La culture coloniale des Français sous la 4ème République avec l’épouse de Georges Bidault, ancien Président du Conseil National de la Résistance, succédant à Jean Moulin, et ancien Président du Gouvernement Provisoire de la 4ème République
Dans son livre « Souvenirs » (1), Suzanne Bidault, épouse de Georges Bidault, évoque, à propos de la guerre d’Algérie, qui vit son mari se lancer dans la cause perdue de l’Algérie Française, l’indifférence des Français à l’égard du fameux « Empire colonial ».
Indiquons que Suzanne Bidault fut la première femme admise dans le corps diplomatique avant la deuxième guerre mondiale, où elle fit la connaissance de Georges Bidault au Quai, qu’elle l’épousa.
Georges Bidault fit une carrière politique à la fois brillante et malheureuse : comme rappelé plus haut, il joua un rôle important dans la Résistance, fut le fondateur du Mouvement Républicain Populaire, le MRP, et fut Président du Conseil du 28/10/1949 au 2/07/1950, et à plusieurs reprises, ministre des Affaires Etrangères.
Georges Bidault illustre bien, et à sa manière, c’est-à-dire jusqu’au bout, les contradictions d’une partie des hommes politiques de la 4ème République, face aux enjeux de la décolonisation.
Il combattit, sans espoir, la politique algérienne du Général de Gaulle, et ce fut la fin de sa brillante carrière politique.
Les réflexions de Suzanne Bidault :
« A la prise de pouvoir de Mendès, Georges quitta le gouvernement et n’y revint jamais. Il n’était plus qu’un député parmi les autres, mais bien différent des autres. Il regardait, au-delà des limites de sa circonscription, la France des cinq continents qui se délitait.
Je me suis souvent demandée comment, dans sa solitude de Colombey, le général voyait à ce moment cette France des cinq continents et je crois avoir compris : ce n’était pas un homme de l’outre-mer, c’était un continental, comme la plupart des officiers métropolitains (1) de sa génération qui n’avaient d’autre horizon que la ligne bleue des Vosges. Brazzaville et Alger avaient été pour lui des lieux commodes. Pas plus. Aucun sentiment profond ne le liait à ces terres africaines.
C’est sans regret qu’il a réduit l’Empire aux dimensions de l’hexagone ; « Il l’aurait réduit à celles de l’île Saint Louis, disait plaisamment mon mari, s’il y avait été sûr d’y présider une conférence au sommet.
L’œuvre de destruction est la sienne. Mais il a été puissamment aidé par les Français.
Les Français sont aussi des continentaux. Ils l’étaient déjà du temps de Voltaire. Les arpents de sable ne les tentent pas plus que les arpents de neige. Quelques hommes exceptionnels, Montcalm, Dupleix, Lyautey par exemple, ont pu en entrainer un petit nombre sur les routes de l’aventure coloniale. Mais l’immense majorité est restée dans son trou. Il y a longtemps que Pierre Mille a écrit : « Le français qui va aux colonies est un enfant qui fait pleurer sa mère ». On s’est attaché depuis la dernière guerre à sécher les larmes des mères, on a agité devant les yeux du peuple le plus intelligent de la terre, l’épouvantail du colonialisme. On voit les résultats : les gens crèvent de faim là où ils mangeaient, et raniment entre eux les luttes tribales que l’ordre français avait apaisées. Le mot colonie est un terme maudit. On est allé jusqu’à l’appliquer à trois départements français pour mieux les perdre. Ils avaient le grand tort d’être situés au-delà de l’eau. Les Français n’aiment pas çà.
Heureux les pays comme l’URSS dont les colonies s’accrochent au territoire national. Personne ne songe à en contester la propriété à ceux qui les occupent – et pourtant à Khiva et à Boukara on est musulman comme à Tlemcen… »
Commentaire :
J’ai retenu cette citation, parce qu’elle illustre bien, à mon avis, l’aveuglement d’une partie de notre haut personnel politique de la 4ème République – mais on pourrait dire la même chose pour la 3ème République – sur les objectifs de la colonisation, des colonies qui constituaient ce qu’on appelait l’Empire, avec un grand E : tout à la fois une grande ignorance, un mélange d’intérêt et d’idéalisme, un rêve d’assimilation irréalisable, comme le reconnaissaient les esprits les plus lucides.
On était tout à la fois tout près des rêves de la Résistance et d’une France coloniale qui n’existait le plus souvent que dans la tête et les ambitions d’un petit groupe d’hommes politiques ou économiques influents.
Il suffit de rappeler que les trois partis politiques qui gouvernaient la France après 1945, le Parti Communiste, la SFIO, et le MRP, ne surent pas prendre le virage nécessaire de la décolonisation. A titre d’exemple, Marius Moutet, le ministre socialiste grand teint (SFIO) fut une des chevilles ouvrières de la répression sanglante de la révolte malgache en 1947.
Comme certains lecteurs le savent, ma thèse personnelle est que la France dite coloniale, ne l’a jamais été, sauf, peut-être dans des circonstances très exceptionnelles, à Fachoda, ou pendant les deux guerres, que le mythe colonial ne s’est jamais incrusté dans la culture française, contrairement à ce que certains chercheurs, plus idéologues qu’historiens, voudraient nous faire croire.
Au risque de provoquer, je serais tenté de dire que la France est devenue de plus en plus « coloniale » avec les flux d’immigration des années 1990 et suivantes.
Et quant au rapprochement colonial que Mme Bidault fait entre la France et l’URSS, l’histoire en a fait litière, comme chacun sait.
Jean Pierre Renaud
(1) Fille d’un officier des troupes coloniales qui servit à Madagascar sous le proconsulat de Gallieni, Madame Bidault avait une certaine connaissance de l’outre-mer.
Nous avons évoqué l’anecdote dans nos morceaux choisis intitulés « Gallieni et Lyautey, ces inconnus » sur le blog du 12 juillet 2013
(2) Pages 104 et 105 du livre « Souvenirs » de Suzanne Bidault-
Ouest France 1987