« Français et Africains ? »
Frederick Cooper
&
3
Chapitre V – Reconstruire ou réformer la France ? (page 229 à 293)
« La loi-cadre et le fédéralisme africain 1956-1957 »
« Reconstruire ou réformer la France », rien de moins ? Sommes-nous encore dans l’histoire de notre pays ?
Après les hors d’œuvre jusqu’à la page 229, le plat principal !
Un très long chapitre qui ne manque pas d’ambition ! Démontrer que les nouveaux députés africains auraient pu « reconstruire ou réformer la France ? » ?
Notons dès le départ que le gouvernement de l’époque fit appel à la voie réglementaire plutôt que constitutionnelle pour réformer.
L’introduction de ce chapitre est à citer in extenso parce qu’elle marque bien l’esprit dans lequel cette analyse a été effectuée :
« La loi-cadre est généralement considérée comme un tournant dans l’histoire de l’Afrique française. Pour certains intellectuels africains d’aujourd’hui, elle marque le moment qui scella le sort de l’Afrique. L’Afrique fut balkanisée, dit à l’époque Senghor. Le système de gouvernement territorialement délimité inscrit dans le droit allait devenir le point de départ des Etats indépendants de l’ancienne Afrique française. Au cours des cinquante dernières années, ces Etats ont accumulé un palmarès profondément inquiétant au niveau des problèmes qui préoccupaient les acteurs politiques africains en 1956 : les élections démocratiques, l’égalité, les droits, le développement économique, l’éducation. Mais pour les Africains de cette époque, la loi-cadre constituait une victoire. Elle satisfaisait leurs plus importantes revendications politiques de la décennie écoulée : le suffrage universel, le collège unique et des assemblées territoriales dotées d’un réel pouvoir. Elle rendait les assemblées élues dans chaque territoire responsables du budget et de la fonction publique, rompant ainsi avec les tendances centralisatrices du gouvernement français.
La loi-cadre n’était pas destinée à créer des Etats-nations… » (p,229)
« Possibilités, dangers et coûts d’une Union réformée » (p,231)
Nous remarquerons simplement que l’Afrique précoloniale était encore plus « balkanisée » et que le constat du « Au cours des cinquante dernières années, ces Etats ont accumulé un palmarès profondément inquiétant » mériterait d’être nuancé.
Le débat politique et juridique relaté par l’auteur entre Etat-Nation ou Etat multiculturel parait se situer à des années-lumière de la réalité des sociétés coloniales des années 1945-1955, sauf à admettre qu’il valait par hypothèse pour les zones côtières d’Afrique, et en particulier pour celles du Sénégal, de Guinée, de Côte d’Ivoire, et du Dahomey.
A des années-lumière aussi des réalités des relations financières existant alors entre la métropole et les colonies, c’est-à-dire tout simplement une question de gros sous pour le contribuable français, mais cette question n’avait absolument rien de nouveau.
« Des arguments inconciliables visant à sortir de l’impasse la réforme de l’Union française furent avancés au début de 1956. La France pouvait poursuivre la logique intégrative de la citoyenneté, mais il faudrait alors en affronter les coûts… Quels pouvoirs pouvait-on déléguer aux territoires africains pour amener leurs dirigeants à revoir à la baisse leurs demandes d’équivalence sociale avec la population métropolitaine, et à quels pouvoirs la France était-elle prête à renoncer pour se mettre à l’abri de telles demandes ? « (p,235)
En ce qui concerne les coûts, lire la phrase : « L’une des charges les plus élevées était le coût de la fonction publique. » (p239)
« Territorialiser l’empire »
L’auteur formule ainsi sa pensée :
« Les diverses formes de politique – reposant sur les idiomes locaux, sur les liens religieux ou sur un internationalisme radical (où) qui émergeaient dans les villes et les campagnes de l’AOF (comme dans les villes et campagnes françaises ? ) méritent des recherches plus approfondies (effectivement), mais les fonctionnaires de Dakar et de Paris accordaient le plus souvent leur attention aux gens qu’ils comprenaient le mieux : les représentants élus à Dakar ou à Paris (affiliés à des partis français, dont la SFIO)), les dirigeants de partis, les syndicalistes (organisations affiliées aux métropolitaines dont la CGT, affiliée elle-même au parti communiste), les écrivains. » (p235,236)
J’ai mis entre parenthèses quelques-unes des multiples questions posées.
Les débats faisaient ressortir toutes les contradictions liées aux effets politiques et financiers de la citoyenneté, selon la définition arrêtée, à la nature des liens qui continueraient à exister entre la France et les nouveaux Etats, à l’inégalité de ressources existant entre ces nouveaux Etats, plus le contexte international, plus l’existence d’autres territoires à statuts différents, plus la guerre d’Algérie que l’auteur évoque, comme il le fera pour l’Europe en voie de constitution…
Mars 1956, le socialiste Guy Mollet est au pouvoir, et il se fait donner les pleins pouvoirs par l’Assemblée Nationale, une autorisation législative qui va lui permettre de légiférer pour l’outre-mer, sans passer par un processus constitutionnel.
Le projet de loi cadre, celui de la loi dite Defferre, fut voté en Commission de la France d’Outre-Mer par 28 oui, 10 non, et 4 abstentions. L’Assemblée de l’Union Française le vota par 124 voix contre 1, et l’Assemblée Nationale elle-même par 477 voix contre 99.
Au cours de la discussion à l’Assemblée Nationale, Pierre-Henry Teitgen, ancien ministre et membre influent du MRP, exprima avec beaucoup de clarté les enjeux du scrutin :
« Le problème, fondamentalement, était que la métropole n’était pas prête à accepter toutes les conséquences de l’assimilation. Pourquoi ne pas avoir le courage de le dire ? Autrefois, l’assimilation signifiait ; « Soyez comme nous tous, des citoyens de la République une et indivisible, avec les mêmes droits que nous-mêmes : vous aurez de ce fait immédiatement satisfaction, vous obtiendrez par ce moyen dignité, liberté, indépendance et autonomie. » Félix Kir l’interrompit : « L’assimilation n’est pas demandée par les territoires d’outre-mer. Ils préfèrent la fédération. »
Mais désormais, poursuivit Teitgen, l’assimilation avait pris un autre sens :
« Quand vous parlez assimilation à nos compatriotes des territoires d’outre-mer, ils entendent d’abord et principalement l’assimilation économique, sociale, et des niveaux de vie. Et si vous leur dites que la France veut réaliser dans l’outre-mer l’assimilation, ils vous répondent : alors accordez nous immédiatement l’égalité des salaires, l’égalité dans la législation du travail, dans le bénéfice de la sécurité sociale, l’égalité dans les allocations familiales, en bref, l’égalité des niveaux de vie… Quelles en seraient les conséquences ? Il faudrait pour atteindre ce but, que la totalité des Français consente à un abaissement de 25% à 30% de leur niveau de vie au profit de nos compatriotes des territoires d’outre-mer ? » Cela, les citoyens de la France métropolitaine ne l’accepteraient pas. Il fallait « tourner la page. » (p,248,249)
Il importait donc de se concentrer sur les autres revendications venant de l’outre-mer.
« La mise en œuvre de la loi-cadre et le débat sur le fédéralisme. » (p,253)
Le débat revint donc sur la question de savoir s’il était possible de mettre sur pied une fédération, qu’il s’agisse des relations nouvelles entre la France et les territoires d’outre-mer, ou de celles encore existant en AOF, celle dont traite avant tout l’auteur.
Je ne suis pas sûr que le propos de l’auteur « Le débat sur le fédéralisme avait gagné le public africain alors que la loi-cadre était en discussion à Paris. » ait été vérifié et évalué, ou qu’il puisse l’avoir été.
Senghor avait été partisan d’une solution fédérale entre la France et l’Afrique noire, et parallèlement entre les anciennes colonies d’Afrique noire ? Il l’avait exprimé dans la jolie formule de « solidarité verticale » et de « solidarité horizontale ».
Houphouët-Boigny (ministre de Guy Mollet) appelait de ses vœux :
« Un système fédéral assez souple. Donnons au monde cet exemple d’un rassemblement de races et de peuples et de religions diverses bâtissant dans la fraternité une maison commune » (p,254)
L’auteur note à juste titre : « Le malaise apparaissait au grand jour ; il devait s’avérer être autant un conflit entre politiciens africains qu’un conflit entre Dakar et Paris . » (p,255)
Effectivement, car Houphouët-Boigny était partisan d’une relation directe avec la France et regardait tout autant ce qui se passait en Gold-Coast, l’actuel Ghana, sur la voie de l’indépendance.
Derrière les grands mots et les belles déclarations, la préoccupation des gros sous réapparaissait dans tous les camps, comme le note d’ailleurs l’auteur : « En coulisses, le ministre (Teitgen) continuait à parler de l’importance des coûts de personnel – 66% du budget au Dahomey, 43 % en Côte d’Ivoire-… « (p256)
A Sékou Touré, Defferre répondait qu’il fallait « laisser les contribuables africains payer les factures…(p,259)
« Finalement, le gouvernement fut autorisé à procéder par décrets assez proches de ce qu’il voulait. Il avait concédé le pouvoir réel aux territoires et s’était délesté de certaines de ses charges associées à un empire de citoyens, en particulier d’un fonctionnariat revendiquant le droit à l’égalité des salaires et des prestations. « (p,261)
« Réseau français ou unité africaine : les controverses syndicales » (p,262)
L’auteur connait bien le contexte syndical du Sénégal et de l’AOF, de cette partie évoluée de la population qui fut le fer de lance de toutes les revendications citées plus haut, des organisations syndicales qui furent affiliées à leurs parrains métropolitains jusqu’en 1955, principalement avec la CGT « sœur jumelle » du Parti Communiste français.
Comment analyser cette phase historique en biffant l’arrière-plan de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest ?
Les syndicats d’AOF, seulement autorisés en 1945, constituaient les seules organisations disposant d’une assiette territoriale comparable à celle de l’administration coloniale, l’Etat colonial d’alors, et c’est la raison pour laquelle les premiers dirigeants africains eurent pour première préoccupation d’en faire des alliés, pour ne pas dire de les contrôler. Le syndicaliste Sékou Touré en fut le prototype.
Syndicalisme africain ou nationalisme en gestation ?
« L’Afrique occidentale française : « balkanisation ou fédéralisme ? » (p,267)
La façon dont l’auteur formule sa question est tout à fait étrange sur le plan historique :
« Je vais examiner ici une question d’imagination politique : comment, dans ce nouveau paysage politique, les élites politiques imaginaient-elles les relations entre le territoire, l’Afrique Occidentale française et l’Union française ? » (p,268)
« Imagination politique » de l’auteur ? Trop d’imagination peut-être !
La situation évoluait en permanence avec des vrais enjeux qui n’étaient pas toujours clairs ou affichés :
« Face au risque d’une fragmentation territoriale, Senghor disait maintenant qu’il devait y avoir deux niveaux de fédération : l’un situé en Afrique de l’Ouest, l’autre constitué par la République française. Ensuite viendrait l’Union française, reconfigurée en confédération. » (p,268)
Senghor, au titre du Sénégal ?
« Ces luttes ne furent pas simplement celles de partis manœuvrant pour s’approprier le pouvoir ou de juristes tentant de définir des institutions. Elles posaient la question de la localisation de l’appartenance collective, du sentiment de communalité : où, en Afrique, trouvait-on une nation, ou le potentiel de construire une nation ? Et comment traduire de telles visions en programmes politiques ? » (p,269)
« appartenance collective » ? « sentiment de communalité » ? Je serais tenté de dire que les préoccupations des partenaires étaient beaucoup plus terre à terre.
Comment en effet trouver et proposer des dénominateurs communs dans une Afrique profondément marquée par ses traditions religieuses et culturelles multiples, ce patchwork que j’ai déjà évoqué, lequel continue à animer la vie de l’Afrique noire actuelle, pour ne pas dire ses tensions ?
J’écrirais volontiers que les observateurs de l’époque auraient sans doute été bien en peine de trouver beaucoup de traces indiscutables de nations susceptibles de servir d’assise à ces nouveaux Etats, en ajoutant que la mention que fait l’auteur des « journaux africains » qui « ne cessaient de réclamer une révision constitutionnelle. » (p,269), avaient de petits tirages et une audience souvent limitée au public des évolués des côtes.
Il était nécessaire de ramener les discussions ésotériques ou faussement angéliques aux réalités du terrain, comme le rappelait le haut-commissaire de l’AOF:
« Le haut-commissaire de l’AOF, Gaston Cusin tint à s’assurer que les politiciens africains mesuraient bien la responsabilité associée à leur nouveau pouvoir. Rappelant au Grand Conseil que plus de 50% des budgets correspondaient à des coûts de personnel, il qualifia ces dépenses de « fardeau insupportable pour nos budgets » L’AOF devait freiner l’accroissement des dépenses de personnel. Ainsi est offerte aux territoires la latitude d’organiser leur fonction publique selon leurs conceptions et suivant leurs moyens » Cet effort reposait sur « l’africanisation de la fonction publique. » (p,270)
Le lecteur pourra peut-être trouver qu’à la longue ce débat devient lancinant, puisqu’en définitive, et quoiqu’on dise ou écrive, la question principale était celle de savoir : qui paierait ?
Le mot « indépendance » commença à faire surface tardivement, notamment avec la création, en 1957, du Parti Africain de l’Indépendance.
« Comment maintenir l’attrait de l’unité africaine en l’absence d’accord fondamental sur la manière ou la nécessité d’unir les territoires de l’AOF, sauf à travers leur participation commune aux institutions de l’Union française?
Une telle pensée avait sa cohérence, sa spécificité, et sa stratégie. C’est seulement rétrospectivement, après que les imaginations politiques se sont rétrécies et engagées sur la voie des Etats territoriaux, nationaux, qu’elle apparait irréaliste. Les dirigeants africains avaient à gouverner des sociétés pauvres et socialement fragmentées, dotées de minuscules élites incertaines de leur soutien au sein d’un électorat nouvellement créé.» (p,276)
La lecture du texte ci-dessus suffit à éclairer le supposé rétrécissement des imaginations politiques.
Les belles phrases de Senghor ne suffisaient pas à faire avancer les solutions concrètes :
« La combinaison de l’économiquement inégal et du culturellement différent, martelait Senghor, en 1956, était l’avenir de l’Afrique : « Toutes les grandes civilisations furent de métissage culturel et biologique. » Les Africains ne parlaient de leur négritude « que pour ne pas venir les mains vides au rendez-vous de l’Union. » Mais pas n’importe quelle Union… » (p,277)
Pourquoi ne pas noter que, dix ans après sa création, cette Union n’existait pas vraiment ? Est-ce que l’Afrique de l’Ouest comptait dans l’opinion publique française ? Comment pouvait-elle peser comme enjeu économique, compte tenu de son poids marginal dans l’économie française ?
« Les avantages de l’Europe et le coût de l’empire : l’Eurafrique, 1956-1957 »
Comme le note d’ailleurs l’auteur, la donne avait également changé sur le plan européen :
« A l’époque de la loi-cadre, la question eurafricaine entrait dans une phase nouvelle. La France était profondément impliquée dans des négociations qui allaient aboutir au traité de Rome en 1957 et au Marché Commun européen. » (p,279)
Les idées technocratiques de Pierre Moussa sur l’Eurafrique constituaient une nouvelle tentative d’esquiver les véritables enjeux des intérêts mutuels de la France et des territoires africains, dont une des ambitions était d’associer nos partenaires européens au financement du FIDES, c’est-à-dire le partage du « fardeau » de l’Afrique noire.
Les discussions sur tel ou tel type de relation institutionnelle entre la métropole et les territoires africains se poursuivaient en palabres du genre africain, alors que les jeux étaient faits depuis longtemps, j’ai envie de dire dès le début de la colonisation de l’Afrique noire ou d’autres territoires, imagination à l’œuvre ou non.
« Evaluant les possibilités et les inconvénients d’une intégration plus étroite avec leurs voisins européens et les anciennes colonies africaines, les dirigeants français tentaient d’atteindre ces deux objectifs. Ils ne réussirent pas à convaincre leurs partenaires européens des avantages qu’offrait l’intégration de l’Afrique dans les institutions européennes. Et si la plupart des dirigeants africains estimaient encore qu’ils avaient quelque chose à gagner de la France – voire de l’Europe -, jamais la question de savoir si la France avait quelque chose à gagner de l’Afrique ne s’était posée avec autant de clarté. » (p,286)
Il n’est pas démontré qu’il ait fallu attendre 1957 pour faire un tel constat, et que les véritables objectifs des dirigeants français aient été ceux-ci-dessus énoncés, mais dans le paragraphe ci-dessus le mot qui compte est celui de « gagner ».
Comment ne pas constater que plus de 60 ans après, les pays de l’Union Européenne manifestent la même réticence à s’engager dans des opérations militaires que la France se croit obligée d’engager en Afrique ?
« Statut personnel et territorialisation » (p,286)
L’auteur fait le constat, qu’en 1956, la question des statuts personnels et de l’existence d’un état civil restait entière :
« Si l’intégration des collectivités était complexe et incertaine, celle des individus dans l’espace de l’Union française était une autre affaire »
Encore plus incertaine !
« Seule « une petite minorité d’évolués » utilisaient l’état civil. » (p,286)
« Conclusion » (p,291)
Après son très long parcours d’analyse, l’auteur résume sa pensée :
« Les enjeux du débat constitutionnel étaient profonds, comme ils l’avaient été lorsqu’il débuta, plus d’une décennie auparavant. A chaque phase de ce débat, il y eut consensus sur la nécessité de préserver une forme ou une autre de communauté franco-africaine. Mais la doter d’institutions, voire d’un nom, restait constamment hors de portée des politiciens. Le problème n’était pas – contrairement à ce que dit souvent la littérature sur la politique coloniale française – celui d’une confrontation entre un colonialisme français obstiné et un nationalisme africain véhément. Le débat se situait entre les deux. Si l’on poussait le principe de l’équivalence des citoyens à sa conclusion logique, alors le cauchemar d’Herriot se réaliserait : la politique française serait dominée par les électeurs d’outre-mer, tandis que la charge liée à l’égalisation, dans un espace caractérisé par une extrême inégalité économique, les salaires des fonctionnaires, les niveaux d’éducation et des services de santé, et les possibilités d’emplois productifs serait supérieure à ce que les contribuables métropolitains pourraient supporter. A l’autre extrême, l’indépendance présentait de multiples risques – persistance de la pauvreté et de la faiblesse politique, voire recolonisation par les Etats Unis, l’Union soviétique ou la Communauté économique européenne. » ( p,292)
Pour avoir suivi comme témoin et comme acteur modeste le déroulement de ce cycle historique des négociations, je ne suis pas sûr que de part et d’autre on se soit fait beaucoup d’illusion sur la suite des événements, c’est-à-dire la décolonisation des indépendances, encore moins, compte tenu du déroulement de la guerre d’Algérie, et du mouvement généralisé des indépendances des mondes coloniaux.
Pour me résumer, j’écrirais volontiers que les débats très sophistiqués que décrit l’auteur intéressaient peu de monde aussi bien en France qu’en Afrique de l’Ouest.
Au moins, la Grande Bretagne, compte tenu de son système colonial du chacun chez soi et du chacun pour soi, n’eut pas les mêmes états d’âme que la France, empêtrée dans ses discours d’assimilation toute théorique et d’égalité.
Houphouët-Boigny, voisin de la Gold Coast, devenue le Ghana indépendant en mars 1957, avait une vision plus réaliste des évolutions possibles, lorsqu’il déclarait : « Nous avons besoin de la France pour notre émancipation humaine et sociale, la France a besoin de nous pour assurer la permanence de sa grandeur, de son génie dans le Monde. » (p,293)
Effectivement la « grandeur » mais à quel prix ?
Car dans l’ombre de toutes ces savantes discussions, et sans le dire clairement, la France poursuivait ses rêves de grandeur, comme aujourd’hui encore, avec ses interventions militaires en Afrique.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés