l’auteure s’inscrit dans le courant des chercheurs qui accréditent l’idée, et non le fait mesuré, que la France était sous l’influence de la propagande coloniale :

            « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la Plus grande France et celles de l’épanouissement d’une culture « impériale… » (page 209,210, note de source Blanchard et Lemaire)

            Elle note plus loin, mais de façon plus nuancée :

 « Une fois encore se pose la question délicate, en histoire de l’éducation, du décalage entre les instructions officielles, le contenu des manuels, les pratiques des enseignants et la réception des enseignements par les élèves. L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale » (p,223) (Note de renvoi Bancel)

           Pourquoi ne pas rassurer l’auteure, car le nombre de pages consacrées à « la Plus grande France » était très limité dans les petits livres d’histoire de Monsieur Lavisse ?

        Histoire de France Lavisse Cours Elémentaire 1930 10 et 9° : 182 pages, 24 chapitres, et dans le chapitre 22 « Les conquêtes de la France », 7 pages de la page 162 à 169

       Histoire de France Lavisse Cours Supérieur 1937, 408 pages, et dans le livre VI « L’époque contemporaine », une page et demie, pages 371 et 372

        Histoire de France Lavisse Cours moyen 2ème année (7°) certificat d’études, 1935, 343 pages, 35 chapitres, Chapitre XXXIII La Troisième République, page 318, page 319, deux photos, temple d’Angkor et campement de nomades dans le sud algérien, page 320 avec une carte de l’empire, plus 5 lignes à la page 321.

        Un test qu’il s’agirait naturellement d’effectuer de façon exhaustive.

      Quant à l’exposition continue des enfants aux images coloniales, il est possible d’en douter, alors que la France sortait à peine de la boucherie de la première guerre mondiale, et que toutes les familles du pays comptaient leurs morts ou blessés.

       Dans le cas de l’Afrique, l’auteure propose une analyse plus détaillée, mais qui concerne avant tout l’A.O.F :

     « Enseigner l’histoire dans les écoles africaines » (p,193)

      L’auteure relève: « C’est un aspect encore peu étudié par les historiens, qui mériterait des recherches plus approfondies. » (p,193)

    « Nos ancêtres les Africains » (p,193) (le lecteur aura sans doute été rassuré de ne pas trouver le cliché éculé de « nos ancêtres les Gaulois »)

     Sont alors décrits les efforts de l’administration coloniale pour développer l’enseignement de l’histoire, dès l’année 1903.

     « Il s’agit donc moins de familiariser les élèves avec l’histoire de France qu’avec l’histoire de la présence française en Afrique. Dès le rapport de Camille Guy en 1903, une idée est martelée par les pédagogues coloniaux : l’histoire de France n’est à envisager que du point de vue des « relations avec les différents pays de l’Afrique de l’Ouest », afin  de faire aimer la métropole et les Français et de faire comprendre les motivations des colonisateurs ».

    L’enseignement de l’histoire en 1903 dans une AOF créée de toute pièce huit ans plus tôt , non pacifiée ? Imaginez un peu ?

   Comment ne pas faire un petit rapprochement avec le travail des instituteurs de la Troisième République, et de leurs livres, dont l’ambition et aussi la réussite furent celles d’avoir aidé à la construction d’une nation qui n’existait pas encore à la fin du dix-neuvième siècle ?

     Plus loin, l’auteure évoque la publication « Le Tour de l’A.O.F par deux enfants », une initiative qui  ressemble étrangement à celle de Bruno avec son Tour de la France par deux enfants, deux initiatives parallèles qui connurent le succès.

     Cela dit, et quelques soient les interprétations historiques données à la scolarisation, il est évident que les effectifs des enfants scolarisés étaient faibles, qu’ils ne concernaient le plus souvent que les cités de la côte ou des chefs- lieux de l’hinterland, étant donné que la France, comme l’Angleterre, avaient décidé que le développement des colonies, et donc de l’A.O.F, et donc aussi de l’enseignement, devait être financé par les colonies elles-mêmes.

       Les choses changèrent complètement après 1945, avec la création du FIDES, mais en 1950, les taux de scolarisation étaient encore faibles : en Afrique occidentale, et pour une population scolarisable de 20% de la population, soit 3 millions d’enfants, 138 000 d’entre eux étaient scolarisés, soit 4,6%, dont 1,15% au titre de l’enseignement privé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 4

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

4

L’histoire coloniale en ses œuvres (p,119)
(c.1890 – c. 1930)

Question préalable :

« L’histoire coloniale en ses œuvres » ?

Ou plus rigoureusement l’historiographie coloniale en ses œuvres ?

« Aborder de l’extérieur cet objet culturel particulier qu’a été l’histoire coloniale , de façon en quelque sorte indépendante des contenus véhiculés, est une piste qui permet d’envisager cette historiographie à la fois comme production savante et comme construction politique et sociale ; bref, comme un champ scientifique structuré par un contexte particulier, par des enjeux internes et externes, par des ambitions  et des stratégies.

Mais il faut maintenant se pencher sur son contenu hétérogène … (p119)

Les premières études sont généralement le fait de non-historiens…

Dans ces conditions, le regard porté sur le passé ne peut qu’être influencé en profondeur par la situation coloniale. La subordination des peuples étudiés, les nouvelles finalités assignées à l’histoire de ces régions par la demande sociale, la position même de ceux qui se penchent sur le passé, déterminent profondément l’écriture historique…

Enfin, cette historiographie revêt-elle effectivement la dimension pratique qu’elle revendique au point de pouvoir être considéré comme un savoir appliqué, comme une véritable science coloniale. » (p,121)

Questions à l’auteure : «  histoire coloniale » ou « historiographie », comme je l’ai souligné ?

N’en aurait-il pas été de même, toutes proportions gardées, et leur écart était considérable à tous points de vue, des historiens de la Troisième République, ou plus récemment de ceux, marxistes, de la Quatrième République ?

« L’Afrique subsaharienne comme nouvel espace historique (p,121)

Deux pôles de curiosité : histoire de la geste coloniale et histoire « indigène »

Il s’agit donc bien de la « subsaharienne », mais avant tout de l’Afrique Française Occidentale.

Il s’agit bien aussi, et effectivement, d’un « nouvel espace historique » à défricher complètement, bien différent des espaces historiques très fréquentés par la classe noble des historiens de France ou d’Europe, de l’Antiquité au Moyen Âge, aux monarchies, et aux Républiques, pour ne pas parler des guerres.

L’auteure note justement :

« On ne saurait voir dans l’histoire coloniale qu’une historiographie triomphaliste glorifiant la seule civilisation européenne : il s’agit d’une production souvent hybride qui a contribué à sa manière à historiciser l’Afrique, à accumuler des connaissances positives, tout en forgeant des instruments de travail.

Comme le souligne Raymond Mauny en 1970 :

« Toute une lignée d’historiens…. N’ont pas attendu en effet l’ère des indépendances pour étudier l’histoire des Africains pour eux-mêmes et non en fonction de l’extérieur. » (p,123)

Je recommanderais volontiers aux chercheurs qui en doutent de fréquenter toute la littérature publiée, entre autres par de nombreux officiers et administrateurs, leurs carnets de route, leurs livres, pour s’en rendre compte, les Mage, Gallieni, Péroz, Binger, Baratier, Emily, Lyautey, le médecin de marine    Hocquard,  en Indochine, au Tonkin, ou à Madagascar …

L’auteure note toutefois :

« Bien sûr, l’existence d’une histoire africaine digne de ce nom est reconnue ici de façon alambiquée, condescendante et en grande partie sous forme négative (p,126) »

« Histoire « coloniale », « histoire indigène » : de la difficulté des classifications » (p,128)

« Tracer une stricte ligne de partage entre les écrits relevant de l’histoire de la colonisation et des textes relevant de l’histoire « indigène » s’avère souvent impossible. » (p,128)

« … Et l’on peut multiplier les exemples de ces travaux d’histoire « coloniale » qui par la tangente, abordent aussi des questions d’histoire « indigène »

« … A l’inverse, un ouvrage comme Haut Sénégal-Niger, qui est le parangon de l’histoire « indigène » du début du siècle, se termine par la conquête et l’organisation de l’AOF et intègre des problématiques d’histoire de la colonisation, faisant de la colonisation française une « fin de l’histoire » pour les sociétés ouest-africaines. » (p,129) (un livre de Delafosse)

« Entre logique scientifique et logique coloniale

« Une histoire au service de l’impérialisme national

« Un bon exemple de la constante interaction entre ces différents champs est fourni par l’introduction du livre de Charles Monteil, Les empires du Mali « (1929) (p,131)

«  Un des paradoxes de l’histoire coloniale est justement, on l’a évoqué, de se revendiquer une utilité politique au moment même où ses promoteurs travaillent à l’institutionnaliser et à conquérir les cercles universitaires. »  (p,132)

« Guidés par une foi solide dans l’œuvre coloniale et persuadés de contribuer à la grandeur nationale, les historiens spécialistes de l’Afrique ont bien sûr écrit une histoire imprégnée des valeurs de leur temps. » (p,135)

Question : n’en n’y-a-t-il pas toujours été un peu ainsi, même dans la période moderne où l’histoire pourrait beaucoup plus facilement se détacher des « valeurs de son temps » ?

A la condition de s’entendre sur les « valeurs » de la France du vingt-unième siècle ? Quelles sont- elles pour le courant des historiens nourri par la « matrice » algérienne ?

Anachronisme, ethnocentrisme involontaire ou volontaire et inversé, nombrilisme,  absence d’évaluation des faits et des effets, servilités idéologiques, toutes maladies qui n’épargnent pas certaines histoires du passé ou du jour

« Grilles de lecture, découpages, mises en intrigue (p,135)

« L’invention du passé de l’Afrique s’est faite à travers les grilles de lecture construites selon les préjugés politico-culturels de l’époque

Ce déterminisme historico-climatique, lointain rejeton de la théorie des climats de Montesquieu, est un écho indirect des conceptions de l’école de géographie coloniale fondées au XIX° siècle dans le sillage de Marcel Dubois . (p,137)

« … Confrontés à des sources qui révèlent de puissantes dynamiques passées ( conquêtes, émergence d’Etats, vitalité culturelle, etc.), beaucoup d’historiens vont essayer de concilier leur vison déterministe, statique et racialisante du passé africain avec la volonté de rendre compte des vastes mouvements de l’Histoire » (p,138)

Question : du déterminisme géographique ? Sûrement.

Le géographe Richard-Molard avait-il tort en parlant de l’ hyper continentalité de l’Afrique, avant l’arrivée des colonisateurs, du facteur clé des climats extrêmes, de la nature des terres, de la grande diversité des peuples et les dialectes qui y existaient, etc… ?

D’après l’auteure, l’époque actuelle pourrait être indemne de « préjugés politico-culturels » ?

« Un autre biais bien identifiable de l’histoire de la période coloniale réside en effet dans l’ethnocentrisme récurrent des analyses, qui fait chausser aux historiens des lunettes européennes pour examiner le passé africain. » (p,139)

« … Les œillères ethnocentriques rendant parfois difficiles la réflexion sur un certain nombre de phénomènes historiques tels que la modernisation précoloniale de l’Imerna. Incapables d’en rendre compte de façon satisfaisante, des auteurs, comme Martineau et Grandidier affirment, contre toute vraisemblance, que l’histoire malgache a commencé avec les Européens, que les Merina ne pourront être intégrés au devenir historique que du jour où il seront pleinement assimilés à la civilisation européenne. «  (p,141)

Question : « œillères ethnocentriques » ? Est-ce si sûr dans le cas de Madagascar, en 1895 ?

Aucune route ! Un seul moyen de transport, l’homme (filanzana et bourjanes), la cour royale qui communiquait avec ses gouverneurs provinciaux au moyen de coureurs à pied, les tsimandroa ? etc, etc…

Avec un saut dans l’histoire postcoloniale, celle des idées ou des faits interprétés, une sorte d’ethnocentrisme inversé, comme je l’ai observé dans mes analyses approfondie des livres du grand historien des idées que fut Edward Said ? Un biais très difficile à éviter !

Pour ne pas parler des chercheurs qui veulent à tout prix, et par humanitarisme ou idéologie, proposer une lecture postcoloniale de cette période, sans trop se préoccuper de leur pertinence scientifique.

« Une autre structure latente des récits historiques de la période consiste à lire l’histoire africaine, comme une construction (évidemment imparfaite et inaboutie) de l’Etat et de la nation. » (p,141)

Ai-je jamais rencontré ce thème de l’Etat nation dans tous les récits que j’ai lus ou annotés?  Jusqu’à la décolonisation ? Alors que les anciennes colonies devenues des Etats nations ne ressemblaient aucunement à ce qu’on appelle des Etats nations.

Pour autant du reste que la monarchie anglaise ait pu être regardée comme un Etat nation, ou l’Allemagne des Kaysers, puis des nazis.

La « construction » dénoncée n’est-elle pas le fait de l’histoire postcoloniale ? Les travaux de Frederick Cooper soulèvent ce type de difficulté.

Les soi-disant Etats Nations sont issus des Etats coloniaux et leur reconnaissance internationale portait sur leur nouvelle nationalité commune reconnue, et pas du tout sur celle de leur état de nation.

« Une lecture orientée : la Vue générale de l’histoire de l’Afrique de Geoges Hardy (p,142)

L’ouvrage de Georges Hardy déjà évoqué à plusieurs reprises fournit un bon exemple de lecture « coloniale » du passé et mérite qu’on s’y attarde un instant….

On le constate, la Vue Générale contient tous les ingrédients propres à l’histoire écrite à cette époque. En même temps, elle ne peut pas être réduite à un simple catalogue de notions dépassées. Avec ce petit manuel, Hardy renforce sans aucun doute le sentiment communément partagé de la supériorité européenne ; mais il combat aussi un certain nombre d’idées reçues ( l’a-historicité, l’anarchie, les « rois nègres ») et met à la disposition du public cultivé des éléments de connaissance qui sont ceux de son époque….Là, comme en d’autres domaines, l’histoire de l’Afrique rédigée à la période coloniale nage en pleine ambiguïté. » (p,145)

Questions : lecture « coloniale », comparée à d’autres lectures beaucoup mieux outillées, les lectures « antiques », « monarchiques », « républicaines », « marxistes », « humanitaristes » ? Il me semble que l’histoire a toujours eu beaucoup de peine à échapper à « l’ambiguïté », mot que j’ai souligné.
            Ajoutons qu’il aurait été particulièrement intéressant de connaître et de pouvoir évaluer  ce « public cultivé ».

« Imagination et  fantasmagories (p,145)

La phrase de la fin de ce paragraphe parait un peu réductrice, sinon péjorative :

« On le voit, les historiens coloniaux n’ont pas été en peine d’imagination quand il s’est agi d’interpréter le passé ou de pallier les insuffisances de documentation. »

Question :  en plein désert ou en pleine brousse ?

« L’histoire comme science coloniale ? (p,149)

Avant tout commentaire, j’ai envie de dire est-ce que l’histoire est une science, laquelle ferait toujours preuve  de pertinence scientifique ? Non !

Une histoire instrumentale

« … Après la conquête de Madagascar et l’effondrement de l’appareil d’Etat merina, les colonisateurs et les scientifiques s’intéressent de près au passé malgache ? D’importants travaux de recherche et de publication sont lancés et les progrès dans la connaissance des populations et de leur histoire trouvent des applications dans les pratiques administratives…. La volonté d’inscrire la colonisation dans le passé « traditionnel» est manifeste »

Question : est-ce que la formulation même de cette opinion ne traduit pas une lecture anachronique ? Un « appareil d’Etat  merina », c’est beaucoup dire, mis à part le cas des plateaux. « d’importants travaux de recherche et de publication », c’est beaucoup dire aussi en comparaison de ceux qui étaient lancés en métropole.

« … les récits de l’épopée coloniale sont révélateurs d’une forme presque inconsciente d’instrumentalisation du passé….L’articulation entre pensée historique et politique se fait aussi à un autre niveau. Un va-et-vient existe entre la mise en récit des historiens, certaines théories coloniales et certaines pratiques de terrain…. » (p,151)

Question : de quelle période parlons-nous et de quels historiens alors que carnets de route ou livres publiés sur la première période de 1880 à 1914, n’étaient pas le fait d’historiens professionnels ? Et pourtant, les Gallieni, Lyautey, Péroz, Binger, Baratier ou Emily faisaient aussi de l’histoire !

« Un miroir des connaissances scientifiques (p,152)

Comme l’a montré Pierre Bourdieu, tout champ scientifique « enferme de l’impensable, c’est-à-dire des choses qu’on ne discute même pas. (…) autrement dit, le plus caché par un champ, c’est ce sur quoi tout le monde est d’accord, tellement qu’on n’en parle même pas, quelque chose qui est hors de question, qui va de soi. Dans ces conditions, on peut comprendre non seulement les conditions sociales de l’erreur – qui est nécessaire en tant qu’elle est le produit de conditions historiques, mais aussi appréhender en creux ce qui, compte tenu de l’appareillage conceptuel du temps, est littéralement impensable.

Or les historiens coloniaux sont enserrés dans tout un système de connaissances du monde auquel ne peut échapper l’histoire qu’ils écrivent. La certitude longuement partagée qu’il existe des races humaines aux aptitudes inégales, la croyance en une évolution linéaire des sociétés humaines, l’explication des faits de civilisation par le milieu et /ou le climat, la conception méthodique des rapports de l’historien au passé, tout cet ensemble conceptuel, étayé par le consensus scientifique, fabrique à la fois de de l’impensable et de l’impensé.

Dans le domaine de l’historiographie, l’histoire méthodique, qui s’est imposée depuis la fin du XIX° siècle à l’Université et à l’école, présente des caractères généraux qui rejaillissent également sur l’historiographie d’outre-mer… Née dans l’humiliation de 1870, l’histoire méthodique assume également une dimension nettement nationaliste, encore amplifiée avec la guerre de 1914-1918. Dans ces conditions, on ne peut guère s’étonner du caractère nationaliste, voire cocardier, qui prévaut dans toute l’histoire de la colonisation. Enfin, sur le plan méthodologique, l’histoire de Langlois et de Seignebos, dont les promoteurs prétendent qu’elle vise essentiellement à établir des « faits » est grande consommatrice de documents écrits, d’archives bien classées, de bibliographies, de chronologies et d’éditions savantes. On privilégie l’histoire militaire, politique et institutionnelle, cette histoire événementielle qui sera tant décriée par la première génération des Annales. (p,153)

Commentaire : Une réflexion de Bourdieu appliquée au domaine historique en question ?

L’auteure compare-t-elle des objets comparables ? A des époques comparables ?

L’historien Brunschwig fait- il partie de la cohorte cocardière de « toute l’histoire de la colonisation » ?

Plus loin l’auteure remarque justement :

« La lenteur dans l’acquisition des connaissances sur l’ensemble du continent est sans doute pour beaucoup dans la vision cloisonnée de l’histoire et de la géographie africaine, que les grandes synthèses n’arrivent pas véritablement à dépasser. » (p,155)

J’ajouterais volontiers une « vision » tout à fait décalée, compte tenu de l’écart gigantesque qui existait alors entre les moyens disponibles dans chacune des situations coloniales, avec leur propre chronologie, selon les époques, et ceux de la métropole.

Plus une vision effectivement cloisonnée, compte tenu tout à la fois des contraintes climatiques, géographiques, culturelles, et ethniques.

Pourquoi ne pas poser une des questions qui me brûle les lèvres depuis le début de cette analyse ? Combien d’historiens professionnels agrégés dans cette discipline historique, combien de chaires d’université ? Quelle était la catégorie d’histoire qui intéressait les meilleurs ?

Alors, oui, et en résultat

« Du savoir malgré tout

«  Au bout du compte, si l’histoire coloniale est un savoir hybride et ambigu, c’est parce qu’elle s’articule sur deux champs : le champ de l’action coloniale et le champ de la connaissance scientifique » (p,156)

L’auteure fait référence à une analyse de François Pouillon qui concerne le sud tunisien, mais est-ce que ce champ historique est comparable aux champs des autres Afriques ?

L’auteure note : « Les biais en sont décelables, récurrents, parfois fastidieux tant les procédés en sont répétitifs. Elle doit être examinée non seulement dans le cadre du projet colonial et de ses logiques, mais également replacée dans le contexte scientifique de l’époque et resituée dans le consensus national autour de la mission colonisatrice de la France. 

Cela dit, l’histoire « indigène » et l’histoire de la colonisation n’offrent pas de discours homogène et univoque sur le passé africain, la première adoptant un point de vue afro-centré de façon très précoce. Il y a plus qu’une nuance entre les articles érudits de tel ou tel spécialiste rigoureux et les élucubrations babylomaniaques de quelques visionnaires. Pour autant, il est clair que la volonté de connaitre a été étroitement liée à la volonté d’administrer, selon la dialectique savoir/pouvoir chère à Foucault. Et c’est justement parce qu’il y a du savoir dans ce pouvoir que l’on se trouve dépourvu face à cette historiographie »  (p,159, 160)

Pourquoi ne pas faire part d’une impression de discussion sur le sexe des anges de l’histoire ? Comme si les « histoires » n’avaient pas été le plus souvent conditionnées par les contextes historiques de savoir et de pouvoir, églises, monarchies, empires, républiques, et ce, jusqu’à nos jours avec certains courants de l’histoire postcoloniale qui tentent de peser sur l’exercice des pouvoirs de notre République, en jouant avec les médias ou l’opinion ?

L’histoire postcoloniale échapperait de nos jours aux intellectuels issus de la « matrice » algérienne ou maghrébine, au rôle des associations d’origine immigrée, ou tout simplement au marché, celui des éditeurs notamment ?

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq 3

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

3

Sources et objet de l’histoire coloniale de l’Afrique

Usage empirique et pratiques raisonnées (p,85 à 118)

(c.1890 – c.1930)

Avant toute analyse ou tout commentaire, j’ai envie de poser la question : est-ce que dans ce type de débat, le chercheur compare des choses comparables, en termes de sources, de chronologie, et de pertinence scientifique ?

Dans notre pays, les chercheurs ont mis beaucoup de temps à accepter des méthodes de recherche, d’analyse, et surtout d’interprétation, qui donnent un cachet d’objectivité à leur travail, pour autant qu’il soit d’ailleurs possible d’atteindre un tel résultat.

A notre époque, en disposant de moyens de recherche et d’analyse sans commune mesure avec ce qui existait dans l’Afrique de la fin du dix-neuvième siècle, et encore dans celle de la première moitié, pour ne parler que de l’Afrique noire française, certaines des théories historiques postcoloniales développées, entre autres par tel ou tel collectif de chercheurs,  manquent de pertinence scientifique, faute d’évaluation des résultats des recherches.

A lire ce type de récit, la question se pose de savoir s’il s’agit d’histoire des idées ou des faits, car dans l’histoire des idées, en dehors d’une mesure possible de l’effet des idées, la voie est ouverte à toutes les imaginations et constructions possibles.

Revenons à présent sur le chapitre 3 :

La bonne question de départ :

« Une question cruciale conditionne la possibilité d’écrire l’histoire coloniale : celle de la collecte documentaire. Celle-ci prend d’ailleurs une  dimension toute particulière en Afrique subsaharienne, réputée sans écriture. La récolte des sources, leur inventaire, leur conservation mobilisent donc les historiens et les administrateurs, dans un effort conjoint pour préserver les traces du passé. Mais au-delà de l’intérêt intrinsèque du phénomène de la quête documentaire, le discours sur les sources traduit aussi les prises de position de la communauté historienne sur les objets qu’elle construit. » (p,85)

Questions : l’objet de cette étude concerne-t-il uniquement l’Afrique noire française subsaharienne, « réputée sans écriture », sans distinguer entre le Sahel et la forêt, entre l’Afrique « musulmane » et l’Afrique « animiste » ?

Avant les années 1920, est-il possible de parler de « communauté historienne » en AOF ? Et peut-être même après ?

« L’organisation des archives de la colonisation »

« Le classement des archives coloniales métropolitaines : la grande affaire des années 1910 » (p,86)

Je précise tout d’abord, au Ministère des Colonies, de création récente, disposant de peu de moyens, et n’attirant pas spécialement les hommes politiques les mieux placés.

Il est évident que cette ambition avait un double but, un usage concret pour l’administration coloniale, en même temps que la conservation et l’exaltation de la mémoire de l’empire.

Le paragraphe de la page 90 l’illustre bien :

« Il parait donc un peu réducteur de considérer le classement des archives coloniales comme une opération purement utilitariste et colonialiste, et d’affirmer que les considérations diplomatiques ou politiques ont été prépondérantes dans cette opération. S’il en était ainsi, le classement des années 1910 interviendrait bien tard par rapport au grand moment du dépeçage du continent par les Européens – dans les années 1890 plutôt que dans les années 1910. Ensuite, si la dimension instrumentale des archives est indéniable – on sait bien qu’elles n’ont pas été classées principalement pour l’historien -, elle n’est pas univoque ; le mouvement archivistique de l’Etat moderne répond autant aux besoins réels des administrations qu’à l’émergence d’une certaine conception du passé et du patrimoine national. » (p,90)

Un seul commentaire qui pourrait servir de leitmotiv de ma lecture, le constat que fait l’auteure « Il parait donc un peu réducteur… » à l’adresse des chercheurs qui tiennent le discours en question, un discours qui se déroule dans un éther historique, qui n’était évidemment pas celui de l’Afrique occidentale, longtemps après les années de la conquête.

Comment ne pas remarquer d’ailleurs qu’ils devraient être bien contents que la puissance « colonialiste » ait mis à leur disposition ces outils de recherche, alors qu’il n’existait rien de ce genre à l’époque, et en espérant qu’après la décolonisation, le même effort ait été poursuivi ?

« Sauvegarder et classer les archives dans les colonies » (p,90)

Quoi et où ? A Dakar, où la bureaucratie commence à être puissante, trop puissante ? Ou dans la brousse, dans la savane ou dans la forêt ?

« A tous les changements d’administrateur, chaque dépôt doit être scrupuleusement repris et enrichi, tandis que de nouvelles règles d’archivage instituent une uniformité du classement d’un territoire à l’autre, malgré une complexité certaine (20 séries générales). » (p,93)

A lire ce genre de texte, on oublierait presque qu’il n’y avait que 120 cercles dans une Afrique occidentale immense, à peine créés, que leurs titulaires changeaient souvent, et que la conservation des archives devait être le cadet de leurs soucis, alors que leur mission essentielle était de mettre en place les premières infrastructures de la nouvelle administration.

Pour avoir eu l’occasion de voir comment l’administration coloniale fonctionnait au Togo, territoire plutôt gâté, je n’en ai pas retenu le souvenir que la conservation des archives l’ait beaucoup préoccupée, dans les années 1950, et non dans les années 1890-1930.

C’est la raison pour laquelle, il parait surprenant qu’il soit possible d’écrire :

« L’A.O.F entre donc dans l’ère de l’archive sur des bases comparables à celles de la métropole » ? Dans les chefs-lieux peut-être, mais ailleurs ?

« Quelles archives pour quelle histoire ? » (p95)

« C’est une vision particulière de l’histoire  – celle de l’administration coloniale comme celle des archivistes ou des historiens – qui se révèle à travers la valorisation de certaines archives » (p,95)

Un constat qui parait tellement évident, mais combien d’informations utiles figurent dans des comptes rendus d’opération, de pacification, ou d’administration de terrain ?

« On ne s’étonnera donc pas de voir les historiens ou les archivistes coloniaux se délecter de la sauvegarde de documents relevant de ces domaines exclusifs », c’est-à-dire, le politique et le militaire.

J’ai souligné le terme se délecter, car il détone un peu dans ce type d’analyse : des archives à ce point « délectables » ?

 « Cet intérêt pour les sources écrites locales n’est pas totalement nouveau ; il est à replacer dans la lignée de l’érudition orientaliste, et plus particulièrement arabisante… » (p,97)

Effectivement, mais en notant que ces sources n’existaient que dans les pays d’écriture, avec la restriction du nombre très restreint de lettrés qu’elles concernaient, mais absolument pas dans les régions de tradition orale, au sein desquelles les sources étaient entre les mains des griots, et donc à la gloire de… pour simplifier.

L’auteure cite le cas des archives d’Ahmadou, mais il convient de préciser qu’il s’agissait d’un des Almamy musulmans qui ont régné successivement sur le Niger.

Il serait tout à fait intéressant de savoir comment le sultan Ahmadou rendait compte de la bataille très sanguinaire de Toghou, en 1865, en comparant son compte-rendu à celui de Mage qui y fut plus qu’un témoin, un bon exemple de cette histoire des batailles, la catégorie de l’histoire dans laquelle certains chercheurs voudraient enfermer l’histoire coloniale des débuts de la colonisation.

L’auteure note par ailleurs :

« Cette distance calculée reflète bien une posture ambivalente assez commune : une curiosité avide pour les sources écrites africaines et, dans le même temps, une utilisation européocentrée – on pourrait presque parler de narcissisme documentaire – et généralement des interprétations dépréciatives. On retrouve cet intérêt condescendant au détour de maints textes, comme dans le compte-rendu de la publication d’une source africaine par Henri Labouret en 1929. » (p,100)

A titre d’exemple, pourquoi ne pas rappeler 1) que Gallieni qui fut un des premiers partenaires et adversaires d’Ahmadou débarqua en Afrique sans rien connaître de ce continent, à l’exemple de ses collègues officiers. Le récit rigoureux de ses « aventures » vaut sans doute largement certains discours historiques de spécialistes.

2) que les récits faits par Eugène Mage sur les guerres que faisait alors Ahmadou, vrais ou faux, ne plaidaient pas vraiment pour un souverain éclairé et modéré.

«  La quête des traditions orales (p, 101)

Comment ne pas noter au départ que la problématique de la tradition orale concernait à la fin du dix-neuvième siècle, et longtemps plus tard une grande partie de l’Afrique noire ? C’est dire la difficulté du sujet.

L’historien Person, ancien administrateur colonial, a réalisé une véritable somme de plus de deux mille pages sur Samory et son empire dyula, en exploitant au maximum les traditions orales existant encore dans le bassin du Niger (enquête effectuée dans les années 1950-1960), mais après avoir lu cette somme, en avoir comparé certains passages à d’autres sources, je ne suis pas convaincu que ce type de travail historique ne se soit toujours inscrit dans les prescriptions d’une histoire méthodique étrangère à toute idéologie ou parti pris.

L’auteure note par exemple :

«  Dans le cas des grands empires d’Afrique occidentale et centrale, qui n’ont guère laissé de traces écrites , « cette absence d’archives ne signifie pas, cependant, que nous nous trouvions là en présence de siècles vides ou  de civilisations tout à fait inférieures ; on peut agir intensément sans écrire beaucoup, et les grandes époques ne sont pas nécessairement celles où l’intelligence, au sens ordinaire, que nous donnons à ce mot, s’épanouit plus largement. Il existe ainsi des annales, mais qui « sont ou étaient héréditairement et exclusivement dans la tête des annalistes. Prêtres, griots, femmes », dépositaires de l’histoire locale, sont des «  historiologues de métier et non point des conteurs de légendes à la façon de nos grand-mères » (p,102)

Les citations soulignées sont de la plume de Georges Hardy, un des historiens coloniaux souvent contesté.

L’auteure évoque ensuite le cas des localisations archéologiques :

«  Certains ont également tendance à appeler à la rescousse les « traditions » afin de corroborer une localisation archéologique floue, d’étayer une interprétation un peu fragile. » (page 106)

Avec l’exemple de l’emplacement de Mali, ancienne capitale de l’empire mandingue.

Autre explication :

« Il est intéressant de constater que les sources orales sont ici réintégrées dans une vision nationaliste de l’histoire, conforme aux grandes orientations de l’historiographie méthodique du début du siècle, avec ses griots vus comme les gardiens d’une histoire/mémoire « nationale ».(p107)

Question : est-ce que des historiens ont pu confronter par exemple les traditions rapportées par les griots connus de Samory avec celles des Royaumes Bambaras qu’il combattit ?

L’auteure note à juste titre qu’une réflexion critique a existé assez tôt sur la fiabilité des sources orales, et qu’elle n’a pas attendu la période des indépendances.

« Selon Hardy, ce sont des biais autrement gênants qui fragilisent l’usage des sources orales. D’abord l’accès aux traditions vraiment authentiques reste limité, car elles sont gardées secrètes, par méfiance ou pour préserver le statut social de ses détenteurs ; l’Européen n’a parfois affaire qu’à des versions mensongères dans leur déformation sous l’influence de la culture occidentale, via les jeunes générations formées à la française. » (p109)

J’ajouterai volontiers que l’ignorance par la plupart des européens des langues ou dialectes alors pratiqués, très nombreux, faisait peser un soupçon de plus sur la fiabilité des « truchements » de toute origine et de toute nature auxquels ils faisaient appel.

« On le voit, une réflexion critique s’ébauche dès les années 1920 et porte sur des aspects aussi subtils que la fragilité de la notion de « tradition », ( la projection du présent sur le passé), l’importance de la position de certains dépositaires (courants concurrents), l’analyse des déformations subies du fait de l’occidentalisation et de la mise par écrit. Elle identifie également très tôt les biais introduits par l’’enquête (Questionnaire orienté, position hiérarchique de l’enquêteur…) ainsi que les chausse-trappes qui guettent  l’interprétation (ethnocentrisme, anachronisme) » (p112)

Est-on vraiment sûr qu’à l’heure actuelle, et dans l’histoire postcoloniale, le travail des historiens ne souffre pas également, alors que les échelles de moyens n’ont rien à voir avec celles de ce passé colonial, tout à la fois d’anachronisme, d’ethnocentrisme inversé, ou d’insuffisance des contrôles exigés par la pertinence scientifique des travaux effectués ?

L’auteure pose la question :

«  Et au fond les historiens n’ont pas véritablement été capables de se mettre d’accord sur un point central : la définition de ce qu’était ou de ce que devait être une authentique «  histoire coloniale. » (p,115)

Je vous avouerai que ce type de débat me dépasse un peu, car à mes yeux, il ne se situe pas complètement sur le terrain des situations coloniales de cette Afrique à peine découverte, à peine administrée, laquelle avait bien d’autres chats à fouetter que de se préoccuper de ses archives qu’elle avait déjà beaucoup de mal à sauvegarder.

Pourquoi ne pas rappeler que dans un contexte moderne, celui des administrations préfectorales des années 1980-1990, les archivistes de métier avaient bien du mal à définir les papiers qu’ils souhaitaient pouvoir conserver, – ce qui était important ou ce qui ne l’était pas – et que les administrations de l’époque avaient de leur côté bien du mal à stocker leurs papiers ? Il est vrai que le volume du papier n’était pas tout à fait le même.

Pourquoi ne pas vous transporter par exemple dans le Dakar de la fin du dix-neuvième siècle, nouvelle capitale d’une AOF créée de toute pièce en 1895, et dans la forêt de Côte d’Ivoire, une région de tradition orale, dans les années 1910-1914, en pleine pacification violente, pour vous poser ce type de question ? 

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Les trésors d’art de la Cour de Béhanzin Dahomey 1894 – Le Monde des 3&/07 et 1/08/2016

Les trésors d’art de la Cour de Behanzin

Dahomey 1894 (Bénin)

En réponse à la chronique du journal Le Monde des 31 juillet et 1er août 2016 (page 22) intitulée :
« Et si l’on rendait à l’Afrique son patrimoine ? »
Par Serge Michel
Et pourquoi ne rendrait-on pas à l’Afrique son patrimoine ?
Une nouvelle mission pour le CRAN ?

         Le journal a publié une série de 6 chroniques sous le titre général

               « Un art victime du mépris raciste »

         La première chronique avait pour intitulé :

           La ruée vers l’art 1/6 « Le Monde revisite l’histoire des artistes et des œuvres issus du continent africain. Au commencement, l’art « nègre ».

         Le contenu de la sixième  chronique, intitulée comme indiquée plus haut,  était précédé du commentaire ci-après :

        « La ruée vers l’art 6/6 Récupérer les œuvres africaines dispersées dans le monde entier est un casse-tête, tant les résistances sont nombreuses. Le Bénin a formulé une demande officielle de restitution auprès de la France. »

         Cette chronique fait le point de la situation en prenant l’exemple du Bénin et des objets d’art africain dont la France s’est saisie lors de la prise d’Abomey et de la destitution du roi Béhanzin en 1894.

          Pourquoi pas ? Mais il faut aller plus loin dans la réflexion sur un sujet aussi passionnant pour tous ceux qui n’ont jamais caché leur admiration pour l’art africain en général et les trésors de la Cour d’Abomey en particulier.

              La chronique en question fait le constat des grandes difficultés que le Bénin rencontre déjà pour sauvegarder son patrimoine, face aux moyens que détient de nos jours le musée du Quai Branly pour le préserver, et en faire bénéficier la clientèle internationale (africaine y compris) qui fréquente ce musée.

             Le journal fait un sort à l’opinion du président actuel du CRAN, le Conseil Représentatif des Associations Noires dont le combat porte sur la discrimination, et sur les réparations à verser aux peuples ravagés par l’esclavage.

            Le cas du Bénin est incontestablement emblématique.

           Comment proposer une comparaison historique comme celle qui suit ?

          « Vous imaginez si les Français devaient aller en Allemagne pour voir les reliques de Saint Denis ou le sceptre de Charles VI ? »

           Béhanzin fut un roi esclavagiste et sanguinaire, et ses rois voisins furent bien contents de le voir défait, tant ils souffraient des razzias d’esclaves et des sacrifices humains qu’il pratiquait sur leurs sujets.

          L’article évoque justement le travail de collecte d’objets de Mme Zinsou, et notamment des « jarres en cuivre qui servaient à recueillir le sang des sacrifiés de la cour d’Abomey ».

        Ah ! Bon ! A la Cour de Béhanzin, à la fin du dix-neuvième siècle, on pratiquait encore  des sacrifices humains d’Africains razziés dans les royaumes voisins ?

        Il est à peu près certain que la planète entière  serait privée du plaisir d’admirer les belles pièces de l’art africain si elles ne s’étaient pas retrouvées d’une façon ou d’une autre dans les collections occidentales, et il est possible de se poser la question – à lire cette chronique – de savoir si le patrimoine concerné aurait des chances de résister à toutes les menaces qui pèsent sur sa sauvegarde.

         La chronique décrit l’état lamentable du musée d’Abomey et sa faible fréquentation, et les associations noires devraient se féliciter de voir préservée une partie de leur patrimoine du passé, tout en notant, à titre de consolation sans doute, que le Musée de la Cité de l’Immigration, ne fait pas beaucoup mieux dans sa fréquentation parisienne, en dépit des petits flux de visiteurs qui lui viennent du monde scolaire.

        Faute de mécènes pour remettre à flot ce musée, il est clair que le CRAN aura peut-être de la peine à demander des réparations aux descendants d’un roi esclavagiste qui a saccagé et dépouillé ses royaumes voisins, afin de remettre à l’honneur les trésors du personnage royal en question.

        Mais après tout, si les citoyens du Bénin, par une délibération unanime de leur Assemblée Nationale, exprimaient leur désir de les voir faire retour, vers leurs terres d’origine, pourquoi ne pas leur donner satisfaction ?

         Pourquoi ne pas enfin clore cette petite réflexion en évoquant le risque que certaines associations noires mesurent peut-être plus que d’autres, c’est-à-dire replacer des objets que nous classons dans l’art, – tel la statue du dieu de la guerre Gou -, mais dont certains n’ont pas perdu leur signification religieuse et magique, dans le contexte d’origine des nombreuses divinités qui habitaient le monde dahoméen de l’époque, divinités d’un monde invisible qui n’a peut-être pas perdu de son influence bénéfique ou maléfique ?

         Est-ce que des spécialistes du sujet ne conseilleraient-ils pas de vérifier que certaines des pièces d’art religieux dont le CRAN porte la revendication, une fois de retour dans leur région d’origine, ne seraient pas à nouveau l’objet de tentatives de maraboutages ou d’envoûtements ?

Jean Pierre Renaud

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq- 2 – « Les voies étroites de la légitimité savante »

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

2

Les voies étroites de la légitimité savante

(c.1890-c.1930) (p,61- 84)

            A lire les pages consacrées à ce sujet, l’adjectif « étroites » parait tout à fait approprié, et j’y ajouterais volontiers l’autre adjectif de « peu convaincantes ».

           « La reconnaissance par les pairs de leur domaine de prédilection est la grande affaire des historiens coloniaux durant la période 1890-1930. Les spécialistes de la question déploient des efforts continus pour conquérir leur légitimité en dehors des sphères strictement coloniales et assurer à leur spécialité une place au sein  des instances savantes. Car si l’histoire des colonies a été laissée à des amateurs ou à quelques spécialistes en marge de l’université, c’est que longtemps, elle n’a pas permis d’envisager une  carrière au sein de l’Alma Mater. Or, à partir des années 1890-1900, ses promoteurs tentent d’occuper le terrain universitaire, de s’infiltrer dans diverses institutions – à la Sorbonne, à l’Ecole libre des Sciences politiques, aux Langues Orientales, à l’Ecole coloniale et dans ses classes préparatoires de lycée, et même au Collège de France » (p,61)

            Question : est-il possible chronologiquement, et compte tenu des situations coloniales de l’Afrique noire, de choisir comme point de départ l’année 1890 ? Je ne le pense pas.

           Plus loin, l’auteure intitule son texte :

         « Tisser les liens de la sociabilité politico-scientifique » (p,63)

         Puis, arrive au cœur du sujet :

       «  Des postes, des chaires, des institutions » (p,66)

      « … De la Sorbonne au Collège de France : au cœur du dispositif universitaire… (p,67)

        Oui, mais avec quels résultats, en comparaison du nombre de postes, de chaires dévolues aux autres disciplines historiques ? A la Sorbonne et dans les autres universités françaises ?

         L’auteure cite la création « politique » d’une chaire au Collège de France en 1921, alors que le Collège en comptait alors quarante, et y a recensé entre 1901 et 1939, 91 enseignants, dont sept d’entre eux avaient une relation avec le monde colonial, mais principalement celui de l’Afrique du nord.

          « … Dans le cas de la Sorbonne comme dans celui du Collège de France, l’introduction de l’histoire coloniale dans le saint des saints de l’Université s’est faite en force, avec toute la puissance de financement et de persuasion des milieux politico- coloniaux, et sans grand enthousiasme –c’est un euphémisme- de la part des prestigieuses institutions concernées. ..

          La prise plus ou moins durable des deux citadelles du Quartier Latin est cependant une étape importante dans la quête de légitimité de l’histoire coloniale en général, et indirectement de son sous-champ africain » (p,72)

             Un texte qui laisse un peu rêveur, compte tenu des expressions utilisées « en force », « sans grand enthousiasme – c’est un euphémisme – », « la prise plus ou moins durable des deux citadelles » 

         J’écrirais volontiers que l’histoire coloniale, en dépit de ces efforts, est restée à proprement parler un des « sous-champs » de l’histoire, et ce type de récit démontre, une fois de plus que contrairement à ce que certains chercheurs à la mode voudraient nous faire croire sur l’existence d’une France coloniale, elle n’avait pas beaucoup d’adeptes, même dans les universités.

        « Exister sur des scènes multiples » (p,72)

          L’auteure cite tout d’abord l’Ecole coloniale qui n’a véritablement existé qu’à la fin du siècle, mais dont on ne peut pas véritablement dire qu’elle a révolutionné la place de l’histoire coloniale, et les autres exemples cités non plus.

       « Une réussite en demi-teinte ? » (p80)

        Est-ce que l’appréciation ci-après répond à cet intitulé, ainsi que les textes qui suivent ?

      « La stratégie d’institutionnalisation et de légitimation savante s’avère en grande partie payante puisque dans les années 1930, le domaine dispose de revues, d’une chaire au Collège de France, d’un enseignement diffusé par de multiples canaux. Le temps est favorable à l’idée impériale et cette faveur rejaillit sur l’histoire qui rencontre une curiosité certaine, et donc des lecteurs potentiels. » (p,80)

       Une stratégie ? Vraiment ? Initiée par qui ?

      « Faveur » ? Alors que Lyautey, un des responsables de la grande exposition coloniale de 1931, déclarait qu’en définitive, elle n’avait pas changé grand-chose dans l’opinion publique ?

       D’autres «  initiés » semblaient partager cette analyse avec les termes que j’ai soulignés :

        « Mais si l’histoire coloniale semble avoir gagné une certaine reconnaissance scientifique dans les années 1920-1930, ce n’est pourtant pas le sentiment de ceux qui en sont les principaux protagonistes. Selon Georges Hardy dans Les éléments de l’histoire coloniale (1921), l’histoire des colonies souffre d’un statut subalterne : face à l’histoire de France, elle se trouve dans la même position périphérique que les colonies vis-à-vis de la métropole. Et Georges Hardy ne cesse de plaider pour l’existence autonome de l’histoire colonialece qui prouve que cela ne va guère de soi.

         Alors que la discipline historique s’est dans son ensemble professionnalisée, constituant une communauté formée dans les mêmes moules universitaires et se perçoit de façon idéalisée en position de coupure avec le monde civil – l’historien au-dessus des débats partisans -, l’ancrage de l’histoire coloniale dans le monde politique et dans celui des affaires lui confère une double image d’amateurisme et d’engagement militant. La dimension idéologique de l’histoire coloniale et ses liens consubstantiels avec le projet impérial lui valent la suspicion dans les milieux universitaires de l’époque de sa production. Comment concilier en effet ces deux exigences incompatibles : siéger dans les sphères éthérées de la Science et servir le projet impérial ? Or historiens et géographes coloniaux ne cessent de revendiquer la dimension utilitaire de leur spécialité» (p,81)

          Pourquoi ne pas retenir l’expression de « statut subalterne » accordé à l’histoire coloniale, en y ajoutant une des expressions utilisées plus loin, sa « relative marginalisation » ?

       « Enfin, la relative marginalisation  de l’histoire coloniale est à rapprocher de celle qui frappe la géographie coloniale à la même époque : elle tient pour une part au statut de l’histoire et de la géographie sous la III ème République. Ces deux disciplines occupent certes une place centrale dans la diffusion du message républicain et national, mais c’est la connaissance du passé et du territoire de la métropole qui importe avant tout : « Le monde colonial n’est pas oublié, mais se trouve dans une position seconde, une sorte de prolongement de la France au-delà des mers dont il importe de connaitre l’existence mais pas au même point que celle de la mère patrie » » (p,83)

          Une formulation gentillette, pour ne pas dire que la métropole, même dans ses instances reconnues comme scientifiques, n’était pas encore imprégnée d’une culture coloniale ou impériale, telles que les ont décrites certains chercheurs postcoloniaux atteints du mal bien connu et trop répandu d’anachronisme, ou de carence en méthodologie statistique, au point que les universités françaises aient alors considéré le domaine colonial comme un  domaine sérieux.

        Il ne s’agissait pas uniquement  dans le cas d’espèce de « tâtonnements épistémologiques » (p,84), mais du constat que les colonies comptaient en définitive assez peu dans la société lettrée de la Troisième République .

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – Lecture critique I

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

I

Le moment colonial : une nouvelle donne historiographique autour de 1900 (p,29)

                            Comment ne pas remarquer que dès l’entrée, il s’agit bien d’une nouvelle donne historiographique, et non d’une nouvelle donne historique ?

                      Après avoir procédé à un rappel sommaire de quelques-uns des récits historiques antérieurs à 1900, «  L’invention du Soudan, de Léon l’Africain, à Heinrich Barth (milieu du XVIème siècle – milieu du XIXème siècle) », l’auteure ordonne son propos autour des concepts ci-après :

           « Nouveau contexte, nouveaux acteurs, nouveaux moyens : l’affirmation d’un champ scientifique en situation coloniale »

         « Une nouvelle configuration savante : quelle place pour l’histoire coloniale de l’Afrique » (p,37)

                   Sont décrits la complexité des relations entre disciplines, « la collusion entre cartographie et conquête coloniale est plus nette dans un premier temps… », le succès de la géographie coloniale : « La géographie coloniale bénéficie quant à elle d’une faveur publique grandissante et commence à investir les institutions du monde savant, tant à Paris qu’en province. »

             Plusieurs remarques : il ne faut pas perdre de vue qu’en 1900, en tout cas en Afrique noire française, c’est à peine si les colonisateurs commençaient à avoir une certaine connaissance de la géographie des lieux.

           « la collusion » : un mot étrange pour qui sait que toutes les « colonnes » militaires qui pénétraient pour la première fois dans ces territoires disposaient d’un officier topographe, faute de cartes géographiques.

         Ne s’agissait-il pas plutôt d’un nouvel acquis précieux pour l’Afrique ?

         Autre réflexion, il est évident que tout le travail de collecte d’informations nécessaires à la connaissance des milieux africains était indispensable à la bonne administration de ces territoires, un capital perdu pour les générations qui leur ont succédé ?

         « Faveur publique grandissante », cela reste à préciser, car les sociétés de géographie ne concernaient et ne touchaient qu’une petite éliteune toute petite élite.

        Les analyses faites posent d’ailleurs le même type de problème de mesure des phénomènes :

       « Cependant, au début de la IIIème République,  c’est l’ensemble de la discipline historique qui est en position conquérante ; elle se professionnalise tout en s’assurant une place de tout premier ordre dans les instances de l’Université comme dans les allées du pouvoir républicain… Les chaires se multiplient… » (p38)

       « A partir de 1890, les thèses d’histoire coloniale se font plus nombreuses, mais concernent encore quasi exclusivement les quatre « vieilles colonies… » (p40) 

        C’est effectivement tout le problème de la place de ce nouveau domaine « scientifique », à la fois dans les territoires coloniaux eux-mêmes, et au sein des universités françaises, alors que les institutions savantes crées par les autorités coloniales étaient de plus en plus nombreuses, entre autres pour la raison toute simple de leur intérêt pour une meilleure efficacité des administrations coloniales.

         C’est la raison pour laquelle il parait difficile de souscrire à nouveau au jugement de collusion qui suit :

      « Mais les exemples de collusion entre instances savantes et administrations en charge des questions coloniales sont également légion. » (p46)

       Il est tellement évident qu’il s’agissait moins d’une collusion que de la création de toutes pièces d’institutions savantes qui n’existaient pas avant la conquête et qui ont à la fois conservé un héritage culturel du passé et continué à emmagasiner de plus grandes connaissances sur tel ou tel territoire.

          Il parait tout de même difficile de tenir de tel propos « place de tout premier plan…les chaires se multiplient… les thèses plus nombreusessans donner la mesure statistique de cette évolution.

       Il s‘agit là d’une des critiques de base que j’ai faites à plusieurs reprises à l’encontre de certaines thèses postcoloniales qui souffraient d’une grave insuffisance de mesure statistique.

       L’auteure cite à plusieurs reprises le cas de l’Académie Malgache (créée par Gallieni), une institution qui a effectivement donné la possibilité d’une administration plus intelligente de la grande île, les critiques diraient du projet impérialiste de la France, mais en même temps, elle a conservé et transmis, en héritage,  un capital culturel  précieux.

      « L’exemple de l’Académie malgache (p,48)

       « L’Académie malgache est emblématique de l’intrication des intérêts sur le terrain, au carrefour du pouvoir et du savoir »

       Plus loin : «  L’Académie tire ses moyens de subsistance du pouvoir politique. »

       Observations : « intrication… du  pouvoir et du savoir », n’est-ce pas le plus souvent le cas ?

    « Moyens de subsistance » : j’aimerais savoir combien d’académies savantes de France ne tirent pas aujourd’hui encore leur subsistance du pouvoir politique.

    « Les chaires se multiplient » : au Collège de France ? Il y en avait quarante- trois dans les années 1900, et leur nombre  a été réduit à quarante en 1913.

       Il a fallu attendre l’année 1921, pour voir la création d’une chaire d’histoire coloniale au Collège de France, donc une sur quarante.

     Il serait donc utile de mieux éclairer ce type de débat en donnant très précisément la statistique chronologique des chaires d’histoire coloniale ouvertes dans les universités françaises  entre 1890 et 1960.

     « Interconnexions des réseaux et mélange des genres (p,51)

      Des historiens pour l’Empire : un idéal professionnel ambigu

      La remarque que fait l’auteure à la page 52 est tout à fait intéressante, et j’ajouterais volontiers emblématique de l’écart existant entre les appareils savants comparés, entre celui de l’histoire coloniale et ceux des autres histoires considérées alors comme « nobles », alors qu’elles découvraient le problème de leur indépendance scientifique, leur pertinence de neutralité :

     « Mais qu’ils officient sous les tropiques ou d’ans l’orbite des cercles coloniaux métropolitains, les érudits et les historiens professionnels intéressés par l’Afrique vont progressivement s’accorder autour d’un idéal professionnel : celui de l’historien au service de l’action impériale. La chose est d’autant plus remarquable qu’à peu près au même moment, les historiens métropolitains commençaient à défendre une conception de plus en plus neutre de leur discipline par rapport aux pouvoirs en place. » (p,52)

       Même type d’observation : pourquoi vouloir comparer des situations historiques fondamentalement différentes, c’est-à-dire inégales, en moyens, en types et niveaux de professionnels, et en chronologie, au risque de manquer de pertinence historique, alors que l’histoire coloniale faisait, et a toujours fait partie des universités de seconde division ?

       Rien de commun entre les sources africaines et les sources européennes, entre les acteurs des histoires respectives, et des appareils universitaires en concurrence ! 

      Quoi de comparable entre cette histoire des self made historiens et des historiens professionnels ! Hardy était une exception à cette époque, comme d’ailleurs Delafosse..

     « Enfin, comment affirmer en même temps  que l’histoire coloniale est un sous-champ de la discipline historique, tout en prétendant qu’elle est épistémologiquement fondée sur d’autres présupposés (et notamment sur le contact avec l’expérience coloniale. » (p,57)

      «  L’histoire écrite à la période coloniale constitue, à plus d’un titre, l’histoire d’une domination coloniale » (p,59)

        Mais alors, comment comprendre le sens de la conclusion de ce chapitre ?

        « La position des historiens coloniaux est-elle foncièrement différente de celle des spécialistes de la France qui, tout en proclamant un  idéal de scientificité désintéressée, se sont engagés dans la construction d’une histoire patriotique et républicaine ? On peut se demander si la mission  assignée à l’histoire coloniale par Gorges Hardy est si éloignée de celle que proposaient à la discipline historique dans les années 1870 un Gabriel Monod ou  Ernest Lavisse dans les années 1900. » (p,60)

      Tout à fait ! En observant que l’histoire coloniale ne devint un objet d’histoire qu’à la fin du siècle, que Lavisse n’a pas accordé beaucoup de pages à « l’empire français » dans ses manuels d’enseignement  primaire, et tout à la fin…avant les grandes vacances.

      En ce qui concerne la période moderne, et au moins autant, mais sans les mêmes excuses de scientificité, il convient de noter que le marxisme a imprégné un certain nombre de lectures historiques, pour ne pas citer enfin le courant des historiens humanitaristes, et quelquefois repentants de la génération actuelle.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire à l’époque coloniale » Sophie Dulucq- Histoire ou historiographie?

 « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

Ou Ecrire « l’historiographie de l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale ? »

Premières pages de ma lecture critique

            Pour avoir beaucoup investi intellectuellement dans les recherches historiques sur la période coloniale française, et m’être posé beaucoup de questions sur la pertinence historique d’un certain  nombre de publications postcoloniales, j’ai naturellement entrepris la lecture du livre de Sophie Dulucq avec intérêt et curiosité, afin de savoir s’il était possible de procéder à un examen objectif de ce sujet trop souvent polémique.

            Pour simplifier provisoirement, et peut-être arbitrairement, le débat, il n’y aurait donc pas eu d’histoire coloniale sérieuse avant la décolonisation, c’est-à-dire avant que le postcolonial ne « surgisse », ou si elle a existé, qu’elle souffrirait de tels défauts et suspicions « scientifiques » qu’il ne s’agirait pas, à proprement parler, d’histoire, capable de rivaliser avec celle d’aujourd’hui ?

Introduction

               Nous proposerons tout au long des prochaines semaines notre lecture critique du livre de Sophie Dulucq, mais d’ores et déjà, évoquons quelques- unes des questions qu’elle pose, ou se pose, dans son introduction, avec une première série de questions en écho aux propos de A.E.Afigbo d’après lequel :

            « Ecrire l’histoire de l’Afrique ne se résume pas à intégrer du matériau africain dans l’étude des pratiques, de l’expansion et des réalisations d’une civilisation dont l’âme et le centre de gravité sont extérieurs au continent africain… », (partie de citation traduite par l’auteure, (p,8) :

          « Dans cette perspective, l’écriture de l’histoire de l’Afrique n’a donc pu être entreprise qu’avec la décolonisation. Les caractères méthodologiques pertinents censés caractériser cette historiographie authentique sont cependant fort variables : pour les uns, c’est l’utilisation systématique des sources orales qui ont fondé leur légitimité ; pour d’autres, c’est la dimension  afro-centrée du propos (étudier une société africaine pour elle-même, indépendamment des Européens) qui la garantit ; pour d’autres encore parmi les plus radicaux, c’est l’africanité des historiens qui pourrait seule assurer sa recevabilité. » (p,8)

           Il n’est pas superflu de savoir que M.A.E. Afigbo est originaire de la Nigeria du sud- est,  ancienne et puissante région côtière sous  domination anglaise, et qu’il y a assumé des fonctions politiques.

         « En souscrivant à ces visions, toute la production historique du début du XIXème siècle et de la période coloniale se trouve irrémédiablement disqualifiée, celle écrite durant la colonisation étant particulièrement mal perçue. » (p, 8)

          « …L’on se rend vite compte que faire démarrer l’écriture de l’histoire de l’Afrique dans les années 1950-1960 pose un certain nombre de problèmes et amène  totalement à simplifier l’historiographie antérieure… » (p, 9)

            « Disqualifiée » ? Pour ne pas dire à la nier, comparée à quel autre type d’histoire ? Celle des traditions orales, par exemple ? Celles des griots ? Celle des lettrés musulmans dans l’Afrique islamisée en surface ou en profondeur ?

           « La solution n’est donc pas d’isoler, parfois artificiellement, l’histoire écrite à la période coloniale (en décrétant que ce n’est pas de l’histoire de l’Afrique) ou bien de la considérer comme un  héritage inavouable » (p,14)

         « … Les faits sont têtus : la genèse de l’histoire de l’Afrique n’est pas malgré des affirmations réitérées, une immaculée conception datant des années 1950-1960. Elle a, par des ramifications lointaines,  partie liée avec l’expansion européenne dans le monde et avec, la domination impériale. » (p14)

        « Dans les années 1980, l’histoire coloniale disparaît à peu près complètement des préoccupations ; on en trouve mention dans quelques bilans historiographiques, mais de façon essentiellement négative ou allusive ». (p,18)

      Il serait évidemment intéressant de savoir pourquoi ?

        L’auteure définit très clairement les enjeux de son étude :

      « Position  de recherche

        « L’historiographie coloniale constitue donc un objet historique riche. Ni simple sous-produit d’une idéologie surannée et détestable, ni reflet fidèle de la science historique du moment, l’histoire écrite à la période coloniale est intéressante par son hybridité même. C’est sa nature composite qui permet de mieux saisir sa fonction dans le cadre global du projet impérial. Qu’elle ait été mobilisée pour justifier la domination européenne est une évidence, mais il est également vrai qu’elle a concouru à construire des connaissances. De même, elle a été partie prenante de constructions mémorielles encore mal évaluées.

          Mais il ne faut pas se leurrer. L’histoire méthodique qui triomphe en France à la fin du XIXème siècle possède elle aussi cette triple dimension idéologique, cognitive et mémorielle : elle contribue à accumuler méthodiquement, outils et savoirs pour une appréhension de plus en plus critique du passé, tout en s’attachant à (re)fonder la Nation autour du pacte républicain – au risque de devenir un véritable catéchisme au service du pouvoir et un authentique instrument du nationalisme revanchard – et à construire des « lieux de mémoire » nationaux… » (p21)

         « L’historiographie coloniale » comme je l’ai souligné, ou l’histoire coloniale en tant que telle ? « L’histoire méthodique », comme je l’ai souligné, est-ce si sûr ?              L’historienne en donne, à juste titre, les limites

         « L’histoire produite durant la colonisation doit pouvoir être étudiée avec le même détachement critique que l’ont été les manuels de Lavisse ou les écrits de Langlois et Seignebos. » (p,22)

        « Autrement dit, une des questions centrales sera de déterminer ce qu’il y a de proprement colonial dans l’histoire écrite à la période coloniale, et en particulier dans ce que l’on nommait alors l’« histoire indigène ». (p,25)

       « … Enfin, la question du rapport des Africains à l’historiographie coloniale devra être posée. Elle devra être envisagée autrement qu’en termes de simple confiscation. »(p,25)

          Question : comment remédier à l’absence d’une histoire écrite en dehors de la zone géographique du Sahel, et à la condition que l’on puisse faire confiance à celle des lettrés musulmans dans la zone islamisée ?

       « Outils et cadre de l’enquête (p,26)

       « … L’enquête se centre dans un premier temps sur les conditions concrètes de l’épanouissement d’une « histoire coloniale » de l’Afrique au début du XXème siècle. Elle met en évidence l’imbrication entre réseaux coloniaux et réseaux savants, la progressive affirmation des historiens des colonies et la patiente constitution de jalons institutionnels indispensables à l’essor du sous-champ disciplinaire : création de chaires universitaires, multiplication des revues et des publications, organisation des dépôts d’archives, appui matériel de l’administration coloniale à la collecte des sources documentaires. «  (p27)

        L’attention se concentre ensuite sur le contenu d’une production historiographique placée sous le signe d’une ambiguïté consubstantielle…

      Enfin de multiples recompositions ont accompagné la remise en cause de la colonisation à partir de 1945 : nouvelle configuration institutionnelle et historiographique, montée d’une génération d’historiens critiques de la colonisation, émergence d’auteurs issus des pays africains… (p,27)

         Nous verrons à la lecture si cet ouvrage nous donne la possibilité d’évaluer la place de l’histoire coloniale, notamment dans le monde savant et universitaire, en concurrence avec celle d’autres histoires consacrées à l’Antiquité, au Moyen Age, aux monarchies, ou aux Républiques

        Je souscris tout à fait  au positionnement d’analyse qui est annoncé, mais j’aimerais dire de façon plus prosaïque trois choses, pour revenir les pieds sur terre :

       – que dans toutes les premières opérations de conquêtes nouvelles de territoire en Afrique noire ou en Indochine, il y avait toujours dans le détachement un  officier qui procédait aux premiers relevés de cartes géographiques qui n’existaient évidemment pas,

     – qu’il conviendra toujours, dans l’analyse qui est proposée, d’avoir à l’esprit le fait que les historiens, qu’ils soient en Afrique, ou en Europe, ne jouaient pas dans la même catégorie de jeu, un sujet qui ne peut manquer d’être au centre de ce type d’analyse. A titre d’exemple, combien y-avait-il de « chaires universitaires » avant 1914 ou 1939 ? Et où ?

        – enfin que l’objet de recherches choisi est un challenge d’autant plus ambitieux qu’il concerne un continent immense, sauf à dire que le propos concerne avant tout l’A.O.F.

          Pourquoi ne pas conseiller, à ce sujet, de lire la seule introduction du livre « Afrique occidentale française » de Richard-Molard (1952) pour mesurer l’ampleur de la tâche, avec quelques-unes de ses remarques :

        « L’on n’évoque jamais une terre située entre les Tropiques sans songer premièrement au climat…. Mais pour l’A.O.F il faut aussi dès l’abord attirer l’attention sur cet autre trait : l’immensité… cette immensité se dilate encore démesurément si l’on songe que 16 millions d’habitants seulement y vivent… Un autre contraste éclate entre l’Europe et l’A.O.F. Là, le continent fait corps avec la mer… .Elle subit une anémiante continentalité… Tournée vers l’intérieur, l’A.O.F se heurte au plus grand et plus rigoureux désert du monde….

        Dans un continent que l’on a pu qualifier de « marginal » (Th.Monod)… » (p, XII, XIII, XIV)

         Dans le livre «  Les empires coloniaux », Pierre Singaravélou introduit le sujet par trois citations, dont la troisième est tout à fait intéressante, parce qu’elle pose à sa manière la difficulté d’écrire l’histoire, selon que l’on est lion  ou chasseur

        « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne pourront que chanter la gloire du chasseur »

      Proverbe nigérian.

      Sauf à faire observer 1) qu’il faut au moins deux conditions, qu’il y ait un chasseur et encore un lion, 2) que dans la tradition africaine les griots ne chantaient pas plus les exploits du chasseur que ceux du lion.

        Est-ce que l’histoire coloniale a jamais compté dans les universités françaises ?     A-t-elle jamais eu une place qui ait compté, en concurrence avec les autres disciplines des histoires considérées comme « nobles » ?

         Est-ce que le nouvel intérêt pour cette catégorie d’histoire, s’il existe,  n’est pas tout simplement  lié à la place de plus en plus importante qu’a prise la population  d’origine immigrée dans notre pays ?  Et juste avant, à la domination des historiens de mouvance marxiste en quête d’une démonstration des méfaits de l’impérialisme ?

         Et dans la foulée, la venue du courant des historiens qui, par mauvaise conscience, engagement politique, ou humanitarisme de bon ton, ont privilégié, plus que l’histoire dite « méthodique », les « envers » des histoires plus que les « endroits ».

          A lire l’excellent ouvrage de Pierre Vermeren, « Le choc des décolonisations », on ne peut qu’être surpris par le nombre d’intellectuels sortis de la matrice algérienne ou maghrébine.

Enfin quelques remarques :

        Lorsque l’on prend connaissance des sources citées par l’auteure, quelques constats sont frappants :   sauf erreur, l’auteure ne cite aucun récit de terrain, ou carnet de route datant des années de la conquête ou postérieure , c’est à dire les sources du « terrain ». L’essentiel de la bibliographie des sources constitue une historiographie des sujets traités.

     Ne s’agirait-il pas aussi d’une construction d’interprétation historiographique qu’il serait possible de déconstruire, sur le terrain historiographique ?

Dernière remarque ou conseil :

         Le lecteur me pardonnera, mais je lui conseillerais de faire comme moi, livre en main, une lecture au mot à mot, étant donné que nous avons l’ambition de nous projeter ou plonger, au choix, dans la lecture de l’histoire « méthodique ».

        Pour notre lecture, nous adopterons le plan suivant :

I – La lecture critique elle-même, chapitre par chapitre, c’est-à-dire :

1 Le moment colonial : une nouvelle donne historiographique autour de 1900, page 29

2 Les voies étroites de la légitimation savante (années 1890-1930), page 61

3 Sources et objets de l’histoire coloniale de l’Afrique : usage empirique et pratiques raisonnées (années 1890-1930), page 85

4 L’histoire coloniale en ses œuvres (années 1890-1930), page 119

5 Les Africains et la mise en récit du passé ( années 1890-1930), page 161

6 De l’essoufflement au renouveau (1930-1950), page 209

7 Chaînes de transmission et points de rupture : la charnière des indépendances ( années 1950- début des années 1960), page 257

Conclusion

II – Une synthèse de ma critique de fond

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

En apéritif de lecture, les « situations coloniales » d’après Sophie Dulucq

En apéritif de ma future lecture critique du livre « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » de Sophie Dulucq : les « Situations coloniales ».

Comment lire et comprendre la définition de l’expression « Situation coloniale » dans le petit lexique « Les mots de la Colonisation », page 106 ?
Une toile d’araignée pleine de trous, ou encore un archipel, des archipels, beaucoup plus qu’un système ?

            Les lecteurs de ce blog ont la possibilité de lire le petit texte critique de ce lexique que j’ai publié sur le blog Etudes Coloniales, le 9 mars 2008

            Après avoir rappelé la signification de cette expression rédigée par le sociologue  Georges Balandier, l’auteure écrit :

            « Le concept englobant de situation coloniale amène à penser la colonisation comme un système complexe, influant sur tous les aspects de la vie des sociétés soumises et des sociétés dominantes. Dans cette perspective, l’idée de proposer un « bilan » en positif ou négatif de la colonisation est tout simplement vaine : comme dans tout système, aucun élément n’est isolable et neutralisable, toute action ressurgit par un autre bout et avec des effets indirects, impossibles à réduire à des oppositions manichéennes. » (p,106)

            Comme on le voit, le propos est à la fois prudent « …amène à penser… », « Dans cette perspective », mais en même temps péremptoire, « Le concept englobant de situation coloniale… », étant donné qu’il n’est pas démontré qu’une situation coloniale fut un concept englobant, qui fait entrer dans un système, pas plus que le concept de système lui-même décrit plus loin par l’auteure, dans l’analyse historique des situations coloniales.

            Puisqu’il s’agit de définition, du sens des mots, je me suis cru obligé de revenir à mes études économiques, à mon dictionnaire, et à mes connaissances historiques, afin de mesurer la pertinence de cette analyse.

            « Le concept englobant de situation coloniale amène à penser la colonisation comme un système complexe » : est-ce le cas ? Ou très précisément non, étant donné la grande diversité des situations coloniales et de leur évolution chronologique ?

            Est-il possible d’assimiler et de mettre sur le même plan  les trois concepts de situation coloniale, de colonisation, de système, compte tenu notamment de leur diversité, pour ne pas dire, de leur dispersion ? Rien n’est moins sûr en effet.

            Une situation coloniale ne saurait être enfermée dans un système, encore moins dans le cas de l’A.O.F qui parait être la référence principale de ce type de définition.

            Il existe une grande variété de définitions du système, en tant que concept général :

            Le Petit Robert en propose beaucoup, dont il ressort quelques caractéristiques communes, la notion d’ensemble d’éléments intellectuels ou matériels, de doctrine, de cohérence entre les éléments de cet ensemble, de logique de fonctionnement, avec la poursuite d’un objectif, en mettant en œuvre des méthodes ou des pratiques partagées, dans un cadre institutionnel, économique ou social, culturel, également partagé …

          Je me référerai plus volontiers aux définitions du manuel d’« Economie Politique » du professeur Barre, notamment pour la raison essentielle que la plupart des critiques du colonialisme, imprégnés de culture marxiste ou  influencés par elle, ont axé leur critique sur son contenu d’exploitation économique, dans sa définition largement périmée de Lénine :

        « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme »

         Autre définition qui mérite réflexion, celle d’un historien qui ne s’est pas contenté de faire de l’historiographie, Henri Brunschwig qui écrivait tout bonnement dans le livre « Noirs et Blancs dans l’Afrique noire française » :

       «  Elle n’eut en réalité de système colonial que sur le papier » (p,209)

       A ne rien vous cacher, je ne suis pas loin de partager ce propos pour les raisons que je vais énoncer.

Dans le livre « ECONOMIE POLITIQUE », Sous-Titre II L’organisation de l’activité économique nationale, Chapitre premier, page 167

 « La morphologie de l’activité économique

Systèmes et types d’organisation

La définition suivante est proposée :

« Section I – La notion de système économique

Selon la définition de Sombart, reprise en France par F.Perroux, un système se caractérise par trois séries d’éléments :

  •     l’esprit, c’est-à-dire les mobiles prédominants de l‘activité économique ;
  • –    la forme, c’est-à-dire l’ensemble des éléments sociaux, juridiques et institutionnels qui définissent le cadre de l’activité économique et les relations entre sujets économiques (régime de la propriété ; statut du travail ; rôle de l’Etat) ;
  • –      la substance, c’est-à-dire la technique, l’ensemble des procédés matériels par lesquels on obtient et on transforme les biens.

       Le même ouvrage classe ensuite les systèmes dans cinq catégories : le système d’économie fermée, le système d’économie artisanale, le système d’économie capitaliste, le système d’économie collectiviste, le système d’économie corporatiste.

      On voit immédiatement qu’il parait difficile d’enfermer la très grande variété des situations coloniales, sur le plan géographique et chronologique, de nature plus qu’hybrides, d’un état plus proche du magma informe que du cristal de roche, ne serait-ce que déjà dans la  définition sophistiquée des systèmes, tels que décrits.

       Beaucoup de chercheurs marqués par le marxisme, et par son discours idéologico-écomico-politique, ont tenté de démontrer que la colonisation s’était caractérisée par le pillage des ressources des territoires colonisés, ce qui fut effectivement le cas dans un certain nombre de cas identifiés, tels que l’ancien Congo Belge, ou la Malaisie, mais le système colonial français, pour autant qu’il ait existé, n’avait rien à voir en Afrique noire avec le système du grand capitalisme privé, une des formes du système,  qui s’est épanoui au Congo Belge, en Afrique du Sud, ou en Malaisie, avec la déclinaison pâle que fut la courte période des concessions forestières en Afrique Equatoriale française.

       Sur le plan proprement économique, Jacques Marseille a démontré que le système économique colonial français n’apportait pas la preuve qu’il fonctionna au détriment des colonies. Jacques Lefeuvre a fait le même type de démonstration pour l’Algérie, alors que tous deux avaient, au départ, une vision marxiste du sujet. Mme Huillery, dans une thèse récente, a tenté, sans succès, de démontrer que Jacques Marseille s’était trompé dans ses analyses (voir ma lecture critique sur ce blog)

          Dans quel type de « système » fonctionnait donc le monde colonial, pour autant qu’il soit possible d’en tirer les caractéristiques communes, ce qui est loin d’être démontré, c’est-à-dire avec une cohésion assurée ?

            Un « système complexe », certes, mais avec des contenus et des définitions très différentes, selon la nature des structures qui le composaient, leur importance relative, leur logique de fonctionnement, s’il y en eut une, etc…

            Un système ou des toiles d’araignée pleines de trous?

         Plutôt que système complexe, j’écrirais  système imparfait, incomplet, partiel, à plusieurs étages, avec de gros trous dans une toile d’araignée à la fois mobile, fragile, imparfaite, incapable, comme il est écrit, d’influer « sur tous les aspects de la vie des sociétés soumises et des sociétés dominantes », car il s’agit tout simplement d’une vue de l’esprit.         

         Dans le cas de la colonisation française, et précisément en AOF, il existait bien :

        – un système global, une structure étatique à la fois centralisée et en réalité décentralisée, avec un nombre réduit de circonscriptions administratives, de l’ordre d’une centaine pour un territoire immense,

       – une monnaie commune, quand il s’agissait des relations extérieures, car il existait plein de trous dans la toile, et pendant longtemps, dans toutes les zones coloniales proches des anglaises, sans compter la faible pénétration du franc  dans l’hinterland le plus éloigné,

         – un périmètre de douane protectrice, mais uniquement pour les produits d’importation et d’exportation, c’est-à-dire ceux des zones côtières, avec les « araignées » économiques qui avaient réussi à tisser leur toile au-delà de leur « pôle de développement », compte tenu notamment ou de l’absence de ports ou de voies de communication, ou de leur fragilité. Le réseau du commerce syro-libanais constituerait un bon exemple de toile d’araignée dans le commerce de proximité.

          Dans le cas du fleuve Sénégal, la navigabilité saisonnière du fleuve, ainsi que l’absence de pistes, ont longtemps bloqué tout développement vers l’ancien Soudan, aujourd’hui Mali, tout autant qu’ailleurs, l’absence de fleuves pouvant servir d’axes de communication entre la côte et l’intérieur. (voir à ce sujet le livre de Jacques Richard- Molard sur l’AOF)

       – un ordre public commun, ordonné autour du Code de l’Indigénat jusqu’en 1945,  mais qui, dans la plupart des cas, n’aurait jamais pu être assuré sans le truchement conciliant ou coopératif des sociétés indigènes, compte tenu de la faiblesse de la toile d’araignée des moyens de police, et du tout petit nombre de commandants de cercle ou de subdivision. (voir à ce sujet les livres de l’ancien gouverneur Robert Delavignette)

            Quoi de commun y avait-il précisément entre les systèmes, ou morceaux de système, tels qu’ils existaient et fonctionnaient, selon des chronologies différentes, entre ceux du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, ou de la Mauritanie, pour ne pas parler d’autres exemples tels que l’Indochine, Madagascar, ou l’Algérie ?

            Les éléments de souveraineté décrits plus haut se superposaient dans des territoires coloniaux, dont la population, jusqu’à à la fin de la période coloniale était encore composée, pour plus de 80%, par des paysans illettrés, de religions, de cultures, et de langues très différentes. (voir à ce sujet les ouvrages de Labouret)

            Il existait bien des structures administratives communes, de type centralisé, ce que l’on pourrait appeler les superstructures de type marxiste, mais avec quel impact sur le cœur de toutes ces civilisations en voie d’acculturation à partir des côtes, avec quelle emprise sur la plupart des peuples colonisés, leurs structures religieuses, sociales et culturelles, pendant une période qui s’est située entre 60 à 80 années ?

            En ce qui concerne le Sénégal, est-ce que l’administration coloniale n’a pas partagé le pouvoir avec la grande confrérie des Mourides qui avait déjà tissé une très belle toile d’araignée? Qui exerçait réellement le pouvoir ?

            Est-ce que le catholique Senghor aurait pu être élu sans la « bénédiction » mouride ?

         Le système colonial était plein de trous, et il n’avait rien à voir avec le système totalitaire que fut l’ancienne URSS (1917-1989).

            Dans les années 1950, au Togo,, certaines populations du nord vivaient comme par le passé, ne connaissant du « système » que le recensement et la taxe de capitation, alors que le Togo, compte tenu de son statut international, était l’objet d’attentions coloniales plus qu’aucune autre colonie.

            Sur les côtes, dans les nouvelles cités, au cœur des toiles d’araignée, la colonisation avait en partie fait son lit, mais ailleurs ?

            Au Togo, comment le système pouvait-il échapper à la géographie des lieux et des ethnies ? Au nord du massif de l’Atakora, on entrait dans un monde différent de celui du sud, et les populations de ce massif se trouvaient dans une situation protégée, ressemblant fort à toutes celles qui sur la planète, partageaient la même géographie. (voir l’histoire de l’ethnie Tamberma et de ses forteresses)

            Des ethnologues, anthropologues, ou historiens se sont d’ailleurs fait une spécialité en mettant en valeur l’existence et l’originalité de ces ethnies montagnardes qui refusaient l’allégeance, pour ne pas dire la soumission aux pouvoirs des plaines. Les lettres de Gallieni sur la pacification du Haut Tonkin permettent d’en prendre la mesure dans un contexte de contestation permanente du pouvoir de la Cour d’Annam, c’est-à-dire des mandarins des plaines.

            Sanjay Subrahmanyam, dans sa leçon numéro 10, (Leçons indiennes), sous le titre : « Les Civilisations souffrent-elles du mal des montagnes » (page 165), ouvre des perspectives de réflexion tout à fait intéressantes sur le sujet.

            Avant la création ex nihilo de ports et de pistes, le nord de l’ancienne AOF, faisait partie d’un monde orienté vers le Niger, le Sahara, et se trouvait pris dans la toile d’araignée d’un Islam conquérant.

            Au Togo, certains historiens modernes ont à juste titre épilogué  sur la Question Nord Sud et sur une politique coloniale qui en aurait structuré l’histoire, mais pouvait-il en être différemment ? Le Sud ne s’arrêtait-il pas à Blitta, au sud de Sokodé, terminus d’une voie de chemin de fer modeste qui devait atteindre le nord ?

            Parallèlement, la localisation des ethnies, dont certains nous disent aujourd’hui qu’elles ont été créées de toute pièce par les colonisateurs, souvent à cheval sur les frontières artificielles que les puissances coloniales avaient effectivement tracées de toute pièce, n’ont pas été un facteur d’unité dans des territoires géographiquement aussi étroits que le Bénin et le Togo : géographiquement, les deux Etats constituent à l’évidence des entités assez artificielles.

            Force est bien de reconnaître que le concept de système appliqué à une situation coloniale mérite donc d’être à chaque fois défini et daté, et qu’il n’est pas pertinent de le décrire de façon « fictive », comme l’auteure parait le proposer, sauf à laisser croire qu’une structure, une superstructure suffirait à caractériser un système, c’est-à-dire l’image d’une toile d’araignée que j’ai choisie pour tenter de décrire, et qui pourrait faire concurrence à celle d’archipel.

            La remarque que fait l’auteure sur l’impossibilité qu’il y aurait à proposer un bilan positif ou négatif de la colonisation manque de pertinence historique, sauf à dire que dans tous les cas, le « système colonial » aurait été, comme par hasard tout négatif, donc en concordance, pourquoi ne pas le dire, avec les lectures idéologiques les plus sectaires, alors qu’il existait de gros, gros trous dans la toile d’araignée.

            Il ne s’agit pas d’inverser l’ordre des facteurs pour décréter que ce type de lecture serait de nature manichéenne.

            Je conseillerais simplement la lecture de la véritable encyclopédie de l’Unesco consacrée à l’histoire de l’Afrique pour s’en convaincre sans parti pris, en reconnaissant qu’en termes d’héritage de la colonisation, il n’était pas impossible de proposer une analyse critique pertinente.

            Dans le cas de l’AOF, les chercheurs les moins sectaires reconnaissent que la langue française a au moins donné l’occasion, aux centaines de peuples qui la composaient, avec leurs dialectes différents, de permettre à leurs nouveaux lettrés de pouvoir communiquer plus facilement entre eux.

         Autre question relative aux effets de ce système que décrit l’auteure sur les « sociétés dominantes » ?

        Je crains fort que ce type de discours ne s’inscrive dans une propagande qui laisse accroire que la France fut imprégnée d’une culture coloniale et impériale, ce qui n’est pas démontré, et que de nos jours, une mémoire dite coloniale imprègnerait la mentalité des Français, sans qu’aucune démonstration statistique n’ait pas plus été faite.

          Quand les chercheurs du collectif Blanchard and Co, quand Madame Coquery-Vidrovitch, quand Monsieur Stora, auront-ils le courage de faire procéder à une enquête pertinente sur le sujet ?

         Le livre « Culture coloniale » La France conquise par son Empire » (1871-1931), publié par le collectif Blanchard intitule la première partie de son analyse « Imprégnation d’une culture » (1871-1914) (page 41 à 105).

        Je recommande à tous les chercheurs intéressés par ce type d’histoire de lire l’excellent livre d’Eugen Weber », intitulé « La fin des terroirs », afin de se rendre compte que la France des années 1871-1914 n’était pas très différente de certaines parties d’un empire que le pays avait l’ambition de coloniser.

            Les démonstrations qui sont proposées par ailleurs dans le même ouvrage, avec la même logique « idéologique », ne sont pas plus pertinentes, compte tenu de leur carence complète d’évaluation des vecteurs analysés et de leurs effets sur l’opinion des Français, notamment de la presse.

          En Afrique noire, le système colonial français présentait les apparences d’un système, mais en « parallèle » d’une Afrique à la fois « ambigüe » et « parallèle », pour reprendre l’adjectif que l’historien  Pierre Vermeren applique à l’Algérie, lorsqu’il décrit sa situation « coloniale ».

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Afrique: dépasser l’intensité du temps présent » Stephane Madaule, La Croix du 29/02/16 : ou dépasser le temps de l’écriture?

« L’Agence Française de Développement » à Brazzaville

Avec M.Stephane Madaule, son délégué

Dans le journal La Croix du 29 février 2016, la Tribune «  Afrique : dépasser l’intensité du temps présent » (page 23)

&

Question : quel est le but de ce type de tribune, aussi bien pour son signataire que pour le journal qui l’a publiée ?
Un but intellectuel ou un but politique confinant avec une idéologie humanitariste qui ne dit pas son nom ?
Parler du développement et tenir un discours du type « Continuez ! Mettez-vous en plein les poches ! » Car le « temps présent » file entre vos mains !
La belle citation !  : « …Devant l’incertitude, comment ne pas être tenté de tirer avantage de sa fonction le plus vite possible pour soi-même et pour son entourage qui réclame avec insistance sa part du gâteau ?… »
Un beau titre littéraire pour un sujet austère qui touche à l’économie et à la politique du développement !

            Qu’est-ce à dire vraiment ?

            Le titre porte sur l’Afrique en général, mais il parait difficile, dans le cas de ce continent, d’avoir l’ambition d’en appréhender la complexité et la variété sous cette seule appellation géographique.

            A lire cette tribune, signée sous la qualité d’ « essayiste », quelle en est la raison, alors que le signataire est le délégué de l’AFD à Brazzaville, une qualité qui aurait permis de mieux localiser géographiquement le sujet traité, c’est-à-dire le cas de l’Afrique centrale, tropicale et équatoriale ?

            L’auteur décrit un contexte de contraintes géographiques extrêmes qui expliquerait l’obsession du court terme que partagent les acteurs de cette zone géographique : « Le temps présent est ainsi surévalué »…, mais tient aussitôt un discours qui n’a rien de géographique ou d’économique :

          « Lorsqu’on a la chance d’assumer des responsabilités dans les affaires publiques ou dans les affaires privées, le court terme domine également. Devant l’incertitude, comment ne pas être tenté de tirer avantage de sa fonction le plus vite possible pour soi-même et pour son entourage qui réclame avec insistance sa part du gâteau ? Si l’on gagne un peu d’argent, on essaie de le protéger du milieu, en l’envoyant ailleurs, à l’étranger, dans des coffres ou sous des latitudes au climat plus clément. Pourquoi l’exposer au soleil ? A l’humidité des tropiques ou à la chaleur du Sahel ? A la demande insistante des porches ? A tous ceux qu’il faut « servir », et qui sont parfois dans le besoin ?…« De nombreuses communautés d’Afrique se construisent sur ce socle, appuyées sur l’instant présent, adaptées à un milieu instable fait d’excès en tout genre, en capacité à jouir complètement et heureusement de l’immédiat. »          

Et le responsable local de l’AFD de conclure :

          « L’’intensité du temps présent qui semble dicter sa loi en Afrique peut et doit être vaincue. Il en va du développement réel de ce continent, pour un bien-être partagé de ses populations. Mais que l’obstacle est  rude à franchir !»

             Discours d’économiste du développement ou discours politique tout disposé à passer en pertes et profits la situation de corruption qui prévaut dans ce continent, toute l’Afrique que l’auteur a ciblée dans sa Tribune ?

               En lisant ce texte, et en me remémorant mes connaissances économiques du sujet, je me suis demandé si son auteur n’avait pas oublié le concept d’«intensité du capital » au lieu d’«’intensité du temps présent », un concept qui aurait sans doute mieux éclairé le sujet sur le terrain économique qui est celui de l’AFD.

                Quant à l’obsession du court terme, est-ce que nos sociétés ne sont pas aussi frappées du même mal : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous en étaient frappés ! », aurait peut-être dit le bon La Fontaine.

               Pourquoi ? Parce que de plus en plus de nos « lettrés » confondent, en tout cas dans ce domaine, l’intérêt général avec la bonne conscience humanitaire.

Jean Pierre Renaud