Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale – 5 (C) – L’Agence des colonies

5 (C)

Propagande coloniale (C)

L’Agence des colonies

            La troisième contribution d’Images et Colonies est précise et rigoureuse : « Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies. »  d’E.Rabut (IC,p,232)

L’auteure a exploité les archives du centre d’Aix en Provence, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme je l’ai fait moi-même.

Mme Rabut y faisait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC,p,232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies créée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralisait la documentation fournie par les agences économiques des grands territoires, Indochine, Madagascar, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre 14-18.

         Par décret du 17 mai 1934, et pour des raisons d’économies, l’Agence fut supprimée. Elle réapparut, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy a ranimé l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre-mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            La même auteure décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), chargée de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques, administratives et budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne Lemaire a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

Les institutions : ont-elles été opérationnelles, aux fins de la propagande, dans leur organisation et dans leur fonctionnement ? Non.

L’agence générale des colonies et les agences économiques des territoires n’ont jamais constitué la machine de guerre de la propagande coloniale volontiers décrite par l’historienne Lemaire et son collectif de chercheurs. Pour qui a pratiqué assez longtemps les administrations centrales, les moyens humains des agences correspondaient au maximum à ceux d’une sous-direction d’administration centrale. Rien à voir avec les machines de propagande des Etats totalitaires !

            L’agence générale était coiffée par un conseil d’administration composé pour partie de représentants de l’Etat et pour partie de représentants des entreprises privées, les agences économiques étant pilotées elles-mêmes par des représentants des administrations coloniales de l’AOF, de l’AEF, de l’Indochine, de Madagascar et des Territoires sous mandat.

            Il convient d’ailleurs de noter qu’en 1926, l’Agence générale comprenait quatre services, un service commun, un service de renseignements, un service administratif, et le service administratif des ports de commerce, Marseille, Bordeaux, Nantes et Le Havre. Au total, 160 personnes, avec une partie de personnels techniques, dont la moitié était affectée dans les ports.(FM/Agefom/408) 

            La structure des agences était celle décrite par Mme Rabut, avec en général, deux services un service administratif et un service de renseignements, avec une fonction de documentation, de relations avec la presse, et ultérieurement de propagande.

            En 1937, année du renforcement de la propagande gouvernementale, après le hiatus des années 1934-1937, les agences économiques de Madagascar, d’AOF, d’AEF, et des territoires sous mandat, comptaient respectivement, 8, 8, 7, et 9 cadres.

            Les rapports d’activité récapitulaient minutieusement, sur un mode militaire, les chiffres mensuels d’activité, nombre de visiteurs, demandes d’emploi, demandes d’information commerciale et industrielle, placement de capitaux, débouchés, exposition d’échantillons de produits…

            En 1932, l’agence de Madagascar reçut 1 006 visiteurs et rédigea 4 719 correspondances, dont 447 pour obtenir de l’information sur les débouchés et 591  sur l’industrie et le commerce. Elle examina 1 538 demandes d’emploi (FM/Agefom/C834)

            Les activités de l’agence d’AOF étaient moins importantes, avec un nombre total de visiteurs de 397 seulement en 1933, et 1 546 demandes de renseignements. (FM/Agefom/C744)

            Le système était plutôt hybride, les agences économiques faisaient partie du réseau d’agences piloté par l’Agence générale, quand elle a existé, mais agissaient comme donneurs d’ordre de commandes de prestations auprès de l’agence générale. Chacune des agences disposait de son propre budget alimenté par les ressources des budgets des différents territoires.           

            Ces budgets n’étaient pas considérables, comme nous le verrons.

            Il convient de noter enfin que le domaine de compétence de l’agence générale des colonies n’a jamais porté sur l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, alors que ces territoires représentaient plus de la moitié du commerce colonial de l’époque.

            Quant au tissage plus ou moins réussi d’un réseau de propagande coloniale, il est exact que les gouvernements, mais surtout dans les années 30 ont donné des instructions aux préfets pour les inciter à faire de la propagande, à faciliter la création de comités de propagande coloniale placés sous la houlette des chambres de commerce et d’industrie ou des unions patronales, surtout dans les années 1936 et 1937.

Pour qui connaît le fonctionnement de l’administration  préfectorale, ce type d’action fait partie du lot quotidien des fonctions des Préfets, mobilisés au coup par coup, en fonction de la conjoncture et de la politique des gouvernements. Il en a toujours été ainsi.

            D’ailleurs, les ministres des Colonies avaient contribué à la mise en place de ce qu’on appellerait volontiers une hiérarchie parallèle, selon les bons préceptes communistes, mais qui n’a jamais eu l’efficacité des hiérarchies parallèles communistes, et sans doute non plus celle de la hiérarchie maçonne, très puissante alors. Hiérarchie parallèle animée par les chambres de commerce et les unions patronales, mais comme les nécessités de la conjoncture et d’une action commune en font créer régulièrement dans l’histoire politique, administrative et économique du pays.

            Les archives (FM/Agefom/851) nous donnent la trace d’instructions ministérielles précises à ce sujet.

            En 1925, une circulaire ministérielle de M André Hesse avait prévu l’organisation sur tout le territoire métropolitain, de comités de propagande qui devaient avoir pour but d’intensifier la vulgarisation de l’idée coloniale.

            Le 30 mai 1930, dans la perspective de la grande exposition coloniale de 1931,  le Sous-Secrétaire d’État aux Colonies Delmont réunit à Paris les délégués des comités de propagande coloniale et des associations coloniales, lesquels existaient dans la plupart des grandes villes françaises. L’ordre du jour était : organisation des comités de propagande coloniale et création d’un lien entre ces comités.

            Ces comités étaient pour la plupart constitués de représentants des chambres de commerce ou d’entreprises intéressées par l’outre-mer.

            A titre d’exemple, le Comité de propagande coloniale de Cherbourg était constitué d’un Comité d’honneur composé du Préfet de la Manche, du Sous-Préfet de Cherbourg, du Maire de Cherbourg, du Président et d’un Vice-Président de la Chambre de Commerce, et son conseil d’administration de représentants des entreprises de la Manche.

            A la réunion ministérielle, il fut envisagé de susciter des comités départementaux, mais avant tout de créer une commission permanente des groupements d’action coloniale.

            Au cours de la séance, le représentant du comité de Bergerac exposa qu’il n’avait pas obtenu auprès des membres du corps de l’enseignement, tout l’appui qu’il aurait désiré pour faire connaître les colonies aux jeunes gens des écoles. Il demandait que le Ministre de l’Instruction Publique donne des instructions à ses subordonnés pour qu’à l’avenir, il n’y ait plus de malentendus. Le représentant de Dijon s’associa à cette demande.

            Le représentant du comité de Lyon y rappela les efforts faits par la Chambre de Commerce, 141 000 euros par an (valeur 2002, un budget très modeste.

            A la fin de la réunion :

            « Le ministre rappelle aux délégués des comités que l’essentiel, c’est de créer autour d’eux une mentalité, une foi coloniale et pour atteindre ce but, les collaborateurs les plus importants sont les instituteurs et les professeurs de collège qui peuvent agir sur l’esprit des enfants…Lorsque cette mentalité coloniale sera créée, la propagande verra ses fruits centupler et le public saura, tout comme en Hollande, que nos colonies permettent non seulement le placement des hommes, mais aussi celui des capitaux (vifs applaudissements) »

            Le lecteur aura constaté, qu’en 1930, la propagande coloniale n’avait pas encore eu les effets escomptés par certains sur l’opinion publique, et que le corps enseignant ne manifestait pas un enthousiasme débordant pour la cause coloniale, alors que nous avons démontré que les livres scolaires n’accordaient pas non plus une grande place aux colonies.

            Le 7 juillet 1930, le Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies adressait une circulaire à Messieurs les Présidents des Comités d’Action Coloniale en leur transmettant le procès-verbal de la réunion du 30 mai, au cours de laquelle il y fut décidé la consolidation, et là, où besoin sera, la réorganisation des comités actuellement existants, voire la création de comités nouveaux, ainsi que la création d’un organisme fédéral, la Commission permanente des Groupements d’Action Coloniale.

            Le ministre écrivait :

            « Je signale par une circulaire adressée ce jour aux Préfets, l’importance de vos Comités, en même temps que je leur envoie copie du procès-verbal de notre réunion, et que je les prie de vous accorder tout leur appui moral et matériel. Signé A.Delmont »

Les Comités locaux d’action coloniale continuèrent à exister au cours des années ultérieures, comme l’indique une circulaire ministérielle du 20 février 1934 qui adresse aux agences économiques des colonies la liste de ces groupements, en invitant les agences à entrer en liaison avec ces comités, en les invitant à vous faire connaître les entreprises  agricoles, industrielles, et commerciales de leur secteur, susceptibles d’acheter les produits des territoires que vous représentez ou d’y écouler les leurs. (FM/Agefom/40)

            Les archives fournissent beaucoup d’échantillons des correspondances échangées entre l’administration, les agences, et les comités. Leur contenu porte sur les informations de toute nature qui alimentaient ce réseau économique, organisation du réseau, relais d’information, liste d’entreprises et liste de produits exportés ou importés, etc…

JPR  –  TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale – 5 (D) – L’avis d’un expert

5 (D)

Propagande coloniale (D)

L’avis d’un expert

            A la session parlementaire de 1928, le député Archimbaud, longtemps rapporteur inamovible du budget des colonies à la Chambre, appelait le pays à faire un effort de propagande « pour parvenir à créer en France une mentalité impériale, le premier effort devait être tenté par la presse, le second par l’école, à tous les degrés d’enseignement… le gouvernement doit tendre à obtenir de la grande presse quotidienne qu’elle accorde à l’information coloniale la place qu’elle mérite, et que les honneurs de la première page ou des « leaders » ne soient pas uniquement réservés à l’exposé des grands scandales coloniaux. » (ASOM)

            A la session de 1930, le même rapporteur du budget consacrait une partie de son exposé à la propagande coloniale :

            « Quelle ignorance le Français moyen n’a-t-il pas à l’endroit de cet admirable domaine ! Que de préjugés à vaincre ! »

            Le rapporteur proposait que la bonne propagande touche l’enfant, le Français au régiment, l’industriel et le commerçant.

            « A l’heure actuelle, les questions de propagande coloniale sont entièrement laissées à l’activité des agences relevant des gouvernements coloniaux. Grâce aux moyens financiers dont elles disposent, les agences ont pu jouer un rôle incontestable. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a actuellement aucune coordination dans l’effort de propagande…

            Les questions de propagande revêtent une trop grande importance pour qu’elles ne soient pas placées immédiatement sous l’autorité du Ministre et il est regrettable qu’il n’existe pas encore au Ministère des Colonies un service de propagande, comme il est regrettable qu’un service bien organisé de la colonisation, disposant de crédits suffisants, n’ait pas encore été organisé au sein de ce même département. » (ASOM)

A la lecture de ces textes, le lecteur constatera qu’en 1930, à la veille de la fameuse exposition de 1931, aucun chef d’orchestre n’existait pour la propagande coloniale, contrairement aux assertions de l’historienne Lemaire, qu’il n’existait pas de service de propagande au sein du gouvernement, et qu’un rapporteur du budget des Colonies constatait à la fois l’insuffisance notoire de la propagande et le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies. Il faudra attendre les années 1937 pour qu’il y soit remédié, mais dans une conjoncture tout à fait particulière celle de l’avant-guerre. Nous rappelons que la fameuse Agence générale a été supprimée, sans être remplacée, entre 1934 et 1937 !

            L’Agence n’a jamais été, en tout cas jusqu’en 1931, une « machine à informer et à séduirel’épicentre de l’information coloniale », ou alors un petit épicentre, l’Agence n’a jamais « inondé », elle n’a jamais été capable de « manipuler l’opinion ou de marteler un discours, ni de fabriquer du colonial, » et n’a jamais eu de « stratégie ».

            Il n’y a pas eu de « réseau tentaculaire d’individus, de marchands d’influence  que sont les journalistes », et contrairement au dire de l’historienne, « l’ensemble de cette propagande savamment organisée (n’) a (pas) contribué à bâtir une chape de plomb qui rendit impossible la faculté de penser le réel  de la domination coloniale. »

Comment une telle chose aurait-elle été possible ? Alors que les agences déployaient une activité qui avait plus avoir avec le travail d’une représentation diplomatique ou d’une agence d’information, dont le rapporteur du budget des Colonies reconnaissait qu’elle n’était pas suffisante en matière de propagande, et cela jusqu’en 1931.

            Les agences firent un travail remarquable de documentation générale et économique sur les territoires qu’elles représentaient, mais s’agissait-il de propagande ?

        Des crédits de propagande crédibles ? Dans une échelle de grandeurs crédible ? Encore non !

Nous allons à présent nous intéresser aux budgets de l’agence générale et des agences économiques des colonies, afin de mesurer leur capacité financière d’action en matière de propagande coloniale, car comme nous l’avons déjà relevé, les agences développaient une activité variée, et l’examen rapide de leurs budgets permettra de démontrer que les crédits de propagande étaient très modestes.

            Les subventions des agences  à la presse métropolitaine et coloniale feront, plus loin, l’objet d’un examen particulier, compte tenu de leur caractère sensible, et de l’interprétation qu’en donne l’historienne.

            Tout d’abord, les crédits de l’agence générale des colonies : il faut savoir que le budget de l’agence générale était alimenté par les budgets des colonies, ainsi que les budgets des différentes agences économiques, AOF, AEF, Indochine, Madagascar, et territoires sous mandat. Cela ne coûtait donc pas trop cher au contribuable de métropole, et donc au budget de l’Etat !

            J’ai rappelé à plusieurs reprises sur ce blog que la France, comme l’Angleterre, avait décidé de laisser aux colonies le soin de se financer elles-mêmes.

            En 1923, le budget de l’agence générale était de 1,3 million euros (2002), et en 1926, quasiment du même montant (FM/408). Le budget de l’agence ne représentait pas plus de 0,09 % du budget du ministère des Colonies, 142 millions euros, et plus de 95% des recettes de ce budget provenaient des contributions des colonies associées à chacune des agences économiques. Le budget du ministère des colonies représentait lui-même 0,007 % du budget de l’Etat. (Archives/Finances)

            En 1926, les budgets de l’Indochine, de l’AOF, et de Madagascar, y contribuaient respectivement pour 416 224 euros, 370 480 euros, et 268 137 euros.

            En 1926, l’essentiel du budget de l’agence était consacré aux dépenses de personnel, et le budget des ports de commerce représentait 38% du budget de l’agence.

            Indiquons au lecteur, que le crédit dédié à la propagande coloniale, participation aux foires, expositions et conférences se montait à 10 540 euros.     

          Vraiment pas de quoi inonder le pays de propagande coloniale ! (FM/Agefom/408, chap.16 du budget).

            Rappelons que le commerce extérieur de la France en 1930 (exportations, plus importations) était de 17 500 millions d’euros, dont pour le commerce colonial, polarisé sur l’Algérie, 2 891 millions d’euros. (Empire colonial et capitalisme français, J.Marseille)

            La propagande coloniale au sens strict représentait une fraction infinitésimale du commerce extérieur, dans l’ordre des fractions de millièmes.

            En 1937, année au cours de laquelle le gouvernement décida d’intensifier la propagande coloniale, le budget de cette propagande était de 1,9 million d’euros (FM/Agefom/908), à comparer au chiffre du budget du ministère des colonies, soit 0,005 % de 360 millions euros (Archives/Finances). Le ministère lui-même représentait 0,016 % du budget de l’Etat.

            L’ensemble de ces chiffres situe les ordres de grandeur que l’historien est bien obligé de prendre en compte pour porter un jugement historique sur la propagande coloniale.

            Examinons à présent les budgets des agences économiques pour mesurer leur poids relatif sur le plan financier et économique, et voir la part qu’elles accordaient au poste documentation propagande.

            En 1933, le budget de l’agence de l’AOF était de 681 000 euros. Le poste publicité et propagande se montait à 76 000 euros. Sur ce crédit, les subventions  à la presse de métropole étaient de 56 000 euros. Le montant du budget de l’agence représentait 5,6% du budget de l’AOF, ce qui n’était pas négligeable pour la fédération, mais beaucoup moins significatif sur le plan métropolitain. (FM/Agefom/744)

             Pour donner un exemple, en 1931, année de l’Exposition coloniale, la Ville de Paris avait consacré plus d’un million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies. Le budget de la Ville était alors de plus de 2 milliards d’euros, à comparer aux 1,2 millions d’euros du budget de l’AOF.

            En 1934, le budget de l’agence de l’AEF était d’environ 524 000 euros, dont 83 000 euros pour la propagande et les expositions, et le budget de la fédération était de l’ordre de 57,7 millions d’euros, soit 9,9% du budget fédéral, un chiffre relativement important, mais qui marquait à la fois le besoin de cette fédération de se faire connaître, et la disproportion existant dans l’échelle des valeurs entre métropole et colonies. (FM/Agefom/408 et 901)

            Ces budgets étaient sans commune mesure avec les budgets métropolitains, même s’ils pouvaient faire illusion dans leur rapport avec les budgets coloniaux. L’analyse des subventions à la presse confirme cette appréciation et démontre que la presse métropolitaine et coloniale n’était certainement pas en mesure de propager la bonne nouvelle coloniale grâce aux subventions qui lui étaient versées par les agences économiques des colonies.

            Nous ne reviendrons pas sur les affirmations trompeuses de l’historienne quant au rôle et à l’efficacité de l’Agence dans les années 1871-1931, dans Culture coloniale, alors que nous avons vu qu’elle n’avait existé qu’à partir de 1919, et que son activité était loin d’être à la hauteur des jugements rétroactifs de l’historienne.

            Comment est-il possible d’écrire dans ce livre au sujet de cette Agence, et pour la même période :

            « Elle fut par conséquent l’un des plus grands outils fédérateurs de l’opinion publique. » (CC,p,142)

            Et grâce à elle : « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. « (CC,p,147)

JPR – TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (E) – Agence des colonies et presse française

L’Agence des colonies et la presse française – 5 (E)

            La presse a-t-elle fait œuvre de propagande coloniale ?

 Dans le livre suivant, Culture impériale, et pour la période 1931-1961, même discours de l’historienne :

            « C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menée par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse ou le cinéma. » (CI,p,45)

            L’historienne rappelle que l’Agence générale des colonies avait disparu, sans en donner la période, France entre 1934 à 1937, année de création par le Front Populaire du Service Intercolonial d’Information et de Documentation.

            L’historienne donne l’exemple de la presse comme indice de « l’intrusion de l’Empire dans les foyers métropolitains » au cours de ces années, et cite une liste de journaux qui, à la fin des années 1930, étaient destinataires d’articles et de subventions, en écrivant :

            « Cette énumération est loin d’être complète, mais elle révèle l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite, qu’elle soit strictement coloniale ou à vocation plus générale, le rapport des montants de subvention étant à peu de choses égal, ce qui atteste de la volonté de toucher le plus large public et non pas seulement une partie de la population déjà sensibilisée. Ainsi avons-nous pu relever cent soixante- dix titres différents qui ont été subventionnés sur les fonds de la propagande coloniale officielle entre 1936 et 1938. Autant dire que ce vaste panel a largement contribué à l’ancrage de l’élément colonial au sein de la société  française, puisqu’on retrouve aussi bien les grands quotidiens ou hebdomadaires de la presse générale ou « coloniale » que les journaux affectant tous les genres et traitant de politique, de religion, d’économie et de finance, mais aussi d’agriculture, de cuisine, s’adressant aux jeunes, aux hommes, aux femmes et à toutes les catégories professionnelles. » (CI,p,51,52)       

Littérature que tout cela ! En donnant l’illusion de la précision intellectuelle et en osant une conclusion historique hardie, une de plus, celle de l’ancrage  de l’élément colonial au sein de la société française ! Rien de moins !

Le lecteur est donc invité à  confronter un tel discours aux pièces à conviction des archives.

            La liste de journaux fournie est, à quelques différences près, conforme au procès-verbal du 29 janvier 1937 et aux suivants de la commission ministérielle qui se réunissait pour attribuer des subventions aux journaux. La liste citée correspondait en gros à moins de la moitié du lectorat de la presse parisienne, et au quart de la presse parisienne et provinciale, cette dernière faisant jeu égal avec la presse parisienne en tirage. Ce n’était évidemment pas mal, mais que représentaient ces subventions pour ces journaux, car il faut donner à la fois donner quelques chiffres et rappeler le fonctionnement administratif du système des subventions.

            En 1928, deux commissions  centrales furent créées, l’une pour attribuer des subventions à des établissements métropolitains de propagande coloniale, directement ou indirectement, les comités de propagande coloniale, la deuxième aux journaux. En 1930, l’attribution des subventions aux journaux et revues fut rendue à l’initiative des gouverneurs généraux et gouverneurs, en précisant qu’il s’agissait des crédits prévus aux budgets locaux pour la propagande coloniale effectuée dans la métropole. ; (FM/Agefom/412-Circulaire ministérielle du 16/04/1935)

            Les deux commissions étaient composées de représentants du ministère et des agences économiques des colonies et territoires.

            En 1937, la presse coloniale reçut au total 184 000 euros pour onze titres (FM/Agefom/412, PV du 29/01/37).

            Les budgets des colonies y contribuèrent pour les montants suivants :

Indochine :      37 000 euros

            AOF :             63 382 euros

            AEF :             33 346 euros

            Madagascar : 37 130 euros

            Territoires :   13 142 euros

D’après le procès-verbal du 26 février 1937, et pour 1936, le total des subventions attribuées à la presse coloniale et métropolitaine avait été de 555 000 euros, le budget prévu pour 1937 étant quasiment identique.

            Dans le même procès-verbal, on relève que le crédit de subvention prévu en 1937 pour les établissements de propagande était de 233 000 euros.

            Situons à présent ces chiffres dans des échelles de grandeur économiques ou financières crédibles, avant de les situer dans le contexte du financement concret de la presse de cette époque, et sans doute encore de la nôtre.

            Tout d’abord par rapport au commerce extérieur des colonies et territoires avec la France. (Revue Economique Française, p.127)

            Ces subventions représentaient par rapport au chiffre du commerce extérieur de 1936, 0,46% pour l’Indochine, 0,82% pour l’AOF, et 1,20% pour Madagascar, ce qui n’était pas considérable en matière de propagande, pour ne pas dire de publicité publique, par rapport aux chiffres d’affaires de leur commerce extérieur avec la métropole.

            Il convient de rappeler que le commerce du Maghreb, Algérie, Maroc, Tunisie, représentait à lui seul, de l’ordre de la moitié du commerce de la France avec l’Empire.

            Il n’est pas superflu non plus de se poser la question de savoir s’il s’agissait de propagande coloniale ou de publicité pour des produits coloniaux, car l’historienne entretient à ce sujet une grande confusion.

            Pour fixer les idées, indiquons qu’en 1937, la Ville de Paris consacrait 1,137 million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies, sur un budget de 2,635 milliards d’euros.

            Le lecteur verra plus loin confirmées  les observations faites par les experts sur le peu de coopération que la grande presse manifestait pour la propagande coloniale, et sur le fait que, sans subvention, la presse coloniale aurait disparu.

            Mais il nous faut à présent aller au cœur du fonctionnement concret de la presse de l’époque.

            Citons tout d’abord un extrait des conclusions du Colloque de 1993 qui atteste de la méconnaissance du milieu concret de la presse par certains historiens, de la candeur aussi, et de la sous-évaluation de la paresse journalistique :

            « Quel a été le rôle du Parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré, par exemple, que le Parti colonial ou l’Agence de France d’outre-mer pour le ministère des Colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse. » (C,p,145)

            Mais beaucoup de journalistes ont toujours trouvé plus facile de reproduire purement ou simplement les papiers qu’on leur fournissait gratuitement, quitte à leur donner un léger coup de patte, que de rédiger eux-mêmes leurs articles. Communiqués officiels ou non, dépêches d’agences, ont toujours été les bienvenus dans beaucoup de journaux. Même de nos jours, combien de journaux ne font qu’adapter des dépêches de l’agence France Presse ou Reuters au goût du journal ?

            Les procès-verbaux de la commission citée plus haut font état à la fois de subventions et de rémunérations de correspondants des journaux.

            L’historienne Lemaire relève cette situation dans ses contributions, mais elle était loin d’être surprenante, compte tenu de la grande difficulté que les gouvernements rencontraient pour faire passer de la propagande coloniale dans leurs journaux, comme le notait plus haut l’historien Ageron.

            Il faut citer in extenso un extrait du projet de circulaire du ministre des Colonies, Marius Moutet, extrait qui ne figure pas dans le texte officiel de la circulaire n° 1294 du 11 mai 1937, laquelle valait instruction aux gouverneurs généraux et gouverneurs pour la propagande coloniale, texte sur lequel nous reviendrons.

            Le rédacteur du projet de circulaire écrivait :

            « Venons-en à la question de la presse proprement dite. C’est peut-être la plus délicate de toutes… qu’il s’agisse d’abonnements ou de subventions, il serait puéril de dissimuler que la presse coloniale éditée en France tire la plupart de ses ressources de nos contributions budgétaires, et que la presse métropolitaine, pour autant qu’elle veuille bien s’intéresser aux questions coloniales, considère comme une contrepartie nécessaire le fait de recevoir, de vos budgets, sous une forme ou sous une autre, un concours financier, et d’évoquer le témoignage d’un gouverneur général des colonies qui écrivait : « j’ai la tristesse de constater que les journaux considèrent nos subventions comme une sorte de tribut rendu en hommage à leur puissance et ne comportant aucune obligation de leur part. » (FM/Agefom/908)

Dans sa circulaire ministérielle du 11 mai 1937, le ministre (SFIO) donnait les raisons de la création du nouveau Service Intercolonial d’Information :

            « L’information, l’éducation coloniale du peuple français est une nécessité…On s’est installé dans des habitudes administratives, l’action de la propagande reste modeste, traditionnelle, habituelle ;…Il faut enfin, faire prendre à notre pays, à notre population toute entière, jusque ses couches profondes, jusque dans sa spontanéité populaire, conscience de sa valeur coloniale ou plutôt de sa mission d’enseignement des peuples attardés, il faut révéler à la France sa famille humaine toute entière dans sa multiple variété, dans son étroite solidarité… Certes le dessein est vaste, généreux, il requiert désintéressement, foi, vocation et l’effort d’une génération, mais en traçant le chemin, en marquant la direction, nous aurons amorcé une œuvre qui se réalisera avec certitude. » (FM/Agefom//908)

En mai 1937, il ne semblait donc pas que la situation de la propagande coloniale fut celle décrite par l’historienne, c’est-à-dire mirobolante, alors qu’il restait moins de trois ans avant le début de la deuxième guerre mondiale, qui allait tout changer et tout bouleverser.

            Notons en passant que le discours Moutet n’avait pas beaucoup évolué par rapport à celui de Jules Ferry.

            La circulaire en question fixait des objectifs à atteindre dans plusieurs domaines, la presse, la radio, la documentation photographique, le cinéma, objectifs qui furent poursuivis par le régime de Vichy et la Quatrième République, mais la France était alors entrée dans un autre monde, un nouveau monde

            La consultation de ces sources montre qu’il n’est pas possible de prendre au mot les propos et jugements péremptoires de l’historienne, qui ne correspondent absolument pas à la réalité historique de l’époque.

JPR  – TDR