« Carnets politiques de la guerre d’Algérie » Robert Buron- Citations et commentaires

Jour anniversaire de mon fils Hugues

 « Carnets politiques de la guerre d’Algérie » (Plon 1965)

Robert Buron

Ancien ministre du Général de Gaulle, et signataire des accords d’Evian »

Citations et commentaires de Jean Pierre Renaud, ancien combattant appelé de la guerre d’Algérie – Tous droits réservés

Prologue

            Ainsi que je l’ai déjà écrit, après avoir quitté l’Algérie, à la fin de l’année 1960, j’ai tiré un trait sur cette période sans doute inutile de ma vie.

         Je suis revenu bien longtemps après sur ce passé, après avoir lu quelques livres de souvenirs, participé à quelques réunions d’anciens combattants, notamment ceux du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins, et publié une sorte de version de « ma guerre à moi », sorte de compte rendu de mon expérience d’officier SAS en Petite Kabylie dans les années 1959-1960.

        Ce livre, publié en 2002, était intitulé « Guerre d’Algérie – Années 1958-1959-1960 –Vallée de la Soummam ». Plus de trente années avant, j’avais rédigé des brouillons, et dans l’un dans d’entre eux, j’avais eu la curieuse ambition de tenter de donner la parole à quelques-uns de nos adversaires.

            Les sources de mon récit étaient avant tout celles de mes notes et souvenirs, des lettres qui ont été publiées dans les Bulletins de la promotion  Communauté, et surtout des lettres que j’avais adressées à mon épouse.

            Je n’accorde en effet pas une grande confiance à tous les récits, et il y en a beaucoup,  fondés uniquement sur la mémoire, que leurs auteurs proposent  plusieurs dizaines d’années  après les faits.

            Il y a en effet pléthore de récits mémoriels, cédant à une certaine mode historique encore en vogue, le mémoriel se substituant très largement à l’historique, ou encore tout simplement le romanesque.

            C’est d’ailleurs à l’occasion de la lecture du livre de M.Ferrari « Le sermon sur la chute de Rome », qu’il m’est arrivé de réagir sur les interprétations idéologiques de cette guerre, plus de cinquante après, sans rien connaître de l’expérience d’une guerre.

            Il y a quelques années, je suis tombé sur les « Carnets politiques de la guerre d’Algérie »  de Robert Buron, un homme politique que j’estimais. J’ai lu ce livre pour avoir une version que je qualifierais d’honnête sur les tenants et aboutissants de la négociation des Accords d’Evian, en 1962.

            J’ai lu ces carnets pour tenter de comprendre par quel processus « diplomatique » la France s’était résolue à reconnaître l’indépendance de l’Algérie.

            Les extraits de carnets et mes commentaires seront présentés en deux parties : la première, détaillée,  correspond à mon vécu algérien (avril 1959 -décembre 1960) ; la deuxième esquisse une synthèse des notes de Robert Buron consacrées aux négociations qui ont abouti, après la fin de l’année 1959, terme d’un plan Challe qui avait pacifié militairement le territoire algérien,  aux accords d’Evian de 1962.

        J’invite les lecteurs qui souhaitent aller plus loin dans la compréhension de cette période historique à se reporter aux carnets eux-mêmes, ou au livre que l’historien Guy Pervillé a consacré aux mêmes  accords d’Evian.

         Le lecteur trouvera donc dans la première partie quelques extraits des carnets qui me paraissent bien illustrer les positions successives de la France sur le dossier algérien, jusqu’aux barricades d’Alger de janvier 1961, juste après mon départ d’Algérie.

        En parallèle de ce  récit, j’ai cru bon de rappeler quelques extraits de mon propre récit, effectué souvent au jour le jour,  dans l’état d’esprit qui était le mien à cette l’époque. Cette démarche s’inspirerait de celle d’un Fabrice del Dongo : dans la Chartreuse de Parme, Stendhal, décrit le même type d’expérience décalée de la guerre, dans un contexte naturellement très différent, à Waterloo, en 1815.

         La situation de beaucoup de jeunes appelés du contingent envoyés faire la guerre en Algérie, entre 1954 et 1962, ressembla beaucoup, naturellement transposée, un siècle et demi plus tard, à celle de Fabrice à Waterloo.

      Il s’agira donc quelquefois, mais de façon anecdotique, d’une sorte de dialogue  historique à deux voix, avec une voix d’en haut, celle de Robert Buron, le ministre et celle d’en bas, un soldat du contingent.

       A la fin de l’année 1960, date de ma libération militaire, ne seront citées que les quelques notes qui ont l’ambition de résumer les extraits de ce carnet relatifs aux négociations qui débouchèrent sur les accords  d’Evian

     J’ai beaucoup hésité à revenir sur ces sujets, car l’histoire de la guerre d’Algérie reste à mes yeux un dossier pourri par tout un ensemble de groupes de pression dont la vérité n’est pas le premier des soucis, des deux côtés de la mer Méditerranée.

      Rappellerais-je simplement qu’à partir de 1956, date de l’entrée en scène du contingent, les centaines de milliers de bons petits soldats ne connaissaient quasiment rien du passé de l’Algérie, et qu’au-delà de la côte européanisée, ils réalisaient vite qu’ils débarquaient dans un pays pauvre qui n’était pas la France, sauf peut-être, et encore, sur la côte ?

&

            Rien de mieux pour le citoyen d’aujourd’hui dont l’ambition est de mieux comprendre le pourquoi, le comment, et la « fin » de la guerre d’Algérie, que de lire ces carnets d’un homme politique qui fut, auprès du Général de Gaulle, un des acteurs majeurs des Accords d’Evian en 1962.

            Robert Buron n’était pas un perdreau de l’année dans le monde politique : chrétien de gauche, et alors MRP, il avait déjà exercé des responsabilités ministérielles, notamment dans le gouvernement Mendès-France qui avait mis « fin » à la guerre d’Indochine. Cet engagement hors norme lui avait valu des inimitiés.

     Robert Buron faisait partie  d’une petite cohorte d’esprits libres, relativement bien informés, ouverts au processus d’une décolonisation pacifique construite sur les indépendances et la coopération technique.

     Le livre de Guy Pervillé « Les Accords d’Evian (1962) » en propose par ailleurs une version historique de référence, rigoureuse, complète, et bien documentée.

      Mes études avaient été complètement perturbées par les questions de décolonisation, la guerre d’Indochine, le début de la guerre d’Algérie, et la perspective d’y aller, étant donné la décision qu’avait prise l’Assemblée Nationale, en 1956, sur la proposition de Guy Mollet, Président du Conseil SFIO, d’y envoyer le contingent.

      En ce qui me concerne, après une formation de six mois à Ecole Militaire de Saint Maixent, je fus affecté en 1959-1960 dans une SAS de Petite Kabylie, dans la belle vallée de la Soummam.

     Les carnets rendent bien compte de l’état d’esprit des gouvernements de la Quatrième République, que, nous, étudiants jugions alors complètement dépassés par les événements, et bien incapables d’engager la France et l’Algérie dans une voie nouvelle.

      Les Carnets font un peu plus de 260 pages, avec trois parties : I Le drame algérien et la fin de la IVème République (p, 9-97) – II Vers l’autodétermination (p, 97-175) – III Les Rousses et Evian (p, 175-267)

       Je n’ai pas l’intention d’en faire un commentaire détaillé et je me contenterai de proposer les quelques extraits de texte qui me paraissent bien éclairer les tenants et les aboutissants de cette guerre absurde, mais tout à fait représentative du fonctionnement de la détestable gouvernance politique de la IVème République et des cheminements tortueux de la Vème République pour aboutir à une certaine paix.

      Robert Buron avait su nouer de nombreuses relations amicales au Maghreb et en Afrique noire qui lui donnaient la possibilité de prendre le pouls de ces pays.

     Le procédé d’écriture que je vous propose donc consiste à illustrer  et commenter en parallèle, lorsqu’une source est disponible, – voix d’en haut, le ministre, et voix d’en bas, le soldat projeté dans le douar des Béni Oughlis, dans la vallée de la Soummam.

     Ce douar était considéré comme pourri sur le plan militaire et politique, en raison notamment de l’évolution culturelle de sa population, de sa position dans la willaya III, en bordure de la forêt d’Akfadou et du massif Djurdjura.

        Afin de mettre un peu de clarté dans les dates, j’ai souligné les années.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Carnets Buron – 1 – 1954-1956

Carnets Buron – 1-1954-1956

Première partie

I – Inconscience… 1954-1955 (page 9)

           2 novembre 1954, 5 heures du matin …

           « Voilà ce que je connaissais de l’Algérie en 1939. (c’est-à-dire pas grand-chose !)

         Durant la guerre, Alger a pris pour moi une valeur abstraite, sans lien avec son passé ou avec son avenir, ni sans doute simplement la réalité du moment…. L’armistice signé, l’Algérie a reculé dans l’ombre, loin du devant de la scène où je faisais mes premiers pas…

        Je me rappelle maintenant – avec quelque effort – la rébellion de 1945 et surtout la répression brutale qu’elle a entrainée, dénoncée discrètement par de rares hebdomadaires car la guerre n’était pas encore terminée…

      J’ai voté le statut de 1947 sans trouble de conscience et malgré les protestations de quelques radicaux et indépendants. Ma seule inquiétude concernait la complication du système imaginé et le caractère qui me paraissait quelques peu rétrograde de plusieurs de ses dispositions ; mais je n’étais pas un expert !

          Depuis que je siège dans les conseils du Gouvernement on a bien peu parlé de l’Algérie le mercredi matin ; à quatre reprises tout au plus en deux années – 1950 et 1951 – trois fois au sujet du renouvellement de la mission spéciale de six mois confiée à notre collègue Naegelen et la dernière pour commenter le résultat des élections.

           La presse, sinon le ministère de l’Intérieur, m’a appris qu’elles étaient scandaleusement truquées… Pierre Elain, mon colistier, parti soutenir la campagne de Ben Taïeb dans l’Algérois, en est revenu écœuré des mœurs administratives régnant en Algérie…

      En décembre 1951 je me suis arrêté à Alger. J’étais alors ministre de l’Information – en route vers Brazzaville. Invoquant ma fatigue supposée, le Gouverneur m’avait invité au dîner que des hauts fonctionnaires, corses pour la plupart et s’intéressant exclusivement aux problèmes concernant les Français d’Algérie dont la prospérité paraissait être le seul objectif proposé à leur administration.

      Les responsables de l’Information, de la Radio en particulier, étaient franchement réactionnaires, tous ces braves gens s’employant davantage à critiquer la politique de la métropole qu’à penser à l’évolution algérienne…

      J’aurais pu bénéficier davantage de ces contacts rapides, mais j’étais déjà très préoccupé de l’Afrique Noire et Alger n’était pour moi qu’une simple escale. Ainsi vont les choses !

      Et depuis ?

      Depuis, l’Algérie est sortie à nouveau de mon champ de conscience…

       Depuis la formation du Cabinet Mendès-France, le problème algérien a été évoqué en Conseil des ministres, parfois sur le plan économique, rarement sur le plan politique et François Mitterrand jusqu’à présent ne nous a rien appris de sensationnel à ce propos… (p,14,15)

       Evidemment, il faut convaincre les français d’Algérie ou leur forcer la main. Vichystes pendant la guerre, puis giraudistes et antigaullistes, ils refusent tout ce qui incarne la République en France et Mendès-France par-dessus tout. Pourtant, ils ont du cœur, et les jeunes ont fait plus que leur devoir pendant la campagne d’Italie. Le problème est de savoir les gouverner.

       Hélas, Pierre Mendès-France le saura-t-il, le pourra-t-il ? Radical de toujours, il a de vieilles amitiés avec les leaders algériens les plus conservateurs sur le plan économique et, quant à l’aile du RPF, de la majorité,  ce n’est pas elle qui soutiendra une politique courageuse et progressiste. » (p,16)

         Samedi 5 février, 6 heures du matin- 1954 (page 22)

       Fin du Gouvernement Mendès-France et fin sans doute de ma propre carrière ! Par 319 voix contre 278, nous venons d’être renversés. Je suis trop fatigué pour philosopher à ce sujet. Je peux seulement noter des impressions.

       Hier discours de Mitterrand, excellent quant à la forme, déplorable quant au fond, déplorable au sens propre du terme. Entendre Mendès et son ministre de l’Intérieur rivaliser de nationalisme cocardier pour tenter de retenir les éléments RPF ou indépendants qui nous avaient soutenus jusque-là, puis les voir en fin de compte, abandonnés même par les radicaux sympathisants et mes amis MRP qui, dans leur hâte de procéder à la mise à mort, ne se préoccupent même plus des motifs invoqués… C’était à pleurer.

       J’ai peine à penser que cette question algérienne ait l’importance que lui accorde la presse de gauche et qu’une nouvelle affaire indochinoise se prépare. Un Cabinet Mendès aurait dû, de toute façon, la traiter autrement que les cabinets Ramadier avant-hier ou encore hier Laniel n’ont traité la première…

     Mercredi 16 mars, dans l’avion vers Aoulef, Niamey et Garoua.

       Nous nous sommes arrêtés hier soir à Alger pour une courte escale de nuit. Ma femme m’accompagne dans cette tournée au Cameroun où nous nous rendons à l’invitation de Roland Pré que j’y ai nommé haut-commissaire il y a six mois…

       Dîner avec Jacques Soustelle, Gouverneur général :

       « Tout serait facile, dit-il, si les colons voulaient admettre qu’il est possible de gagner de l’argent sans pour autant exercer, à travers une administration docile, leur domination politique et sociale sur les musulmans et si les administrateurs venus de la métropole n’acceptaient trop vite les uns après les autres de fermer les yeux sur la vérité algérienne…

      Soustelle a compris tout de suite pourquoi le problème algérien n’était qu’incidemment policier et militaire et sa solution nécessairement politique. » (p,25)

         Mon commentaire

      Je faisais alors partie d’une des dernières promotions de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, complètement inconsciente, sans doute trop optimiste, car elle croyait qu’elle était destinée à servir une Communauté franco-africaine encore à construire et à faire vivre.

      A titre personnel, je m’étais engagé dans cette voie universitaire sur le conseil d’un aumônier qui m’avait encouragé à aller servir l’Afrique.

      La façon catastrophique dont la IVème République gérait les dossiers de la décolonisation, et en premier lieu celui de l’Algérie, nous inquiétait beaucoup, et encore plus, la perspective d’effectuer un service militaire de presque trois ans en Algérie.

     Nous suivions donc avec la plus grande attention l’actualité politique du moment.

II – Prise de conscience 1956 (page 26)

      Jeudi 26 janvier

      … Diner chez les Ardant où je retrouve Bouabid, le ministre d’Etat chérifien …. Il m’expose les revendications immédiates de l’Istiqlal… Nous parlons de l’Algérie. Visiblement – et c’est naturel – il est en relations suivies avec les dirigeants des maquis algériens. Sans complexe, malgré la situation assez particulière du nouveau gouvernement chérifien, il défend les thèses des révoltés. Il n’imagine pas de solution autre qu’une République algérienne indépendante au sein d’une communauté interdépendante…

        Mercredi 8 février (p,27)

     Que de souvenirs se lèvent à l’occasion de la réception réservée à Guy Mollet avant-hier à Alger par les jeunes fascistes du cru, les colons venus de la Mitidja pour l’accueillir à leur manière, mais aussi les cheminots, les électriciens et les traminots ! Cet accueil, m’a confié tout à l’heure Alexandre Verret, qui dirige son Cabinet, a profondément ébranlé Guy et pesé sur sa décision…

     Robert Lacoste va partir pour l’Algérie. Je le plains. Que pourra-t-il y faire vraiment ?

     Mercredi 29 février (p,28)

     Le problème algérien domine la vie politique. Un véritable sentiment d’angoisse s’empare de tous les Français. Le régime se délite peu à peu. Comment agir ?

… Que nous sommes mal informés ! Je dis nous car mes collègues sauf exception paraissent partager mon sort à cet égard.

… En métropole, une large majorité de l’opinion, qui, devant l’hésitation du pouvoir, est sur le point de choisir les voies de l’indiscipline, de l’individualisme, de la spéculation et de la « combinazzione » aux divers échelons, parait cependant prête à suivre un gouvernement qui réagirait avec énergie et mobiliserait ce qui reste en France de ce sentiment national dont les français ne se déprennent pas sans regrets, enverrait deux ou trois classes au-delà de la Méditerranée et inonderait de troupes (pour reprendre l’expression de Mendès-France au sujet de la Tunisie) les trois départements algériens, rassurant non seulement les « colons » mais les musulmans fidèles dont 37 ont été assassinés par les fellaghas…

        Les lettres que m’envoient d’Algérie les jeunes mayennais, en particulier mes propres cousins, laissent l’impression qu’ils se sentent victimes de l’ignorance, de l’irréalisme et de la confusion intellectuelle de ceux qu’ils désignent de ce terme malheureusement imprécis « les chefs »…

      Que représente vraiment pour nous le maintien de l’Algérie dans la France ? » (p,31)

       Vendredi 16 mars (p,31)

      « Guy Mollet a recueilli une majorité écrasante… mais a-telle une signification pratique ? Comment usera-t-il de ces pouvoirs spéciaux que nous lui avons concédés, C’est l’essentiel du problème… »

        En somme si la plupart des élus ne veulent songer qu’à la politique intérieure et à la vie quotidienne du Parlement, les plus lucides se convainquent qu’il n’y a pas d’issue concevable au drame algérien et voient l’avenir en noir… »  (p,33)

Robert Buron est de plus en plus perplexe sur le dossier algérien.

      « Mais alors, où est mon devoir ? Les français ne semblent pas voir la situation telle qu’elle est là-bas – sauf certains peut-être, tels mes petits mayennais appelés ou rappelés.

       Faut-il tenter de leur ouvrir les yeux et comment y parvenir ? » (p,40)

       Mon commentaire

      A cette date, j’avais fait ma première expérience de l’Afrique au nord du Togo et au sud, pendant un stage de six mois. A Sansanné-Mango, j’y avais rencontré Robert Buron qui s’acquittait d’une mission parlementaire aux côtés d’un député communiste et d’un député radical-socialiste.

     J’avais participé en cours du dîner à une conversation très ouverte sur l’évolution du continent africain et sur la décolonisation annoncée, dans une optique de coopération ouverte avec les nouveaux Etats en gestation.

        Du fait du mandat international de tutelle que la France y exerçait encore, la République du Togo expérimentait en quelque sorte les outils institutionnels des nouveaux Etats indépendants.

     Comme j’en fis à nouveau l’’expérience ailleurs, en Algérie, ou à Madagascar, ça n’était pas la France !

        Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Avec France 2 et le « 20 heures » ! Information ? Information manipulée ! Propagande !

Ces jours derniers et au « 20 heures », le téléspectateur, et aussi citoyen, a eu droit à trois exercices d’information supposée, les deux premiers sur Daech, et le troisième sur les mineurs étrangers venus d’Afrique de l’Ouest.

            Un reporter de la chaine a longuement interviewé un djihadiste fait prisonnier en Syrie et incarcéré au Kurdistan : quel était l’intérêt et le but de cet exercice, sauf à y voir  la manifestation d’une propagande qui ne dit pas son nom ?

            Le même reporter a interviewé quelques jours plus tard une  femme djihadiste, également incarcérée au Kurdistan, lestée de trois enfants, dont lui ont fait cadeau trois djihadistes tués : quel est l’intérêt et le but de cet exercice, sauf à y voir la manifestation d’une propagande qui ne dit pas son nom ?

            Susciter notre apitoiement à l’égard d’une djihadiste ?

            Troisième cas de figure : des mineurs étrangers, venus on ne sait comment d’Afrique de l’Ouest, Guinée et Côte d’Ivoire…, sont chaleureusement accueillis par  une famille de la Somme.

            Il conviendrait évidemment d’en savoir plus sur le pourquoi et le comment de ces mineurs venus chez nous, sans papiers, qui ont l’honneur de faire la Une humanitaire du 20 heures.

            Le 20 heures a-t-il l’ambition de renforcer les flux de mineurs étrangers que leurs parents nous envoient si gentiment ?

            Question toute bête : les pays de l’Afrique de l’Ouest que nous aidons financièrement et militairement sont-ils invités à nous envoyer leurs enfants, alors que la République manifeste depuis de longues années son incapacité à donner un cadre républicain à trop d’enfants de nos quartiers sensibles.

            Conclusion : la France est effectivement un pays gravement malade, et il ne semble pas que le « 20 heures » d’une chaine publique, financée par les citoyens, constitue le remède approprié pour guérir cette maladie.

            Jean Pierre Renaud   –   Le 5 novembre 2017

Les Mots de la post-colonisation : avec Jules Ferry, Georges Clémenceau, Jean Louis Borloo, et Esther Duflo

Les mots de la post colonisation ?

La « civilisation » de Jules Ferry – L’électrification miracle de Jean-Louis Borloo- La « responsabilité morale » d’Esther Duflo : est-ce bien différent ?

Flux migratoires et démographie africaine, ou les ignorances feintes de notre establishment, français ou européen.

Une clé trop souvent oubliée, le culturel

            Première observation : tous les Français qui se sont intéressés ou qui s’intéressent encore à l’Afrique et à son développement, comme tous les Africains qui se sont partagé le pouvoir depuis les indépendances, ou qui se sont tenus informés du cours des choses dans leur pays, ont toujours su ce qu’il en était de l’expansion démographique de l’Afrique.

            Au moment des indépendances, certains spécialistes, notamment Georges Balandier, avaient toutefois une lecture optimiste de cette évolution, en estimant que le décollage économique de l’Afrique Noire était possible, et donc de nature à absorber cette croissance démographique.

       Sur ce blog, le 12 juillet 2011, et en référence à un article du journal Les Echos (10/06/2011, page 17), « Afrique, la bombe démographique »), je rappelais à propos des « Printemps arabes » la thèse que défendait, plus de cinquante ans auparavant le sociologue et polémologue Gaston Bouthoul dans son livre « La surpopulation » (1964).

            Ce livre n’était pas dénué de qualités, mais le style et le contenu de l’œuvre, par trop tonitruants, étaient de nature à surprendre plus d’un lecteur.

            Gaston Bouthoul proclamait à l’époque un certain nombre de vérités qui en dérangeaient beaucoup, et à mes yeux, son grand mérite était de mettre le doigt sur un facteur de changement trop souvent négligé ou volontairement ignoré, le rôle capital des femmes.

            Deuxième observation : il semble que c’est avant tout en prenant connaissance des flux migratoires provoqués par les « Printemps Arabes », et plus récemment par les guerres du Moyen Orient ou d’Afrique, que l’opinion publique semble avoir réalisé que le problème existait.

            Auparavant, les flux migratoires étaient plus ou moins masqués ou cachés dans notre pays, avec des flux de migrants sans papiers, des opérations de régularisation humaine ou politique de cette catégorie de migrants, de regroupement familial vrai ou fictif, de mariages mixtes arrangés et souvent monnayés…

            De nos jours aussi, les chaines de télévision, en pleine concurrence de causes humanitaires, nous saturent d’images de migrants ou de réfugiés, et c’est tout le problème, quelle que fusse leur origine géographique, Afrique du nord, de l’ouest ou de l’est, Moyen Orient, ou  Asie.

            A présent, ce sont les mineurs isolés qui font la Une de nos médias, c’est-à-dire les enfants des pays du Moyen Orient ou d’Afrique, dont leurs parents nous font cadeau.

            Le cas de Mayotte est à ce sujet exemplaire, avec la proximité de la République des Comores.

            Troisième observation de nature historique : je rappelle que les spécialistes français du monde africain n’ont pas eu un regard pessimiste sur l’évolution démographique du continent, pas plus que nos hommes ou femmes politiques, dans les années qui ont précédé les indépendances ou qui les ont suivies.

            Dans la chronique que j’ai consacrée aux concepts de subversion et de pouvoir, j’ai relevé que dans les deux livres de Mendès-France et de Peyrefitte, « Choisir » et « Le Mal Français », la question de la démographie africaine ne semblait pas se poser.

            Un des bons spécialistes, sociologue réputé et reconnu de l’Afrique noire, Georges Balandier, soutenait en effet une thèse plutôt optimiste sur la démographie africaine, telle celle dont j’avais pris connaissance au cours de mes études dans la revue mendésiste « Les Cahiers de la République » (mai-juin 1957)

        Dans ce numéro, toute une série de chroniques étaient consacrées aux problèmes de l’outre-mer, dont celle de Balandier intitulée «  Problèmes sociologiques de l’Afrique Noire » (p, 38 à 47).

      L’auteur relevait tout un ensemble de problématiques complexes et difficiles à résoudre, et écrivait :

            « Les peuples africains disposent, par rapport à ceux d’Asie, d’un avantage considérable : les problèmes qu’ils  affrontent ne sont pas encore aggravés par une course de vitesse entre progrès économique et expansion démographique. La croissance des populations est cependant forte : une récente enquête en Guinée française a révélé un taux de croissance annuel établi entre 20 et 25% ; mais dans une perspective de développement économique les sociétés africaines peuvent pour la plupart intégrer ces bouches nouvelles sans risques sérieux. Ceux-ci n’apparaissent que dans les territoires où la politique de confiscation des terres, à l’avantage du colonat, confinant les paysans autochtones à l’intérieur d’étroites réserves. La moindre contrainte démographique permet aux pays d’Afrique noire d’envisager un développement économique moins brusqué, plus soucieux du coût social et humain : ils ne travaillent pas, comme ceux d’Asie, sous la menace permanente de la famine. Le Gouvernement de Ghana a su, dans ses prévisions, tenir compte de cette situation, il a le souci de réaliser les aménagements sociaux préalables à toute action économique de grande envergure ; il entreprend une tâche intensive d’éducation et de formation technique, constitue une administration adaptée aux nécessités modernes en même temps qu’il élargit l’infrastructure économique (et notamment, le réseau de communications) ; il n’aborde le développement économique proprement dit que d’une manière prudente et l’action porte en premier lieu sur le secteur agricole. Mais il reste difficile de prévoir combien de temps durera cette possibilité de ménager les étapes, de ne pas accepter le progrès à n’importe quel prix (et, en particulier, au prix d’ingérences étrangères lourdes). » (p,41)

Le lecteur aura noté l’expression que j’ai soulignée : « la moindre contrainte démographique ».

            L’auteur soulignait toutefois que le processus de développement qui pouvait être engagé rencontrait aussi des difficultés, notamment socioculturelles, et c’est là que se situait le vrai problème :

            «  La référence aux conditions culturelles s’impose : c’est d’ailleurs un domaine bien prospecté par l’ethnologue. La permanence de comportements typiques, ou de modes d’organisation plus ou moins adéquats, peut constituer un obstacle grave à la promotion économique du Noir africain.

         Les Fang du Gabon nous offrent l’exemple de « désajustements » résultant du maintien d’une attitude ancienne à l’égard des richesses. Il s’agit, avec ce peuple, d’une société médiocrement hiérarchisée où s’affirment les prééminences plus que les autorités instituées ; c’est ainsi que le riche (nkuma-huma) bénéficie d’un prestige qui lui donne figure de chef local aux yeux des étrangers. Seulement, la richesse consiste essentiellement en femmes (un proverbe affirme : Nos vraies richesses, ce sont nos femmes) et en « marchandises », serrées dans des coffres, qui apparaissent en quelque sorte comme des « femmes virtuelles » puisqu’elles interviennent dans la constitution des dots. Il est certain qu’une large part des revenus circule d’abord sous forme de dots, cependant que ces dernières obéissent aux mouvements des prix locaux. Dans la mesure où l’accès aux sources de revenus s’est individualisé, la compétition pour les femmes s’est exacerbée et le coût des dots n’a cessé de croître – comme croit d’ailleurs le nombre de célibataires forcés… »  (p, 43)

         Cette citation montre bien une des difficultés qu’ont eu à résoudre les nouveaux chefs d’Etat africains, la compatibilité entre le socio-religieux, le socio-culturel et le développement économique.

        Plus de soixante ans après,  l’évolution du monde noir montre clairement que cette difficulté n’a pas toujours été, et c’est un euphémisme, véritablement résolue, car une des raisons de l’explosion démographique de l’Afrique parait bien liée à un contexte socio-culturel, pour ne pas dire religieux, peu disposé à accepter un effort de régulation démographique conjugué avec un développement économique fondé sur de bonnes assises collectives.

        Le tissu socio-culturel  africain constituait dès le départ un adversaire redoutable pour tout développement, une sorte de nœud gordien, face à un patchwork de croyances, de langues, de mœurs,  et de modes de gouvernance, avec des structures complexes de parentés, de lignages, de castes, de chefferies dont les officielles du temps de la colonisation n’étaient pas toujours les chefferies réelles, etc…

       Il est beaucoup plus difficile de mettre en mouvement un changement culturel, souvent religieux, que de mettre en œuvre des capitaux ou des équipements.

        Comment ne pas faire un rapprochement avec la situation socio-culturelle qui existe dans certains de nos quartiers sensibles, et dont l’évolution sur la longue durée n’est pas toujours favorable à l’intégration de leurs territoires au sein de la République française ?

        Historiquement, ces analyses de la situation de l’Afrique ont-elles fondamentalement changé ? C’est loin d’être sûr.

Les mythes de la « civilisation »

       Quelle différence existe-t-il entre le discours d’Esther Duflo : « C’est une responsabilité morale » dans le journal Le Parisien du 18 septembre 2017, ou celui de Jean Louis Borloo sur la révolution promise de l’électrification de l’Afrique, et celui de la Troisième République sur la « civilisation » ?

         Sauf à dire que ces magnifiques concepts faisaient ou font précisément l’impasse sur les facteurs socio-culturels, sur le rôle des croyances, des coutumes, et dans la cas de l’Afrique, sur la condition féminine !

       Au cours du  fameux échange oratoire qui eut lieu à la Chambre des Députés, entre Jules Ferry et Georges Clémenceau, le 28 juillet 1885, rappelé dans l’éditorial du numéro cité des « Cahiers de la République », Clemenceau, bon connaisseur des civilisations asiatiques, soulignait l’importance des facteurs culturels :

        « Vous prétendez apporter à un peuple, à la pointe de l’épée, l’esprit d’une civilisation. Vous vantez un certain nombre de résultats spectaculaires des élites « ralliées », des hôpitaux construits, des routes, des écoles, l’ordre européen enfin, qui se donne à lui-même l’élégance d’être plus moderne, plus européen que l’Europe : gratte-ciels d’Alger ponts de Saigon. Mais tout cela n’est que le résultat d’une amère exploitation ». Ce que l’on prend pour une grande œuvre nationale n’est à la vérité que l’entreprise d’un petit nombre, le profit d’un plus petit nombre encore. Ainsi l’Europe industrielle, démocratique et sociale n’a exporté, sous le couvert de la colonisation, que ses vestiges féodaux renouvelés. Elle n’use des techniques modernes que pour leur rentabilité, masquant sous ses institutions libérales l’exploitation totale d’un peuple par un autre.

      Mieux encore : pour certains, l’alibi de la « présence culturelle », n’est encore qu’une forme d’impérialisme, et la plus grave, puisqu’elle tend à déposséder un peuple de ce qui fait sa dignité propre à savoir, sa culture… » (p,3)

      Vaste débat souvent caricatural, en notant que les deux hommes politiques qui s’affrontaient étaient parties prenantes de la gauche « impérialiste » de la Troisième République conquérante, que Clemenceau avait une culture  du monde asiatique que n’avait pas son adversaire, et c’est sur ce point que je voudrais insister, la « culture », le mot clé qui manque le plus souvent à mon avis dans les débats ouverts sur la colonisation, le développement, avant ou après les indépendances des anciennes colonies.

       Clemenceau mettait justement le doigt sur le point sensible, la « culture », mais les mondes culturels de l’Asie avaient, et ont encore,  peu de choses en commun avec celles d’Afrique.

           Cette différence de milieux culturels entre les deux continents constitue à mes yeux une des raisons du décollage économique réussi de la plupart des pays d’Asie et des blocages généralement constatés sur le continent africain.

            Indépendamment de tous les facteurs qui ont empêché ou ralenti le développement de l’Afrique noire, ce continent immense souffre d’une fracture religieuse et socio-culturelle entre les pays islamisés et les pays anciennement animistes ou fétichistes, puis en partie christianisés.

           Le continent africain a pour caractéristique capitale l’éparpillement de son patrimoine socio-culturel, et souffre donc de l’absence d’une  véritable colonne vertébrale culturelle de type collectif, comme dans le monde asiatique.

            Dans son livre sur la surpopulation, Gaston Bouthoul, mettait l’accent dans la première partie sur « Les faits, la mutation et la révolution démographique », avec en « 3 – Le déluge démographique ? L’explosion des pays sous-développés »    

            L’auteur décrivait le « sauve qui peut » des colonialistes face à la démographie galopante des colonies » (p,81)

            Les flux démographiques actuels, quels que soient les noms de baptême qu’on leur donne, sont aux rendez-vous annoncés et prévus.

            C’est la raison pour laquelle les exhortations actuelles de Madame Duflo ou de Monsieur Borloo s’inscrivent en définitive dans le même schéma d’analyse que celui ancien de la colonisation, mise au goût du jour avec l’aide au développement.

        Pas de solution en profondeur sans changement dans les cultures du pouvoir, car comme nous l’avons rappelé, George Balandier soulignait clairement la dimension socio-culturelle de cette problématique.

        Pour reprendre le propos de Monsieur Borloo, l’électrification du continent ne constitue pas une solution miracle, sans changement en profondeur des cultures.

        Rappellerai-je que le même Borloo a mis en œuvre un programme important de rénovation urbaine dans les quartiers sensibles de France, mais sans accorder assez d’attention à leur milieu socio-culturel qui a été laissé en jachère ?  

       Sans évolution des milieux socio-culturels d’Afrique noire, de leurs réflexes en face des naissances, la course de vitesse entre développement économiqueet croissance démographique risque d’être perdue d’avance, et c’est là qu’est le vrai tabou, dont personne n’ose parler.

         Il semble me souvenir que le pape François avait osé abordé le sujet de façon oblique lors d’un de ses voyages en Afrique, et que le Président de la République du Niger s’était engagé dans une politique courageuse de régulation démographique, d’autant plus courageuse qu’elle s’inscrivait dans un contexte culturel musulman.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Chypre et la décolonisation anglaise 1953-1956- Chypre et Algérie -« Citrons acides » Laurence Durrell

Chypre et la décolonisation anglaise

En Méditerranée, une situation coloniale des années 1953-1956

Chypre et Algérie

Avec Lawrence Durrell et son livre « Citrons acides »

Petit prologue de méthode sur les comparaisons historiques pertinentes

            Si j’ai bien compris les leçons de méthode historique qui sont préconisées dans l’univers postcolonial sérieux, il conviendrait de se garder du péché ethnocentrique, de ne pas oublier les leçons de l’histoire « méthodique », de ne pas hésiter à faire appel aux sources « d’en bas », d’ouvrir les champs historiques vers les « aires culturelles », etc…

           Mon propos sera moins ambitieux et concernera la question du champ des comparaisons historiques, pertinentes ou non, au cours de la période de décolonisation qui s’est déroulée en gros entre 1945 et 1960.

         J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet sur ce blog, notamment sur les comparaisons qui étaient faites par certains chercheurs entre des situations coloniales très différentes, dans le cas des comparaisons faites entre la Corée coloniale et l’Algérie coloniale.

        J’en rappellerai simplement les dates et les titres :

  • Le 20/08/2015 : « Petit exercice de critique historique » avec la Revue Cipango (Numéro 18-2011)  « Critiquer le colonialisme dans le Japon d’avant 1945 » de Pierre François Souyri, ou la « contextualisation » trompeuse du fait colonial.
  • Les 12/02 et 20/04/2016 : « Japon-Corée, France-Algérie –Réflexions sur deux situations coloniales et postcoloniales » de Lionel Babicz, avec la Revue Cipango (Numéro 19-2012)

          Est-ce qu’une comparaison entre les deux situations coloniales de Chypre et d’Algérie, dans le monde méditerranéen, à la même époque ne recèle pas une pertinence historique supérieure ? Loin de la mer de Chine ?

&

            Pourquoi ne pas ouvrir cette petite chronique en indiquant qu’il y a plusieurs dizaines d’années, j’avais dégusté les livres de cet auteur anglais très original, en m’immergeant avec lui dans le monde méditerranéen, dans les îles grecques, ou à Alexandrie, dans la beauté poétique de ses paysages et la richesse de ses cultures, de ses traditions, et de ses milieux humains ?

            En relisant ces livres, alors que je me suis à nouveau intéressé à ce passé colonial, après plus de trente années  de jeûne intellectuel colonial, en prenant notamment connaissance de certaines thèses historiques, mémorielles, ou idéologiques, d’une nature étrange, je n’ai évidemment pas manqué de me poser au moins deux questions :

            La première a trait au classement qu’un historien des idées de talent  comme Edward Saïd aurait attribué à Laurence Durrell, orientaliste ou non ? Notamment dans ses descriptions du monde d’Alexandrie (Le Quatuor), ou du monde grec ?

         La deuxième, ci-dessus évoquée dans un petit prologue, est relative à la pertinence historique de travaux historiques insuffisamment comparatifs, à situations coloniales précisément comparables dans le même temps chronologique, dans le cas présent entre Chypre et l’Algérie dite française dans les années 1953-1956.   

            J’ai repris la lecture de son œuvre au cours des derniers mois.

         J’ai relu le roman « Citrons acides », dont l’intrigue se déroule à Chypre au moment où les ambitions de la Grèce, avec la revendication de son rattachement au continent, l’ENOSIS, et la progression d’un processus d’insurrection animé par l’EOKA,  de plus en plus violent, que l’auteur décrit fort bien dans ce livre.

            Les lecteurs de ce blog connaissent l’importance que j’attache à la lecture d’œuvres littéraires relatant des épisodes de la vie coloniale, des sources historiques souvent plus authentiques et plus éclairantes sur les « situations » coloniales que celles exploitées par certains chercheurs professionnels.

            Je me pose d’ailleurs le même type de question, quant au contenu des romans historiques et sur la rigueur comparée entre romans et récits historiques professionnels, lesquels ne font pas toujours  preuve de la même rigueur dans le respect des sources.

            En  tout début de son récit, après avoir jeté l’ancre dans l’île, pour s’y installer et acheter une maison, l’auteur rapporte une conversation tout à fait symbolique :

      « Nous prîmes encore une rasade d’ouzo et fîmes un sort au poulpe.

      « Ami, dit-il en utilisant de façon fort imprévue la, et quelque peu solennelle, du vocatif, ce n’est pas nous qui vous apprendrons ce qu’est la liberté… c’est vous  qui l’avez apportée en Grèce, dans les Sept Iles. Est-ce qu’on ne vous appelle pas les Phileftheri – les Amoureux de la Liberté ? Au cœur de chaque Grec… » 

      Tous ceux qui ont visité la Grèce ont eu mille fois l’occasion d’entendre de semblables tirades. Elles trahissent une inquiétude profonde, mais elles  n’en sont pas moins profondément sincères. Ici, à Chypre, j’étais doublement heureux, doublement rassuré d’avoir à les subir encore – car elles prouvent que le vieil attachement sentimental était toujours vivace, qu’il n’avait pas été tué par une administration bornée et par les mauvaises habitudes de nos compatriotes. Tant que ce lien tiendrait, si fragile, si sentimental soit-il, Chypre ne deviendrait jamais un théâtre sanglant…du moins je le pensais. » (p,26)

        Noter que l’auteur pouvait s’exprimer en langue grecque.

       Située sur les confins orientaux de la mer Méditerranée, l’histoire de Chypre est à la fois extrêmement riche et compliquée, une île disputée entre puissances séculaires ou éphémères, à dominante occidentale ou orientale, de religion chrétienne ou musulmane, avec une cristallisation de relations plus ou moins conflictuelles, anciennes ou récentes entre l’ancienne puissance ottomane, la Turquie, et la Grèce, dans les entrelacs des rivalités internationales de la guerre froide.

       La situation actuelle de l’île coupée en deux morceaux en est encore le témoin vivant, le résultat des violences qui ont ensanglanté Chypre au cours de la période racontée par Laurence Durrell, et à nouveau dans les années 1974.

      Enfin, un facteur clé a pesé sur la « solution » anglaise, la préservation à tout prix de la ligne de communication maritime et aérienne, stratégique et sacro-sainte, vers le Moyen Orient et l’Orient, celle  du pétrole et de l’ancienne route de l’Empire des Indes et de Hong Kong.

Chypre était administrée par un gouverneur anglais, au même titre que d’autres colonies anglaises africaines ayant alors accédé à l’indépendance.

      Laurence Durrell était bien placé pour apprécier la situation :

       « La vérité est que le monde britannique et le monde cypriote offraient un inépuisable champ d’observation pour un homme, qui, comme moi, n’appartenait ni à l’un, ni à l’autre. Le Dôme Hôtel, par exemple offre la plus invraisemblable variété d’êtres humains que l’on puisse voir ; comme si toutes les anciennes pensions victoriennes entre Folkestone et Scarborough avaient envoyé un représentant pour assister à une conférence internationale sur la longévité… Hélas ! les Cypriotes ne réalisent pas comme ils sont comiques ! Ils étaient seulement médusés par leur grand âge et les raffinements désuets dont ils s’entouraient.

      Et réciproquement, les Anglais ne voyaient que des silhouettes sans épaisseur ; ils ne soupçonnaient pas à quel point le paysage était peuplé de types humains aussi riches et divers que les habitants d’une petite ville de province qui font les délices de l’Anglais en vacances… «  (p,41)

     L’auteur avait acheté une maison dans un village  pour la restaurer et l’habiter, à proximité de l’ancienne abbaye de Bellepaix, et  cette opération, ainsi que sa facilité à parler grec, lui avaient permis de plonger dans la vie de cette île, encore préservée des tensions entre Cypriotes et Anglais, et entre Cypriotes grecs et Cypriotes turcs, d’y nouer tout un réseau d’amitiés.

      Au début de son séjour, l’auteur était encore optimiste et ne croyait pas au soulèvement que connut l’île plus tard.

     « L’absence de toute vie politique dans l’île était une grande faiblesse, et la scène politique environnante se divisait en deux portions : la droite et la gauche. Il était significatif, très significatif même , que même le puissant parti communiste n’osait ne pas tenir compte du sentiment populaire sur la question ethnique, et était forcé d’utiliser l’ENOSIS comme tremplin. Ce qui confinait presque à la folie si l’on songe que le gouvernement d’Athènes aurait dû faire alliance avec le parti si l’ENOSIS se réalisait. L’appel aux sentiments nationaux était-il donc un collecteur de votes si puissant que même les marxistes devaient le respecter, sous peine de voir s’effondrer leur parti ? Il le semblait bien. » (p,179)

      « … Personne à Chypre ne songeait encore à recourir à la violence ; l’archevêque était un homme de paix, et tout s’arrangerait pacifiquement. En réponse à la question : « Que ferez-vous si l’O.N.U refuse son arbitrage ? Il n’y avait alors qu’une réponse : « Nous recommencerons. Nous organiserons des manifestations pacifiques et des grèves. Nous mobiliserons l’opinion  mondiale. » Personne ne répondait jamais : «  nous nous battrons » ; et si quelqu’un suggérait une telle éventualité, le plus farouche nationaliste répondait en baissant la voix : « Nous battre ? Contre les Anglais que nous aimons ? Jamais ! » Malgré la tension croissante les porte- parole du mouvement ne cessèrent jamais de souligner que : « L’Enosis n’est pas dirigé contre les Anglais. Nous les aimons et nous voulons qu’ils restent en amis. Mais nous voulons être maîtres chez nous. » Mais il y avait aussi des avertissements qui nous pressaient de nous hâter si nous voulions maintenir cet état d’esprit dans le peuple et profiter de ces bonnes dispositions. «  (p,181)

      L’auteur notait que son village d’adoption était « un laboratoire idéal pour étudier le sentiment national à son stade embryonnaire » (p,183)

     A l’occasion des cours qu’il donnait dans un lycée de l’île, Durrell entretenait des relations de confiance avec ses élèves de plus en plus troublés par l’évolution inquiétante de leur île.

      Lors de ses conversations avec des adultes ou des lycéens :

      Question d’un élève :

     «  Un jour, il resta après le départ de ses camarades, préoccupé et mal à l’aise.

     « Puis-je vous poser une question, monsieur ?

  • Mais oui
  • Cela ne vous ennuie pas ?
  • Bien sûr que non
  • Il prit une profonde inspiration, s’assit à son pupitre, croisa ses longues mains nerveuses et dit :
  • « Est-ce que l’Angleterre nous forcera à nous battre pour notre liberté  ici ? » (p,193)

     Autre conversation :

    « En remontant avec moi la rue sombre, un soir Andreas me dit :

   « Dites-moi, monsieur, l’Angleterre va bientôt régler tout cela et nous vivrons en paix, n’est-ce pas ? Je commence à m’inquiéter pour les garçons ; à l’école, on dirait qu’ils passent leur temps à chanter des chants nationalistes et à participer à des manifestations. Cela va bientôt finir,  n’est-ce pas ? »

     Il poussa un soupir et je soupirai avec lui.

     « Je suis sûr que nous finirons par nous entendre dis-je. Je ne dis pas que vous obtiendrez l’ENOSIS à cause de nos responsabilités au Moyen Orient, mais je suis sûr que nous nous arrangerons. »

      Andréas réfléchit un moment.

     « Mais puisque nous avons offert toutes les facilités pour les bases, est-ce que cela ne suffit pas à l’Angleterre ? Est-il nécessaire qu’elle maintienne sa souveraineté sur Chypre ? (p,203)

      La presse mondiale se mit de la partie, alors que l’état de sécurité empirait chaque jour, grèves, manifestations, attentats, importations clandestines d’armes, fébrilité de plus en plus grande de la Turquie inquiète pour la communauté turque de Chypre.

    Laurence Durrell fut enrôlé par le gouvernement comme attaché de presse, mais il se rendit compte rapidement que le dossier était complètement enlisé.

     « Il y avait tant à faire que je n’avais pas le temps d’être de mauvaise humeur, bien qu’il m’arrivât parfois d’être énervé de fatigue. Le problème numéro un était de convaincre l’administration que la situation pourrait aisément devenir critique ; ce n’était pas le moment de se laisser aller à son bonhomme de chemin. Mais en cela, j’échouai complètement. Je me trouvais emprisonné dans les formules sclérosées du ministre des Colonies. Avec la meilleure volonté du monde (et il n’en manquait pas de gens prêtes à secouer la routine et à prendre de rapides décisions personnelles), il était impossible d’avancer dans cet océan de paperasses qui nous submergeaient tous, le gouverneur en premier. » (p,226)

       Panos, ami grec de l’auteur déclarait :

     « Ce qui me déroute, poursuivit-il, c’est le journal anglais : tout ce qu’on peut y lire prouve que le gouvernement n’a pas encore saisi le facteur le plus élémentaire du problème. Il parle toujours d’une petite bande de fanatiques excités par quelques prêtres intéressés, mais si Makarios était vraiment intéressé, ne serait-il pas plutôt partisan du statu quo, lui le chef d’une Eglise autocéphale ? Après le rattachement à la Grèce, il ne serait plus personne, et sur le même pied que l’archevêque de Crète par exemple. Non, quoi que vous pensiez de nous, vous comprenez sûrement que l’ENOSIS nous ruinerait financièrement ? Croyez-vous que c’est après le gain que nous courons ? »  (p,256)

        Il est évident qu’à cette époque, les Cypriotes comparaient leur situation à celles d’autres colonies devenues indépendantes, telles que l’Inde ou le Soudan.

       « La folie se déchaîne

     Le choix du 1er avril fut-il un hasard ? Je n’en sais rien … » (p,267)

        Toujours est-il que l’insurrection fut déclenchée, avec attentats, bombes, grenades, et participation des collégiens à ce festival de la violence.

     Laurence Durrell fut consulté par le gouvernement britannique, mais il s’agissait d’un dossier sans solution aux yeux des Anglais.

« Pour Whitehall aussi, le point de vue changeait car ici, à Londres, Chypre n’était pas seulement Chypre : elle était un maillon de la fragile chaîne de centres de télécommunications et de ports, la colonne vertébrale d’un  Empire qui s’efforçait de résister à l’usurpation du temps. Si l’on abandonnait Chypre, que deviendraient Hong Kong, Malte, Gibraltar, les îles Falkland, Aden… autant de rocs ébranlés mais encore fermes dans le dessein général. La Palestine et Suez avaient été des problèmes de souveraineté étrangère. D’un point de vue géographique et politique, Chypre faisait partie de cette colonne vertébrale de l’Empire. Ne fallait-il pas, dans ces conditions, la garder à tout prix ? » (p,288)

      Sir John le nouveau gouverneur affrontait donc un véritable état de guerre, et le terrorisme s’amplifiait.

      « Nous avions été les victimes de la politique à courte vue menée par Londres, et maintenant le militaire prenait le pas sur la politique. (Par exemple, la déportation de l’archevêque, si elle se justifiait aux yeux du militaire, était un non-sens politique – car il était non seulement le seul représentant de la communauté grecque qui fût irremplaçable, mais son absence laissait le champ libre aux extrémistes. Bien que sa complicité avec l’E.O.K.A fut évidente, il était pourtant la seule personne capable de réfréner le terrorisme. » (p,363)

     Et en définitive, l’auteur décida de quitter l’île.

     Précisons que l’auteur eut une vie d’aventures, et qu’il fit partie des services secrets britanniques en Égypte pendant la deuxième guerre mondiale.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

SUBVERSION ET POUVOIR – TRUCS ET TRUQUAGES

V –  Trucs et truquages des scènes du théâtre d’opérations de la subversion : subversion, inversion et perversion !

          Mots et slogans détournés, les mots flash qui fâchent !

        Imprécations et anathèmes ! Détournement du sens des mots ! Faux mémoriels ou historiques !

          Les couples de mots toxiques !

Le colonialisme : certains chercheurs, historiens ou mémorialistes postcoloniaux ont fait tout un plat du colonialisme, de sa violence ou de ses vices, en laissant accroire, soit par ignorance, soit par idéologie, soit tout simplement par intérêt, que l’Occident avait exercé une sorte de monopole du colonialisme à travers les âges, pratiqué une sorte de viol de peuples qui connaissaient alors une bienfaisante paix civile, religieuse, ou culturelle. 

     Ajoutons que pour ces idéologues la France a été évidemment le champion du colonialisme.

Origines et identités : comment ne pas remarquer qu’au fur et à mesure des années, dans notre pays, des minorités agissantes  se sont plaintes de voir leurs origines ou identités bafouées ? Sans avoir l’honnêteté intellectuelle de remarquer que leur pays d’accueil ou de naissance était le fruit d’un très long passé historique habitué depuis des siècles à ouvrir sa culture à d’autres cultures, à la condition qu’elles respectent nos libertés et notre droit des hommes et des femmes.

          Il faut leur dire : Soyez fier de vos origines, mais respectez tout autant les origines de la société qui vous a accueilli ou donné naissance !

Le racisme, les blancs sont racistes : vaste sujet !

       D’autant plus vaste que le sens historique de ce terme a évolué, que dans notre société le racisme est condamné, qu’à titre individuel ou familial, il existe maints exemples de l’inexistence du phénomène, sauf à dire qu’avec l’évolution démographique, l’importance des flux migratoires dans certaines de nos cités, une bonne cohabitation de populations de toutes origines n’est pas toujours facile ou pacifique, d’autant plus quand les citoyens de notre pays ont eu maintes fois l’occasion de constater que beaucoup d’étrangers entraient chez nous sans y être autorisés, en quelque sorte par effraction.

        Indiquons par ailleurs que les pays d’origine de ces contempteurs patentés ne sont pas exempts de racisme, hier et encore aujourd’hui en Afrique, en Asie, ou au Moyen Orient,  pour ne pas parler du racisme russe ou américain.

        Qui oserait prétendre que l’on ignore tout racisme sur le fleuve Niger, au Sahel, sur la Betsiboka, ou sur les rives du Maghreb ?

      Cessez donc de manipuler l’opinion publique !

L’esclavage, oui parlons de l’esclavage !

     Les esprits les plus objectifs savent que les premiers explorateurs ou officiers qui ont découvert l’Afrique, pour ne parler que de ce continent, y ont rencontré des royaumes ou des tribus qui pratiquaient encore l’esclavage  bien après l’interdiction internationale des trafics d’esclaves, pour ne pas citer d’autres pratiques encore plus révoltantes.

      L’historien Pétré-Grenouilleau a fait l’objet d’une sorte de « fatwa » intellectuelle de la part de ces groupes politico-intellectuels qui rament sur la mauvaise conscience, la réparation des péchés, et pour solde de tout compte, de la monnaie sonnante et trébuchante, à l’exemple de certains animateurs du mouvement dit des Indigènes de la République, car il ne faut pas continuer à cacher que l’esclavage  était encore vivace en  Afrique et à Madagascar, à la fin du dix-neuvième siècle.

        Qui plus est, l’histoire des trafics d’esclaves d’Afrique noire, à destination du Maghreb ou des pays arabes, a fait longtemps l’objet d’un tabou, de même que de nos jours, la prudence et la réserve que manifestent certaines universités africaines sur le sujet, en tout cas, celle de Dakar, comme c’était encore le cas il y a quelques années.

Aujourd’hui, l’islamophobie, mais il n’était pas question d’Islam, de voile, de mosquées dans nos sociétés, il y a cinquante ans.

      Cherchez en les raisons sous le nouveau masque de la propagande !

     Est islamophobe le citoyen ou la citoyenne qui est opposé  à  la transformation de notre pays démocratique et laïc en régime théocratique,  le pouvoir étant détenu par des imams venus d’ailleurs, un saut rétrograde pour le fameux « état de droit » dont se gargarisent à tout bout de champ nos hommes politiques, un état de droit qui, à la vérité, sert souvent de parapluie à l’expansion de l’islam dans notre pays, et au terrorisme.

      Islamophobe celle ou celui qui refuse de voir le statut des femmes, fruit d’un long combat, qui n’est d’ailleurs pas fini, rétrograder dans un pays de libertés.

       En France, les initiés savent qu’il y aurait plus de cinquante mille femmes excisées, et le combat pour l’égalité des sexes est permanent.

       Il n’y a que les imbéciles pour ne pas voir que depuis des années des prédicateurs influents, souvent d’origine étrangère, font pression dans nos villes pour imposer le voile aux femmes d’origine musulmane, comme signe religieux, comme aux petites filles dans nos écoles publiques.

     L’anathème d’islamophobe est lancé pour cacher le véritable objectif de cette nouvelle propagande de subversion de notre état de droit et de nos libertés, de les toucher au cœur.

     A titre d’anecdote, il fut un temps où le maire socialiste du XVIIIème arrondissement à Paris, ancien ministre de l’Intérieur, fermait les yeux sur des attroupements de prières dans la rue.

      Il est tout de même curieux de voir de belles âmes protester contre les conditions de détention de terroristes qui ont assassiné, estropié hommes, femmes et enfants, des terroristes ennemis de notre pays qui bénéficient de toutes les garanties de notre état de droit, aux frais des contribuables et de nos morts et blessés.

Les couples de mots toxiques

     Plus de cinquante ans après leur indépendance, quelques groupes de pression actifs animés aussi bien par des animateurs venus des anciennes colonies, surtout d’Afrique, de première ou de deuxième génération, que par d’autres animateurs de métropole dont les mobiles sont divers, envoient à pleine volée des couples de mots toxiques tels que repentance-assistance, ou culpabilité- réparation.

Jean Pierre Renaud   –   Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Synthèse critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Synthèse critique

            J’ai lu ce livre avec beaucoup d’intérêt, un livre vivant, riche d’ouvertures historiques, d’appréciations souvent convaincantes, quelquefois aussi d’éclairages de vérités dérangeantes.

        L’intitulé des trois parties parait justifié, sauf à dire qu’il manque peut-être une partie consacrée à la France coloniale de métropole, ses animateurs, ses outils de propagande, ses effets sur l’opinion publique, notamment à travers une presse qui n’a jamais fait l’objet, sauf erreur, d’une évaluation de l’écho qu’elle donnait aux affaires dites « coloniales ».

       Mes lecteurs savent qu’il s’agit de la critique fondamentale que j’ai formulée, avec démonstration à l’appui, à l’encontre du travail d’un collectif de chercheurs qui ont prétendu que la France avait « baigné » dans une culture coloniale, puis impériale.

         La France coloniale a toujours eu les yeux plus gros que le ventre, et la France postcoloniale au moins autant, à voir le nombre de ses interventions internationales tous azimuts.

        Les analyses de la troisième partie militent en ce sens. Je ne citerai qu’une phrase de la conclusion à ce sujet : « L’empire colonial a été une affaire d’élites. » (p322)

          L’auteur intitule sa première partie « Le fiasco des décolonisations » et je partage ce jugement, mais pouvait-il en être autrement de l’avis de ceux qui ont la chance d’avoir une petite culture historique sur l’histoire coloniale elle-même, sur les situations coloniales des années 1960, de la situation internationale elle-même avec la guerre froide, la propagande de l’URSS, de celle des Etats-Unis en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et du tiers-mondisme ?

          Pouvait-il en être autrement compte tenu du cours des choses en Afrique du Nord ou en Afrique noire, les deux cas de l’Indochine et de l’Algérie étant tout à fait particuliers ?

           Le risque de « balkanisation », alors dénoncé par Senghor, montrait bien que l’intéressé connaissait bien le sujet, une sorte de balkanisation ethnique et culturelle encore très prégnante, avec le constat que le découpage géographique et administratif effectué une soixantaine d’années auparavant entre les différentes colonies n’était pas de nature à donner naissance à ce qu’on appelait alors, et qu’on appelle encore de nos jours, des Etats-nations.

        De l’avis des bons connaisseurs de ces territoires, la décolonisation était inscrite dans l’histoire de ces pays, mais le processus de décolonisation ne pouvait qu’être difficile pour tout un ensemble de facteurs internes liés aux croyances de ces territoires, à leurs cultures, leurs mœurs, leurs coutumes, le nombre de leurs langues et de leurs peuples, pour ne pas dire ethnies, de leur manière d’être gouvernés avec l’importance du patriarcat que souligne l’auteur (p,147,148).

        Ajoutons à cette difficulté celle d’une recherche de modes de coopération avec un  islam très divers dans toutes les régions, au moins dans celles où cette religion bénéficiait d’une certaine cohésion religieuse.

        Dans son livre « La France en terre d’islam », le même historien décrit la situation de l’Algérie coloniale, en notant que le peuple algérien continuait à vivre dans une sorte de monde très largement musulman, parallèle à celui de l’Algérie française : « Une contre-société coupée de l’Algérie française ». (p,218)

      Dans les années 1959-1960, j’ai fait l’expérience concrète du parallélisme ainsi décrit en Petite Kabylie, plus d’un siècle après la conquête.

          Ce n’est pas tout à fait par hasard que la colonisation française, faute de pouvoir faire autrement, en tout cas en Afrique, faisait en sorte de respecter des statuts personnels très variés, avec le cas tout à fait particulier d’un l’islam qui y avait gagné beaucoup d’adeptes jusqu’à la décolonisation, un islam encore modéré.

         Les caractéristiques du statut personnel des musulmans rendaient difficiles sa compatibilité avec le statut personnel des français et des françaises, notamment après la grande loi sur la laïcité de 1905 ?

         Ce n’est pas par hasard, que de nos jours, notre pays rencontre des difficultés pour que l’islam de France joue le jeu de nos institutions fondée sur la laïcité et l’égalité entre les deux sexes ?

         La deuxième partie intitulée « Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,105 à 223) fait appel au terme d’élites, mais il aurait souvent été difficile de définir les élites auxquelles on avait à faire : les nouveaux citoyens, anciens ou nouveaux acculturés, les élites traditionnelles encore influentes dans leur ethnie d’origine ou leurs villages, les élites récemment formées dans nos universités, souvent formatées par le marxisme ? Des élites qui en tout état de cause étaient peu nombreuses et qui ne partageaient pas un consensus « national ».

          Pour citer deux exemples d’élites africaines du milieu « parisien » formatées par un marxisme international encore en vogue, à Paris et à Antananarivo : le premier celui des assemblées générales successives de la Maison de la France d’Outre-Mer qui accueillit beaucoup des jeunes élites de l’outre- mer dans les années 1950, au cours desquelles on pouvait entendre des discours interminables, jusqu’à point d’heure, sur la révolution prolétarienne, le marxisme international, l’anticolonialisme, l’exploitation des peuples d’Afrique, de jeunes élites qui arrivées au pouvoir s’adonnèrent rapidement aux dérives qui sont bien décrites dans l’ouvrage.

        Le deuxième, à Antananarivo, celui de l’amiral rouge Ratsiraka, lequel coule encore des jours paisibles en France, sorti de Navale, lancé dans une révolution populaire sur le modèle chinois, un mouvement sans lendemain « qui chante ». La grande île paye encore de nos jours les fruits de cette démagogie marxiste.

      Presque tous ces territoires ne disposaient donc pas des facteurs d’agrégation nationale suffisants pour que la décolonisation ne tourne pas au fiasco.

      La troisième partie intitulée « La France, les Français et leurs anciennes colonies « (p,223 à 321)

     Je ne suis pas sûr que beaucoup de Français soient capables encore de donner la liste de ces anciennes colonies, tout autant que les Français des années des indépendances aient été capables de faire mieux, et c’est toute l’ambiguïté qui pèse sur ce débat des histoires coloniales et postcoloniales.

     Il me semble que l’historien Ageron a montré dans une de ses études les limites de cette « culture métropolitaine », après la deuxième guerre mondiale.

     C’est la raison pour laquelle je pense qu’il aurait été intéressant de faire un bref rappel de la connaissance des mondes coloniaux qu’avaient les Français avant 1939 et entre 1945 et 1960, avec les premiers sondages que l’historien Ageron a cité dans une de ses études.

          Les analyses de l’’auteur font une large part au Maghreb, à l’Algérie, au Maroc qu’il connait bien, peut-être trop, sauf à dire, et c’est toute la question, que les années qui ont succédé aux indépendances, à celle de l’Algérie, a donné un  rôle central aux intellectuels sortis de la matrice algérienne, car c’est clairement ce qui en ressort.

         Avant la publication de cette  critique, les lecteurs ont pu consulter le texte que j’ai consacré à l’historien engagé politiquement Stora à travers l’ensemble des citations et prises de position qui ont  jalonné la période examinée, une sorte de fil « rouge » de lecture et d’interprétation de cette période qui a vu cet intellectuel occuper de multiples espaces médiatiques pour tenter de convaincre ses lecteurs et auditeurs que l’histoire de l’Algérie, et la guerre d’Algérie, constituent l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale et postcoloniale.

          Je ne crois pas que la propagande coloniale n’ait jamais disposé, dans le cadre historique qui fut le sien, d’un tel acteur et animateur.

         Les chapitres XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239à256) et XVIII et le chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289 à 303) ouvrent des perspectives fort intéressantes sur la composition et le rôle de ces élites et sur les manipulations de l’information, pour ne pas dire la propagande.

Révélations, analyses pertinentes ou éclairages intéressants :

     Le rôle des médias : cette question sensible est évoquée à de multiples reprises, et comme je l’ai dit, il est dommage que l’auteur n’en ait rien dit dans son ouvrage sur la période coloniale elle-même.

      Le livre donne quelques exemples de leurs manipulations qu’elles procèdent de l’Etat, des groupes de pression métropolitains ou africains, la guerre du Biafra ou le génocide du Cambodge, et son propos est plus précis sur la période récente :

     « Si la décolonisation crée une coupure entre la métropole et l’ancien monde colonial, les médias conditionnent et assurent le maintien de leurs rapports. Dans les années 1960 et 1970, coopérants et fonctionnaires européens font encore circuler connaissances et informations. Mais ce canal se tarit dans les années 1980. Le relai est ensuite pris par les entreprises, industrielles, financières ou de tourisme qui ne sont toutefois pas des médiateurs culturels : leur communication d’entreprise est déséquilibrée, car leur objectif n’est pas d’informer mais de communiquer. La médiation est aussi assurée par l’immigration postcoloniale qui s’intensifie dans les années 1980 avec le regroupement familial. Mais ce phénomène concerne surtout la société d’accueil, et peu sur celle d’origine. Les médias, la presse en particulier, jouent donc un grand rôle d’interface et d’interconnaissance des sociétés. Un petit groupe d’experts et de journalistes, informant le grand nombre, circule de part et d’autre. » (p,289)

        Au fil des pages, l’auteur constate que la presse est « aux mains des grands industriels » (p,291),  que les pays dépendants, souvent des dictatures, contrôlent et verrouillent les circuits d’information, comme on le voit bien dans les exemples fournis, le silence complet de l’Algérie sur la deuxième guerre civile des années 1990-2000, le contrôle qu’exerçait Ben Ali, ou de façon plus subtile, celui du Maroc, avec la collaboration de quelques journalistes de métropole patentés :

        « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine qui éclate au cours de l’automne 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes en charge des affaires internationales et du Maroc, ont  bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du royaume sur le Sahara. » (p302)

      Le néocolonialisme – L’auteur en décrit maints aspects, la Françafrique, l’hypocrisie de la Conférence de La Baule, avec Mitterrand en 1990, le rôle tout à fait étrange du ministère de la Coopération chargé de distribuer des allocations à certains chefs d’Etat africains. (p,162)

      La deuxième guerre civile algérienne des années 1990, décrite notamment à la page 168, et à l’occasion d’autres analyses, nous donne quelques informations sur cette guerre dont les méthodes et les victimes font encore l’objet d’un black-out complet de la part de l’Algérie.

        Il serait évidemment très intéressant que les intellectuels sortis de la matrice algérienne mettent leur talent  au service de l’histoire postcoloniale de l’Algérie, comme ils ont su le faire pour la seule guerre d’Algérie qui a duré moins de 10 ans, de 1954 à 1962.

     En ce qui concerne notre pays, il aurait été intéressant de connaître le nombre d’Algériens et d’Algériennes qui sont venus se réfugier chez nous, car le même sujet fait l’objet du même black-out.

     L’auteur fait un sort particulier au Sénégal, un cas particulier : « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide » (p,75), et au fil des pages, l’auteur revient sur cette situation particulière.

        Il convient de noter que le contexte de la guerre froide a beaucoup  pesé sur la décolonisation, et a été un des facteurs internationaux de ce choc, mais j’ajouterais que la situation coloniale du Sénégal n’a jamais été comparable à celles des autres colonies, pour au moins trois raisons, géographique en bordure de mer, historique avec une présence ancienne de la France sur ses côtes, religieuse et culturelle, évoquée d’ailleurs à la page 147, avec l’existence d’un islam modéré couvert par la grande confrérie mouride.

      Islam et choc des décolonisations

      Il s’agit d’un thème d’analyse et de réflexion qui court au fil des pages, notamment dans le chapitre XII (p,214,215,216,217), et c’est un sujet sensible que l’auteur connait bien, notamment en ce qui concerne l’islam du Maghreb.

      Le lecteur a la possibilité de mieux comprendre la fausse interprétation que nos gouvernements firent des « printemps arabes », notamment grâce à la manipulation des médias :

       « Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec la France et ses dirigeants oblige. » (p297)

     J’ai évoqué ce sujet sur mon blog.

     On se souvient de l’épisode qui mit en cause Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.

     L’immigration

     L’auteur consacre le chapitre XVIII (p,305) à la question « immigration » et propose tout un ensemble d’éclairages et de données chiffrées sur les flux de l’immigration et leur évolution.

     L’historien note : « La guerre d’Algérie et l’intensification paradoxale de l’immigration impériale » (p,308), un mouvement effectivement très paradoxal, compte tenu des raisons qui avaient incité de Gaulle à larguer l’Algérie, alors que l’immigration d’origine algérienne a effectivement augmenté au cours des années qui ont suivi la guerre d’Algérie, et jusqu’à nos jours.

     Cette situation mériterait incontestablement plus d’explications.

      Quant à l’augmentation de l’immigration impériale en général, elle soulève également beaucoup de questions, notamment sur la nature de ces flux, compte tenu notamment :

      « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question. Entre 1975 et 1985, 147 938 femmes et enfants marocains se sont installés en France. Et depuis 1976, les Français d’origine étrangère par filiation directe ont beaucoup augmenté (6,7 millions en 2008, d’après l’Insee).

    .…En établissant que les immigrés représentent toujours 10% de la population, au lieu de reconnaître que l’immigration s’est accrue, et a changé de nature, l’Etat a causé de graves conséquences : un débat tabou et biaisé sur l’immigration, un ressentiment d’enfants d’immigrés comme dans les autres classes populaires françaises. L’actualité en porte quotidiennement les traces. » (p,314)

      « Avec 12 millions d’immigrés et leurs enfants (sans parler de la troisième génération), la population française des années 2000 est donc très différente de celle des années 1930 (ou cinquante ?), ce que la classe politique (droite et gauche confondues) peine à formuler. » (p,317)

      Le plus surprenant dans toute cette évolution est le rôle que les intellectuels « algériens » y ont joué :

       « Fin de l’assimilation et apologie de la diversité, le rôle des intellectuels « algériens ». (p,318,319)

      L’Algérie, toujours l’Algérie ! Historiquement, un slogan fit une fortune très relative, « L’Algérie, c’est la France ! », mais de nos jours, certains pourraient commencer à dire : « La France, c’est l’Algérie !

     Comment expliquer une évolution tout à fait paradoxale, partant d’une France qui n’a jamais été à proprement parler une France coloniale jusqu’aux indépendances, une France qui n’a jamais peuplé ses colonies, à la seule exception de l’Algérie (avec le concours des immigrations italiennes et espagnoles), laquelle, après « Le choc des décolonisations » se retrouve progressivement colonisée par des populations venues de l’outre-mer ?

     Je conclurai cette lecture en indiquant que ce livre permet de mieux comprendre pourquoi la question algérienne, avec son courant d’intellectuels issus de la matrice algérienne continue à occuper une place idéologique, politique, et médiatique qui correspond de moins en moins avec notre histoire coloniale et postcoloniale.

     Je regretterai toutefois que l’auteur n’ait pas accordé un peu de place à l’histoire quantitative, celle des ordres de grandeur, des échelles, des rapports de force existant entre tous les acteurs du fiasco décrit.

       Pourquoi ? Parce qu’il s’agit là, et à mon avis, d’une des grandes carences de l’histoire postcoloniale, l’oubli de l’histoire quantitative.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie, suite et fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite et fin (e)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289)

        Un titre poétique pour un chapitre au contenu dérangeant, portant sur les nouvelles formes de propagande ou de contrôle de l’information qui touche l’ancien domaine colonial de la France.

       A l’heure actuelle : « Les acteurs et les pôles de pouvoir sont multiples. Entre la France et ses anciennes colonies, lobbys, groupes d’intérêt et de pression sont très divers : Etats, et services de renseignement, collectivités locales, médias (presse et télévision)…Or ces acteurs tentent peu ou prou d’influencer médias et auditeurs selon leurs intérêts. Fabriquer les opinions est un métier… L’information est une denrée que les régimes autoritaires veulent contrôler par tous les moyens. La présence durable et des contacts sur place sont irremplaçables : séjourner dans un grand hôtel avec les correspondants étrangers forge une information très différente. « (p,290)

        Une manipulation d’autant moins difficile avec une presse aux mains des grands groupes industriels que l’auteur décrit :

        « La plupart des médias français sont aux mains de 11 groupes privés… « Des médias audiovisuels très dépendants du service public » (p,292),avec pour résultat : « Pour toutes ces raisons, les régimes autoritaires contrôlent l’information diffusée en France et en langue française. Ce n’est pas pour eux une option, mais parfois une question de survie. Et certains médias français en profitent au passage pour renflouer leurs caisses. » (p,295)

      Comme le note l’auteur un peu plus loin et en ce qui concerne certains journalistes :

      « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine, qui éclate au cours de l’été 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes français en charge des affaires internationales et du Maroc, ont bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du Maroc sur le Sahara ? » (p,302)

      « …. Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec ses dirigeants oblige. » (p,297)

       Dans certaines affaires, les services de l’Etat ne sont pas en reste : « Du Biafra à la révolution tunisienne, la manipulation par les services de l’Etat français ? » (p,299)

Chapitre XVIII « L’immigration, porte ouverte sur le monde ou bonne conscience européenne ? » (p,305)

      L’auteur a eu raison de souligner à la page 306 une situation qui explique le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies, hors leur exotisme :

        « Depuis 1830, la France colonise sans peupler : les paysans y sont riches et dotés de terres ; l’excédent démographique est capté par Paris et les régions industrielles ; et la Grande Guerre tue ou mutile 1 homme valide sur 4 »

           Riches ? Par rapport à qui, où et quand ? D’autres facteurs étaient en jeu.

          Je ne m’attarderai pas sur le contenu de ce chapitre, sauf à remarquer que l’auteur donne quelques informations sur des sujets tabous ou ignorés, par exemple,  en ce qui concerne les Antilles :

         « Le nombre des Antillais de métropole double entre 1954 et 1962, puis augmente de 50% entre 1962 et 1968. En 1968, on dénombre 61 000 personnes devenues 800 000 en fin de siècle…. » (p,312)

          L’auteur évoque également le regroupement familial et je fais partie de ceux qui s’étonnent de la prudence, pour ne pas dire du silence des autorités sur ces flux mal contrôlés :

        « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question… « (p,314)

        Des flux qui, à mes yeux, n’ont pas contribué à faciliter l’intégration de certains groupes de population qui habitent dans les quartiers sensibles.

         L’analyse consacrée  aux flux algériens est éclairante, mais conduit à se demander pourquoi la politique d’immigration algérienne a quasiment toujours bénéficié d’une mansuétude de la part de notre pays, pour ne pas dire d’un privilège à l’égard des ressortissants d’un pays qui n’a pas noué de saines relations avec la France, et alors qu’une des raisons légitimes de la politique du général de Gaulle, quant au largage de l’Algérie, était précisément la volonté que notre pays ne devienne pas un jour, compte tenu des mouvements démographiques prévisibles, la colonie de l’Algérie, une dynamique qui parait bien engagée, compte tenu notamment du rôle des intellectuels venus de la matrice algérienne, un rôle fort bien décrit par l’auteur.

        « L’histoire des migrations en France, a fortiori des Algériens, est souvent écrite par des intellectuels venus ou passés par Alger … Abdelmalek Sayad, assistant de Pierre Bourdieu… René Gallissot… Benjamin Stora… » (p,318)

         « Le discours de Français Hollande du 15 décembre 2014, dans une Cité nationale de l’histoire de l’immigration dirigée par Benjamin Stora, renvoie au premier acte de sa campagne présidentielle en 2011, la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, auquel l’historien de l’Algérie n’est pas étranger. La volonté affirmée de « réconcilier » Paris et Alger participe de ce mouvement complexe…

        Cette surreprésentation des intellectuels et hommes politiques liés à l’Algérie dans la sphère étroite de la politique multiculturelle française révèle le silence persistant des « sujets » de cette politique, les immigrés récents et leurs descendants, exception faite de plusieurs intellectuels originaires des DOM. Elle dit quelque chose de la volonté des générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, et par sa désintégration, de reconstruire une cité idéale sur ses décombres. Avec le recul, l’Algérie française apparaît à ces intellectuels et hauts fonctionnaires comme une société ségrégative, injuste, inégalitaire, raciste et autoritaire, un anti modèle à dépasser. » (p320)

        J’ai souligné l’expression générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, parce qu’elle ne traduit pas à mes yeux les réalités historiques, sauf à dire que depuis plusieurs dizaines d’années, les Français sont manipulés par une nouvelle propagande insidieuse et beaucoup plus importante que ne fut jamais la propagande coloniale elle-même, beaucoup plus limitée et inefficace, fondée sur les « mirages exotiques », alors que la propagande distillée par ces groupes de pression cherche à investir les consciences et à manipuler notre histoire de France.

          L’expression « générations marquées au fer rouge » à rapprocher d’une autre expression qui se veut historique alors qu’elle n’a jamais été mesurée, celle de « mémoire qui saigne ».

        L’historien politique Stora a la paternité de cette expression historiquement saignante, c’est le cas de le dire.

Conclusion « Le legs singulier de la France coloniale »

         L’auteur souligne bien la situation française des colonies avec toutes les contradictions dont la France d’aujourd’hui souffre encore : les conquêtes coloniales ont largement été le fruit d’une alliance entre le sabre et le goupillon, la franc-maçonnerie dans les superstructures des colonies, mâtinée de christianisme à ses bases, faites de coups politiques relevant du fait accompli montés par la gauche républicaine ou entérinés par elle, à l’exemple de Jules Ferry au Tonkin, en 1883, ou de Mahy, originaire de la Réunion, en 1883, à Madagascar, lequel fut un bref ministre de la Marine et des colonies du 29 janvier 1883 au 21 février 1883.

        La gauche des décolonisations n’a pas été à la hauteur des enjeux en Indochine, à Madagascar, et en Algérie : c’est le gouvernement de Guy Mollet qui fit voter l’envoi du contingent en Algérie, un contingent dont je fis partie.

         « L’empire colonial a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales et républicaines ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire, l’exposition coloniale de 1931 demeurant un simple spectacle. Une première fois lors de la venue des troupes coloniales en métropole en 1914 et 1939 ; une seconde fois lors de la guerre d’Algérie, quand l’envoi de 2 millions de soldats et des attentats en métropole ont fait connaître l’Algérie; et une troisième fois par l’installation en métropole de millions de  ressortissants de l’ancien empire, la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien en dire. » (p,323)

      Je partage cette conclusion : paradoxalement, notre pays est devenu une sorte de nouvelle colonie du monde moderne, et je ne pense pas que la France coloniale, celle décrite à grands coups de brosse idéologique, par certains chercheurs,  réduite à une petite  élite ait jamais pu imaginer que notre pays allait devenir lui, une colonie de peuplement, alors qu’en dehors de l’Algérie, la France n’avait jamais pratiqué la colonisation de peuplement.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Troisième Partie « La France, les Français et leurs anciennes colonies » p,221 à 234)

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

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Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Après avoir décrit le fiasco des décolonisations (I), puis la situation des décolonisés sous l’empire de leurs élites (II), l’historien analyse la situation de la France, des Français, et des anciennes colonies. (III)

      Comme je l’ai indiqué la décolonisation était inscrite dans l’histoire qui s’est effectivement déroulée, celle du « cours des choses » que beaucoup de membres de l’élite coloniale avaient prédit, ne serait-ce déjà que l’africaniste connu des spécialistes, Delafosse, et des bons connaisseurs de l’Afrique, lesquels proposaient l’association au lieu de l’assimilation.

        Il n’était pas facile pour les officiers de la conquête de manifester leur scepticisme sur ses buts, mais il en fut qui l’osèrent, je pense au colonel Frey qui exprima plus que de l’hésitation sur le bien- fondé de la conquête du Soudan, de nos jours le Mali, dans les années 1886-1888, une conquête dont il fut un des acteurs, je pense aussi au capitaine Toutée à l’occasion de sa mission politique et géographique vers le Niger, dans les années 1894-1895..

       Plutôt que d’aller à Madagascar, Lyautey, en ce qui le concerne, aurait préféré que la France s’attache à l’Indochine, le « joyau », respecte les institutions séculaires de l’Annam, de son Empereur, fils du ciel, plutôt que de les chambouler en remplaçant les mandarins par des résidents coloniaux.

       Un « cours des choses » qui toucha tous les empires » coloniaux, et qui se conclut généralement par un fiasco, même pour l’Empire des Indes, la Chine, ou l’Afrique du Sud pour ne citer que quelques-unes des terres coloniales les mieux loties.

        En ce qui concerne l’Afrique noire, je crois avoir démontré que les analyses de Frédéric Cooper sont trop décalées, historiquement, par rapport aux situations coloniales concrètes de l’après deuxième guerre mondiale en Afrique noire.

        En ce qui concerne la deuxième partie (II), son contenu illustre bien la difficulté qu’il y avait, compte tenu des caractéristiques de ces mêmes situations coloniales, en tout cas en Afrique noire, en termes de géographie physique, humaine, politique, économique, religieuse, culturelle, ethnique.

      La description qu’en fit le géographe Richard-Molard après la deuxième guerre mondiale suffisait à en montrer la très grande complexité.

    L’historien décrit toutes les dérives qui ont suivi les décolonisations, lesquelles découlaient largement de ces situations coloniales et de leur héritage, en termes d’Etat, de populations et d’élites.

       Je choisirais volontiers comme symbole de l’échec d’une certaine élite, Senghor, sorti de Normale Sup, un catholique d’exception élu grâce au soutien de la Confrérie musulmane des Mourides.

        Il se convertit à la solution du parti unique, une sorte de symbole de l’écart gigantesque qui existait entre des peuples qui n’étaient pas des nations et leurs petites élites, ou celui d’Houphouët-Boigny qui réussit à réaliser une certaine coagulation ivoirienne fondée sur un réseau de planteurs de cacao, mais surtout sur l’ethnie puissante que constituait le peuple Baoulé, en surfant sur une idéologie marxiste alors à la mode en métropole.

     Ai-je besoin d’ajouter que Mitterrand joua un rôle important dans la  « récupération » de ce leader, alors qu’il fut un des artisans de l’échec meurtrier de la décolonisation en Algérie.

      La troisième partie contient des analyses tout à fait intéressantes, d’autant plus qu’elles n’hésitent pas à mettre le doigt sur des incongruités historiques trop souvent méconnues.

        Le chapitre XIII ouvre le bal, mais à mes yeux, son titre même « Amnésie coloniale, mauvaise conscience, et beaux discours » souffre d’un biais courant et ambigu dans ce type d’analyse, c’est-à-dire qu’elle parait fondée sur un postulat, celui d’une « culture coloniale » des Français qui n’a jamais existé, et qui n’a jamais été mesurée, ne serait-ce que dans la presse, et qu’en même temps pour avoir existé, elle aurait été l’objet d’une « amnésie ».

     « Amnésie » pour qui ? Pour quelle amnésie ? Sur quel terrain colonial ? L’Algérie ?

     Les pages que l’auteur consacre aux politiques et surtout aux milieux intellectuels, montrent bien que c’est essentiellement l’Algérie qui leur a servi de toile de fond, leur rôle très actif dans le réveil d’une mémoire française qui aurait été coloniale.

       L’historien Stora en est, me semble-t-il un bon représentant, et c’est d’ailleurs son évocation qui ouvre ce chapitre (p,223), avec la référence de son livre « La gangrène et l’oubli » (1991), mais l’auteur souligne plus loin :

      « Cependant, il faut cesser de penser qu’il y alors en France ni débat ni réflexion sur cette guerre coloniale… » et plus loin, en titre de paragraphe « L’histoire coloniale engloutie par la guerre d’Algérie ».(p,224)

      Tout à fait !

     Il s’agit de l’objection la plus importante qui peut être faite au travail médiatique de Stora, finir par faire croire aux jeunes Français, et cela n’a pas l’air de bien marcher de nos jours, que l’Algérie fut l’alpha et l’oméga de la colonisation française, et lorsque j’écris « l’Algérie », il conviendrait de lire la « guerre d’Algérie ».

        Plus loin, l’historien cite le nom d’un autre intellectuel qui fit partie de cette nouvelle vague de propagande, lequel nous a entraînés récemment dans la désastreuse guerre de Libye:

     « La France passe en quelques années du mythe de la France résistante, installé par de Gaulle, à celui de la France collaborationniste porté par la jeune génération d’intellectuels, comme Bernard Henry-Lévy. C’est sur fond de retournement idéologique lié à l’irruption sur la scène publique de la génération nées après la guerre (Celle de 68 ?), que la mémoire coloniale» qui continue de « saigner », selon les mots de Benjamin Stora, refait surface. Bernard Henry-Lévy et lui-même appartiennent d’ailleurs à la génération d’intellectuels issus d’Algérie. » (p,232)

    Si mes informations sont exactes, l’intéressé ou sa famille auraient encore des intérêts en Afrique du Nord.

       Question : mémoire « coloniale » ou mémoire « algérienne » ? Que personne n’a d’ailleurs eu le courage de tenter de mesurer.

          Une mémoire qui « saigne » ? Diable ! Celle de Stora ?

         L’auteur note « La France des années 1960 ne veut plus entendre parler des colonies, inconnues des nouvelles générations. » (p,231)

         Je ne suis pas sûr que les anciennes générations aient plus entendu    « parler des colonies » avant les années 1939-1945, ce qui n’est pas démontré, sauf à quelques grandes occasions qui ont fait la une des actualités de l’époque, Fachoda ou guerre 14-18, la grande Exposition Coloniale de 1931, s’étant inscrite beaucoup plus dans le cycle des Grandes Expositions alors à la mode en Europe.

         Ainsi que je l’ai déjà écrit, les histoires coloniales et postcoloniales, avant tout, souffrent d’une  grande carence d’analyse de la presse, seul grand vecteur de mesure de l’opinion publique de l’époque.

     Ce livre nous donne à maintes reprises l’occasion de constater le rôle important que la mouvance des intellectuels issus de la matrice algérienne a joué dans ce que j’appellerais volontiers une  propagande coloniale inversée, beaucoup plus importante et plus efficace que ne fut la propagande du « temps des colonies », celle « adorée » par le collectif Blanchard end Co.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vemeren Troisième partie – Suite

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

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Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

Suite

       A mes yeux, la mise en lumière de ce courant de pensée très influent, trop influent, pour ne pas dire de propagande repentante et auto-flagellante, de nature idéologique, le plus souvent amarrée à la gauche, une gauche héritière de la gauche des conquêtes coloniales et de l’échec meurtrier de la guerre d’Algérie.

      « La nouvelle guerre des mémoires après 2000 » (p,233)

       L’auteur donne à nouveau la parole à M.Stora, mais c’est l’évocation de la deuxième guerre civile d’Algérie, celle des années 1990, « Cette terrible guerre sans visage, qui fait 200 000 morts, réactive, dix ans après la guerre civile libanaise (1975-1990), la mémoire des violences et des clivages idéologiques du temps colonial », une guerre encore plus « sans nom » que la première, et cette fois complètement masquée, qui est éclairante, sans partager l’avis de M.Stora sur les élections présidentielles de 2002, avec la surprise Le Pen : « Sans aller jusqu’à estimer, comme Benjamin Stora, que cette situation emprunte directement à la guerre d’Algérie, on ne peut faire l’économie de cette réflexion. » (p,234)

       Une réflexion du mémorialiste Stora que je ne partage pas du tout, car une fois de plus, l’historien en question ne fait état d’aucune enquête sérieuse d’opinion sur la question.

      L’auteur souligne à nouveau le rôle des intellectuels issus de la « matrice » algérienne : « Les intellectuels anticolonialistes venus d’Algérie sont très en pointe sur ces débats, notamment au sein des colonnes du Monde. Des activistes comme les Indigènes de la République vont même jusqu’à abolir la distance historique entre la période coloniale et l’actualité française du début du XXIème siècle…. La nouvelle guerre des mémoires est inséparable d’une histoire coloniale dans laquelle les héritiers, voire les témoins  de l’Algérie française, sont les principaux acteurs. » (p,235)

       Toujours le même constat, la quintessence historique de l’Algérie en lieu et place de toutes les autres colonies !

        L’auteur note à juste titre « Des formations politiques durablement marquées, oui, mais toujours par la guerre d’Algérie » (p,235) :

        « Pour les socialistes français, la guerre d’Algérie est le naufrage  qui a emporté la vieille SFIO…avec la réapparition de Mitterrand :

       Le paradoxe est qu’il est porté au pouvoir par la génération d’après-guerre, qui, ignorant son passé, soutient un ancien partisan de l’Algérie Française. La responsabilité de la guerre est pourtant imputable à la classe politique de la IVème République dont il est issu. » (p,236)

       J’ajouterai, dont il a été un des acteurs les plus remuants et les plus influents dans les changements fréquents de gouvernement.

      J’élargirai mon propos en indiquant que ce fut la gauche républicaine qui se lança dans les grandes conquêtes coloniales des années 1880-1900, que la gauche du Front Populaire dans les années 1935-1936 a été incapable d’orienter une politique de décolonisation pourtant nécessaire, et qu’elle récidiva dans son action  « réactionnaire » avec la guerre d’Indochine, la répression de Madagascar (1947, avec Moutet), et enfin avec le désastre de la guerre d’Algérie.

    La gauche du Programme Commun (1981-1995) nous a laissé en héritage une Françafrique pour le moins ambigüe, le néocolonialisme, et une histoire de France de la repentance et de l’autoflagellation nationale.

     Le chapitre XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239)

     L’auteur a tout à fait raison d’appeler notre attention sur le rôle des élites rapatriées dans la vie nationale, et cette évocation est très éclairante sur l’évolution française :

     « La réussite et l’influence des élites rapatriées sont rarement abordées, comme si elles étaient un non-objet d’histoire…. Mais rien n’a presque été écrit sur la réussite et la réinsertion des élites pieds noirs et coloniales en métropole. Faut-il parler d’élites postcoloniales, d’héritiers ou de descendants des colonisateurs, et comment délimiter cette population ? Le risque d’arbitraire existe. Il revient à l’historien de proposer des termes justes.

    On peut chiffrer les personnes de retour de l’empire, les classer, définir des groupes de pieds noirs, fonctionnaires, militaires… Faut-il incorporer leurs descendants ? En 1991, (toujours Stora !) Benjamin Stora estime que 7 millions de métropolitains vivants ont été personnellement touchés par la guerre d’Algérie (2 millions de militaires, 2 millions de pieds noirs et leurs enfants, 3 millions d’algériens immigrés et harkis) un chiffre repris par l’ambassadeur de France à Alger…

     Quelle est l’influence de ce groupe sur « l’idéologie française », au sens où Bernard Henry-Lévy l’a définie ? Ce groupe a-t-il pesé sur la scène politique et intellectuelle, sur les milieux d’affaires, sur la représentation du monde des Français métropolitains ? » (p,240)

      L’auteur montre bien l’influence de ce groupe de pression, mais une fois de plus, il s’agissait plus de la matrice algérienne que de l’impériale au sens large, comme l’indique d’ailleurs la liste des membres de ce groupe qui figure dans la paragraphe : « Dispersion et importance de la scène artistique-médiatique » (p,245)

          Mais plus intéressantes sont encore les pages consacrées à :

     « Les trois temps d’une prise du pouvoir idéologique et intellectuel en France » (p,246)

      Le passage de ce livre éclaire tout à fait cette « prise de pouvoir idéologique et intellectuel en France », une situation le plus souvent ou trop souvent ignorée.

      Comment ne pas attribuer à ce nouveau « pouvoir », non issu du suffrage universel, une grande partie des dérives de victimisation, de repentance, ou d’auto-flagellation de notre histoire de la France ?

     Les pages 246,247, et 248 en donnent la liste.

     L’auteur cite d’abord Camus : « Figure tutélaire des intellectuels antitotalitaires et libertaires avant la lettre, il subit le magistère anticolonialiste de Jean Paul Sartre qui exerce avec brutalité son ascendant sur la gauche marxiste et indépendantiste…. Lors de la remise de son prix Nobel à Stockholm, il a prévenu : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Savait-il que la déconstruction était à l’œuvre ?

Les intellectuels nés, passés par, ou venus d’Algérie, occupent des positions clés dans les années 1960 et 1970 au sein de l’intelligentsia française et de ses grandes institutions. » (p,246)   

Jean Pierre Renaud