Histoire coloniale: France et Afrique occidentale française, la thèse Huillery

« Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française »

HESS – 2008 – Thèse de Mme Huillery

Notes de lecture critique que nous allons publier successivement au cours du quatrième trimestre 2014

II

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Avant-propos 1

 Sur ce blog, à la date du 10 juillet, j’ai fait part aux lecteurs de mon intention de publier, au cours de le l’automne prochain, mes notes de lecture critique de la thèse de Mme Huillery, intitulée « Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française ».

           Comme je l’ai indiqué, cette thèse vient de faire l’objet d’une certaine publicité, pour ne pas dire de propagande, parce qu’elle démontrerait, que l’homme blanc a été le fardeau de l’homme noir, et non l’inverse.

          Après sa soutenance, j’ai passé beaucoup de temps à analyser et à décortiquer ce document, compte tenu de l’intérêt du sujet sur le plan de l’histoire économique de la colonisation, incontestablement un  des points faibles de l’histoire coloniale et postcoloniale.

            Etant donné l’écho que ce travail vient de recevoir dans les médias, j’ai repris complètement mon travail de lecture critique et décidé d’en publier les résultats, pour la raison simple, que je ne partage pas la plupart des analyses de Mme Huillery.

         La lecture de cette thèse, qui a demandé beaucoup d’effort de la part d’une thésarde brillante, dotée d’un vrai savoir-faire économétrique, m’incite, à nouveau, à poser la question de la scientificité des thèses, alors que dans ce cas-là, comme dans d’autres, il ne reste aucune trace publique d’une soutenance que les textes officiels qualifient de « publique ».

         Il aurait été en effet intéressant d’avoir communication du ou des rapports présentés par le rapporteur ou tel ou tel membre du jury, des questions ou avis donnés par le jury, des résultats du vote, afin d’éclairer les lecteurs sur la pertinence scientifique des analyses proposées, sur le rôle d’un directeur de thèse, afin d’éviter sans doute les questions qui fâchent quant à la lecture de ce type de document.

         Les orientations données à ce travail, dont l’ambition était théoriquement historique, les résultats de cette recherche financière et économique importante, le ou les rapports présentés au jury, le débat qui a peut-être suivi, auraient peut-être conduit à éclairer les questions que cette thèse ne pouvait manquer de poser sur plusieurs plans : la description du système économique financier colonial, entre métropole et AOF, et entre Fédération de l’AOF et colonies rattachées, son historicité avant et après la Deuxième guerre mondiale, la signification  des concepts économiques et financiers utilisés, les chiffres eux-mêmes, la composition et l’évolution des balances commerciales et financières de l’AOF, la pertinence des bases des corrélations proposées, c’est-à-dire à la fois la représentativité des bases de début de siècle ou de fin de siècle, avec une projection inédite de calculs de valeurs portant sur presqu’un siècle…

Avant-propos 2

           Avant d’analyser le contenu de cette thèse qui démontre une très grande vélocité technique dans le maniement des outils économétriques et statistiques, avec force cartes, tableaux et graphiques, souvent en couleur, j’aimerais introduire ma lecture critique avec deux citations, celles du géographe Richard-Molard et du directeur de la thèse de Mme Huillery, et une interrogation sur les échelles des grandeurs en jeu entre la France et l’AOF :

–        Une première clé géographique : dans son livre « Afrique Occidentale Française » (1952), le géographe Richard-Molard écrivait :

         « Un autre contraste éclate entre l’Europe et l’AOF. Là, le Continent fait corps avec la mer. La voie maritime s’avance du sud, de l’ouest, du nord dans l’intimité des terres ; elle s’y prolonge par des fleuves navigables. Sans cela, l’Occident méditerranéen serait inintelligible. Les « peuples de la mer » font les civilisations. L’Afrique de l’ouest n’en possède aucun. Elle subit une anémiante continentalité ; et l’AOF la subit particulièrement pour trois raisons…. La « barre » en souligne la netteté ; en fait une barrière…L’Afrique occidentale tourne le dos à la mer… Contrairement au Pacifique et à l’Océan Indien, l’Atlantique n’a jamais été une mer de civilisation. ..Enfin l’AOF est particulièrement enfermée dans la continentalité pour des raisons purement historiques et politiques qui proviennent de la façon dont les Français l’ont acquise et dessinée… » (p,XII) ( C’est-à-dire à partir du Sénégal vers le Niger)

         « On trouverait difficilement, dans le monde, un aussi considérable bloc continental que la nature aurait avec autant de soin réussi à séparer des mers. » (p,39)

          « La géographie physique, les genres de vie et l’histoire ont enfermé ce monde noir dans l’un des blocs continentaux les plus étanches du monde, marginal dans un monde marginal. » (p,129)

        « Il en résulte que si  le monde des savanes tient la vedette dans le passé de l’Afrique occidentale, aujourd’hui il forme le « secteur intérieur », gravement handicapé par sa continentalité, au profit du « secteur extérieur » naguère ignoré, aujourd’hui seul ouvert. » (p,186)

          Une deuxième clé postcoloniale proposée par M.Cogneau, directeur de cette thèse, dans un article de M.Philippe Fort paru dans Look@sciences intitulée « Le lourd héritage colonial en Afrique de l’Ouest ».

        L’auteur introduit son sujet en écrivant :

        « Et si le modèle colonial français expliquait le retard des pays francophones d’Afrique de l’Ouest ? C’est à cette question que s’est intéressée Elise Huillery, enseignante et chercheuse à Sciences Po. L’origine des inégalités de développement observées au sein même de l’ancien « pré carré » français en Afrique résiderait, selon elle, pour une large part, dans les logiques de l’investissement public colonial…. 

       « En analysant les données des archives coloniales à l’échelon du district où étaient concentrés les pouvoirs effectifs, explique Elise Huillery, j’ai constaté l’existence de liens entre les investissements réalisés alors et des indicateurs de l’état de développement actuel : taux d’accès à l’école primaire, à l’eau potable, à l’électricité ou aux soins médicaux…

      Cette étude permet de sortir d’une impasse. « Il existe un trou noir sur les investissements publics entre l’indépendance dans les années 1960 et les années 1990 » constate Denis Cogneau, professeur associé à la Paris School of Economics et directeur de recherche à l’IRD. «  Cela rend extrêmement difficiles les comparaisons directes entre investissements pré et post coloniaux. » Le choix du district comme échelon de l’étude permet de surmonter cette difficulté. En effet, en offrant un vaste échantillon de données très précises, il rend possible l’analyse des politiques d’investissement de plusieurs zones de colonisation qui disposaient au départ, d’un potentiel similaire. Au terme de son analyse, l’héritage colonial est la seule explication des inégalités de développement observées au sein même de l’ancien « pré carré » français en Afrique. Elise Huillery l’affirme : « la colonisation a bouleversé la carte économique de l’Afrique de l’Ouest »…

        Dans le mode d’organisation colonial français, le choix des investissements est du ressort des administrateurs locaux…

     L’étude montre bien que le niveau de développement régional actuel dépend des investissements coloniaux initiaux. Elise Huillery cite notamment l’exemple du Bénin : « Le choix colonial français a été de privilégier Cotonou, aujourd’hui capitale administrative et économique du pays, au détriment de Porto Novo, hostile à la présence étrangère. Cotonou, après l’indépendance du Bénin, a ensuite continué à attirer la plupart des investissements et est aujourd’hui  largement plus développée. »

           Précisons que ces deux cités du Bénin actuel, proches l’une de l’autre, sont situées toutes les deux sur la côte du Golfe de Guinée, et non dans l’hinterland du massif de l’Atakora, à une distance de l’ordre d’une cinquantaine de kilomètres, l’une de l’autre.

        « Héritage colonial » ou « trou noir » statistique sur trente années?

       Ces quelques extraits permettent déjà de mettre le doigt sur tout un ensemble de questions qui n’appellent pas obligatoirement les réponses de Mme Huillery ou de M.Cogneau.

        Dans le cadre de quelles échelles de grandeurs entre la France et l’Afrique occidentale française ? Un rapport inégal quasiment constant.

        Tout au long de la période 1895- 1939, il n’y avait aucun rapport dans les ordres de grandeur, entre les budgets et le commerce extérieur de l’AOF et ceux de la France. Citons en quelques-uns en laissant aux chercheurs le soin d’aller plus loin dans ce type de comparaison statistique.

        En 1906, le budget de la Fédération de l’AOF était de 42 millions de francs (rapport Gouverneur Général décembre 1907) et celui de la France de 3,6 milliards.

         Le chiffre du commerce extérieur de l’AOF était alors de 144 millions de francs, dont 62 pour les exportations, et 82 pour les importations, soit un écart négatif de 20 millions

        En 1938, après la crise, le budget de l’AOF était de 51 millions F 14 (francs 14), et celui de la France de 3,4 milliards F14.

        En 1938, le chiffre du commerce extérieur de l’AOF était de 458 millions de F 14 (import = 245 millions et export = 213 millions, soit un écart négatif de 32 millions), à comparer, à deux années près,  au chiffre du commerce extérieur  « France Colonies » de la même année, de 2,7 milliards de F14, et à celui de la France, 8,742 milliards de F14, soit 5% environ. (Richard-Mollard, p,209)

     Ce rapport inégal dans les ordres de grandeur persista jusqu’aux indépendances des années 1960.

        Il est évident que toute analyse économique et financière du sujet AOF ne peut pas ne pas tenir compte de ce type de disproportion de valeurs entre les deux acteurs étudiés, et introduire des raisonnements de type marginaliste.

       L’AOF n’a représenté qu’un coût marginal pour la France, et une utilité marginale qui reste peut-être à démontrer, au moins jusqu’en 1939, alors que le même franc pouvait avoir une utilité marginale très élevée pour l’AOF, notamment à l’occasion des grands travaux d’infrastructure réalisés.

       L’auteur de cette thèse pourrait d’ailleurs accréditer ce type de raisonnement dans ses démonstrations de corrélations marginales calculées à partir des bases  retenues, si elles ne prêtaient pas à discussion.

        Enfin, et de nos jours, combien d’ONG agissant en Afrique ne font-elles pas leur publicité de collecte des fonds en usant d’un raisonnement de type marginal en disant à leurs donateurs, si vous donnez un euro, ou dix euros, vous sauvez de la famine x personnes ?

Avant-propos 3

            Dans ce type d’analyse portant sur l’histoire des relations économiques et financières entre la France et l’Afrique Occidentale Française, il est capital, dès le départ, de prendre au moins deux précautions de méthode, et donc de vérifier :

          1 – que cette analyse soit étroitement reliée à l’histoire classique des faits et des événements, celle qui a généralement la faveur de beaucoup d’historiens, et au fur et à mesure de nos observations et questions, nous verrons que ce n’est pas toujours le cas.

        2 –  que la même analyse s’inscrive rigoureusement dans l’histoire du système économique et financier qui était celui des relations coloniales, fixées juridiquement, entre la métropole et l’Afrique Occidentale Française.

        Les règles de fonctionnement de ce système furent très différentes après 1945, notamment en raison de la création du FIDES.

          Comme nous le verrons, cette histoire économique et financière s’inscrit dans un avant et un après 1945.

          Rappelons que l’objet que s’est fixé cette thèse s’inscrivait très étroitement dans un cadre juridique et historique fixant tout un ensemble de règles à appliquer sur le plan de la zone monétaire du franc, avec la création d’un institut d’émission propre à l’AOF, la Banque de l’Afrique Occidentale, la parité entre le franc AOF et le franc métropolitain, au moins jusqu’à la création du franc CFA, c’est-à-dire une relation monétaire, financière, et douanière, sous contrôle métropolitain.

         La métropole avait également fixé un cadre budgétaire tout à fait clair pour les deux types d’entités, la fédération et la colonie, un cadre également contrôlé par cette dernière, c’est-à-dire par ses Ministres des Finances ;

      Indiquons qu’après la loi du 13 avril 1900 arrêtant le principe de base qui laissait à la charge des colonies le financement de leur développement, deux textes de base, le décret du 30 décembre 1912 et la loi du 30 avril 1946 portant création du FIDES fixèrent les règles du jeu du système financier et économique colonial.

Le chemin de lecture critique proposée :

             Mes analyses ne suivront pas le cours normal des chapitres, c’est-à-dire de 1 à 4, mais un cours différent, le chapitre 1 en premier, un chapitre de revue de lecture de la « littérature coloniale » publiée sur le sujet, puis les deux chapitres 3 et 4 qui traitent des corrélations pouvant exister dans les 120 districts d’AOF entre investissements publics (infrastructures, personnel enseignant, personnel soignant), réalisés entre 1910 et 1928 et les « current performances » constatées dans les mêmes districts dans les années 1995, un des deux objectifs de cette thèse étant de démontrer que c’est la politique d’inégalité coloniale des investissements qui a été la cause des inégalités modernes constatées, et enfin le chapitre 2 qui me parait se situer au cœur du sujet traité, un sujet qui m’a conduit à raviver ma connaissance de ce sujet.

        L’ambition du chapitre 2 est en effet de démontrer que l’Afrique Occidentale Française a été une bonne affaire pour la France, ou en tout cas, qu’elle n’a pas coûté à ses contribuables.

          Ce chapitre est important parce qu’il pose beaucoup de questions capitales sur la connaissance du système financier colonial, sur son fonctionnement, et tout autant sur sa pertinence historique, questions que nous avons examinées à la fois à la lumière de l’histoire classique, du cadre juridique qui régentait ces questions, ainsi que de quelques éléments statistiques qu’il sera utile de confronter à ceux qui figurent dans le livre « La Zone Franc » de François Bloch-Lainé.

        Dans l’ordre donc :

             Chapitre 1 – Mythes et réalités du bilan économique de la colonisation française – p,19

         Chapitre 3 – History matters: the long term impact of colonial public investments in French West Africa – p,123

        Chapitre 4 – The impact of European Settlement within French West Africa – Did pre-colonial prosperous areas fall behind ? – p, 179

         Chapitre 2 –   Le coût de la colonisation pour les contribuables français et les investissements publics en Afrique Occidentale Française – p,71

Jean Pierre Renaud

Afrique Occidentale Française, histoire coloniale, développement et inégalités, la thèse Huillery

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

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Annonce de lecture critique pour l’automne

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Appel à la transparence de la délibération du jury de thèse en vue d’accréditer la « scientificité » des thèses d’histoire coloniale !

Appel aux jeunes chercheurs en histoire économique en vue de contribuer à la lecture critique de cette thèse !

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Les raisons de ma curiosité historique, financière et économique

            Dans le journal Libération du 2 décembre 2008 Mme Esther Duflo avait publié une tribune intitulée :

            « Le fardeau de l’homme blanc »

            Dans son texte, Mme Duflo tentait de démontrer que l’expression ne correspondait pas à une réalité historique, contrairement aux thèses que certains défendent quant au bilan positif de la colonisation, dans le fil du discours Sarkozy de Dakar (2007)  qui a nourri une grande polémique.

                   A l’appui de son propos et de sa démonstration, Mme Duflo renvoyait au contenu de la thèse défendue avec succès par Mme Huillery sur le sujet, sous la direction de MM. Denis Cogneau et de Thomas Piketty, qu’elle a eu le loisir d’examiner en sa qualité de membre du jury.

            L’expression « Le fardeau de l’homme blanc » fait allusion à celle devenue célèbre utilisée par Rudyard Kipling, chantre de l’impérialisme britannique, dans un de ses poèmes paru en 1899, mais dans un contexte colonial qui n’était pas celui de l’Empire des Indes, mais celui de l’impérialisme américain dans les îles Philippines.

            Chacune de ses strophes débutait par « Take up the White Man’s Burden,… », et cette expression fit florès en même temps qu’elle faisait évidemment l’objet de toutes sortes d’interprétations.

            A la suite de cette tribune, j’étais entré en contact avec Mme Duflo afin de pouvoir accéder au texte de cette thèse, ce qu’elle fit de façon fort aimable le 3 janvier 2009.

             J’ai donc analysé très longuement ce document bilingue qui comporte quatre chapitres intitulés, les chapitres 3 et 4 étant rédigés en anglais :

            Chapitre 1 Mythes et réalités du bilan économique de la colonisation française

       Chapitre 2 Le coût de la colonisation pour les contribuables français et les investissements publics en Afrique Occidentale Française

           Chapitre 3 History matters : the long-term impact of colonial investments in French West Africa

            Chapitre 4 The impact of European Settlement in within French West Africa – Did pre-colonial prosperous areas fall behind?

         La thèse en question est accessible sur le site de l’EHESS, et elle est donc de nature à susciter la curiosité et la lecture des jeunes chercheurs en histoire économique en général, et coloniale en particulier.

      Le contenu de cette thèse m’intéressait d’autant plus que mes recherches actuelles portent sur l’histoire coloniale et postcoloniale, notamment telle que certains chercheurs la racontent de nos jours.

      J’ai souvent noté en effet que beaucoup de travaux n’étaient pas fondés sur l’évaluation des phénomènes décrits en  termes de grandeurs statistiques mesurables et mesurées en fonction des situations coloniales rencontrées et de leur moment colonial.

        Cette thèse semblait donc répondre à une de mes préoccupations majeures.

       L’analyse de la thèse Huillery a suscité maintes questions de ma part, un nombre non calculable d’interrogations, sinon d’objections, que je vais tenter de récapituler, car j’avais archivé ce dossier depuis 2009, lorsque j’ai découvert que Mme Huillery venait de recevoir un prix du Cercle des Economistes pour l’ensemble de ses travaux, dont la thèse en question.

      Le journal Le Monde du 27 mai 2014 titrait une interview de l’intéressée :

      «  La France a été le fardeau de l’homme noir, et non l’inverse »

      Avec la question :

      Quel a été le sujet de votre thèse ?

      « Vouée au bilan économique de la colonisation française en Afrique de l’Ouest, elle bat en brèche la thèse de Jacques Marseille, publiée en 1984, selon laquelle la colonisation a été un sacrifice pour la France. Car l’examen des budgets coloniaux et métropolitains montre le contraire. Seulement 0,29% des recettes fiscales de la métropole ont été affectées aux colonies, dont les quatre cinquièmes sont en réalité le coût de la conquête militaire. L’investissement dans les biens publics ne représente qu’un coût équivalent à 0,005% des dépenses fiscales métropolitaines et n’a couvert que 2% du coût des investissements publics locaux : les chemins de fer, les routes, les écoles ou les hôpitaux ont été financés à 98% par les taxes locales. De plus jusqu’à la réforme de 1956, les hauts cadres coloniaux, les 8 gouverneurs et les 120 administrateurs de cercle (circonscription coloniale) absorbaient à eux seuls 13% des budgets locaux ! La France a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse »

     Mon intention n’est pas d’entrer dans le détail du débat qu’ouvre Mme Huillery sur la thèse de Jacques Marseille qui absorbe un grande partie de l’analyse du chapitre 1, mais d’examiner s’il est possible de fonder le constat qu’elle propose, un constat qui s’inscrit dans un contexte volontairement polémique, à partir d’une analyse économique et financière qu’elle récapitule dans les trois autres chapitres.

       Les deux questions de fond qui se posent sont celles de savoir :

       1 – si l’analyse proposée pour la colonisation française en Afrique de l’ouest permet d’affirmer que cette analyse est représentative de sa propre histoire économique ?

      2 – si cette analyse est susceptible d’être représentative de l’histoire de la colonisation française en général résumée par le slogan « La France a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse » ?

     Je formulerais volontiers ces deux questions sous le titre «  Miroir ou prisme » colonial, ou postcolonial ? », car la formule sur le fardeau de l’homme noir claque au vent comme un slogan politique !

      Ou encore sous le titre du « fardeau » de l’anachronisme postcolonial ?

     Nous examinerons successivement le contenu des quatre chapitres et nous tenterons en conclusion de poser les questions de base avec les réponses correspondantes qui seraient susceptibles d’emporter ou non une sorte d’adhésion.

      Le jury était composé ainsi : Jean-Marie Baland, Denis Cogneau, Esther Duflo, Pierre Jacquet, Thomas Piketty, Gilles Postel-Vinay

        Compte tenu de l’audience, du crédit, pour ne pas dire de l’influence, des membres de ce jury, dont certains animent la nouvelle Ecole d’Economie de Paris, il serait naturellement très intéressant qu’ils acceptent de publier le rapport du ou des rapporteurs, les éléments essentiels de leur délibération, ainsi que les résultats du vote, s’il y a eu vote, afin de contribuer à la fois à la bonne réputation de cette nouvelle école économique  et à la transparence des décisions des jurys de thèse, c’est-à-dire à la scientificité des thèses.

      Les textes relatifs à la délivrance des thèses par les jurys n’imposent en effet pas, sur le plan juridique, des formalités de publicité des décisions prises par les jurys, se limitant à la formule de « soutenance publique ».

       Sur ce blog, notamment le 11 juin 2010, j’ai proposé mon analyse du système actuel qui est loin d’être satisfaisant et fait quelques propositions de nature à accréditer la scientificité des thèses, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

     En gros, je notais que les arrêtés de 1992 et 2006 définissaient la procédure universitaire utilisée en faisant appel au concept de « scientifique » dans le cadre d’« une soutenance publique » qui ne laisse aucune trace du rapport, de la délibération et du vote du jury.

     A l’époque, j’avais déjà évoqué le cas de la thèse Huillery et conclu :

     «  Et j’ai donc tout lieu de penser que, pour assurer son crédit scientifique, la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence scientifique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige. »

      Cette innovation dans la transparence aurait répondu à l’une des résolutions écrites de cette thèse en ce qui concerne les recherches effectuées sur « Quarante années d’écriture du bilan économique de la colonisation » … « Nous allons donc prendre connaissance des recherches effectuées et sonder le type de socle scientifique. » (p,26)

     Un effort de transparence scientifique d’autant plus nécessaire que cette thèse, comme nous allons le démontrer, ne parait pas pouvoir accréditer le slogan : en AOF, «  la France a été le fardeau de l’homme noir ».

     Avec deux énigmes historiques à résoudre :

      La première : Avec ou sans « concession » ?

      La deuxième : Avec quelles « corrélations » ?

Jean Pierre Renaud

SUPERCHERIE COLONIALE – INTRODUCTION

Supercherie Coloniale

INTRODUCTION

Les caractères en gras sont de ma responsabilité

            L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.

Un petit flash-back historique nécessaire

           Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.

       Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.

       Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre mit en péril les forces vives de la nation, beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :

           1) par la reconstruction du pays,

           2) par la lutte contre les effets de la grande crise économique de 1929,

           3) et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne et du communisme soviétique,

           4) que par la consolidation d’un empire colonial.

        Deuxième guerre mondiale-1939-1945 : une période très ambiguë avec l’affrontement  entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.

      Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à  se reconstruire, à se refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées de Sétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.

        Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car il est impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.

      Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu le champ clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années, 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?

         Les ouvrages en question– Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat ! Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.

        Actes du Colloque « Images et Colonies » (C) des 20 au 22 janvier 1993. Images et Colonies (IC) (1993), Thèse Blanchard (TB)(Sorbonne-1994), Culture Coloniale (CC)-(2003), La République Coloniale (RC) (2003), Culture Impériale (CI)(2004), La Fracture Coloniale (FC) (2005), L’Illusion Coloniale (IlC)(2006)

       Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire. Françoise Vergès (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de République Coloniale.

      Les Actes du Colloque (janvier 1993) – L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier).      

      Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur « une quarantaine d’illustrations (p13), alors que  la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p13), tout en veillant à  ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion « (p14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme, »

      Et que :

     » Cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquant un véritable bain colonial… » (p14).

       Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans  le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne!

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.

     Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.

       Images et Colonies– L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard).

       D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images « (p.8)

      Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.

     « Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXème siècle aux indépendances… à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande…Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique …comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande…pour comprendre les phénomènes contemporains … son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale  en janvier 1993. »

          Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.

      La thèse Blanchard intitulée Nationalisme et Colonialisme (Sorbonne 1994)– Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.

        Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.

         Culture Coloniale (2003)– Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant propos (Blanchard et Lemaire), intitulé « La constitution d’une culture coloniale en France », énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.

      « Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés… On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française : le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931) (p.7)…

        Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir…mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p.8) …L’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations (p.13)…

     Une culture coloniale invisible (p.16)… un tabou (p.17)…l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse (p.23)…

    La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française (p.25)

     Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes (p.32).

     L’indigène au cœur de la culture coloniale. « (p.33)

       1931 ou l’acmé de la culture coloniale… dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin « (p.35)

      « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale (p.36)

       Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française (p.39).

      L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude :

      « Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est déjà complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)

       Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?

      La République Coloniale (2003)- (Blanchard, Bancel, Vergès – une écriture à trois p.9).   

   Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale, à la République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.

      La situation qu’ils décrivent : «  Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)… ce retour du refoulé (p.III)…il existe un impensé dans la République » (p.III). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, « on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p.V)… les liens intimes entre République et colonie… Pour déconstruire le récit de la République coloniale » (p.V).

        Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au delà de l’incantation idéologique.

       Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.

       Culture Impériale (2004)-  Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.

       « Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur…reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7) La France s’immerge…imbibée naturellement (9)…C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961… »

       Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux !

      « Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire… mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire, et qui sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard ».(p.14)

     Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, « les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale » (p.26),  vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !

     La Fracture Coloniale  (2006- Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)

     Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.

       « Retour du refoulé…qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)… la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial » (p.23).

      Et nous y voilà,  le tour est joué !

     L’Illusion Coloniale (2006)- (Deroo et Lemaire) Les auteurs écrivent dans leur introduction :

       « Mais, en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français -bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer- elle ne représente qu’un rêve certes basé sur le concret de l’acte colonial mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies » (p.1)

       Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation  insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve…élaboré par des images flatteuses…

        « C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album…iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à  travers le tourisme…Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : « la Plus grande France » et de ceux qui se revendiquent amèrement les «  indigènes de la République ». »

      La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images?

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur a déjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés,  les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute « faite chair », comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.

      Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo-historiques qu’ils développent. Arrêtons- nous y un instant.

      Des titres attrape-mouches ou attrape nigauds ? Avec quelle terminologie ?

       Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !

     Culture, qu’est-ce à dire ?

    Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !

      Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.

    Une culture constituée de quelles connaissances, quand, partagée par qui, où, quand ?

    Fracture coloniale ? Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments, définition du Petit Robert. Comment  appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?

     Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :

    «  La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française… »

     Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !

    Fracture politique, économique, humaine, linguistique ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.

         Dans son introduction, le trio écrit :

« Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée » (p.13), – effectivement-, après avoir écrit (p.11), « Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer. »

       Et plus loin, « la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population » (p.24).

       Prenons quelques cas de figure ! Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ?  Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.

      Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images et de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.

      Il s’agit des  supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.

     Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes sources ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.

     Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historiques qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interprétation: nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.

Nous examinerons successivement :

Chapitre 1- Les livres de la jeunesse : livres scolaires et illustrés

Chapitre 2 – La presse des adultes

Chapitre 3 : les villages noirs, les zoos humains (avant 1914), et les expositions coloniales (avant et après 1914)

Chapitre 4 – Les cartes postales

Chapitre 5 –  Le cinéma

Chapitre 6 –  Les affiches

Chapitre 7- La propagande coloniale

Chapitre 8 – Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion

Chapitre 9 – Le « ça » colonial

     Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.

    Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »

    Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l‘historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.

      Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.

      Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’autoproclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autorisent à  délivrer des  ordonnances de bonne gouvernance sociale et culturelle.

     Avec cette méthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse et de propos.

      Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par un groupuscule dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.

            Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXème siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.

        Quoi de commun entre ces historiens ?

     Et comment interpréter enfin les récents propos de l’historienne Coquery-Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé d’historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?

     Comment distinguer entre l’histoire « scientifique » et l’histoire « marchandise », celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?

     Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.

&

Et pour une mise en bouche historique, une boulette de riz !

      Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonialtissé sa toileéduquémanipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.

       Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre  7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.

      Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.

     Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses :

    « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits « (CI/82)

    Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.

     Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que  le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.

    Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !

    Le lecteur aura le loisir de constater que le cas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs, insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.

     D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos le faux historique et la contrefaçon.

     Et pour les connaisseurs, une analyse qui n’a rien à voir avec la « Fabrique de l’opinion publique » et les « modèles de propagande » de Chomsky !

Jean Pierre Renaud

Après la Libye, le Mali, puis la Centrafrique, ou la grandeur de la France à crédit !

Après la Libye, le Mali, puis la Centrafrique, faute sans doute d’avoir été en Syrie !

Oui ! La France est véritablement une grande puissance qui vit à crédit !

          Les initiatives internationales de la France au Mali ou en Centrafrique me déplaisent souverainement, – initiatives de la France ou du Président ? – parce qu’elles ont été mal engagées et parce qu’elles ne correspondent pas aux moyens de notre pays.

            Mal engagées par un Président de la République disposant de pouvoirs exceptionnels, exorbitants, qui lui donnent le droit d’engager nos forces armées à l’étranger sans autorisation du Parlement.

            Hors de nos moyens, puisqu’à  partir du mois de septembre, la France vit à crédit : ces guerres sont donc financées à crédit.

        Au risque, dans le cas de l’Afrique, de nous entendre dire, et cela n’a pas tardé comme rapporté entre autres dans le Figaro du 21 mai 2014, page 7, avec la photo d’un manifestant du Mali qui brandissait une pancarte « France MLNA dehors »

        Quelques jours après la décision de M. Hollande d’envoyer nos troupes au Mali, je publiais sur ce blog, le 8 février 2013,  une « Humeur Tique » intitulée « Mali France Go Home ! », annonçant ce qui allait se passer dans cette ancienne colonie.

       Les mêmes réactions sont enregistrées en Centrafrique

     Je rappellerai volontiers les termes d’un proverbe que mes parents du Jura nous rappelaient volontiers en cas de besoin : « il ne faut pas p…. plus haut que son trou de b… !

      La France continue à se gargariser avec de grands mots, alors que tout devrait être mis en œuvre pour remettre sur pied le pays.

     Et nos médias bien aimés de commencer à se poser des questions sur les aventures africaines qu’ils ont soutenues, sinon encouragées :

      Le Figaro du 31 mai, en première page «  De Bamako à Bangui, la France s’enlise en Afrique » avec un éditorial dont le titre est «  Piège africain »

       La Croix du 30 mai en première page : « Dans la spirale centrafricaine ».

      L’état actuel de la France a un parfum d’avant « 1958 » avec une armée qui s’enlise en Afrique, une nation déboussolée, et un pouvoir politique discrédité.

      Lors d’une de ses dernières sorties officielles, le Président a peut être sollicité un poste d’entraineur adjoint de l’équipe de France de foot pour apprendre à diriger le collectif France, aux côtés de Deschamps.

      On aura beau dire, les Anglais sont moins c… que nous ! La Grande Bretagne a bien profité de son ancienne, belle et grande colonie du Nigéria, mais Cameron s’est bien gardé de prendre la moindre initiative pour aller porter le fer contre la secte Boko Haram.

Jean Pierre Renaud

Troisième Partie: Le legs colonial des deux empires avec le regard d’historiens de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée »

Troisième Partie :

Le legs colonial des deux empires avec le regard d’historiens de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée »(UNESCO)

« Histoire générale de l’Afrique » Editions de l’UNESCO

Un autre regard sur les deux empires coloniaux : quels ont été les effets du « colonialisme » français ou anglais ?

La deuxième partie a été publiée le 10 février 2014

 Le premier mérite de cet ouvrage est de répondre aux critiques souvent justifiées à l’encontre de l’écriture d’une histoire du monde par des écoles d’historiens occidentaux trop imprégnés encore d’ethnocentrisme.

 L’UNESCO a publié plusieurs volumes d’une série historique intitulée “Histoire Générale de l’Afrique ». (917 pages)

           Le volume VII « L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935 » dirigé par M. A.Adu Boahen, un historien d’origine ghanéenne, constitue une bonne source d’analyse et de synthèse des comparaisons qui pouvaient être effectuées entre les deux empires coloniaux, même si certains historiens le jugeront dépassé en date (1985).

        M.A.Adu Boahen avait pour assistant de rédaction M.Kwarteng, l’auteur du livre « The ghosts of Empire » qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog.

      Ces analyses très complètes portent sur l’histoire de l’ensemble des territoires qui ont fait partie des deux empires, mais tout autant sur ceux qui ont été conquis par d’autres nations européennes (Allemagne ou Portugal), en examinant de façon critique les différentes périodes, les conquêtes, la mise en place du système colonial, les résistances et les accommodements mis en œuvre, les conséquences que le « colonialisme » a eues sur les sociétés et les cultures africaines.

       Précisons à nouveau qu’il s’agit, dans cette partie de l’essai, d’une comparaison qui concerne l’Afrique seulement, donc d’un exemple colonial parmi tous les autres qui auraient pu concerner d’autres continents, notamment l’Asie dominée par les Britanniques qui fera l’objet de la quatirème partie.

       Le chapitre 30 rédigé par M.A.Adu Boahen, intitulé « Le colonialisme en Afrique : impact et signification » propose un éclairage tout à fait intéressant sur cette période historique, d’autant plus intéressant qu’il tente de dresser un bilan équilibré de cette période :

      « Aucun sujet n’est probablement aussi controversé que l’impact du colonialisme sur l’Afrique » (p,838)

      Jugements positifs ou négatifs : « Mais les faits dont nous disposons indiquent qu’une estimation plus équilibrée est nécessaire et c’est ce que nous tenterons ici. » (p,839)

     A lire les histoires de la conquête de très nombreux territoires d’Afrique, puis de leur administration, de leur colonisation, ou de leur développement, il est très difficile d’établir des comparaisons pertinentes, tant les territoires africains étaient déjà très différents, alors qu’il y avait presque autant de situations coloniales que de territoires.

     Comme je m’en suis expliqué longuement dans les textes que j’ai consacrées au sujet des sociétés coloniales, toute analyse et toute réflexion ne peuvent échapper aux deux concepts clés de « situation coloniale «  et de « moment colonial ».

      Quoi de commun en Afrique, entre les pays du Maghreb et ceux d’Afrique occidentale ou orientale ? Entre les territoires de l’Afrique occidentale tropicale et ceux de l’Afrique orientale ?  

    Entre les territoires climatiquement favorables au peuplement blanc, Kenya, Rhodésie, ou Afrique du Sud, et ceux défavorables, situés précisément dans cette Afrique tropicale.

    Au-delà de ses caractéristiques géographiques, humaines, économiques et sociales, de ses atouts et obstacles, chacune des colonies a constitué, à chacune des époques considérées, une sorte de théâtre où s’est joué une intrigue coloniale, presque jamais la même.

     C’est toutefois dans l’Afrique tropicale, que la comparaison entre les deux types de colonialisme, l’anglais et le français, a le plus de crédibilité, mais cette zone coloniale n’était pas du tout représentative de la réalité géographique et économique de l’empire anglais.

    Il convient d’ajouter pour ce qui concerne l’Afrique occidentale de type tropical, qu’à la différence de la conquête anglaise, la conquête française fit face à un défi géographique longtemps infranchissable, celui des accès maritimes et fluviaux vers l’hinterland, fort bien décrit par le géographe Richard-Mollard, à la différence du grand territoire voisin que devint le Nigéria bien desservi par le fleuve Niger.

     Et si l’on étend la comparaison à l’ensemble du domaine colonial anglais, quoi de commun entre l’Empire des Indes, les territoires d’un Commonwealth en gestation (Canada, Australie, Nouvelle Zélande), les colonies anglaises de peuplement blanc en Afrique orientale, et la seule française, c’est-à-dire l’Algérie ?

    Au sein de cet immense continent africain, deux pays échappèrent à l’emprise coloniale des Européens, le Libéria et l’Ethiopie.

     Le Libéria fut une création artificielle d’un Etat côtier par les Etats Unis pour y accueillir d’anciens esclaves volontaires et y fonder une nouvelle société africaine. Cet Etat eut la particularité de voir une immigration noire plus évoluée que la population locale éprouver le même type de difficulté que les nations européennes pour y imposer leur marque de modernité, usant souvent des mêmes méthodes de colonisation que les blancs.

    L’Ethiopie fut l’autre exception. Le Négus sut résister aux troupes italiennes auxquelles il infligea la défaite célèbre d’Adoua en 1896, rare exemple d’une résistance armée qui réussit aux dépens d’un envahisseur européen.

    A travers les analyses très complètes de  cette somme scientifique que l’Unesco a consacrée à la période coloniale considérée, il est naturellement possible de retracer le parcours comparé du « colonialisme » britannique et français en Afrique, avec leurs caractéristiques, leurs problématiques et leur impact sur les sociétés du continent africain, c’est-à-dire les legs qu’ils y ont laissés.

   Violence des opérations de conquête militaire, incontestablement pour les deux puissances coloniales, mais avec un nombre plus important de grandes expéditions militaires dans l’empire anglais, que son étendue géographique beaucoup plus grande ne suffit pas à expliquer complètement.

     Le sujet a déjà été abordé plus haut.

     Les grandes expéditions militaires françaises contre les Almamy Ahmadou ou Samory dans le bassin du Niger, contre le roi Béhanzin, au Dahomey, ou contre la reine Ranavalona III à Madagascar, font, d’une certaine façon, pâle figure par rapport aux grandes expéditions anglaises, la grande expédition de Kitchener au Soudan Egyptien, les quatre guerres contre les Ashantis en Gold Coast (Ghana), ou enfin les guerres contre les Zoulous et les Boers d’Afrique du Sud.

    Violence de la domination coloniale, dans presque tous les domaines de la vie des sociétés africaines, un choc politique, religieux, cultureléconomique et social, avec l’ouverture au monde des échanges mondiaux par la création de voies de communication, la mise en place  d’organisations de type bureaucratique qui n’existaient pas encore, une langue commune anglaise ou française, le travail forcé, le respect des convictions et des coutumes de type religieux, musulman, fétichiste ou animiste,- on le leur d’ailleurs quelquefois reproché-, le développement de villes nouvelles, la destruction des réseaux économiques traditionnels  de même que les artisanats et industries coutumières…

   Avec l’imposition de ses codes de domination dans tous les domaines !

    Violence aussi des prises de possession foncière au profit de colons blancs, telles que celles nombreuses, opérées dans l’empire anglais, au Kenya, en Rhodésie, et en Afrique du Sud., bien plus considérables que celles d’Algérie, pour ne pas citer celles beaucoup plus limitées d’Afrique occidentale ou de Madagascar, et pour ne pas rappeler, en dehors de l’Afrique anglaise, celles d’Australie ou de Nouvelle Zélande.

    Les résistances africaines  – Le livre décrit fort bien l’ensemble de ces violences et l’ensemble des résistances qui s’opposèrent dans la plupart des territoires d’Afrique aux invasions européennes, des résistances qui prirent des formes très diverses au fur et à mesure des prises de possessions coloniales territoriales.

    Dans leur histoire des conquêtes et de la colonisation, les Européens ont eu trop tendance, au début, à minorer ou à biffer tout simplement l’étendue et la diversité des résistances africaines, plus ou moins fortes ou durables, que les puissances coloniales rencontrèrent face à tel ou tel adversaire organisé ou inorganisé, et disposant déjà ou non, d’armes à tir rapide, mais les plus récents se sont bien rattrapés en exaltant ces résistances, tel Yves Person, dans son histoire de l’Almamy Samory, dans le bassin du Niger.

    L’ensemble des contributions de ce livre montre que l’Afrique ne s’est pas livrée, sans combat, sans résistance, aux deux puissances coloniales, mais sans avoir ni l’ambition, ni la possibilité, de mesurer le degré de résistance des différents adversaires, il semble que l’impérialisme britannique ait soulevé beaucoup plus d’opposition guerrière ou non que l’impérialisme français, notamment en raison à la fois de son ambition d’imposer son colonat blanc en Afrique orientale et australe, et parce que certains des territoires convoités disposaient déjà d’organisations de type étatique beaucoup plus fortes, et mieux enracinées que dans l’Afrique occidentale.

     Résistances, mais aussi accommodements entre les deux adversaires ou partenaires obligés, car beaucoup d’émirs, de rois, de roitelets, ou de grands chefs tentèrent d’amadouer, de gagner du temps, de contourner leurs adversaires, et finirent par composer, par collaborer  avec les nouvelles puissances dominantes.

   D’où toute l’importance de l’existence des truchements entre colonisateur et colonisé, des truchements qui devinrent de plus en plus importants au fur et à mesure de la marche des colonisés vers l’indépendance.

Le bilan Boahen

   Dans le chapitre 30, intitulé « Le colonialisme en Afrique : impact et signification » (p,837), M.A. Adu Boahen fait le bilan positif et négatif du colonialisme en Afrique, et ce bilan éclaire naturellement la comparaison qu’il est possible d’établir entre les deux empires.

Il convient de souligner qu’il ne s’agit que du bilan proposé pour l’Afrique et par les historiens qui y ont collaboré.

     « Dans ce chapitre, qui conclut le présent volume, nous voudrions nous poser deux questions essentielles. En premier lieu : Quel héritage le colonialisme a-t-il légué à l’Afrique ? Ou encore : Quel a été son impact sur elle ? En second lieu : Quelle est – eu égard à cet impact, à ce bilan – la signification du colonialisme pour l’Afrique ? Constitue-t-il un épisode révolutionnaire ou essentiel de l’histoire de ce continent ? S’agit-il d’une rupture totale avec son passé ou finalement, d’un simple événement transitoire ? »

     L’historien penche pour l’hypothèse d’une accélération de l’histoire africaine et retient dans l’ensemble des facteurs analysés quelques-uns d’entre eux qui lui paraissent plus déterminants que d’autres, sur un plan positif, l’instauration d’une paix civile et l’immersion du continent dans une économie de type monétaire, avec l’extension de l’urbanisation, et sur un plan négatif, la création d’armées professionnelles qui n’ont pas fini de peser sur les destinées de ce continent, et tout autant, la pratique généralisée des discriminations coloniales qui ont déstabilisé les sociétés coloniales.

    Ces réflexions générales s’appliquent naturellement aux finalités et au fonctionnement des deux empires, mais il est possible d’aller plus loin dans les comparaisons en suivant le chemin d’’analyse de l’historien, avec l’impact du colonialisme dans le domaine politique, dans le domaine économique, et dans le domaine social, qu’il s’agisse de l’empire anglais ou du français.

    1 – Impact politique : administration coloniale directe, standard, à la Française, ou indirecte, au coup par coup, à l’Anglaise, sous le vocable de l’indirect rule de Lugard ou du double mandat, avec pour les deux puissances coloniales le souci numéro 1 de laisser les colonies se financer elles-mêmes.

Il convient toutefois d’observer que les approches institutionnelles britanniques furent différentes entre les territoires de peuplement blanc et les territoires tropicaux pour lesquels la puissance coloniale entendait encore moins s’engager dans la gestion indigène.

Plus haut, nous avons un peu relativisé les différences de conception entre l’administration directe à la française et l’administration indirecte à l’anglaise, en adhérant aux observations du professeur M’Bokolo sur le sujet.

     L’historien fait l’inventaire des impacts positifs ou négatifs du colonialisme :

    Positifs, « l’instauration d’un plus grand degré de paix et de stabilité en Afrique » (p,839), « la création même (au niveau géopolitique) des Etats indépendants, modernes, d’Afrique… » « deux institutions nouvelles que l’indépendance n’a pas entamées : un nouveau système judiciaire, une nouvelle bureaucratie ou administration. »… « non seulement la naissance d’un nouveau type de nationalisme africain, mais aussi celle du panafricanisme. » (p,840,841)

   « Mais si les effets positifs du colonialisme sont indéniables, ses aspects négatifs sont encore plus marqués. »(p,841)

   Un nationalisme « provoqué par un sentiment de colère, de frustration et d’humiliation suscité par certaines mesures d’oppression, de discrimination et d’exploitation introduites par les autorités coloniales » (p,841)…  même si l’on admet que la structure  géopolitique est une réussite (une fois de plus accidentelle), on doit convenir qu’elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout… »(p,841)

    «  Il faut mentionner un autre aspect important mais négatif, de l’impact du colonialisme, l’affaiblissement des systèmes de gouvernement indigène … » (p,842)…» 

  «  Un autre impact négatif du colonialisme, du point de vue politique, est la mentalité qu’il a créée chez les Africains et par laquelle toute propriété publique n’appartenait pas au peuple, mais aux autorités coloniales blanches… » (p,843)

    « Un pur produit du colonialisme, et qui est souvent ignoré par la majeure partie des historiens, mais qui s’est avéré d’une importance absolument cruciale, est comme l’a bien montré l’étude de R.F.Betts (chapitre 13), l’existence d’une armée permanente ou à plein temps… » (p,843);

    « Le dernier impact négatif du colonialisme, probablement le plus important, a été la perte de souveraineté et de l’indépendance, et avec elle, du droit des Africains à diriger leur propre destinée ou à traiter directement avec le monde extérieur… » (p,844)

   Commentaire cette description s’applique assez bien aux deux types d’impérialisme, avec deux remarques toutefois :

–       L’impérialisme britannique de l’indirect rule a contribué à préserver, plus que l’impérialisme français, des structures de gouvernement indigène très variées.

–       Il convient de noter toutefois qu’à l’occasion de l’indépendance des territoires de mouvance britannique ou française, ces structures locales ont été le plus souvent effacées.

–       L’impérialisme français a inscrit son évolution dans un rêve d’assimilation et d’égalité inatteignable, alors que l’anglais l’inscrivait dans un modèle d’imitation du « nous sommes les meilleurs ».

    2 – L’impact dans le domaine économique

    Le positif

    « Le premier effet positif du colonialisme – le plus évident et le plus profond – comme le montrent maints chapitres antérieurs, la constitution d’une infrastructure de routes et de voies ferrées, l’installation du télégraphe, du téléphone, et, parfois, d’aéroports. «  (p,844)

    « L’impact du colonialisme  sur le secteur primaire de l’économie est tout aussi significatif et important….

    Cette révolution économique eut quelques conséquences d’une portée incalculable. La première fut la commercialisation de la terre, qui en fit une valeur réelle. Avant l’ère coloniale, il est incontestable que d’énormes étendues de terre, dans de nombreuses parties de l’Afrique, étaient non seulement sous-peuplées, mais aussi sous-exploitées. » (p,844)

    « Un autre effet révolutionnaire du colonialisme, dans presque toutes les régions du continent, fut l’introduction de l’économie monétaire

   Le négatif

    « En premier lieu, comme M.H.Y.Kaniki l’a souligné plus haut (chapitre 16), l’infrastructure fournie par le colonialisme n’était ni aussi utile, ni aussi adaptée qu’elle aurait pu l’être. La plupart des routes et des voies ferrées ne furent pas construites pour ouvrir le pays….

    En deuxième lieu, la croissance économique des colonies était basée sur les ressources naturelles des régions, ce qui signifiait que les zones dépourvues de ces ressources étaient totalement négligées. » 

   « En troisième lieu, l’une des caractéristiques de l’économie coloniale a consisté à négliger ou à décourager délibérément l’industrialisation et la transformation des matières premières et des produits agricoles dans la plupart des colonies…

    En quatrième lieu, non seulement l’industrialisation fut négligée, mais les industries et activités artisanales telles qu’elles ont existé en Afrique  à l’époque précoloniale furent détruites….

    En cinquième lieu, même si l’agriculture intensive en vint à constituer la principale source de revenus de la plupart des Etats africains, aucune tentative ne fut faite pour diversifier l’économie rurale des colonies… (p,847)

    En sixième lieu, la commercialisation des terres dont nous avons déjà parlé conduisit à la vente illégale des terres communales, pratiquées par des chefs de famille sans scrupules, ou à des litiges croissants qui provoquèrent partout une grande pauvreté, surtout parmi les familles dirigeantes…

   Enfin, tous les progrès réalisés pendant la période coloniale le furent à un prix élevé et injustifiable pour les Africains ; travail forcé, travail migratoire (lesquels déclare Davidson, – firent probablement plus pour démanteler les cultures et les économies précoloniales que presque tous les autres aspects de l’expérience coloniale réunis »), culture obligatoire de certaines plantes, saisie forcée des terres, déplacements de populations (avec comme conséquence la dislocation de la vie familiale), système des « passes », taux de mortalité élevé dans les mines et les plantations, brutalité avec laquelle les mouvements de résistance et de protestation provoqués par ces mesures furent réprimés…

   On peut donc conclure  sans risque que, malgré les protestations de Gann et Duignan, la période coloniale a été une période d’exploitation économique impitoyable plutôt que de développement pour l’Afrique et que l’impact du colonialisme sur l’Afrique dans le domaine économique est de loin le  plus négatif de tous. » (p,850)

    Commentaire :  

–       Les effets ainsi décrits ont évidemment existé dans les deux empires, mais avec des composantes et une intensité propres à chacune des colonies et à chaque époque du colonialisme : quoi de commun, au début du vingtième siècle, entre le développement souffreteux, quasi-artisanal, de l’Afrique occidentale et l’explosion de l’industrie minière du Congo Belge à Elisabethville au Katanga, et de l’Afrique Australe à Johannesburg, avec leurs conséquences dévastatrices sur les sociétés locales ?

–       Pourquoi ne pas poser la question et y répondre en même temps, à savoir si les effets du colonialisme y ont été tellement différents de ceux du capitalisme dans la forme qui fut la sienne au dix-neuvième siècle  dans les bassins industriels d’Europe, avec l’exploitation d’un prolétariat souvent venu du monde rural ?

  3 – L’impact social

  Les effets dans le domaine social (p,850)

   « Quel est, enfin, l’héritage du colonialisme sur le plan social ? Le premier effet bénéfique a été l’accroissement général de la population africaine au cours de la période coloniale…

   Le second impact social du colonialisme est étroitement lié au premier : c’est l’urbanisation… Il y avait sans nul doute une amélioration de la qualité de vie, particulièrement pour ceux qui qui vivaient dans les centres urbains…

    La diffusion du christianisme, de l’islam et l’éducation fut un autre impact important du colonialisme…

    Autre effet colonial d’importance dont l’avantage, on le verra, est discutable : l’institution d’une lingua franca pour chaque colonie, ou chaque ensemble de colonies…

   Le dernier bénéfice social apporté par le colonialisme est la nouvelle structure sociale qu’il introduisit dans certaines parties de l’Afrique ou dont il accéléra le développement dans d’autres parties du continent. Comme A.E.Afigbo l’a signalé (chapitre 19) bien que la structure sociale traditionnelle permit la mobilité sociale, sa composition de classe semble avoir donné un  poids excessif à la naissance… (p,852)

    « Mais, si le colonialisme eut certains effets sociaux positifs, il en eut aussi de négatifs, et même de très négatifs. En premier lieu, il faut mentionner la coupure grandissante entre les centres urbains et les zones rurales…

    Le second problème social grave est celui des colons européens et asiatiques…

   De plus, même si le colonialisme introduisit certains services sociaux , il faut souligner que non seulement ces services étaient globalement inadaptés et distribués inégalement dans chaque colonie, mais qu’ils étaient tous destinés, en premier lieu, à la minorité des immigrés et administrateurs blancs, d’où leur concentration dans les villes…

   Dans le domaine de l’éducation, ce qui fut fourni pendant l’époque coloniale s’est révélé globalement inadéquat, inégalement distribué et mal orienté ; les résultats n’ont pas été aussi positifs pour l’Afrique qu’ils auraient pu l’être…(p,855)

   Aussi bénéfique qu’ait été la lingua franca promue par le système éducatif, elle a eu la regrettable conséquence d’empêcher la transformation de certaines langues indigènes en langues nationales ou véhiculaires…

    Un autre impact hautement regrettable du colonialisme a été la détérioration du statut de la femme en Afrique. C’est là un sujet nouveau, qui exige d’autres recherches, mais il ne semble guère douteux que les femmes aient été exclues de la plupart des activités introduites ou intensifiées par le colonialisme, comme l’éducation, les cultures d’exportation dans certaines parties d’’Afrique, de nombreuses professions comme le droit, la médecine, les mines, etc… «  (p,857)

    Commentaire : cette dernière observation est pour celui qui a un peu fréquenté les cultures africaines tout à fait surprenant, et à mes yeux sujette à discussion, alors que l’analyse qui suit, relative au racisme et à la discrimination du système colonial, est tout à fait pertinente.

     « De plus, du fait du colonialisme, les Africains étaient méprisés, humiliés, soumis à une discrimination à la fois ouverte et feutrée. De fait, A.E.Afigbo a pu soutenir plus haut (chapitre 19) que l’un des effets sociaux du colonialisme a été « le rabaissement généralisé du statut des Africains ». ..

   Ainsi bien que l’élite cultivée, comme on l’a souligné plus haut, ait admiré la culture européenne et ait participé aux guerres des métropoles pour s’identifier à l’Occident, elle ne fut jamais acceptée comme l’égale des Européens, fut exclue de la société de ceux-ci et n’eut jamais le droit de vivre dans les quartiers européens des villes, quartiers que Sembene Ousmane  a appelé «  le Vatican » dans son roman « Les bouts de bois de Dieu. »

   «  Certains historiens comme M.H.Y.Kaniki en ont conclu que « le colonialisme a produit ses propres fossoyeurs », tandis que Robin Maugham a pu soutenir que « sur la pierre tombale de l’Empire britannique » (dans lequel cette discrimination raciale était la plus ouverte) on pourrait écrire : « mort de mépris ». (p, 858)

    « La discrimination raciale a également créé chez certains Africains un sentiment profond d’infériorité » que A.E.Afigbo a défini dans le chapitre 19 d’une manière très succincte  – comme une tendance à perdre confiance en soi et en son avenir – bref un état d’esprit qui, à certains moments, les encourageait à imiter aveuglément (et l’on pourrait ajouter à servir) les puissances européennes. Ce sentiment d’infériorité n’a pas entièrement disparu, même après vingt ans d’indépendance.

    Pire encore a été l’incidence du colonialisme dans le domaine culturel. » (p,859)

   Avant de faire quelques remarques sur la pertinence de l’analyse ci-dessus qui vaut pour les deux empires, redonnons la parole à l’historien :

   «  En conclusion donc, bien que le colonialisme ait été sans aucun doute un simple chapitre d’une longue histoire, un épisode ou un interlude dans les expériences multiples et diverses des peuples d’Afrique, qui n’a duré nulle part plus de quatre-vingt ans, il s‘est agi d’une phase  extrêmement importante du point de vue politique, économique et même social. Il a marqué une nette coupure dans l’histoire de l’Afrique ; le développement ultérieur de celle-ci, donc de son histoire, a été et continuera à être très influencé par l’impact du colonialisme. Il prendra un cours différent de celui qu’il aurait suivi si cet interlude n’avait pas existé. La meilleure manière d’agir pour aujourd’hui, pour les dirigeants africains, n’est donc pas de biffer le colonialisme, mais plutôt de bien connaître son impact afin d’essayer de corriger ses défauts et ses échecs. » (p, 864)

    Commentaire

    Comme on le voit M.A. Adu Boahen inscrit son propos dans le cours de l’histoire du monde, pour ne pas dire des mondes, et le choix du terme « interlude » est significatif à cet égard, un regard historique qui est proche d’une lecture chinoise du « cours des choses », une évolution naturelle du monde que le sage taoïste doit savoir interpréter pour s’adapter plus que pour le changer.

    Qu’il s’agisse de l’empire britannique ou de l’empire français, l’impact du colonialisme, certains préfèreraient le terme colonisation, dans le domaine politique, économique ou social,  a sans doute, et en gros, été à peu près le même, en notant toutefois que l’empire français n’a jamais eu le prestige de l’empire britannique, et que sans contestation possible, les relations existant entre Blancs et Noirs ont été très différentes dans les deux empires, le système du « Colour Bar » avait une force et une mise en application que n’a jamais eu le « Code de l’Indigénat ».

    L’analyse qui a été faite a souligné à juste titre l’importance des relations racistes et discriminatoires des systèmes coloniaux des deux puissances, avec leurs effets délétères sur les élites et les peuples colonisés, en relevant que le système anglais mettait en œuvre une conception du « nous sommes les meilleurs », alors que les Français nourrissaient  l’ambition ou l’intention de faire des Noirs leurs égaux, comme ils avaient commencé à le faire au Sénégal, dans la perspective complètement irréaliste d’une assimilation possible quelles que soient les « situations coloniales » ou les « moments coloniaux ».

     De même que l’empire français ne mit jamais en application un système de ségrégation et de discrimination raciale comparable à l’anglais, avec à l’extrême le régime du « Colour Bar » qui dura longtemps, bien après les indépendances.

    Parmi les effets négatifs du colonialisme  anglais ou français, recensés par cette étude, l’un d’entre eux a très souvent été, ou ignoré ou minimisé, celui du complexe d’infériorité que le système colonial aurait diffusé, distillé,  et infusé au sein des populations soumises.

    Mon vieil ami Michel Auchère, ancien ambassadeur au Ghana, m’a toutefois fait remarquer : « En tout cas, c’est sûr, que j’aurais bien fait rire un ami ghanéen en évoquant son « complexe d’infériorité ».

 Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

La France en Centrafrique: entre néocolonialisme, ingérence humanitaire, tutelle de l’ONU, histoire coloniale ou postcoloniale, à l’ombre de la Françafrique!

(Commentaires de contributions publiées dans le journal la Croix des 29 janvier et 7 février 2014)

            Le lecteur connait ma position de citoyen sur les modalités d’intervention de notre pays au Mali et en Centrafrique (voir mon article du 17 février 2014), et l’évolution des conditions de cette intervention militaire qui se déroule en dehors des missions normales de notre armée (une interposition dans une guerre civile !), donc un « piège » !

            Cette opération « militaire » dure, contrairement aux engagements du Président, et met en évidence, après son « fait accompli »,  l’extrême difficulté que la France rencontre pour trouver des concours internationaux, et montre clairement les limites de ce nouvel exercice de puissance dans une Afrique qui doit se prendre en charge.

            Pourquoi ne pas avoir laissé les voisins de ce pays, le  Gabon, la République du Congo, ou la nouvelle Afrique du Sud, qui paraissait motivée et en avait les moyens, prendre leurs responsabilités, avec l’appui de la communauté internationale, y compris la France ?

         La guerre civile qui sévit en Centrafrique pose à nouveau le problème des conditions de l’intervention internationale dans ce type de conflit.

           Ingérence ou pas ? M.Bayart, chercheur au CNRS, (La Croix du 7/02/14) prône une « nouvelle doctrine de l’ingérence », mais en invoquant des arguments sujets à caution : « Au Mali, sa sécurité était mise en cause du fait de la volonté des djihadistes de la frapper. »

           Question : l’Algérie n’était-elle pas le premier pays a priori concerné ?

       « En Centrafrique, les massacres rendaient intenable notre inaction »

Pourquoi la France, plus que l’Union africaine ou européenne, ou la communauté internationale dans son ensemble, c’est-à-dire l’ONU ?

     Plus loin, M.Bayart propose une autre justification qui a un vrai parfum colonial ou postcolonial, en écrivant :

     « En Centrafrique, les troupes françaises s’embourbent dans une mission d’interposition dont l’issue politique n’est ni prévisible ni même probable, tant est lourd le legs d’un siècle de prédation et de déshérence. »

        A quoi le chercheur fait-il allusion ? Au scandale des compagnies concessionnaires, forestières ou minières, de la fin du dix- neuvième siècle?

        Il serait sans doute plus approprié d’estimer, en faisant appel à un mot à la mode, le « ressenti néo-colonial» que la population de ce pays pourrait éprouver,  tout comme les quelques Français ou Françaises qui connaissent encore notre histoire coloniale.

       La position qu’a prise M. Jean Marie Guéhenno, professeur à Colombia University et président du Centre pour la dialogue humanitaire à Genève, dans le même journal, parait mieux fondée :

      « Ne promettons pas plus que ce que nous pouvons donner, mesurons les risques moraux et stratégiques de tout engagement extérieur, particulièrement quand il inclut l’usage de la force, mais n’oublions pas que l’abstention est aussi un risque moral et stratégique. »

        Un risque moral sûrement, mais dans le cas de la Centrafrique, l’intervention française ne s’inscrivait pas obligatoirement dans une stratégie nationale.

     Dans une autre chronique intitulée « Le retour des tutelles », M.Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po,  ( La Croix du 29 janvier 2014) soulève les questions de principe que posent les interventions françaises, en s’inscrivant dans une nouvelle conception des tutelles internationales.

      Pourquoi l’ancien principe des tutelles coloniales de la SDN, puis de l’ONU, ne trouverait-il pas en effet une nouvelle justification, plus fondée de nos jours qu’à l’ère coloniale ? On estimait alors que les pays sous tutelle n’étaient pas en mesure de se gouverner eux-mêmes.

      Un dernier mot relatif au contenu de la réponse à la question du jour de La Croix du 13 février 2014, posée à M. Marchal, « chercheur au CNRS et spécialiste de la Centrafrique » :

        « Peut-on parler de « nettoyage ethnique » en Centrafrique ?

        « Il faut plutôt parler de nettoyage confessionnel…car plusieurs ethnies sont regroupées dans ce nettoyage…. Mis à part les convertis, les communautés musulmanes proviennent de migrations malienne, tchadienne, sénégalaise et camerounaise… Ils ont immigré il y a plus d’un siècle, mais ils continuent à être considérés comme des étrangers parce qu’ils sont musulmans. »

       Il s’agit donc bien à la fois d’un nettoyage ethnique et d’un nettoyage religieux, comme notre belle France en a connu dans les siècles passés, sur son propre territoire !

         A relire, entre autres, le récit d’André Gide, « Voyage au Congo » dans cette région qui fait la Une de l’actualité, il y a moins d’un siècle (1926-1927), on a de la peine à y rencontrer des communautés sénégalaise ou maliennes, mais incontestablement celles d’autres ethnies, les unes d’obédience musulmanes, venues du Sahel,  les autres d’obédience chrétienne, issues des populations animistes ou fétichistes de la forêt.

     Dans la même réponse, le chercheur écrit :

     « La visite de Jean-Yves Le Drian doit permettre de mater les anti-balaka. »

     Le ministre de la Défense de la République Française va donc « mater » ?

     Jean Pierre Renaud

Empire colonial anglais et Empire colonial français: 2ème Partie

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.  

Empire colonial anglais et Empire colonial français (19 et 20ème siècles)

La première partie a été publiée le 21/01/2014

Deuxième Partie :

A Londres ou à Paris, des stratégies et des politiques impériales semblables ou différentes ?

A – Une esquisse de comparaison générale

            A lire un petit livre publié en 1945, paré de belles illustrations en couleur, d’un auteur peu connu, Noel Sabine, intitulé » « L’Empire colonial britannique», mais sans prétention historique, et à confronter sa description rapide à celle qu’un historien confirmé, Kwasi Kwarteng, dans le livre « Ghosts of Empire», livre qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog, et sur le contenu duquel nous nous appuierons pour étayer certaines de nos réflexions, l’analyste pourrait facilement conclure que la constitution de l’Empire britannique fut le fruit d’un pur hasard, servie par une poignée d’hommes distribués sur la planète, et concourant chacun, de leur côté,  à l’édification d’un empire, presque sans le savoir.

             Un « hasard » qui se serait tout de même étendu sur plus d’un siècle ?

            La création de cet empire planétaire et puissant pourrait effectivement servir à illustrer une des théories de stratégie asiatique, connue sous le nom du taoïsme, avec le cours des choses.

Le cours des choses

         Toute stratégie doit donc pouvoir discerner le vrai cours des choses et s’y adapter pour contrôler si possible la marche des événements.

         Personnellement, je pense que ce type d’analyse stratégique rend assez bien compte de la marche passée du monde et des séquences de dominations historiques qui l’ont marqué, soit parce qu’une doctrine religieuse s’imposait, ou une civilisation supérieure, ou encore, une puissance militaire dotée d’armes nouvelles ou disposant de chefs de guerre exceptionnels.

        Dans le cas présent, ma faveur va à l’explication analysée par l’historien Headrick dans son livre « The tools of Empire », car c’est l’explosion des technologies nouvelles, quinine, vapeur, câble, télégraphe, armes à tir rapide…qui a donné aux puissances européennes les outils, c’est-à-dire les armes de la puissance coloniale, d’une puissance coloniale qui n’a pas exercé très longtemps son pouvoir, ce qu’on feint d’ignorer, dans le cas général, entre soixante et quatre- vingt années.

        Une sorte de cours des choses technologique que le génie britannique, la disposition anglaise pour « the money », le business, toujours le business, a su canaliser, tirer profit, inscrire dans un code de nouvelle puissance coloniale.

        En comparaison, la création de l’Empire français serait la reproduction imparfaite d’un modèle politique et administratif de type centralisé, d’une philosophie abstraite de rêve égalitaire, d’un cours des choses standardisé.

          Nous verrons donc que l’Empire britannique n’est pas uniquement le fruit du hasard, même si un auteur comme Noel Sabine en dresse ce portrait.

       «  C’est l’aboutissement, non pas de projets longuement mûris, mais d’une évolution progressive et presque fortuite. » (p,7)

        En ce qui concerne les habitants du Royaume Uni : « Il est curieux qu’à aucune époque on ne constate chez eux une impulsion dynamique gagnant les couches profondes de la nation et les poussent à fonder un empire » (p,7)

      « De même que la création de l’empire britannique –  si toutefois il est permis d’appeler création un processus qui s’est accompli au petit bonheur – est l’œuvre d’hommes relativement peu nombreux, de même les problèmes qui en découlent n’ont jamais intéressé qu’un petit nombre de personnes, laissant indifférente la masse de la population des Iles Britanniques. » (p,8)

      L’auteur décrit bien la philosophie de cet impérialisme fondé sur deux principes directeurs, en oubliant peut-être le troisième, le principe capital sans doute, le « business », les affaires, c’est-à-dire «money », sur lequel nous reviendrons plus loin :

     1) laisser à celui qui est sur place toute latitude pour mettre en œuvre la politique dont les grandes lignes lui ont été simplement indiquées,

    2) éviter de substituer des institutions nouvelles aux anciennes, mais plutôt adapter celles qui existent  aux besoins modernes.

     Le même auteur relève qu’il est « difficile de distinguer un fil conducteur suivant et définissant nettement ce qui constitue la politique coloniale … Il est peut-être trompeur de parler de « politique coloniale », comme s’il était possible de suivre une seule et même ligne de conduite à l’égard de populations, de conditions et de problèmes aussi variés que ceux de l’empire colonial britannique ; par politique coloniale, j’entends plutôt des principes et une certaine manière de voir qui ont progressivement évolué, et au moyen desquels le Gouvernement britannique s’attaque aujourd’hui à l’étude des problèmes coloniaux. »(p,28,29)»

       A la différence de Paris, Londres n’a jamais cherché à tout réglementer, mais le gouvernement britannique eut très tôt à sa disposition un instrument gouvernemental capable de suivre les affaires coloniales, celles tout d’abord des plantations, puis de l’empire lui-même, avec la création du Colonial Office, en 1835.

     La France ne disposa d’un instrument politique du même genre, le ministère des Colonies, qu’en 1894, une administration qui eut d’ailleurs beaucoup de mal à exister politiquement, à avoir du poids au sein des gouvernements.

Jusque-là, et en ce qui concerne l’Afrique et l’Asie, le domaine colonial fut l’affaire de la Marine et des amiraux.

       Tout au long de la première moitié du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne mit en œuvre une politique impériale fondée tout d’abord sur la lutte contre le trafic d’esclaves et en faveur du free trade, et elle s’appuyait au fur et à mesure du temps, sur de nouvelles conquêtes territoriales, en ne perdant jamais de vue le distinguo fondamental entre les colonies de peuplement blanc, devenues les dominions, et les autres colonies.

       En ce qui concerne ces dernières, Londres faisait toujours valoir deux préoccupations, d’abord le business, avec le moins d’implication politique locale.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng       « The Ghosts » méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

Sir Charles Napier, qui fut peu de temps Gouverneur Général des Indes, déclarait dans les années 1872 :

« in conquering India, the object of all cruelties was money » (The Ghosts, page 96)

       M.Kwasi Karteng notait à ce sujet:

« This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

      Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

      “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

      Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en effet, en 1897:

« The objects we have in our view are strictly business object » (The Ghosts, page 278)

    Dans le livre « Ghosts of Empire », l’auteur, Kwasi Kwarteng, défend ce type d’interprétation, comme nous l’avons noté dans l’analyse de lecture que nous avons publiée sur ce blog.

     Sa démonstration est notamment fondée sur les portraits très fouillés qu’il a proposés pour un certain nombre de grands acteurs de l’Empire britannique, des acteurs recrutés dans la même classe sociale et fiers de leur modèle de société, qu’ils estimaient supérieur à tous les autres.

    « The individual temper, character and interests of the people in charge determined policy almost entirely throughout the British Empire. There simply no master plan. There were different moods, different styles of government. Individuals had different interest; even when powerful characters, sitting in White Hall, were trying to shape events of empire. More often than not, there was very little central direction from London. The nature of parliamentary government ensured that ministries came and went; policies shifted and changed, often thanks to the verdict of the ballot box, or even because of a minor Cabinet reshuffle.” (Ghosts of Empire, p,160)

      En examinant sur la longue durée historique, les différents éléments de la politique impériale anglaise en action et en résultats, nous constatons qu’il en existait tout de même bien une, dont les traits étaient très différents de ceux de la française, pour autant qu’il y en ait eu une.

     Pour emprunter une expression d’Adam Smith, le grand théoricien du libéralisme, il serait tentant de dire que l’empire britannique a été le fruit d’une «  main invisible »,  celle de l’économiste Adam Smith, celle de la liberté des échanges, mais au service d’une puissance économique et militaire, et d’une marine qui n’avaient pas d’équivalent au monde tout au long du dix-neuvième siècle, et donc du business, son objectif premier.

      Dans un tel contexte, et avec cet état d’esprit, « nous sommes les meilleurs », nul besoin de trop définir une politique coloniale, de vouloir promouvoir tel ou tel modèle d’administration coloniale, et la grande réussite de l’empire anglais fut de le construire à la fois systématiquement et au coup par coup.

      Même au cours de la période de  l’impérialisme anglais la plus tonitruante, à la fin du dix-neuvième siècle, alors que l’opinion publique semblait partager les ambitions coloniales de ses dirigeants, en rivalisant avec les autres puissances européennes pour se partager l’Afrique, Londres ne perdait pas le nord, ou plus exactement le sud, avec la poursuite de ses objectifs stratégiques de long terme, différents selon qu’il s’agissait de colonies de peuplement ou de colonies d’exploitation, ce que nous avons déjà souligné, et le contrôle de ses voies de communication sur toute la chaine stratégique de Londres vers l’Asie, par Gibraltar, Malte, Suez, Le Cap, Ceylan, Singapour et Hong Kong.

      La conquête des territoires d’Afrique tropicale qui n’étaient pas destinés à un peuplement d’immigration a conduit la Grande Bretagne à formaliser sa politique, notamment avec la doctrine de l’indirect rule que Lugard mit en œuvre au Nigéria, mais cette doctrine n’était pas nouvelle, car elle avait déjà été largement mise en œuvre dans l’Empire des Indes.

      Elle connut un certain succès vraisemblablement grâce à l’écho médiatique que l’épouse de Lugard, une femme de presse renommée, lui donna.

      Que l’on parle de « dual mandate » ou d’« indirect rule », la conception était la même, sauf à comprendre qu’il y avait deux niveaux de commandement superposé, l’indigène, et l’anglais, ce dernier étant voué à l’accession du territoire administré à la modernité, aux échanges du commerce au moins autant qu’à la « civilisation ».

      Une fois les deux empires coloniaux constitués, les deux métropoles pilotèrent deux systèmes de gestion très différents, mais elles avaient fixé la même ligne rouge à ne pas franchir, c’est-à-dire le principe du « financial self-suffering », pour les Anglais, et la loi du 3 avril 1900, pour les Français, c’est-à-dire l’autosuffisance financière imposée aux nouveaux territoires sous domination.

      Compte tenu de l’inégalité importante qui existait entre les ressources des territoires qui composaient les deux empires, et sur le fondement de ce principe, la France rencontra beaucoup plus de difficultés pour développer ses  colonies que la Grande Bretagne.

     L’empire anglais était constitué d’un ensemble de solutions disparates allant de la colonie administrée, c’est-à-dire l’exception, au territoire impérial que la métropole laissait gérer par les autorités locales, l’Inde représentant la quintessence de la mosaïque des solutions coloniales anglaises.

     L’historien Grimal le décrivait de la sorte :

    « La doctrine du gouvernement en cette matière, c’était de ne pas en avoir et de procéder empiriquement selon les lieux et les circonstances : de là l’extrême variété des systèmes administratifs utilisés et les dénominations multiples des territoires placés sous l’autorité britannique. Cette disparité apparente comportait néanmoins quelques principes communs : chaque territoire constituait une entité, ayant sa personnalité propre et un gouvernement responsable de ses affaires et de son budget : l’autorité appartenait à un gouverneur, assisté de Conseils consultatifs, formés essentiellement de fonctionnaires. «  (page 212)

       A l’inverse, l’Empire français était organisé sur le même modèle administratif  de la tradition centralisée de l’Etat napoléonien, l’élément d’organisation de base étant la colonie, avec un gouverneur, ou le groupement de colonies (AOF, AEF, Indochine), avec un gouverneur général exerçant tous les pouvoirs.

      La forme institutionnelle du pouvoir que la France donna à l’Indochine et à Madagascar est tout à fait symbolique de la conception qui présidait alors à l’organisation du pouvoir colonial.

     En Indochine, la puissance coloniale avait la possibilité de mettre en pratique une sorte d’indirect rule à l’anglaise, mais très rapidement, les résidents et gouverneurs se substituèrent aux représentants de l’Empereur d’Annam, alors que leur administration mandarinale était déjà très développée.

     A Madagascar, Gallieni eut tôt fait de mettre au pas la monarchie hova et de décréter l’instauration d’un régime colonial de marque républicaine.

      Il existait alors au moins un point commun entre les Anglais et les Français : les acteurs de terrain bénéficiaient d’une très large délégation de pouvoirs, dans un cadre républicain apparent beaucoup plus que réel pour les Français, et dans un cadre d’esprit monarchique et libéral pour les Anglais.

     Modèle soi-disant égalitaire de l’administration coloniale française contre modèle des classes aristocratiques supérieures, celui qu’incarnaient les administrateurs coloniaux britanniques, mais comme le remarquait M.M’Bokolo dans son livre « L’Afrique au XXème siècle », sur le terrain concret les différences entre les deux styles d’administration coloniale étaient beaucoup moins marquées :

    « Ainsi sont devenues classiques les distinctions entre l’assimilation et l’administration directe sous la version française ou portugaise et l’administration indirecte (indirect rule) chère aux Britanniques. En fait, compte tenu de l’immensité et de la diversité des empires coloniaux, les puissances de tutelle se trouvèrent en face de situations identiques et adoptèrent des solutions pratiques très proches : démantèlement des monarchies et des grandes chefferies, sauf là où, comme au Maroc, en Tunisie, au Bouganda, en Ashanti (Gold Coast), à Zanzibar, etc…, des accords de protectorat avaient été conclus, maintien, voire création, de petites chefferies, utiles courroies de transmission dans des territoires où le personnel européen était souvent peu nombreux ; ségrégation de fait entre les communautés indigènes et les Européens. Partout, prédominaient des méthodes autoritaires, teintées ici et là de paternalisme. En dehors des lointains ministères, souvent peu au courant des réalités locales, et de la bureaucratie centrale des gouvernements généraux, le pouvoir sur le terrain appartenait à l’administrateur européen, véritable « roi de la brousse », ayant son mot à dire sur tout et un pouvoir de décision dans les questions administratives, mais aussi en matière de justice, de police, et sur des problèmes plus techniques, touchant par exemple à la voirie, l’instruction et à la santé…) (page 42) »

      La différence capitale se situait dans la conception même du rôle de la puissance coloniale, l’anglaise n’ayant jamais envisagé une évolution politique et citoyenne au sein du Royaume Uni, la française promettant, complètement coupée des réalités coloniales, de conduire les indigènes à une égalité des droits au sein des institutions françaises.

B – Les différences impériales les plus marquantes

     L’analyse qui précède montre déjà, qu’au-delà de la dichotomie qui existait dans l’empire britannique entre les colonies de peuplement et les colonies d’exploitation, les deux empires ne partageaient pas les mêmes caractéristiques, historiques, géographiques, ou économiques.

     La Grande Bretagne s’était taillé la part du lion dans les possessions dont les atouts économiques étaient les plus grands, et déjà notoires, avec la place capitale de l’Inde dans le dispositif colonial, et le contrôle stratégique des voies de communication vers l’Asie qu’elle s’était assuré.

     Ces deux seuls éléments constitutifs de l’Empire britannique, l’Empire des Indes et la voie impériale vers l’Asie, suffiraient à eux seuls à exclure toute comparaison pertinente entre les deux Empires.

Les éléments les moins dissemblables des deux empires étaient situés en Afrique tropicale, mais comme le soulignait l’historien Grimal, en dépit de la réserve que la puissance gouvernementale anglaise s’était fixé :

     « Celle-ci fut progressivement contrainte à dépasser la limite qu’elle s’était fixée : le refus de toute implication politique » (page 128)

    Une certaine confusion existait dans les buts poursuivis par les deux puissances, mais il a toujours été clair que la politique anglaise poursuivait inlassablement son ambition du tout pour le business, alors que dans les motivations françaises, les préoccupations de conquête des marchés avaient beaucoup de mal à s’imposer face à celles de la puissance, ou du rayonnement supposé de sa civilisation qu’elle estimait être la meilleure, pour ne pas dire supérieure.

     Je dirais volontiers que la France avait l’ambition de projeter son modèle de civilisation supposée sur le terrain, ses « valeurs » qu’elle estimait universelles, tirées de la Déclaration des Droits de l’Homme, alors que la Grande Bretagne, sûre qu’elle incarnait un modèle de civilisation supérieure, ne faisait qu’escompter qu’on l’imiterait, le transposerait.

     D’une autre façon, la distinction entre les deux types d’institutions coloniales  recouvrait celle plus banale entre l’esprit « juridique » français, et l’esprit « pragmatique » anglais.

     Les deux puissances avaient pris au moins la même précaution, celle de ne pas prendre en compte sur les budgets des métropoles le financement du développement de leurs colonies, principe du « financial self suffering » chez les Anglais et loi du 3 avril 1900, chez les Français.

     La profusion des taches de couleur coloniale anglaise ou française sur la planisphère pouvait faire illusion, mais elles ne couvraient pas le même type de « marchandise » coloniale.

     L’empire anglais était un véritable patchwork institutionnel, un ensemble inextricable de solutions adaptées à chaque « situation coloniale », une architecture du cas par cas, une gestion directe à titre exceptionnel telle qu’en Birmanie ou à Hong Kong, mais le plus souvent une gestion indirecte laissant exercer le pouvoir par autant de sortes d’’institutions de pouvoir local qui pouvaient exister dans l’empire.

     Dans l’Empire des Indes, la puissance coloniale s’était réservée la charge de l’ordre public et des relations internationales, mais laissait tel rajah ou tel maradjah gouverner son royaume à sa guise, sauf quand il mettait en danger la paix britannique.

       Londres y pratiquait ce que l’historien appelait « le despotisme bienveillant de l’Inde » (p,220)

Donc rien à voir avec le modèle des institutions coloniales françaises où, comme au temps de Napoléon, les gouverneurs devaient marcher du même pas et mettre en œuvre le même modèle applicable à toutes les « situations coloniales », quelles qu’elles soient, alors qu’elles étaient évidemment très différentes.

Patchwork des institutions coloniales anglaises, certainement, mais dans  la deuxième « main invisible » anglaise, celle des hommes qui administraient les colonies, et le livre de M.Kwasi Karteng en confirme le rôle et l’importance.

      Une main invisible qui mettait en musique celle du fondateur de l’école libérale, Adam Smith.

     Résidents ou administrateurs, tous issus de la même classe sociale, c’est à dire sur le même moule, ils incarnaient le respect de la monarchie, et par-dessus tout, ils estimaient qu’en toute circonstance :

    1) ils étaient les meilleurs,

    2) et que leur modèle économique et social était également le meilleur.

C- Ressemblances et dissemblances coloniales ?

         Dans le livre que j’ai consacré à l’analyse de ce que l’on appelait « le fait accompli colonial » à l’occasion des grandes conquêtes coloniales de la France, en Afrique, au Tonkin et à Madagascar (« Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et dans l’introduction, figurait à la page 12 la reproduction d’une page de caricatures en couleur de la revue satirique allemande Simplicissimus de l’année 1904 :

      en haut « Comme ça, la colonisation allemande » avec un alignement de girafes sous la menace d’un crocodile tenu en laisse par un soldat allemand,

     au milieu « Comme ça, la colonisation anglaise », un soldat anglais qui passe un noir sous le rouleau d’une machine d’imprimerie pour fabriquer de l’argent,

      et en bas deux caricatures : à gauche, « Comme ça, la française » avec un soldat qui tire le nez à un noir, et en arrière- plan, un soldat  blanc et une noire qui se frottent le nez – à droite « Comme ça, la colonisation belge » avec un soldat belge qui fait rôtir un noir à la broche pour son diner.

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  Une contribution allemande à l’écriture de l’histoire coloniale: Simplicissimus 1904 ( © 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.)

      Ces clichés très caricaturaux ont toutefois le mérite de situer l’état d’esprit général des colonisateurs de l’époque de la conquête, mais il est nécessaire naturellement d’approfondir la comparaison franco-britannique.

     S’il était possible de résumer l’analyse qui précède, les traits les plus caractéristiques pourraient en être les suivants :

–       Une histoire coloniale anglaise beaucoup mieux enracinée en métropole et outre-mer que l’histoire coloniale française.

–       Un empire anglais qui fut le fruit d’un plus grand nombre d’opérations de conquête militaire que l’empire français, et beaucoup plus puissantes aussi.

–       Un patchwork institutionnel chez les Anglais, créé au coup par coup, face au système uniforme des Français.

–       Une politique de gestion indirecte dans l’empire britannique au lieu d’une gestion politique en prise directe dans l’empire français, mais avec beaucoup de nuances sur le terrain, compte tenu du rapport existant entre les superficies coloniales et l’effectif des administrateurs coloniaux.

–       Un empire français manquant de solidité face à un empire britannique puissant au sein duquel prédominaient les Indes et la voie impériale vers l’Asie.

–       Un empire anglais à double face, avec d’un côté les colonies de peuplement blanc dans les pays à climat tempéré, et de l’autre côté, les colonies de peuplement de couleur dans les pays à climat tropical,  alors que l’empire français, mis à part le cas de l’Algérie, était uniformément un empire de couleur et de climat tropical.

–       Une décolonisation anglaise au moins aussi difficile que la française, et beaucoup plus violente dans les anciennes colonies de peuplement, telles que l’Afrique du Sud, le Kenya, ou la Rhodésie. La seule comparaison, mais plus limitée géographiquement, étant celle de l’Algérie.

–       La relative réussite d’une communauté internationale née de l’empire anglais, le Commonwealth, sans comparaison avec ce que fut la tentative d’Union ou de Communauté française, mais qui bénéficia dès le départ d’un atout clé, celui de la communauté de langues et de mœurs des anciennes colonies de peuplement blanc.

Il nous faut à présent tenter de procéder à une comparaison des types de relations humaines, et c’est naturellement une gageure, qui pouvaient exister entre les anglais ou les français et les indigènes dans les deux empires, et des philosophies politiques qui inspiraient ou non l’évolution de leurs politiques coloniales.

D – Racisme, discrimination,  ségrégation, citoyenneté, démocratie ?

       Dans ce domaine des mots et de leurs sens, il n’est pas inutile de rappeler que les mots « racisme » ou « raciste » ont fait l’objet de définitions différentes et relatives au fur et à mesure du temps.

        En 1932, année on ne peut plus coloniale aux dires de certains chercheurs, voir «  la grande Exposition Coloniale de 1931 », Le Larousse en six volumes ne proposait pas de définition du mot racisme et renvoyait à ce sujet au mot raciste dans les termes ci-après :

      « Raciste, nom donné aux nationaux socialistes allemands qui prétendent représenter  la pure race allemande, en excluant les juifs, etc… »

       De nos jours, le Petit Robert (édition 1973) est plus prolixe :

      Racisme : « Théorie de la hiérarchie des races qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres »

     Raciste : « Personne qui soutient le racisme, dont la conduite est imprégnée de racisme. »

     Incontestablement, la colonisation a longtemps exprimé une forme de racisme, mais pas toujours dans le sens moderne que l’on donne au mot, mais qui trouvait en partie son origine, et à cette époque, dans une théorie soi-disant scientifique qui classait les supposées cinq races du monde en classes supérieures et en classes inférieures.

    Les propos de Jules Ferry, Président du Conseil, distinguant les races supérieures et les races inférieures auxquelles il convenait d’apporter la civilisation, propos dénoncés par Clemenceau, citant entre autres les civilisations d’Asie, témoignent bien de l’état d’esprit qui imprégnait alors une partie de l’élite politique française, mais il serait possible de rappeler, en ce qui concerne Clemenceau, que les Chinois qualifiaient de leurs côtés les nez longs de « barbares », et que dans beaucoup de régions du globe le même type de discrimination raciale existait aussi.

       « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ?

      Et pourquoi ne pas mettre l’héritage du Siècle des Lumières dans l’acte d’accusation ?

     Il s’agit donc d’un sujet qu’il nous faut aborder avec beaucoup de précautions afin de tenter de situer les différences d’appréciation et de comportement entre Anglais et Français

     Rappelons tout d’abord qu’à l’occasion des premiers contacts, les premiers échanges entre peuples différents faisaient apparaître un tel écart entre modes de vie, coutumes, et croyances,  entre les sociétés ayant déjà accédé à la modernité, celles du colonisateur, et celles l’ignorant complètement, qu’il était sans doute difficile pour un blanc de ne pas se considérer comme un être supérieur, ou tout au moins comme membre d’une société supérieure.

      Précaution et prudence parce que souvent cette appréciation de la relation avec l’autre, une relation de type non « raciste » dépendait tout autant de l’explorateur, officier, ou administrateur blanc, qu’il s’agisse de Duveyrier chez les Touareg, ou de Philastre en Indochine, pour ne pas revenir sur les propos de Clemenceau à la Chambre des Députés, en réfutation de ceux de Jules Ferry.

      Il convient toutefois de noter que dans l’histoire des sociétés du monde et de la même époque, entrées ou non dans la modernité, ou en voie d’y entrer, colonisées ou non, il n’était pas rare de voir des peuples se considérer aussi comme disposant d’un statut social supérieur, en Europe, avec les Romains ou les Germains, en Asie, ou en Afrique, sur les rives du Gange, du Zambèze, du Niger, ou de la Betsiboka.

     Toujours est-il que les coloniaux anglais ont toujours considéré qu’ils faisaient partie d’une « race » supérieure et qu’ils se gardèrent bien de faire miroiter aux yeux de leurs administrés la perspective d’une égalité politique, comme l’ont fait les coloniaux français.

      Chez les Britanniques, ce comportement des résidents coloniaux était d’autant plus naturel qu’ils étaient issus de l’aristocratie anglaise.

        L’historien indien K.M.Panikkar le relevait dans son livre « Asia and Western Dominance » :

      «  La supériorité raciale fut un dogme officiel de la colonisation anglaise jusqu’à la première guerre mondiale » (page 143)

          Le même historien retrouvait ce racisme chez les Français en Indochine qui, selon ses mots, auraient imité les Britanniques et caractérisait l’attitude anglaise en citant une phrase de Kitchener :

        «  Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. ».

      Si le racisme a existé dans les colonies françaises, et il a effectivement existé, les deux qualificatifs de « lucide » et de « délibéré », seraient inappropriés.

      La devise anglaise aurait pu être, chacun chez soi, et la paix civile sera toujours assurée grâce à la bonne intelligence des autorités indigènes locales, alors que la devise française était celle d’une égalité annoncée, mais fictive jusqu’au milieu du vingtième siècle.

       Dans l’empire anglais, existait le système du «  colour bar » poussé à l’extrême en Afrique du Sud ou en Rhodésie, les clubs réservés aux anglais, un habitat colonial anglais soigneusement étudié pour que chacune des communautés soit chez elle.

      Dans les quatre composantes coloniales de l’Afrique du Sud, le système du « Colour Bar », c’est-à-dire la discrimination des noirs et la séparation stricte entre blancs et noirs, avait été généralisé en 1926, dans une Afrique du Sud à laquelle le Royaume Uni avait accordé un statut de dominion depuis 1910 !

        Lors de son passage à Johannesburg, en 1931, le géographe Weulersse relevait que dans les mines d’or il y avait 21 000 ouvriers blancs en regard de 200 000 Noirs et qu’

       « Une telle masse de main d’œuvre à vil prix était une menace constante pour les travailleurs blancs…. On inventa la « Barrière de couleur », la « Colour bar »… en dessous du prolétariat blanc, on créa une sorte de sous-prolétariat pour ne pas utiliser un terme plus violent. Et pour le Colour Bar Act voté en 1926, cet ingénieux système est devenu la loi fédérale de l’Union, applicable dans tous les Etats, et dans toutes les industries, fermant à l’ouvrier indigène toute possibilité de progrès mais offrant à la discrétion de l’employeur une admirable et docile masse de « cheap labour ».

        Dans un registre beaucoup moins sévère, et à l’occasion d’un retour d’Asie, et séjournant en Inde, Albert Londres racontait qu’il se faisait accompagner par son assistant indien dans les lieux publics anglais qu’il fréquentait, et qu’il transgressait de la sorte les codes de vie sociale anglaise de la colonie.

       Le cas de Hong Kong pourrait être cité comme le modèle de ce type de ségrégation, étant donné que jusqu’à la fin du vingtième siècle et à son rattachement à la Chine, anglais et chinois, quelle que soit leur classe sociale, cohabitaient mais ne se mélangeaient pas, même dans les clubs les plus huppés de la colonie.

      Rien de semblable dans les colonies françaises, mais une ségrégation plus nuancée, qui ne disait pas son nom, à la fois pour des raisons concrètes de genre et de niveau de vie, et de gestion politique du système.

     Le Code de l’Indigénat en vigueur pendant des durées variables selon les colonies instituait bien une forme de ségrégation raciale que n’est jamais venu atténuer un accès large à la citoyenneté française.

    Toutes les analyses montrent que la citoyenneté française n’a été accordée qu’au compte-goutte, mais l’empire britannique ne vit aucune de ses communautés bénéficier de l’égalité citoyenne, comme ce fut le cas des quatre communes de plein exercice du Sénégal, et aucun territoire anglais des Caraïbes ne bénéficia, comme les Antilles françaises, d’une amorce de représentation politique au Parlement français.

    Si par indigénat on entend le pouvoir qu’avaient les administrateurs d’infliger une peine de prison pouvant atteindre quinze jours et une amende pour des infractions diverses, c’était selon Adu Boahen, un système propre à la colonisation française. (Histoire générale de l’Afrique VII Unesco, page 244)

     Mais si comme c’est le plus souvent le cas, on faisait appel au mot « indigénat » pour décrire le fait que les colonisés n’avaient pas le même traitement judiciaire que les colonisateurs, il s’agissait d’une pratique générale, anglaise ou française.

     Simplement, les Français mettaient plus la main à la pâte que les Anglais, qui s’abritaient derrière les autorités indigènes qu’ils contrôlaient.

     Le Code de l’Indigénat avait le mérite de la simplicité, outre le fait que pendant toute la période de pacification, sa rigueur apparente ou réelle n’était pas très éloignée des mœurs de beaucoup de peuples de l’hinterland qui n’avaient subi encore aucune acculturation européenne

     Avec quelques touches historiques qui ne sont bien sûr pas obligatoirement représentatives, les relations humaines entre dominants et dominés n’étaient pas les mêmes.

      A Madagascar, le 31 décembre 1900, à Fianarantsoa, Lyautey organisa un bal qui réunissait un petit nombre de femmes, 19 au total, dont deux femmes indigènes.

     L’historien Grimal décrit bien le système anglais :

     «  Ainsi les agents de l’autorité britannique ne venaient pas en Afrique pour y transporter leurs propres institutions démocratiques et parlementaires, mais pour y maintenir l’ordre et assurer le statu quo. Ils étaient les pions dans une école. Si l’un d’eux faisait  preuve d’une intégrité particulière, d’un intérêt passionné pour le « bon » gouvernement, c’était tant mieux. Mais, en aucun cas, les indigènes n’avaient à être encouragés à adopter l’English way of life, ni la culture, ni l’activité économique, ni les institutions. » (page 214)

     La comparaison entre les colonies tropicales anglaises d’Afrique occidentale et celles d’Afrique orientale montre bien que la politique coloniale anglaise était tout à fait différente, selon qu’il s’agissait de territoires favorables au peuplement blanc ou non. Dans ces derniers territoires, le Colonial Office eut beaucoup de mal à assurer un arbitrage entre Blancs et Noirs, d’autant plus que l’immigration anglaise s’était effectuée en spoliant les terres appartenant aux communautés noires.

    Les Français se donnaient eux l’illusion de vouloir assimiler des peuples indigènes très différents de religion, de culture, et de niveau de vie, et les agents de l’autorité française avaient la mission de promouvoir cette vision idyllique du monde. Autant dire que cette mission était impossible, et les réformes mises en œuvre après la deuxième guerre mondiale, ouvrant la voie à l’égalité politique entre citoyens de métropole et citoyens d’outre-mer n’étaient pas en mesure de soutenir une égalité en droits sociaux que la métropole était bien incapable de pouvoir financer

     Après 1945, la création de l’Union Française ne fut donc qu’un feu de paille, et ne pouvait être qu’un feu de paille, un très lointain reflet d’un Commonwealth dont les racines étaient fondamentalement différentes, la nature des partenaires, ainsi que le fonctionnement.

    En 1945, la fédération de l’Afrique Occidentale Française comptait 13 députés à l’Assemblée Nationale, et 19 Conseillers au Conseil de la République, alors qu’aucun territoire colonial anglais n’avait de représentation au Parlement Britannique, mais cette représentation ne résista pas au puissant mouvement de décolonisation qui intervint dans les années 1960.

     En résumé, il est très difficile de proposer une conclusion générale à une comparaison entre relations humaines et coloniales anglaise et française, étant donné qu’il conviendrait de procéder à des analyses qui tiennent  compte une fois de plus des « situations coloniales » et du « moment colonial».

    Qu’il s’agisse des Français ou des Anglais, les relations ont évolué selon les époques (conquête, première guerre mondiale, entre-deux guerres, deuxième guerre mondiale, guerre froide entre Etats Unis et URSS, etc…).

    Elles ont évolué aussi en fonction des participants (un rajah, un chef, un aristocrate, n’est pas traité par les anglais comme un paysan de la brousse ;  un « petit blanc » dans une ville n’a pas le même comportement qu’un administrateur chargé d’un cercle en Mauritanie, etc….

    Toute conclusion générale ne peut donc avoir qu’un caractère arbitraire à la fois en raison une fois de plus du « temps colonial » et de la « situation coloniale ».

    Un des grands leaders de l’indépendance africaine, celle du Ghana, Kwame Nkrumah, n’écrivait-il pas dans « Autobiography of Kwame Nkrumah (Panaf Edition 1973, first published 1957) en rapportant des souvenirs de sa visite d’un chantier d’un grand barrage hydro-électrique proche de Douala au Cameroun :

     « One thing I remember very vividly about the occasion – probably because it was the first time that i have ever it happen in any colony – was the way all the workers, both European and African, climbed into the waiting lorries when the lunch buzzer sounded. This complete disregard of colour on the part of european workers greatly impresses me.”

       Et pourquoi ne pas ajouter que, comparé au système du  « Colour Bar », le Code de l’Indigénat, n’empêchait pas un type de rapports humains qui n’avait pas un aspect aussi excessif, pour ne pas dire totalitaire.

      Rappelons,  pour conclure ce type de réflexions, que jamais, tout au long de son histoire coloniale, le Parlement britannique n’accueillit en son sein des députés de couleur, comme ce fut le cas en France, pour ne citer que ces deux exemples, la présence  de Victor Mazuline, d’un député de couleur, et fils d’esclaves, venu de Martinique dans l’Assemblée Constituante de 1848, et celle du ministre sénégalais Diagne qui entra à la Chambre des Députés en 1914.

Jean Pierre Renaud

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.

La Françafrique et nos médias? Où se niche-telle?


            Dernier exemple, l’éditorial du journal Le Monde du 23 janvier 2014, intitulé :

 « Catherine Samba- Panza, l’espoir de la Centrafrique »

            Dans le corps du texte :

            «  Si elle n’a pas été programmée, l’accession au pouvoir de Mme Samba-Panza était ces derniers jours fortement souhaitée par Paris. »

           Qu’est-ce à dire ?

          Et plus loin :

      « Une phrase de François Hollande résonne encore dans les rues de la capitale centrafricaine : « on ne peut laisser en place un président qui n’a rien pu faire, voire a laissé faire (les violences)… »

           Ah bon! Comme au bon vieux temps des colonies ?

     Il faut dire qu’à l’occasion de ses nombreux déplacements au Mali et en Centrafrique, notre ministre de la Défense, sorte de ministre des Colonies au goût du jour, a fait beaucoup de déclarations à la presse qui attestaient de l’ingérence permanente de la France dans les affaires de ces deux Etats, qui ne sont, à la vérité, que les ombres de véritables Etats !

Jean Pierre Renaud

XIXème et XXème siècles: Empire colonial anglais et Empire colonial français

XIXème et XXème siècles : Empire colonial britannique et Empire colonial français

Esquisse de tableau comparatif à grands traits : deux empires semblables ou différents ?

Quels héritages ?

Lilliput face à Gulliver !

Rêve ou réalisme ?

Empirisme ou théorie ?

            Je remercie mon vieil et fidèle ami Michel Auchère, ancien diplomate, qui m’a fait bénéficier de ses commentaires toujours éclairés, nourris à la fois par sa culture « coloniale » et par son expérience approfondie du monde post-colonial.

            Je remercie également mon épouse pour son aide efficace dans la traduction de quelques-uns des textes publiés par Der Spiegel Geschichte, et dans la lecture critique de mes propres textes.

             Les caractères gras des textes ci-après sont de ma responsabilité

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            Il s’agit d’un domaine historique, celui de l’histoire coloniale et postcoloniale,  qui nourrit les interprétations les plus contrastées, relevant très souvent de la théorie des idées, ou tout simplement de l’émotion, plus que de l’examen des faits, de leur évaluation et donc de leur mesure statistique.

            Pourquoi ne pas noter à cet égard qu’il est plus facile de fréquenter le premier domaine de recherche que le second ? Et de nos jours, certaines publications à la mode se complaisent dans un discours de type anachronique et humanitaire, comme si l’histoire du monde n’avait pas été une succession de dominations, quel qu’en soit le motif, religieux, militaire, ou politique.

            Je m’interroge depuis longtemps sur le passé colonial du Royaume Uni et de la France, sur les comparaisons qui pourraient être faites, en raison notamment du crédit ou du discrédit qui parait entourer le passé de l’une ou l’autre des deux puissances coloniales.

            Il n’est pas dans mes intentions de me lancer dans des comparaisons plus larges avec d’autres puissances coloniales de la même époque, sur lesquelles on fait généralement l’impasse, celles d’Europe, la Russie puis l’URSS, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, les Pays Bas, ou l’Allemagne, ou celle des Etats Unis.

            Je me propose donc de procéder à une récapitulation historique et comparative entre les deux empires coloniaux en question, une récapitulation qui nous permettra d’examiner successivement 1) les évolutions impériales comparées sur la période 1870-1960, les processus de conquête et de décolonisation, 2) les caractéristiques comparées des deux empires en ce qui concerne l’organisation, les méthodes, la philosophie coloniale,  et les hommes, 3) les legs coloniaux avec le regard d’historiens dits de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée », notamment l’historien Adu Boahen pour l’Afrique, 4) le legs colonial britannique en Asie d’après l’historien indien Panikkar et français pour l’Indochine avec l’historien Brocheux, 5) le legs de l’empire britannique avec le regard de deux historiens allemands interviewés par la revue « Der Spiegel Geschichte », 6) enfin une problématique comparée des legs français et britanniques.

            Je n’ai pas l’intention non plus d’évoquer le cas de l’Irlande qui fut la colonie anglaise la plus proche de nous. De mauvais esprits ont d’ailleurs dit que l’Algérie était « une sorte d’Irlande française »

            Il ne conviendrait naturellement pas de se méprendre sur l’ambition de ces réflexions qui n’ont d’autre but que de comparer à grands traits les deux empires coloniaux en question.

 Première partie

A grands traits, une évolution historique comparée

            Au terme des conquêtes des deux pays, l’empire anglais couvrait 33 millions de kilomètres carrés, et l’empire français, 12 millions de kilomètres carrés, trois fois moins, mais ce rapport des surfaces ne traduisait  absolument pas les rapports de forces humaines et économiques coloniales respectives, alors que les nombreuses taches de couleur rouge sur la planisphère, pouvaient faire illusion. L’Empire anglais comptait 450 millions d’habitants et l’Empire français 69 millions d’habitants. (Source Encyclopédie Universalis)

            A – Un bref rappel

         Sans revenir longuement sur la longue rivalité coloniale qui opposa la France à la Grande Bretagne au Canada et en Inde, au cours des siècles qui ont précédé la période examinée, il convient au minimum de rappeler que la Grande Bretagne a alors pris possession de ce qu’on a appelé l’Empire des Indes, confié à la Compagnie des Indes, et laissé à la France quelques comptoirs du format timbre-poste. L’Inde était un territoire très riche, aux dimensions d’un continent, à la grande différence de l’Algérie, nouvelle terre de conquête pour la France.

            La domination anglaise aux Indes semblait assurée quand les Anglais durent faire face, en 1857, à la fameuse révolte des Cipayes, qui se solda par des dizaines de milliers de morts.

            Il n’est peut-être pas inutile de signaler que dans une partie proche de ce continent, et au cours de la même période, une guerre civile chinoise, celle des Taiping, mit le feu à l’Empire de Chine : elle dura de 1851 à 1864. La répression y fut également féroce et se solda par un chiffre de victimes que l’on situe entre 20 et 30 millions de personnes.

            Il convient de noter à cet égard que, dans les années 1880-1890, lors de la conquête du Tonkin, les troupes coloniales françaises eurent maille à partir avec des résidus d’anciennes unités combattantes Taiping qui avaient rallié le camp des pirates annamites.

            On rappellera que le général Gordon, tué par les Mahdistes à Khartoum, avait apporté son concours à l’Empereur de Chine pour réprimer cette révolte.

        Après une période de flottement incontestable, la France se mit en tête de conquérir l’Algérie, et de difficiles opérations de conquête militaire se sont échelonnées de 1830 à 1872, lesquelles se sont également soldées par des dizaines de milliers de morts. L’historien Fremeaux a évalué le chiffre des victimes à 400.000 personnes environ.

           La répression de la révolte des Cipayes fut féroce, et des horreurs furent commises dans les deux camps. En Algérie, la conquête militaire fut également féroce, mais également dans les deux camps, sauf tout de même à rappeler que dans les deux cas, les envahisseurs furent les Anglais et les Français.

            Très tôt, et pour de multiples raisons, l’Inde bénéficia d’une attention tout particulière de la part des gouvernements anglais, et dès l’année 1858, un Secrétaire d’Etat pour l’Inde fut nommé, une des raisons étant que le gouvernement de Londres y vit l’occasion de faire porter la responsabilité de la répression sur la Compagnie des Indes, qui bénéficiait alors d’une charte de concession. 

          En Algérie,  tout était à faire, et la colonisation ne disposait pas des atouts et des richesses d’une Inde qui était dotée des moyens de développer son propre réseau de communications, ses lignes de chemin de fer et sa flotte, et commençait à jouer un rôle d’impérialisme secondaire, en Asie, au profit des Anglais.

            Parallèlement, les Anglais avaient pris possession de Hong Kong (1842) de l’Australie (1851) et de la Nouvelle Zélande (1852), dès le début du 19ème siècle, et les Français de la Cochinchine, résultat du « fait accompli » d’un amiral, du Sénégal, de la Nouvelle Calédonie, et d’une partie de la Polynésie.

            En Australie, les Anglais chassèrent les aborigènes de leurs terres, de même qu’ils le firent aussi, mais moins massivement, en Nouvelle Zélande. Les Français firent en partie de même dans une Nouvelle Calédonie aux dimensions beaucoup plus modestes. Anglais et Français avaient respectivement fait de l’Australie et de la Nouvelle Calédonie des colonies pénitentiaires.

            Il convient de noter que dès 1867, le Canada, une colonie de peuplement différente des autres, compte tenu de la présence de Canadiens Français, bénéficia d’un premier statut de Dominion de la Couronne britannique, première illustration d’une des caractéristiques futures de l’Empire britannique qui se transforma en Commonwealth, avec une évolution politique et statutaire différente entre les colonies de peuplement et les autres.

            Le Canada fut le prototype des Dominions, à population blanche, qui constituèrent le Commonwealth.

            Au début de la grande période d’expansion coloniale de la fin du siècle, la Grande Bretagne bénéficiait incontestablement d’une longueur d’avance sur la France, compte tenu de l’intérêt de ses prises coloniales, qu’il  s’agisse de ses colonies de peuplement ou de ses colonies d’exploitation.

B – L’explosion coloniale

 Rétroactivement, et pour un observateur de notre siècle, il est difficile de ne pas être surpris par la fringale coloniale que les deux puissances manifestèrent entre 1870 et 1914 pour conquérir des terres nouvelles, des ressources réelles ou supposées, de nouveaux marchés, et pourquoi ne pas le dire aussi ? dans certains cas, une illusion !

            Vers l’Afrique

      Les nouveaux conquérants virent dans le continent africain, effectivement et encore largement inconnu, une « terra incognita » qui justifiait à leurs yeux la « course au clocher » de toutes les puissances européennes, Allemagne comprise, venue tardivement  sur le « marché » des colonies.

         Le Congrès de Berlin en 1885 avait lancé la course aux « traités de papier » signés par tel ou tel chef africain local qui n’en connaissait le plus souvent pas la valeur que les occidentaux lui accordaient, mais aussi par quelques grands chefs africains, souvent islamiques, qui en connaissaient la valeur, tels Ahmadou ou Samory, en Afrique occidentale.

      Le partage entre puissances devait en effet s’effectuer sur la base de ces « traités de papier » que les acteurs du terrain, le plus souvent des officiers, tentaient de faire signer par les chefs indigènes.

       Le roi des Belges s’y illustra par la conquête « privative » de l’immense territoire du Congo, et accomplit l’exploit de faire reconnaitre ses droits sur « un Etat du Congo », avant même ce Congrès.

        Tous les motifs furent bons pour justifier ces conquêtes, la civilisation, le prestige national, l’évangélisation, le progrès du monde, ou plus simplement, le business, c’est-à-dire the money, l’argent.

            A cette fin, et plus encore que la France, la Grande Bretagne y fit plusieurs guerres, et y déploya de grandes expéditions militaires.

            Ces guerres furent généralement inégales, compte tenu de la grande différence d’armement qui existait alors entre les adversaires, armement à tir rapide et canons contre flèches ou lances, mais ce ne fut pas toujours le cas, avec les exemples de Samory, dans le bassin du Niger, dans les années 1890, de Béhanzin, au Dahomey, ou des Boers en Afrique du Sud, à la fin du siècle.

            J’ai envie de dire à ce sujet que, quelles qu’aient pu être les époques de l’histoire du monde, et entre puissances conquérantes et peuples dominés, les guerres furent le plus souvent inégales, quelle qu’en ait pu être la raison, armement supérieur ou non.

         En Afrique du Sud, l’Angleterre avait déjà annexé le Natal en 1844, pour y créer une colonie, au nord de sa colonie du Cap, poste de contrôle de la grande voie de navigation entre l’Atlantique et l’Océan Indien, avant la construction du canal de Suez en 1869.

      L’historien Grimal « De l’Empire britannique au Commonwealth » donne la justification de cette annexion :

        « … une donnée fondamentale de la politique impériale : l’exclusion de toute présence ou de toute influence étrangère sur la côte orientale d’Afrique, jugée dangereuse pour la sécurité des relations avec l’Inde. » (page,113)

      Les Anglais eurent successivement maille à partir avec la population autochtone, le royaume Zoulou, notamment, mais surtout avec les premiers colons de la région, les Boers. 

La puissance anglaise y fit une première guerre de type inégal avec les Zoulous, en 1879, puis une deuxième, en 1889,  au cours de laquelle le fils de Napoléon III fut tué, et à la suite de laquelle le territoire Zoulou fut annexé à la colonie du Natal (Afrique du Sud).

       Ces guerres mobilisèrent entre 16 000 et 23 000 hommes du côté anglais, et de l’ordre de 35 000 hommes chez les Zoulous. Les deux conflits firent un peu plus de 1 700 morts dans les troupes anglaises et plus de 8 000 chez les combattants Zoulous, mais naturellement beaucoup plus dans les populations civiles.

      Comparativement, la conquête française du Soudan qui se poursuivit entre 1880 et 1900,  ne mobilisa pas les mêmes effectifs, de même que les expéditions coloniales françaises du Dahomey, en 1892, de Madagascar en 1895, lesquelles ne soutiendraient pas la comparaison, en moyens déployés et en victimes, avec les guerres anglo-boers, pour ne pas citer l’expédition gigantesque de Kitchener au Soudan dans les années 1896-1898. Le même Kitchener s’illustra par ailleurs dans la deuxième guerre des Boers.

       Les Anglais firent une première guerre contre les Boers dans les années 1880-1881, afin de mettre au pas les deux républiques indépendantes du Transvaal et d’Orange, mais surtout une deuxième guerre très violente, féroce, au cours des années 1889-1902, motivées avant tout par la course vers l’or du Transvaal.

       La deuxième guerre mobilisa des dizaines de milliers d’hommes

      La Grande Bretagne se livra à une répression incontestablement inhumaine, en envoyant dans ce qu’il faut bien appeler des « camps de concentration », plus de 116 000 boers et plus de 120 000 africains noirs. On estime que cette guerre fit plus de 20 000 victimes, respectivement  dans la population boer et dans la population noire.

      L’historien Grimal écrivait :

     « Pendant trois ans, 60 000 Afrikaners luttant pour leur indépendance mirent au défi la puissance de l’’Empire. Leurs succès du début (« semaine noire ») semèrent la panique en Angleterre. Pour venir à bout des Boers, 400 000 hommes (y compris les contingents du Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Inde) furent nécessaires, sans compter les méthodes inhumaines de la « terre brûlée » et des camps de « protection » dans lesquels moururent des milliers de femmes et d’enfants ; tandis que les élégantes dames de Londres venaient faire du tourisme sur le champ de bataille. » (page 194)

        Dans la même zone géographique, dans le Sud -Ouest Africain, l’Allemagne, toute nouvelle puissance coloniale, imitait à sa façon les Anglais en combattant la population Herero et en mettant en œuvre des méthodes de pacification « de type génocidaire ».

       Un mot sur l’expédition Kitchener au Soudan, une opération gigantesque de reconquête coloniale, organisée de façon industrielle, avec la construction d’une ligne de chemin de fer vers Khartoum, l’utilisation de canonnières sur le Nil, une expédition qui n’avait rien à voir avec la toute petite « expédition  boy-scout » du commandant Marchand, à Fachoda, un des épisodes les plus célèbres des conquêtes coloniales de la France.

      L’épisode en disait long sur l’écart qui existait alors non seulement entre les moyens de la Grande Bretagne et ceux de la France, mais entre les rêves de grandeur de la Troisième République et la réalité.

            Les deux puissances menèrent chacune de leur côté des opérations dites de pacification pour assurer leur domination, la Grande Bretagne en Gold Coast, contre les Ashantis, en Nigéria ( charte de la  Royal Niger Company en 1886), ou en Sierra Leone, mais plus encore en Afrique Orientale, où les Anglais mirent la main sur les territoires du Kenya et de Rhodésie, en chassant purement et simplement de leurs terres les indigènes, la France du Sénégal vers le Niger, contre les Almamys musulmans du bassin du Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire, et en Afrique centrale.

            A noter qu’en Gold- Coast, et contre les Ashantis,  les Anglais y firent quatre guerres successives tout au long du siècle, la dernière dans les années 1894-1896, qui mobilisa 2 500 soldats britanniques, plus évidemment les auxiliaires.

            La France consolida par ailleurs son domaine en imposant un protectorat à la Tunisie et au Maroc.

            Vers l’Asie

 Les Anglais étaient Incontestablement en avance sur les Français dans la conquête de nouveaux territoires en Asie, mais ils avaient la chance de pouvoir s’appuyer sur les ressources d’un deuxième empire, l’empire secondaire indien, clé de la puissance anglaise en Orient, capable, dès la fin du dix-neuvième siècle de mobiliser une flotte et une armée capable de soutenir l’expansion anglaise sur le glacis indien, avec Ceylan, la Birmanie (1886), la Malaisie, et en se frottant militairement, mais sans succès, et pour la première fois, aux résistances des montagnards d’Afghanistan.

            Grâce au contrôle de l’Egypte (1882), « véritable chef d’œuvre de l’impérialisme britannique », comme l’a écrit l’historien Grimal, du canal de Suez, de l’entrée du Golfe Persique, de Colombo, Singapour, Hong Kong, les Anglais furent les maîtres de la voie stratégique entre l’Europe et l’Asie.

            Pourquoi « chef d’œuvre » ? Parce qu’à la suite de manœuvres directes ou indirectes continues, l’Angleterre réussit à supplanter la France dans un pays où cette dernière avait également des intérêts.

            En 1882, lord Milner, théoriquement Consul de Grande Bretagne, mais en fait véritable proconsul anglais institua en Egypte un régime sans précédent qui fut qualifié plus tard  « d’aussi indéfinissable qu’indéfini ». (p, 168)

      Il convient de noter par ailleurs qu’ils contrôlèrent longtemps le réseau câblé des communications télégraphiques qui leur appartenait entre l’Asie et l’Europe, et qu’à l’occasion de la conquête du Tonkin, et plus tard de Madagascar, les troupes françaises furent, dans une première phase, dans l’obligation d’utiliser le câble anglais pour correspondre avec Paris.

            En comparaison, l’expansion coloniale française fut modeste avec la conquête de l’Indochine dans les années 1880-1890, même s’il est possible de comparer les caractéristiques des expéditions militaires françaises à celles des anglais en Birmanie.

            A noter qu’au cours de cette période, l’Australie, en 1901, et la Nouvelle Zélande, en 1907, bénéficièrent du statut de Dominion de la Couronne, un statut qui correspondait à la situation de ces territoires qui étaient des colonies de peuplement blanc, la population indigène étant peu nombreuse, et chassée de ses terres naturelles.

            Car, dans un certain nombre de territoires, les deux puissances coloniales s’approprièrent des terres réputées vacantes pour de bonnes ou mauvaises raisons, le plus souvent mauvaises.

            Dans ce domaine, la France ne soutenait pas la comparaison avec l’Angleterre, sauf peut- être pour l’Algérie, au regard des appropriations de terres en Afrique du Sud, au Kenya, en Rhodésie, en Australie ou en Nouvelle Zélande.

        En 1914, les contours géographiques des deux empires étaient à peu près définitifs, mais deux différences capitales les distinguait, la quasi-absence de colonie de peuplement dans l’empire français, mis à part l’Algérie, et la grande diversité des statuts coloniaux anglais par rapport aux statuts coloniaux français, où il n’était pas question que les colonies ne marchent pas sur le même pas administratif, c’est à dire un statut standard, sur le modèle napoléonien.

       Les grands coloniaux que furent Gallieni et Lyautey se plaignirent à de multiples reprises de cette situation, de l’absurdité de ce prêt à porter métropolitain standard, mais sans aucun succès, mis à part celui tardif du Maroc.

C – Première guerre mondiale 1914-1918

     Les nouvelles colonies furent mises à contribution pour aider les métropoles à soutenir leur effort de guerre, en rencontrant ici ou là des résistances, mais globalement,  les choses se sont plutôt bien passées, et la victoire finale consacra celle des deux nations coloniales, sans minorer toutefois l’appoint capital de l’armée américaine en 1917.

     Il convient de noter qu’en dépit de la violente répression de la révolte des Cipayes en 1857, et de ses dizaines de milliers de morts, l’Inde ne répugna pas à apporter son secours à la puissance coloniale anglaise, bien au contraire, ce qui ne fut pas le cas pour la deuxième guerre mondiale,  en raison de l’évolution politique du sous-continent indien et de ses revendications en faveur de son indépendance.

D – 1919-1939

      La victoire des Etats coloniaux redistribua les cartes entre les deux empires à la suite de la disparition de l’Empire Ottoman au Moyen Orient.

       En 1939, et selon l’historien Grimal :

    «  Les troupes britanniques ou celles au service de l’Angleterre occupaient tous les territoires (à l’exception de la Syrie) des bords de la Méditerranée aux bords de la Caspienne et aux confins du Caucase. Entre le Béloutchistan et la Mésopotamie, aucune partie de territoire n’échappait à son contrôle. » (page 274)

      Dans le même livre, il évoque à ce sujet : « L’impérialisme du pétrole : le Moyen Orient » (page 271)

      « La Grande Bretagne avait inlassablement travaillé à se rendre maîtresse de la route Méditerranée-Golfe Persique, complément de la route de Suez. » (p,271)

      La guerre a en effet complètement redistribué les cartes impériales au Moyen Orient, avec la disparition de l’Empire Ottoman, et faute d’y trouver des « cadres de type national », avec la création ou la reconnaissance d’anciennes ou de nouvelles entités de caractère plus ou moins national, telles que le Liban, la Syrie, dont le mandat fut confié à la France, la Palestine, la Jordanie, l’Irak, et l’Iran, à l’exception de l’Arabie saoudite, tous territoires d’obédience impériale britannique.

      L’Angleterre encouragea la création ou la consolidation de royaumes arabes en Syrie, en Jordanie, en Irak, la Palestine étant réservée à la création d’un nouveau foyer pour l’émigration juive.

      La France reçut de son côté un mandat de la SDN pour administrer la Syrie et le Liban, ainsi que dans une partie du Togo et du Cameroun, et dut faire face, de même que l’Espagne, à une importante révolte au Maroc, dans le massif du Rif, qui fut d’abord une révolte contre les Espagnols.

     Au cours de la période de l’entre-deux guerres, les deux puissances commencèrent à faire face à des revendications de type national, avant tout dans les colonies les plus évoluées, telles que l’Egypte, les Indes ou l’Indochine.

    Ailleurs, le temps d’une prise de conscience nationale n’était pas encore venu, faute le plus souvent de trouver précisément un cadre national dans ce qui n’était que constructions administratives récentes et artificielles, celles des colonies.

     Aux Indes, la première guerre mondiale avait créé des espoirs de reconnaissance nationale dans l’élite politique indienne, favorables à une évolution vers le statut de dominion, mais faute de réponse positive, le parti du Congrès, sous l’impulsion de Gandhi, s’orienta de plus en plus vers des revendications d’indépendance, et l’immobilisme britannique conduisit le parti du Congrès à ne pas s’associer à la politique de défense britannique au cours du deuxième conflit mondial, ce qui n’avait pas été le cas en 1914-1918.

   En Indochine, mais dans une moindre mesure, des revendications nationalistes se développaient également.

     Pour compléter le tableau, il convient de noter qu’à la suite de la première guerre mondiale, la Société des Nations confia le mandat de gestion des colonies allemandes aux anglais, en ce qui concerne le Sud-Ouest Africain, et le Tanganyika, et aux Français, pour ce qui concerne le Togo et le Cameroun.

     Il convient de souligner enfin que la montée en puissance des Etats Unis et de l’URSS ont évidemment complètement changé la donne internationale.

E – La deuxième guerre mondiale et la décolonisation

     La défaite de la France, l’affaiblissement de la Grande Bretagne, la nouvelle puissance des Etats-Unis et de l’URSS, puis la révolution communiste en Chine, allaient ouvrir largement la voie à la décolonisation, fondée notamment sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

      En 1955, la Conférence de Bandoeng, dite des pays non alignés sur l’Ouest ou sur l’Est, donna une accélération supplémentaire au mouvement de décolonisation.

    Au bilan et en dépit de politiques impériales très différentes, que nous examinerons plus loin, on ne peut pas dire que les résultats de cette décolonisation furent très différents dans chacun des deux empires, des résultats très contrastés de décolonisation pacifique ou violente.

     En Asie, la Grande Bretagne eut la sagesse de donner l’indépendance à l’Inde en 1947, mais dans des conditions telles que cette indépendance entraina à la fois beaucoup de violences entre communautés différentes, notamment hindoues et musulmanes, et des transferts massifs de populations entre le Pakistan occidental et le Pakistan oriental d’un côté, et l’Inde de l’autre, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de personnes.

     Dans la même Asie, elle accorda son indépendance à la Birmanie en 1948, mais elle dut  faire face à un soulèvement communiste en Malaisie qu’elle mit longtemps à réprimer, entre 1948 et 1961, après avoir accordé son indépendance à ce territoire en 1957. Les pertes furent de l’ordre de 1 500 morts, côté anglais, et 6 700 morts, côté rebelle, des pertes qui n’eurent rien à voir avec celles du premier conflit indochinois, celui des Français.

    La population y était composée de Chinois et de Malais, et les Anglais se sont appuyés sur les Malais pour combattre les Chinois.

     A la différence de l’Indochine, la Malaisie n’avait par ailleurs pas de frontière commune avec la Chine, et la répression anglaise y fut donc beaucoup moins difficile.

      Ceylan devint indépendante en 1948.

     En ce qui concerne Singapour : « Après avoir reçu le self-government en 1957, l’Etat de Singapour s’intégra à la Malaisie en 1963, mais s’en retira en 1965, pour devenir un Etat-cité dans le Commonwealth. Il est un exemple parfait des anomalies politiques créées par l’impérialisme. » (Grimal, p,310)

   Comme me l’a fait remarquer mon vieil ami Auchère: « Qu’est-ce qui est normal en politique, s’agissant des créations de l’histoire ? » 

    Ne conviendrait-il pas d’ajouter au mot impérialisme le qualificatif de britannique, en notant l’extraordinaire créativité institutionnelle des autorités britanniques qui furent le plus souvent capables de s’adapter à n’importe quelle situation et de trouver la solution favorable à leurs intérêts.

    En 1945, la France s’engagea dans la guerre d’Indochine contre un adversaire largement contrôlé par les communistes, et au fur et à mesure des années, son corps expéditionnaire épuisa ses forces face à un adversaire de plus en plus épaulé par la Chine communiste, celle de Mao Tsé Toung.

     En 1954, la chute de Dien Bien Phu mit fin à ce conflit, en tout cas dans le Vietnam nord. La France y engagea des forces beaucoup plus importantes que celles des Anglais en Malaisie.

Pour le corps expéditionnaire, le conflit franco-indochinois se solda par 50 000 morts et 70 000 blessés, mais avec un bilan beaucoup plus lourd chez l’adversaire vietminh et dans la population civile.

     Il convient de souligner que la Grande Bretagne installée à Hong Kong depuis 1842, passa le cap des décolonisations mondiales jusqu’à la fin du vingtième siècle (en 1998), avec en face d’elle une Chine communiste qui pratiquait elle-même et en définitive le même jeu du business qu’elle.

     En Afrique, s’il n’y avait eu « la guerre d’indépendance de l’Algérie », dont une des causes fut similaire à celle existant dans la décolonisation des colonies anglaises à peuplement européen, c’est-à-dire un peuplement européen important, la décolonisation des colonies africaines françaises se déroula de façon relativement pacifique.  Le Cameroun fit toutefois exception, mais plus encore Madagascar, où la répression d’une révolte populaire fit, en 1947, de l’ordre de 80.000 victimes.

     Le bilan de la guerre d’Algérie fut lourd : plusieurs dizaines de milliers de soldats français et musulmans tués, de l’ordre de 150 à 200 000 rebelles tués, mais en parallèle un nombre de victimes civiles considérable causé à la fois par la guerre elle-même, et par l’autre guerre « civile » qui doublait la guerre officielle.

    En Afrique Australe et en Afrique Orientale, la décolonisation anglaise ne fut pas non plus celle d’un long fleuve tranquille, en raison notamment de la présence d’un peuplement blanc important.

     Nous reviendrons plus loin sur la distinction qu’il convient de faire à l’occasion de l’évolution historique de l’empire britannique, entre colonies de peuplement et autres territoires britanniques, avec les conséquences que cette distinction eut sur l’évolution du Commonwealth, fruit d’une coopération institutionnelle entre métropole et anciennes colonies de peuplement.

    Au Kenya, les Anglais durent faire face à la révolte des Mau-Mau entre 1952 et 1955 en mobilisant une troupe de l’ordre de 50 000 soldats, et le Kenya eut droit à son indépendance en 1963.

    La décolonisation de l’Afrique anglaise orientale ne se fit pas dans des conditions pacifiques, loin de là !

    L’historien Grimal a fort bien analysé les processus suivis. Après la première guerre mondiale :

    «.La Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) devint une « self-governing colony », sorte de dominion sans le nom…. Le pouvoir politique permit aux Blancs de disposer à leur gré de la terre et des habitants noirs. Toute la législation foncière tendit à favoriser l’extension de la propriété des colons. Dès 1920, les Africains avaient été privés du droit d’acheter des terres et de résider en zone européenne. Cette ségrégation ne cessa de s’aggraver… Les Blancs n‘étaient que 64 000 en 1945… En 1953 les chiffres donnaient respectivement 157 000 et 1 750 000. » (p,332)

     En Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie) et au Nyassaland (l’actuel Malawi), la situation était différente, compte tenu du petit nombre de blancs. En 1953, fut créée la Fédération de l’Afrique centrale qui fut rapidement un échec. Le Nyassaland et la Rhodésie du Nord obtinrent leur indépendance en 1964.

     De son côté, et à partir de 1965, la Rhodésie du Sud entrait dans des convulsions de guerre interethnique qui ne prirent fin qu’en 1990, tout en soulignant que le Royaume Uni a toutefois contribué par son action aux Nations Unies à la fin de la « dictature blanche »..

     Les autres colonies bénéficièrent de l’indépendance aux dates suivantes : , en 1956, le Soudan, en 1957, la Gold- Coast, devenue le Ghana, en 1960, la Nigéria, en 1961, la République Sud-Africaine et la Sierra Leone, en 1962, le Tanganyika et l’Ouganda, en 1964.

Comme on le sait la décolonisation opérée en Afrique Australe y laissa un régime d’apartheid, et en Rhodésie, une dictature blanche, deux puissants germes des violences qui ont embrasé ces territoires jusqu’à la restitution de leurs droits aux autochtones qui en avaient été dépossédés.

    La Rhodésie du Sud devint indépendante en 1980, sous le nom de Zimbabwe.

   En Afrique du Sud, ce ne fut qu’en 1994, que le pouvoir revint aux noirs avec la fin de l’apartheid, et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela que tout le monde connait de nos jours.

   Un dernier mot au sujet de la décolonisation portugaise qui fut longue et violente aussi bien en Angola qu’au Mozambique, devenus des Etats indépendants en 1975, et au sujet de la décolonisation du Congo Belge qui sombra rapidement dans la violence, en 1960.

F – Le Commonwealth

     Un mot sur le Commonwealth, dont l’historien Grimal a décortiqué le processus historique, une évolution qu’il est difficile de résumer, mais dont la logique était tout à fait claire, quasiment dès l’origine, avec la création des colonies de peuplement.

     L’Empire britannique avait en effet deux composantes, les colonies de peuplement blanc, et toutes les autres, dont les statuts des plus variés résultaient de la créativité pragmatique de l’impérialisme britannique.

    Car, dès l’origine, et comme l’indique le même historien :

   « Tous les responsables du Colonial Office de 1835 à 1868, hauts fonctionnaires ou secrétaires successifs, avaient la conviction que le « câble serait coupé » avec les colonies de peuplement » (p,83)

     La doctrine anglaise du « responsible government » fut rapidement suivie de celle du « self-government » et le Canada, dès l’année 1847 devint le prototype de cette évolution dont bénéficièrent ensuite les autres colonies de peuplement, l’Australie 1901), la Nouvelle Zélande (1907), et l’Union Sud- Africaine (1910).

    La première guerre mondiale vit naître le Commonwealth britannique, en mettant en évidence tout à la fois la cohésion de l’Empire britannique, et l’ambigüité des relations qui existait entre Londres et ses nouveaux partenaires.

    Ce fut le statut de Westminster qui, en 1931, reconnut que les grands dominions avaient atteint leur majorité.

     Le texte les décrivait comme des « communautés ayant une existence autonome au sein de l’Empire britannique, nullement subordonnées les unes aux autres dans leurs affaires intérieures et extérieures, bien qu’unies par leur loyalisme commun à la couronne, et librement associées dans la communauté des nations britanniques. »

    Il n’exista rien de commun dans l’évolution de l’empire français, étant donné qu’à l’exception de l’Algérie dont le peuplement européen n’a jamais eu l’ampleur de celui des dominions, les éléments de cet empire ressemblaient étrangement à ceux que l’on trouvait dans le reste de l’empire britannique, c’est-à-dire un empire colonial de couleur.

    Après 1945, l’Union Française fut une pâle imitation du Commonwealth et sa courte vie fut le symbole de l’ambigüité continue d’une politique française coupée des réalités, l’habillage juridique de situations diverses, plus ou moins claires.

Jean Pierre Renaud

Mali, Centrafrique, le néocolonialisme français? Nouveaux atours de la Françafrique ?

Mali, Centrafrique, le néocolonialisme français ?

Les raisons bonnes ou mauvaises  des interventions à répétition de la France en Afrique !

Nouveaux atours de la Françafrique ?

            La dernière décision du Président de la République de faire intervenir les troupes françaises en Centrafrique, le « j’ai décidé » a suscité des réactions diverses dans le monde politique ou géopolitique, telles que celles publiées par Le Monde, le 4 décembre 2013, sous le titre «  Néocolonialisme français en Afrique », ou dans la Croix, le 5 décembre 2013, sous le titre « Les interventions françaises ».

            Il parait  intéressant et utile de récapituler les arguments échangés par un homme politique (de Villepin), un anthropologue (Amselle), deux politologues ( Marchal et Galy) , un humanitaire (Bolopion), et un géopolitologue, le patron actuel de l’IRIS (Boniface).

               Une France néocolonialiste?

            M.Bolopionl’humanitaire serait sans doute le seul à tenir un discours qui pourrait mettre tout le monde d’accord, une intervention justifiée par la terreur qui règne dans un pays. Pourquoi la France ? Et en a-t-elle le droit, le devoir, et les moyens ? Une France humanitaire sur la terre entière ?

            Il ne s’agirait donc pas de néocolonialisme.

       Des deux politologues,  le premier, M.Marchal, défend une position qui dénie tout néocolonialisme dans l’intervention française, mais critique le manque de vision de notre pays, « la courte vue des interventions françaises », « une gestion à la petite semaine », le deuxième, M.Galy,  reconnait clairement dans cette intervention « la dernière aventure coloniale »,  « une de ces manifestations dont la Françafrique a le secret depuis cinquante ans : allégeance et préparation d’interventions militaires »

          M.Amselle, l’anthropologue, nous propose, en prenant le cas du Mali, une ouverture sur la structure des sociétés africaines traditionnelles étrangères aux concepts d’état et de société civile qui sont les nôtres, puisqu’elles seraient fondées sur les concepts des clans et des lignages, une appellation savante de ce que d’aucuns dénommeraient ethnies ou tribus, et d’après lui :

         « Or le lien politique en Afrique est régi essentiellement par des principes de prédation et de redistribution du type clientéliste. »

         Une affirmation qui parait bien sévère à la fois dans le constat et dans les conséquences qu’il en tire, car toute l’immense zone du Sahel a longtemps bénéficié de la force structurante d’un Islam plutôt modéré et tolérant, et les structures traditionnelles n’étaient pas obligatoirement synonymes de « prédation et de redistribution clientéliste ».

        Pourquoi par ailleurs des pays comme le Sénégal, le Ghana, le Niger, la Nigéria, ou le Cameroun, ont réussi, en dépit de l’existence des clans et des lignages,  à maintenir tant bien que mal, sinon à renforcer,  un  Etat issu de la colonisation ?

Les analyses de MM Villepin et Boniface s’inscrivent dans un contexte de réflexion plus large.

         M. de Villepin évoque « une recolonisation bienveillante », une autre formulation donc d’une sorte de néocolonialisme, non ?

         Il note toutefois : « Il faut dire ici une vérité criante : la France est la plus mal placée pour intervenir en  Centrafrique. »

         Mais son analyse cadre bien le sujet, à savoir la nécessité de faire entrer toute initiative française à la fois dans un cadre international (l’ONU), ce qui a été fait, mais également dans un cadre européen, ce qui n’a pas été fait.

       M.de Villepin critique ce type  de stratégie, «  celle d’un engrenage régional » et constate  qu’ «  en vérité, la France n’a pas de politique africaine. »

      M.Boniface, géopolitologue,  légitime l’intervention française en la situant dans le cadre plus large de la politique étrangère française à l’égard de la Palestine et de l’Iran, mais en la justifiant essentiellement par l’impératif de l’urgence et par le fait que la France était la seule puissance capable d’intervenir aussi vite sur des théâtres d’opérations qu’elle connait bien.

     Il écrit : « Tout ceci reste encore dans la limite de ses moyens actuels et rappelle la nécessité de respecter scrupuleusement la loi de programmation militaire »

      Cela reste évidemment à démontrer ! Qui connait en effet le coût actuel de l’opération Serval au Mali et les coûts induits sur notre appareil de défense, alors que la France est endettée jusqu’au cou, et qu’elle finance donc ces guerres en s’endettant encore un peu plus (1)  et qu’elle a toujours l’ambition d’être une puissance atomique ?

     Le legs politique que cite l’auteur, à ce sujet, celui du respect de principes gaullo-mitterrandistes qui auraient régi notre politique africaine laisse un peu rêveur, compte tenu de l’héritage des réseaux Foccart ou Penne, ceux précisément de la Françafrique.

      Les questions qui peuvent être posées contre cette nouvelle intervention française en Centrafrique sont les suivantes :

      1   – Avec sa dette publique colossale, un pays en crise, la France aurait donc encore les moyens d’intervenir seule et à crédit ?

      2   – Une France seule, sans l’Europe ? Pourquoi le Président de la République n’a-t-il pas pris le soin de demander l’avis et l’engagement du Conseil Exécutif de l’Europe sur l’opportunité de cette intervention ?

     3 –   Pourquoi la France devrait-elle porter ce « nouveau fardeau de l’homme blanc », sans que l’Algérie n’y prenne part et responsabilités dans le cas du Mali, et ailleurs, sans le concours des autres membres permanents du Conseil de Sécurité, notamment la Chine, nouvelle puissance du monde africain ?

     4 –  Pourquoi la France n’imiterait-elle pas la Grande Bretagne qui s’est bien gardée jusqu’à présent, mis à part le cas limité, en temps, en Sierra Leone, de mettre la main dans les autres guerres civiles qui affectent encore quelques- uns de ses anciens territoires, par exemple l’ancien Soudan Anglo-Egyptien, où se poursuit toujours une guerre, ouverte ou larvée entre les populations arabes du nord, musulmanes, et les populations noires, chrétiennes ou animistes du sud ?

    Comment en définitive ne pas trouver dans ce type d’intervention fût-elle humanitaire, comme un parfum de néocolonialisme qui ne dit pas son nom ?

       Comment ne pas être choqué par l’étendue des pouvoirs du chef d’un Etat qui n’est pas démocratique, étant donné que la Constitution, modifiée en 2008, autorise par avance cet excès de pouvoir ?

     « Vu l’urgence, j’ai décidé, d’agir immédiatement… Cette intervention sera rapide… »

      Comme sous Louis XIV donc !

      Exit le Parlement, même lorsque la France fait la guerre ?

     Comment ne pas constater aussi que notre politique africaine, et plus largement, la politique française dans son ensemble, n’ont plus les pieds sur terre, et qu’elles continuent à se déployer dans un monde qui n’est plus ?

Jean Pierre Renaud, ancien haut fonctionnaire

(1)  Un général chiffrait le coût unitaire de ce type d’intervention par soldat pour une année, à la somme de 100.000 euros. A ce tarif, le budget Mali et Centrafrique dépasserait déjà le milliard d’euros.