Esclavage et colonisation, mémoire ou histoire, pourquoi ne pas tout mélanger?

Esclavage et colonisation, mémoire ou histoire, pourquoi ne pas tout mélanger ?

Réparations et repentance ?

Les pérégrinations du roi Hollande dans les Caraïbes, ses multiples déclarations, associées au remue-ménage causé par la réforme du collège sur les programmes d’histoire ont une fois de plus provoqué beaucoup de réactions dans les milieux politiques, médiatiques, et intellectuels.

Guillaume Goubert dans la Croix du 12 mai 2015, intitulait son éditorial :

« Repentance et fierté

Les examens de conscience sur la colonisation ou la traite négrière suscitent de vives réactions »

De son côté, Le Monde du 14 mai 2015, publiait une chronique relative à la réforme du programme du collège (page 7), avec un premier article, « Le programme d’histoire idéal n’existe pas » et un deuxième article, « Des historiens dénoncent lacunes et manque de cohérence », dans lequel le journal donnait la parole à M.Nora, lequel déclarait :

« Il faudrait faire en sorte que « les enfants de France aient de bonnes raisons de se sentir français », plaide-t-il, en déplorant « un penchant à l’exagération dans le masochisme national et colonial. »

Puis à M. Winorcka en rappelant sa mise en garde, dans le Journal du Dimanche, contre le risque de transformer l’histoire en morale. « Indigènes de la République, Vendéens, anciens combattants, Arméniens, descendants d’esclaves… tous ces groupes revendiquent leur place dans l’histoire. Le danger est de transformer l’histoire en histoire des victimes. »

Evoquons successivement les deux sujets de l’esclavage et de la colonisation.

Les esclavages, au pluriel

M.Hollande a été inaugurer un musée sur l’esclavage en Guadeloupe. Très bien ! Mais qu’il le veuille ou non, ou le souhaite-il peut-être, cette commémoration faite à coup de grosses trompettes, pourrait laisser croire aux ignorants, que la France a joué un rôle majeur dans la traite des esclaves des Caraïbes et des côtes américaines, en faisant l’impasse sur les traites de marque anglo-saxonne beaucoup plus importantes.

Une France toujours au premier rang pour commémorer les destinées tragiques de toutes les victimes, la seule à l’assumer, dans le cas des Caraïbes ?

L’histoire ferait ainsi l’impasse sur tous les autres flux de la traite négrière, ceux dirigés vers les pays de l’est arabe et musulman, et en premier lieu sur ceux qui ont nourri ce trafic humain, c’est-à-dire ceux d’origine africaine elle-même ?

Il n’est pas besoin d’avoir beaucoup lu de récits sur l’état du continent africain, notamment dans ses territoires de l’ouest pour savoir que beaucoup de ses émirs, Almamy, et rois, avaient l’habitude de procéder souvent à des razzias d’esclaves destinés à alimenter leurs armées, leur cour, ou la traite négrière elle-même.

Pourquoi ne pas rappeler qu’à la fin du dix-neuvième siècle, et pour la seule Afrique de l’Ouest, devenue « provisoirement » française, les Almamy Samory et Ahmadou, ainsi que le roi Béhanzin d’Abomey, étaient des esclavagistes, ce dernier, à quelques encablures du fameux port de Ouidah, commémoré de nos jours comme un des hauts lieux de mémoire de l’esclavage ?

Pourquoi ne pas rappeler aussi qu’une fois les conquêtes faites, la France a supprimé l’esclavage qui sévissait dans ses nouvelles colonies, dans des conditions qui n’ont pas toujours été satisfaisantes, compte tenu de toutes les difficultés d’application de ces mesures, liées à la fois à la culture des sociétés africaines et à leur pauvreté ?

Qui, en France, de nos jours sait par exemple, que c’est Gallieni qui a supprimé en 1896 l’esclavage à Madagascar ?

Alors, oui, il est nécessaire de rappeler la mémoire de cette traite abominable, mais en ne laissant pas dans l’ombre, les responsabilités des différents « partenaires », au risque de laisser croire, peut-être à juste titre, que derrière ce débat se cache l’épineuse et insoluble question des réparations financières, doublée d’une sempiternelle demande d’assistance que justifierait ce passé.

Lors de son passage en Guadeloupe, le Président a tenu des propos fort imprudents en ce qui concerne un vieux contentieux avec Haïti, qu’il a d’ailleurs aussitôt démenti en faisant une escale dans cette île.

Rappelons le compte rendu qu’en a fait le journal Le Monde, le 12 mai 2015, dans l’article intitulé : « Hollande aux Antilles, c’est Noël en mai »

Le 14 mai, le même journal titrait en première page « Haïti – Hollande reconnait la « dette morale » de la France », mais le compte-rendu du même journal notait « Des propos du chef de l’Etat avaient laissé espérer aux Haïtiens des réparations financières »

« Des manifestants affichaient une pancarte indiquant leurs exigences : « Argent oui, morale non »,

Le journal intitulait d’ailleurs une partie de sa chronique :

« Gaffe d’envergure »

Le journal Ouest France du 12 mai 2015, proposait sa lecture de l’escale du Président à Cuba (page 2) :

« Sauf qu’en réalité, personne n’a attendu le conquistador Hollande, escorté par sept ministres et une escouade de dirigeants d’entreprises (Accor, GDG Suez…), François Hollande est donc plutôt en mission de rattrapage. Il n’empêche, sa prétention à damer le pion aux Occidentaux agace : « Cuba c’est un très petit marché. Un pays de 11,5 millions d’habitants, la moitié de l’Ohio » minorait, hier, à Paris, Stefen Selig, le sous- secrétaire d’Etat américain au commerce. »

Colonisation et repentance

Il s’agit très largement d’un débat « pourri » pour tout un ensemble de raisons, avec au moins quatre principales :

Première raison principale : l’histoire de l’Algérie, avec la ou les mémoires de la guerre d’Algérie !

A lire ou à écouter certains historiens, intellectuels, ou politiques, l’histoire de la colonisation se résumerait à celle de l’Algérie, et encore plus à celle de la guerre d’Algérie.

Un historien de l’Algérie, aujourd’hui très bien en cour, développe ce type de discours ambigu.

Une nouvelle propagande qui pourrait laisser croire que dans cette guerre, tout était noir du côté français, et tout était blanc du côté rebelle, que les « saloperies », pour ne pas dire les crimes de guerre, n’ont été commises que dans un camp, ce qui est évidemment faux.

Pour avoir servi la France en Algérie, comme officier du contingent dans les SAS, je regrette depuis longtemps que les Accords d’Evian qui ont scellé l’indépendance de l’Algérie aient stipulé que toutes les exactions commises pendant ce conflit seraient amnistiées.

A la vérité, des crimes de guerre ont été commis dans les deux camps et si ladite repentance devait se manifester elle devrait l’être par tous ceux qui, au service de la France, ou au service du FLN, en ont été les auteurs.

Beaucoup de ceux qui ont servi la France en Algérie n’ont pas commis de crime de guerre, le seul crime dont il serait possible de les accuser est celui d’avoir servi la France.

En serait-il de même dans l’autre camp avec les attentats et l’assassinat en particulier des membres du MNA, les vendettas de clans, ou enfin l’assassinat de nos harkis ?

Deuxième raison principale, et en dépit de ceux ou celles qui racontent, le plus souvent « d’en haut » (autre façon d’exprimer l’ethnocentrisme blanc), avec un parti pris idéologique ou politique, et au dire des « témoins » dits d’« en bas », la colonisation n’a pas non plus été, ou tout noire, ou tout blanche, mais mélangée, mixte, avec des ombres mais aussi des lumières.

Je ne citerai à ce sujet que le seul témoignage d’Hampâté Bâ, ce grand lettré d’une Afrique occidentale, anciennement française :

« Une entreprise de colonisation n’est jamais une entreprise philanthropique, sinon en paroles… Mais, comme il est dit dans le conte Kaïdara, toute chose a nécessairement une face diurne et une face nocturne. Rien, en ce bas monde, n’est jamais mauvais de A jusqu’à Z et la colonisation eut aussi des aspects positifs, qui ne nous étaient peut-être pas destinés à l’origine mais dont nous avons hérité et qu’il nous appartient d’utiliser au mieux. Parmi eux, je citerai surtout l’héritage de la langue du colonisateur en tant qu’instrument précieux de communication entre ethnies qui ne parlaient pas la même langue et moyen d’ouverture sur le monde extérieur – à condition de ne pas laisser mourir les langues locales, qui sont le véhicule de notre culture et de notre identité. » (« Amkoullel, l’enfant peul » Babel, page 492).

En ce qui concerne l’analyse récente des problématiques de citoyenneté par Frederick Cooper, un historien « d’en haut », parce qu’appartenant au monde occidental, tend à démontrer qu’en 1945, les « évolués », politiques ou syndicalistes du monde africain aspiraient à la citoyenneté française, en dépit de tous les « méfaits » de la colonisation.

Il est notoire qu’avant, mais tardivement, surtout après les indépendances, les intellectuels des nouveaux Etats d’Afrique noire se sont efforcés, avec plus ou moins de succès, d’écrire ou de réécrire leur roman national, à l’exemple de ce que la France a su faire pour son propre roman national, mais avec beaucoup plus de difficulté dans les contrées où la source principale des histoires ou de l’histoire reposait sur les épaules des griots, c’est-à-dire des traditions orales.

Troisième raison principale, une ignorance béante de l’histoire coloniale aussi bien de la part des citoyens de la plupart des anciens pays colonisés, de leurs descendants en France, que des Français eux-mêmes !

C’est la raison pour laquelle il est possible de nos jours de dire ou d’écrire n’importe quoi, et cette ignorance fait le lit d’une nouvelle propagande postcoloniale qui est d’autant plus efficace qu’elle nourrit le cahier de doléances permamentes de certains partis politiques de métropole ou d’outre-mer.

Un ou plusieurs courants de chercheurs, plus ou moins pertinents, avec l’appui d’intellectuels ou de politiques, surfent de nos jours sur la mauvaise conscience, un humanitarisme sympathique qui est venu fort opportunément se substituer au marxisme, des adeptes affichés ou clandestins de la fameuse repentance nationale.

Ils feraient bien d’aller porter la bonne parole dans le monde anglo-saxon, russe, ou chinois…

Quatrième raison principale : des enjeux électoraux ou financiers trop souvent cachés, aussi bien dans nos outre-mer actuels que dans certaines banlieues françaises.

A lire les journaux ou à regarder la télévision, le dernier voyage du Président Hollande a été un modèle de propagande électorale, déjà pour 2017, mais ses prédécesseurs ne faisaient pas mal non plus dans le genre.

Les électeurs auraient sans doute été intéressés par un reportage circonstancié et fouillé sur les paradis fiscaux et mondains de certains outre-mer français, entre autres ceux des îles Saint Martin et Saint Barthélemy, « Saint Barth » pour les intimes !

Ajoutons qu’à l’arrière-plan de beaucoup de revendications « hallucinées », se profilent souvent des questions de gros sous, et en ce qui concerne certains acteurs des outre-mer français anciens, une demande d’assistance permanente qui trouverait sa justification dans les péchés coloniaux de la France.

Jean Pierre Renaud

Quel pastis autour du programme d’histoire des collèges!

Quel pastis autour du programme d’histoire des collèges !

Il est vivement recommandé à tous les beaux esprits, animés le plus souvent d’arrière-pensées idéologiques, politiques, et au mieux humanitaires, de se remettre en mémoire historique quelques éléments d’information.

Pourquoi ne pas rappeler qu’en ce qui concerne les durées, la durée du « colonialisme » fut relativement courte, de l’ordre de 50 à 80 ans, par rapport à la longue histoire de la France et de l’Afrique ?

Dans Histoire générale de l’Afrique (UNESCO) Tome VII « L’Afrique sous domination coloniale », 1880-1935, l’historien ghanéen A.Adu Boahen utilisait le mot d’interlude :

« En conclusion donc, bien que le colonialisme ait été sans aucun doute un simple chapitre dans une longue histoire, un épisode ou un interlude (1) dans les expériences multiples des peuples d’Afrique, qui n’a duré nulle part plus de quatre-vingt ans, il s’est agi d’une phase extrêmement importante du point de vue politique, économique, et même social. Il a marqué une nette coupure dans l’histoire de l’Afrique ; le développement ultérieur de celle-ci, et donc de son histoire, a été et continuera à être très influencé par l’impact du colonialisme. Il prendra un cours différent de celui qu’il aurait suivi si cet interlude n’avait pas existé. » (page 864)

Ne serait-il pas utile aussi de relire un des passages du livre d’Herbert Lüthy (2) dans « A l’heure du clocher » pour remettre à l’heure les pendules historiques et mémorielles d’une France qui n’a jamais été aussi « colonialiste » qu’aujourd’hui, aux dires des thuriféraires de cette nouvelle propagande postcoloniale :

« Telle était à peu près le rôle de l’Empire dans l’historiographie populaire : une agitation obscurément suspecte dans l’arrière-boutique de la république. Le peuple n’avait rien à voir avec ces machinations du Comité des Forges, de la Haute Finance, des Congrégations et de la caste militaire, enragés à reconstruire outre-mer les bastilles qu’il avait rasées dans la mère patrie. » (page 141)

J’ajouterai à cette liste la franc-maçonnerie.

  1. (1) Au Petit Robert 1973 : interlude, « Petit intermède dans un programme dramatique… courte pièce exécutée entre deux autres plus importantes.
  2. Herbert Lüthy, journaliste suisse, séjourna à Paris entre 1946 et 1958

Jean Pierre Renaud

« Situations coloniales » d’Afrique ou d’Asie -3ème Partie

« Situations coloniales » d’Afrique ou d’Asie, avec le regard de voyageurs romanciers et géographes »
Années 1905- 1931
La 2ème partie a été publiée le 18 mai 2015
3ème Partie
II – Les scènes coloniales

Les scènes décrites dans les romans choisis s’inscrivent évidemment dans une chronologie de domination coloniale aux caractéristiques différentes, entre la première période de conquête et de mise en place des premières bases de la colonisation, les récits de Conrad, de Farrère, et de Maran, et la deuxième période qui suivit la première guerre mondiale, celle de la consolidation coloniale, avec les récits de Gide, d’Albert Londres, de Weulersse, ou d’Orwell.

Mais la lecture de ces récits de voyages ou de « fiction » romanesque donnera la possibilité aux lecteurs de découvrir à la fois le patchwork qu’était le monde africain des années 30, en allant de l’ouest à l’est, et du centre au sud, mais avant tout le grand écart de « modernité » qui séparait ces morceaux du patchwork colonial, la variété infinie des scènes, avec une très faible pénétration occidentale dans beaucoup de territoires, en contraste avec l’explosion industrielle et urbaine qui saisissait déjà les Afriques centrales et australes.

Une des œuvres choisies, « Une histoire birmane » de George Orwell, a pour objectif de proposer une ouverture sur la colonisation britannique en Asie, la Birmanie, d’après la première guerre mondiale.

Dans son livre « Les civilisés » couronné par le prix Goncourt 1905, Claude Farrère faisait la description romancée de la nouvelle vie de la société coloniale de Saigon au début du vingtième siècle, une société jouisseuse et décadente.

Ancien officier de marine ayant bourlingué sur les mers du globe, il savait de quoi il parlait, même si le roman pouvait quelquefois avoir un caractère satirique un peu trop prononcé.

Le croiseur le Bayard sur lequel naviguait l’officier de marine de Fierce venait d’accoster à Saigon et ce dernier profitait de ses heures de liberté pour découvrir et apprécier la vie mondaine de la bonne société coloniale de Saigon, festins, fêtes, alcool, et débauches….

Le récit du dîner du contre-amiral, commandant la deuxième division de l’escadre de Chine chez le lieutenant- gouverneur Abel, dîner auquel assistait de Fierce vaut son pesant d’opium :

De la bouche du lieutenant-gouverneur Abel :

« – Le Chinois est voleur et le Japonais assassin ; l’Annamite, l’un et l’autre. Cela posé, je reconnais hautement que les trois races ont des vertus que l’Europe ne connait pas, et des civilisations plus avancées que nos civilisations occidentales. Il conviendrait donc à nous, maîtres de ces gens qui devraient être nos maîtres, de l’emporter au moins sur eux par notre moralité sociale. Il conviendrait que nous fussions, nous les colonisateurs, ni assassins, ni voleurs. Mais cela est une utopie…

  • Une utopie. Je ne réédite pas pour vous, mon cher amiral, les sottises humanitaires tant de fois ressassées à propos des conquêtes coloniales. Je n’incrimine point les colonies : j’incrimine les coloniaux, – nos coloniaux français,- qui véritablement sont d’une qualité par trop inférieure.
  • Pourquoi ? interroge quelqu’un.
  • Parce que, aux yeux unanimes de la nation française, les colonies ont la réputation d’être la dernière ressource et le suprême asile des déclassés de toutes les classes et des repris de toutes les justices. En foi de quoi, la métropole garde pour elle soigneusement, toutes ses recrues de valeur, et n’exporte jamais que le rebut de son contingent. Nous hébergeons ici les malfaisants et les inutiles, les pique-assiette et les vide-gousset. – Ceux qui défrichent en Indochine n’ont pas su labourer en France ; ceux qui trafiquent ont fait banqueroute ; ceux qui commandent aux mandarins lettrés sont fruits secs de collège ; et ceux qui jugent et qui condamnent ont été quelquefois jugés et condamnés. Après cela, il ne faut pas s’étonner qu’en ce pays l’Occident soit moralement inférieur à l’Asiatique, comme il l’est intellectuellement en tous pays. (page 97)

La scène coloniale que décrivait Claude Farrère, c’est-à-dire essentiellement la capitale de l’Indochine, Saigon, donnait déjà l’aspect d’une cité moderne dotée de belles villas, d’un réseau électrique, de moyens de locomotion, de cafés, d’un théâtre.

La description du grand bal du gouverneur général mérite également un détour de lecture:

« Tout Saigon était là. Et c’était un prodigieux pêle-mêle d’honnêtes gens et de gens qui ne l’étaient pas, – ceux-ci plus nombreux : car les colonies françaises sont proprement un champ d’épandage pour tout ce que la métropole crache et expulses d’excréments et de pourriture.- Il y avait là une infinité d’hommes équivoques, que le code pénal, toile d’araignée trop lâche, n’avait pas su retenir dans ses filets : des banqueroutiers, des aventuriers, des maîtres chanteurs, des maris habiles, et de quelques espions ; – il y avait là une foule de femmes mieux que faciles, qui toutes savaient se débaucher copieusement, par cent moyens dont le plus vertueux était l’adultère. – dans ce cloaque, les rares probités faisaient tache. » (p,197)

Il s’agit avant tout d’un roman libertin dont les intrigues entre les sexes tournent autour de trois personnages, un officier de marine, Fierce, en escale, un médecin, Mévil, perclus de drogues et de débauches, et un ingénieur, Torral, tourné vers le sexe « fort », tout trois obsédés de sexe et d’aventures.

Le roman décrit ces romances libertines, mais paradoxalement, Fierce et Mévil en arrivent, au bout de leurs débauches, à espérer gagner la main et le cœur de deux femmes vertueuses, celle d’une jeune femme pupille, Sélysette, en ce qui concerne Fierce, et tout simplement celle de la fille du lieutenant- gouverneur pour Mévil.

Compte tenu de leur petit nombre, les femmes vertueuses avaient en effet fort à faire pour ne pas succomber aux entreprises très hardies des messieurs débauchés.

Le roman expose les nouvelles addictions des « civilisés », maîtresses ou congaïs, whisky, cocaïne, opium, et à l’occasion, les nombreuses « pipées » de Torral,

L’auteur décrit la vie mondaine de Saigon, les jeux au « Cercle » colonial, sorte de répondant des « Club » anglais, les diners, les excursions, mais avant tout une société coloniale avide de plaisirs artificiels ou non.

Le récit se développe sur un fond de rivalité et de guerre avec la Grande Bretagne, c’est à dire une flotte beaucoup plus puissante que la française, et fait à un moment donné un sort à une grande opération de pacification au Cambodge, c’est-à-dire l’écrasement d’une révolte indigène, « l’ordre de Paris était de massacrer les pirates » (p,249).

Ce qui fut fait, les 58 pirates eurent la tête coupée, selon la coutume de ces régions, et l’officier Fierce, saisi par la fureur de cet affrontement, commit un viol sur une jeune fille.

Un fond de rivalité franco-anglaise qui trouve son dénouement à la fin du récit, au large du Cap Saint Jacques avec la défaite de la petite flotte française de sept torpilleurs face à la flotte anglaise de neuf cuirassés de ligne, une défaite qui vit la mort héroïque de l’officier Fierce, chargé en tous points de sauver « l’honneur ».

Le roman de Claude Farrère illustre à sa façon la plupart des situations coloniales françaises qui n’incitaient pas les femmes à l’expatriation, avant la révolution des transports et celle de la santé.

En raison des conditions de vie sanitaire et sociale, les femmes européennes mirent beaucoup de temps à rejoindre la plupart des colonies. Beaucoup de ces femmes avaient alors le profil des aventurières, à l’exemple de beaucoup d’hommes qui n’étaient venus que pour l’aventure coloniale, tel ce gouverneur épousant par exemple, en Indochine, sa femme de chambre…

Lyautey racontait dans l’une de ses lettres « Lettres du Tonkin et de Madagascar » l’inauguration de la nouvelle ligne de chemin de fer Hanoï – Lang-Son et son retour dans le train des officiels en compagnie du demi-monde des gens d’Hanoï. L’anecdote a été citée dans un de mes textes intitulés « Gallieni et Lyautey, ces inconnus »

Et dans une autre de ses lettres (1896), avant son départ d’Hanoï pour Saigon, il relatait quelques-unes des mondanités d’Hanoï qui donnent un éclairage sur la composition et la vie de cette société coloniale :

Le versant français d’Hanoï:

La découverte, janvier 1895 :

« Et les nouveaux venus comme moi, dans cette ville à guinguettes et à lumière électrique, à société philharmonique et à loge maçonnique, ont peine à se figurer que ce soit d’hier cette histoire déjà reculée par la légende aux arrière-plans, 22 ans seulement depuis Garnier, 11 ans depuis Rivière… » (LT/p,218)

Après la première guerre mondiale, les récits décrivaient déjà un autre monde colonial.

Dans « Terre d’Ebène », Albert Londres dépeint un processus de colonisation française qui ressemble, à l’exception du Congo, à une sorte de train-train où l’administration, c’est-à-dire les « Commandants », les administrateurs coloniaux y jouant le premier rôle.

Peut-être conviendrait-il de préciser que cette situation résultait d’un manque de ressources et de la passivité de la métropole, que l’auteur dénonçait à maintes reprises !

Albert Londres commença son voyage au Sénégal, une colonie qui avait la particularité de compter sur son territoire quatre communes de plein exercice, comme en métropole, et des habitants qui avaient la qualité de citoyens, une exception historique, car dans le reste des colonies, la citoyenneté française n’était accordée qu’au compte-gouttes.

Après Dakar, le journaliste emmenait ses lecteurs dans le bassin du Niger, faisait halte à – « Tombouctou ! Brûlant labyrinthe ! » (p,83) – une ville qui fut longtemps aussi mystérieuse qu’inconnue, et dont la conquête causa une grande désillusion, à la mesure de toutes celles qui furent celles des Français les plus avertis sur les richesses de l’Afrique de l’ouest.

Albert Londres se rendit ensuite à Ouagadougou, la capitale de la Haute Volta d’alors (le Burkina-Fasso), qui ne comptait que 300 européens, où y fît la connaissance du Moro Naba, le grand prince indigène des lieux. Il en décrivait les mœurs, les mariages, à la manière d’un ethnologue, mais il s’attardait beaucoup sur la façon dont le réseau routier avait été construit :

« Ah ! Les belles routes ! On ne peut rien imaginer de mieux. Je ne plaisante pas ; demandez plutôt aux indigènes ! Elles sont d’autant plus remarquables qu’elles ne nous ont pas coûté un cauri.

On n’a dépensé que du nègre. Sommes-nous si pauvres en Afrique noire ?

Pas du tout ! Le budget du gouvernement général possède une caisse de réserve de je ne sais combien de centaines de millions… » (p,104)

Il n’est pas dans mes intentions de critiquer ce type d’analyse qui ne rendait compte que d’une partie du problème de financement des équipements de l’Afrique Occidentale Française et des budgets en général.

Comme je l’ai longuement exposé sur ce blog dans mes analyses de la thèse de Mme Huillery, cette dernière s’est efforcée de démontrer, sans succès à mon avis, que, contrairement à ce que le vulgum pecus croit ou ne croit pas, et en AOF précisément, ces territoires avaient été en définitive une bonne affaire pour la France.

A Bobo Dioulasso, le journaliste y décrivait des femmes à plateaux, et son récit était émaillé d’observations sur les mœurs des noirs, leurs croyances, l’importance des féticheurs, des sorciers.

Au Dahomey (le Bénin), le journaliste relevait :

« Royaume des féticheurs, c’est-à-dire du poison, le Dahomey est dans la main des sorciers. » (p,176)

Jusqu’au Gabon, c’est-à-dire au « drame du Congo Océan » (p,186), le lecteur fait la connaissance d’une Afrique traditionnelle qui commençait à être chahutée par la colonisation, les premières initiatives des « commandants » avec les nouveaux impôts qui n’existaient pas jusqu’alors, plus que par les autres blancs, de rares colons, et avant tout par la construction d’un réseau de pistes routières couvrant une Afrique qui en était privée.

Albert Londres se rendait alors à Pointe Noire et au Congo, pour voir le fameux chantier de la construction du nouveau chemin de fer du Congo- Océan dont les abus défrayaient déjà la chronique politique et journalistique depuis des années, une idée coloniale bien française qui s’inscrivait, vu les immenses difficultés de l’entreprise, à travers la forêt et le massif infranchissable du Mayombe, qu’avaient traversé quelques années auparavant Brazza et Marchand, en dehors de tout sens des réalités, dans le catalogue des folies coloniales.

A Pointe Noire, le journaliste découvrait :

« Pointe Noire ! Assez noire !

Un Portugais, un Pétruquet, comme disent les nègres, a construit là un petit kiosque, c’est l’hôtel, le restaurant c’est tout ! C’est la tente des naufragés… C’est la colonie au premier âge. Pointe Noire n’existe qu’en espérance. Pointe Noire aura cent mille habitants… Pour l’heure, Pointe Noire a surtout un phare, un hôpital et une douane… » (p,195)

« Deux jours plus tard, j’eus mes porteurs. De Pointe Noire j’allais gagner Brazzaville et voir comment on construisait le chemin de fer. Cinq cent deux kilomètres en perspective…

Mes vingt-sept Loangos sont là (ses porteurs)…ils présentent le tipoye. C’est la première fois que je monte dans un instrument de cette sorte… Les porteurs posent le brancard sur leur tête…Et les voilà qu’ils trottent. Quant à moi, assis au- dessus d’eux, dans mon bain de siège, mes jambes pendent comme celles d’un pantin et mon torse, de haut en bas, s’anime comme un piston en folie… »

Après avoir fait dans le premier « tacot » de chemin de fer les soixante-dix-sept premiers kilomètres déjà construits, Albert Londres découvrait le fameux chantier :

« J’arrivai au sentier de fer.

La glaise était une terre anthropométrique ; on y voyait que des empreintes de pied. Là, trois cents nègres des « Batignolles » frappaient des rochers à coups de marteau… « Allez Saras, allez ! Les contremaîtres blancs étaient des Piémontais, des Toscans, des Calabrais, des Russes, des Polonais, des Portugais. Ce n’était plus le Congo-Océan, mais le Congo-Babel. Les capitas et les miliciens tapaient sur les Saras à tour de bras…

Et j’arrivai à la montagne de savon. Pendant trois heures j’allais me comporter ainsi que la pierre de Sisyphe. Tous les cent mètres je glissais et, après avoir tourné comme toupie ivre, interrompant mon ascension, je piquais du nez ou je m’étalais sur le dos… On atteignit le sommet ? On redescendit… Deux cent nègres, sur le sentier même, étaient accroupis le long d’un gros arbre abattu. C’était une pile de pont. Ni cordes ni courroies, les mains des nègres seulement pour tout matériel. Comme chefs : deux miliciens, trois capitas, pas un blanc…

Un milicien comptait : « Oune ! doe ! tôa ! » et, pris soudain d’un accès d’hystérie, possédé par le démon de la sottise, il courait sur cette pile qu’il voulait qu’on soulevât et cinglait les pauvres dos courbés. Les dos ne bronchaient pas… (p,204)

Cela eut lieu le 22 avril, entre onze heures et midi, sur la route des caravanes, après avoir passé la montagne de Savon, deux kilomètres avant M’Vouti. »

Les malades et les morts :

« Je pensais qu’entre octobre 1926 et décembre 1927, trente mille noirs avaient traversé Brazzaville « pour la machine », et que l’on n’en rencontrait que mille sept cents entre le fleuve et l’Océan !

Je me répétais que de l’autre côté, les Belges venaient de construire 1 200 kilomètres de chemin de fer en trois ans, avec des pertes ne dépassant pas trois mille morts, et que chez nous, pour 140 kilomètres, il avait fallu dix-sept mille cadavres.

Je me répétais que si le Français s’intéressait un peu moins aux élections de son conseiller d’arrondissement, peut-être aurait-il, comme tous les peuples coloniaux, la curiosité des choses de son empire, et qu’alors ses représentants par-delà l’équateur, se sentant sous le regard de leur pays, se réveilleraient, pour de bon, d’un sommeil aussi coupable. » (p,211)

Trois observations : la première, côté belge, la géographie beaucoup plus facile du tracé du chemin de fer n’avait rien à voir avec celle du Mayombe, mais cette caractéristique n’excuse pas un tel désastre ; la deuxième, entre le Congo français et le Congo belge, et nous le verrons plus loin avec le géographe Weuleursse, les potentiels de développement économique étaient très différents, et quelques provinces riches du Congo Belge étaient déjà en plein développement ; et enfin, la troisième à laquelle nous attachons sans doute le plus d’importance : contrairement à certaines thèses qui laissent à croire que la France était coloniale, qu’elle baignait dans une culture coloniale ou impériale, au choix, la France n’a jamais eu véritablement la fibre coloniale, et le jugement d’Albert Londres, l’ensemble de son reportage à la fin des années 1920 en apporte une fois de plus le témoignage.

Dans le livre Batouala, et comme nous l’avons déjà souligné, Maran brossait le tableau impitoyable des excès de la première colonisation des blancs dans les forêts de l’Oubangui Chari, mais plus encore la vie indigène d’une tribu, ses mœurs, ses coutumes, ses croyances, la chasse, la danse, la grande fête de l’excision et de la circoncision, centrée dans ce roman sur l’histoire des relations amoureuses entre le vieux chef Batouala, sa jeune épouse, la belle Yassigui’ndja, (il en avait huit), et un jeune rival, Bissibi’ngui.

Ce roman faisait découvrir avant tout les réactions d’incompréhension, d’hostilité, que ressentaient les Noirs à l’égard des Blancs :

« Aha ! Les hommes blancs de peau, qu’étaient-ils venus donc chercher, si loin de chez eux en pays noir ? Comme ils feraient mieux, tous de regagner leurs terres et de n’en plus bouger. (p,21)

En résumé, le portrait d’une scène coloniale de forêt vierge dont les premiers blancs, quelques-uns seulement, venaient complètement bouleverser les modes de vie, dans les apparences tout du moins, alors que dans une région géographique d’Afrique équatoriale voisine belge ou sud-africaine, l’intrusion des blancs, comme nous le verrons, a, tout autrement, et de façon plus systématique, ouvert la voie d’un autre monde, avec la construction d’usines, de lignes de chemin de fer, de villes nouvelles.

Il convient de noter par ailleurs qu’André Gide, dans son récit de voyage au Congo, comparativement à celle de Maran, proposait une vision aseptisée de la même colonie de l’Oubangui Chari qu’il traversa en « touriste ».

Dans le livre « Voyage au Congo », André Gide livrait ses impressions de voyage le long d’un itinéraire qui le conduisit, avec son compagnon, le photographe Marc Allégret, de Bangui au lac Tchad, et de Fort Lamy à Maroua, puis à Douala, au Cameroun. Il décrivait les paysages, mornes ou magnifiques, les mœurs des tribus rencontrées, sauvages ou pacifiques, et s’attachait à raconter par le menu ses aventures de voyageur « mondain » empruntant successivement tous les moyens de locomotion de l’Afrique de l’époque, baleinières, chaises à porteurs, chevaux, et plus rarement sur les premières routes aménagées, une automobile.

A le lire, on en retire un peu l’impression d’un récit tiré d’un voyage organisé par la célèbre agence Cook qui était déjà connue pour tous les voyages qu’elle organisait dans les pays exotiques : ici, au lieu de cette agence, l’administration coloniale était mise au service du voyage du grand écrivain, ami de quelques gouverneurs des colonies.

André Gide expliquait dans un article paru dans la Revue de Paris du 15 octobre 1927, sous le titre « La détresse de notre Afrique Equatoriale » :

« Lorsque je me décidai à partir pour le Congo, le nouveau Gouverneur général eut soin de m’avertir : – Que n’allez-vous pas plutôt à la Côte d’Ivoire, me dit-il. Là tout va bien. Les résultats obtenus par nous sont admirables. Au Congo, presque tout reste à faire. « L’Afrique Equatoriale Française a toujours été considérée comme la cendrillon » de nos colonies. Le mot n’est pas de moi : il exprime parfaitement la situation d’une colonie susceptible sans doute de devenir une des plus riches et des plus prospères, mais qui jusqu’à présent est restée l’une des plus misérables et des plus dédaignées ; elle mérite de cesser de l’être. En France, on commence à s’occuper d’elle. Il est temps. Au Gabon, par suite de négligences successives, la partie semble à peu près perdue. Au Congo, elle ne l’est pas encore si l’on apporte un remède à certains défauts d’organisation, à certaines méthodes reconnues préjudiciables, supportables tout au plus provisoirement. Autant pour le peuple opprimé qui l’habite, que pour la France même, je voudrais pouvoir y aider…

Je sais qu’il est des maux inévitables ; ceux dus par exemple au climat… il est enfin certains sacrifices cruels, j’entends de ceux qui se chiffrent par vies d’hommes… Aucun progrès, dans certains domaines, ne saurait être réalisé sans sacrifices de vies humaines…

Par quelle lamentable faiblesse, malgré l’opposition des compétences les plus avisées, le régime des Grandes Concessions fut-il consenti en 1899… Mais lorsqu’on vient à reconnaître l’occulte puissance et l’entregent de ces sociétés, l’on cesse de s’étonner, c’est à Paris d’abord qu’est le mal… » (p,532)

Au risque d’avoir mauvais esprit, je serais tenté de dire que le grand écrivain noircit plus de pages consacrées aux lectures qu’il continuait à faire, quelles que soient ses conditions de vie, en baleinière ou au bivouac, aux évocations littéraires où il excellait, aux lettres d’amis, qu’à l’analyse de l’Afrique coloniale, pour ne pas ajouter que les pages consacrées au petit singe Dindiki qu’il avait adopté paraissent un peu disproportionnées par rapport à l’objectif supposé de ce voyage.

Extraits de textes des œuvres citées

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Humeur Tique au fil des jours, esclavage, laïcité, Grande Bretagne

Humeur Tique au fil des jours

Mémoires et histoires de l’esclavage ? En récompense de sa tournée « triomphale » dans les Caraïbes, un « Noël en mai » pour le journal Le Monde, notre Président mérite incontestablement la Palme d’Or de toute l’histoire de l’esclavage, en concurrence avec celle de Cannes, pour avoir fait assumer par la France tout le poids de l’histoire et des mémoires de l’esclavage des Amériques, d’Afrique, ou d’Asie.

Les Antilles françaises auraient mérité mieux : pourquoi ne pas avoir décidé de les doter d’un commissariat au plan et au développement afin de les aider à s’assumer dans le contexte économique de l’Amérique centrale ?

Laïcité et islamophobie ? Pourquoi s’étonner de constater qu’une laïcité de plus en plus militante se met à défendre une laïcité des institutions publiques chèrement acquise au début du 20ème siècle, gage de notre paix civile ?

Pourquoi ce nouveau militantisme se verrait accusé à tort, et à tout bout de champ, d’islamophobie, alors que depuis une dizaine d’années une fraction de musulmans, citoyens français ou non, encourage, comme cela n’a jamais été le cas auparavant, au choix , le respect du Ramadan, la viande hallal, ou le port de tenues ou de voiles qui tendent à afficher et à affirmer la position religieuse des jeunes filles et des femmes musulmanes.

Tout cela après une lutte séculaire en faveur de l’égalité des deux sexes féminin et masculin ?

La Grande Bretagne de Cameron ? En Europe ou en dehors ?

Pourquoi s’accrocher aux basques de la Grande Bretagne qui continument, avant son entrée dans l’Union européenne et après, milite pour que cette union ne forme qu’un marché libéral de plus en plus vaste ?

La véritable question posée est celle de savoir s’il existe dans l’Union européenne des pays qui entendent donner un destin à notre vieille Europe et qui auront le courage d’aller de l’avant vers une véritable union politique, avec un Président élu par les citoyens, une politique économique et étrangère commune, et naturellement une défense commune.

Si avec ce qui s’est passé en Ukraine, et qui continue de se passer, les Européens n’ont pas encore compris quel sort leur était promis, alors oui, il faudra bien parler d’une décadence de l’Europe !

Jean Pierre Renaud

Eglises, homosexualité, tohu-bohu, silence

Eglises, homosexualité, tohu-bohu, silence

Après les vociférations, un silence assourdissant !

Où sont Mme Barjot, les cathos grand teint, la droite, l’UMP qui hurlaient au scandale et manifestaient bruyamment dans la rue au moment de l’examen de la loi dite « du mariage pour tous » ?

Quel silence alors que l’Eglise protestante unie de France vient de décider qu’il serait possible dorénavant de pratiquer une bénédiction liturgique pour les couples mariés de même sexe !

Comment interpréter cette absence de réaction, bien suspecte à vrai dire, à moins que ce ne soit la preuve que les manifestations n’étaient une fois de plus, que de la manipulation malsaine ?

Pomme acide

« Situations coloniales » d’Afrique ou d’Asie, avec le regard de voyageurs romanciers ou géographes. 2ème Partie

« Situations coloniales » d’Afrique ou d’Asie, avec le regard de voyageurs romanciers et géographes
Années 1905- 1931
La 1ère Partie a été publiée le 6 mai 2015
2ème Partie
Les acteurs du théâtre colonial

Les premiers témoignages, ceux de Conrad pour le Congo ou de Farrère pour l’Indochine, font respectivement le portrait d’une humanité blanche souvent réduite à sa plus simple expression, confinant à celle des bas-fonds, très souvent celle des grands aventuriers, peu regardante en matière de morale privée ou publique, dissolue, contente d’avoir jeté par- dessus bord les normes de la métropole.

Après la première guerre mondiale, une fois le nouveau système colonial à peu près installé, les voyageurs rencontraient une population blanche très différente, avec en première ligne les administrateurs coloniaux dans les territoires français, quelques colons, en Côte d’Ivoire par exemple (Albert Londres), des administrateurs coloniaux anglais d’une autre espèce, dans des territoires beaucoup plus riches (Jacques Weulersse), des représentants de grandes compagnies forestières en Afrique centrale (André Gide), ou des ingénieurs de la grande industrie minière moderne au Congo Belge (Jacques Weulersse).

Dans la plupart des colonies visitées, mise à part l’Union Sud-africaine, la population blanche avait un effectif tout à fait limité, vivait surtout dans les villes, mais en restant à l’écart de la population indigène : y faisaient exception les Portugais de l’Angola

Au tout premier plan, dans le premier acte colonial, les aventuriers de Joseph Conrad et de René Maran, et les « civilisés » de Claude Farrère !
Les aventuriers de Conrad et de Maran !

Avec « Au cœur des ténèbres », à la fin du XIXème siècle, Joseph Conrad retraçait la vie de Marlowe et de Kurtz, deux héros perdus dans le nouvel univers colonial du Congo Belge, l’itinéraire de ces capitaines de vieux rafiots sur le fleuve Congo, de Matadi à Kinshasa, la folle végétation tropicale, la sauvagerie coloniale, le culte de la mort.

Kurtz était tout à la fois chasseur d’ivoire, chef de bande, et chasseur de têtes dans un univers diabolique.

Julien Green écrivait : « Kurtz, c’est l’aventurier qui se voue au mal, dans les profondeurs du Congo et qui domine tout un peuple d’esclaves par la seule magie de sa voix. »

Après la première guerre mondiale, dans son livre « Batouala », René Maran dépeignait le monde colonial qu’il avait fréquenté pendant quelques années en Oubangui Chari, et faisait partager la vie des indigènes, des animaux, des forêts, et des rivières.

Il décrivait les ravages des premiers contacts entre les Blancs et les Noirs, de leur exploitation par leurs nouveaux maîtres, qui étaient peu nombreux, de l’ordre de cent cinquante individus pour tout le territoire, mais qui comprenaient dans leurs rangs quelques personnages complètement détraqués par la vie coloniale, l’isolement, l’abus d’alcool et de pouvoir.

Un des grands attraits de ce roman est la sorte de climat d’animalité équatoriale qui suinte de toutes les pores du récit.

A la différence de Conrad, René Maran ne dressait pas le portrait de tel ou tel blanc, c’est-à-dire de tel ou tel « Commandant », mais celui d’un monde des blancs, toujours en arrière-plan, dérangeant continuellement la vie quotidienne des Noirs, la vie qu’animait dans son récit un trio constitué par le vieux chef Batouala, sa jeune épouse, Yassigui’ndja, et un jeune rival, Bissibi’ngui qui la convoite.

Je serais tenté de dire que ce roman nous en apprend plus sur la vie d’une tribu d’Afrique centrale, au début du vingtième siècle, que sur les ravages de la colonisation elle-même, les dégâts causés par une nouvelle « civilisation » dans le climat magnifiquement décrit des mœurs, des chants, des danses, de la chasse, et des croyances de cette tribu.

Claude Farrère mettait en scène des personnages de l’Indochine coloniale qui auraient fait partie de ce que l’on aurait appelé la bonne société de métropole, un officier de marine, un médecin, un ingénieur, des personnages que la société coloniale avait « décivilisé ».

Après le temps des aventuriers, et au deuxième acte, celui des « colonisateurs » !

En Afrique française, les administrateurs coloniaux !

En Afrique de l’ouest, Albert Londres se rendit alors : « CHEZ LE DIEU DE LA BROUSSE » (p,64) :

« Le commandant est le dieu de la brousse. Sans lui, vous coucheriez dehors. Les hyènes viendraient lécher les semelles de vos souliers, et, la langue des hyènes étant râpeuse, vous n’auriez bientôt plus de chaussures.

A Niafounké…La justice en brousse n’a pas de palais. Elle n’a pas de juges non plus. Elle pourrait avoir un chêne ? il n’y a que des fromagers ! La justice, c’est le commandant.

Un commandant est un homme universel… ».

En Côte d’Ivoire, à Bouaké, le journaliste prenait contact avec des coupeurs de bois qui avaient besoin du concours de l’administration coloniale pour recruter leur personnel :

« Ce rôle me crève le cœur, me dit un commandant…

Moi je suis contre. Cette année, malgré les ordres je n’ai donné aucun homme pour la forêt. C’est l’esclavage, ni plus ni moins. Je refuse de faire le négrier…

On pourrait peut-être remplacer les hommes par des tracteurs ? Dis-je.

C’est vous qui donnerez l’argent pour acheter les tracteurs ? (p,137)

A Ibadan, laquelle était déjà une grande ville, en Nigéria, le géographe Weulersse rapportait une conversation avec l’un des représentants des grandes maisons de Bordeaux ou de Marseille qui s’y trouvait :

« Malheureusement, me dit K…, nous vivons trop entre nous ; nous ne nous mêlons pas à la société anglaise… Nous vivons côte à côte, poignée de Blancs perdus dans cette ville immense… Chaque groupe national, et le nôtre surtout, semble se retrancher dans ses plus obstinées incompatibilités d’humeur. Presque seul d’entre les Français d’Ibadan, je fréquente un peu les Anglais, parce que je consens quelquefois à revêtir mon smoking, et que je ne joue pas trop mal au tennis. Pour mes compatriotes, ces deux choses sont également grotesques. Il est absurde, en effet, de revêtir un lourd habit de drap quand on ruisselle déjà sous le plus léger des costumes ; il est presque aussi absurde de jouer presque sous l’Equateur aux mêmes jeux violents que dans la froide Angleterre… La tenue extérieure entraine la tenue morale : croyez-vous que vous traiterez l’indigène de la même façon si vous portez col dur, chemise empesée et escarpins vernis, ou bien salopette et savates ? Le héros de Kipling qui, perdu dans la jungle, seul dans sa case de feuillage, chaque soir revêtait gravement son smoking, incarne bien l’idéal britannique. La colonisation anglaise porte faux-col, la nôtre se ballade souriante, en débraillé… « p,64)

Toujours à Ibadan le 24 mars :

« 10 heures du soir, sur la terrasse dominant la ville endormie. Allongés dans nos vastes chaises longues, le grand verre de whisky à droite, le petit verre de « gin and bitter » à gauche, nous jouissons de l’heure…

A mes côtés, deux Anglais, deux types d’Anglais plutôt. Mon hôte, le gentilhomme dont les armoiries remontent au temps de Saint Louis et qui s’en cache, riche de cette culture intérieure que le bon ton commande de dissimuler. Et son ami X…, fameux dans toute la Nigéria, sans ancêtres, et qui s’est fait tout seul : masque brutal, et dur, mâchoire de John Bull, poil rouquin, taille courte et lourde, bras nus, couverts de tatouages de matelots, la courte pipe aux lèvres sèches qui ne s’ouvrent que pour quelques exclamations d’argot, l’air stupide : mais les forêts de la Nigéria, arbres, bêtes et gens n’ont pour lui plus de secrets… »

Le premier, comparant l’Afrique à l’Orient :

« Ici, nous sommes réellement les maîtres ; mais du maître, nous avons la solitude et la responsabilité.

Double fardeau, lourd parfois à porter, mais voilà tout le secret de la vraie « magie noire ». (p,68)

Autre image d’acteurs :

Au cours de son voyage au Congo, André Gide n’épinglait pas de sa propre plume les abus des Compagnies Forestières, les excès du portage qu’il aurait pu constater lui-même, mais publiait par exemple, en annexe, un rapport de l’année 1902 qui les récapitulait.

André Gide décrivait plus loin le comportement des blancs « voleurs » de la brousse :

« Il est assez naturel que les indigènes, dont on ne paie que cinquante centimes un poulet, voient débarquer les blancs avec terreur et ne fassent rien pour augmenter un commerce si peu rémunérateur. » (p,243)

En Afrique belge, anglaise, cosmopolite, des ingénieurs des mines !

Le géographe Weuleursse voyageait dans la province du Kassaï, au Congo Belge et rapportait une conversation :

« … Ici les constructions de la « Forminière », Société internationale forestière et minière du Congo, – type achevé de ces puissantes organisations capitalistes qui ont fait le Congo Belge. Tout le long de la grande allée de manguiers s’échelonnent les maisons des agents blancs, vastes, solides, entourées de jardins. Plus bas, massifs les bureaux ; puis les ateliers, les magasins, l’atelier de piquage des diamants, et tout en bas, au bord du fleuve, la Centrale électrique. Sur l’autre rive, les campements des travailleurs indigènes, où s’allument les feux du soir. Devant ma porte, c’est un défilé de boys, d’ouvriers, de camions, de voitures…

L’ingénieur qui me pilotera demain sourit de mon étonnement. N’est-ce pas un spectacle un peu imprévu au cœur de l’Afrique Centrale, en cette province ignorée qui s’appelle le Kassaï ? Et encore votre arrivée en avion doit vous donner des idées fausses sur la difficulté et le mérite de l’œuvre accomplie. Vous avez mis une heure et demie, de Luebo ici ; normalement il faut trois jours, et trois transbordements ; en bateau sur le Kassaï, en chemin de fer pour doubler les rapides jusqu’à Charleville, puis l’auto…

Travailler dans de pareilles conditions suppose une masse de capitaux extraordinaire ; et pour les attirer, des conditions extraordinaires elles aussi, des privilèges quasi régaliens. Ici, la Forminière est presque souveraine. Nul ne peut entrer sur son territoire sans une autorisation écrite ; elle a ses frontières, sa flotte, ses routes, son chemin de fer, sa main d’œuvre, j’allais presque dire ses sujets.

Tout lui appartient, depuis le champ d’aviation sur lequel vous avez atterri jusqu’à l’assiette dans laquelle on vous servira tout à l’heure…. Songez que la Compagnie emploie plus de 15 000 noirs, et plus de 200 agents européens. Le vieux Léopold n’a pas craint de faire appel à l’étranger : les capitaux sont américains et les hommes de toutes les nationalités… Création d’un homme d’affaires génial, le Congo garde encore sa griffe : tout pour et par l’argent. » (page 116)

Le développement industriel du Congo que décrivait le géographe était spectaculaire à Kamina, à Elisabethville, au Katanga, où des grandes cités de type européen sortaient de terre.

Les acteurs africains de la mutation industrielle

Sans la « mobilisation » de la main d’œuvre africaine, rien n’aurait été possible, et les méthodes de recrutement utilisées, le travail forcé, la concentration des travailleurs dans des « camps indigènes »

Au cœur du Katanga minier, un ingénieur décrit le système mis en place par l’Union Minière, la sélection médicale, l’encadrement strict :

« Qu’en dites-vous, me demande-t-il ?

C’est de l’élevage humain.

Oui, et vraiment scientifique, vous pouvez le constater. Il nous faut avant tout « faire du Noir », donner à l’industrie le prolétariat de couleur qui lui manque. » (p, 169)

Il ne s’agissait donc que d’une forme nouvelle d’esclavage !

Sans acculturation progressive d’une nouvelle élite, sans leur truchement, aucune modernisation n’aurait été, non plus, rendue possible.

Extraits de textes, par Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Trois films hors du commun

« La maison du toit rouge » de Yoshi Yamada, film japonais : une chronique familiale intéressante dans le Japon de l’avant 1939, année de l’entrée en guerre de ce pays, pourquoi intéressante ?

Une bonne très attachée à sa famille d’accueil nous fait le récit de la vie familiale à travers ses carnets de note intimes. Elle nous fait entrer dans le décor, les mœurs, la vie intime de ses deux employeurs, aiguillonnée par l’intrigue amoureuse que sa patronne noue avec un ami de son mari.

Ambiance japonaise garantie, tentation extraconjugale de la liberté contre la routine, et en définitive, le sauvetage du couple à la suite d’un subterfuge monté par une bonne très dévouée.

« Taxi Téhéran » de Jafar Panahi : film étrange et déroutant dont l’intrigue tout intellectuelle et politique, s’il en existe une, se déroule dans un taxi qui circule en continu dans la capitale de Téhéran.

Tout tourne autour de l’artiste créateur, un peu lassant, narcissique, mais avec le mérite de nous montrer la face cachée d’un pays et d’une société privée de beaucoup de libertés : il n’est donc guère d’autre solution que de faire vivre ces libertés dans un taxi.

« Les optimistes » de Gunhild Magnor, film norvégien : il faut écrire film, plutôt que documentaire, tel que désigné par les guides, parce que le récit de ce groupe de femmes norvégiennes déjà âgées, flirtant avec le troisième ou quatrième âge (de 65 à 95 ans) donnent un très bel exemple de vie, pour ne pas dire de jeunesse, et en définitive de cinéma revigorant.

Elles font le pari fou d’aller disputer en Suède un match de volley-ball contre une équipe d’hommes également mûrs, et s’entrainent pour être à la hauteur du défi.

JPR et MCRV

Printemps 2015, au fil des jours

Le désastre des migrants de Méditerranée : le Conseil Exécutif de l’Union européenne s’est réuni pour prendre des décisions d’ordre plutôt cosmétique.

Il est tout de même surprenant que les autorités européennes n’aient pas associé à leurs délibérations des représentants des organisations politiques africaines alors que de l’ordre du quart des flux de migrants vient de l’Afrique de l’Ouest, Nigéria, Mali, ou Sénégal…

Le budget de la Défense : le Président a engagé les forces armées de la France dans trois guerres, alors que le pays ne disposait pas des moyens budgétaires nécessaires, d’autant plus que le combat qui est mené contre les djihadistes au Sahel ou au Moyen Orient fragilise notre défense intérieure.

Le Président a décidé de rallonger le budget de la défense de plusieurs milliards, sans que l’Assemblée Nationale n’ait été invitée à débattre de notre politique de défense, et donc des moyens budgétaires qu’il convenait éventuellement d’ajuster ;

Sommes-nous encore dans une démocratie ?

Le 1er Mai 2015 ! Triste anniversaire pour les syndicats, mais tout autant pour le pays, compte tenu du peu d’intérêt que les citoyens ont accordé à cette manifestation !

Un signe de plus du défaut de représentativité des corps intermédiaires du pays, qu’il s’agisse des organes politiques superposés et entremêlés, des syndicats, ou des médias.

La cuisine royale de l’Elysée : à lire une chronique du journal la Croix, du 28 avril 2015, intitulée « A la surface des choses » en écho d’une émission de M6 sur les coulisses de l’Elysée.

« Derrière la République se cachent des relents de monarchie, même si le monarque est bon enfant et se prête toujours, même en son palais, aux selfies.Tout juste apprendra-t-on que la sommelière, comme d’autres, « a du mal à cerner les goûts du président », qu’un diner d’Etat coûte 3 000 euros par convive, et que les 1 700 assiettes seront toutes lavées à la main »

Deux commentaires :

Il est bien dommage que le président n’ait pas ajouté à ses soixante propositions de gouvernement sur le slogan « Le changement, c’est maintenant », l’instauration d’une cuisine républicaine à l’Elysée, d’autant plus que ces diners d’Etat sont financés à crédit, étant donné notre dette publique de plus de 2 000 milliards d’euros.

Pourquoi ne pas faire appel, à tour de rôle, à nos grands cuisiniers étoilés, au lieu de conserver une cuisine monarchique ?

Jean Pierre Renaud

Images des sociétés coloniales des années 1900-1930

« Situations coloniales » d’Afrique ou d’Asie, avec le regard de voyageurs romanciers et géographes
Années 1905- 1931
Avec Joseph Conrad (1899), Claude Farrère (1905), René Maran (1921), André Gide (1926), Albert Londres (1929), Jacques Weulersse (1929), George Orwell (1934)
Cette évocation fera l’objet d’une série successive de publications en mai et juin 2015
Avant- propos méthodologique
Représentativité historique ou non des extraits d’œuvres choisies ?

Au cours de l’année 2013, j’ai publié une série de textes de réflexion et d’analyse sur le thème choisi par le jury de concours en histoire du CAPES et de l’AGREGATION : « Les sociétés coloniales ».

Ces contributions à la réflexion historique ont suscité une réelle curiosité sur ce sujet rébarbatif, puisque sur l’ensemble de l’année ces textes ont fait l’objet de très nombreuses visites, de plus de 2 000, ce qui ne veut pas dire naturellement lectures.

Nous proposons à nos lecteurs et lectrices un autre type de contribution relative au regard, au témoignage écrit que des voyageurs ou des romanciers ont proposé sur tout un ensemble de sociétés coloniales d’Afrique ou d’Asie, dans la première moitié du XXème siècle.

Je n’ai pas la prétention de penser que la liste des œuvres analysées soit un échantillon représentatif des réalités coloniales de l’époque, car ce type d’analyse pose tout le problème de la représentativité des sources historiques, un concept généralement maltraité dans beaucoup d’histoires coloniales, pour ne pas dire aussi dans les histoires postcoloniales.

Les analyses ci-après peuvent donc faire l’objet du même type de critique, car il est nécessaire que les historiens aillent beaucoup plus loin qu’ils ne le font en général dans leurs analyses des vecteurs d’information, pour ne pas dire de culture coloniale : tirage des journaux et des livres, analyses du contenu des journaux et des livres, étant donné qu’avant l’ère des sondages, il n’existait guère d’autre moyen pour mesurer échec ou succès.

A titre d’exemple, dans le livre « Histoire de la littérature coloniale en France », René Lebel a effectué un travail d’inventaire et d’analyse très intéressant sur la littérature coloniale, sans accorder, ou sans pouvoir accorder, l’importance qu’elle aurait mérité à cette évaluation des vecteurs et de leurs effets.

De la même façon, l’historien René Girard a publié un livre qui connut un réel succès « L’idée coloniale » en faisant quasiment l’impasse sur l’analyse statistique de la presse et du succès, mesuré ou non, de la littérature coloniale.

Ces remarques de méthode faites, et pour ce qui concerne la littérature de témoignage colonial, nombreux ont été les commentateurs ou les romanciers qui ont proposé une vision idyllique de l’outre-mer colonial, mais il est tout de même difficile de prétendre que la France lettrée ou curieuse n’avait pas la possibilité, grâce aux œuvres que nous allons évoquer, de se former une opinion mieux documentée sur le monde colonial dans ses ombres comme dans ses lumières.

L’histoire de la littérature coloniale s’est généralement inscrite dans l’histoire des idées, plus que dans celle des chiffres ou des faits, à l’exemple le plus souvent de l’histoire coloniale ou postcoloniale.

Le cadre historique et géographique des scènes coloniales d’Afrique et d’Asie : une Afrique noire encore très enclose dans son univers, à l’opposé d’une Asie ouverte sur le monde !

Une Afrique noire inconnue ! Sauf à verser dans l’anachronisme, maladie intellectuelle assez répandue dans l’histoire postcoloniale, il faut rappeler que jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, une grande partie de l’Afrique était encore inconnue, et que dans beaucoup de régions de l’hinterland, les Noirs n’avaient jamais vu un Blanc.

Une Afrique noire barricadée ! Deuxième remarque : les caractéristiques géographiques de l’Afrique noire de l’ouest, l’absence de voies d’accès fluviales jusqu’au delta du Niger, l’existence d’une barre côtière, étaient des obstacles infranchissables pour toute entreprise de colonisation, avec en plus, dans la zone tropicale, la rudesse du climat et les maladies endémiques.

Une Afrique noire loin des côtes d’Europe : de Bordeaux à saint Louis du Sénégal, 4 000 kilomètres, de Bordeaux à Loango, sur la côte du Congo, 9 000 kilomètres.

Une Afrique noire gigantesque ! plus de 3 000 kilomètres de Loango à la côte de Zanzibar, plus de 5 000 kilomètres du fleuve Congo au Cap, 2 300 kilomètres de Dakar à Tombouctou, plus de 2 000 kilomètres entre Léopoldville ( Kinshasa) et Elisabethville, ou entre cette dernière ville et Johannesburg, au sud, alors qu’il n’existait ni routes, ni voies ferrées jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle.

En comparaison, une Asie déjà ouverte sur le monde, qui bénéficiait de l’existence d’un réseau d’échanges très ancien entre la Chine et le monde occidental, avec le rayonnement du nouvel l’Empire des Indes, la création de la voie impériale britannique vers la Chine, avec Colombo, Singapour, et Hong Kong…

La conquête coloniale de l’Indochine par la France ne soutenait évidemment pas la comparaison avec l’expansion britannique en Asie.

Il est donc nécessaire d’avoir en tête le cadre historique et géographique de l’époque pour suivre la sorte de parcours colonial initiatique que nous proposons à travers les récits que publiaient de grands romanciers, Joseph Conrad, Claude Farrère, René Maran, et George Orwell, le grand journaliste Albert Londres, ou le géographe Jacques Weuleursse !

Ces auteurs décrivaient le monde colonial de l’époque, avec ses ombres et ses lumières que le lecteur curieux de l’avant- première guerre mondiale ou celui de l’entre-deux guerres pouvait découvrir, sans qu’on ne veuille rien lui cacher.

Descriptions fidèles ou descriptions romancées, traits forcés ou traits atténués, il n’était pas toujours facile de faire la différence, encore moins de nos jours !

Ces récits concernent d’abord l’Afrique occidentale et centrale, mais ils proposent également un petit aperçu de l’Asie coloniale avec l’Indochine française et la Birmanie britannique.

A travers le célèbre roman, « Au cœur des ténèbres » (1890), Joseph Conrad, dresse le portrait d’un colonialisme esclavagiste et inhumain au cœur de l’Afrique centrale, dans le bassin du Congo.

A elle seule, la vie de Conrad fut un roman, celui d’un marin, mais tout autant celui de l’aventurier dont le séjour sur les rives du Congo ne dépassa pas les quelques mois, entre Matadi et Kinshasa.

Dans « Les civilisés » (Prix Goncourt 1905), Claude Farrère brossait une description sans concession du premier monde colonial français en Indochine, celui des premières années de la colonisation, animé avant tout par des militaires et des aventuriers. L’attribution du Prix Goncourt portait témoignage de l’absence de censure. Le roman de Claude Farrère ne reçut pas un accueil enthousiaste de la part des milieux favorables à la colonisation, de métropole ou d’Indochine, c’est le moins qu’on puisse dire.

Dans un roman portant sur la même époque, paru en 1922, « Le chef des porte-plumes », Robert Randau proposait un portrait non moins sévère de la société coloniale blanche de Dakar dans les années qui ont précédé la première guerre mondiale.

Dans « Batouala », René Maran (Prix Goncourt 1921) peignait tout à la fois le monde de la forêt tropicale, envoûtant, sauvage, et animal, et les premiers méfaits de la colonisation dans ces sociétés africaines que bousculait sans ménagement la première administration coloniale.

Comment ne pas faire remarquer que la description des dérives et des abus qu’en faisait l’ancien fonctionnaire colonial ne fit non plus l’objet d’aucune censure, bien au contraire, puisque ce roman reçut, en 1921, le prix Goncourt ? C’est tout dire !

René Maran avait en effet acquis une petite expérience coloniale dans le bassin du Congo et de l’Oubangui-Chari, et il n’hésitait pas à écrire dans sa préface : « Tu bâtiras ton royaume sur des cadavres »

Le récit d’André Gide intitulé « Voyage au Congo » (1926) contient un mélange de descriptions touristiques, des paysages et des populations rencontrées, la relation des incidents de son voyage avec son compagnon photographe, Marc Allégret ; en pirogue sur les rivières de l’Oubangui Chari et du Tchad, quelquefois à cheval, ou à pied, ou encore en tipoye, c’est-à-dire en chaise à porteur.

André Gide voyageait le plus souvent avec le concours de l’administration coloniale, c’est-à-dire des administrateurs, gouverneurs, commandants de cercle, ou chefs de subdivision. L’auteur a l’habileté, le plus souvent, de joindre en annexe, les notes décrivant tels ou tels abus de l’administration coloniale, motivés le plus souvent par les méthodes d’exploitation humaine éhontée de grandes compagnies privées forestières.

Le plus étonnant dans son récit de voyage est la place qu’il accorde à ses lectures d’ouvrages littéraires très savants, à ses réflexions et citations, qu’il bivouaque ou navigue en baleinière. Peu de pages de ce carnet de voyage qui ne contienne aucune allusion au Gide, grand homme de lettres, comme en miroir !

En résumé, des « Carnets de route » qui restituent une certaine image touristique d’une partie de l’Afrique centrale, celle qui va du fleuve Congo au lac Tchad, dans la zone de l’Oubangui-Chari, à l’époque de son voyage.

Les deux autres récits, celui d’Albert Londres intitulé « Terre d’ébène » (1929) et celui de Jacques Weulersse intitulé « Noirs et Blancs » (1931) constituent, semble-t-il, une bien meilleure source de documentation et d’information sur l’Afrique des années 30.

Le journaliste Albert Londres nous fait partager ses impressions et appréciations du monde colonial africain français qu’il parcourut de l’Afrique de l’ouest à l’Afrique centrale.

Mais incontestablement, c’est le récit du géographe Weulersse qui nous en apprend le plus sur l’Afrique de l’époque, la française de l’ouest qui est déjà nettement distancée dans la voie de la modernisation par l’anglaise du même ouest, et la française centrale dont le développement économique se situait déjà à des années-lumière de l’Afrique centrale belge ou sud-africaine.

Avec le regard du géographe, il est possible de prendre la mesure des écarts gigantesques de développement qui existaient d’ores et déjà entre les colonies françaises et les anglaises, belges ou sud-africaines.

Le géographe décrit quasi-scientifiquement le système de recrutement et de sélection de la main d’œuvre qui est affectée à l’industrie minière d’Afrique centrale et d’Afrique du sud, les méthodes de discrimination et de contrôle qui sont pratiquées, en soulignant le racisme dans lesquelles elles baignent.

Le dernier roman, celui de George Orwell, intitulé « Une histoire birmane » (1934), inscrit son récit dans le même type de discours raciste, cette fois en Birmanie, une dépendance coloniale anglaise de l’Empire des Indes.

Il s’agit d’un roman intimiste qui met en scène dans un petit poste de la Haute Birmanie coloniale, quelques acteurs anglais, un médecin d’origine birmane que l’un de ses amis anglais veut faire entrer dans la fameuse institution coloniale anglaise qu’était le club, contre l’opposition violente et raciste des autres membres blancs du club.

Plus que le roman de René Maran, ce récit place le lecteur au cœur de la vie coloniale anglaise, alors que dans le cas de Batouala, c’est au cœur d’une tribu de l’Oubangui-Chari.

Extrait de textes par Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Le Synode de la famille ou le langage de vérité dans la Croix. Langage de vérité en France?

Le Synode de la famille ou le langage de la vérité !
Dans le journal la Croix
Langage de vérité en France ?

A la lecture des témoignages ou contributions que le journal a publiés en vue du Synode de la famille, je suis très frappé par le langage de vérité que tiennent les lectrices et les lecteurs sur l’Église concrète, familiale, celle du terrain, évidemment assez loin des doctrines de l’Église officielle : sur les familles recomposées, le divorce, l’homosexualité, le rôle des femmes pour ne pas dire leur mission…en résumé l’église du siècle.

Il est tout à fait heureux que le pape François ait libéré la parole des fidèles, mais il ne faudrait pas que l’immense espérance de renouveau qu’a fait naître le Synode ne se retrouve perdue dans les caves du Vatican.

Le journal s’honore de donner la parole à tous ces fidèles qui ne craignent pas d’exprimer avec franchise leur opinion et leur désir de changement, c’est-à-dire de renouveau.

Le pays s’honorerait à imiter un tel exemple, parce qu’une grande partie de nos problèmes nationaux ont pour origine ce refus de voir en face les grandes vérités de la France.

Dire la vérité aux Françaises et aux Français, sans tabou de la parole et de la pensée, sans craindre de soulever le couvercle du « nouveau bien penser » qui consiste à dénoncer et monter en épingle n’importe quelle dérive dite de discrimination, ou d’anti – quoique ce soit.

Il est aujourd’hui interdit de dire ou d’écrire dans notre pays que notre paix civile dépend plus qu’avant de ce qui se passe en Israël et à Gaza, que la France n’est plus en état d’absorber pour le moment n’importe quels flux d’immigration, sauf à ajouter aux risques déjà actuels de fragilité sociale et publique, en particulier dans certaines de nos agglomérations, de dire la vérité sur la composition démographique actuelle du pays, sauf à voir certains groupes de pression aussitôt dénoncer une forme de racisme, tout en protestant contre des discriminations par définition non mesurables et non mesurées, de publier les statistiques de double nationalité, alors qu’à l’évidence les risques nouveaux d’insécurité sont liés à cette situation de bi-nationalité, etc, etc…

Dire la vérité aux Français et aux Françaises , c’est également leur dire que les destinées du pays sont étroitement liées à celles d’une Union européenne qu’il convient de renforcer, leur dire que la France doit avoir le courage de faire l’inventaire des faiblesses et des atouts de sa « puissance » politique, économique et culturelle dans le monde actuel, parce qu’il faut que nos gouvernements arrêtent de laisser croire qu’elle peut rivaliser, dans tous les domaines, avec les superpuissances de la planète, d’autant plus qu’un retournement de conjoncture monétaire internationale aurait vite fait de faire de la France une deuxième Grèce.

Etat des lieux de tous nos archaïsmes, celui du mille-feuille des structures politiques, celui des corps intermédiaires, économiques ou syndicaux qui ont souvent des positions rétrogrades, celui du gaspillage des milliards des fonds de formation dont une des fonctions est d’entretenir le fonctionnement de leurs structures, etc, etc…,…

Dire la vérité du monde actuel et à venir, et c’est encore beaucoup plus important, sur l’évolution de la démographie mondiale, avec tout à la fois ses atouts et ses dangers, à voir ce qui se passe sur certains continents, sur la résurgence des guerres de religion, vraies ou fausses, et enfin sur l’enjeu majeur du réchauffement climatique.

Pourquoi ne pas suggérer enfin, afin de mieux assurer la paix civile de la planète, en le rajeunissant, le recours à un des outils anciens des organisations internationales, la SDN et l’ONU, c’est-à-dire le mandat de gouvernance confié à un Etat voisin, lorsqu’il est justifié par un grave désordre de guerre civile dans un pays ?

Jean Pierre Renaud, le 19 avril 2015