« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie – suite c

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite (c)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Sont cités Derrida, Althuser, Cixous, Rancière, Badiou, Braudel, Charles-André Julien, Lacoste, Bourdieu, Bernard-Henri Lévy, Jambert, Stora…

           « La critique radicale du système républicain français, et par extension de l’Occident, est un legs compl                                                                             exe du XXème siècle.  A la génération suivante, après 2010, la déconstruction est à son tour la cible de nouveaux idéologues et polémistes. S’il est difficile de statuer sur l’ampleur et le devenir de cette nouvelle critique idéologique, au moins peut-on remarquer que ses principaux promoteurs Eric Zemmour ou Robert Ménard, gardent un  gros tropisme algérien, du fait de leurs origines… La capacité de cette terre à produire de l’idéologie est peu commune. » (p,248)

           Pourquoi ne pas rapprocher cette dernière phrase avec le titre du livre de Sudhir Hazareesingh  « Ce pays qui aime les idées » Histoire d’une passion française » ?

          Sauf que dans ce beau débat des idées, silence sur les Gardes rouges de Mao, sur la génocide cambodgien, ou encore sur l’écroulement du rêve marxiste,  pour ne pas dire de la dictature marxiste !

          L’historien enchaine sur la liste des politiques qui ont partagé le même sillon idéologique : »De François Mitterrand à François Hollande : le lourd passif des générations d’après 1981 » (p248)

        « Mai 1968 fait surgir à Paris une nouvelle génération sur la scène politique et sociale, qui entre dans les palais nationaux en 1981 », avec des hommes et des femmes qui ont une filiation avec l’Algérie : Daniel, Julliard, Guillebaud, avant que ne viennent Plenel, Amar, Elkabbach…

            « L’alternance de 1981 amène au sein du monde politique une génération porteuse de la mémoire algérienne, et des combats perdus ou inachevés que l’on pensait enterrés. Des militants, intellectuels et responsables nés dans l’empire colonial s’imposent au parti socialiste. » (p,249)

      Sont cités Dray, Attali, Guigou, Mélenchon, Strauss-Kahn, Quilès, Bartolone, Delanoë, Royal…

        « Ils forment un groupe invisible, relié par des préoccupations, des héritages, une vision de la France et du monde qui les distingue et les soude. Conscients ou inconscients de cet héritage colonial, de ses rêves, de ses fantasmes et de son fiasco. Ils poursuivent ce combat par d’autres voies. » (p,249)

          Cette analyse appelle de ma part deux réserves, la principale étant celle de la confusion conceptuelle qu’elle est susceptible d’entretenir entre le domaine algérien, par extension, le domaine maghrébin, et le domaine colonial en général, une des objections majeures que j’ai formulée à maintes reprises sur le discours mémoriel ou historique que tient, depuis des années, Monsieur Stora dans les médias, historien à la fois politique et médiatique, la seconde portant sur le rôle de l’inconscient dans cette affaire.

         Mes lecteurs savent combien je suis très réservé sur cette irruption de l’inconscient dans notre histoire de France, notamment lorsqu’il qu’il s’agit de « l’inconscient collectif » cher à Mme Coquery-Vidrovitch , laquelle a eu aussi, sauf erreur, des affinités avec ce groupe intellectuel.

       Extension du domaine algérien, oui, car l’auteur est un très bon connaisseur de la Tunisie, mais surtout du Maroc, et la page qu’il consacre à ces deux territoires l’illustre bien :

        « Repli sur le Maroc et la Tunisie, pour le meilleur et pour le pire » (p,253)

       « Forts de cette histoire algérienne puissante et cruelle, le Maroc et la Tunisie ont joué leur partition, en détournant en partie vers leur territoire et leur économie les mannes refusées par l’Algérie. De nombreux pieds noirs et juifs algériens aisés ont investi au Maroc et en Tunisie, et y ont pris leurs habitudes touristiques ou de villégiature.

          La liste est longue des personnalités et réseaux que le Maroc et la Tunisie sont parvenus au fil des décennies, à séduire et à fidéliser, pour leur plus grande protection en France, dans le cadre de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de lobbying… Les journalistes font l’objet d’une approche particulière, car leur influence est durable et leur rôle de médiateur est irremplaçable….

      « Les amis du Maroc » ont peut-être modifié leurs habitudes, mais la conspiration du silence et de l’amitié est demeurée intacte. Sous Mohammed VI, les personnalités de très haut niveau qui côtoient le Maroc, au Parti socialiste, au centre, à l’UMP et au Front national, n’ont peut-être jamais été aussi puissantes et nombreuses dans l’establishment politique français. Journalistes, hommes politiques, grands patrons, auxquels s’ajoute désormais la « tribu » des stars franco-marocaines, déploient une commune passion marocaine. » (p,254)

         En ce qui concerne ces dernières années, j’y ajouterais volontiers la liste des ministres ou secrétaires d’Etat qui ont la double nationalité, française et marocaine.

        La description qui est faite de ces relations est tout à fait éclairante, et renvoie par exemple pour le Maroc à une interview du même auteur, qui dans le Figaro ou le Monde, soulignait le rôle du Rif dans le trafic du haschich en France, avec sa corrélation, le nombre de nos jeunes que la consommation de hasch conduit dans nos hôpitaux.

         Ajouterais-je en finale que les élites postcoloniales qui sont en cause sont celles dont les origines sont liées à l’ancien monde colonial et au nouveau monde néocolonial.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie – suite d

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite (d)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

         Chapitre XV « L’effet générationnel : rejet colonial, ignorance de l’Afrique et illusions tiers-mondistes » (p,257)

        Arrêtons-nous un instant sur le titre et sur les mots « effet générationnel », « rejet colonial », « ignorance de l’Afrique » :

      « ignorance de l’Afrique » certainement, mais aujourd’hui comme au soi-disant beau « temps des colonies » ! « L’effet générationnel » n’est pas lié à une nostalgie des colonies, mais aux effets de la désastreuse guerre d’Algérie qui a conditionné le mental de la plupart des acteurs idéologiques et médiatiques de la période en question, avec cette mauvaise conscience qu’ils ont diffusé, instillé, sur fond de marxisme encore en vogue, de maoïsme révolutionnaire, ou de tiers-mondisme partagé.

       Régis Debray en fut un des héros, et il devrait éprouver au moins la satisfaction de voir que certains bureaux de tabac vendent des briquets à l’effigie de son ancien ami Che Guevara que personne ne connait aujourd’hui.

        Le propos de Philippe Bernard, journaliste du Monde est intéressant à citer :

       « Un quart de siècle après, relire « Le sanglot de l’homme blanc » (Seuil, 1983) est une expérience fascinante. A quelques pages près, ce traité de la culpabilité occidentale se parcourt à la fois comme une œuvre prémonitoire et comme un livre d’actualité. Droit à la différence contre égalité, autodénigrement postcolonial contre refus de la repentance, et bien sûr, Sanglot de l’homme blanc contre responsabilisation des pays du Sud : les principaux débats qui agitent la société française, et singulièrement la gauche, depuis vingt-cinq ans sont non seulement annoncés, mais décortiqués et tranchés. » (Le Monde du 14 août 2008) (p,265)

      « Rejet colonial » ? Oui, et toujours si l’on admet que l’Algérie coloniale renferme toute l’histoire coloniale, ce qui n’est évidemment pas le cas.

     L’auteur n’échappe pas toujours au mirage algérien, en écrivant :

     « Dans les années 1960, pieds noirs et rapatriés ont plongé dans le silence de la société française. A de rares exceptions près, leur expérience sociale et économique de l’empire se dissout, ne profitant pas à une société longtemps indifférente, ni aux élites. 1962 est une coupure générationnelle…. La mondialisation qui se poursuit…. Dans ce nouveau monde, l’Afrique et le sud de la Méditerranée devient des objets d’engagement, de déploration, mais aussi de sensationnalisme. » (p,258)

        J’ai souligné quelques-uns des mots utilisés, car ils sont de nature à entretenir une confusion dans les interprétations historiques : 1) il y eut peu de rapatriés, en dehors de ceux d’Algérie, 2) l’empire, quand, pour qui, et où ? 3) Afrique, sud de la Méditerranée ou Algérie ?

        Le chapitre raconte rapidement les aventures des pieds rouges, celles des Français ou des Françaises qui sont venus à l’aide du nouveau régime algérien, celui du FLN, de brèves aventures :

      « La plupart de ces pieds rouges quittent en silence ce pays rétif. Soumis à la surveillance des autorités, parfois traqués, voire battus ou expulsés, ces gêneurs déplorent un chauvinisme arabe, le communautarisme musulman qui les rejette. Puis à partir de l’été 1965, ils assistent au retour de la torture à grande échelle, exercée par la Sécurité militaire. Cela révolte les pieds rouges encore présents, même si certains y voient une phase robespierriste. Nombreux sont ceux qui retrouvent sans joie leur pays. Ils avaient cru le quitter sans retour, ils y reviennent  dans l’indifférence et l’incompréhension générales. Eux aussi ne sortent du silence qu’à partir des années 1990. » (p,261)

         L’auteur avait noté auparavant : « Ils veulent néanmoins y croire. Coupés de l’opinion française et portés par une gauche pro-algérienne, ils doivent réprimer leurs doutes, même si des voix s’élèvent… » (p,259)

        « Critique idéologique du tiers-mondisme » (p,264), « critique économique de l’aide au développement » (p,266), « La désillusion vis-à-vis de l’aide publique et des ONG »(p,268), « L’Afrique vue  de loin, entre mauvaise conscience, misérabilisme et sensationnalisme » (p,270), « Comment la France a perdu l’Afrique ? »(p,273)

         J’hésiterais une fois de plus à conclure ce type d’analyse par l’appellation « Afrique »,  parce que l’expression « perte » de l’Afrique,  précisément à lire l’ensemble des analyses qui ont été faites, et en dehors de l’Algérie, et de la guerre d’Algérie, n’a jamais concerné qu’une toute petite élite, et mériterait, à elle seule,  plus d’un commentaire.

         Rien à voir entre l’ancienne Afrique noire française et le Congo Belge,  et encore moins avec l’Empire des Indes !

Chapitre XVI « Illusion économique et mirage touristique » (p,273)

     « Quel est le regard que les Français portent sur l’économie de leurs anciennes colonies ? »

     Cette première phrase est surprenante pour un Français qui pense et continue à penser que les Français n’ont jamais eu l’esprit colonial, et qu’une toute petite élite de spécialistes, politiques ou économiques, pour ne pas écrire capitalistes, savaient à peu près ce en quoi consistait cette économie.

       Leur demander aujourd’hui ce qu’ils pensent du sujet a donc peu de sens : de quels Français s’agit-il ?

          La question est encore plus surprenante pour un lecteur qui a une certaine culture historique et économique des colonies : je renverrai simplement à la lecture du gros livre de plus de 800 pages, intitulé « L’esprit économique impérial », sous la direction de Hubert Bonin, Catherine Hodeir et Jean François Klein, (2008 – SFHOM), un livre que j’ai commenté.

         Cet ouvrage est une démonstration, s’il en était besoin, du poids marginal que l’économie coloniale eut dans l’économie française, sans évoquer les effets négatifs de certaines niches métropolitaines protégées en dehors de toute évolution nécessaire.

         « « Du « repli sur l’empire » des années 1930, décennie noire pour l’économie française (avec un commerce extérieur marginal pour la France), à la création par étapes d’une zone franc en Afrique, entre 1939 et 1972, (elle n’existait pas alors ?), l’héritage d’un isolat économique est manifeste. L’Indochine a été une colonie d’exploitation économique (notamment pour l’opium et le caoutchouc), Madagascar et l’Afrique ont été très peu investies économiquement (hormis quelques huileries et sucreries) Dans ces territoires, la population européenne était infime. L’Algérie était un cas à part. (ce futeffectivement tout le problème). La population européenne nombreuse et plus aisée que les « indigènes » y possède un niveau de vie inférieur à la métropole. Seuls le Maroc, qui bénéficie du régime de la porte ouverte depuis 1906, et secondairement la Tunisie et le Liban (ancienne colonie ?), sont livrés à des intérêts financiers et capitalistes. Mais les effets d’entrainement et de développement restent concentrés dans le temps et l’espace (à Casablanca, Tunis et Beyrouth). »

         L’auteur rappelle les travaux de Jacques Marseille d’après lequel les colonies « n’ont pas fait l’objet de gros investissements métropolitains avant les années 1950… », lequel estimait que « le déficit global de la colonisation en Afrique est estimé à 70 milliards de francs or (franc courant 1913) pour la France, soit trois fois le montant de l’aide Marshall qu’elle a reçue. D’où le titre de son ouvrage : le « divorce » entre capitalisme français et empire colonial… » (p,273,274)

        J’ai expliqué ailleurs que dès les années 1900, le principe de financement de l’équipement des colonies était celui de l’emprunt (identique au régime anglais), garanti éventuellement par le Trésor français, et que ce fut la création du FIDES qui, grâce à des fonds publics, et non privés, (avec la contrepartie Marshall) qui permit de financer l’équipement de l’Afrique noire.

        Comment ne pas reconnaître toutefois que les richesses et les capacités de développement de ces territoires n’étaient pas comparables avec celles de la Gold Coast (Ghana), de la Nigéria, ou du Congo Belge, pour ne pas parler des Indes anglaises ?

         L’auteur note à juste titre qu’il s’agissait d’un capitalisme de niche, de « coups et de rente », en tout cas pour la période postérieure à 1945.

       Triste bilan donc !

       « Aucun pays développé »

       « Au début du XXIème, le bilan économique des pays autrefois colonisés par la France est médiocre… Enfin, parmi les 25 derniers pays du monde, qui possèdent un produit intérieur brut à parité de pouvoir d’achat inférieur à 1 301 dollars en 2009, on compte 9 anciennes colonies françaises d’Afrique… Sur les 25 pays les plus pauvres du monde, une majorité de13 sont francophones. » (p,282)

        J’ai envie de dire : cherchez l’erreur ou relisez l’ouvrage du géographe  Richard-Molard sur l’Afrique Occidentale, ou encore le livre d’un autre géographe Weulersse consacré à son voyage en Afrique de l’ouest au centre, et du centre au sud, afin de comparer la situation coloniale et internationale de l’Afrique noire des années 1930.

         Ajoutez à ces ingrédients structurels l’explosion démographique des cinquante dernières années, qu’évoque d’ailleurs l’auteur, et vous aurez quelques éléments de compréhension de l’évolution décrite.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique : deuxième partie

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

II

Deuxième partie (pages 103 à 223)

« Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,103)

« Des violences de la décolonisation à un tiers-mondisme sans scrupule. »

            Une partie très riche en contenu, peut-être trop riche.

        L’auteur a déjà abordé le sujet, mais est-ce que les mots utilisés, les appréciations,  pour décrire les situations coloniales des années 1960, les mots « élites », le titre du chapitre VI « Désintégration des espérances du « décolonisé (p,11), les « illusions perdues » (p,113) la tonalité générale de ce chapitre, traduisent bien les situations concrètes de ces territoires, compte tenu de tout un ensemble religieux, culturel, et politique qui structurait alors ces territoires, avec des élites plutôt maigres et des « citoyens » qui dans leur immense majorité ne savaient pas ce qu’était un Etat national ou une démocratie.

        Après cinquante ans d’indépendance, une première conclusion est proposée par l’auteur :

        « Un demi-siècle d’indépendance ne suffit pas à réaliser quatre objectifs concomitants : une scolarisation généralisée ; le maintien d’un niveau d’enseignement suffisant ; la formation efficace et en nombre d’une élite de cadres ; la formation professionnelle de techniciens et d’ouvriers spécialisés. La crise de l’enseignement et le chômage des diplômés, devenu depuis les années 1980 un véritable drame social au Maghreb, occulte le fait que les secteurs intermédiaires de la formation sont encore plus mal lotis que les filières supérieures. » (p,119)

       L’auteur en tire la conclusion concrète :

     « Du nationalisme à l’émigration ou comment « voter avec ses pieds » (p,119)

       Il serait intéressant de connaître les nouveaux Etats qui se fixèrent ces quatre objectifs.

        Le chapitre VII montre la complexité de toute analyse avec un « Etat bien patrimonial », la corruption, que Jean-François Bayart analyse en termes d’allégeance et de soumission, lequel « va jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas de « corruption », puisqu’elle fait partie du système d’allégeance et de rétribution privative. Cette analyse est tout aussi pertinente au nord de l’Afrique. » (p123)

      L’auteur intitule son chapitre VIII : « Permanence et domination des sujétions personnelles » (p,137)

      Ce chapitre donne un bon exemple de l’immense écart, sauf sur la côte et dans leurs nouvelles cités, entre ces nouvelles élites et leurs peuples, celles que l’auteur appelle « les nouveaux colons ».

       Le chapitre est introduit par l’évocation du rôle de Fanon, mais il serait intéressant de pouvoir mesurer quelle fut alors son audience, aussi bien en France qu’en Afrique, laquelle fut, à mon avis, plutôt limitée.

      Combien a-t-il vendu de livres avant les indépendances ? Quelle place a-t-il occupé dans la presse française ?

     La description qui est faite du monde africain après les indépendances en relève à la fois les particularités et les difficultés rencontrées pour entrer dans ce que nous appelons le monde moderne : « confusion latente entre les figures de l’autorité religieuse, paternelle, étatique et policière », les « figures anciennes de la soumission », « le patriarcat », « la suspicion de clanisme, voire d’ethnicisme en politique est forte » (p, 148), etc…

        Dans le chapitre IX « Des indépendances aux « nouveaux colons », les pièges de l’acculturation » (p,153), l’auteur donne quelques exemples de la griserie qui saisit ces élites une fois au pouvoir, pris dans les turbulences, les lumières, et les ombres d’une nouvelle société internationale qu’ils découvraient, entre autres, la jetset.

        « Chausser les habits et investir le palais du colonisateur » (p,158), « Frayer avec les fonctionnaires et les élites gouvernementales internationales » (p,161), « La tentation de la jetset de Paris à Marbella »

         J’ai retenu évidemment la citation qui est faite de la relation Bouteflika- Jean Seberg… (p,163), l’attraction du monde de Marrakech avec le tandem Bergé-Saint Laurent…mais plus intéressante me semble être l’évocation du rôle du Ministère de la Coopération dans cette évolution :

       « Pour les Africains, les capitales et les modes de vie occidentaux représentent un saut qualitatif et culturel encore plus grand que pour les Méditerranéens. Mais en période de guerre froide, les représentants du tiers monde sont choyés par leurs alliés. La rue Monsieur, siège du ministère de la Coopération, installe un  système de clientélisme avéré. De mauvaises habitudes se prennent, à tel point que sous Giscard ou Mitterrand, nombre d’ambassadeurs de pays africains pauvres se font payer des extras, voire leur salaire et leur train de vie par la coopération ou le gouvernement français. » (p,162)

       L’auteur conclut ce chapitre en posant la question : « Une seconde indépendance, le tournant arabiste des années 1970 ? » et vingt années plus tard en écrivant :

      « La guerre civile algérienne des années 1990, djihadistes contre « nouveaux colons » (p168)

      La « décennie noire »… une guerre à huis clos. Les images de cette guerre de 200.000 morts publiées dans les médias internationaux sont rares…. Les journalistes étrangers étaient interdits d’accès au pays. (p,168)

       Un seul commentaire sur le black-out complet de cette deuxième guerre civile, sans comparaison avec celle des années 1954-1962, que certains auteurs ont appelé la guerre sans nom.

       Il ne semble pas que le chiffre des algériens qui se réfugièrent en France ait jamais été publié, alors qu’il fut important.

      Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique: deuxième partie fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Deuxième Partie (pages 103 à 223)

II

 Suite

             Le contenu du chapitre XI « Servitude volontaire ou silence contraint des intellectuels ? » (p,187) est très intéressant parce qu’il met le doigt sur un des aspects souvent ignorés des relations, pour ne pas dire les complicités, les connivences, entre intellectuels français et intellectuels maghrébins,  entretenant des réseaux d’influence plus facilement dans l’ancienne métropole que dans leur propre pays, comme ce fut déjà le cas avant les indépendances.

       Je serais tenté de dire que ces réseaux transfrontières d’intellectuels ont toujours eu plus d’influence dans notre pays que dans les anciens ou nouveaux territoires   sortis de la mouvance française.

      « Le rôle des intellectuels marxistes et coopérants européens » (p,189)

       « Après les indépendances, une nouvelle  génération de jeunes intellectuels européens s’engage au service des nouveaux Etats, directement ou par le biais de la coopération. Le catholicisme et le communisme sont deux viviers d’engagement pointés par Catherine Simon dans son livre sur les pieds-rouges d’Algérie, mais c’est identique en Afrique. Dans le monde arabo-berbère, la connexion entre marxistes s’opère avec le intellectuels restés sur place), tandis qu’en Afrique, la jonction passe par les missions, écoles et dispensaires religieux répartis sur de vastes territoires, agents essentiels et à leur insu de la francophonie. » (p190)

        L’auteur donne la liste des intellectuels marqués par leur engagement : Pierre Bourdieu, René Gallissot, Annie Rey-Goldzeiger, Monique Gadant, l’agronome Paul Pascon à Rabat, André Nouchi àTunis, etc..

         « Les marxistes ne sont pas seuls au Maghreb, où travaillent ardemment jésuites et Pères blancs, le père Gilbert Grandguillaume à Alger. Cette coopération de jeunes professeurs chrétiens est plus fréquente en Afrique, où vivent Jean-Pierre Chrétien, Henri Médard, Claude-Hélène Perrot. « (p,190)

        L’auteur décrit « Le difficile compagnonnage avec les régimes autoritaires » (p,191), un compagnonnage qui s’est bien  souvent très mal passé et conclus par un échec.

          L’auteur intitule un de ses paragraphes « La répression » (p,199), et cite la répression de Kénitra au Maroc, le cas de plusieurs ressortissants algériens ou marocains : « Mohammed Harbi, idéologue marxiste de la révolution algérienne, ou l’ingénieur centralien Anis Balafrej, fils  du Premier Ministre , sont torturés comme des inconnus… Mohammed Harbi s’évade et s’exile en 1973. » (p,199)

      Comme chacun sait, Monsieur Harbi a déroulé une belle carrière dans un pays qui fit la guerre au FLN dont il fut un cadre influent, et ce n’est pas la moindre surprise de ceux qui tentent de comprendre l’histoire de l’Algérie.

       Le chapitre XII évoque l’évolution du monde arabe et musulman, « Les espérances du « printemps arabe Un monde à reconstruire », la fausse interprétation qu’en font les gouvernements occidentaux, la corruption et la duplicité de certains de nos partenaires, le cas de la chaine Al-Jazira, « la chaine d’information du Qatar, soutien du mouvement international des Frères musulmans. » (p,204

        Comme le note l’auteur, c’est en Tunisie que le mouvement de dominos a démarré : « Pour la première fois depuis la guerre, on a voté librement en Tunisie (23 octobre 2011), en Egypte, et même en Libye. Ce n’est pas la démocratie, mais une de ses conditions.

       Le contenu de ce chapitre est tout à fait intéressant parce qu’il éclaire la grand ambigüité de notre politique étrangère à l’égard des pays arabes et musulmans :

        « Les pays qui soutiennent les Frères, la Qatar, sa chaîne Al6Jazira et ses capitaux, la Turquie d’Erdogan, ses capitaux et ses armes, rêvant à un ottomanisme frèriste, ou les Wahhabites d’Arabie Saoudite et leurs pétrodollars, saisissent l’occasion de se débarrasser du nationalisme arabe et de ses avatars bassistes et militaires qu’ils ont toujours détesté. »(p,208)

       « Il faut une franche dose d’optimisme et d’occultation pour affirmer en 2015 que l’islamisme décline. » (p,211)

      Les pages que l’auteur consacre à la politique française (p,214 et suivantes) illustrent l’aveuglement de nos gouvernements pour ne pas dire l’ignorance, ou l’incompétence, ou pour user d’une expression modérée de l’auteur,  la « lisibilité » :

       « La lisibilité de ces événements et de la politique française dest difficile. »(p,216)

       L’auteur cite quelques noms de Français ou de Françaises qui jouèrent un rôle ambigu dans ce jeu biaisé des connivences, Bernard-Henri Lévy, Antoine Sfeir, Michèle Alliot-Marie, ou Delanoë.

     La France de Sarkozy se serait-elle engagée dans cette affaire idiote de Libye sans le rôle médiatique de BHL ?

      Et en finale de ce chapitre :

     « Indifférence et ignorance prospèrent. Après la chute de Morsi et de Marzouki, le Maghreb et la Tunisie replongent dans le silence pré-révolution, sauf événement spectaculaires, et souvent terroristes. La remise d’un doctorat honoris causa en avril 2015 au président tunisien Béji Caïd Essebi à l’Université de Paris Sorbonne est brièvement évoquée. Mais qui s’en soucie vraiment à Paris ? Qui  s’intéresse à la construction d’une démocratie ? A Paris aussi, ce sont principalement les affaires et les relations économiques qui priment. » (p219)

         Je serais tenté de conclure : n’est-ce pas trop demander à notre pays ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Comme annoncé, je me propose de publier successivement cette lecture, en fonction des capacités techniques du site. (Tous droits réservés)

&

            Il s’agit d’un livre fort intéressant pour le lecteur curieux de mieux connaître le processus de la décolonisation française et de ses résultats.

            Cette lecture avait à mes yeux d’autant plus d’intérêt que dans les années 1950, j’avais vu fonctionner le Togo « colonial », que je fus un des acteurs de terrain de la guerre d’Algérie, une guerre dite de décolonisation, et qu’en 1961, il m’avait été donné de voir fonctionner un Madagascar devenu indépendant.

            A mes yeux, ces trois territoires n’étaient pas la France.

            L’ouvrage, riche en analyses et en éclairages sur une période qui va de 1960 aux années 2000, soulève de multiples questions sur les problématiques décrites et les constats historiques proposés par l’auteur.

            Avant d’aller plus loin, attardons-nous quelques instants sur l’introduction et sur une des questions capitales, à savoir le rôle que les élites ont joué dans les processus décrits, qu’elles soient du Nord ou du Sud, je cite en soulignant les quelques mots clés qui éclairent ce type d’analyse:

        « les élites du Nord n’ont jamais regardé en face les sociétés du Sud, leurs impasses et les mensonges sur la décolonisation sans les peuples…. La culpabilité postcoloniale a aggravé la situation du Sud.

            Pendant que des millions, et bientôt des milliards d’hommes vivaient sous le joug des dictatures du Sud, les élites du Nord, consciemment ou  inconsciemment, ont masqué à leurs opinions publiques la situation des décolonisés, comme elles l’avaient fait à l’époque coloniale. La colonisation avait été l’affaire des chefs politiques, économiques et militaires, pour laquelle les peuples d’Europe étaient tenus d’acquiescer, voire de s’enthousiasmer. Sans transition, la décolonisation et le néocolonialisme, par le truchement des élites amies du Sud, a emprunté une voie analogue. Les sociétés du Sud et du Nord ont poursuivi leurs trajectoires parallèles …, jusqu’à cet improbable « printemps arabe » de 2012, qui a permis d’entendre pour une fois, la voix du Sud. Attachons-nous à suivre les méandres et la mécanique de ces événements. » (p,12,13)

            Afin d’éclairer ma première remarque, je continuerai à citer : Chapitre IV « Sous le couvercle de la guerre froide » « Sans que l’opinion française ne le réalise vraiment, les conflits de décolonisation sont devenus des conflits de guerre froide. »  (p,63)

            Enfin une dernière citation complémentaire à la fin du livre :               « Conclusion Le legs singulier de la France coloniale » « L’échec des décolonisations françaises est-il singulier ? Faut-il le comparer à la destinée des colonies anglaises. Sans doute. Il n’y a pas d’équivalent de l’Inde, même sur une étendue moindre… « (p,321)… L’empire colonial  a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales, puis républicaines, ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire (troupes coloniales en 1914-1918 et 1939-1945, guerre d’Algérie, et migrations) … la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien leur en dire. » (p,323)

Je partage ces conclusions, et je continue à penser que les livres qu’une certaine « histoire postcoloniale » a publiés sur la soi-disant culture coloniale ou impériale de la France manquent complètement de pertinence scientifique, comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale » : il s’agit d’une des formes les plus insidieuses d’une nouvelle propagande postcoloniale.

Je ne suis pas sûr qu’il soit possible de mettre sur le même plan les élites des régimes politiques qui se sont succédé dans notre pays, de même qu’il soit possible de mettre sur le même plan  les processus de décolonisation anglais et français, compte tenu de leurs situations coloniales respectives, sur tous les plans, mais je partage l’appréciation que porte l’auteur sur le rôle des élites, des gouvernements, de l’opinion publique, aussi bien dans la colonisation que dans la décolonisation : j’ai écrit ailleurs à de multiples reprises que la France, c’est-à-dire le peuple français n’a jamais été colonial, n’avait eu la fibre coloniale, et que ce fut à l’occasion de la guerre d’Algérie, et de la mobilisation du contingent, que le peuple fut confronté aux réalités coloniales, le constat que fait l’auteur à la page 323.

            En France, il s’agissait plus d’un groupe de pression colonial, un lobby colonial, avec plusieurs composantes politiques, militaires, économiques, et religieuses, que de l’élite métropolitaine à proprement parler.

        A plusieurs reprises, et par ailleurs, l’auteur relève que l’opinion  publique n’a jamais été vraiment concernée par la question coloniale :

      « Vus de métropole, les événements qui se déroulent dans les colonies parviennent de manière atténuée, la censure le disputant au désintérêt. » (p23)

      Comment ne pas dire à nouveau, que l’histoire postcoloniale supposée non « servile » n’a jamais à ma connaissance pris la peine de « mesurer » en espace et en contenu la presse de l’époque coloniale pour nous dire ce qu’il en était véritablement de la culture coloniale des Français.

      Les trois sujets d’histoire coloniale évoqués, les élites, la presse, l’opinion publique souffrent à mon avis d’une grande carence de recherche historique pertinente, une carence qui encourage toutes les manipulations, souvent idéologiques, de certains chercheurs postcoloniaux.

            Avant d’aller plus loin, et après avoir lu ce livre et d’autres livres sur le sujet est-ce que la vraie question que posait la décolonisation, en tout cas en Afrique noire française, parce qu’il en était différemment en Asie, n’était pas, que compte tenu des structures physiques et humaines de tous ces territoires, religieuses, culturelles, et linguistiques, le patchwork humain qu’ils présentaient face à un niveau des ressources faibles ou difficiles à mettre en œuvre, le challenge d’une décolonisation heureuse était chose impossible.

            Le lecteur constatera à la fin de mon exercice pourquoi je ne partage pas toutes les analyses du dossier des décolonisations.

            L’ouvrage comprend trois parties :

  1. Le fiasco des décolonisations (p,1 à 105)
  2. Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites (p, 105 à 223)
  3. La France, les Français et leurs anciennes colonies (p,223 à 321)

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » – « Le fiasco des décolonisations » -Pierre Vermeren Première Partie

Le choc des décolonisations

Première Partie

I « Le fiasco des décolonisations » (p,15)

          L’auteur brosse l’évolution historique de la décolonisation des anciennes colonies françaises et conclut au fiasco, pourquoi pas ?

          Mais pouvait-il en être autrement en Afrique noire, compte tenu de l’état de l’ensemble de ses structures en 1960, comme évoqué plus haut ?

       Tout tourne en effet autour du diagnostic qu’il était alors possible de porter sur la situation de ces pays, leurs situations coloniales, sujet sur lequel j’ai publié quelques chroniques.

        Il m’est arrivé de citer les analyses du géographe Richard-Molard sur une  Afrique de l’Ouest qu’il connaissait, son immensité, sa diversité, son éparpillement humain, une sorte d’anarchie qui ne disait pas son nom.

     La France mit en place une sorte de superstructure bureaucratique, artificielle, un Etat colonial, qui ne tenait pas bien compte des réalités ethniques, et qui ne pouvait en tenir compte, mais était-il possible de faire autrement ?

     D’où « La balkanisation de l’Afrique française » (p,48) et ses dérives à partir des années 1960 :

     « La colonisation a vécu, discrètement poussée par une France qui veut tourner la page, et se débarrasser de la question coloniale à l’ONU. Mais ses dirigeants comptent bien garder une marge de manœuvre et de puissance au sein de chaque territoire. En Afrique, les utopies fédéralistes se sont évaporées face aux séductions de l’Etat-nation et des privilèges qu’il confère (gouvernement, palais et ministères, limousines et indemnités, capitale, représentations diplomatiques et onusienne, aide internationale…) Partout, l’heure est à la construction de l’Etat et de sa bureaucratie militaro-administrative. » (p,49)

         Il est évident que, faute pour ce type d’Etat de pouvoir s’adosser à une structure de cohésion religieuse, idéologique, ou monarchique, à un vécu collectif fait de croyances et de mythes communs, le potentiel de dérives autoritaires ou dictatoriales, favorisé par la mosaïque de ses peuples, était élevé.

       L’auteur montre bien comment ce type d’adossement a  pu fonctionner au Maroc, et je continue à penser qu’il aurait pu en être aussi ainsi avec la monarchie malgache et l’empire d’Annam, faute pour la France d’avoir, toujours et partout, voulu répéter son modèle centralisé de gouvernance.

      Rappelons par ailleurs que jusqu’en 1945, la politique coloniale de l’avant FIDES était fondée sur le principe de l’autofinancement colonial, comme celle des Anglais, et qu’en 1960, le nombre des acculturés, c’est-à-dire celui des élites locales, était très faible.

      Les Etats coloniaux ne constituaient pas ce qu’on appelait des Etats-nations, compte tenu de la faiblesse des facteurs de cohésion religieuse et culturelle, économique et  sociale, pour autant d’ailleurs que l’Europe, l’Asie, les Amériques ou l’Union Soviétique puissent exhiber de leur côté ce type d’Etat.

      Comparativement, est-il possible de donner la date à laquelle la France elle-même devint un véritable Etat Nation ?

     « L’armée, pilier de l’Etat postcolonial » (p, 58)

      Le « modèle colonial » ?

     « Car au-delà de l’aspect institutionnel, le modèle colonial s’impose dans les têtes et dans les corps. L’armée incarne l’autorité et la souveraineté dont se réclame le nouvel Etat indépendant…. L’aspect mimétique est majeur dans cet avènement, car l’adoption du modèle militaire se fait toujours sur le mode l’armée coloniale (formation, uniforme, grade, commandement, armement…. L’«interopérabilité » reste la norme avec l’ancienne armée coloniale. » (p,59)

« …le modèle colonial s’impose dans les têtes et dans les corps » ? C’est peut-être beaucoup dire ! Faute d’autre chose !

       Peu de temps après les indépendances, les élites de ces nouveaux Etats mirent leurs pays sous le régime du parti unique, même au Sénégal, avec Senghor, un catholique, alors que le Sénégal vivait sous l’ombrelle de cohésion religieuse de la Confrérie des Mourides. L’auteur écrit : « Chef d’un régime présidentiel à poigne, nous verrons que Senghor demeure un chef d’Etat atypique » : j’ajouterais dans une situation postcoloniale et ancienne situation coloniale également atypique, l’ancienneté de la colonisation, l’existence des quatre communes de plein exercice, une bureaucratie puissante, celle de l’ancienne AOF, un Etat relié au monde extérieur, etc… (p,55)

      L’auteur note plus loin ; « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide… un cas unique dans le pré carré » (p,75)

       Le Sénégal n’est pas représentatif des autres Etats d’Afrique noire.

      Les partis uniques s’adossèrent d’abord aux syndicats qui constituaient, lors de l’indépendance, une des rares structures socio-écomico-politiques de niveau national.

       L’auteur évoque des situations coloniales différentes de celles de l’Afrique noire, celles du Maghreb, hors Algérie, où l’évolution put s’appuyer sur d’autres points d’appui que les syndicats ou l’armée, notamment au Maroc, que l’auteur connait bien.

       Face à ces partis uniques d’abord à base syndicale, l’armée constituait le seul contre-pouvoir, et ce sont les élites militaires qui s’emparèrent rapidement du pouvoir, dans un contexte de guerre froide (Chapitre IV « Sous le couvercle de la guerre froide » (p,63) , de la Françafrique (« Naissance de la France-Afrique ou Françafrique » (p, 68)…le bras armé d’Elf Aquitaine (arrosant les partis politiques), d’un clientélisme socio-culturel très prégnant en Afrique, le tout débouchant avec Mitterrand sur les mirages de la Conférence de la Baule (1990). (Chapitre V Depuis La Baule, liberté des élites, silence et violence pour les peuples. (p,83) « Est-ce un faux semblant ou un tournant ? (p,84)… « Un quart de siècle après La Baule, la marche forcée vers la démocratie n’a pas eu lieu. » (p,84)

     L’auteur note à propos des dérives de la Françafrique : « Cet aspect financier est essentiel dans le discrédit de la Françafrique depuis la fin de la guerre. » (p,72)… le Gabon « pivot des intérêts mafieux » (p,73)

     Un de mes vieux camarades de promotion, bon connaisseur des relations entretenues à cette époque entre la France et ses anciennes colonies, me faisait récemment remarquer qu’il y a eu, historiquement, plusieurs formes de Françafrique.

    A la page 63, l’auteur écrit :

     « Sans que l’opinion française ne le réalise vraiment, les conflits de décolonisation de la France sont devenu des conflits de guerre froide…. Puis l’Algérie devient à son tour un conflit secondaire de guerre froide, surtout après Suez en 1956, même si les choses sont indirectes… Pour les officiers français de retour d’Indochine après Diên Biên Phu, le FLN est une organisation « communiste. » (p,63,64)

     L’auteur cite le rôle de la stratégie contre-insurrectionnelle alors mise en œuvre, et souligne le rôle de l’officier David Galula dans la définition de ce type de stratégie. Comme je l’ai écrit ailleurs sur ce blog, 1) le capitaine Galula n’a jamais servi en Indochine, mais il fréquenta le continent chinois pendant plusieurs années, les premières années de la révolution communiste, 2) Galula n’a pas été un des concepteurs les plus importants de cette doctrine, et le mérite qui lui est attribué est sans doute dû au fait que son épouse fut une journaliste américaine bien  introduite.

      « Jusqu’en 1989, l’ancien empire colonial est un des champs clos de la guerre froide » (p,64)

       « La France devient le premier acteur de la guerre froide en Afrique ».(p,66)

        La description de cette évolution aurait été encore plus intéressante avec une comparaison avec la décolonisation britannique, ou d’autres, qu’il serait difficile de qualifier de décolonisation heureuse, voir la guerre de Malaisie, le désastre de la séparation de l’Inde musulmane de l’Inde hindouiste, l’apartheid de l’Afrique du Sud…

      L’auteur consacre de bonnes pages aux suites de la guerre d’Algérie : « Le brutal désengagement de la France en Algérie » (le chaos) p,40,41), « Règlements de compte et chasse aux harkis » (p, 42), « Le temps des colonels » (p,43)

       Sont également intéressantes les pages consacrées à la deuxième guerre civile de l’Algérie dans les années 1992-2000, (page 89), , 96,97) « La « décennie noire » d’Algérie plante un nouveau décor au sud de la Méditerranée » (p, 96,97) avec ses 200.000 morts.

    Une information intéressante, car la même chape de plomb du FLN règne sur cet épisode aussi dramatique que sur la guerre d’Algérie, une première guerre civile qui ne disait pas son nom non plus.

     « La lutte contre l’islamisme, nouvelle martingale de l’autoritarisme dans le monde arabe » (p,87)

       Enfin, et pour couronner le tout, l’auteur décrit les effets négatifs de la mondialisation libérale sur ces nouveaux Etats. (p,90) : « Après quinze ans de mondialisation marchande (1995-2005), les dégâts humains en Afrique et au Moyen Orient ont été parfois dramatiques  au sortir de la guerre froide, et les populations restent loin de la classe moyenne mondiale. » (p,95)                                 

        L’auteur conclut son tour d’horizon par le « génocide rwandais » et les « guerres du Congo » (6 millions de morts et 4 millions de personnes déplacées (1994-2003) (p, 101), qui durent encore.

Jean Pierre Renaud

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ? Avec le Club Médiapart Quatrième épisode: « Mémoires dangereuses »

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

Autour des « raisins verts » ?

Quatre chroniques sur la guerre d’Algérie et les accords d’Evian

&

Quatrième et dernier épisode

Mémoires « fictives » et « mémoires dangereuses » !

&

« L’histoire est un roman qui a été, le roman de l’histoire qui aurait pu être »

« Les Frères Goncourt »

Une suggestion de dissertation pour les élèves des deux professeurs Alexis Jenni et Jérôme Ferrari, au choix, entre « La chute de Rome » et « L’art de la guerre »

« Pour ou contre la lecture des Frères Goncourt d’après laquelle l’un ou l’autre des deux romans n’est qu’ « roman de l’histoire qui aurait pu être », c’est-à-dire la leur ? »

&

Quatrième épisode

Mémoires « fictives » et « mémoires dangereuses » !

Au Club de Mediapart, Benjamin Stora et Albert Jenni, dialoguent sur les « mémoires dangereuses »

     « Le Club de Médiapart…

        Les mémoires dangereuses. Extrait d’un dialogue

Extrait des mémoires dangereuses » (Ed Albin Michel, 2016), début du dialogue entre Alexis Jenni de « L’art français de la guerre » (Ed Gallimard) Prix Goncourt, 2011, et Benjamin Stora »

            Il s’agit d’un extrait tout à fait intéressant, parce que symbolique de la production d’un courant intellectuel qui tente encore de tenir un petit pan de l’opinion publique en haleine, pour tout ce qui touche aux pages les plus sombres de l’histoire de notre pays, tout en se défendant du contraire.

            Pourquoi ne pas dire dès le départ que ce type de discours incarne et diffuse une forme de perversion intellectuelle sur l’objet « mémoires » ?

            Rappelons succinctement quelles sont les Tables de la Loi du site Mediapart : une information de qualité, cultivant l’indépendance, la pertinence, et l’exclusivité.

      Qualité ? Soit ! Indépendance ? Un site qui ne serait pas irrigué par une ancienne et continue idéologie tiers-mondiste, ce qui veut dire une forme subtile de « servilité » à une idéologie ? Pertinence ? Nous verrons. Exclusivité ? Il parait difficile d’appliquer ces principes au contenu de ce dialogue, pas uniquement en raison du goût des deux dialoguistes pour tous les médias.

      Ce dialogue draine beaucoup des mots qu’aime utiliser Monsieur Benjamin Stora, en jouant sur les multiples facettes du mot « mémoires », aujourd’hui « dangereuses », hier en « guerre », de nos jours « communautaristes », et récemment avec la profession de foi d’un apôtre de la paix des mémoires, selon une chronique récente du journal La Croix.

      « Le prisme de la guerre d’Algérie…. Une histoire qui a été longtemps occultée

       C’est à si perdre, tant son discours est toujours aussi tonitruant, nourri d’affirmations et de certitudes répétées à satiété sur l’état de ces « mémoires », sans jamais, jusqu’à présent, et sauf erreur, avoir jamais donné la moindre mesure de cette guerre des mémoires. Monsieur Jenni parle de « guerre culturelle ».

      Est-il pertinent de tenir un tel discours mémoriel sans avancer la moindre évaluation des phénomènes décrits ? Non !

            Les mots tonitruants ?

            Monsieur Stora abrite son discours sous le parapluie d’une « histoire du Sud » laquelle ferait l’objet d’un « déni », en évoquant l’existence de trois mémoires celles des rapatriés, des anciens appelés du contingent d’Algérie, et  des enfants ou petits-enfants issus de l’immigration algérienne.

            « Aujourd’hui, la mémoire de cette guerre fait retour, massivement, dans les sociétés, algérienne et française… »

            Il conviendrait d’expliquer par quelle voie cette « histoire » ou cette « mémoire » fait aujourd’hui retour massivement  chez les enfants ou petits-enfants nés après 1962.

            S’agit-il 1) de l’Algérie ou de l’Empire colonial ? 2) de l’opinion du mémorialiste, fils d’un rapatrié de Constantine, ou enfin de la mesure de ce retour massif de la mémoire de cette guerre?

            A lire ce dialogue, la guerre des idées ferait rage, « des affrontements mémoriels d’une grand violence symbolique », « Ce conflit mémoriel », « Cette bataille culturelle », en dépit du « déni », du « refoulement », de la « dénégation » de notre pays, toutes caractéristiques abondamment décrites en chœur par les deux dialoguistes ?

            J’oserais écrire volontiers que ce type de discours ne correspond pas, jusqu’à preuve du contraire, à la situation historique actuelle de notre pays.

            J’oserais écrire une fois de plus que le peuple de France n’a jamais eu la fibre coloniale, que l’empire, sauf exception, n’a jamais été la préoccupation des Français, que la question coloniale a fait irruption dans notre histoire avec la guerre d’Algérie, et de nos jours, avec la présence d’une population d’origine immigrée largement nourrie par l’ancien domaine colonial.

     J’oserais écrire qu’en 1962, la grande majorité des Français et des Françaises ont été contents de se débarrasser du dossier algérien, et qu’à ma connaissance, la France d’alors n’a pas accueilli joyeusement le flot des rapatriés venus d’Algérie, comme s’en rappelle sans doute l’actuel Président  de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration.

            J’oserais écrire que ce type de discours mémoriel est étranger à celui de beaucoup des soldats, sous-officiers, officiers qui ont fait la guerre d’Algérie, faute pour le gouvernement de gauche de l’époque d’avoir su ménager une vraie voie d’évolution politique de l’Algérie.

            Beaucoup d’entre eux ont livré publiquement le fruit de leurs mémoires, et rien n’a été caché, le blanc comme le noir, comme dans toute guerre.

    Jean Pierre Renaud – Première partie

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq & Synthèse critique

Synthèse critique

Première partie

            Après avoir lu et relu cet ouvrage, l’avoir annoté, je dois convenir qu’il s’agit d’un important travail d’analyse, mais qui pose de nombreuses questions : n’était-il pas trop ambitieux ?

         J’ai listé six questions qui font problème, à savoir, le champ de cette étude (I), sa chronologie (II), écriture de l’histoire à l’époque coloniale ou historiographie (III), une comparaison pertinente (IV), le type d’histoire, servile ou méthodique , entre pouvoir et savoir (V), la place de l’histoire du terrain (VI).

        I – Le champ de l’étude : l’Afrique, quelle Afrique ? Le titre même de l’ouvrage recèle une ambiguïté, étant donné qu’à lire l’ouvrage, il s’agit avant tout de l’Afrique occidentale, une Afrique qui en tant que telle n’était déjà pas facile à déchiffrer.

       II – La chronologie ? L’auteure a choisi un découpage chronologique qui, à mes yeux, ne correspond pas à l’évolution de la colonisation sur le terrain de l’A.O.F, ni à celle de la France de la fin du dix-neuvième siècle et du début du siècle suivant.

      Cette chronologie est différente de celle que propose l’historien Sudhir Hazareesingh, pour l’historiographie française au cours de la période retenue par Sophie Dulucq, dans son livre « Ce pays qui aime les idées ».

      Sophie Dulucq retient les dates clés suivantes pour ses chapitres, « 1900 » pour le premier, « 1890-1930 » pour les quatre chapitres suivants, « 1930-1950 » pour le cinquième, et « 1950-1960 » pour le septième.

      Si j’ai bien interprété la chronologie  retenue par Sudhir Hazaeesingh,  elle serait la suivante : « 1897 » (p,325) : une période de chasse gardée des professionnels, « 1929 » (p,326) : une rupture historiographique initiée par Marc Bloch et Lucien Febvre, « après 1945 », (p,328), une phase d’histoire idéologique, s’enchainant avec une phase d’histoire-mémoire.

     Ce découpage historique me parait mieux traduire les caractéristiques d’une historiographie métropolitaine très éloignée du terrain colonial.

      En 1890, l’A.O.F n’était pas encore partout pacifiée, et l’administration était encore très largement entre les mains des militaires. La nouvelle Fédération de l’A.O.F n’existait pas. Elle fut créée en 1895.

       En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Sahel en général, le Niger, le Dahomey, la paix civile n’y existait pas et les structures administratives étaient encore et très largement dans les limbes.

       Que dire alors de l’histoire en gestation ?

     La formule utilisée par l’auteure à la page 58 : « Mais le moment colonial marque une rupture dans une tradition savante déjà ancienne.» mériterait d’être incontestablement expliquée. Etait-ce exact en 1900 ?

     Le découpage chronologique factuel le moins contestable aurait dû marquer les ruptures de la première guerre mondiale, avec une Afrique de l’Ouest à peu près pacifiée en 1920,  et la deuxième guerre mondiale, avec la naissance d’un monde nouveau.

     Ce découpage manque de pertinence, tout autant qu’un autre découpage en trois phases, retenu par le collectif de chercheurs Blanchard and Co, dans leur livre « Culture coloniale » : « 1871-1914 »,  « après 1914 »,  « 1925-1931 ».

     En ce qui concerne la première période intitulée « Imprégnation d’une culture »,  (1871-1914) coloniale bien sûr, je recommanderais aux chercheurs de lire l’excellent ouvrage d’Eugen Weber,  « La fin des terroirs », afin de prendre la mesure du fait que la France de la fin du siècle ressemblait encore dans un certain nombre de ses provinces au monde colonial, et que les concepts liés au « colonial » leur étaient complètement étrangers.

      Pour les lecteurs intéressés, je publierai dans les prochains mois ma lecture critique de cet ouvrage fort intéressant.

      La date de 1931, constitue à mes yeux une fausse fracture chronologique, de nature idéologique.

     III – Ecrire ? S’agit-il de l’écriture de l’histoire ou de celle de l’historiographie ?

      Première main ou deuxième main ? Historiographie des premiers « violons », les Delafosse, Hardy, Rousseau…, ou des musiciens amateurs, les « historiens » du terrain ?

      Dans l’introduction du livre « Les empires coloniaux », Pierre Singaravélou précise à juste titre, et dans le titre lui-même de quoi il s’agit :

     « Situations coloniales et formations impériales : approches historiographiques » (p,9) 

     La question est difficile, mais elle n’est pas sans intérêt, compte tenu du postulat posé par l’auteur, c’est-à-dire « Ecrire l’histoire… »

      Les sources citées : si l’on fait le compte des sources citées qui permettent de cerner le problème, 36 sources françaises ou étrangères ont été exploitées pour l’histoire de la colonisation française (dont 6 pour Hardy, et 5 pour Brunschwig), avec une seule source de terrain.

    En ce qui concerne l’histoire « indigène », 36 sources ont été exploitées, dont 18 du terrain colonial.

    En ce qui concerne les sources bibliographiques, 169 sources ont été exploitées, dont 127 françaises, 34, étrangères, et seulement 7 du terrain colonial.

    Est-ce que ce type de problématique et de pertinence historique ne justifierait pas des analyses au cas par cas, situation coloniale par situation coloniale, et avec une chronologie comparable, en partant d’un  récit de base, en le comparant à ce qu’en a retenu l’historiographie, et à celui produit par des historiens, notamment issus de l’ancien monde colonisé ?

      Trois exemples pourraient être proposés, si cette analyse n’a pas déjà été faite : sur le Niger, l’histoire comparée de Samory (années 1880-1900), entre celle d’Yves Person, celle des « historiens » du terrain, les officiers, celle des autres traditions que la tradition « dyula », par exemple bambara, et celle des historiens africains modernes.

       Au Tonkin, les récits comparés des historiens mémorialistes, souvent des amateurs, officiers de la conquête ou non, concernant la vie du Dé-Tham, grand rebelle devant l’Eternel, à la fin du dix-neuvième siècle, avec celle des historiens professionnels français, s’il y en a eu, et les historiens du Viet Nam.

      Comme je l’ai écrit après un voyage au Tonkin, mon épouse et moi avons eu la plus grande peine à se faire ouvrir un musée consacré au Dé-Tham, un musée qui paraissait abandonné.

     A Madagascar, la vision historique qu’avaient les premiers visiteurs, puis conquérants de ce pays, au moment de la conquête française  en 1895, avec celle que défendent les historiens malgaches d’aujourd’hui.

      IV – Une comparaison pertinente sur le plan historique, en termes de moyens ?

     Tout au long des pages, court en effet la question de savoir si la comparaison qui, en définitive, est faite ou proposée, ne souffre pas d’une carence d’évaluation des moyens consacrés à l’écriture de l’histoire, en fonction des situations respectives entre métropole et colonies, avec notamment, les effectifs d’historiens en compétition, pour autant que cette dernière existât.

      Au fil des lignes, on en retire évidemment la conclusion que l’histoire coloniale n’attirait pas beaucoup les universitaires français, une différence d’échelle qui expliquerait naturellement les jugements péjoratifs très souvent rapportés par l’auteure.

     Combien l’A.O.F, puisqu’il s’agit essentiellement d’elle dans l’ouvrage, comptait d’agrégés en 1920, en 1939, puis en 1945 ? Où allaient les meilleurs d’entre eux ? Combien de la rue d’Ulm ?

       Est-ce que par hasard, cette inégalité entre les moyens n’illustrait pas à sa façon le désintérêt de la métropole pour les mondes d’outre- mer, avec un bémol pour le Maghreb et l’Indochine ?

      Comment est-il possible de comparer de façon pertinente les produits de l’histoire coloniale auxquels l’auteure fait référence, entre ceux de la métropole et ceux des colonies, compte tenu tout à la fois des problèmes d’échelle, de moyens, et de situations historiques à la fois changeantes et souvent opposées,  selon leur chronologie et leur localisation.

     Pour résumer le propos, comment poser les mêmes exigences de méthode, pour autant qu’elles existèrent en France, entre la métropole et l’Afrique noire, celle que vise l’auteure, sans Etat, et sans argent ?

      Sans distinguer le monde écrit et le monde oral, la multiplicité des croyances (islam, animisme et fétichisme) et des langues et dialectes, les modes de vie, entre les zones côtières et l’hinterland, les grandes zones climatiques, etc… ?  (voir Richard-Molard)

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 7

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

7

Chaînes de transmission et points de rupture

La charnière des indépendances

           A lire le contenu de ce chapitre, comme souvent à la lecture des chapitres précédents, le lecteur se pose la question de savoir, et c’est assez souvent le cas chez les chercheurs qui se recommandent aussi de l’histoire «méthodique », si leur discours n’est pas également entaché d’un parti pris politique, ou peut-être idéologique qui ne dit pas son nom.

            Il est tout de même difficile d’analyser tout le pan de l’histoire coloniale en l’accusant d’avoir été au service de l’impérialisme, d’être donc intellectuellement « soumise » et de prétendre au contraire que l’histoire coloniale et postcoloniale, postindépendances, n’aurait aucune racine idéologique ou politique. Les exemples cités par l’auteure en manifestent tout à fait l’existence après la deuxième guerre mondiale.

                   Je dirais volontiers qu’au-delà, ou en-deçà de ce type d’analyse, pourquoi ne pas dire qu’il y a eu un avant 1939 et un après 1945, avec un monde nouveau aussi bien en Asie, en Afrique, ou en Europe, et naturellement en France, avec des « situations coloniales ou métropolitaines » complètement différentes.

          A situations historiques nouvelles, histoires et historiens nouveaux !

           Un de mes vieux amis me répète souvent que dans le domaine de l’histoire,  les nouveaux ont besoin de s’opposer aux anciens pour se faire connaître et exister, courants nouveaux contre courants anciens, et dans le cas de l’histoire coloniale, leur travail n’ a pas été trop difficile, compte tenu de l’inégalité de moyens qui existaient dans les deux mondes ancien, et nouveau, de la nouvelle configuration politique née de la Résistance, composée d’un mélange de christianisme et de marxisme.

          L’auteure donne l’exemple du mépris que le « mandarin » Renouvin, « grand maître de la Sorbonne en histoire contemporaine » manifestait à l’égard du monde colonial :

         «  Ce témoignage est emblématique de la piètre estime dans laquelle certains mandarins tiennent, à la veille des indépendances les recherches historiques touchant au monde colonial »

         Hubert Deschamps, ancien administrateur colonial, et exemple d’une conversion universitaire réussie lequel « … incarne pourtant plus que tout autre la continuité, se sent lui-même obligé d’écrire en 1970 : « (Avant 1960), l’histoire coloniale était hagiographique, héroïque (d’un seul côté), patriotique, uniformément bienfaisante et civilisatrice. » (p,258)

        Une simple remarque à ce sujet, Deschamps n’avait pas manifesté une très grande continuité dans ses orientations politiques.

         L’auteure note toutefois :

         « Au- delà du petit jeu un peu vain des « permanences et ruptures » – on se doute bien que l’on trouvera au final des héritages mais aussi des solutions de continuité -, l’enjeu est surtout de s’interroger sur la nature de ce qui change à la charnière des indépendances. » (p, 359)

       Le dernier chapitre «… ce dernier chapitre, plus court que les précédents qui constituent le cœur de cette recherche, a l’ambition de suggérer des questions et des pistes, de proposer des interprétations, plutôt que d’apporter de fermes conclusions. S’adressant notamment à des historiens qui ont vécu l’émergence de l’histoire africaniste postcoloniale, on peut souhaiter qu’il soit matière à discussion, voire à controverse. » «  (p,259)

      « Ce qui n’était pas le cas des chapitres précédents ?

      « Institutionnalisation de l’histoire de l’Afrique et développement de nouvelles logiques scientifiques : le temps des « aires culturelles » (p,259)

     « L’on assiste en France, au début des années 1960 à une distinction grandissante entre « histoire de l’Afrique » et « histoire coloniale », à une reconnaissance institutionnelle de la première et à une disqualification de la seconde.

         S’agissait-il d’une véritable « conversion » des historiens ou de la concrétisation d’un monde nouveau sur le plan politique, financier, et intellectuel, avec la création du FIDES, de l’ORSTOM, le poids nouveau du Parti Communiste en France et du marxisme en général ?

           La série d’exemples cités par l’auteure n’en constituerait-t-elle pas la démonstration ? Deschamps, Julien, Dresch, Suret-Canal, Person… ?

          L’auteure écrit :

         « Le contexte politique des indépendances joue indubitablement son rôle dans l’institutionnalisation de l’histoire de l’Afrique en France… Hubert Deschamps obtient la chaire d’« histoire moderne et contemporaine  de l’Afrique » et Raymond Mauny celle d’« histoire ancienne de l’Afrique…(p,260)

         Les deux chaires viennent d’être créées à la Sorbonne ! Une petite révolution !

       « … C’est aussi la logique qui prévaut à la VI° section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, créée en 1947 et dirigée d’abord par Lucien Febvre, puis à partir de 1956, par Fernand Braudel. La nouvelle section, officiellement fléchée « Sciences économiques et sociales », est surtout centrée sur les sciences sociales, mais devient vite le bastion de la conception histoire défendue par les Annales : celle d’une discipline carrefour des sciences sociales… (p260)

          « … Ces diverses formes de reconnaissance universitaire sont des victoires sur ce que Jan Vansina considère rétrospectivement comme la forteresse quasi imprenable de l’Université française : il insiste en effet sur le caractère centralisé et mandarinal de l’Alma Mater d’avant 1968, qui rejette les historiens de l’Afrique aux marges de l’histoire et, ce qui est plus grave d’un point de vue purement stratégique, aux marges de l’Université. Mais Marc Michel nuance cette vision et considère au contraire que l’institutionnalisation des années 1960 entérine « un mouvement de fond ». » (p, 260)

      C’est également mon opinion, un mouvement que la seconde guerre mondiale a précipité, avec l’élection de députés et de conseillers de la République venus de l’outre-mer dans nos assemblées, l’esprit nouveau des gens de la Résistance, l’influence des courants politiques de gauche, et peut-être un intérêt nouveau pour l’agitation qui commençait à se développer dans les outre-mer, facilitée par la naissance de mouvements nationalistes nouveaux qui s’épanouissaient grâce au soutien des Etats Unis, de l’URSS, et des nouvelles nations du Tiers Monde, l’Inde, l’Indonésie, l’Egypte, avec l’évolution politique qui se profilait en Afrique, avec le Ghana.

         Pour ne pas parler de la guerre d’Algérie dont Stora fait l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale, pour ne pas dire nationale, sauf à indiquer que les nationalistes d’Algérie eurent en définitive peu de soutien de la part des nouveaux dirigeants d’Afrique.

        « Passeurs, filiations, mutations » (p,263)

        « La décolonisation assure donc l’entrée à l’Université de personnalités qui ont été partie prenante de l’Empire : Deschamps, ou Mauny sont d’anciens fonctionnaires coloniaux. Brunschwig a enseigné à l’ENFOM… Ce faisant, ils ont constitué un chaînon important entre l’histoire d’avant les indépendances et celle qui démarre après. » (p,263)

         L’auteure explique alors que tout n’était pas à jeter dans ce passé, contrairement à ce qu’écrivait Jan Vansina  « lequel propose de faire démarrer la « véritable «  histoire de l’Afrique en France à l’élection d’Yves Person à la Sorbonne en 1971, et à celle de Catherine Coquery-Vidrovitch, la même  année, dans la nouvelle université de Paris 7°. Cette vision est excessive, mais elle a le mérite d’être sensible à la continuité qu’incarnent les nouveaux promus des années 1960. Il est certainement plus juste de voir Brunschwig, Deschamps et Mauny comme des passeurs, comme des historiens de la mutation, un pied dans l’histoire coloniale, l’autre dans la nouvelle aventure historiographique, et eux-mêmes sujets à une évolution scientifique personnelle. » (p,266)

         Deux observations, la première relative à Brunschwig : je ne suis pas sûr que cet historien confirmé, élevé au lait de Marc Bloch, ait eu besoin d’une «  évolution scientifique personnelle ».

          La deuxième concerne Yves Person : l’intéressé fut également un produit de l’ENFOM, d’abord administrateur colonial, qui se convertit, comme Deschamps, dans l’histoire coloniale qu’on n’appelait plus « coloniale »

        Yves Person était un homme de gauche, ce qui veut dire, qu’il n’était pas complètement à l’écart du courant politique universitaire dominant de l’époque.

        Il se trouve qu’à l’occasion de mes recherches personnelles sur le colonel Péroz, et notamment à l’occasion de son séjour dans le bassin du Niger, et notamment de ses contacts et relations personnelles avec Samory, j’ai lu la thèse, c’est-à-dire la somme que cet historien a consacré au personnage, une somme très fouillée de plus de mille ou deux mille pages, faite du recueil de milliers de témoignages oraux, les fameuses « traditions orales », confrontées à sa propre lecture, côté français, de l’histoire de Samory. Cette thèse était intitulée « Samori, ou la révolution  Dyula ».

          A la lecture de ce document, et comparé à ce que je pouvais moi-même interpréter de cette période de conquête française, j’en avais recueilli la conclusion que son auteur manifestait beaucoup de compréhension historique pour le personnage, pour ne pas dire de compassion, et beaucoup moins pour ceux qu’il baptisait les « traineurs de sabre ».

          Assez souvent, par exemple il met en cause le témoignage de Péroz, alors capitaine, lequel à son époque était une rareté, étant donné qu’il parlait au moins deux dialectes du Soudan de l’époque, et qu’il avait incontestablement su gagner la confiance de Samory.

          Péroz faisait œuvre d’historien amateur, comme beaucoup de ses collègues, puis administrateurs, en pleine découverte de ce nouveau continent, et j’avouerai bien volontiers que leurs successeurs, artisans ou non, devraient être bien contents de pouvoir consulter, encore de nos jours,  ce type de source historique, et quoiqu’on en dise.

         A ma connaissance, mais sans aller plus loin, sa lecture n’a pas rencontré tout le soutien qu’il pouvait escompter auprès d’une partie des intellectuels africains.

      « Une nouvelle génération intellectuelle » (p,269)

       Ou une nouvelle génération politique ? Car beaucoup des noms cités par l’auteure étaient affiliés à la gauche marxiste ou communiste, pour ne pas citer aussi l’héritage de ceux qui ont milité contre la guerre d’Algérie.

       Est-ce que Mme Coquery-Vidrovitch n’a pas alors partagé ce type de communauté idéologique ?

       Comment ne pas faire remarquer que deux professeurs spécialistes d’histoire économique, celle des chiffres et non des idées, qui avaient viré leur cuti en travaillant avec une méthode digne de celle des Annales, Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre, avaient conclu que, contrairement à ce qu’ils croyaient, les thèses marxistes sur le rôle de l’impérialisme dans les colonies, la dépouille, manquaient de pertinence scientifique.

           Ne s’agirait-il pas de la problématique qui sépare les historiens des idées et ceux des faits, de leurs effets, aussi précisément évalués que possible, la première des deux problématiques étant de nature à encourager toutes les dérives possibles des interprétations historiques.

          Dans une thèse récente, Mme Huillery a développé l’idée à coup sûr, séduisante, pour tous ceux qui soutiennent la thèse de notre autoflagellation nationale, mais mal fondée dans ses instruments choisis de pertinence scientifique, l’idée d’après laquelle, ce n’était pas l’AOF qui était le fardeau de l’homme blanc, mais le contraire, en retournant l’axiome bien connu de l’histoire coloniale.

          Il convient d’ailleurs de noter que dans cette thèse, madame Huillery met évidemment en cause, mais de façon très insuffisante les travaux de Jacques Marseille et même de Catherine Coquery-Vidrovitch.

          Je m’en suis expliqué longuement sur mon blog.

        L’auteure donne l’exemple de Suret-Canale en notant :

         « L’engagement militant de Jean Suret-Canale, qui travaille dans la jeune Guinée indépendante de 1959 à 1963, se double d’une approche historique inséparable de sa vision critique marxiste. Il travaille en franc-tireur à partir de 1956, avec l’appui et les conseils du géographe communiste Jean Dresch… (p,272)

         « …Par ailleurs, l’internationalisation de la recherche en histoire de l’Afrique a une part également non négligeable dans l’évolution des idées, des pratiques et des problématiques, et mériterait une étude en soi. » (p,273)

       L’auteure note le rôle de la maison de presse et d’édition Présence Africaine, mais son siège est à Paris, au cœur du Quartier Latin, pourquoi ?

      « Alors, y-a-t-il eu disparition corps et bien de l’«histoire coloniale » dans la période 1955-1965 ? Oui, bien sûr, si l’on considère l’histoire coloniale dans sa stricte acception, c’est à dire comme l’histoire écrite en situation coloniale. Avec les indépendances, le contexte de production change profondément, les conditions de l’instrumentalisation par les colonisateurs disparaissent et l’insertion dans le récit triomphaliste européen  n’est plus concevable. Mais les raisons de cet effacement ne sont peut-être pas à rechercher exclusivement dans les propositions méthodologiques et épistémologiques des jeunes historiens de l’Afrique. Toute une conjoncture politique, intellectuelle, constitutionnelle et générationnelle incite à minimiser les continuités, à exalter les ruptures. » (p,277)

         Question : 1955-1965, ne s’agit-il pas d’une période d’observation un peu courte, compte tenu des bouleversements de toute nature qui ont agité le terrain de « jeu » des historiens, avec le retentissement majeur qu’a eu la guerre d’Algérie sur beaucoup de ces historiens ?

       « Instrumentalisation » ? Je fais incontestablement partie de ceux qui estiment que l’histoire postcoloniale a quelquefois autant de mal que toutes les histoires de France ou d’ailleurs à y échapper.

       En revanche, j’adhère au propos de la fin :

      « Dans cette mesure, on ne peut pas suivre totalement Yves Person lorsqu’il affirme en 1979 :

       « Les années soixante sont celles de l’histoire africaine, longtemps niée par les historiens comme excentrique et impossible, et méprisée par les anthropologues marqués par le fonctionnalisme et le structuralisme, qui la qualifiaient de pseudoscience conjoncturelle, a réussi à s’imposer. »  (p280)

        Propos d’historien détaché de tout engagement politique ? Et tout autant détaché de situations coloniales non expérimentées ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – Conclusion (p,281)

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

Conclusion (p,281)

             Ainsi que je l’ai indiqué dans la présentation de ces textes, le lecteur trouvera d’ici quelques jours mes conclusions générales, c’est-à-dire le résumé de toutes les questions capitales que pose l’ouvrage sur le plan méthodologique

            Arrivé au terme de ma lecture et de mon analyse, je vous avouerai que je n’ai pas toujours eu l’impression de suivre le raisonnement historique de l’auteure, balançant à mes yeux entre les deux pôles d’une histoire coloniale justement dénigrée et celui d’une histoire « légitime », celle qu’elle  qualifie de méthodique, et qui serait apparue, comme par hasard après la décolonisation, dans le courant des gauches françaises.

            Le contenu de la conclusion en est encore, et à mon avis, une bonne illustration.

            « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque de l’impérialisme français ? Démêler ce qu’il y a de « vraiment coloniale » dans cette histoire-là ? Distinguer les impasses ou les réussites d’une historiographie naissante, ce qui relève du contexte de production et ce qui relève de l’échec épistémologique ? Ou, pour le dire à la manière d’un sociologue, se demander « en quoi un discours scientifique est dépendant des individus et des conditions dans lesquelles il a été élaboré et en quoi au contraire, en tant que science, il possède une épaisseur qui l’autonomise toujours par rapport à ses conditions de production » (dixit Thomas Brisson « Les intellectuels arabes en France »)?)

          Au terme de ce travail, un certain nombre de pistes se sont dégagées qui, espérons-le, permettent de répondre au moins partiellement à ces questions centrales. L’une de ces pistes a consisté dans l’étude des modalités selon lesquelles les historiens de l’époque coloniale ont été amenés à produire des connaissances sur le passé de l’Afrique et des Africains. Façonnée par des réseaux et des milieux spécifiques, articulée à des logiques de gestion de populations sur le terrain impérial, adossée à une vision consensuelle de la colonisation, l’historiographie de cette période a été dans le même mouvement bornée et aiguillonnée par ses conditions particulières de production. » (p,281)

         Comment ne pas souscrire entièrement aux observations de Thomas Brisson, mais à la condition de ne pas généraliser un discours historique détaché des situations coloniales et des moments coloniaux, très différents dans une Afrique hétérogène à tous points de vue ?

           De quoi et de qui parlons-nous, et de quelle histoire en particulier ? Celle des premiers témoignages d’explorateurs, d’officiers, d’administrateurs,  naturellement des amateurs, cette histoire du terrain, de la ou des découvertes, des affrontements militaires, celle qualifiée des « batailles », et en même temps de la consignation des descriptions géographiques, religieuses, culturelles, économiques, politiques, ou ethniques qu’ils consignaient souvent très « religieusement » sur leurs carnets de route ?

               Et non l’histoire coloniale des amateurs et des premiers professionnels qui tentèrent, une fois la colonisation à peu près dans ses meubles, c’est-à-dire après 1920, de généraliser la portée de ces témoignages en proposant  des constructions historiques qui, sous le prétexte qu’elles étaient instrumentalisées plus ou moins par les autorités coloniales, ce qui reste à démontrer, méritent tous les opprobres, tels que ceux énumérés à la page 282, en laissant croire que la critique postcoloniale fondée avant tout sur une historiographie, et non pas sur des sources de première main, postérieure à 1945, ne porterait pas non plus quelques lunettes anachroniques ou partisanes ?

            « C’est ce qui explique sans doute qu’au moment où la discipline historique dans son ensemble privilégiait le document écrit, l’événement et le « fait », certains producteurs d’histoire coloniale ont ressenti la nécessité d’innover en jonglant, même maladroitement, avec les sources orales, de s’interroger sur le religieux, croisant le questionnaire ethnographique ou juridique et l’’enquête historique, « bricolant » des méthodologies susceptibles de répondre aux questions qu’ils se posaient.

            On peut comparer les critiques essuyées par l’histoire coloniale et celles adressées à l’orientalisme. Une condamnation sans appel de ce dernier, au nom de ses accointances avec la domination  impériale, ou à l’inverse, une étude de son contenu scientifique sans prise en compte de cet environnement, ne permettent pas d’envisager l’ambiguïté intrinsèque d’un savoir produit en situation coloniale… « (p,282)

       Question : est-il possible de mettre sur le même plan orientalisme et histoire coloniale, dans le cas de l’Afrique noire ? Je ne le pense pas.

           Il est bien  dommage que l’auteure n’ait pas cité les chercheurs qu’elle visait ? Des chercheurs de première main ou des chercheurs qui ont nourri l’historiographie ?

          L’auteure fait ensuite la part des choses en notant :

« Il est en effet illusoire de penser que les décolonisations ont automatiquement conduit à une production scientifique lavée de ses impuretés coloniales et dégagée de toute considération « extrascientifique » – si tant est que cette expression ait un sens, dans la mesure où toute science incorpore son époque… «  (p,285)

          Mais alors l’histoire postcoloniale également ? Comme je le pense ?

       Tout discours de fausse simplification dans un domaine qui prétend à la scientificité suscite de la méfiance et le propos de Fanny Colonna est tout à fait pertinent :

       « Il n’est pas possible d’écrire une histoire «  toute nue », pas plus aujourd’hui que dans les années 1960, et pas plus alors qu’à la période coloniale. Comme le dit ironiquement Fanny Colonna à propos de la situation des sciences sociales après les indépendances :

       « Il n’y a pas de position sans intérêt, donc pas de science pure – en particulier il n’y a pas une science absoute de péché après la décolonisation, ou sous certaines réserves de rapport à l’objet (idéologique ou pratique), et ceci vaut aussi bien pour les chercheurs nationaux que pour les autres. En particulier il n’y a pas une reconquête de la connaissance de soi par la société libérée : il y a encore des groupes qui ont intérêt à certaines vérités et à pas d’autres. » (p,286)

           Pour choisir un bon exemple de cette science « pure », « toute nue », « absoute sans péché », des adjectifs qui fleurent bon les religions, comment ne pas se poser la question de la scientificité d’ouvrages tels que « Culture coloniale », ou « Culture impériale », ou encore de « République coloniale », rédigée par des auteurs qui n’ont pas fondé leur thèse sur une évaluation scientifique des vecteurs de culture cités et de leurs effets, en particulier de la presse nationale et locale des époques coloniales examinées ?

               Où se trouvaient donc les « intérêts » ?

            Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés