« Français et Africains Les Noirs dans le regard des Blancs-1530-1880 -William B. Cohen-Lecture critique

« Français et Africains

Les Noirs dans le regard des Blancs

1530-1880 »

William B.Cohen

( NRF Gallimard 1981)

Lecture critique

            Cette publication a été annoncée le 27 octobre 2014, à l’occasion de ma lecture critique d’une chronique du journal Le Monde du 29 août 2014 intitulée «  Afro-Américains et Noirs de France, les Faux Frères » d’Elise Vincent.

&

 Une remarque préalable : Payot vient de publier un ouvrage de Frederick Cooper sous le même titre, un ouvrage qui fera l’objet d’une lecture critique ultérieurement.

Les caractères gras sont de ma responsabilité

            En reprenant la lecture d’un autre livre du même historien, intitulé « Empereurs sans sceptre » consacré à l’administration coloniale française, un ouvrage dont j’avais apprécié le contenu,  j’ai découvert l’existence de ce livre, dont le contenu, à l’inverse, ne m’a pas du tout convaincu, et voici pourquoi.

            S’agit-il véritablement d’un ouvrage historique dont l’objet serait celui des Noirs dans le regard des Blancs ou d’une thèse idéologique qui tend à vouloir démontrer, sans excès de preuves, et c’est un euphémisme, que les Français ont toujours été racistes ?

            Ce qu’annonce la préface :

      « Ses expériences (la France) et sa conception des peuples noirs ont contribué à la formation de l’image de l’homme noir dans la culture occidentale…

Par  conséquent, quoique cet ouvrage veuille être avant tout l’histoire des réactions françaises devant le phénomène noir, il aimerait aussi contribuer à l’étude plus générale des relations entre races, et prouver, dans le contexte français, l’exactitude de certaines théories concernant ces relations (p,7)… »

         A sa grande surprise (l’auteur), les documents historiques consultés se révélèrent imprégnés d’une forte tradition raciale, insoupçonnée jusqu’ à ce jour…

        La présente étude examine les réactions des Français à l’égard des Noirs – et cela à différentes  époques -, et dévoile la continuité d’attitudes et de stéréotypes enfouis dans la culture et dans les institutions françaises.Pour ce faire, on a eu recours à deux méthodes : la méthode chronologique et la méthode thématique. L’approche historique s’impose chaque fois que l’on veut analyser l’homme, ses pensées et ses actes dans le contexte temporel qui fut le sien. Mais comme l’histoire seule reste insuffisante, il faut s’adresser parfois à la psychologie, à l’anthropologie et à la sociologie. Néanmoins cet ouvrage reste avant tout un ouvrage historique traitant des questions soulevées par l’origine, le développement et la continuité d’une attitude basée sur des principes d’inégalité raciale, attitude que les Français développèrent envers l’homme noir, que ce dernier fût sur son sol natal, dans les plantations des Antilles et de l’Océan Indien ou en France même(p,9)

        Cette étude s’arrête en 1880,date délibérément choisie parce qu’elle se situe à la veille de l’expansion française en Afrique noire. Elle permet donc de voir dans quelle mesure l’image de l’Africain se développa indépendamment de la conquête même…

        « Français et Africains » ne s’appuie que sur des documents écrits. N’oublions pas que jusqu’au XIXème siècle la majorité des Français étaient illettrés. On peut supposer qu’il existait une sous-culture s’opposant à la tradition écrite, mais cela est peu probable. Les réactions devant l’indigène s’accordent si totalement entre elles qu’il serait surprenant de découvrir une pensée populaire qui n’aurait trouvé aucun écho dans la pensée écrite. En fait, les recherches portant sur la culture populaire, telle qu’on peut la saisir dans les ballades et les récits folkloriques, révèlent des attitudes dans l’ensemble fort proches de celles exprimées dans les sources écrites.

         Cet ouvrage repose essentiellement sur des documents qui ne s’adressaient pas au grand publicPour le XIXème siècle, il faut donc signaler l’absence de toute référence à la presse quotidienne à grand tirage. Ajoutons cependant que d’après une étude récente (1), les journaux reprenaient avec un certain retard, les thèmes développés par les savants, les théoriciens et les hauts fonctionnaires de l’époque. Aussi ne constituent-ils pas pour l’historien une source d’éléments nouveaux »  (p11)

          (1)  Une étude américaine portant sur les années 1870-1900)

       Que d’hypothèses ! A partir de quelles sources, de quels vecteurs de culture mesurables ou mesurés au cours des trois siècles examinés ?

          S’agit-il d’histoire ou de littérature, pour ne pas dire de propagande !

         J’ai mis en caractères gras les quelques mots et phrases clés qui marquent les points faibles, ambigus, ou contradictoires de cette analyse prétendument historique, son objet lui-même, quant à l’ancienneté et à la continuité du racisme des Français à l’égard des Africains tout au long des années 1530-1880, quant à une méthode historique fondée sur l’analyse de sources écrites, mais savantes, en décalage chronologique complet avec l’état de la France tout au long des années et des siècles étudiés sous l’angle des conditions d’information ou de culture des Français.

           L’auteur brosse un portrait de l’évolution du regard des Blancs, Européens ou Français, à partir de 1530, et dès le départ, il marque une contradiction d’analyse des rapports entre Blancs et Noirs, en écrivant :

         « Si les contacts se firent plus fréquents à la fin du XVIIème siècle, il n’en est pas moins vrai que pendant la période qui s’étend de 1530 à 1720, un nombre relativement restreint de Français étaient arrivés à connaître l’Afrique. Le point de rencontre le plus commun entre les deux races était la traite des Noirs et même dans ce domaine la présence française se faisait peu sentir. Par conséquent, les Français se tournèrent vers ceux qui les avaient précédés et continuèrent, pour alimenter leurs écrits, à faire appel aux anciens. » (p,61)

       Donc peu de contacts, l’importance relative de la traite des Noirs, inconnue ou connue, et toute l’ambiguïté de l’appellation les Français ! Qui sont ces Français en 1530, en 1720, ou plus tard ? Des Français qui ont le privilège « d’alimenter leurs écrits » ?

        Tout au long de l’ouvrage, l’auteur recourt à cette dénomination de Français, mais sans jamais donner leur identité, alors qu’il s’agit avant tout de la France savante.

        Le discours Cohen sur le racisme des XVI°, XVII°, et XVIII° siècles

       L’auteur accorde une très large place dans son analyse à l’esclavage (quatre chapitres, 2, 4 ,5 et 6 sur un total de 9 chapitres), mais sans situer son importance politique, économique, et humaine pour la France, ni sa durée.

        L’auteur lui-même reconnait :

        «  la brièveté même du système esclavagiste dans les possessions française » (p,161)

            Plus loin, l’historien écrit :

            « La présence dans les cahiers de doléances, d’idées faisant écho à celles des lumières et de la Société des Amis des Noirs trahit beaucoup plus la connaissance qu’avaient les avocats, les notaires, les « hommes de lettres » et autres notables des petites villes de ces arguments qu’une véritable préoccupation parmi les masses françaises pour la question de l’esclavage. » (p,202)

            Nous sommes ici à la veille de la Révolution, alors que les conditions d’information du peuple français ont effectivement commencé à changer, mais le terme de « masses » parait incongru, de même que d’autres termes volontiers utilisés par l’auteur tels que « l’opinion populaire » (p,104), le « grand public » (p,105), « l’opinion publique » (p, 279), tout autant que « les Français », appellation  très fréquemment utilisée par l’auteur, mais qui peut couvrir beaucoup de « marchandises » différentes entre 1530 et 1880.

            L’histoire coloniale n’a eu la possibilité de mesurer la connaissance du monde colonial, en positif ou en négatif, que pouvaient en avoir les Français qu’avec les premiers sondages effectués dans notre pays, c’est-à-dire juste avant la deuxième guerre mondiale.

            Ainsi que je l’ai écrit à maintes reprises, les historiens coloniaux et postcoloniaux n’ont pas cru devoir jusqu’à présent, en tout cas à ma connaissance,  mesurer ce facteur dans la presse, alors que ce matériau historique est important et qu’il aurait pu, effectivement et concrètement,  répondre à ce souci de véritable mesure.

            M.Cohen n’a pas cru devoir justifier la pertinence de son propos « historique » par une analyse de la presse, à partir du moment où elle a commencé à exister vraiment dans notre pays, c’est-à-dire dans la deuxième moitié du XVII° siècle.

           Nous tenterons d’examiner plus loin, à partir de travaux d’historiens, la connaissance que pouvait avoir des Noirs la population française de l’époque, alors que la traite des Noirs  ne fut pas durable, comme l’auteur l’a d’ailleurs reconnu, et qu’elle n’a concerné qu’une petite élite de riches.

        Les cahiers de doléances cités par l’auteur montrent que jusqu’à la Révolution, avec l’explosion de l’information, des journaux, la connaissance de l’esclavage était limitée, et que la paysannerie de l’époque, massivement illettrée, avait bien d’autres horizons.

         Comment ne pas noter aussi que la condition sociale de la majorité des « Français » des trois siècles considérés, n’était peut-être pas tellement éloignée de celle des esclaves des îles ?

       Le rôle des Philosophes

      Dans le chapitre 3, l’auteur analyse longuement le rôle effectif des Philosophes dans la construction de l’image raciste des Noirs au XVIIIème siècle, mais en relevant en même temps que dans les bibliothèques de Montesquieu ou de Voltaire, le nombre des ouvrages consacrés à l’Afrique était négligeable : chez Montesquieu et sur ses 45 ouvrages de géographie, aucun ne se rapportait à l’Afrique, et chez Voltaire, 103 d’entre eux avaient pour objet le monde non européen sur un total de 3 867 ouvrages.

         Ce qui n’empêche pas l’auteur de conclure d’un trait de plume :

    « Vers la fin du XVIIIème siècle, le racisme dominait sans contredit les esprits français…

       Si le racisme devint si influent en France, c’est qu‘il était devenu un mode de pensée fort répandu. » (p,143)

     Une démonstration historique ? Les Philosophes avaient une telle influence dans une population qui était encore illettrée ?

       Alors qu’à la fin du XIX° siècle, l’Afrique noire était encore un continent largement      inconnu ?

       Quel champ géographique d’analyse historique ?

    L’auteur l’a limitée à trois champs géographiques, les Antilles, le Sénégal, et la France.

     Au-delà de la référence assez large qui est faite aux Antilles, l’auteur accorde une certaine importance au Sénégal, mais il ne semble pas que cet exemple plaide en faveur de la thèse raciste défendue par l’auteur.

      « Rapports entre les races au Sénégal

      C’est aux Antilles que Français, Noirs et métis se rencontrèrent en plus grand nombre. Aux XVII° et XVIII° siècles, les premiers enclins à entretenir ou à développer des théories racistes, s’y montrèrent désireux d’éviter tout contact social avec des non-Européens. Vers 1770, nombreux étaient les Français de la métropole qui acceptaient ces théories ; à cette même époque, les lois discriminatoires se trouvaient rigidement appliquées. Mais on n’est pas sans rencontrer quelques exceptions qui montrent que, même si les préjugés de couleur permettent d’anticiper la manière dont un groupe sera traité par un autre, ces mêmes préjugés peuvent aussi être partiellement ignorés lorsqu’ils s’opposent aux intérêts de ceux qui les professent. Ce fut le cas au Sénégal où, contrairement à ce qui se passait dans les autres possessions françaises, les groupes raciaux, n’étant pas inflexiblement séparés, purent se mêler les uns aux autres. Les hommes libres de couleur ou noirs n’y connurent pas la vie marginale des affranchis des Antilles : au contraire, ils y étaient considérés comme des citoyens à part entière. » (p173)

     Plus loin et en ce qui concerne l’esclavage, l’auteur note :

    « De surcroît, la plupart des trafiquants d’esclaves étant eux-mêmes des Africains, ni idéologie, ni lois raciales ne devinrent nécessaires à la justification et au développement de cette activité comme ce fut le cas dans les colonies américaines. Le problème de l’esclavage ne se posait donc pas aux Français de Saint Louis. » (p,173)

     Ce type de réflexion doit évidemment être replacé dans le contexte historique de l’époque, un Sénégal réduit à sa plus simple expression géographique, c’est-à-dire la côte, et à la place marginale du Sénégal dans les affaires françaises, pour ne pas dire son inexistence, alors que la capitale Saint Louis ne comptait que 5 400 personnes, dont 10 % de Blancs à la fin du XVIII° siècle.

     Quid de la métropole et de ses références historiques? Des contacts que les Français pouvaient avoir avec des Noirs, du regard qui pouvait être le leur ?

       Il convient de revenir au discours « historique » de l’auteur sur la connaissance qu’avaient les Philosophes de l’Afrique, et sur celle que pouvaient en avoir les « Français »:

     « Comme l’Afrique retenait assez peu leur attention, les esprits du temps se contentèrent de reprendre et de développer les questions posées par le XVII° siècle. Certaines de ces questions subirent évidemment quelques changements et de nombreuses idées restées jusqu’alors fort vagues  contribuèrent même, une fois cristallisées, à la formation de l’image que se fera le XIX° siècle de l’Afrique. Ce fut au sein de la république des lettres – et cela doit être dit clairement -, que s’élaborèrent, grâce à la lecture des relations de voyage et autres traités de l’époque ces attitudes. Quant aux classes moins éclairées, on peut affirmer, d’après la littérature qui leur était destinée que leur ignorance du continent noir resta entière.

      Quant aux cinq mille noirs résidant en France, ils constituaient la seule source d’information non livresque sur leur race. Pour la plupart esclaves abandonnés ou émancipés et marins sans attache ou serviteurs, se mêlant parfois dans les ports au monde du crime et de la prostitution. Peu nombreux mais faciles à repérer à cause de leur couleur, ils provoquaient un sentiment de crainte chez les Français qui les jugeaient des êtres bas et grotesques. L’opinion populaire rejoignait donc le monde savant dans sa représentation négative de l’Africain. » (p,104).

      Quel roman ! Alors que leur effectif représentait une goutte d’eau dans la population (5 000 par rapport à 22 000 000 environ au XVIII° siècle), qu’il fallait quasiment un miracle pour qu’un habitant des villes en rencontre un, à moins qu’il ne se trouve à Paris ou dans quelque port, et encore moins pour un paysan de nos campagnes qui ne connaissait, et encore, que le bourg le plus proche de son village.

     L’expression « l’opinion populaire » est incontestablement tout à fait incongrue, pour ne pas dire abusive, parce qu’elle ne correspondait ni avec l’état de la France de l’époque, ni avec sa culture populaire, ni avec une analyse historique rigoureuse.

     Le rôle du racisme scientifique : l’historien consacre le chapitre  8 à son analyse en estimant que cette théorie a eu une influence importante sur les Français.

     « Dans la première moitié du XIX° siècle, l’attitude envers les peuples non-européens fut influencée par deux écoles de pensée restées irréconciliables à la fin du XVIIIème siècle. La première, évolutionniste attribuait les différentes cultures et civilisations de ces peuples à l’influence exercée par l’environnement. Elle affirmait également que ces derniers devaient emprunter le temps aidant, les voies qui étaient celles de l’Europe même. La seconde raciste, voyait le destin de ces divers peuples déterminé par la race à laquelle ils appartenaient. Elle s’appuyait essentiellement, non sur l’écologie, comme la première, mais sur la biologie et allait vers 1850, triompher. A une époque où le scientisme était devenu un véritable objet de culte, les thèses racistes qui se disaient corroborées par des découvertes scientifiques menèrent à la diffusion de l’idéologie raciste et à son enracinement dans l’esprit des Français. » (p,292)

      Il convient de rappeler que le pays avait été profondément marqué et transformé par la Révolution, avec l’explosion des vecteurs d’information, c’est-à-dire des journaux de toute nature, parisiens ou provinciaux, et que beaucoup de Français avaient pu découvrir à l’occasion de cette révolution le dossier de l’esclavage et de son abolition.

      Par ailleurs, la république dite des lettres ne connaissait pas l’Afrique noire, il faudra attendre la fin du XIX ° siècle pour cela. Sa curiosité était traditionnellement beaucoup plus tournée vers la Méditerranée, l’Orient, l’Asie ou les Amériques, que le continent noir.

      L’appréciation d’ « enracinement dans l’esprit des Français » parait donc pour le moins aventureuse, alors qu’elle ne s’appuie sur aucune analyse des vecteurs de l’information de cette époque, notamment une presse parisienne et provinciale très dense.

      Comment est-il alors possible d’utiliser l’appellation « les Français » ? Qui étaient-ils ces Français ?

     Que ces nouvelles théories aient eu du succès dans les cénacles intellectuels, incontestablement, mais sans que les historiens aient jamais à ma connaissance mesuré leur influence dans la presse populaire, alors que rares étaient les Blancs qui avaient été en contact avec les Noirs.

      Curieusement, dans la conclusion du chapitre, l’auteur limite la portée de ses considérations, en écrivant :

       « Les Français qui avaient vu les Africains de leurs propres yeux et qui avaient vécu parmi eux n’adoptèrent pas les abstractions racistes les plus poussées que l’on retrouve si souvent chez les anthropologues des années 1850. » (p,361)

      Mais alors, que penser des abstractions et généralisations de l’historien qui tendent à accréditer le fait que les Français étaient racistes sans avoir pris soin de prendre le pouls de la presse de l’époque, et en feignant d’ignorer l’ignorance que les Européens avaient du continent noir à la même époque ?

      Les grandes explorations des Blancs à partir des grands fleuves d’Afrique avaient à peine commencé vers le Nil, le Zambèze, le Congo, le Niger, ou le Sénégal.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que les communications maritimes avec l’Afrique n’étaient pas fréquentes, avant que ne soit inventée la marine à vapeur.

          Pour ne citer qu’un exemple, en 1852, Faidherbe mit deux mois pour venir de Bordeaux à Saint Louis du Sénégal.

        Le dernier chapitre « L’attrait de l’empire » a un contenu difficile à interpréter : qu’a voulu démontrer l’auteur ? Un contenu d’autant plus difficile que l’objet du livre avait retenu la borne historique de 1880, et que chacun sait que le partage de l’Afrique s’effectua après cette date.

      Les bons connaisseurs de l’histoire coloniale savent que les regards croisés entre Blancs et Noirs furent assez différents de ceux, abstraits qu’a décrit l’auteur, des regards contrastés selon les périodes et les régions, unanimes toutefois à dénoncer l’esclavage qui régnait dans la plupart des territoires conquis.

      Comme l’avait relevé d’ailleurs l’historien, en citant deux seuls exemples dans l’Afrique de l’ouest à partir des récits de Raffenel et de Mage dans l’hinterland du Sénégal.

      Le dernier paragraphe du chapitre propose  une conclusion un peu trop sommaire de la rencontre entre les deux mondes blanc et noir :

       « En continuant d’offrir aux Français l’image d’Africains passifs, simples objets entre les mains d’une France débordante d’activités, les projets de domination, puis les projets de domination ne firent que renforcer le stéréotype de l’Africain déjà fortement ancré dans les esprits. La domination du continent noir par les Blancs était aux yeux de ces derniers la conséquence naturelle de la prétendue inégalité qui existait entre les africains et les Européens. » (p,390)

       Un propos un peu contradictoire avec le constat que faisait l’historien dans la page précédente, quant au fait que l’attitude impérialiste n’était pas nécessairement partagée par la majorité des Français, sans qu’on sache d’ailleurs mieux sur quelle source l’auteur s’appuie pour dire l’un ou l’autre.

         L’auteur a résumé dans une postface ses réflexions sur le thème « L’impérialisme et l’image de l’indigène » qui mériterait un autre examen, mais il n’est pas dans l’objet de ce livre, et je n’ai l’intention, ni de l’analyser, ni de le commenter, en notant simplement que le discours est dans la continuité de la thèse d’après laquelle les Français sont racistes, et que leur jugement n’a pas été profondément modifié, les « stéréotypes » continuant donc à fonctionner.

            Ma critique de fond de cet ouvrage portera sur son inadéquation complète d’analyse avec le temps historique, c’est-à-dire l’état de la France au cours des trois siècles considérés, les 16, 17 et 18ème siècle, et complémentairement celui de la culture populaire.

            Mes objections seront en partie tirées de l’histoire de la France elle-même, des travaux de Robert Mandrou sur la littérature de colportage des 16° et 17° siècles, entre autres la Bibliothèque Bleue, et de Raymond Manévy sur l’histoire de la presse.

            XVIème siècle : une France paysanne, inculte et illettrée à plus de 95%, la France des villages, une France des superstitions, des catastrophes, de la misère, des famines, et des guerres.

       Zéro presse ! Qui connait un Africain ? Qui a vu un Noir ?

            XVIIème siècle  et XVIII° siècle: début de l’alphabétisation.

         D’après l’historien Munchembled (p,342), dans les années 1680-1690, 29% des hommes étaient alphabétisés et 14 %  des femmes, et à la fin du 18ème, 47% des hommes et 27% des femmes.

         Il n’est pas fait mention de la diffusion de la langue française qui avait encore de la peine à s’installer.

            Une littérature de colportage prend son essor, notamment celle de la Bibliothèque Bleue de Troyes minutieusement étudiée par Robert Mandrou.

            L’historien en a retrouvé 450 titres, lesquels proposent une image représentative de la culture populaire de cette époque, « l’aspect même d’un sondage », des titres qui accordent une large place à la foi et à la piété, à la mythologie, au calendrier, à la vie quotidienne, à l’histoire de France, avant tout une littérature d’évasion, aux légendes, à la magie, au merveilleux, aux fées…

         «  De 1660 à 1780, on assiste à une popularisation et à une ruralisation des livres à bon marché. » (p,166)

            « A quelques exceptions près (Corneille, La Fontaine et le cas obscur de Perrault), la littérature de colportage ne puise pas dans les écrits « savants » contemporains, ni au XVII° siècle, ni au XVIII° siècle. Ce qui disqualifie toute comparaison avec le livre de poche du XX° siècle qui a largement diffusé des œuvres anciennes et contemporaines » (p,31)

       « Enorme silence, qui signifie nécessairement indifférence à ces continents neufs, à une évocation, même vague, des pays étrangers : ce qui s’étend au-delà des horizons familiers, au-delà de la forêt communale, au-delà du plat pays étalé au pied des remparts… » (p,76)

      « Cette vision du monde  que la Bibliothèque Bleue a diffusée, a répandue dans les milieux populaires pendant plus de deux siècles : qu’il s’agisse des conceptions de l’homme, du monde, de la vie sociale, point n’est besoin de le nier, ni de chercher à les réduire à force de subtilité. » (p,166)

      « Cette littérature demeure, à travers deux siècles, une vision inchangée de mondes, partie réels, partie imaginaires, où les Fées, les saints, les Géants, tiennent autant de place que les hommes ; où l’émerveillement, l’enchantement, le miracle enfin sont si fréquents qu’ils expliquent  le dédain des philosophes du XVIII° pour ces contes « à dormir debout ». La Bibliothèque Bleue par ses lecteurs et ses auditeurs à la veillée, c’est d’abord une évasion. » (p,179)

    Constat : zéro Africain dans ces contes ! Il parait donc difficile de répéter  les Africains et les Français à ce sujet, même si à la fin du dix-huitième siècle, un homme sur deux était alphabétisé et une femme sur trois, mais d’abord dans les villes, où la presse naissait.

    Les journaux des 17° et 18° siècles

     Ainsi que nous l’avons déjà souligné, il parait difficile d’accréditer le discours de l’historien Cohen en faisant l’impasse historique sur l’essor de la presse à partir de la naissance du premier journal : le 31 mai 1631, nait la Gazette Renaudot.

       Tirage de démarrage : 1.200 exemplaires.

       1762 : 12.000 abonnés, dont le tiers à Paris.

       1er janvier 1777 : naissance du premier quotidien français Le Journal de Paris.

       1789 et Révolution  Française : explosion de la presse avec 250 journaux ou assimilés.

        « 1.350 journaux environ parurent de 1789 à 1 800 » (Manévy, p, 48)

      Cette fois, il ne s’agit plus du cercle restreint de la fameuse République des Lettres :

       «  La République des lettres en vérité est un village où tout le monde se connait et se comprend à demi-mot » (p, 108, PUF Lyon)

        Une République des lettres dont l’historien n’a pas présenté, en dehors de son discours des idées, la moindre analyse statistique du discours raciste contenu dans l’ensemble de ses écrits !

      La presse française a continué à se développer au cours du XVIII° siècle, avec la naissance, en 1836, du journal Girardin, dont le nombre d’abonnés passe, entre 1836 et 1846, de 70.000 à 200.000 abonnés.

      Aucune trace d’analyse du contenu historique de ce journal et des autres, de province, dans la thèse Cohen !

      Ce ne sont que quelques exemples, mais il parait tout de même difficile de défendre la thèse du racisme des Français, sans avoir analysé les journaux des époques considérées, au cours des 17ème, 18ème, et 19ème siècles.

     Comme nous l’avons déjà maintes fois relevé dans nos propres analyses de l’histoire coloniale ou postcoloniale telles que certains auteurs nous la racontent aujourd’hui, la presse française parisienne et provinciale n’ a pas fait jusqu’à présent, sauf dans quelques travaux universitaires de type parcellaire, l’objet d’une étude statistique de ses contenus, étude qui accréditerait des discours qui s’inscrivent beaucoup plus dans l’histoire des idées, où tout est possible, plus que dans l’histoire des faits.

Conclusion

      Ce livre est-il un livre d’histoire ?

      Non, compte tenu de la quasi-inexistence des sources et de l’évaluation de ce discours.

    Je serais tenté de dire que l’ouvrage est à classer dans la catégorie des livres idéologiques ou politiques, donc un livre très décevant.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Janvier 2015 barbare à Paris ! Réflexions citoyennes


                La France s’est réveillée, s’est mise debout, a fait mouvement, et suscité un immense espoir pour la défense des libertés.

              Immense espoir d’une société fraternelle et égalitaire, mais pour combien de temps ?

            Sauf, si « l’establishment »  ou « l’établissement » de la France et de l’Europe n’apporte pas les bonnes réponses à toutes les questions que les Français et les Françaises se posent sur le bien vivre et la sécurité dans notre pays.

                 Une simple remarque : il est tout de même étrange que la Présidence Hollande ait engagé trois guerres avec le consensus de notre « établissement », gauche et droite réunies, en oubliant que le pays devait dans le même temps se protéger contre le terrorisme et la propagande islamistes.

             Il est vrai que nos gouvernements n’ont pas eu le courage d’appeler les soi-disant interventions militaires extérieures – baptisées ainsi par certains de nos géo-politologues – les guerres de la France.

              Un exemple tout à fait révélateur : la DGSI chargée de notre sécurité intérieure a un budget de l’ordre de  47 millions d’euros, à peine supérieur à celui d’une institution qui ne sert à rien, la Cité de l’histoire de l’immigration.

Jean Pierre Renaud

La thèse Huillery et ses embrouilles sur l’histoire coloniale de l’AOF!

La thèse Huillery et ses embrouilles sur l’histoire coloniale de l’ancienne Afrique Occidentale Française !

 La forme modernisée et sophistiquée de la nouvelle propagande postcoloniale

Lire les conclusions de l’analyse de cette thèse sur le blog du 4 décembre 2014 sous le titre :

« Les embrouilles de la mathématique postcoloniale »

Avis aux lecteurs: publication des prochains mois

Avis aux lecteurs

Fréquentation de mon blog et annonce de publication d’articles au cours des prochains mois

Fréquentation

        Je remercie les lecteurs qui ont « visité » mon blog en 2014, en particulier les analyses que je leur ai proposées sur les sociétés coloniales (507 visites), la comparaison des empires anglais et français (331 visites), et toujours Edward Said (321).

          Les lettres de la Soummam ont également attiré l’attention des lecteurs (230 visites).

        Je précise qu’en 2013, année au cours de laquelle le thème des sociétés coloniales était inscrit au programme du Capes et de l’Agrégation, le blog  avait enregistré 1 895 visites. Pour les deux années 2013 et 2014, le total des visites est donc de 2 402, un chiffre que je trouve satisfaisant, compte tenu de ma position de chercheur « franc-tireur » en histoire coloniale et postcoloniale.

Annonce de publication

            Analyse et lecture critique du livre « Les Français et les Africains » par William B. Cohen.

            Le 27 octobre 2014, j’ai annoncé cette publication à l’occasion de ma lecture critique d’une chronique du journal Le Monde du 29 août 2014 intitulée «  Afro-Américains et Noirs de France, les Faux Frères » d’Elise Vincent.

            Analyse et lecture critique du livre « Les empires coloniaux », sous la direction de Pierre Singaravélou. (Points 2013)

            « Road movie » de la vie coloniale des années 1930 à travers les récits des auteurs ci-après : Claude Farrère, René Maran, Albert Londres, André Gide, George Orwell, Jacques Weulersse.

            Images coloniales d’Afrique occidentale, centrale, et sud-africaine, avec un détour la  Birmanie coloniale anglaise.

            Une sorte de d’illustration de l’analyse des sociétés coloniales que j’ai publiée sur mon blog en 2013.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique – AVEC POUTINE, LE KGB EST DE RETOUR !

Avec Poutine, le KGB est de retour !

Gare aux mémoires courtes !

            Plus de 25 ans après la chute du Mur de Berlin et du marxisme léninisme révolutionnaire de « l’homme nouveau » communiste, le KGB est de retour avec Poutine.

                Ses initiatives guerrières, faussement neutres, s’inscrivent dans la pure tradition des anciennes dictatures européennes, stalinienne, fasciste et nazie !

                   L’invasion des Sudètes et de  l’Autriche par l’Allemagne d’Hitler avant 1939, cela ne vous rappelle vraiment rien ?

                  Et pour cacher la face, le nouveau maître du KGB a rallumé le spectre de la guerre froide, avec toujours le même ennemi, l’Occident !

               Comme si la pauvre Union européenne existait véritablement comme puissance, et c’est là que le maître du Kremlin a de quoi triompher pour le moment !

Clin d’oeil cinéma « Still the water » et « Calvary »

Quelques films remarquables à revoir ou à voir

Quelques mots tout d’abord sur trois films excellents :

          « Le jour se lève » de Marcel Carné avec Arletty et Jean Gabin,   une belle histoire d’amour tragique à l’ancienne,

         « The Servant » de Joseph Losey, où l’on comprend comment la relation servile de maître à valet peut progressivement s’inverser au profit du valet,

         «  Ariane » de Billy  Winders où la délicieuse Audrey Hepburn s’amourache d’un riche américain séducteur professionnel (Gary Cooper), et finit, à la suite d’une série de quiproquos drôles, par emporter la mise.

         Deux autres films plus sérieux, mais très distrayants, donnent à réfléchir sur notre destinée :

           En premier « Still the water » de Naomi Kwase, un film japonais dont l’intrigue se situe en permanence entre les deux eaux de la vie et de la mort, au bord d’une côte japonaise magnifique.

            Le 13 février 2012, sur ce blog, nous avions dit notre plaisir d’avoir vu le film « Hanezu, l’esprit des montagnes » de la même réalisatrice, Naomi Kawase.

          Elle nous avait offert une première immersion dans la culture traditionnelle  japonaise tout imprégnée  de mythes et de fusion entre les êtres humains et la nature. C’était une vieille et belle histoire de combat entre deux montagnes, avec en fond de décor de très beaux paysages, et l’intrigue d’une histoire d’amour.

        Le nouveau film  « Still the water » nous plonge à nouveau dans cet univers japonais naturel et mystique, dans lequel les êtres humains semblent baigner dans l’entre – deux de la vie et de la mort, avec d’autant plus de force ici, qu’il s’agit de l’histoire d’une jeune femme condamnée à mourir, et entourée jusqu’au bout par sa famille et son entourage, dans le halo d’un monde de l’après…

       De superbes images, ne serait-ce que celles de ces deux adolescents à vélo, avec un garçon qui pédale et une fille debout, juchée sur le porte bagage, qui courent le long d’une côte ensoleillée et magnifique, le garçon, enfant d’une mère à la vie sentimentale agitée, et la fille, enfant de cette mère prête à mourir !

            A égalité, le film « Calvary » de John Michael McDonagh, l’histoire tragique d’un prêtre irlandais, le père James, officiant dans une paroisse des côtes irlandaises, condamné à être exécuté par un de ses paroissiens qu’un prêtre a violé au cours de son enfance.

           Un film qui vous laisse littéralement groggy à la sortie, parce qu’il raconte cette lutte d’un prêtre menacé de mort, mais en même temps prêt au sacrifice de sa vie. Il en connait d’autant  mieux les forces et les faiblesses, qu’il a été ordonné prêtre, après la mort de son épouse, dans une société irlandaise qui est la caricature de notre Occident un gros brin décadent.

         Dans cette mer irlandaise noire agitée, un grand rayon de soleil avec la fille du père James qui retrouve toute sa santé en revenant à ses côtés.

         Le journal La Croix du 26 novembre 2014 a publié une critique positive de ce film, un vrai thriller, et à juste titre, sous le titre « Compte à rebours pour un prêtre irlandais », une critique tout autant courageuse de la part d’un quotidien qui manifeste une belle indépendance d’esprit, en ne craignant pas, comme d’habitude, de ne pas celer les fautes de l’église catholique, apostolique, et romaine, ici, celles bien connues aujourd’hui de l’église d’Irlande.

     Je terminerai en disant que la tragédie de ce prêtre irlandais rappelle, dans des circonstances très différentes, et quasiment opposées, la destinée du prêtre alcoolique et grand pêcheur devant l’Eternel décrit par Graham Green dans le livre « La puissance et la gloire  ».

JPR avec MCV

Humeur Tique: L’élection d’un député à Troyes et le silence des médias sur le taux de participation

Humeur Tique : L’élection d’un député UMP à Troyes et le silence assourdissant des médias sur le taux de participation des électeurs !

1° Tour : 24,63 % des électeurs

2° Tour : 27,15 % des électeurs

            Il fallait véritablement aller à la pêche au renseignement pour connaitre ces chiffres que la plupart des médias se sont bien gardé de publier ou de commenter.

            Pourquoi cacher que notre démocratie est en danger ?

Déjà 2017 ! La France est embarquée sur une nef des fous… Ils se regardent tous le nombril !

Déjà 2017 ! La France est embarquée sur une nef des fous, celle des nombrilistes de la politique et des médias !

Ils se regardent tous le nombril !

            A suivre l’actualité politique française, vous êtes rapidement convaincu que les politiques et les journalistes vous embarquent chaque jour sur une nef des fous. En boucle, en boucle, en boucle ! Avec les journalistes et les politiques dans leur bulle nombriliste !

        Face à ses problèmes, la France a beaucoup de mal à trouver des solutions et à avoir le courage de les mettre en œuvre, alors qu’à gauche ou à droite, avec le plein appui des médias, l’ « établissement » politique et médiatique est déjà en campagne pour les élections présidentielles de 2017.

Ces gens-là sont-ils devenus fous ?

Les nouveaux jeux du cirque !

            En boucle, en boucle, en boucle ! Car l’information ou la manipulation fonctionne ainsi aujourd’hui, 24 heures sur 24, et tous les jours, les journalistes et les politiques braquent leurs caméras et leurs micros sur 2017, comme si la France n’avait pas mieux à faire que de s’occuper de 2017 ?

            Avec le chômage qui continue à augmenter, avec la dette qui continue également à monter, le gouvernement qui mène une politique extérieure, avec trois guerres comprises, sans en avoir les moyens, l’Europe des paradoxes : un Président de la Commission, ancien promoteur des paradis fiscaux, qui nous dit aujourd’hui qu’il va y mettre bon ordre, et un Commissaire aux affaires économiques et budgétaires qui a symbolisé le laxisme du gouvernement français, et qui recommande aujourd’hui la rigueur à la France, etc…

            A la télévision, où que vous regardiez, vous tombez sur des tables rondes, des débats supposés contradictoires, sur des acteurs de la gent politique et médiatique, élus, journalistes, experts, politologues, qui agitent le grelot de l’élection présidentielle 2017, l’effet médiatique en miroir narcissique.

            Un exemple de ce nombrilisme médiatique, celui du Médias le Magazine de France 5 : chaque dimanche, le magazine invite un professionnel expérimenté des médias, hier Ockrent, avant-hier Duhamel, et ce jour, 14 décembre, Pujadas, etc… on se passe le poivre et le sel, on se regarde en miroir, et la vie du pays dans tout cela ?

              Une vraie agence de placement pour journalistes débutants !

            Et l’opinion des citoyens en chair et en os dans ces arènes savantes ? Stop aux sondages d’audience, à la médiamétrie, et tutti quanti… ?

          Avez-vous lu ou entendu ? Une source, un proche, un ministre (sans nom), un parlementaire (sans nom), un conseiller (sans nom), un membre de l’entourage (ou de la cour, toujours sans nom), etc … vous abreuvent de confidences qui n’en sont pas ou plus, tout cela pour faire bouillir la marmite médiatique.

            Et pendant ce temps-là, Poutine avance ses pions entre les pays divisés d’une Europe privée d’Union politique, la France poursuit ses trois guerres au Sahel, en Centrafrique, et en Irak, sans en avoir les moyens, le gouvernement poursuit sa politique en zig- zag, l’ordre public est de plus en plus troublé par des groupes de pression violents qui contestent les autorités légalement élues, etc ….

            Jean Pierre Renaud

L’ancienne Afrique Occidentale Française: « Les embrouilles de la mathématique postcoloniale » -thèse Huillery

LES EMBROUILLES DE LA MATHEMATIQUE POSTCOLONIALE 

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

Autres membres du jury : MM Esther Duflo, MM Jean Marie Baland, Gilles Postel-Vinay,  et Pierre Jacquet

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Rappel de publication des notes précédentes : annonce de publication, le 10 juillet 2014 – avant- propos, le 27 septembre 2014 – Chapitre 1, les 10 et 11 octobre 2014 – Chapitre 3, le 5 novembre 2014 – Chapitre 4, le 6 novembre 2014

Chapitre 2, les 2 et 3  décembre 2014

Notes de lecture critique

VII

Les Embrouilles de la mathématique postcoloniale

Conclusions générales  

S’agit-il d’histoire coloniale économique et financière ?

Une double occasion manquée ! ou triple peut être !

            La thèse de Mme Huillery a été examinée en 2008 par un jury qui comprenait notamment deux économistes de grande notoriété,  Mme Duflo et  M.Piketty.

            Cette thèse avait l’ambition de dire la vérité historique sur la nature des relations économiques et financières entretenues entre la France et l’AOF pendant la période coloniale 1898- 1957, avec les deux conclusions principales ci-après :

–       La France a très faiblement contribué financièrement au développement de l’AOF, le colonisateur blanc ayant été le fardeau de l’AOF, « le fardeau de l’homme noir », et non l’inverse.

–       la politique coloniale des investissements effectués dans les districts (les cercles), entre 1910 et 1928, est la cause des inégalités de développement constatées  en 1995.

          Dans le journal Libération du 2 décembre 2008, Mme Duflo, avait donné le « la » de cette thèse, en déclarant notamment, sous le titre :

              « Le fardeau de l’homme blanc ? »

           « Personne (y compris l’historien qui fait autorité sur la question, Jacques Marseille, dont la thèse avait popularisé l’idée que la colonisation avait été « une mauvaise affaire pour la France) n’avait pris la peine d’éplucher en détail les budgets locaux « 

          Dans le journal Le Monde du 27 mai 2014, et à l’occasion de la remise prestigieuse du Prix du meilleur jeune économiste 2014, Mme Huillery s’est exprimée sous le titre :

            « La France  a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse »

            Et dans le corps des « Propos recueillis par A. De Tricornot. », Mme Huillery vise notamment le cas de l’AOF.

              Cette phrase claque au vent comme un slogan, d’autant plus qu’elle s’inscrit, pour les initiés, dans l’héritage d’un des hérauts du « colonialisme » anglais, Rudyard Kipling, et de tous les autres « hérauts » du grand combat de la « civilisation », telle qu’ils l’imaginaient.

       Comme je l’ai déjà indiqué, les lectures et recherches que j’ai effectuées depuis une dizaine d’années sur l’histoire coloniale et postcoloniale m’ont fait maintes fois regretter que les chercheurs de cette branche de l’histoire n’attachent pas une importance suffisante aux outils statistiques, économiques et financiers  nécessaires à l’évaluation historique des faits ou événements décrits, et à leur cadrage.

      L’histoire coloniale et postcoloniale française souffre d’une sorte de carence des recherches relatives à son histoire économique et financière, alors qu’en tant que telle, et de toute façon, elle n’a jamais occupé une bien grande place dans les universités françaises.

          J’ai donc abordé la lecture et  l’analyse de cette thèse avec beaucoup d’intérêt et de curiosité, mais après l’avoir décortiquée, la démonstration Huillery ne m’a pas convaincu, et je m’en suis expliqué longuement dans les notes de lecture critique que j’ai publiées sur ce blog.

Résumons mes conclusions générales :

        Alors que cette thèse est le résultat d’un important travail de collecte de données analysées avec une grande sophistication des outils utilisés, et en dépit d’une rédaction trop souvent polémique, pourquoi la démonstration proposée ne parait-elle pas pertinente ?

        Chapitre 1 : Où sont passés les comptes extérieurs de l’AOF ?

       Le chapitre 1 brosse le portrait, un brin polémique, de la « littérature » qui existerait sur le bilan économique de la colonisation, une littérature qu’elle juge très insuffisante, fusse celle de l’historien Jacques Marseille !

      La critique principale qui mérite d’être faite sur le contenu de ce chapitre est celle d’une absence d’analyse des comptes extérieurs de l’AOF, une analyse qui aurait pu nous convaincre que dans le cas précisément de l’AOF la thèse Marseille n’était ni fondée, ni vérifiée.

       La consultation de quelques sources historiques d’information nous laisse à penser que le raisonnement historique de Jacques Marseille sur la couverture des comptes extérieurs de l’AOF par des fonds métropolitains publics ou privés pourrait être vérifié également dans le cas de l’AOF.

       Il s’agit là d’une impasse historique d’autant plus surprenante que les données statistiques du commerce extérieur de l’AOF étaient plus facilement accessibles que beaucoup d’autres données recherchées dans des documents de l’époque, notamment ceux tirés des cent-vingt cercles de l’AOF, entre les années 1910-1928, des cercles qui n’avaient généralement pas de base « bureaucratique » stable, encore moins au- delà des côtes africaines.

         Les chercheurs qui ont eu l’occasion de fréquenter l’histoire factuelle des cercles de l’hinterland ont pu le vérifier.

     Chapitres 3 et 4 : des corrélations calculées sur des bases fragiles et avec de grands « trous noirs » (1928 à 1995) !

        Les chapitres 3 et 4, dont l’ambition est de vérifier

      I – qu’il existe bien, pour le chapitre 3,  une corrélation statistique entre les investissements « inégaux » effectués entre 1910 et 1928 dans les cent-vingt cercles de l’AOF, dans la santé, l’éducation, et les travaux publics recensés dans les mêmes cercles et les résultats de modernité recensés dans les mêmes cercles en 1995, parait d’autant moins pertinente, qu’outre la fragilité des sources que constituent ces bases, les calculs de corrélation font l’impasse sur le trou noir relevé par le directeur de cette thèse, entre 1960 et 1995, mais tout autant sur l’autre trou noir de la période 1928-1960.

         II – que le même type de corrélation peut fonctionner entre la base du settlment européen recensé au début du vingtième siècle et le développement des « current performances de tel ou tel cercle, plus de soixante ans après :

       « My central finding is that European settlment remains a positive determinant of current performances » (p,182)

       Au titre des facteurs de cette corrélation, l’auteure fait apparaître le facteur hostility mesurée dans les cercles sur la période 1910-1960, un concept flou et très difficile à définir et à saisir, tout au long d’une période qui va de 1910 à 1960, donc une sorte d’exploit statistique, encore plus dans ce type de territoire.

       Comment expliquer par ailleurs les impasses qui sont faites sur le Sénégal et sur le Bénin, l’ancien Dahomey ?

     Nous avons exprimé un grand scepticisme sur ce type de corrélation pour un ensemble de raisons que nous avons exposées, ne serait-ce que le très faible poids démographique des Européens au cours de la période étudiée.

        Une des questions centrales que  pose ce type d’analyse touche à la définition du capitalisme colonial, tel qu’il a fonctionné en AOF, un capitalisme qui, nécessairement ne pouvait que rayonner à partir des côtes et des nouvelles voies de communication créées, et qui par nature ne pouvait qu’être inégal dans son résultat.

      Le chapitre 2 a fait l’objet de toute notre attention, étant donné que son objectif était de mesurer l’effort financier que la France avait consenti pour l’équipement et le développement de l’AOF, et qu’au résultat, cette thèse concluait au montant négligeable de l’aide financière publique, celle du « contribuable », accordée à l’AOF, et à l’inversion de la formule sur le fardeau de l’homme blanc, ce dernier ayant été en définitive, et après calcul, le fardeau de l’homme noir.

     Ce chapitre a fait l’objet de nombreuses critiques, questions, ou objections, la principale ayant un double caractère, une analyse à la fois en dehors de l’histoire et dans un champ anachronique.

      En dehors de l’histoire ? Il n’est pas pertinent d’analyser le cours et le contenu des relations économiques et financières entre la métropole et l’AOF en faisant l’impasse sur les ruptures des deux guerres mondiales et sur la rupture institutionnelle qu’a constitué la création, en 1946, du FIDES, mettant un terme au principe de la loi du 13 avril 1900, d’après lequel les colonies avaient l’obligation de financer elles-mêmes leur fonctionnement et équipement.

     Dans un champ anachronique ? Nous avons vu par quel tour de passe- passe historique cette analyse avait fait passer l’aide financière de la France de plus de 700 millions de francs 1914 à moins de 50 millions de francs 1914, sans d’ailleurs que la totalité des données chiffrées soit vérifiée.

      La justification qu’en donne l’auteure mérite d’être citée in extenso :

     « En effet en général, un prêt ou une avance ne sont pas considérés comme de l’aide publique, sauf s’ils comportent certaines conditions financières avantageuses mesurant son degré de « concessionnalité » : le concept de « concessionnalité » a été initialement introduit en 1969 par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE. Il impliquait un « élément don » minimum de 25 pourcent. L’élément don est égal à la part de don incluse dans le prêt exprimée en pourcentage de sa valeur faciale, le don étant la différence entre la valeur faciale d’un prêt, calculée sur la base d’un taux d’actualisation constant de 10 pourcent, et sa valeur actuelle nette, calculée sur la base d’un taux concessionnel accordé en réalité par le prêteur. Cette définition est toujours utilisée par les institutions internationales pour calculer l’aide publique au développement. Pour calculer l’aide effectivement apportée par la France, nous allons donc utiliser cette définition, bien qu’elle soit postérieure à la période coloniale. «  (page 91)

       Il est évident que cette méthode de calcul est tout à fait anachronique, outre le fait, comme nous l’avons vu, qu’elle est fondée sur une analyse de concepts financiers non pertinents, un contresens en matière d’emprunt pour la période 1898-1939, une interprétation ambiguë des avances du FIDES, postérieure à 1945, et sur une impasse des données postérieures à 1957, pour la période encore coloniale des années 1957-1960.

     En résumé, je ne suis pas convaincu que le luxe de cette mathématique postcoloniale permette de bien mesurer le « poids » du fardeau de l’homme blanc ou noir.

      Cette thèse fait par ailleurs une autre sorte d’impasse sur un certain nombre d’acquis que la colonisation a tout de même apporté à l’AOF :

     – une paix civile qui se substitua très souvent aux guerres traditionnelles qui troublaient la vie de ces territoires,

   – l’introduction d’une nouvelle forme d’Etat moderne, un système juridique et judiciaire cohérent, quoiqu’on puisse en dire, et même s’il fut à la fois égalitaire et discriminatoire avec le Code de l’Indigénat, avec beaucoup de jalons de vie commune et de conscience collective, au niveau de chacune des colonies devenues des Etats indépendants en 1960,

     – l’introduction d’un système monétaire et financier moderne articulé sur une organisation internationale, un instrument monétaire d’échange commun dans toute la Fédération qui eut d’ailleurs du mal à s’imposer, face à celui traditionnel des cauris ou de la monnaie anglaise,

      – l’introduction d’une langue de communication régionale qui n’existait pas, et enfin sur l’évolution de la démographie tout au long de la colonisation, évidemment plus favorable dans les zones des pôles de développement, c’est à dire sur les côtes à présent ouvertes sur le grand large.

&

Pourquoi ce regret d’une double occasion manquée, pour l’exemple ?

     Une première occasion manquée pour l’exemple pédagogique, celle de voir la jeune et nouvelle Ecole d’Economie de Paris, promouvoir une lecture quantitative modernisée de notre histoire coloniale, des relations économiques et financières ayant existé entre la métropole et les colonies, tout au long de la période coloniale, ce qui n’a pas été le cas !

     Une deuxième occasion manquée sur le terrain même des thèses de doctorat portant sur l’histoire coloniale ou postcoloniale, et de leur « intérêt scientifique », réel, supposé et vérifié par le jury de thèse. Il aurait été très intéressant d’avoir accès au rapport ou aux rapports qui ont pu être communiqués au jury, à l’avis lui-même de ce jury, afin de savoir si le jury, dans son ensemble, avait entériné le contenu de cette thèse, en tout ou en partie. (Arrêtés des années 1992 et 2006)

     Je me suis déjà exprimé sur ce sujet sensible à plusieurs reprises, en arguant de l’argument principal d’après lequel la soutenance publique était un vain mot, étant donné qu’il n’en restait aucune trace publique, susceptible d’éclairer la position qu’avait prise un jury sur telle ou telle thèse.

      Sur ce blog, et le 11 janvier 2010, j’ai déjà traité ces questions et fait référence, dans un post-scriptum, à la thèse Huillery,  que je venais de lire une première fois.

    Avec une troisième occasion manquée sur le bilinguisme de cette thèse rédigée moitié dans la langue « colonialiste » française et moitié dans la langue « colonialiste » anglaise !

     Je ne sais pas si la législation des thèses de doctorat soutenues dans l’Université Française, autorise le bilinguisme, mais dans le cas d’espèce, et compte tenu d’un des objectifs de cette thèse, convaincre les Africains de l’Ouest que la colonisation française a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse, je cite le texte de la page 120 :

      « Nombreux sont encore les habitants des Etats de l’ancienne Afrique Occidentale Française qui pensent devoir à la France leurs écoles et leurs routes, leurs hôpitaux et leurs chemins de fer. Puisse ce travail leur permettre de réaliser que ce sont leurs propres ressources, financières et humaines, qui ont permis la réalisation de la quasi-totalité de ces équipements. Puissent-ils également réaliser que la colonisation leur a fait supporter le coût d’un personnel français aux salaires disproportionnés et de services publics chers et mal adaptés . Le bilan économique de la colonisation pour les anciennes colonies est impossible à établir par manque de contrefactuel, mais il ne fait pas beaucoup de doute qu’il soit négatif étant donné la nullité de ses gains. »

      Pourquoi ne pas avoir opté pour une autre rédaction bilingue, le français « colonialiste », et au choix, une des langues de cette région d’Afrique, le fula, le wolof, le malinke, le bambara, pour ne pas citer toutes les autres chères aux anthropologues africains ou européens, férus en sciences ethniques ou non ethniques, une rédaction bilingue qui aurait au moins permis à une partie d’entre eux d’avoir accès à ces « Embrouilles de la mathématique postcoloniale » ?

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