Humeur Tique: plan banlieues et TVA restauration, Cade, histoire et Afrique de demain

 Humeur Tique: plan Banlieues et TVA restauration

Que penser du sérieux de la gestion « politique » du gouvernement?

    Il a trouvé 3 ou 4 milliards d’euros pour accorder une TVA réduite à la restauration, une « faveur politique », électorale dont les résultats en termes d’additions et d’emploi, sont loin d’être convaincants,  mais il a remis à plus tard, en 2011, dit-on, le plan banlieues qu’attendaient, depuis des années, des gens sérieux.

Humeur Tique: Bulletin de la CADE(avril 2010,Page 11) Madagascar et l’Afrique pour demain

    Dans son bulletin d’avril 2010, la CADE, « Coordination pour l’Afrique de demain- Un autre regard sur l’Afrique et les Africains », dresse un tableau historique rapide sur les anciennes colonies françaises devenues indépendantes dans les années 1958-1960.

   A la rubrique Madagascar, le bulletin écrit:

    » Violentes émeutes lors d’affrontements avec le maire d’Antananarivo Andry Rajoelina, il sera nommé président de la haute autorité de transition en attendant de nouvelles élections. Face aux affrontements incessants entre les partisans de l’ex-président et Rajoelina, l’UA interviendra. »

  « HIC historique »! Le bulletin ne dit pas que Rajoelina a pris le pouvoir par un coup d’Etat.

   Ce n’est donc pas la meilleure façon pour une association française de servir « L’Afrique de demain » et d’aider les Français et les Malgaches à porter un autre regard sur l’Afrique et les Africains

« La Tête en friche », un film de Jean Becker, avec Depardieu, un grand Depardieu! Allez voir ce film!

 Je n’ai jamais été un admirateur inconsidéré de Depardieu, mais ses deux derniers films, méritent incontestablement le détour, Mammuth, mais surtout « La Tête en friche », une superbe histoire qui nous change de beaucoup des mièvreries françaises habituelles.

    Le récit d’un adulte, enfant mal aimé, pris en grippe, sorti illettré de la bonne école républicaine, et auquel une vielle dame, adorable, rencontrée sur un banc public, fait découvrir la lecture, les livres, la Peste de Camus, Gary, Supervielle…

    Tout un programme, et quel programme! Dans la pâte humaine!

    La découverte des mots, de la lecture! 

   Et la découverte de l’âge, de la société d’aujourd’hui, des véritables relations humaines entre générations, quelquefois oubliées , faites d’abord de gratuité et d’amour!

L »Orientalisme fantasmé » de Pierre Loti? L’Inde (sans les Anglais)(1886)

        Est-ce qu’on connaît encore Pierre Loti en France, comme on le connaissait dans la première moitié du XXème siècle, car son œuvre était prolifique, en même temps et souvent exotique, pour ne pas dire coloniale.

            Officier de marine, Loti participa à plusieurs des aventures coloniales de la Troisième République, au Sénégal, en Polynésie, et en Asie.

            Officier de marine lors de la prise de Hué, en 1883, il en avait fait un récit de « reporter de guerre », objectif, qui n’occultait pas les horreurs de cette expédition, récit qui lui valut d’être suspendu de la Marine par Jules Ferry.

            Ses romans exotiques sont oubliés sur le Sénégal, la Polynésie, ou le Japon, ainsi que le récit de son voyage dans « L’Inde (sans les Anglais) » qu’il y effectua en 1886. Alors qu’il rentrait du Japon, il y accomplit un long parcours d’exploration et de découverte, de Mahé, au sud, à Bénarès, sur le Gange.

            La mention « sans les Anglais » est incontestablement le signe de la détestation historique que la Royale continuait de porter aux marins de Sa Majesté.

            Son récit de voyage est d’une très grande qualité littéraire, avec un art parfait de l’écriture toujours précise, rigoureuse, ciselée. Loti décrit avec une très grande minutie, celle d’un entomologiste, les paysages et les cités qu’il découvrait, les monuments et les temples de l’Inde, toujours gigantesques et cyclopéens, les célébrations mystérieuses, souvent nocturnes, fantasmagoriques de l’Inde religieuse.

            Et il faut lire en particulier les nombreuses pages consacrées à l’Inde affamée, celle des populations paysannes des déserts du Rajahstan, la famine des paysans morts, sur le point de mourir, hommes, femmes et enfants, aux portes de cités encore florissantes et illuminées. Une indifférence naturelle face à la misère et à la mort, cette cohabitation culturelle toute hindoue entre riches et miséreux, entre vivants et morts !

            Même de nos jours, un Français éprouve encore un véritable malaise lorsqu’il rencontre cette cohabitation de misère et de richesse dans une grande ville de l’Inde, des familles entières campant sur les trottoirs, le long des rues.

            Certains chercheurs accordent une importance majeure au discours d’Edward Said dans son livre sur « L’orientalisme », lequel ouvrage aurait aidé à démonter les « constructions fantasmées » des occidentaux sur l’Orient.

            Mme Coquery-Vidrovitch  y fait référence dans un article sur le musée du quai Branly, qu’elle a publié dans le « Petit Précis…à l’usage du Président Sarkozy » (page 137).

            Le lecteur curieux pourra constater que le récit de Loti n’avait rien d’une construction fantasmée sur l’Inde de l’année 1886.

            Jean Pierre Renaud.

Madagascar, Thalassa du 28 mai 2010

L’expédition (Tara) : cap sur Madagascar

Thalassa du 28 mai 2010

            Une émission intéressante, incontestablement, dans la ligne des documentaires orientés sur les côtes et la mer, beaucoup plus que sur les « terres splendides de Madagascar », annoncées par un programme de télévision.

            Les Français qui l’ont regardée, après avoir poireauté de l’ordre de deux heures,  jusqu’à la fin d’une partie de tennis à Rolland Garros… ont eu la possibilité de découvrir certains aspects de la Grande Ile.

            Pourquoi ne pas regretter toutefois que le cadrage historique et géographique n’ait pas été plus explicite, et que le commentaire n’ait aucunement parlé de la continentalité de l’île, coupée de la mer, précisément, jusqu’à à l’arrivée des Français ?

            Elite et pouvoir malgache étaient enracinés sur les plateaux et pas sur les côtes.

            Mon épouse et moi avons été surpris par plusieurs choses : l’intervention d’un fonctionnaire du « FMI » sur le sujet de Libertalia, comme par hasard un blanc, et successivement toujours des blancs, le bon blanc de la crevette, une bonne dame des Ong pour la protection de la nature, à Fort Dauphin, et le navigateur solitaire chez le roi Sakalava.

            Et pourtant, Madagascar ne manquait pas d’enfants du pays compétents pour illustrer un tel documentaire !

            Enfin, terminer sur l’ancien bagne de Nossy Lava…? L’émission aurait pu terminer sur une autre note, un autre champ de la nature malgache, les chants d’une « biodiversité » exceptionnelle, et de l’humanité malgache, aussi exceptionnelle..

Polygamie, polyamour: Bonne Fête Maman! Fête des Mères du 30 Mai 2010

Polygamie ou polyamours ? le Monde Magazine du 17 avril 2010 et « faits de polygamie » à Nantes, le Monde du 13 mai 2010

Quels rapports ? Oserais-je dire !

Explication de textes, de droit et de philosophie sociale

            « Faits de polygamie » à Nantes (le Monde du 13 mai 2010) : je cite une des réponses publiques du polygame supposé et incriminé : « si l’on est déchoué (sic)  de la nationalité française parce que l’on a des maîtresses alors beaucoup de Français peuvent l’être ».

            Peut-être le Monde Magazine du 17 avril 2010, apportait-il une première réponse et a-t-il rassuré par avance la personne interviewée, puisqu’il publiait un article fort bien documenté, intitulé :

            « Une nouvelle façon d’aimer fait des adeptes

            A vos polyamours, qu’ils durent toujours !

            Vivre plusieurs relations amoureuses en même temps, au vu et au su de chacun des partenaires – mieux en harmonie. C’est le polyamour, venu de Californie. Compliqué à gérer, mais tellement gratifiant. »

            Tellement gratifiant pour notre journal de référence qui se risque à présent sur un terrain qui était plutôt celui de Libé ? J’ajouterais que les Français ne sont pas obligés de « polyamourer » tout ce qui nous vient des USA !

            La polygamie

            La polygamie, dans les sociétés et religions où on la pratique, en Asie, au Moyen Orient et en Afrique, est un statut hybride qui mélange religion, droit de la famille, statut social, et condition dépendante, pour ne pas dire inférieure, de la femme, c’est-à-dire des épouses multiples.

            La polygamie est condamnée par le droit français, mais il faut rappeler que la France, en tant que puissance coloniale, a toujours été aux prises avec cette coutume bien enracinée dans certaines sociétés coloniales, et qu’après 1945, avec la mise en application d’un début de droit familial dans les colonies, les pouvoirs publics ont été confrontés à la gestion compliquée des avantages sociaux en cas de polygamie.

            La polygamie des années 50

            Comment ne pas recommander aux lecteurs curieux  la lecture d’un livre bien documenté, même s’il date sans doute un peu, puisqu’il a été publié en 1953, intitulé « La condition humaine en Afrique noire », par Sœur Marie-André du Sacré Cœur.

            Elle n’avait rien d’une « grenouille de bénitier » !

            Dans son chapitre VI intitulé « Polygamie et monogamie », elle traçait le portrait des situations matrimoniales dans l’Afrique noire des années 50.

            La polygamie ne régnait pas sur tout le territoire, mais là où elle existait et était répandue, elle déséquilibrait complètement les sociétés, les riches et les puissants s’arrogeant un nombre de femmes qui en privaient les plus jeunes et les plus pauvres, parents ou non.

            L’auteur citait les statistiques démographiques de l’AOF et écrivait :

            « Devant ces chiffres, on comprend facilement que, si un chef de village prend 20 épouses, 19 de ses sujets devront s’en passer ; et si 50 polygames ont chacun 3 femmes, 100 de leurs compatriotes resteront célibataires.. p.116)

            Et à la page suivante, elle donnait de multiples exemples des effets de la polygamie en Haute Volta (aujourd’hui Burkina Fasso) :

            « C’est en Haute Volta, un village de 700 habitants ; le chef de village a 4 femmes, 6 enfants, 2 fiancées de 15 et 14 ans ; mais ses 4 frères, âgés de 38, 30, 28 et 27 ans, sont célibataires…(p.117) 

            L’auteur notait par ailleurs, et cette remarque éclaire notre débat :

            « Cette polygamie a été favorisée, chez les fonctionnaires, par la façon dont leur sont attribuées les prestations familiales… Transposer en Afrique les allocations familiales, telles qu’elles existent en Europe, et les verser au mari polygame, c’est accorder à celui-ci un supplément de salaire qu’il garde – comme d’ailleurs son salaire initial – pour son usage individuel, puisque chaque femme assume la charge de ses propres enfants. On pourrait citer de nombreux exemples ; contentons-nous de quelques uns.

            « Tel infirmier dahoméen a huit épouses, qui toutes font du commerce pour élever leurs enfants (vingt cinq en tout). Lui garde tout son salaire et ses allocations familiales ; il vit très largement, invite ses amis, les traite royalement… (p.125, 126) »

            Comment défendre la polygamie ?

            L’interviewé de Nantes avance, pour sa défense supposée, les maîtresses des Français, et il est vrai que le Monde Magazine viendrait lui donner quelques arguments.

            Les Polyamours

            Sans entrer dans le champ de la sphère de la vie privée,  il faut tout de même souligner que ce type de pratique n’est pas contraire aux droits et libertés de nos sociétés, ne met pas en cause les principes d’égalité entre les hommes et les femmes, ne réduit pas la femme ou l’homme à une nouvelle situation d’esclavage moderne, en tout cas sur le plan civil.

            Alors que penser de l’objection citée plus haut ? Il s’agit purement et simplement d’une forme de subversion politique et juridique, de notre droit, en tout cas, sans se prononcer sur une subversion éventuelle de l’ordre socio-religieux que l’interviewé parait défendre.

            Il est évident que les deux phénomènes sociaux n’ont rien à voir entre eux, et qu’en  tout état de cause la polygamie est proscrite par notre droit, et il en est bien ainsi.

            Et aux chercheurs modernes de nous dire si la polygamie moderne n’a pas conservé sa caractéristique traditionnelle de « merchandising », et de compensation patrimoniale, grâce à la dot.

            Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Fric Fric Fric Foot et Ribéry

 700 000 ou 800 000 euros par mois, un chiffre de plus ou de moins, quelle importance?

   Après les PDG, les stock-options, les gens du foot! Un salaire donné par un grand club allemand, alors que le gouvernement allemand et les allemands en général, semble-t-il, recommandent aux Européens, à juste titre, de suivre le bon exemple allemand de la sage gestion des affaires publiques et privées.

   Peut-être saura-t-on où notre grand footballeur paie ses impôts.

   J’aime le foot depuis mon enfance, mais trop de fric, trop de fric, c’est décidémment trop, et ce n’est bon, ni pour notre jeunesse, ni pour la France.

« Essai sur la colonisation positive », un livre de l’historien Marc Michel

  Tout d’abord pourquoi ce titre un brin provocant ?

        Avant de proposer quelques notes de lecture, il n’est pas inutile, je crois, dans le contexte politique et idéologique actuel de certains chercheurs, plus qu’historique, d’éclairer le lecteur sur le sens complet du titre choisi, et pour ce faire, quoi de mieux que de citer une des phrases clés  de la conclusion ?       

            L’auteur rappelle à ceux qui ont la mémoire courte, qu’avant l’élection de Barack Obama, un exemple qui serait à suivre, la France a eu, depuis longtemps,  des députés, des hauts fonctionnaires noirs, des ministres… Sans attendre l’exemple américain !

            “Ils étaient le fruit d’une longue histoire où la colonisation a eu sa part, tantôt positive, tantôt négative toujours complexe, contradictoire, ambiguë.”

            Et pour éclairer le même propos, Amadou Hampâté Bâ, le grand lettré de l’Afrique occidentale, écrivait dans son livre « Amkoullel, l’enfant peul » (1992) :

            « Une entreprise de colonisation n’est jamais une entreprise philanthropique, sinon en paroles… Mais, comme il est dit dans le conte Kaïdara, toute chose a nécessairement une face diurne et une face nocturne. Rien, en ce bas monde, n’est jamais mauvais de A jusqu’à Z et la colonisation eut aussi des aspects positifs qui ne nous étaient peut être pas destinés à l’origine mais dont nous avons hérité et qu‘il nous appartient d’utiliser au mieux. » (p.492)

            Un regard de « collabo » des Français ? Si l’on retenait une des interprétations  qui figure dans le « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du Président Sarkozy » ? (voir mon analyse de ce livre sur le blog du 3 mars 2010)

            L’auteur nous emmène donc dans l’histoire des relations entre les blancs et les noirs en Afrique au cours d’une longue période, qui va de 1830 à 1930, en nous proposant très souvent une analyse historique internationale et transversale, du nord au sud, et de l’ouest à l’est de ce vaste continent.

            Sont successivement présentés les paramètres les plus intéressants de la problématique coloniale, des analyses et des synthèses fondées sur une historiographie très riche de sources toujours citées.

            Les réflexions sur les transitions économiques du XIXème siècle sont stimulantes : les sociétés côtières africaines réussirent à s’adapter à l’évolution, à passer de la traite des esclaves à la traite des produits, mais échouèrent à sortir du système des comptoirs côtiers, à franchir  le cap redoutable des  nouvelles technologies du commerce international, et notamment celle des transports maritimes.

            Les pages consacrées aux aventuriers font écho aux analyses pertinentes d’Headricks sur l’impact des nouvelles technologies de la médecine (quinine),des communications, et des armes, bien sûr, qui ont favorisé explorations, conquêtes coloniales, et aussi aventures. Les Blancs avaient d’autant bonne conscience qu’ils mettaient en avant le slogan des trois C de Livingstone: “ Commerce, Christianisme et Civilisation.”

            L’auteur écrit: “Si l’on compare donc la présence européenne dans les différentes parties de l’Afrique à la veille du partage, on ne peut être que frappé par des disparités géographiques extraordinaires. L’Afrique du Sud constitue une zone de peuplement blanc… comparable seulement à l’Afrique du Nord. Ailleurs, l’Afrique n’en est qu’aux balbutiements de l’apparition du Blanc dans le  monde noir, aux explorations.”(p.92) Le livre s’attarde longuement sur le cas de l’Afrique du Sud.

            Un continent de l’inconnu

            L’auteur relève qu’effectivement, l’Afrique était encore un continent à découvrir, un “continent de l’inconnu… la raison en est encore l’ignorance gigantesque de l’intérieur du continent pourtant le plus proche de l’Europe.” (p.93).

            Esprit de découverte encouragé par la curiosité et le dynamisme des sociétés de géographie. Rappel des grandes découvertes et du rôle des explorateurs les plus célèbres, Barth, Livingstone, Stanley, et Brazza.

            L’auteur note que Gallieni “ comme l’immense majorité de ses pairs à Saint Cyr, ne sait rien de l’Afrique intérieure lorsqu’il arrive au Sénégal en janvier 1877...”

            Et en ce qui concerne la mission Marchand, véritable “épopée nationaliste”, le livre observe qu’elle fut marquée par une “tache indélébile”… de violence inhérente à l’entreprise coloniale.” (p.127)

            Bible et fétiche

            Le chapitre intitulé “La Bible et le fétiche est un titre accrocheur, et c’est bien. L’histoire aborde là le sujet sensible du choc des convictions, et des cultures. L’écart était tel entre la culture occidentale et les cultures africaines qu’il était difficile à combler. Après la lutte contre l’esclavage atlantique, souvent animée par les Anglais, les missionnaires (ainsi que les autres blancs) se trouvèrent confrontés à la perpétuation d’une traite des esclaves intérieure, notamment en Afrique de l’Est, et à des coutumes, au mieux ésotériques et incompréhensibles, au pire barbares, que le livre rappelle, notamment les sacrifices  humains au Dahomey et en Ashanti. Mais quelle attitude adopter face au fétichisme existant sous de formes multiples, ou à la polygamie?

            Le livre décrit la condition des premiers missionnaires dont l’espérance de vie, sur place, ne dépassait guère trois ans (p.141).

             « La tentation missionnaire a été de tenir leurs chrétientés  à l’écart des influences délétères du monde profane et immoral des blancs (p.162), mais les missionnaires partageaient les mêmes préjugés que les autres blancs sur les noirs; leur position était, par ailleurs et souvent, ambiguë face au  pouvoir colonial. Les missions protestantes anglaises étaient beaucoup plus favorables à l’émergence d’églises indigènes que les missions catholiques.

            “Au total? Durant cette longue période des années 1820 aux années 1880…les Eglises chrétiennes s’implantèrent avec persévérance, malgré les obstacles, grâce à quelques dizaines d’hommes. Du point de vue chrétien, c’était une sorte de miracle…Du point de vue  des Africains, le succès tenait aussi au fait qu’ils avaient su saisir de ce christianisme importé qu’ils se sont approprié et y ont vu un instrument de modernité. Ce faisant, ils en ont fait aussi un instrument de contestation. Mais l’essentiel est qu’en définitive ils n’ont pas “choisi” entre la Bible et le fétichisme; ils ont ajouté l’une à l’autre. “ (p.173)

            Donc, la bible plus le fétiche!

            La parole comme enjeu: j’ajouterais volontiers la palabre, puisqu’il s’agit d’abord de cela.

            Le sujet n’est pas traité en tant que tel dans l’histoire coloniale, sauf ignorance de ma part, et à ce titre, il est novateur. Le thème est capital puisqu’il s’agit du truchement des mots et des pensées entre deux mondes qui s’ignoraient, et qui n’avaient pas grand-chose en commun à l’époque.

            Ainsi que le note l’ouvrage, la palabre avait de multiples sens, passant de la relation de pouvoir, à la négociation, à la sociabilité du groupe, à l’arbitrage, au jugement coutumier, au jeu …et s’il est vrai, comme le souligne l’auteur, que le pouvoir colonial  a fait dériver le sens du mot et de la coutume, pour les administrateurs coloniaux, le mot avait aussi un sens proche de celui que lui donnaient les Africains.

            Est-ce que le constat proposé par l’auteur: “En situation coloniale, “la palabre” devint très largement une coquille, progressivement repoussée dans le magasin des articles pittoresques, comme les “fétiches” ou les danses africaines.” ne force pas trop le trait de l’évolution? (p.208)

            Des guerres inégales: un chapitre très documenté qui met clairement en valeur la problématique de ces guerres, les enjeux respectifs, et les questions que pose leur interprétation en Afrique. L’ouvrage examine tout à tour les paramètres de la confrontation, armes, effectifs, organisation, logistique, art de la guerre…        

            Les nouvelles technologies ont donné un avantage décisif aux troupes coloniales. Les Africains leur ont le plus souvent opposé de gros effectifs et subi de lourdes pertes  humaines, mais dans quelques cas, la confrontation fut moins inégale, et prit incontestablement une allure européenne. Le livre cite le cas du Dahomey, mais au niveau d’unités plus  modestes, de l’ordre d’un ou deux bataillons, comme ce fut le cas en 1892, contre Samory, avec la prise de sa capitale, Bissandougou : les sofas de Samory y firent jeu égal avec les Français, nombre égal de fusils à tir rapide et art égal de la manoeuvre, au témoignage des officiers français.

            En 1897, à Dabala, où s’était réfugié Samory, alors pourchassé et sur le déclin, l’administrateur Nebout, en mission de contact chez l’Almamy, comptait encore près de mille fusils à tir rapide, soit encore, en équivalent, l’armement d’un ou deux bataillons.

            Guerres-batailles ou guerres de guérilla ?

            Je serais tenté de dire que pour tout classement entre “guerres-batailles et guerres de guérilla” (p.240), il conviendrait peut être de combiner les critères de niveau d’unité, d’armement, et de durée de l’affrontement. Je ne suis pas sûr que le concept de guérilla rende bien compte des confrontations les plus fréquentes, mais pas seulement africaines de l’époque, c’est à dire les “colonnes”, avec leurs accrochages successifs, l’assaut, et la prise du tata (village ou cité avec leurs fortifications), grâce au canon, “le roi des conquêtes” en pays soudanais.

            Sentiment patriotique des combattants africains ou culte du chef de la communauté? A Biassandougou, en 1892, les sofas de Samory lançaient l’assaut et mouraient en criant “Sokhona! Sokhona”, la mère qu’adorait l’Almamy.

            Enfin, deux remarques, la première partagée, la conquête coloniale n’aurait pas été possible sans le concours des Africains eux-mêmes, la deuxième, moins partagée quant à la conclusion:

            “Une chose est certaine, les Européens ne permirent jamais aux Africains de lutter à armes égales.”

            Est-ce qu’il y a eu beaucoup de guerres sans que l’initiative ne soit prise par un des deux camps assuré de disposer de la supériorité des armes?

            Il serait intéressant, par ailleurs, de savoir pourquoi des chefs de guerre africains intelligents ont le plus souvent donné la préférence à l’affrontement direct, et non indirect, en inscrivant peut être ce type de réflexion dans le registre des analyses de Victor Hanson, et de son livre « Carnage et culture » ?

            Quand le monde s’effondre L’auteur relève tout d’abord que le temps de la gestion coloniale a été un temps historique courtune cinquantaine d’années, mais qu’il a provoqué, en une génération, un profond changement, alors que les auteurs de ce bouleversement, sur le terrain, n’étaient que quelques centaines d’Européens.

            Le livre relève, comme aberrante, l’affirmation d’un « historien » à succès, d’après lequel il aurait existé un totalitarisme colonial, alors que les administrateurs coloniaux, les  rois de la brousse, les véritables leviers du changement n’ont jamais été guère plus d’une centaine, soit, en moyenne, un administrateur pour 150 000 habitants.

            Il a bien fallu que les administrateurs cherchent à connaître les africains dont ils avaient la charge, leurs cultures, leur organisation, il leur fallait les nommer, d’où la description des ethnies, sujet aujourd’hui controversé, mais comment pouvait-il en être autrement? Auraient-elles disparu de nos jours?

            Les femmes…  Et trouver des truchements, des intermédiaires, et le livre aborde là un sujet tout à fait novateur que frappe une sorte de censure historique, mais dont les historiens ne sont pas obligatoirement responsables.

            Pour avoir fréquenté de très nombreux récits d’explorations ou de conquêtes, il est exceptionnel que leurs auteurs parlent des femmes, sur un plan intime. Landeroin, l’interprète en langue arabe de la mission Marchand, évoque le sujet dans ses carnets manuscrits, mais ces carnets n’étaient peut-être pas destinés à être publiés tels quels.

            A titre anecdotique, à l’occasion de son retour de Fachoda à Djibouti, Landeroin notait lors de son séjour à Goré, en Abyssinie: “La belle pastèque, que Dieu soit loué, est revenue avec moi la nuit“. A titre anecdotique, Landeroin épousa une femme d’origine peule qu’il ramena en Touraine. Nebout, cité plus haut, épousa une femme d’origine baoulé.

            Dans ses carnets, Binger notait que refoulé de Whagadougou, en 1888, il était revenu chez le frère du chef de cette cité, qui lui avait offert trois femmes pour qu’il se marie avec elles, mais ce type d’information n’est pas très fréquent dans les récits de l’époque. (p.42)

            Il est dommage que le livre n’ait pas consacré à ce sujet quelques pages supplémentaires, faute de sources sans doute, parce qu’il en vaut la peine.

            Deux facteurs me paraissent déterminants à ce sujet, très au delà des interprétations égrillardes les plus répandues, la liberté des moeurs qui existait dans beaucoup des sociétés africaines rencontrées, et la nécessité professionnelle pour un administrateur, à côté de l’interprète ou du garde, de trouver un partenaire de confiance pour connaître et comprendre ce monde nouveau et inconnu dans lequel il se trouvait plongé.

            S’accommoder avec l’inévitable, c’est à dire la malédiction du travail forcé, dont les Européens n’étaient toutefois pas les inventeurs, une sorte de fil rouge dans la littérature, mais pour lequel il existe encore peu d’études… du portage qui fut une des plaies de la conquête, notamment en Afrique centrale, faute en partie d’une absence quasi-totale de voies de communication et de moyens de transport. Parce qu’il fallait produire.

            Soigner – Le passage consacré à la médecine coloniale est intéressant, parce qu’il touche, comme la bible, au domaine sensible des convictions; médecine rationnelle ou médecine traditionnelle, souvent celle des sorciers ou des marabouts. De toute façon, en 1914, et longtemps après, le pouvoir colonial n’était pas en mesure de la développer, étant donné qu’il n’y avait alors, en AOF, que 140 médecins, et qu’ils étaient  militaires.

             Ecoles et élites: aux origines du grand malentendu – Je me contenterai à cet égard de citer le jugement de l’auteur:

            ”Ensuite, l’école exprima dès le départ, plus manifestement que d’autres indicateurs, les contradictions de l’Etat colonial de se doter d’une classe sociale d’auxiliaires, celle des missionnaires de susciter des artisans pour de  nouvelles chrétientés, et celle des Africains de se rendre maîtres d’un outil de leur émancipation.(p.338)

            L’Afrique pendant la grande guerre – Le livre décrit la guerre sur le théâtre africain, un pan peu connu de la grande guerre et traite d’un sujet que l’auteur connaît parfaitement, l’effort de guerre colonial, l’appel à l’Afrique, le loyalisme des soldats africains. Il démonte en même temps la légende de la chair à canon, en démontrant par les chiffres, que leurs pertes étaient comparables à celles des Français, qui rappelons-le, étaient elles-mêmes considérables.

            L’évocation des rencontres et des images réciproques entre français et africains est éclairante sur la complexité des rapports entre cultures, en notant que dans beaucoup de cas, et de part et d’autre, jamais autant de personnes de race et de cultures différentes ne s’étaient déjà rencontrées.

            Mais contrairement à l’armée américaine, les Africains purent constater que l’armée française n’était pas une armée de ségrégation.

            Après la grande guerre, l’Afrique ne fut plus du tout la même.

            1916, la révolte en Haute Volta

            Pendant la guerre, l’AOF avait enregistré des refus et des révoltes, notamment, en 1916,  en Haute Volta. “La répression fut terrible et soigneusement cachée en France… Ce fut, semble-t-il, la plus importante  révolte qu’ait connue l’Afrique noire française durant la période coloniale.”(p.362)

            Les lendemains de guerre  Le livre souligne qu’après la guerre, on pouvait, encore moins qu’auparavant, comparer l’Afrique du Sud (plus la Rhodésie et le Kenya)  au reste de l’Afrique : “Plusieurs Afriques se dessinent…”; en France et en Afrique noire française, il existait un “non-dit” entre “identité et “assimilation”, qui alimente encore le débat.

            L’auteur résume:“Les sociétés colonisées d’Afrique sortirent à  la fois déstabilisées et encore plus contrôlées qu’auparavant de la période de guerre; les révoltes qui se produisirent alors marquèrent le terme presque définitif des “résistances primaires”, l’avènement réel de l’Etat colonial.” (p.395).

            Mais avec un regard nouveau de l’Europe sur ces civilisations, le “renversement que les sciences humaines opèrent après la Grande  Guerre…”, la naissance de l’africanisme, la découverte de l’art dit primitif…

            Et le contraste entre bonnes paroles et réalités     

            « Il est évidemment facile de souligner le contraste entre ces bonnes paroles et les réalités, la condescendance ou l’ignorance, quand ce n’était pas la brutalité, qui régissaient les relations entre Blancs et Noirs dans l’Afrique colonisée, à cette époque. Pour autant la construction coloniale comporta suffisamment d’aspects positifs par la suite, qu’on ne peut en nier l’ambiguïté fondamentale.” (p.408)

            Et l’auteur d’épingler “quelques idées reçues”: les Africains ne seraient “pas capables de modernité… les relations entre Africains et Européens n’auraient été que violence à sens unique…les Européens sont “coupables” de la traite, de la colonisation: “ils ont eu tort”. Certes… L’Afrique ne s’est pas défendue, elle s’est donnée…il y a une Afrique “authentique”, celle des paysans, de la “tradition” et une Afrique “pervertie”, celle des villes, des évolués...”

            Et l’historien de conclure avec le grand africaniste que fut Delafosse (un administrateur colonial) :

            “ Mais pourquoi perdre notre temps à toujours comparer les Noirs aux Blancs et les Africains aux Européens? C’est là une besogne assez vaine…” (p.411)

            En résumé, un livre dense et d’une grande honnêteté intellectuelle, dans la droite ligne des travaux du grand historien Henri Brunschwig, un livre rafraîchissant sur le plan intellectuel, parce qu’il nous sort du discours trouble et idéologique de certains livres qui flirtent trop souvent avec la mémoire, les médias, et le goût du jour, et qui surfent sur le terrain sensible de l’immigration africaine, et surtout algérienne.

            Il serait sans doute  intéressant de connaître l’accueil que les historiens africains feront à l’ouvrage

Jean Pierre Renaud

France-Algérie – Le Monde du 21 mai 2010 – Contre-enquête: peut-on réconcilier les mémoires

 Le deuxième sous-titre: « Cinquante après, est-il possible d’écrire une histoire commune? » est à lui seul l’illustration parfaite du mélange des genres permanent entre mémoire et histoire, de la confusion qu’entretiennent, entre autres, certains des historiens cités dans les deux pages. (Voir mon commentaire du livre de Stora intitulé « La guerre des mémoires », blog du 25 avril 2010)

    Sur le projet de fondation envisagé pour la mémoire de la guerre d’Algérie, une seule remarque: que vient faire l’Etat dans cette affaire? Laissons le soin aux différents groupes de pression, et Dieu sait s’ils sont nombreux, de défendre leur mémoire, en soi respectable.

    Le journal donne la parole à l’historien Harbi, ancien responsable du FLN, pourquoi pas? Mais je ne serai sans doute pas le seul soldat du contingent de cette sale guerre à manifester ma surprise.

    Je me contenterai de citer à nouveau, et à ce sujet, le grand historien, et non mémorialiste, Marc Bloch:

    « Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres  » (Fustel de Coulanges-1930)

     De quoi encore plus « frémir » de nos jours!

     Et de façon plus anecdotique, que penser des références Blanchard et Bancel, le premier, plus « montreur » d’images coloniales qu’historien, et au surplus « historien entrepreneur », le deuxième dont la thèse de doctorat a porté sur un sujet scientifique tout de même assez restreint, « Les mouvements de jeunesse et sports dans l’évolution institutionnelle et politique de l’AOF (1945-1960)

    Et en ce qui concerne les pensions, est-ce que ces anciens appelés n’ont pas demandé cette fameuse pension? Sans quoi ils n’en seraient pas attributaires? Donc repentants?

  Jean Pierre Renaud

Les Mariages forcés: « ton mari sera ton maître » -France 5 du 18/05/10

Du « mariage forcé » de Molière (1664) aux « mariages forcés » (2010) !

« Ton mari sera ton maître »

 France 5, le 18/05/10, un documentaire

 de Jean-Pierre Igoux

        Un documentaire très intéressant qui met en scène des femmes très courageuses, d’autant plus intéressant qu’il pose bien le problème de beaucoup de mariages entre françaises d’origine immigrée et étrangers des mondes maghrébins et africains.

            Pourquoi ne pas dire que le titre, un peu anodin, cachait à tort le vrai sujet du documentaire ? Il fallait être un téléspectateur curieux, ou chanceux, pour tomber sur le sujet. Et les programmes de télévision consultés n’étaient pas du tout explicites à ce sujet, il faut le souligner.

            J’aurais sûrement préféré le titre de « Mariages forcés », celui de l’association qui aide les victimes de ces unions à y échapper.

            L’émission met en évidence les graves problèmes que certaines de nos jeunes concitoyennes, d’origine immigrée, rencontrent, pour échapper au poids de la culture de leurs parents, de leur famille d’origine, et au-delà, souvent de la communauté humaine, qui était celle de leurs parents.

            La plupart des Français n’ont aucune idée du fonctionnement de la famille maghrébine et africaine et du poids de leurs traditions.

            Le documentaire met en évidence les différents sens qu’il est possible de donner à ces mariages, souvent forcés aux dires des femmes témoins, respect des traditions oui, mais aussi enjeux financiers, et aujourd’hui, enjeux d’une nouvelle immigration, le mariage de la pauvreté ou du titre de séjour.

            Alors il est vrai que chez nous, le mariage a été longtemps, et reste encore et quelquefois, un arrangement familial ; afin d’éviter les mésalliances de culture ou d’intérêt, mais dans le cas de ces mariages forcés, les femmes sont effectivement privées de leur liberté de choix, écartelées entre deux cultures, les leurs et celles de leurs parents.

            Je puis donner l’exemple d’un couple mixte dont les parents refusèrent à leur fils d’épouser une française, au motif qu’elle allait l’éloigner du culte des ancêtres.

            Il ne faut donc pas sous-estimer les réactions des parents et grands-parents déchirés entre deux cultures, soucieux de ne pas se couper définitivement de leur pays d’origine, tout en reconnaissant clairement que les citoyennes françaises, quel que soit leur pays d’origine, jouissent toutes des mêmes droits.

            Pas plus qu’il ne convient de sous-estimer les réactions encore présentes de parents (et grands-parents)  de culture française qui se voient imposer un gendre ou une belle fille de culture ou de religion étrangères, alors que ces derniers usent naturellement de leurs pleins droits.

                        Alors, et pour conclure provisoirement, je crois tout de même que notre société a quitté définitivement le siècle du « Mariage forcé » de Molière, où l’on voit Sganarelle, considéré comme un vieillard à son époque, convoiter une jeune femme, par ailleurs toute prête à devenir la veuve de son barbon, puis se résoudre à ne plus se marier, mais obligé de faire le contraire, sous la menace de mort du frère de la jeune dulcinée :

            « Hé bien ! J’épouserai, j’épouserai !

Jean Pierre Renaud

La Première Page de Libé du 19 mai 2010: Carlos

Humeur Tique: la première page de Libé du 19 mai 2010-  A la gloire du terroriste et assassin Carlos?

Certains Français, dont je fais partie, auraient sans doute préféré une première page « Moines de Tibéhirine », plutôt que « Carlos », assassin hébergé dans une de nos prisons: vous, non?