Côte d’Ivoire en 1907: exhibitions et zoos

Eclats de vie coloniale : Côte d’Ivoire

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« 1907 : exhibitions et zoos en Côte d’Ivoire  »

Par l’africaniste Maurice Delafosse dans « Broussard ou états d’âme d’un colonial » (1923)

Petit rappel historique

            L’évolution a été tellement rapide dans la situation des relations entre l’Europe et l’Afrique, qu’il est souvent difficile de ne pas avoir un regard et une analyse historiques anachroniques.

Difficile de se représenter la Côte d’Ivoire des années 1900, alors que la colonie venait à peine d’être créée, par le décret du 10 mars 1893, et pour un Français du vingt et unième siècle, cette création ex nihilo, ce fait du prince, fruit de l’impérialisme de l’époque, est sans doute difficile à comprendre.

La France s’arrogeait donc une nouvelle terre africaine sur la côte de laquelle ne vivotaient jusque- là  que quelques comptoirs français de la maison de commerce Verdier, et beaucoup plus nombreux, des comptoirs étrangers, anglais notamment.

Depuis la fameuse Conférence de Berlin des années 1884-1885, la  « course au clocher », c’est-à-dire au partage de l’Afrique entre puissances européennes, se déroulait à un train d’enfer.

Lorsque la France se mit en tête de « coloniser » la Côte d’Ivoire, son territoire était habité par un grand nombre de peuples, dont le plus puissant était celui du royaume Baoulé. Les peuples de la forêt étaient généralement animistes, alors que ceux de la savane étaient musulmans.

Il convient de préciser que l’administration française commençait à peine à pénétrer dans la forêt, à y installer des postes, y tracer des pistes allant de la côte vers la savane, à tenter d’y faire régner une paix relative, en n’hésitant pas à utiliser la manière forte, et en abuser, sous le mandat du gouverneur Angoulvant.

C’était la première fois que des chaloupes à vapeur naviguaient sur la lagune, et reliaient les nouveaux postes français de la lagune.

C’est dans ce contexte historique que Maurice Delafosse fit donc ses premières armes d’administrateur et d’africaniste.

       Après avoir effectué des études à l’Ecole des Langues Orientales, Maurice Delafosse entra, en 1894, dans l’administration coloniale à un grade modeste de commis en Côte d’Ivoire, où il fit ses premières armes. Il poursuivit sa carrière comme administrateur des colonies en Afrique jusqu’en 1918, puis exerça différentes fonctions d’enseignant à Paris.

Son séjour en Afrique fut pour lui l’occasion d’engranger une quantité considérable d’informations linguistiques et ethnographiques dont il fit bénéficier tous les chercheurs qui s’intéressaient alors à ce continent.

Il publia de nombreux ouvrages sur les langues africaines, notamment son dictionnaire portant sur les 60 langues ou dialectes parlés en Côte d’Ivoire, son encyclopédie en trois tomes sur l’Afrique occidentale, et quelques autres livres, dont celui qui fait l’objet du présent commentaire, intitulé « Broussard ou états d’âme d’un colonial. »

Les pages qu’il consacrait à la question des exhibitions et des zoos sont intéressantes, étant donné qu’elles prennent à « front renversé », comme diraient les militaires, certaines thèses historico-médiatiques modernes qui montent en épingle les « zoos humains » des expositions coloniales, en expliquant savamment qu’ils correspondaient à l’opinion publique de l’époque sur les sauvages, les primitifs, et donc aux fameux stéréotypes du véritable « bain » dans laquelle cette dernière aurait été plongée.

La littérature coloniale de certains chercheurs s’est assuré un certain succès médiatique en s’emparant, quelquefois à des fins lucratives, d’images choc propres à flatter les goûts du jour pour les images, quelles qu’elles soient.

Le problème a toujours été, moins de nos jours qu’à cette époque où les communications, les médias, n’inondaient pas toute la planète, «  le comment l’un  a fait l’expérience de l’autre, noir ou blanc. »

Dans le cas présent, Delafosse racontait son expérience personnelle d’acteur de zoos blancs en Côte d’Ivoire.

Delafosse conversait avec un de ses amis :

« Oui, répéta-t-il songeur : voici venus les beaux jours – je l’espère du moins – et, comme d’habitude à pareille époque, nous allons voir surgir un peu partout dans les faubourgs de Paris des exhibitions dites coloniales : villages nègres, douars marocains, campements de Peaux Rouges. Le public de votre bonne ville aime ce genre de spectacle, moins que le cinéma assurément, mais suffisamment cependant pour que les organisateurs de ces sortes d’entreprises se sentent encouragées à ne pas changer de métier.

Pourtant, l’utilité de ces exhibitions est discutable, les gens qui les visitent n’en rapportent le plus souvent, en dehors du plaisir qu’ils ont éprouvé, que des impressions très fausses. Bien que les sujets exhibés ne soient pas recrutés aux Batignolles, quoi qu’en disent quelques esprits forts, et qu’ils aient été effectivement amenés de pays lointains, il s’en faut de beaucoup, la plupart du temps, qu’ils répondent à l’étiquette ethnique dont les affuble leur barnum. Je me souviens de soi-disant Touareg qui n’étaient autres que des Arabes, ouvriers de Constantine ou khammès de Batna, et qui ne sachant un traître mot de langue tamacheq, répondaient en arabe, avec l’obstination d’un soldat exécutant une consigne, à toutes les questions que je leur posais sur leur origine ; « Nous sommes Touareg, nous ne comprenons pas l’arabe. »

Suivait une discussion sur l’organisation de ces exhibitions, sur leur truquage, et sur la comparaison qu’il était possible de faire avec les exhibitions exotiques des grandes expositions qui avaient en général un indéniable cachet de vérité.

« Mais que l’on enferme entre des grilles quelques vingtaines de noirs, d’Asiatiques, ou de Peaux Rouges, comme je l’ai vu faire maintes fois, et que la foule se presse autour de ces grilles, comme elle le fait autour de l’enclos des otaries, pour assister aux ébats et repas des malheureux exotiques dans le même esprit qu’elle assiste aux ébats des kangourous et aux repas des fauves, c’est là une chose que je ne puis supporter et que je trouve parfaitement immorale ; j’oserais dire que c’est un véritable attentat à la dignité humaine. »

Et Delafosse de parler en connaissance de cause, compte tenu de l’expérience personnelle qu’il avait faite en Côte d’Ivoire, en 1907, expérience qu’il racontait dans son livre. 

Il s’agissait cette fois d’une inversion de rôles !

En 1907, Delafosse effectuait une reconnaissance en pays Ouobé,à l’ouest de la Côte d’Ivoire, dans la région de Man, en compagnie du regretté capitaine Caveng :

« Nous étions arrivés à Semien, assez gros village aujourd’hui pourvu d’un poste, mais nul européen n’avait pénétré avant nous en dehors du lieutenant Cornet. Celui-ci était venu visiter Semien en 1901, mais, depuis, six ans avaient passé, et les Ouobé n’avaient plus vu aucun blanc. Leur curiosité n’était donc pas satisfaite, et lorsque le bruit se fut répandu que deux blancs étaient présents à Semien, tous les villages voisins se vidèrent de leurs habitants, accourus pour contempler le phénomène.

Le phénomène, c’était Caveng et moi-même. Attablés pour un frugal déjeuner dans la hutte qu’on nous avait assignée, hutte étroite et basse où nous ne pouvions noi tenir debout et dans laquelle l’air et la lumière ne pénétraient que par une unique ouverture au ras du sol, haute de soixante centimètres environ, nous crûmes que nous allions périr étouffés : l’entrée minuscule, en effet, était entièrement obstruée par un nombre infini de têtes noires, serrées les unes contre les autres et dardant sur nous des yeux qui ne devaient pas voir grand-chose, vu l’obscurité, mais qui n’en avaient que plus soif de voir. Nous avions beau chasser les curieux, ils étaient immédiatement remplacés par d’autres. Nous dûmes faire appel au chef de village, un grand vieillard astucieux qui se nommait Dié. Ses efforts furent vains : la foule voulait nous voir. De guerre lasse, Dié nous conseilla de sortir et de faire à pas lents le tour du village, de façon à ce que tout le monde put nous contempler librement :  

 « Après cela, ajouta le chef, je pourrai exiger qu’on vous laisse tranquille, puisque tous vous auront vus. »

Il n’y avait pas d’autre chose à faire et nous nous exécutâmes. Toute ma vie, je me souviendrai de cette chose grotesque : Caveng et moi, bras dessus, bras dessous, circulant entre deux haires compactes d’anthropophages, nous donnant en spectacle à ces gens qui voulaient voir des sauvages. Car, c’était nous les sauvages, là-bas, offerts en spectacle à la curiosité d’ailleurs sympathique de la foule, qui détaillait avec intérêt la couleur de notre peau, la forme de notre nez, la coupe de nos vêtements, le son bizarre de notre voix, l’impression qui pouvait se lire sur notre visage.

Nous étions les exotiques exhibés en public, avec cette différence toutefois qu’aucune enceinte grillagée n’était là pour nous assimiler à des fauves et surtout qu’on n’était pas aller nous chercher : si la situation nous semblait gênante, nous n’avions qu’à nous en prendre à nous-mêmes ; si nous étions là, c’est que nous l’avions bien voulu, et nous savions ce que nous faisions et pourquoi nous le faisions ;

La plupart des malheureux exotiques qu’on exhibe en France, conclut Broussard, n’en pourraient pas dire autant. » (Pages 240 à 245)

Deux commentaires :

–       Si les fameuses exhibitions constituaient incontestablement, même à cette époque, une atteinte grave à la dignité humaine, elles n’eurent toutefois pas l’importance  que certains chercheurs leur accordent de façon un peu trop anachronique, et tout autant médiatique..

–       Et ces exhibitions ne furent pas réservées aux seuls noirs, car on y a présenté quelquefois aussi des Lapons, des Irlandais, des Bretons, et des Auvergnats, ce qui n’est évidemment pas une circonstance atténuante.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Editoriaux du Monde, la France, la Côte d’Ivoire, la Lybie, et pourquoi pas Madagascar?

 Edito du 11 mars 2011 : « L’avenir de l’Afrique se joue en Côte d’Ivoire »

            Edito du 16 mars 2011 : « Il est temps d’aider la rébellion libyenne »

            Bravo au journal de « référence » pour ces prises de positions claires !

            Encore un petit effort pour prendre le même type de position claire sur Madagascar, c’est-à-dire dire clairement au nom de la France, que notre pays veut le retour à des institutions démocratiques issues d’une élection contrôlée par des institutions internationales.

            Avec la complicité de la France, ce pays s’enfonce toujours plus dans la misère, sous le contrôle d’une « Haute Autorité », dite de « Transition », Transition qui dure depuis plus de deux ans, Haute Autorité issue d’un coup d’Etat.

            Il serait enfin temps que les citoyens français connaissent la politique étrangère qui est faite en leur nom à Madagascar, bien loin de notre idéal républicain !

La politique étrangère de la France: réflexions d’un citoyen

Réflexions d’un citoyen sur la politique étrangère de la France

L’actualité arabe met le projecteur sur la politique étrangère de la France, et il est bien dommage que les citoyens français, directement, ou par la voix de leurs représentants à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, n’aient jamais l’occasion de débattre de ces sujets, et de donner leur avis.

Chacun sait en effet qu’elle est le plus souvent entre les mains de hauts fonctionnaires, en poste à l’Elysée, plus ou moins talentueux, et à mon humble avis, trop souvent, ignorants de l’histoire des relations entre la métropole et ce qu’il était convenu d’appeler « l’empire français »

Première réflexion donc, relative au fonctionnement des pouvoirs de la Cinquième République actuelle : qui décide ? Qui porte la parole de la France ? Le Conseiller spécial du président lorsqu’il signe une tribune dans le Monde ?  Le Secrétaire Général de l’Elysée lorsqu’il donne ses instructions? L’ambassadeur de France à Madagascar lorsqu’il prit la parole, au mois de décembre, pour accréditer le discours d’un président d’une haute autorité provisoire, toujours provisoire depuis plus de deux ans, laquelle a accédé au pouvoir grâce à un coup d’Etat ?

A Madagascar, est-ce que la voix de la France n’aurait pas été plutôt, et clairement, celle de la condamnation du coup d’Etat et de son engagement déterminé en faveur d’un retour au fonctionnement normal des institutions, à la suite d’élections libres organisées sous le contrôle international, en plein accord avec les puissances régionales d’Afrique ?

Quelle image de la démocratie de notre pays donne-t-il ainsi à la jeunesse de ce pays en cautionnant un coup d’Etat, et en entretenant un rôle très ambigu de la France dans le processus actuel de retour à la « démocratie » malgache ? Mais il est vrai que la plupart des Français ne savent pas grand-chose sur Madagascar, pour autant d’ailleurs qu’ils sachent même situer la grande île sur la carte !

Deuxième réflexion de la part d’un citoyen qui dispose d’une assez bonne connaissance de notre histoire coloniale, relative au fonctionnement institutionnel de la Cinquième République très semblable à celui de la Troisième République.

En partant à la conquête de la terre entière, Jules Ferry et sa petite équipe de « colonialistes » ont incontestablement ouvert la voie pérenne des méthodes de travail de la petite équipe de notre belle Françafrique, dans le silence, la manipulation, et pourquoi ne pas le dire, dans la corruption et le mélange des genres !

Seule différence, et elle est capitale, la Chambre des Députés se saisissait alors du sujet, consacrait des séances entières au Soudan, au Tonkin, ou à Madagascar, alors qu’à ma connaissance la politique étrangère de la France dans ces anciens territoires français n’est jamais évoquée  et encore moins débattue à l’Assemblée.

Est-il nécessaire de rappeler que le gouvernement de Jules Ferry est tombé sur les affaires du Tonkin ?

Que les personnes les mieux informées nous disent quand la position de la France en Côte d’Ivoire ou à Madagascar a été l’objet de questions et de débats à l’Assemblée ? Quand l’Assemblée Nationale a-t-elle approuvé la politique de la France dans ces deux anciennes colonies ?

Et c’est là qu’est le fond du problème, étant donné que la politique étrangère de la France n’est jamais sérieusement débattue et approuvée par la représentation nationale.

Et donc en parallèle, et impunément, de grands notables français, politiques, économiques, ou universitaires, avec le concours de je ne sais quelles officines, mènent on ne sait jamais quelles missions, et au service de qui et de quoi !

Troisième réflexion, liée au débat ouvert par la tribune du groupe de diplomates « Marly », celle du positionnement de la diplomatie française dans le monde. La France n’a plus les moyens d’une grande puissance, et combien de fois faudra-t-il le répéter !

Pourquoi ne pas dire que cette diplomatie souffre des mêmes défauts qu’une certaine politique française en général, celle d’avoir des ambitions qui, depuis longtemps, ne sont plus à la portée de notre pays ? Pourquoi ne pas oser dire que notre réseau d’ambassades est surdimensionné, même si en définitive son coût global n’est pas exagéré, car il faut faire des choix : comment ne pas se poser la question de la compatibilité de ce réseau avec celui que l’Europe met en place actuellement ? Afin de résumer ma pensée, j’userais volontiers d’une maxime bien connue des temps passés, en Franche Comté, dans un langage beaucoup plus vert !

Le grand journal Le Monde n’aurait-il pas, par hasard, le même type de problème, celui de la réadaptation de son réseau mondial à ses moyens ?

Quatrième réflexion, corrélative de la précédente : est-ce que la France a su trouver les moyens d’adapter le métier d’ambassadeur à la révolution internet, à l’explosion mondiale des communications et des médias, révolutions de nature à bouleverser l’exercice du métier ?

Et la même réflexion pourrait sans doute être faite pour les métiers de souveraineté, préfectorale et justice y compris.

Cinquième réflexion, celle de l’indépendance de notre politique étrangère à l’égard de notre ami puissant, les Etats Unis, pour autant que cette indépendance puisse de toute façon exister. Il est évident, et le fait a été souligné, que le retour de la France dans l’OTAN a limité les marges de liberté que le pays pouvait avoir auparavant, mais sans en exagérer toutefois les possibilités réelles.

Sixième réflexion, un excellent spécialiste du monde arabe, M.Laurens a eu l’occasion d’exprimer une opinion tout à fait intéressante à l’émission animée par M.Elkabach à la bibliothèque Médicis, le 26 février, une opinion susceptible de consoler beaucoup d’observateurs : la diplomatie française a été, comme toutes autres, aveugle sur les événements qui allaient agiter le monde arabe, et c’est tant mieux, car au moins, ces pays ne pourront pas accuser les occidentaux d’avoir allumé les incendies démocratiques de Tunisie, d’Egypte, et d’ailleurs.

M. Elkabach avait organisé un débat très intéressant, original, parce que transversal entre un écrivain égyptien célèbre, M.Khaled Al Khamissi, le ministre actuel des Affaires étrangères d’Algérie, M. Mourad Medelci, et le professeur Laurens, spécialiste reconnu du monde arabe, dont l’objet était le devenir des révolutions arabes en cours, avec le rôle majeur de la jeunesse de tous ces pays, incontestablement une des clés de leur évolution.

Avec, en finale, le constat du tout est possible !

Comment ne pas terminer ces réflexions en regrettant que l’ambassadeur de France en Tunisie n’ait pas été rappelé illico presto dans son pays?

La France n’a pas fini de payer son verbe imprudent et impudent, comme elle a mis longtemps à payer auprès de la Chine la perte de « face » que le Préfet de Police lui a infligée à l’occasion du passage de la flamme olympique à Paris !

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Epidémie de « soudanite » à l’UMP!

Humeur Tique : Epidémie de « soudanite » à l’UMP ! La nouvelle Françafrique du PS et de l’UMP !

Libé du 8/02/11, page 12

            Sans doute, pour la minorité de nos concitoyens qui ont quelques lumières sur le sujet, il est possible de se demander si certains de nos élus ne sont pas devenus fous, c’est-à-dire atteints d’une maladie mentale qui s’appelait la « soudanite » parce qu’elle frappait de troubles mentaux des coloniaux qui servaient au Soudan (Mali aujourd’hui) à la fin du XIX°siècle. Cette affection due au soleil, à la solitude, et à l’alcool conduisait souvent au suicide.

 Le 4 février dernier, quatre députés UMP, Mme Dumoulin, MM Mancel, Censi, et Fourgous allaient prendre un avion pour aller rendre une petite visite à l’ami Gbagbo, visite annulée au dernier moment par le gouvernement.

Les trois personnages paraissaient donc ignorer la politique de la France à l’égard de M.Gbagbo, et cet épisode en dit long sur le délabrement mental et politique de certains de nos élus.

Rappelons par ailleurs que les visites qu’ont effectuées en Afrique certains députés, MM Balkany et Mancel, donnent une tonalité curieuse à notre politique étrangère, car en Afrique, comme en France, tout le monde n’a pas la mémoire courte, et qu’on connaît là-bas le passé au parfum légèrement sulfureux de ces très honorables parlementaires.

Humeur Tique: « l’inconscient postcolonial » du Parti Socialiste à Dakar!

La politique étrangère du Parti Socialiste, ou « l’inconscient postcolonial français » à la manoeuvre !

Journal Les Echos du 7/02/11, page 2

                        Sur le discours que Martine Aubry va prononcer à Dakar, où elle participe au Forum social mondial, le secrétaire national du PS chargé de l’international, Jean-Chritophe Cambadélis a déclaré dans les Echos :

            « A travers ce voyage, elle veut rompre avec cet inconscient postcolonial français qui a conduit à des discours malheureux  comme celui de Dakar. »

Ou à des voyages d’ingérence de la Françafrique socialiste dans les affaires africaines mystérieusement guidés par leur inconscient postcolonial ? Comment ne pas évoquer à ce sujet les voyages de MM Cambadélis, Le Guen et Lang à l’occasion des dernières élections présidentielles de Côte d’Ivoire, avec leur ami « socialiste » Gbagbo,  toujours au pouvoir ?

Les propos Cambadélis marquent effectivement un réel progrès dans l’analyse des relations franco-africaines : on est passé de l’inconscient colonial collectif cher à l’historienne coloniale et postcoloniale Coquery-Vidrovitch, qui s’est rendue elle-même en Côte d’Ivoire pour s’y faire décorer par son grand ami Gbagbo à l’inconscient postcolonial français !

Avec la venue éventuelle du PS au pouvoir, il y a vraiment de quoi être inquiet sur le contenu de la politique étrangère de la France à l’égard de l’Afrique, une rupture avec un inconscient postcolonial qui mériterait  incontestablement d’être scruté par nos meilleurs psychanalystes, afin de déterminer s’il existe.

Madagascar et Indépendance? « L’Afrique noire française » « L’heure des indépendances » « L’indépendance de Madagascar »

« L’Afrique noire française »

« L’heure des indépendances »

Lecture

Volet 2

5°partie : L’Océan Indien et l’indépendance de Madagascar

Ou comment on écrit l’histoire !

La contribution du Colloque intitulée « Les Tananariviens face à la proclamation de l’indépendance » (page 637 à 665) est fondée sur deux postulats historiques, non encore démontrés:

 1) que la capitale était représentative des réactions malgaches de l’ensemble de l’île à l’indépendance,

2) et que l’indépendance de l’année 1960  était étrangère aux « événements », à la « rébellion », ou à l’« insurrection » de 1947, ou plutôt à l’action du MDRM (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache), justement soulignée, à ce même colloque, par un de ses éminents représentants, M.Rabemananjara, ancien député à l’Assemblée Nationale (française).

Quelques observations sur le premier point : l’historienne évoque rapidement le retour des trois députés, Raseta, Ravohangy, et Rabemanjara, mais passe donc  quasiment sous silence leur rôle politique, avant 1947.

Pour le reste, pas grand-chose à dire sur l’histoire racontée des fêtes de l’indépendance, organisées par le régime du président Tsiranana, renversé en 1972.

L’historienne écrit :

« Mais les Tananariviens ne considèrent pas ce dernier comme le père de l’indépendance (il s’agit de Tsiranana). Et ils ne se laissent pas tromper : officiellement, Madagascar est souverain, mais les accords de coopération avec l’ancienne puissance colonisatrice sont signés tout de suite après la proclamation du nouveau statut. Pour la capitale, commence une période d’opposition au régime néocolonial, longue de douze ans. Le régime de Tsiranana tombe finalement sous le coup de grèves d’étudiants et d’élèves qui cristallisent le rejet des structures néocoloniales. Ces grèves touchent plusieurs villes de Madagascar, précédées par les manifestations du Sud, mais ce sont les manifestations du 13 mai 1972, devant l’hôtel de ville de Tananarive, qui donnent le coup de grâce à un régime moribond. Tananarive, comme d’autres capitales, fait et défait des régimes. » (page 663)

L’historienne pensait à Paris ?

Dommage qu’elle n’ait pas été plus prolixe sur la nature des structures néocoloniales qui empêchaient Madagascar d’être vraiment un pays indépendant, mais la critique de fond viendrait plutôt du témoignage de l’ancien député Rabemananjara, un témoignage fort intéressant de la part d’un des premiers artisans de l’indépendance malgache, un des trois véritables pères de l’indépendance..

Le témoignage fort intéressant de M.Rabemananjara :

L’ancien député reproche à l’historienne d’avoir fait une impasse sur le rôle et l’histoire du MDRM, qui fut effectivement un grand parti à Madagascar :

« L’on comprend donc que Tsiranana ait voulu occulter la vérité. Mais que les historiens fassent une impasse sur le MDRM, moi, je l’avoue, je ne le comprends vraiment plus. C’est comme si pour l’indépendance de la Côte-d’Ivoire, vous alliez faire une impasse sur le rôle du RDA. Vous allez parler d’Houphouët-Boigny ; mais vous vous abstenez de parler du RDA. Cela ne vous paraît un peu bizarre ?

Si j’insiste sur cette omission, ce n’est pas uniquement par souci d’éclairer des points d’histoire. Car, voyez-vous, quand on évoque ces événements, je choisis le mot événement, étant donné que c’est beaucoup plus neutre que le mot rébellion, que le mot insurrection. J’y reviendrai tout à l’heure.

Qui était au centre de toutes ces questions d’indépendance de Madagascar ? Nul doute, c’est le MDRM. Ici, j’attire l’attention de vous autres, les historiens, sur l’importance et sur la gravité du fameux télégramme de Marius Moutet, ministre des Colonies. Pour bien en mesurer le poids, il faut se rappeler que la France était sous un gouvernement tripartite : Paul Ramadier, Président du Conseil, était socialiste, comme Marius Moutet, Maurice Thorez, ministre d’Erat, vice-président du Conseil, était communiste, et Pierre-Henri Teitgen, garde des Sceaux, était MRP. Ces hommes se vantent d’appartenir à un Etat de droit, et ils sont d’accord pour permettre à Marius Moutet d’adresser au gouverneur général de Madagascar, le télégramme que voici :

« Abattre le MDRM par tous les moyens ».

 Vous rendez-vous  compte de la portée d’une telle décision ? Abattre le MDRM par tous les moyens. On abat les chiens enragés. On abat les sangliers. Sans qu’il y ait eu le moindre jugement, le MDRM est condamné sans appel. Un gouverneur général recevant un tel ordre de son ministre, de son gouvernement, que va-t-il faire ? Il ne cherche pas à savoir si le MDRM est coupable ou non ? Il exécute la consigne L’inqualifiable curée commence

Ces considérations vous amènent à croire que nous n’avons jamais donné l’ordre de cette fameuse rébellion et que nous n’en avons jamais conçu l’idée, ni élaboré le plan…. J’apporte ces précisions pour vous permettre d’avoir une idée plus claire de ce qu’il est commode d’appeler la rébellion malgache…

Je voudrais profiter de cette occasion pour rendre un hommage solennel à l’Assemblée nationale française ; jamais, elle n’a accepté de nous défaire de notre mandat, si bien que, pendant les années où nous croupissions en prison, dans les débats parus au Journal officiel de l’Assemblée nationale ; quand il y avait vote, vous pouviez lire : « Raseta, Ravohangy, Rabemananjara, empêchés ». Nous étions dans la geôle colonialiste et l’Assemblée nationale reconnaissait notre totale innocence. » (page725)

.Qu’ajouter de plus à ce témoignage pour l’histoire d’un des trois pères de l’indépendance malgache ?

Pour mieux comprendre ce qui s’est passé dans la grande île dans les années 1945, 1946, et 1947, les lecteurs intéressés pourront se reporter, entre autres, aux ouvrages de Pierre Boiteau, « Contribution à l’histoire de la nation malgache » (1958), et de Jacques Tronchon, « L’insurrection de 1947 » (1986). Et sans doute aussi à des travaux d’historiens malgaches.

En ce qui concerne le ministre Moutet, Jean-Pierre Gratien, propose, sur le même sujet, un éclairage historique dans un livre récent « Marius Moutet, un socialiste à l’Outre-Mer »

A partir de ces sources, il est possible de faire plusieurs commentaires :

A la fin de la deuxième guerre mondiale, la situation internationale, ainsi que celles de la France, en pleine reconstruction, ainsi que celle de Madagascar, affaiblie par la misère, était plus que trouble, mais il faut reconnaître que les gouvernements français des années 1945-1947, n’ont pas fait preuve d’un grand discernement dans la gestion des crises coloniales, pour ne pas dire plus.

Avec le recul des années, mais mon appréciation personnelle est déjà ancienne, le rôle et les décisions des gouvernements français de l’époque, ceux Provisoires de la République Française, et ceux de la 4°République, à compter du 22 janvier 1947,  dont la composition politique était tripartite (SFIO, MRP, et PC), paraissent tout à fait incompréhensibles, sans bon sens politique, en pleine contradiction avec l’esprit de liberté qui avait animé les mouvements de Résistance.

 Je vous avouerai que je n’ai toujours pas compris l’aveuglement, pour ne pas dire la bêtise, des décisions de politique coloniale prises par les gouvernements des années 1945, 1946, 1947 (Gouin, Bidault, Blum et Ramadier), en particulier celui de Ramadier, l’artisan et le responsable de la répression de 1947, alors que leur composition politique n’était pourtant pas réputée conservatrice.

Rappelons à ceux qui l’auraient oublié  que le la gauche était majoritaire dans ces gouvernements, la SFIO et le PC étaient les alliés du MRP

Leur aveuglement soulève la question de fond qu’il faut d’ailleurs poser quant à la politique coloniale de la France, tout au long de la période coloniale : qui prenait vraiment les décisions ? A Paris, ou dans les colonies ?

Mais dans le cas de Madagascar, la réponse semble assez claire : le ministre socialiste Moutet, ancien du Front Populaire, fut l’artisan de la répression coloniale tout au long des années 1946 et 1947 : il fut ministre de la France d’Outre- Mer, sans discontinuer, du 26 janvier 1946 au 19 novembre 1947.

L’instruction dont fait état M.Rabemanjara « Il faut abattre le MDRM par tous les moyens » est confirmée dans le livre Boiteau, et trouve sa source dans le témoignage de M.Boudry, un haut fonctionnaire des Finances qui fut le Secrétaire Général provisoire de la colonie en 1946. Il fut relevé de ses fonctions pour avoir refusé d’appliquer les instructions Moutet.

A noter que le même Boudry fut l’ami du grand poète Rabearivelo, sur lequel nous reviendrons ultérieurement grâce à son témoignage.

Moutet accusait le MDRM d’être « séparatiste », « nationaliste », et enfourchait la thèse classique de l’idéologie coloniale, celle d’une mythologie « hova », l’aristocratie « dominatrice » des plateaux, qu’il fallait combattre, et dont l’origine remontait au proconsulat Gallieni.

Il est tout de même curieux de voir que la France, avec Gallieni, fit tout pour détruire les éléments « naissants » d’un Etat de type centralisé, animé par la monarchie « hova », un Etat embryonnaire qui évoluait vers la modernité. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il y avait, en 1895, sans doute, moins d’illettrés sur les plateaux de l’Imerina que dans notre belle Bretagne.

La doctrine Gallieni ne fut pas celle de Lyautey en Indochine et au Maroc, mais le général Gallieni eut à faire face à une révolte importante, et s’il fit prendre alors un mauvais « pli » à la colonisation française, ses autres « plis » de proconsul ne furent pas tous négatifs. Il ne faut pas non plus oublier que Gallieni était un républicain laïc convaincu.

Et pour revenir à Moutet, ce dernier mit effectivement tout en œuvre, illégalités comprises, pour abattre le MDRM, et mettre fin à l’insurrection, quel qu’en soit le prix.

Et pour la petite histoire et grande histoire, il n’est pas inutile de rappeler que Gaston Defferre, celui de la loi émancipatrice de 1956 sur les colonies, bref Sous-Secrétaire d’Etat à la France d’Outre-Mer dans un cabinet Blum (16/12/46 à 22/1/47) accomplit une mission d’information dans la grande île au terme de laquelle il recommanda l’envoi urgent de renforts militaires.

La gauche restait donc fidèle à la politique engagée par Jules Ferry, alors que le monde avait changé, et cette fidélité avait toutes les caractéristiques de la bêtise.

Moutet nomma son ami de Coppet Gouverneur général de Madagascar, lequel appliqua les instructions de son ami ministre. De Coppet fut très mal accueilli à son arrivée à Tananarive, le 19 mai 1946, à la fois par les malgaches et par les français qui résidaient dans l’île, hostiles aux socialistes.

De Coppet fut assez rapidement relevé de ses fonctions, alors qu’il avait conclu à la nécessité d’engager le processus de l’indépendance de Madagascar.

En ce qui concerne les forces en présence, il n’est pas interdit de se poser la question du rôle de ceux qu’on appelle communément les « colons », dont le poids n’était pas négligeable dans la grande île , à la différence d’autres colonies, et de celui de la société coloniale de la grande île et du groupe de pression de la petite île de La Réunion, qui fut à l’origine de la colonisation de Madagascar, et qui continuait à avoir du poids politique.

Il est tout de même étrange que la thèse coloniale du dualisme entre côtiers et merinas des plateaux ait en fait servi (provisoirement) les intérêts des colons qui s’étaient implantés dans les concessions côtières.

 Qui commandait réellement à Tananarive dans les années considérées ?

Enfin, et pour citer un historien colonial à la fois compétent et réputé, Henri Brunschwig, dans le livre « La colonisation française », publié en 1949, c’est-à-dire encore  « à chaud » de ces événements, prit incontestablement un risque historique en écrivant :

 « Le MDRM semble avoir fomenté l’insurrection qui éclata brusquement dans la nuit  du 29 au 30 mars dans la falaise de la côte est. » (page 225)

Tout en rectifiant le tir dans le paragraphe suivant :

« Il n’est pas encore possible de faire une étude objective de la révolte. »

Jean Pierre Renaud

                    Les caractères gras sont de ma responsabilité

« L’Afrique noire française » « L’heure des indépendances » sous la direction de MM Ageron et Michel

« L’Afrique noire française »

« L’heure des indépendances »

Sous la direction de Charles-Robert  Ageron  et Marc Michel

Lecture

Volet 1

            Un pavé de près de 800 pages qui a la particularité de se présenter comme une réédition, dans l’année du cinquantenaire des indépendances :

« 1990,2010, ce livre est une réédition. Il reprend sous une forme condensée, les apports d’un colloque remontant à 1990, trente ans après les indépendances de treize pays africains « francophones ».

Après avoir rappelé le chemin éditorial de ce livre, nous bornerons notre commentaire de lecture à quelques-unes des pages qui ont retenu notre attention, et tout particulièrement à celles consacrées à l’indépendance de Madagascar, et au témoignage très intéressant, à tous points de vue, de M.Rabemananjara, ancien député à l’Assemblée Nationale.

L’ouvrage comprend sept parties :

1 La marche aux indépendances : le rôle des forces intérieures (21 à 221)

2 La France et les indépendances africaines (221 à 377)

3 Les indépendances vues d’Afrique (377 à 539)

4 L’environnement international (539 à 629)

5 L’Océan indien et l’indépendance de Madagascar (629 à 729)

En ce qui concerne la première partie consacrée au « rôle des forces intérieures », leur lecture me laisse assez dubitatif, sauf en ce qui concerne le rôle des élites du Sénégal et celui des partis politiques de l’ancienne AOF, mais ce dernier, tardif, puisque postérieur à 1945.

Et la réponse à ce doute figurerait sans doute dans le rapport général de la troisième partie, quant à l’ambigüité du mot et du concept d’indépendance, tels qu’ils étaient compris par les africains.

Le rapporteur écrit :

« L’idée et le mot donc se banalisent à partir de 1958, même si le contenu en reste relativement flou. Une observation linguistique d’abord : peu de partis politiques ou de personnalités politiques ont, semble-t-il, à partir des textes que j’ai vu traduits en langue indigène, utilisé le mot « indépendance ». (page 383)

« Ce balbutiement au niveau des concepts sur lesquels il y aura peut-être des choses à dire lors de la discussion me semble témoigner de cette chose dont nous avons un tout petit peu discuté hier, c’est-à-dire la capacité non seulement d’adaptation, mais aussi d’invention de la part des sociétés africaines. » (page 384)

Et l’analyse du rôle des « acteurs africains » n’est pas toujours très éclairante, d’autant plus quand le rapporteur général précise :

« Comment savoir ce que pense, à cette époque, l’homme de la rue ? Comment mesurer l’opinion publique ? » (page 389)

Effectivement, et pour avoir navigué, dans les années 1956, au nord du Togo, territoire sous mandat de l’ONU, et promis à l’indépendance, il n’y avait tout d’abord pas de rues, et les journalistes auraient été bien en peine de dire ce que pensaient les Ngan-Gan (animistes) ou les Tyokossi (musulmans) de l’indépendance, sauf en interrogeant leurs féticheurs, leurs marabouts, ou leurs chefs, qui faisaient concrètement la pluie et le beau temps, et qui constituaient leur véritable horizon social ou culturel, beaucoup plus que les commandants de cercle.

A noter qu’a cette époque encore, les Ngan-Gan (cercle de Sansanné-Mango) vivaient nus : les hommes portaient un étui pénien et les femmes une décoration de feuilles vertes. Il est loin d’être assuré du reste que « l’ethnie » en question n’ait pas craint, avec « l’indépendance » de se retrouver sous la domination de leurs puissants voisins.

Un monde séparait par ailleurs la mentalité des gens de la côte et des gens de la brousse.

En 1990 (époque de ce colloque), il aurait été encore possible de réaliser un important travail d’interview de tous les intermédiaires cités plus haut ; peut-être le travail a-t-il été fait, mais les rapports n’en parlent pas, alors que c’est tout le problème posé par la problématique de l’opinion publique villes- brousse des années 1950, pour autant qu’il ait eu quelque chose qui ressemblât à une opinion publique de brousse.

A se demander donc si ces réflexions de type « historique » ne reconstruisent pas une histoire qui n’a jamais existé ?

Le même problème d’analyse et d’évaluation de l’opinion publique française à l’égard des colonies se posait, dans un contexte d’information qui n’avait naturellement rien à voir avec celui des colonies, avant l’arrivée des sondages d’opinion, c’est-à-dire juste avant 1939.

Et pour rassurer les sceptiques sur ce magnifique sujet de l’opinion publique dont on peut dire tout et n’importe quoi, je signale que beaucoup d’historiens ont évoqué l’évolution de l’opinion publique française, jusqu’aux sondages analysés entre autres par M.Ageron, sans jamais avoir pris le soin d’exécuter un travail d’analyse statistique de tous les supports culturels qui ont existé et qui sont encore disponibles, afin de déterminer si oui ou non, les « médias » de l’époque (et avant les sondages) accordaient de l’importance aux colonies, à la fois dans la place accordée (statistiquement) et dans le contenu de leurs messages.

Le livre ne fait pas état des réflexions tout à fait pertinentes faites à ce sujet par un des co-directeurs de l’ouvrage, précisément M.Ageron, dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, numéro du premier trimestre 1990, l’année du colloque, intitulé : «  Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939 ».

L’historien s’interrogeait sur la capacité que l’on avait de pouvoir évaluer l’opinion publique, avant les années 1938, 1939, dates des premiers sondages en France, en reconnaissant la difficulté de la tâche, et observait :

« Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire » de l’opinion, celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de cette recherche. » (RFOM, page 31)

Comme je l’ai indiqué dans le livre « Supercherie Coloniale »,  les historiens du sujet ne paraissent pas être encore sortis de cet âge de la « préhistoire », plus de vingt ans après, et des ouvrages d’histoire coloniale ou postcoloniale à la mode dissertent à loisir sur la culture coloniale, une opinion publique « imprégnée » de colonial, sans jamais s’être attachés à évaluer sérieusement cette fameuse opinion publique, en procédant à des travaux d’évaluation statistiques sérieux sur les vecteurs de l’opinion publique de l’époque, et en particulier sur la presse.

Quant à l’échec des fédérations, le rapporteur écrit :

«  Quoi qu’il en soit, l’échec des fédérations primaires  est incontestablement un échec du RDA, parti majoritaire en AOF et qui était né pour rassembler l’Afrique. C’est aussi et surtout un échec de la décolonisation française en Afrique noire. La France seule, à l’instar de ce que firent les Anglais en Nigéria, pouvait maintenir l’unité des fédérations qu’elle avait créée de toutes pièces et qui étaient néanmoins devenues des réalités politiques, économiques, et culturelles. » (page 456)

Il parait tout de même difficile de comparer l’AOF à la Nigéria, eu égard, aussi bien, à leurs ressources comparées et à la configuration géographique des deux territoires, outre un « héritage colonial »  très différent.

Une contribution souligne plus loin le manque d’intérêt stratégique de l’Afrique de l’ouest (page 543)

Est-ce que la France se serait opposée à la volonté de Senghor et d’Houphouët – Boigny s’ils avaient eu la volonté de maintenir la fédération ?

Et dans l’histoire de cette région d’Afrique, est-ce que les grands Almamys que furent Ahmadou,  à Ségou, et Samory, à Bissandougou, ne rencontrèrent pas le même type de difficultés pour agréger à leurs empires musulmans des royaumes malinké ou bambara ?

La quatrième partie consacrée à « L’environnement international », contient une contribution intéressante de M.Pervillé, de laquelle il résulte que  le FLN  n’a jamais été panafricaniste, et que les députés africains, dans leur grande majorité, ont toujours manifesté une certaine prudence, pour ne pas dire réserve, à l’égard  de la guerre d’Algérie.

La semaine prochaine, le volet 2 de cette lecture sera consacré à Madagascar

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Françafrique « cachée » : Gbagbo et Coquery-Vidrovitch

Humeur Tique : la Françafrique « cachée » : Gbagbo et Coquery-Vidrovitch, ou les « Enjeux politiques de l’histoire coloniale » ou postcoloniale ?

            Les lecteurs du journal le Monde savent qu’ils trouveront toujours une information intéressante au détour d’un article, d’une tribune, ou d’une page.

Et tel fut le cas, avec le « Décryptages Débats.du 28 décembre, page 16, en lisant un article de M.Bouquet, professeur de géographie politique à l’Université Bordeaux III,  intitulé :

« L’université française et ses tyrans

« Gbagbo et ses amis en sont issus»

Avec l’extrait suivant : « La liste est longue, mais on peut faire court. Laurent Gbagbo a soutenu sa thèse de doctorat d’histoire à la Sorbonne avec une grande – et progressiste – historienne française qu’il a d’ailleurs décorée il y a quelques semaines en souvenir de cette collaboration. »

C’était, sauf erreur, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le 7 août dernier, Madame la Professeur émérite fut alors faite Commandeur de l’Ordre ivoirien, diable ! C’est le cas de le dire !

La Françafrique n’est donc pas toujours là où on l’attend, car il est tout de même difficile de dire que M.Gbagbo pouvait être, déjà au mois d’août dernier, un modèle pour la jeune démocratie africaine, alors que le processus de l’élection présidentielle était difficilement engagé.

Il est vrai, et comme nous l’avons dit sur le blog du 3 décembre dernier, que Lang a fait beaucoup mieux, en assistant à un des meetings électoraux de Gbagbo, mais les initiés comprendront mieux le sens du titre cité plus haut d’une des dernières œuvres d’histoire de Mme Coquery-Vidrovitch. Ce livre a fait l’objet d’une lecture critique sur le blog du 28 mars 2010.

La « grande – et progressiste – historienne française » aurait – t- elle trouvé à Abidjan, du  nouveau grain à moudre, en rapport avec notre  «inconscient collectif » (page 168 du livre cité),  une magnifique occasion de briser le « tabou  français » de « la « non-décolonisation » de la société française » (page 166), ou d’avoir enfin une chance historique d’ouvrir une nouvelle page du « postcolonial » à la Françafricaine ?

« Le colonialisme en question » Frederick Cooper, Syndicats, politique et fin de l’empire en Afrique française- Lecture 7

« Le colonialisme en question »

Frederick Cooper

« Syndicats, politique et fin de l’empire en Afrique française » (page 274 à 311)

Lecture 7

Le discours

            « Après avoir consacré la majeure partie de ce livre à des conceptions intellectuelles et à des arguments historiques d’une portée considérable dans l’espace et dans le temps, je vais maintenant examiner une série d’événements particuliers. Ils ne constituent qu’une petite partie d’une plus grande histoire, mais je vais les décrire avec une densité suffisante pour démontrer l’importance que revêt la confrontation avec les sources originales sur la politique de décolonisation et pour suggérer l’intérêt que présente l’étude des sujets connexes. Ces événements ne sont toutefois pas pris au hasard. Le contexte de la Seconde Guerre mondiale – d’un petit peu avant à toute la décennie qui a suivi – amena un changement définitif des formes politiques disponibles aux bâtisseurs d’empires. J’ai dit plus haut que la fin des empires a résulté non seulement de combats titanesques et violents entre un colonialisme implacable et des forces de libération nationale, mais aussi d’un processus interne au système, à savoir l’apparition dans les structures impériales et les discours impériaux, de fissures que des mouvements politiques et sociaux opérant à l’intérieur de l’empire purent élargir. Les récit que je propose va donc montrer comment les dirigeants syndicaux africains dans une relation de dialogue et de contestation avec les responsables européens, ont conduit les deux camps situés de part et d’autre du fossé colonial dans une situation que ni l’in ni l’autre, au milieu des années 1940, ne recherchaient. » (page 274)

            « Ce chapitre va décrire un exemple de contrôle impérial qui vola en éclats sur le territoire politique que le régime considérait comme le sien propre. » (page 276)

            L’auteur décrit donc les premières grèves de Dakar et des chemins de fer d’’AOF qui se déroulèrent successivement de décembre 1945 à février 1946 et d’octobre 1947 à février 1948 :

 Premières grèves : en décembre, celle des 2 800 dockers et ouvriers métallurgistes, qui dura une semaine, puis en janvier 1946, celle des employés de bureau, laquelle se transforma en grève générale. « Elle toucha la majorité des classes laborieuses, à l’exception des cheminots et des enseignants », et dura douze jours ; d’après l’auteur, elle toucha la majorité des 15 000 salariés de la ville de Dakar.

            Les revendications portaient sur l’égalité des rémunérations et des avantages sociaux, quelle que soit l’origine des salariés.

            « C’était une demande exigeante, non seulement parce qu’elle était coûteuse, mais aussi parce qu’elle constituait une percée conceptuelle : octroyer des allocations familiales à un fonctionnaire – qui n’était pas forcément un évolué – signifiait que les besoins d’une famille africaine étaient semblables à ceux d’une famille européenne et que l’Etat devait payer le coût de reproduction de sa fonction publique africaine. » (page 282)

            La grève s’arrêta grâce à un compromis salarial.

            «  Ce récit de la grève révèle avant tout le changement intervenu dans le conflit lui-même. En février 1946, la pensée coloniale française ne fut plus ce qu’elle était en décembre 1945, et cette mutation fut la conséquence de l’obstination d’un mouvement syndical. » (page 286)

            L’auteur évoque alors brièvement les débats qui ont marqué l’élaboration du projet de nouvelle constitution à l’Assemblée Nationale, avec la participation des députés africains élus, dont Senghor et Houphouët-Boigny, notamment quant à « l’égalité impériale ».

            En finale, « le législateur a voulu marquer par-là la parfaite égalité de tous dans la vie publique, mais non la parfaite identité des Français de la métropole et des Français d’outre-mer. » (note 30)

            Grève de Dakar et débats constitutionnels ont donc posé le problème de fond, à savoir égalité de tous, publique et privée, quels que soient la race, la religion, ou le statut civil.

            Deuxième grève :

            Et l’auteur de décrire la deuxième grève, celle des chemins de fer de l’AOF, qui débuta en octobre 1947, dura un peu plus de cinq mois dans certains territoires, et mobilisa 20 000 travailleurs et leurs familles.

            La revendication portait  sur la mise en place d’un « cadre unique ».

            Les politiques entrèrent dans le débat, notamment le RDA, le tout nouveau mouvement politique d’AOF, et en Côte d’Ivoire, c’est sur l’intervention d’Houphouët-Boigny que la grève prit fin début janvier 1948.

            « Epilogue : le rejet mutuel de la référence française » (page  302)

                « La puissante dynamique décrite dans les pages qui précèdent a conduit le gouvernement français et le leadership syndical ouest-africain des années 1950 en un endroit très différent de leur point de départ… Au milieu des années 1950, l’Etat français se retrouva coincé entre la notion d’équivalence citoyenne et celle d’indissolubilité de l’empire. Ne pouvant payer l’équivalence, il devait repenser l’empire. 

            Le leadership se retrouva lui aussi prisonnier de la logique de sa position. Les demandes faites au nom de l’équivalence ne cessaient de placer les salariés africains et français dans la même catégorie. Dans la mesure où ces demandes étaient satisfaites, le processus accroissait la distance sociale entre ces travailleurs et le reste de l’Afrique, alors même que le soutien de communautés plus larges avait été essentiel au succès des grèves de 1946 et 1947-1948. »

            Contradictions donc dans les deux camps, étant donné qu’à présent « la liquidation du colonialisme devait « occuper la place d’honneur avant la lutte des classes. » ( page 304)

            La solution française de ce problème fut la « territorialisation ».

            « Le nouvel Etat africain ne devait pas seulement se caractériser par des frontières de territoires coloniaux et par une forme d’autoritarisme crispé prenant le relais de l’autorité coloniale. Il fut façonné par la montée et le déclin d’une politique alternative dans laquelle différents mouvements politiques et sociaux, surtout syndicaux, ouvrirent un espace où purent être soumises, à l’autorité impériale des revendications qui se révélèrent trop coûteuses pour être acceptées par un Etat colonial et trop menaçantes pour que ses successeurs nationaux autorisent la perpétuation de ces mouvements. C’est le processus de décolonisation et non simplement l’héritage du colonialisme, qui façonna les formes prises par kes politiques postcoloniales…

Ce qu’obtinrent les Africains, ce fut la souveraineté. Elle n’était pas la seule demande qui émergeait des mobilisations politiques des années 1940 et 1950, mais elle fut celle, finalement que la France s’empressa d’accorder. » (page 309)

Questions

La lecture de ce chapitre a son importance, si le propos du début du chapitre a été bien compris :

« Après avoir consacré la majeure partie de ce livre à des questions conceptuelles et à des arguments historiques d’une portée considérable, je vais maintenant examiner une série d’événements particuliers politiques. »

Il s’agit donc de la démonstration supposée de la méthode d’analyse proposée par l’auteur, une démonstration sur le terrain colonial de l’AOF, qui aurait pour but de nous montrer comment a fonctionné, dans le cas des grèves sociales décrites, la relation « intégration-différenciation »,  quelles « limites » a rencontré le colonialisme, et dans quelles « fissures » du système colonial, les oppositions ont pu être efficaces.

 L’auteur propose donc : « un exemple de contrôle colonial qui vola en éclats sur le territoire politique que le régime considérait comme le sien propre. »

L’auteur précise : « C’est le processus de décolonisation, et non simplement l’héritage du colonialisme, qui façonna les formes prises par les politiques postcoloniales. »

L’auteur fait donc implicitement référence aux dialectiques « intégration –différenciation » et « connexions-limitations », qui animèrent, d’après lui, le processus de décolonisation, plus que l’héritage du colonialisme.

Passons sur l’utilisation de certains termes ou expressions plus ou moins appropriés en ce qui concerne l’AOF, des « combats titanesques », un « colonialisme implacable », « la pensée coloniale », ou encore l’appréciation, « un exemple de contrôle colonial qui vola en éclats », et passons immédiatement au fond des choses.

La question de fond que pose le choix de cet exemple est celle de sa valeur représentative sur le plan historique, dans le cas de l’AOF, et donc de sa valeur démonstrative des analyses de l’auteur, et à la condition que le même exemple rende compte des autres situations coloniales de la même époque, dans d’autres territoires coloniaux.

Ce choix soulève un certain nombre de réserves et de remarques :

La dialectique exposée met en scène deux sortes d’interlocuteurs africains, situés les uns à Dakar, les autres sur les lignes de chemin de fer.

Il est difficile de ne pas voir en arrière-plan historique, d’une part la situation coloniale de Dakar, capitale et composante dominante des fameuses quatre communes du Sénégal qui ont bénéficié du statut  des communes métropolitainesen 1916, et d’autre part la position sociale du personnel des chemins de fer qui furent parmi les premiers à faire connaissance avec la « modernité » réelle ou supposée du chemin de fer, l’avant-garde des « évolués ».

Est-ce qu’il ne s’agit donc pas d’un test historique qui souffre, dès le départ d’un « biais » statistique et historique  ou d’un « bias » à l’anglaise, c’est-à-dire d’un parti pris ? Etant donné qu’il n’est pas raccordé à l’histoire de l’AOF.

Deuxième réserve méthodologique, qui tiendrait précisément au fait que ces salariés constituaient la « pointe » chronologique (après 1945) d’une modernité si bien décrite dans les œuvres d’Hampâté Bâ, celle des « blancs-noirs », les « évolués », très éloignés, pour ne pas dire coupés, avec l’urbanisation, de leur milieu paysan traditionnel, encore dominant à cette époque.

Et qu’il conviendrait alors de revenir au passé des évolués, les « blancs-noirs », à leur émergence dans les sociétés de l’Afrique de l’ouest, à leur rôle, et donc à la place qu’ils occupaient, dès l’origine dans la situation coloniale qui était la leur, en position de collaboration, de contestation, et aussi de pouvoir : il s’agirait donc beaucoup plus d’ « héritage colonial » que de « processus de la décolonisation »..

Le récit d’Hampâté Bâ sur les aventures de l’interprète Wangrin décrit assez bien les relations de pouvoir entre colonisateur et colonisé, qui ont existé tout au long de la période coloniale, et sur les « limites de pouvoir » auxquelles s’attache l’auteur.

L’administration coloniale a toujours eu à faire face, soit à de l’opposition (révolte contre la conscription en Haute Volta en 1916, fuite des travailleurs de la même colonie vers la Gold-Coast en réponse au travail forcé…), soit à de la coopération, mais elle n’a jamais pu se passer des « truchements » africains, chefs, marabouts, ou interprètes.

Et la situation décrite par l’auteur s’inscrit dans un déroulement historique identifiable, le contexte de l’après-guerre 1945 favorisant, l’expression presque normale, de nouvelles revendications.

Troisième remarque : comment ne pas noter en effet qu’en 1945, tout avait changé en France et dans les colonies avec la défaite de la France, le rôle des colonies dans la résistance française, la conférence de Brazzaville,  l’interventionnisme américain, puis rapidement la guerre froide.

Quatrième remarque : les grèves décrites marquent une forme de réussite du colonialisme, et non un échec, étant donné que les nouveaux « lettrés », les blancs-noirs, aspiraient à l’égalité républicaine, et que la 4ème République ne se crut pas en mesure de tenir les promesses verbales imprudentes de la 3ème République, alors  qu’elle avait fixé dès le départ la limite de ses engagements coloniaux.

En votant la loi du 13 octobre 1900, la Chambre des Députés avait posé un principe parfaitement clair, qui n’allait pas du tout dans le sens de l’égalité entre sujets et citoyens : « les colonies doivent pourvoir sur leurs propres ressources à la totalité de leurs dépenses de fonctionnement et de développement. »

Ce principe fut à peu près respecté jusqu’en 1939, et c’est dans le tout nouveau contexte international évoqué que le Fides, fonds d’investissement et de développement de l’outre-mer, fut créé en 1945, marquant la volonté de la France d’aider au développement des colonies fondues alors dans la nouvelle Union Française. Jusqu’en 1939, la République n’intervenait qu’en accordant sa garantie aux emprunts contractés par les colonies.

Le colonialisme a eu également pour résultat une certaine unification institutionnelle de l’Afrique de l’ouest caractérisée précisément par ces grèves syndicales et l’apparition de partis politiques.

La crise de citoyenneté, de revendication d’égalité ou d’équivalence, en AOF, marquait tout simplement la fin d’un rêve colonial, d’une hypocrisie républicaine qui avait duré trop longtemps. Certains y trouvaient naturellement leur avantage matériel.

Citoyenneté et droit civil ? Quid de la place de l’islam dans la société coloniale ? Comment marier droit civil français et statuts familiaux africains ?

Egalité entre Etats, sur le mode des déclarations américaines, ou égalité entre citoyens telle que revendiquée d’abord par les élites africaines ?

L’administration coloniale s’était d’ailleurs fait fort de respecter les « coutumes », et la France avait donc accepté un statu quo ambigu, la coexistence entre droit civil français et coutumes, mais il est évident que le problème n’était pas réglé, et de nos jours, certains observateurs diraient sans doute qu’avec l’immigration africaine, ce problème n’est toujours pas réglé.

Comment ne pas noter par ailleurs que ce chapitre ne fait aucunement référence au marxisme, à des relations de « connexion » qui ont pu exister entre les mouvements syndicalistes et politiques marxistes de métropole et ceux d’Afrique de l’ouest, notamment la CGT ?

Mais je voudrais faire un dernier commentaire sur la distinction que fait l’auteur entre héritage du colonialisme et processus de décolonisation, distinction à laquelle il parait accorder une certaine importance.

Processus ou évolution dans le temps des relations de dominant à dominé, de centre à périphérie, ou inversement ?

 L’analyse de cette évolution s’inscrit à mes yeux dans une autre dynamique, celle des « dispositions » et des « positions » de type stratégique, avec une propension des nations, des armées, ou des hommes, à entreprendre ou non, à mener des actions, des opérations ou pas, si bien décrites par un sinologue tel que François Jullien, ou par des stratèges tels que Sun Tzu ou Clausewitz.

Bonnes ou mauvaises positions et dispositions qui permettent à l’eau, le cours des choses, cours national ou international, de couler ou de s’arrêter sur des obstacles.

Dans son introduction, l’auteur salue l’importance du contenu d’un article de Georges Balandier, intitulé  « La situation coloniale », paru en 1951.

« Situation coloniale », ou « disposition coloniale », ou encore « position coloniale », pour faire appel à des concepts stratégiques ?

A la fin du 19ème siècle, il existait une propension des choses et des hommes à la conquête coloniale, mais les acteurs de cette conquête prirent très rapidement conscience des limites rencontrées par cette propension, notamment en Afrique de l’ouest, limites de toute nature, notamment géographique, un trop « plein de continentalité, » d’autant plus grandes que la France s’était interdite, comme nous l’avons rappelé, d’accorder toute aide financière à la gestion et au développement de ces nouveaux territoires.

Dès l’origine, il existait donc une propension à la décolonisation, et des administrateurs africanistes tels que Delafosse ne se faisaient déjà aucune illusion sur le destin de l’Afrique.

Il notait dans son livre « Le Broussard » (1922), à l’occasion d’une conversation avec un interlocuteur qui évoquait l’explosion d’une bombe à Hanoï, que la même chose pouvait se produire un jour en Afrique.

–       «  Nous parlions d’un événement qui avait mis en émoi l’Indochine : un Annamite quelque peu détraqué avait lancé une bombe sur un groupe d’Européens assis à la porte d’un établissement public.

–       Ce n’est pas dans votre Afrique, dis-je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs, prenant le frais et l’apéritif à la terrasse d’un café, auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive ?

–       Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant ne semble pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une affaire de temps. » (page 12)

  A la Chambre des Députés, les conquêtes ont soulevé dès l’origine l’opposition d’une partie des députés de la gauche radicale de Clemenceau et de la droite, fixées sur la ligne bleue des Vosges.

Pour caractériser la même évolution dans le temps colonial, il serait possible de recourir aux images d’un feu qui a couvé lentement, qui a provoqué un grand incendie après la deuxième guerre mondiale, mais un  incendie assez facilement circonscrit en définitive, en AOF en tout cas.

Certaines sources font état par ailleurs des discours, ou plutôt des chants des griotsles porteurs des traditions africaines, qui, dès le début de la conquête, ne manquaient pas de critiquer, de ridiculiser le « blanc » colonisateur, sans que ce dernier, le plus souvent ignorant des langues locales, ne puisse s’en apercevoir.

Il serait intéressant d’avoir, de la part des historiens africains, le résultat des travaux qui ont sans doute été effectués à partir de ces sources orales, ce que certains chercheurs baptisent du nom d’histoire « vue par le bas ».

Il s’est donc agi, beaucoup plus, d’une évolution dans le temps colonial, de la gestion d’un héritage effectivement colonial, que du résultat d’un processus de décolonisation, étant donné que les fameuses « limites » de connexion ou de déconnexion étaient posées dès l’origine.

Indiquons enfin pour avoir une idée des enjeux économiques et financiers coloniaux de l’AOF, et éventuellement du caractère représentatif du cas ci-dessus traité, que son commerce extérieur avec la France ne représentait guère plus de 3% en 1939.

Les caractères gras sont de ma responsabilité

La semaine prochaine, conclusions!

Ingérence de la Françafrique dans les affaires intérieures de la République Malgache, ou le « fait accompli colonial » au goût du jour!

Ingérence de la Françafrique dans les affaires intérieures de la République Malgache

Ou pour les lecteurs qui bénéficient d’un petit ou d’un grand vernis de culture coloniale, les  nouveaux « faits accomplis coloniaux » du XXI°siècle »

Après Gallieni à Madagascar et Archinard à Ségou et Kankan, Guéant et Châtaignier sur le Rova (la colline royale) ?

            Petite définition du fait accomplile « fait accompli » peut être défini comme un acte d’insubordination à une autorité légitime politique ou publique, par exemple d’un préfet ou d’un général à leur gouvernement légitime. Une sorte de voie de fait politique, militaire, ou administrative, en dehors de toute règle de droit, un fait qui prime tout droit.

            Dans le cas considéré, il s’agirait de la violation de traités internationaux, de la politique étrangère de la France, ou des instructions gouvernementales, s’il y en a.  

Le fait accompli de Gallieni

En 1897, le général Gallieni tira parti des délais et aléas de communication avec le gouvernement pour déposer la reine Ranavalona III, alors qu’un câble avait été posé dans le canal du Mozambique, mais il fallait encore un certain temps pour rendre compte.

Tout au long de la période des conquêtes coloniales, les officiers de marine ou des troupes de marine pratiquèrent la politique du fait accompli, en profitant des très longs délais qui étaient nécessaires pour échanger instructions et comptes rendus  entre autorités centrales, ministres et gouvernements, et autorités locales (gouverneurs ou officiers).

C’est ainsi que l’amiral Dupetit-Thouars prit possession de Tahiti, en 1843, sans en référer à son gouvernement, que le contre-amiral Rigault de Genouilly fit de même en Cochinchine, en 1859, et que le colonel Archinard prit Ségou en 1890, et Kankan, dans le fief de Samory, en 1891, dans les mêmes conditions..

Le colonel Archinard fut un grand adepte du fait accompli colonial, mais le concept de fait accompli colonial n’a jamais été clair, à partir du moment où des communications télégraphiques existaient, car avec la complicité d’un ministre du gouvernement, dans le cas d’Archinard, il s’agissait d’Etienne, le fait accompli militaire et colonial était souvent, et également  un fait accompli politique.

Et pour ramener cette problématique de la communication coloniale à celle de la guerre, il suffit de lire les analyses de Keegan sur la guerre de 1914-1918, pour prendre conscience de la fragilité de tout système de communication, qu’elle ait des causes techniques ou politiques, et donc de l’écheveau toujours complexe des lignes de commandement.

Toujours est-il que les déclarations de l’ambassadeur Châtaignier, à Antananarivo, sur la situation politique de la grande île, ressemblent fort aux fameux faits accomplis coloniaux du XIX°siècle !

De deux choses l’une :

– Ou l’ambassadeur a agi « proprio motu », et c’est de l’ingérence ou du fait accompli dans les affaires intérieures de la République malgache, à la manière Archinard,

– Ou l’ambassadeur a agi sur instruction du préfet Guéant, et cela ressort tout à fait de ce que faisaient certains ministres de la III° République, à la manière Etienne.

Et en sous-titre: est-ce que, par la voix « Chataigner » la France espère tirer les « marrons » du feu?

Jean Pierre Renaud