France et Afghanistan: avec la Fondation pour la Recherche Stratégique

France et Afghanistan 

Avec la Fondation pour la Recherche Stratégique : la paix en Afghanistan ! Toujours la politique de grandeur de la France !

Est-ce bien sérieux ? Alors que le pays a bien d’autres chats de politique étrangère à fouetter, et qu’il n’a de toute façon pas les moyens de cette politique !

        A lire des articles récents sur les initiatives qu’aurait prises la Fondation pour la Recherche Stratégique afin de faciliter le retour de la paix en Afghanistan, en organisant des rencontres discrètes, sinon secrètes à Chantilly, on se prend à rêver !

Ainsi on se rejoue le feuilleton des négociations secrètes avec le FLN, pour mettre fin à la guerre d’Algérie ?

Comme si l’Afghanistan, dont l’histoire est on ne peut plus compliquée, aussi bien qu’ignorée, avait besoin de la France pour jeter les bases d’un Etat qui n’a jamais vraiment existé !

Une fondation comme celle-là a sûrement mieux à faire sur d’autres points de l’actualité internationale, études stratégiques afin d’éclairer les routes de notre pays, et non le « go-between », qui n’est pas son métier, d’autant plus qu’il parait difficile d’adhérer pleinement à l’affiche qu’elle propose sur sa page d’accueil :

« La Fondation exerce son activité en toute indépendance. Elle est financée essentiellement par les prestations et travaux qu’elle réalise sur une base contractuelle pour ses partenaires publics et privé »

Il est bien dommage que sur son site, la fondation ne communique pas sur son budget, c’est-à-dire sur les sources de son financement.

Il est en effet possible de s’interroger sur son degré d’indépendance effective, lorsque l’on voit la composition de son conseil d’administration, cinq représentants de grandes sociétés pour le collège des fondateurs,  CEA, SAFRAN, ODAS, EADS, DASSAUT AVIATION et cinq représentants de grandes administrations, Défense, Affaires Etrangères, Intérieur, Recherche, et Education Nationale.

Jean Pierre Renaud

Le Mali et son arrière-plan littéraire et politique. Le malentendu!

    Le Mali et son arrière-plan littéraire et politique

Le malentendu !

« L’aventure ambigüe » de Cheikh Hamidou Kane (1961)

« L’Afrique humiliée » d’Aminata Traoré (2008), préfacée par Cheikh Hamidou Kane

Lecture 

I – Côté littéraire et politique

Deux livres intéressants, mais tout autant instructifs sur l’état d’esprit de deux éminents représentants des élites d’Afrique noire, tous deux anciens ministres, au cours des années 1960 à nos jours, l’un du Sénégal, Cheikh Hamidou Kane (1), l’autre du Mali, Aminata Traoré.

Le premier, un conte de sagesse tout africaine, le deuxième, le cri d’une mère, mais tout autant, un pamphlet, un réquisitoire contre les blancs et les Français !

« L’aventure ambiguë »

Le premier est d’une facture très poétique avec l’évocation des états d’âme d’un jeune sénégalais, Samba Diallo, avide de connaissance et partagé entre deux cultures, deux mondes, mais tout autant deux univers religieux, car l’islam est omniprésent dans le milieu familial et social du jeune Samba Diallo.

Les anciens comprennent bien que dans le Sénégal colonial, il n’est possible d’accéder à la connaissance du nouveau monde qu’en fréquentant l’école française, « l’école étrangère », car « l’ère des destinées singulières est révolue ».

Le jeune Samba Diallo réussit si bien dans ses études qu’il rejoint Paris où il fait la connaissance du monde blanc, et à l’occasion d’une conversation avec un ami, auquel il fait part de son désarroi, ce dernier lui dit, à un moment donné :

« Ha ! Ha ! Ha ! Je sais ce que c’est. Ce n’est pas l’absence matérielle de votre terroir qui vous tient en haleine. C’est son absence. L’Occident se passe de vous, l’on vous ignore, vous êtes inutile, et cela, quand vous-même ne pouvez plus vous passer de l’Occident. Alors vous faites le complexe du Mal Aimé. Vous sentez que votre position est précaire. »

(1)  Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer Promotion 1956

Au fil de toutes les pages empreintes de spiritualité, l’auteur exprime la difficulté qui est la sienne d’entrer complètement dans le monde des blancs sans perdre son âme, et déclare :

« Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct (sa terre d’origine), face à un Occident distinct, et appréciant d’une tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu’il faut que je le lui laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux. Il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de n’être pas deux. »

Et pour mot de la fin peut-être, une parole de sagesse d’une vieille cousine, la Grande Royale :

« Elle n’est pas encore revenue de la surprise où l’ont plongée la défaite et la colonisation des Diallobé. Je ne dois d’être allé à l’école, et d’être ici ce soir, qu’à son désir de trouver une explication. Le jour où je prenais congé d’elle, elle me disait encore : « Va savoir chez eux comment l’on peut vaincre sans avoir raison. »

Donc un très beau texte qui exprime toute la difficulté qu’avait un jeune africain d’entrer, dans les années 1950, dans les nombreux codes de la société française, très éloignés de ceux du Sénégal.

Ajouterais-je que la majorité des Français ignore, aujourd’hui, et tout autant qu’avant, les codes des sociétés d’Afrique noire !

« L’Afrique humiliée »

Le contenu du deuxième livre, celui d’Aminata Traoré n’a rien à voir avec le précédent, et la préface qu’en a faite Cheikh Hamidou Kane relaie les propos et jugements souvent très violents à l’endroit de la France et de l’Europe, des institutions internationales, et pourquoi ne pas le dire ? de la terre tout entière !

Il écrit dans cette préface:

« Un cri, le vrai cri, le seul, vient de vriller le ciel de sa protestation. Il nous réveille du cauchemar ; il arrête notre descente aux enfers. Il est puissamment proféré. Il nous secoue et nous bouleverse d’autant plus profondément qu’il est poussé par une femme, une Bambara, une fille de la savane, une citoyenne de ce Mali qui, de tout temps, a été un des pôles de sustentation du continent noir…

Le message qu’Aminata Traoré adresse à l’Afrique et à l’Europe est parvenu haut et clair, à l’homme, à l’Africain, à l’ancien fonctionnaire des Nations Unies, à l’ancien ministre du Sénégal et de la Coopération, à l’intellectuel et écrivain noir que je suis. Qu’elle me permette de lui dire al barka, a diarama, « merci », car elle m’a puissamment secouru »

« Lisez ce livre. Vous serez édifiés quant à la responsabilité des crimes dénoncés, de la « France de la finance et du commerce », de l’Europe impérialiste, du « capitalisme mondialisé », du colonialisme de naguère et de l’échange inégal d’aujourd’hui. Toute l’«élite » africaine aux affaires depuis des décennies ne peut que reconnaître avec Aminata qu’on nous a fait évoluer dans un « monde qui marche à l’envers », en imposant à nos paysans un marché qui rétribue mal leur travail ; un monde où, « au nom de l’efficacité, le couperet des institutions internationales de financement » tombe sur des économies surendettées et même sinistrées, et qui n’avaient nul besoin « d’être amputées de leurs entreprises nationales », donc de pousser vers la porte « des dizaines de milliers d’agents de l’Etat, souvent compétents et consciencieux, qui étaient aussi des pères et des mères de famille. »

 Ainsi que l’écrit Aminata Traoré, « jamais des jeunes originaires du Mali, du Sénégal, du Cameroun, ou de la Côte d’Ivoire ne seraient retrouvés comme un seul homme à des milliers de kilomètres des leurs, à Ceuta et Melilla ou à bord des embarcations de fortune qui les mènent souvent à la mort, si le Fonds monétaire international et la Banque mondiale n’avaient pas infligé vingt années durant à leur pays la médecine de cheval de l’ajustement structurel. »

Le préfacier conclut :

« Appartenant moi-même à la génération des aînés parmi elles (les élites), je me fais le devoir de leur dire qu’à mon sens l’arme la plus décisive, l’arme de destruction massive que nous pourrons opposer au sort calamiteux auquel notre continent parait voué, c’est son unité. »

L’analyse de Mme Traoré est souvent juste et percutante, mais tout y passe, la faute à la France, à l’Europe, au FMI (ses ajustements structurels), à la Banque Mondiale, à la mondialisation.

Mme Traoré dénonce la politique française sur l’immigration, la chasse aux immigrés, le co-développement.

En ce qui concerne ce dernier point et le chapitre qui lui est consacré, l’auteur met en exergue une belle citation de Joseph Ki-Zerbo (page 245) :

« Nan laara, an sara. (Si on se couche, on est mort).

Toujours la faute des autres ?

Ce livre est un cri, le cri d’une mère, et à ce titre, il mérite d’être entendu, mais pourquoi ne pas avoir le courage aussi de s’interroger sur la responsabilité des pères et des mères qui mettent au monde des enfants dont ils savent pertinemment que leur vie sera difficile s’il n’ y a pas un sursaut salutaire de leurs élites ?

A titre d’exemple, citons un dossier tout à fait intéressant sur la situation d’un Etat voisin du Mali, le Niger, paru dans le journal La Croix du 7 février 2012,intitulé « Au Niger, la malnutrition recule », et ce journal d’évoquer tout un ensemble d’évolutions favorables de la situation alimentaire de ce pays, mais sans faire censure d’un problème démographique très important pour ce pays du Sahel.

« Les autorités recensent 15 millions d’habitants aujourd’hui. Au rythme actuel, ils seront 50 millions en 2050 à vivre dans un pays désertique et semi-désertique. Maitriser la croissance démographique reste un défi. Ici, on ne parle jamais de contrôle des naissances, un terme tabou, mais d’espacement des grossesses par la pilule, le stérilet ou l’implant contraceptif

Et à cet égard, rien n’est possible sans le concours des maîtres d’écoles coraniques qui ont une grande autorité sur la population.

« Si certains restent réticents, la majorité des marabouts adhère à l’argumentaire de l’ONG. (MDM). Moukeila Momoni est l’un de ces imams qui parcourent les villages pour s’entretenir avec les leaders religieux. »

« Sans la religion, le message ne passe pas, précise cet érudit. Or, il n’y a rien dans le Coran qui s’oppose au planning familial. Au contraire, il est dit que pour bien nourrir ses enfants, il faut espacer les naissances. » (page 3)

Il existe un grave et ancien malentendu entre les élites d’Afrique noire française et les élites françaises : ces dernières, et pour une petite minorité, ne se sont véritablement intéressé et senti concernées par ces territoires qu’occasionnellement, et n’ont souvent découvert la réalité de l’outre-mer qu’après leur indépendance, et de nos jours, avec les courants d’immigration.

Mme Traoré a un discours dont un des fondements, sinon le principal, est : vous avez une dette à notre égard, quoi que vous disiez ou vous fassiez, et nous nous devons de vous le rappeler chaque jour, et c’est là qu’est le malentendu !

Côté politique

Pourquoi faire l’impasse sur la responsabilité des dictateurs qui se sont succédé au Mali entre 1960 et 1991 ? Et il n’est pas interdit de se demander si la gouvernance de type démocratique qui a suivi, alors considérée comme exemplaire par rapport à beaucoup d’autres pays d’Afrique, ne masquait pas certains vices qui ont été à l’origine de la crise actuelle qui ravage le pays.

Cela dit, il est évident que les frontières tout à fait artificielles du Mali, datant de l’époque coloniale rassemblent des régions très contrastées: quoi de commun entre celles de Kayes, de Bamako, ou de Tombouctou ? Sinon peut-être la religion.

Jean Pierre Renaud

Post scriptum : pour les lecteurs qui aimeraient compléter leur connaissance de la culture africaine et de son passé colonial, deux auteurs, en particulier, MM Hampâté Bâ et Kourouma ont excellemment traité ces sujets dans plusieurs romans : en ce qui concerne le premier, dans  « L’étrange destin de Wangrin », « Amkoullel, l’enfant Peul » et dans « Oui, mon Commandant », et pour le deuxième, notamment dans « Monne, Outrages et Défis », et « Les soleils des indépendances ».

            Deux autres livres au contenu plutôt décevant, l’un intitulé « Katiba » de M.Ruffin évoque le terrorisme islamique nouveau des peuples du Sahara, avec toutes les possibilités qu’offre cet immense désert,  mais on a du mal à entrer dans une intrigue plutôt artificielle, l’autre intitulé « Les anciens dieux blancs de la brousse » de M. Billeter évoque le demi-monde des blancs qui continuent à hanter le Burkina-Fasso, avec un brin d’histoire, notamment le rôle du chirurgien – dentiste patenté de Mitterrand pour la Françafrique.

Humeur Tique: La France en guerre au Mali et au Sahara? Mesdames et Messieurs les députés, nous ne sommes plus au XIXème , ou au XXème siècle!

 Il y a effectivement au Mali et au Sahara, un vrai problème de terrorisme islamique, et l’Europe en tant que telle, ainsi que les Etats du Maghreb, Algérie, au premier chef, Maroc et Tunisie, et les Etats africains riverains, sont concernés par ce dossier, au moins autant que la France.

C’est à l’ONU d’autoriser une éventuelle intervention dans cette zone géographique, ce qu’ont demandé les autorités de notre pays, mais c’est à l’Union Européenne de prendre les initiatives de soutien nécessaire au Mali, ainsi qu’à l’Algérie.

Après la « divine » surprise de la guerre de Libye, la tentation actuelle d’une intervention en Syrie, de grâce, ne feignons pas de faire croire aux citoyens français que la France aurait encore un « pré carré » à défendre en Afrique !

Humeur Tique Eté 2012: la Françafrique avec les deux détectives infatigables du Monde

Humeur Tique Eté 2012

La Françafrique avec la BD des deux détectives infatigables du journal Le Monde : dans la gazette du 17 juillet 2012, page 11

            « L’homme d’affaires Jacques Dupuydauby règle ses comptes avec MM.Bolloré et Sarkozy face à la brigade financière

            Le parquet de Paris a ouvert une enquête, le 7 juillet, sur des accusations de corruption. »

            Il convient de préciser que cette affaire baigne en pleine Françafrique, moribonde, avec toujours les mêmes comparses, ministres ou non, mais toujours vaillante.

            Et pour éclairer le lecteur, et sans violer, ni le secret de l’instruction, ni le secret des sources, pourquoi ne pas préciser, et sauf erreur, ce que nos deux détectives infatigables feignent d’ignorer, que l’ancienne secrétaire générale du mouvement Villepin, et ancienne ministre chiraquienne de  l’Outre- Mer, apporta, en tout cas dans un récent passé, son bienveillant concours à M.Dupuybaudy ?

Humeur Tique: « Des paroles aux actes! « Au Mali, avec Cheick Modibo Diarra, et ce n’est pas du gâteau!

Humeur Tique : « Des paroles aux actes ! » Et ce n’est pas du gâteau !

 Avec Cheick Modibo Diarra, Premier Ministre du Mali, depuis le 17 avril 2012

            Après son atterrissage sur le fleuve Niger, le célèbre astrophysicien, venu directement de Microsoft Africa, pour mettre ses compétences au service de son pays, a une rude tâche à accomplir, une très, très rude tâche.

            Coup d’Etat militaire, sécession d’une partie du Mali, avec l’éternel problème de la cohabitation avec les tribus Touaregs, lutte contre la corruption, la misère, etc…

            Dans le journal Les Echos des 8 et 9 juillet 2011, le Premier Ministre faisait une déclaration fracassante et courageuse dont le blog du 15 août 2011 a partiellement rendu compte :

            En résumé, l’Afrique souffrait d’une absence d’Etat et d’une croissance détournée par la corruption.

L’actuel Premier Ministre du Mali adressait l’invitation suivante à la communauté internationale :

« Je pense que la communauté internationale, plutôt que de dépenser de l’argent pour reconstruire des pays dévastés par des conflits électoraux, comme la Côte d’Ivoire, devrait financer en amont l’organisation d’élections transparentes. Elle a un droit d’ingérence pour que la Constitution et les règles du jeu soient appliquées. C’est à ce prix qu’on verra l’émergence d’une nouvelle génération de leaders en Afrique… »

Bon vent et bon courage !

« Echappées belles » « Bénin, une autre Afrique » France 5 du 24 mars 2012

« Echappées belles »

« Bénin, une autre Afrique »

France 5 du 24 mars 2012

Mon propre regard

            France 5 a tout à fait raison de nous proposer sa série d’émissions intitulée « Echappées belles », car elle permet aux téléspectateurs de découvrir d’autres pays, d’autres civilisations de la planète, et donc de s’élargir l’esprit.

            Ce reportage sur le Bénin est intéressant, mais il pose quelques questions.

            Incontestablement, le reporter découvre ce pays avec une certaine candeur, avouée, étant donné, qu’à un moment donné du reportage, et sauf erreur, il déclare qu’il débarquait, pour la première fois, dans cette partie de l’Afrique occidentale.

            Un reportage haut en couleurs, plaisant, qui nous fait rencontrer des interlocuteurs sympathiques, sous la conduite d’un guide africain compétent, les paysages de la côte, la découverte d’un village lacustre de la lagune, des ateliers de poterie, la route des esclaves à Ouidah, la religiosité de type vaudou qui baigne à nouveau une partie du peuple de la côte, et la visite aux descendants des rois d’Abomey et de Savalou, allié feudataire du roi d’Abomey.

            Mes réserves portent sur l’absence de cadrage historique, car il parait tout de même difficile d’évoquer le trafic des esclaves sur les côtes du Bénin, en tous points condamnable, sans précisément relever que le roi d’Abomey, Behanzin, était alors partie prenante d’un système d’esclavage, encore fort répandu en Afrique de l’Ouest.

            N’aurais-je, par hasard, pas entendu ce type de précision dans le courant du reportage ?

            Ma deuxième remarque portera sur la relation subtile que les africains ont su établir entre leurs intérêts touristiques et la crédulité des blancs, et ce reportage le montre plutôt bien.

            Le reportage consacré aux deux rois d’Abomey et de Savalou fait un sort à ce qui ressemble tout à fait à ces reconstitutions dont notre cinéma et notre théâtre sont très friands, pourquoi pas ? Et dans ce domaine, les Africains n’ont jamais eu rien à apprendre des Blancs.

Dans ses récits, le grand auteur Hampâté Bâ, a donné de multiples exemples de la manière bien à eux, traditionnelle, et bien ancrée, que les Africains ont toujours eu de se moquer des Blancs, sans naturellement que les Blancs ne s’en soient jamais rendu compte.       

      Jean Pierre Renaud

Les Touaregs à Tombouctou: 1894-2012, une histoire qui se répète!

Tout au long de la période des conquêtes coloniales de la France (1880- 1914) sur la frange sud du Sahara, dans la région géographique, au sens large, du bassin du fleuve Niger, la France eut maille à partir avec des partis Touaregs, mais pas uniquement la France conquérante.

            Car, parallèlement, au cours des siècles, les relations entre éleveurs nomades et paysans sédentaires, ont toujours été conflictuelles, les Touaregs venant périodiquement razzier les villages africains.

            Lorsque les Français prirent la ville sainte et mystérieuse de Tombouctou, à la suite des initiatives intempestives du colonel Archinard, et à l’occasion du « fait accompli » d’un officier de marine, la colonne du colonel Bonnier fut anéantie par un parti Touareg : ce fut le désastre de Tacoubao, le 15 janvier 1894,  dans la proximité de Tombouctou. (1)

Bilan : tués, 11 officiers, 2 sous-officiers, 64 tirailleurs.

Et pour la petite histoire, 1) les Français découvrirent alors une cité dont la réalité était assez loin de son mythe, 2) le futur maréchal Joffre, avec sa colonne de secours, fut alors de cette aventure coloniale.

A l’époque, les Touaregs jouaient déjà un rôle important dans la vie de la vieille ville sainte.

Mais les Touaregs proposaient aussi, hier comme aujourd’hui, un incontestable modèle de vie, fait d’exigence et de rigueur, incontestablement digne de respect et de reconnaissance.

Jean Pierre Renaud

(1)    J’ai relaté et analysé cet épisode dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » ( editionsjpr.com)

Humeur Tique: France-Madagascar: « Faut pas rêver » de France 3 (25/11/12) ou « On croit rêver », nouvelle émission de l’Elysée (7/12/11)?

Humeur Tique : France-Madagascar :

« Faut pas rêver » de France 3 (25/11/2011),

ou le « On croit rêver » nouvelle émission de l’Elysée (7/12/2011) ?

            Plus de deux ans et demi déjà que le Président de la République Française a dénoncé le coup d’Etat (février 2009), à la suite duquel le Président actuel de la HAT, (dite haute autorité de transition) de Madagascar, a pris le pouvoir.

            7 décembre 2011, « On croit rêver », le même « président de la HAT » est reçu à l’Elysée par le même Président de la République Française !

            On aura beau expliquer que le président de la HAT en question a accepté aujourd’hui d’appliquer la feuille de route démocratique arrêtée par la Communauté de Développement de l’Afrique Australe, c’est-à-dire le retour à des élections libres et démocratiques, le mal est fait !

            A l’heure actuelle, un pays en lambeaux, une jeune élite qui voit chaque jour l’ambassadeur de France se comporter comme un gouverneur général de Madagascar au petit pied, et l’auteur d’un coup d’Etat reçu en grandes pompes à l’Elysée.

Croyez-vous que le bon peuple malgache y comprendra quelque chose  dans les explications diplomatiques savantes et contournées de la France ?  

 Bien sûr que non ! Il aura compris qu’une fois de plus la France s’est imposée dans le jeu du fonctionnement des institutions de son pays.

Mais comment les mêmes malgaches, et aussi des Français amis, n’observeraient-ils pas, avec la même tristesse, le spectacle que lui propose chaque jour une partie de son élite politique, beaucoup plus soucieuse de places que de l’intérêt général de leur pays ?

« Culture et impérialisme » Edward W. Said Lecture du chapitre 3 « Résistance et opposition »

«  Culture et impérialisme »

d’Edward W. Said

ou

Comment peut-on être un impérialiste ?

(chapitres 1 et 2 sur le blog des 7 et 19 octobre 2011)

Chapitre 3 (p,275 à 391)

« Résistance et opposition »

I – Lecture

I – Il y deux côtés

            L’auteur va tenter de définir et de récapituler les résistances et oppositions qui ont nourri le combat des « indigènes » contre l’impérialisme, et permis la décolonisation.

Il introduit curieusement son propos en citant « L’immoraliste » de Gide.

La vision de l’Afrique du Nord française par l’un de ses héros, Michel, est décrite ainsi :

«  Les Africains, et en particulier ces Arabes, sont là, sans plus. Ils n’ont pas d’art (ni d’histoire) capable de s’accumuler et de se sédimenter en œuvres.  S’il n’y avait pas l’observateur européen pour attester qu’il existe, il ne compterait pas. Se trouver parmi ces gens-là est agréable, mais il faut en accepter les risques (la vermine par exemple). » (p, 279)

Un autre constat plus révélateur :

« Les Occidentaux viennent seulement de se rendre compte que ce qu’ils ont à dire sur l’histoire et les cultures des peuples « subordonnés » peut être contesté par ces peuples eux-mêmes – peuples qui, il y a quelques années, étaient tout bonnement intégrés (culture, territoire, histoire et tout) dans les grands empires occidentaux et les discours de leurs disciplines. (Je n’entends pas pour autant dénigrer les travaux de nombreux chercheurs, historiens, artistes, philosophes, musiciens et missionnaires occidentaux dont les efforts conjoints et individuels pour faire connaître le monde extérieur à l’Europe ont eu un succès stupéfiant.) » (p,282)

L’auteur engage alors une réflexion rapide sur la chronologie des mouvements de résistance à l’impérialisme, et sur les rapports qu’ont pu entretenir les adversaires de l’impérialisme dans les métropoles et dans les colonies.

Le livre évoque ensuite le cas de la France :

« La France n’a pas eu de Kipling pour célébrer l’empire tout en annonçant sa mort imminente et cataclysmique, et pas de Forster non plus. Culturellement, elle était animée de ce que Raoul Girardet appelle un double mouvement d’orgueil et d’inquiétude – orgueil de l’œuvre accomplie dans les colonies, inquiétude pour leur avenir. Mais comme en Angleterre, le nationalisme asiatique et africain a rencontré en France une indifférence quasi-totale, sauf quand le Parti communiste, conformément à la ligne de la III° Internationale, a soutenu la révolution anticoloniale et la résistance à l’empire. Girardet remarque que, dans les années qui ont suivi L’Immoraliste, deux livres importants de Gide, Voyage au Congo (1927) et Retour au Tchad (1928), ont exprimé des doutes sur le colonialisme français en Afrique noire, mais ajoute-t-il avec lucidité, Gide ne remet nulle part en cause « le principe même de la colonisation ». » (p,297,298)

Aux yeux du même auteur, Malraux est à classer dans la même catégorie que Gide :

« Si j’attache tant d’importance à La Voie royale, c’est que cette œuvre d’un auteur européen à l’extraordinaire talent atteste de façon fort concluante l’inaptitude de la conscience humaniste occidentale à faire face au défi politique des territoires impériaux. » (p,299)

II – Thèmes de la culture de résistance

Une première citation éclairante de son propos :

« Ne minimisons pas la portée fracassante de cette idée initiale – des peuples prennent conscience d’être prisonniers sur leur propre territoire – car elle ne cesse de revenir dans la littérature du monde « impérialisé ». l’histoire de l’empire, ponctuée de soulèvements tout au long du XIX siècle, en Inde, en Afrique, allemande, française, belge et britannique, à Haïti, à Madagascar, en Afrique du Nord, en Birmanie, aux Philippines, en Egypte et ailleurs, perd toute cohérence si l’on ne voit pas ce sentiment d’être incarcéré, assiégé, cette ardente passion pour la communauté qui ancre la résistance anti-impériale dans un effort culturel. » (p,307)

« la nation captive »

III – Yeats et la décolonisation

L’auteur fait un sort tout particulier à Yeats, auteur d’origine irlandaise, et de noter que :

« Pour un Indien, un Irlandais, un Algérien, la terre était déjà dominée de longue date par une puissance étrangère qu’elle fut libérale, monarchique ou républicaine.

 Mais l’impérialisme européen moderne est une forme de domination intrinsèquement et radicalement différente de toutes celles qui l’ont précédée. » (p,315)

Plus que les processus économiques ou politiques à l’œuvre dans l’impérialisme :

« La thèse que j’avance dans ce livre, c’est que la culture a joué un rôle très important, et en fait indispensable «  (p,316)

« Cet eurocentrisme a inlassablement codifié et observé tout ce qui touchait au monde non européen ou périphérique, de façon si approfondie et détaillée qu’il n’a guère laissé de questions non abordées, de cultures non étudiées et de peuples non revendiqués. » (p,316)

Et en réaction :

« Ce moment de conscience réflexive  a permis au citoyen africain, caribéen, irlandais, latino-américain ou asiatique de décréter la fin de la prétention culturelle de l’Europe à guider et/ou à instruire le non-européen non-métropolitain. » (p,319)

« Pour l’indigène, l’histoire de l’asservissement colonial commence par la perte de l’espace local au profit de l’étranger. » (p,320)

« Et ce qui a été fait en Irlande l’a été aussi au Bengale ou pour les Français en Algérie » (p,322)

Et dans ce débat d’idées, l’auteur cite les œuvres de Césaire ou de Fanon, et même de Neruda, les trois côte à côte.

« Il est ahurissant que la lutte de libération irlandaise ait duré bien plus longtemps que les autres, mais soit si souvent jugée comme un problème étranger à l’impérialisme ou au nationalisme. On la voit plutôt comme une aberration dans l’univers des dominions britanniques. Il est pourtant clair qu’il s’agit d’autre chose.  Depuis le pamphlet de Spenser sur l’Irlande en 1596,  toute une tradition de pensée britannique et européenne a considéré les Irlandais comme une race à part,  inférieure, très généralement perçue comme barbare et irrécupérable, souvent comme criminelle et primitive. » (p,333)

IV –  Le voyage de pénétration et l’émergence de l’opposition

            « Il y a seulement trente ans (le livre a été publié en 2000), peu d’universités européennes ou américaines faisaient place  dans leurs programmes à la littérature africaine. «  (p,337)

« Néanmoins, beaucoup d’éléments constitutifs des grandes formations culturelles d’occident, dont le contenu du présent ouvrage « périphérique », ont été historiquement cachés dans et par le point de vue unifiant de l’impérialisme. On sait pourquoi Maupassant aimait déjeuner tous les jours à la Tour Eiffel : c’était le seul lieu de Paris où l’on n’était pas obligé de voir son imposante structure. Même aujourd’hui, puisque la plupart des analyses de l’histoire culturelle européenne mentionnent à peine l’empire, et que les grands romanciers en particulier sont étudiés comme s’ils n’avaient pas le moindre lien avec lui, le chercheur et le critique ont pris l’habitude d’accepter sans les remarquer, sous le couvert de l’autorité, leurs attitudes et références impériales. » (p,337)

Et en ce  qui concerne les anticolonialistes :

« Un cadre général impérialiste et eurocentrique était implicitement admis. » (p,339)

« Autrement dit  – et c’est la première idée que je relève –  une condamnation globale de l’impérialisme n’est apparue qu’après que les soulèvements indigènes sont allés trop loin pour être ignorés ou vaincus. » (p,340)

Le livre évoque alors le rôle des Etats Unis, et le cas de la guerre d’Algérie :

« Premièrement, le travail intellectuel anti-impérialiste effectué par des auteurs venus des périphéries, qui ont immigré en métropole ou y sont en visite, est en général une extension à la métropole de vastes mouvements de masse. On en a vu une manifestation flagrante pendant la guerre d’Algérie quand le FLN a fait de la France la septième Wilaya, les six autres constituant l’Algérie proprement dite : il faisait ainsi passer de la périphérie au centre de la France la lutte de décolonisation. » (p,344)

Le livre entend alors illustrer son propos, sa thèse, par la citation de quatre textes d’auteurs de la périphérie qui s’opposaient à l’impérialisme, C.L.R.James, George Antonius, Ranajit Guha, S.H.Alatas :

« Ils s’adressaient à lui de l’intérieur, et, sur le terrain culturel, contestaient et défiaient son autorité en lui opposant d’autres versions de lui-même, dramatisées, argumentées – et intimes. » (p,348)

            « L’effort inaugural des quatre auteurs que j’ai étudiés ici – leur voyage de pénétration –  a été fondamental pour tous ces chercheurs, et pour le front uni culturel qui désormais se construit entre la résistance anti-impérialiste des périphéries et  la culture d’opposition d’Europe et des Etats- Unis. » (p,366)

V – Collaboration, indépendance et libération

L’auteur aborde alors les suites très diverses de la décolonisation liées au nationalisme et au rôle des Etats.

Le livre cite une réflexion de l’historien Liauzu sur l’évolution de l’anti-impérialisme :

«  Claude Laiuzu avance que, en 1975, le bloc anti-impérialiste, bien réel jusque- là, n’existait plus. La disparition d’une opposition intérieure à l’impérialisme est une thèse plausible pour l’opinion moyenne en France, et peut-être aussi pour l’Occident atlantique en général, mais elle n’aide guère à comprendre la persistance des lieux de conflit, tant dans les nouveaux Etats que dans des secteurs moins en vue des cultures métropolitaines. » (p,371)

Et M.Edward.W.Said de citer à nouveau le rôle important de Fanon dans l’histoire des idées de cette époque :

« Si j’ai tant cité Fanon, c’est parce qu’il exprime en termes plus tranchés et décisifs que tout autre un immense basculement culturel, du terrain de l’indépendance nationale au champ théorique de la libération. Basculement qui a essentiellement lieu là où l’impérialisme s’attarde en Afrique après que la plupart des Etats coloniaux ont obtenu l’indépendance. Disons en Algérie et en Guinée-Bissau. » (p,374)

Et d’après Fanon :

«  Le colon fait l’histoire et sait qu’il la fait » (p,377) et « A la théorie de « l’indigène mal absolu »  répond la théorie du « colon mal absolu ».(p,378)

Un Fanon qui met en cause les nationalismes bourgeois et prône une libération universaliste qui permet d’échapper à l’enfermement, un Fanon dont le discours s’associe à celui de Césaire pour lequel « aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force. » (p,389)

II – Questions

Elles sont nombreuses, mais toujours dans le regard parallèle d’une culture que l’auteur, professeur de littérature comparée, considérerait peut-être comme représentative d’une « structure d’attitudes et de références » impériales, naturellement.

La chronologie de l’analyse fait incontestablement problème, car il est évident que la relation entre culture et impérialisme, si elle a existé, n’a pas du tout été la même au cours des cinq périodes de l’impérialisme, en tout cas français, la conquête (1870-1914), la première guerre mondiale (1914-1918), la colonisation (1919-1939), la deuxième guerre mondiale (1939-1945), et la décolonisation qui s’est achevée dans les années 1960.

De même que la mise en concordance chronologique et culturelle d’auteurs comme Yeats, Fanon ou Césaire ! Et pour les quatre auteurs cités, les œuvres de référence datent des années, 1938, pour C.L.R James et George Antonius, 1963, pour Ranajit Guha, 1977, en ce qui concerne S.H.Alatas.

D’autant plus que des auteurs tels que Fanon ou Césaire n’ont connu un certain succès, que dans la période des convulsions qui ont précédé les indépendances des colonies africaines, sur un champ géographique et idéologique limité, essentiellement l’Algérie, et alors que ces deux auteurs d’origine antillaise, n’ont pas revendiqué, à ma connaissance, l’indépendance de leurs Îles, c’est-à-dire la libération de leurs « nations captives » !

La comparaison entre les parcours des deux amis que furent Senghor et  Césaire éclairerait peut être leurs prises de position respectives, et plus précisément les situations géographiques et politiques des uns et des autres.

Il ne semble pas que Fanon, et même Césaire, en tout cas dans sa revendication de la négritude, aient eu une réelle influence sur le mouvement de décolonisation, sauf une influence restreinte auprès d’un milieu restreint d’initiés, peut-être.

L’auteur accorde beaucoup d’importance au cas très ambigu de la « colonie » Irlande, et cet intérêt est à lui seul original, car  la culture européenne n’a sans doute pas assimilé le cas de l’Irlande à celui du Bengale ou de l’Algérie.

Cohérence historique et géographique des thèmes de réflexion traités ?

Il parait tout de même difficile de mettre sur le même plan historique des événements qui ont lieu à des périodes très différentes et sur des continents également très différents, pour ne pas évoquer le cas du continent Afrique lui-même dont l’analyse historique et culturelle ne peut pas se résumer au postulat « toutes choses étant égales par ailleurs ».

Aux  XIX° et XX° siècles, peu de comparaisons sont possibles entre l’Afrique de l’Ouest et l’Inde, de même qu’en Afrique elle-même, problèmes et résistances étaient assez différents entre l’Afrique de l’Ouest et celle de l’Est ou du Sud, notamment parce que le colon n’y faisait pas, vraiment, et partout, l’histoire, et qu’après la deuxième guerre mondiale, ce fut  la mise en place d’un nouveau système d’aide sociale, associé à de nouveaux droits qui a largement contribué à faire l’histoire.

Echec ou succès impérial ?

Un concept de résistance très ambigu ! Il y aurait en effet beaucoup à dire sur les résistances décrites par l’auteur, lesquelles ne peuvent se résumer facilement, car elles furent quelquefois inexistantes, épisodiques, ou longues et violentes.

Alors, il est vrai qu’en magnifiant certains mouvements de résistance, et il y en eu beaucoup, plus ou moins violents, les intellectuels des pays concernés imitent les collègues d’Europe, notamment français qui ont construit notre roman national, mais il y bien longtemps, à titre d’exemple, que des historiens sérieux ont revisité les romans de la Révolution Française ou de la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale.

Impossible donc de généraliser et de proposer une thèse crédible, d’autant plus que les empires ont su trouver des appuis auprès des populations indigènes elles-mêmes ou de leurs chefs encore naturels !

A titre d’exemples :

Résistance de Samory contre les Français, en parallèle de celle des royaumes Bambaras qui n’acceptaient pas sa loi, résistance de Behanzin en parallèle aussi de celle de ses royaumes voisins qui n’acceptaient pas non plus sa loi ?

Comment ne pas évoquer également la discrétion des universitaires de l’Afrique de l’ouest  sur l’esclavage domestique?

 Dans le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy », M.Ibrahim Thioub note à la page 206, sous le sous-titre «L’esclavage domestique et les traites exportatrices dans l’historiographie africaine » :

« L’examen de l’historiographie africaine sur ces questions met en évidence une asymétrie. La faiblesse relative du nombre d’études consacrées à l’esclavage domestique contraste fortement avec l’ancienneté du phénomène, sa généralisation à l’échelle du continent, son ampleur variable d’une époque à une autre, le rôle et les fonctions des esclaves dans tous les domaines d’activité, la diversité de leur statut social. »

Et le même auteur de noter plus loin (page 207) : «  Sur les 884 titres que compte  le « recensement des travaux universitaires soutenus dans l;es universités francophones d’Afrique noire, on ne trouve que six références portant sur l’esclavage domestique. » 

Edward W. Said fait grand cas des œuvres venant des périphéries et qui ont mis à mal les certitudes impériales des métropoles, mais cette interprétation soulève au moins deux questions :

La première relative à la date de ces œuvres, et alors que le mouvement de décolonisation était déjà largement engagé, par la force des choses : comment ne pas remarquer d’ailleurs qu’en ce qui concerne l’Afrique française, l’absence d’œuvres d’auteurs de la périphérie n’était pas uniquement due à la censure, ou à l’impérialisme ?

La deuxième, quant aux effets de ces œuvres sur l’opinion publique : ont-ils été mesurés ? Non !

Je serais tenté de dire que les livres de Fanon ont surtout intéressé, à l’époque de leur publication, c’est-à-dire après 1945, des cercles intellectuels limités, et ce, surtout,  pendant la guerre d’Algérie.

Pourquoi ne pas dire alors que les analyses intéressantes de l’auteur, à ce sujet, sont plus représentatives des relations qu’a pu entretenir la culture et l’impérialisme après la deuxième guerre mondiale qu’avant, mais incontestablement avec une coloration rétroactive ?

Et comme souvent dans l’histoire du monde, une lecture rétroactive, trop généralisatrice, et souvent optimiste, des « résistances indigènes » ?

Après 1945, tout a changé dans le monde impérial, avec le rôle très ambigu des Etats-Unis, prosélytes à l’étranger de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais attachés encore chez eux à la ségrégation, la fracture Est Ouest, la politique extérieure de l’URSS qui se présentait comme un modèle social et politique.

Les périphéries impériales devenant donc les enjeux d’une compétition Est Ouest, et avec la tentative des pays de la Conférence de Bandoeng d’y échapper ou d’en profiter.

En conclusion provisoire donc, une grande difficulté à entrer dans les raisonnements de l’auteur, plus séduisants que convaincants, notamment en raison du fait qu’ils échappent beaucoup trop à l’histoire et à la géographie.

Et s’il ne s’était agi, en l’espèce, que de l’écoulement du cours des choses impérial, taoïste ou technologique, d’un impérial que les rapports de force, les capacités technologiques des uns et des autres, aurait de toute façon démantelé, pour passer à d’autres formes, toujours impériales, notamment celles des Etats Unis ?

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Jean Pierre Renaud

« Françafrique, l’argent roi » LCP.AN (5/08/11) : Françafrique ou Africafrance?

« Françafrique

2ème Partie – L’argent roi »

Télévision LCP-AN du 5/08/2011

Un documentaire de Patrick Banquet

Françafrique ou Africafrance ?

            Incontestablement, un documentaire très intéressant et bien documenté sur la Françafrique.

            L’analyse montre bien que la scène a beaucoup changé entre la Françafrique des De Gaulle et Pompidou, qui n’a pas duré très longtemps, années 60-74, et celle qui lui a succédé, rongée de plus en plus par le «  fric »  du pétrole.

            Après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, en 1989, l’évolution du commerce mondial, la montée en puissance de la Chine, très curieusement, un petit groupe de pression politico-économique a continué son petit jeu d’un soi-disant du « pré carré » français, complètement en dehors du grand jeu mondial.

            Quel contraste entre le poids économique plutôt faible des échanges entre l’ancienne Afrique française et la France, et le poids politique des restes du lobby de la Françafrique !

Les personnages du documentaire sont décrits de façon très vivante, et certains témoignages sont étonnants de sincérité, sinon de vérité.

Deux personnages dominent cette scène, le « papa » Bongo, un politicien très madré qui n’a rien à envier aux plus madrés de nos politiciens, et l’entremetteur secret Bourgi, l’éminence grise souvent dénoncée.

En ce qui concerne Bongo, il est possible de se demander si les témoignages ne lui font pas la réputation exagérée de « faiseur de roi » de notre belle République. Influence sûrement, mais toute puissance, telle que racontée, il y a là de quoi s’interroger.

En ce qui concerne Bourgi, le personnage est incontestablement intéressant, visage intelligent, propos carrés et clairs. Ne connaissant de l’avocat d’affaires que sa réputation sulfureuse, j’ai personnellement apprécié de le voir en chair et en os, car l’homme ne laisse pas indifférent.

« Fils spirituel » de Foccart, dont il réclame l’héritage, je ne suis pas sûr qu’il puisse le mériter, compte tenu de la façon dont il sait mélanger les genres, entre  les affaires de gros sous et la politique africaine de la France. On peut légitimement douter que son rôle soit de nature à rendre service à la clarté et à la grandeur de notre politique étrangère en Afrique : beaucoup trop d’ombre chez ce brillant entremetteur entre les mondes de l’argent et de la politique, comme il en a existé sous la plupart des régimes !

Je serais tenté de dire, qu’à plusieurs siècles de distance, il y a loin entre ce nouveau Père Joseph, et le Père Joseph, éminence grise de Richelieu, car le petit groupe de ses comparses oublie souvent que la France n’a plus la puissance «  relative » qu’elle avait au XVIIème siècle.

            A lire ou à écouter les témoignages des journalistes ou des spécialistes, est-on sûr qu’on n’en prête pas trop au personnage, car on voit sans doute à tort la main de Bourgi dans toutes les affaires qui font l’actualité africaine, qu’il s’agisse du Gabon, de la Côte d’Ivoire, ou de Madagascar.

            Le documentaire conclut sans doute justement sur une Françafrique moribonde, et sur le rôle tout à fait secondaire du Président de la République Française, devenu « le représentant attentionné des groupes industriels », mais il aurait été intéressant d’évoquer également l’autre facette de la Françafrique, quasiment son « inversion », bien réelle, dans sa dimension internationale (ONU), culturelle, intellectuelle, linguistique, humanitaire avec l’explosion des ONG, et la naissance de ce qui ressemble bien à une Africafrance, avec les flux migratoires importants qui sont venus d’Afrique à partir des années 90.

            Le documentaire met bien en lumière à cet égard le rôle parallèle de la franc-maçonnerie dans les relations franco-africaines, notamment celui de la Grande Loge Nationale. Le documentaire aurait pu aller plus loin encore dans son éclairage.

 Cette évocation rappelle les origines de la conquête coloniale qui a été très souvent le fruit d’une alliance sacrée entre le sabre, l’armée, et le goupillon, la franc-maçonnerie. Tout au long de la période coloniale, les franc-maçons ont été très actifs, souvent beaucoup plus que les chefs d’entreprise français.

            Telle que décrite, une Françafrique de la nostalgie d’une puissance passée pour un groupe de pression politico-économique restreint, alors que la plupart des Français ont toujours été beaucoup plus attirés par l’exotisme de l’Afrique que par les gros sous, auquel s’est ajouté de nos jours un humanitarisme vibrionnant.

            Je serais tenté de dire qu’aujourd’hui, l’Afrique noire a moins besoin d’assistance, d’aide au développement, de programmes alimentaires toujours renouvelés, donc de dépendance sollicitée et consentie, nourrie et entretenue par la corruption, que de courage pour affronter les réalités de ce continent, avec la mise en place d’institutions solides, issues d’une élection, d’Etats capables de faire prévaloir l’intérêt général de leurs pays.

Les propos de Cheick Modibo Diarra, Président de Microsoft Africa dans une interview du journal Les Echos (8,9/07/11) donnent clairement la voie qu’il faut suivre :

« L’Afrique souffre d’une absence totale de l’Etat …

La croissance doit être propre et transparente, avoir un vrai contenu social : aujourd’hui, 25% des ressources de l’Afrique sont détournés par la corruption…

Je pense que la communauté internationale, plutôt que de dépenser de l’argent pour la reconstruction de pays dévastés par des conflits électoraux, comme la Côte d’Ivoire, devrait financer en amont l’organisation d’élections transparentes. Elle a un droit d’ingérence pour que la Constitution et les règles du jeu soient appliquées. C’est à ce prix qu’on verra l’émergence d’une nouvelle génération de leaders en Afrique… »

Un message qui s’inscrit dans la suite de la déclaration  du Président Obama, qui, s’adressant à l’Afrique, avait souligné combien il était capital pour les pays de ce continent de se doter de véritables institutions d’état.

Et en ce qui concerne l’humanitarisme à la mode, et la place des ONG, je conseille aux lecteurs de lire dans le Monde du 12 août 2011, la dernière « Lettre d’Afrique, intitulée « Au bon cœur des peuples », de Jean-Philippe Rémy.

Sa lettre fait très justement le point sur la famine dans la corne de l’Afrique et sur la réaction du peuple du Kénya qui n’a pas attendu  le concours des institutions internationales pour pratiquer la solidarité:

« Kénians4Kénians n’a pas non plus la prétention de vouloir tout faire. Mais il faut avoir vu un pays comme celui-ci où les organismes humanitaires semblent parfois planter leurs drapeaux comme autant de conquêtes, pour comprendre la joie des Kényans à assurer eux-mêmes leur propre solidarité. »

Jean Pierre Renaud