Humeur Tique : journal le Monde, Fottorino viré ou le mépris des lecteurs du Monde

Le blog du 8 novembre dernier a salué, comme il convenait, l’éditorial du directeur du journal Le Monde, M.Fottorino, intitulé «  Ecrire une nouvelle page » ;

            Le commentaire soulignait l’ascendance historique, c’est-à-dire « romaine » (Pompée, Crassus et César), et tout à fait troublante, du nouveau triumvirat, en posant  la question de son harmonie, et donc de la réalité du sauvetage de journal.

            Première réponse favorisée par la météo et par une grève du syndicat du livre : Fottorino est viré, mais les lecteurs du journal n’en sont même pas informés !

            Première information, sauf erreur, parue dans le journal du 21 décembre, page 16, intitulée « Louis Dreyfus devient président du directoire du Groupe le Monde ».

            A noter que le nouveau président vient de l’entourage d’un des membres du triumvirat, lui-même, proche du nouvel imam caché du parti socialiste.

            Le triumvirat manifeste donc, dès sa prise de pouvoir capitaliste, et peut-être politique, son mépris des lecteurs du Monde : aucune explication, aucune justification de la part d’hommes qui, chacun le sait, ne sont jamais avares du « plein com » !

            Une nouvelle page est effectivement écrite, noire celle-là, et sans tarder, avant la rose, peut être ?

Humeur Tique: Côte d’Ivoire, futilité politique tragique des Lang et Villepin – nos beaux quartiers sensibles- WikiLeaks et transparence du Monde- Le journal de France 2 du 19/12/10

Humeur Tique : Côte d’Ivoire, Lang et Villepin – nos beaux quartiers sensibles – WikiLeaks au secours de la transparence du Monde, Fottorino viré ? – « Des hommes et les dieux » de France 2 (journal du 13heures, le 19/12/10)

Côte d’Ivoire ou la futilité politique tragique des Lang et Villepin

Nos deux célébrités politiques, médiatiques, et mondaines, Lang et Villepin, prêts à tout pour que les médias parlent d’eux, vont-elles avoir le courage de se faire parachuter à Abidjan, pour voler au secours de leur ami Napoléon Gbagbo ? Afin de lui donner la possibilité de sortir de son piège mortel ?

Un sujet d’intérêt national beaucoup plus sérieux ! Nos beaux quartiers sensibles ! « Plus d’un jeune sur trois est au chômage dans les quartiers sensibles » Le Monde du 16/12/2010

Les deux beaux messieurs cités plus haut, et derrière eux, le Parti Socialiste et le RPR, aujourd’hui UMP, qu’ont-ils fait ou proposé pour apporter des solutions sérieuses et de longue durée, garantes d’une bonne intégration ?

Et pourtant Lang n’a jamais manqué d’imagination politique créatrice, sauf pour la Côte d’Ivoire !

Faudra-t-il une petite révolution pour que notre élite politique se réveille enfin et prenne les mesures nécessaires pour que ces quartiers sensibles fassent réellement partie de notre vieille République ?

 WikiLeaks au secours du journal le Monde ?

Les lecteurs ont enfin compris pourquoi le Monde avait fait preuve d’une grande tolérance à l’endroit des violations de secret diplomatique réalisées par WIkiLeaks !

Semaine après semaine, et jour après jour, le journal nous régale avec ses secrets diplomatiques dévoilés.

Mais il s’est bien gardé d’informer ses lecteurs du remplacement de M.Fottorino à la présidence du directoire, et d’en donner les raisons.

Le directeur de la rédaction a donc été viré par le triumvirat !

Il faudra donc attendre quelques années, pour que WikiLeaks nous donne accès au coffre des secrets du journal.

« Des hommes et des dieux » du journal de France 2, le 19 décembre 2010

Le dossier du jour (quatre journalistes associés) accordait une fois de plus son attention aux présidentielles, aux candidats, aux médias, qui en font trop ou pas assez ( ?), au surmenage des candidats et donc des journalistes…

Trop, c’est trop ! Et le journal de présenter un montage d’images et de propos à partir des images du beau film « Des hommes et des dieux », un mélange des genres, des propos, et des images, indubitablement scandaleux !

Que penser du prieur auquel on met dans la bouche, alors qu’il s’adresse à l’un de ses moines qui s’interroge sur son destin et sa capacité à mourir pour son sacerdoce, des propos qui n’ont rien à voir avec sa foi et sa vocation, et qui avaient trait au « pauvre Woerth, malmené depuis six mois » ?

Oser mélanger le cas d’un ministre dont on ne connaît pas les éventuelles responsabilités et la situation des moines de Tibhirine, quel scandale et quelle honte à ceux qui l’ont osé !

Effectivement, les journalistes de France 2 ont le devoir d’aller se reposer !

« Le colonialisme en question » de Frederick Cooper – Conclusion

« Le colonialisme en question »

Frederick Cooper

« Conclusion »

« Colonialisme, histoire, politique »

(page 311 à 325)

            Le discours

            « La manière dont on aborde l’histoire influe sur la manière dont on pense la politique, et la manière dont on fait de la politique affecte la manière dont on pense l’histoire. Tout au long de ce livre, je me suis efforcé d’écrire un récit du colonialisme qui accorde une attention minutieuse aux trajectoires changeantes de l’interaction historique, à l’éventail des possibilités que les gens, à chaque époque, ont pu envisager pour eux-mêmes, et aux contraintes qui ont pesé sur ces possibilités et sur la capacité des gens à les concrétiser. Un tel récit ne fonctionne pas très bien s’il est celui d’une marche vers la « modernité » ou d’une progression de la « globalisation » face à des peuples tentant de défendre leur « identité » contre les forces qui les assaillent. Il ne fonctionne pas très bien non plus s’il retrace une montée continue de l’Etat-nation face à l’empire. Ces types de récits ne tiennent pas compte du contexte dans lequel l’empire a disparu pour laisser un monde d’Etats-nations inégaux devenir finalement la norme, au moment même où d’autres institutions, d’autres actions supranationales pour définir les normes du développement international et des droits humains universels  compromettaient la souveraineté qui en définitive se généralisait.

            La manière dont on décrit le colonialisme influe sur la perception que l’on se fait des politiques qui ont contesté les pouvoirs coloniaux. La fiction d’un Etat colonial manichéen a pu présenter un intérêt, même si elle simplifiait la manière dont s’exerçait l’autorité coloniale et celles dont les populations colonisées tentaient de se sortir de la situation à laquelle elles étaient confrontées. » (page 311)

Questions

            « Un récit du colonialisme » ? Relation historique ou réflexions historiques ? Entre histoire et politique ? « Une attention aux trajectoires changeantes » ? Ont-elles été précisément décrites ?

            Tout à fait d’accord sur les remarques pertinentes relatives aux récits qui simplifient les « marches » de l’histoire, liées à la « modernité » ou à la « globalisation », ou enfin à la montée de l’« Etat-nation face à l’empire ».

            Pourquoi ne pas avoir évoqué les marches de l’histoire illustrées par la domination militaire (le Reich), idéologique (l’URSS) ou économique (la Grande Bretagne et les USA) ?

Les théories économiques de la domination sont, d’ailleurs et peut-être, plus éclairantes sur le contenu du colonialisme, tout au long de l’histoire, les « temps longs » chers aux historiens, que tout discours sur la modernité ou la globalisation.         Domination politique et économique, grâce aux nouvelles technologies d’armement (les armes à tir rapide), de transport (la vapeur) de communications (le télégraphe et le câble), d’industrie (le textile et la sidérurgie), de santé (la quinine), aidée par des capacités d’entreprise qui se sont épanouies dans le contexte des « Lumières », avec une entreprise qui constituait le véritable ressort du capitalisme.

Il serait possible d’ajouter que les mêmes processus de domination, avec des colorations différentes, et des effets également différents, existaient aussi dans l’Afrique de l’ouest. L’auteur évoque, curieusement, à un moment donné, le type d’« externalisation » qu’était l’esclavage africain, mais beaucoup de ses cultures avaient une structure de castes, dont certaines existent encore.

            Que propose donc l’auteur, et dans quel « ancrage historique » ? Son analyse de la problématique syndicale de l’AOF, après 1945 ? Dans un contexte de « colonialisme » politico-bureaucratique, à la française, celui de la « ville impériale » qu’était Dakar, et de ses lignes de chemin de fer « impériales », une capitale fédérale que le géographe Richard-Molard décrivait comme un « capharnaüm », comparée à la ville secondaire du Maroc, qu’était Agadir.

            Le discours

            « Selon moi, l’histoire du colonialisme et les défis qui lui sont posés devraient réserver une large place aux luttes politiques qui transcendèrent les frontières de la géographie, de l’auto-identification ou de la solidarité culturelle, en partie par la mobilisation de réseaux politiques, en partie par la conjoncture, lors de situations critiques, de différentes lignes d’actions politiques. » (page 312)

            « L’empire fut une réalité ordinaire de la vie politique jusqu’en 1955, (au lieu de 1935 dans le livre imprimé) autant que l’esclavage l’avait été au XVIII° siècle » (page 313)

Questions

            « Des luttes politiques qui transcendèrent les frontières » ? Avant 1945 ?

            « Une réalité ordinaire de la vie politique jusqu’en 1955 » ? Après la seconde guerre mondiale, l’ordinaire de la vie politique française était fait de toute autre chose que d’empire. Les citoyens français pansaient alors les blessures de la guerre, attendaient la fin des cartes d’alimentation, et se mobilisaient pour la reconstruction du pays. Les politiques laissaient faire une guerre coloniale, celle d’Indochine, par un corps expéditionnaire de soldats professionnels.

Le discours

            « Les explications des difficultés du présent ne rendent pas toutes compte des trajectoires qui nous y ont conduits. Un type d’explication considère la marginalité des pays pauvres comme une chose naturelle

            Une seconde explication concerne ceux qui voulaient délibérément améliorer le monde : leur projet a échoué pour avoir voulu imposer à des populations diverses une modernité, une universalité et des formes de vie sociale et économique qu’elles ne désiraient pas… Le colonialisme développementaliste s’intensifia dans le contexte de l’après-guerre, les Etats coloniaux ayant alors besoin de réaffirmer leur légitimité… » (page 316)

            « Mais inversons la question. Que pouvons-nous apprendre d’un point de vue historique plus précis, sur la colonisation et la décolonisation ? La réflexion historique sur les situations coloniales aide-t-elle notre réflexion politique sur les difficultés du présent ?

            L’histoire n’apporte pas de réponse à ces questions, et les historiens ne sont pas meilleurs prophètes que d’autres… »

            Et l’auteur d’analyser les « problèmes du présent » :

            «  Premièrement, le fait le plus fondamental auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est que nous vivons dans un monde d’interconnexions et d’inégalités…

            Deuxièmement, la longue histoire des mouvements anti-esclavagistes, anticoloniaux et antiapartheid constitue une précieuse référence pour guider nos réflexions sur les problèmes politiques actuels… L’esclavage, la domination coloniale, la suprématie blanche, tout cela dépendait de connexions sur de grandes distances et de concepts idéologiques transocéaniques – du sentiment de normalité et de légitimité qui habitait les planteurs, colons et responsables coloniaux, et de celui des populations européennes, qui considéraient ces arrangements comme des composantes légitimes d’une politique impériale, d’une économie globale et de la civilisation occidentale…(pages 319,320)

            Troisièmement, en mettant l’accent sur les limitations de pouvoir impérial, ce livre invite à réexaminer la rhétorique d’un débat très actuel concernant la politique internationale…

            Les empires réels – britannique et français, autant qu’ottoman et chinois – furent rarement aussi cohérents, et lorsque, comme dans la période de l’après-Seconde Guerre mondiale, ils tentèrent de se rendre plus économiquement progressistes et plus politiquement légitimes, ils ne purent faire face à l’escalade de revendications encouragées par leurs actions, aux tensions qui suivirent leurs interventions économiques et aux coûts élevés de la transformation du système impérial en une véritable unité d’appartenance…

Ni l’argument pro-impérial ni la dénonciation d’une colonialité abstraite n’accordent beaucoup de poids à l’une des caractéristiques les plus centrales de l’histoire des empires : leurs limitations… L’empire capitaliste, en Inde aussi bien qu’en Afrique, ne se révéla finalement pas aussi résolument capitaliste, la bureaucratie aussi résolument bureaucratique, et la création de sujets coloniaux aussi fixée quant au type de sujet qu’elle était censée produire. » (page 322)

« L’intérêt de la réflexion sur les empires ne réside pas dans le fait qu’ils représentent de bons modèles pour l’avenir ou une forme de pouvoir politique dont nous devons craindre le retour. La valeur du récit retraçant l’histoire des empires dépend de la place qu’il accorde aux trajectoires historiques, à l’ouverture et à la fermeture des possibilités, à la transformation des concepts à mesure qu’ils furent appropriés par différentes populations et au lien entre les luttes localement circonscrites et la reconfiguration, à l’échelle mondiale, des perceptions de la normalité et de l’inconcevable…(page 323)

«  L’aspect le plus important de cette phase de notre récit est qu’elle est dynamique : les empires furent défiés de l’intérieur et de l’extérieur, d’en bas et d’en haut, et leur fin ultime refléta la reconfiguration des normes du pouvoir à travers tout un système – et non simplement le revirement d’un Etat particulier. Ce processus ouvrit de multiples débats internationaux sur le développement et les droits sociaux – débats qui ne sont pas encore clos…(page 325)

«  L’étude de l’histoire coloniale est là pour nous rappeler que, dans les systèmes politiques les plus oppressifs, les gens ont trouvé non seulement des niches dans lesquelles se cacher et se débrouiller seuls, mais aussi des leviers pour transformer ces systèmes. »  (page 325)

Questions

Avant de nous attacher au fond de la réflexion de l’auteur, apportons quelques précisions sur plusieurs points de ce discours.

Tirer des leçons de l’histoire du colonialisme pour les temps présents ? Les propositions de l’auteur sont loin d’être claires à ce sujet, et dans quel domaine sommes-nous l’histoire, le postcolonial, ou la politique du présent ?

Il parait difficile de mettre sur le même plan d’analyse l’empire britannique et l’empire français : jamais, sauf erreur, la Grande-Bretagne n’a envisagé d’assimiler ses sujets coloniaux.

Quant à la référence faite à un moment donné à l’Inde, quoi de commun entre les immenses richesses du continent indien, ses voies de communication naturelles, avec celles de l’ouest africain ?

« Empires réels » ? Pourquoi avoir omis les Etats Unis ?

Enfin, le texte cite aussi les « colons », mais leur poids était négligeable en AOF, en 1938, 198 en Côte d’Ivoire, et 260 en Guinée (source Delavignette), et le pourcentage des terres  cultivées par des Européens également.

Les questions de fond

Au terme de cette lecture critique, je ne suis pas certain d’avoir encore bien compris, ni la méthodologie historique proposée par l’auteur, ni le champ intellectuel analysé.

Par ailleurs, je ne suis pas non plus convaincu de la validité scientifique, pour ne pas dire historique, de la démonstration qu’a proposée l’auteur, dans le cas de l’AOF, après la seconde guerre mondiale.

 Si j’ai bien compris l’analyse, il convient de dépasser les lectures historiques fondées sur l’identité, la globalisation, la modernité, et s’attacher beaucoup plus à l’histoire des empires, au fonctionnement des empires, mais il est évident que cette analyse survole un « colonialisme » qui n’est jamais vraiment défini.

Quel était-il ? Oû « sévissait-il » ? A quelle époque ? Avec quelles caractéristiques qualitatives et quantitatives ? Car pour revenir à l’exemple de l’AOF, « l’interconnexion » économique a toujours été marginale dans l’économie française, et les « dispositions » économiques de ce territoire peu favorables à son développement ?

Alors l’auteur appâte le lecteur en indiquant que ce type de phénomène a rencontré des limitations, a entretenu des connexions à grande distance, a connu des trajectoiresouvert des possibilités, ce qu’il appelle des niches et des leviers de transformation.

Mais la lecture du chapitre VII ne suffit pas à apporter la démonstration à la fois de sa théorie et des ouvertures historiques qu’il ouvre sur ces différents thèmes de recherche, effectivement, et potentiellement, prometteurs.

En guise de conclusion d’une très vaste analyse fondée sur une puissante historiographie, sa conclusion porte d’abord sur le présent, c’est-à-dire sur les résultats et enseignements tirés du fonctionnement vrai ou supposé du colonialisme, et le lecteur a le droit de se demander si l’historien, une fois de plus, n’a pas été tenté, en définitive, de revêtir l’habit d’un prophète, contrairement à l’un de ses propos..

Les caractères gras sont de ma responsabilité

« Le colonialisme en question » Mes conclusions. Quelle valeur ajoutée?

« Le colonialisme en question »

« Théorie, connaissance, histoire »

Frederick Cooper

Mes conclusions

Quelle est la valeur ajoutée proposée aux chercheurs ?

S’agit-il du « best of » postcolonial studies?

            Incontestablement un travail important, qu’il est difficile de situer dans l’une ou l’autre des disciplines intellectuelles qui se sont intéressées au « colonialisme », l’histoire des idées ou l’histoire politique, la sociologie ou l’anthropologie…

Une historiographie abondante et puissante que l’auteur met à la disposition des chercheurs, mais dans quel but, et avec quelle valeur ajoutée ?

L’auteur leur conseille, au fil des pages, d’user de beaucoup de précautions, pour tenter de définir le colonialisme et son histoire, à partir de concepts clés tels que « Lumières », identité, globalisation, ou modernité.

Ses préférences le portent incontestablement vers les concepts dialectiques états – empires ou états – nations, mais il est possible de se poser la question de leur pertinence historique en faisant l’impasse du contexte, précisément celui de « l’ancrage temporel » qu’il recommande aux chercheurs de ne pas oublier.

Remarquons au passage que certaines descriptions frôlent l’à peu près idéologique, mais la démonstration méthodologique qu’il propose dans le cas de l’AOF, après la seconde guerre mondialeavec le rôle majeur des grèves des « évolués » n’est pas vraiment « concluante » , comme nous l’avons dit.

Aucune référence marxiste dans ces mouvements ? Seulement une revendication d’égalité sociale et citoyenne avec les citoyens français ? Avec le succès paradoxal d’un colonialisme à bout de souffle ? Hors d’un contexte colonial connu des historiens, des géographes, et des africanistes ?

Une compilation savante de tous les travaux qui se sont penchés sur ce type d’histoire, utile sans doute, mais qui laisse le lecteur sur sa faim, car les réflexions les plus stimulantes en sont restées au stade des promesses : quid, et concrètement, des fameuses connexions et interconnexions, des réseaux, des trajectoires, des limitations ?

Quid de la description précise des trajectoires, des connexions, des réseaux et de leurs effets ? Au stade des idées générales, pas trop de problèmes ! Mais au stade des chemins suivis et des résultats, des chiffres, des évaluations, ce livre ne propose pas de réponse pertinente.

Evoquer l’importance des relations transsahariennes ou transocéaniques, sans proposer aucune évaluation comparative et chronologique créée une frustration intellectuelle, pour ne pas dire historique, évidente.

Et en ce qui concerne le fonctionnement des « limitations », le cas de l’AOF après 1945 ? Et il y avait tellement de « fissures », et dès la conquête !

Et quant au fonctionnement concret du colonialisme, sur le terrain, et pour avoir lu beaucoup de récits coloniaux, il ne rentrait pas dans le système intellectuel et abstrait qui est décrit, c’était le plus souvent, beaucoup plus simple, je dirais presque élémentaire.

A propos du chapitre 7, nous avons proposé des concepts d’analyses stratégiques qui paraissaient mieux décrire ce fonctionnement historique.

Dès l’origine, le processus de la décolonisation était inscrit dans la « situation coloniale », sur le terrain, chez un certain nombre d’officiers et d’administrateurs, et à Paris.

Au sein même de la Chambre des députés, à Paris et non dans l’empire, les « fissures » dont parle l’auteur existaient déjà, de « grosses fissures », et dans l’attitude réservée des Français à l’égard des conquêtes coloniales.

Dans son discours à la Chambre des députés du 31 juillet 1885, après les affaires de Lang Son et du Tonkin, Clemenceau déclarait, en contestant les ambitions coloniales de Jules Ferry et ses justifications :

« Races supérieures ? Races inférieures, c’est bientôt dit… Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps. Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine, avec cette grande effervescence d’art dont nous voyons encore aujourd’hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui parait avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius !… » 

   Il n’est pas inutile de rappeler que des historiens aussi sérieux que Brunschwig et Ageron ont conclu l’un et l’autre, dans leurs analyses de périodes historiques différentes, à une certaine indifférence, pour ne pas dire plus, de l’opinion publique à l’égard des colonies.

Après la fameuse grande exposition coloniale de 1931, dont certains chercheurs font le « must » du colonialisme, le maréchal Lyautey, son responsable, et grand  « colonialiste » s’il en fut, reconnaissait qu’elle n’avait pas beaucoup changé le sentiment de l’opinion publique.

C’est un des raisons pour lesquelles, après avoir beaucoup fréquenté notre histoire coloniale, je fais partie de ceux qui considèrent que la France a toujours été beaucoup plus attirée par l’exotisme ou le verbalisme des « Lumières » que par le colonialisme, « frère jumeau » ou non.

Et je serais tenté de dire que les Français manifestent une belle continuité à cet égard si l’on en croit leur intérêt pour les émissions télévisées consacrées au voyage, au dépaysement, à l’exotisme, en dehors de tout « inconscient collectif » cher à Mme Coquery-Vidrovitch.

Je proposerais donc en conclusion de revenir au contenu de la phrase de Sun Tsu que j’ai citée dans mon introduction :

« Le fin du fin, lorsqu’on dispose ses troupes, était de ne pas présenter une forme susceptible d’être définie clairement… »

Mais il s’agissait dans le cas d’espèce de gagner une bataille, bien sûr, et dans le cas de ce livre, de convaincre le lecteur, j’imagine, pour qu’il partage son analyse, après l’avoir impressionné par le jeu des drapeaux et des étendards (identité, globalisation, modernité, empires), et aussi le « bruit des tambours » (un zeste d’idéologie), de la trouver pertinente, et donc de lui proposer enfin « une forme… définie clairement », celle, j’imagine, qu’aurait été l’AOF, après 1945, avec la montée des revendications syndicales.

Je crains fort que cette bataille n’ait pas été gagnée, bien que certains chercheurs, mais pas tous, aient été séduits par ces nouveautés venues de l’Ouest, ces modes intellectuelles qui font flotter drapeaux, bannières, et étendards, dans le sens du vent.

Jean Pierre Renaud, le 2 décembre 2010

Avec mes remerciements à mon vieil ami d’études, M.A. qui m’a donné, en tout cas, je l’espère, et grâce à ses conseils, la possibilité de ne pas trop oublier l’« ancrage temporel » et contextuel indispensable à toute réflexion historique.

Humeur Tique: CAC 40 et rémunérations des PDG anciens hauts fonctionnaires

         Les journaux ont publié les rémunérations des PDG des grandes sociétés du CAC 40, et les lecteurs ont été ravis d’apprendre que les rémunérations de la plupart d’entre eux ont baissé d’une année sur l’autre, de l’ordre de 14% si le chiffre est exact, sur des ordres de grandeur de 200, ou 300 fois le SMIC. Les lecteurs auront donc pu remarquer que certains journaux ont présenté la chose en titrant sur le « moins 14% »

Comment ne pas être choqué par le montant de ces rémunérations, d’autant plus choqué, lorsque les PDG en question, ont fréquenté les grandes écoles de la République, garni leurs carnets d’adresses dans des cabinets ministériels, et n’ont pas été les créateurs de l’entreprise qu’ils managent ?

Dans quelle République sommes-nous ?

Mitterrand: « Le dernier mort de Mitterrand de Raphaëlle Bacqué

« Le dernier mort de Mitterrand »

de Raphaëlle Bacqué

Lecture

Ou comment peut-on être encore mitterrandiste ?

            Un livre intéressant sur le plan historique, sur le rôle des entourages familiaux ou amicaux, mais aussi sur celui de certains d’entre eux, beaucoup moins désintéressés, sur fond des magouilles du financement de la vie politique et des vies privées.

            Le « ministre de la vie privée » de M.Mitterrand est au cœur de l’intrigue, partenaire ou victime d’une véritable fascination amoureuse que le prince exerçait sur lui, qui l’aurait conduit au suicide ?

            Mais un livre glauque, mortifère de tout idéal politique, un livre désespérant, pour tout dire, pour ceux qui, comme moi, ont cru à la vie politique, à ses vertus et à ses idéaux.

            Je serais tenté de dire : comment peut-on encore porter un culte au personnage politique de Mitterrand ? Je vous avouerai que je dirais volontiers la même chose de son adversaire politique de l’époque, Chirac.

            Est-ce que c’est « l’idéal » socialiste que l’on propose à une jeunesse sceptique et déboussolée ? Tout autant d’ailleurs que « l’idéal chiraquien » ?

            Seul bémol à ce triste bilan, l’amour qui liait l’homme « public » à sa « deuxième » épouse, et cela, bien avant son arrivée au pouvoir, en 1981 !

                                                           Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: police à Bobigny et déontologie. Combien de sans-papiers? Combien de dissidents en Chine? « Tragicomédie ivoirienne » de Venance Konan, avec le PS et Villepin

Humeur Tique : la police à Bobigny et la déontologie ? Combien de sans-papiers en France ? Combien de millionnaires et de dissidents en Chine ?

La « Tragicomédie ivoirienne » par Venance Konan

Gbagbo, WikiLeaks et Villepin

            La police à Bobigny et la déontologie de la République ?

S’il est vrai que le travail des policiers dans le « 9 3 » est particulièrement difficile, et qu’il favorise les dérapages, il est inadmissible que les syndicats de police, les autorités de police, et le ministre de l’Intérieur lui-même, couvrent, qu’on le veuille ou non, et telle que «  l’affaire » a été lancée, des faux en écritures publiques, d’autant plus graves, qu’ils mettent en cause les libertés publiques.

On va finir par croire, que les fonctionnaires et les élus qui ont accepté de servir la République, prennent le chemin des dictatures « douces », car beaucoup de citoyens assez bien informés savent que certains officiers de police ont tendance à abuser des infractions supposées d’outrages à la force publique, et de la garde à vue pour un oui ou pour un non.

Combien de sans-papiers en France ? Les citoyens curieux ont pu entendre ou lire qu’il y avait de l’ordre de  200.000 à 400.000 sans-papiers en France.

Le bulletin de la FMP Mutualité n°572 de novembre décembre 2010 fournit à ses adhérents et lecteurs tout un ensemble de statistiques sur  les dépenses de santé (page 14 à 17), et sur le coût de l’Aide Médicale d’Etat (AME), c’est-à-dire gratuite, dont bénéficient en priorité les clandestins et les sans-papiers.

Les dépenses d’AME sont passées de 410 millions euros, en 2001, à 576 millions, en 2007, mais ce qui parait plus inquiétant c’est l’évolution du chiffre de bénéficiaires, passant de 73 300 en 2000, à 192 000, en 2007, et 215 000 en 2009.

Ces chiffres paraissent tout à fait surprenants, car ils voudraient dire en première analyse  que le nombre des sans-papiers est sans commune mesure avec les évaluations faites au doigt mouillé.

Combien de dissidents en Chine et combien de millionnaires ?

Réponse dans l’éditorial de Libé des 11 et 12 décembre, intitulé « Peurs », un éditorial consacré aux réactions de la Chine à la cérémonie de remise officielle du prix Nobel de la Paix à M.Liu Xiaobo, « en prison » :

« La Chine a beau avoir plus de millionnaires que de dissidents, ce prix défie justement la junte au pouvoir »

Voire !  Car nos appréciations ne tiennent jamais assez compte des grandeurs comparatives entre la Chine et la plupart des autres pays, dont la France, avec des enjeux de gouvernement complètement différents, avec sans doute la peur, vraie, de la part de ses dirigeants, de l’explosion d’un pays continent, soumis à des tensions de toute nature. Est-il sérieux de croire que les dirigeants chinois aient vraiment oublié l’histoire tourmentée de l’Empire des Fils du Ciel ?

Et sur le fond, le choix du modèle social, chinois ou occidental, mérite un vrai débat, et le fait que la Chine mette en lumière le modèle confucéen, plutôt que le modèle communiste, devrait nous inciter à la réflexion.

« Tragicomédie ivoirienne » de M.Venance Konan, journaliste indépendant et écrivain, le Monde des 11 et 12 décembre (page 17) Et WikiLeaks Villepin

Une lecture vivement recommandée à tous ceux qui veulent mieux comprendre la situation actuelle de la Côte d’Ivoire et ses enjeux, avec le rôle trouble du Parti Socialiste et de certains de ses dirigeants  qui  soutiennent encore le nouveau Napoléon de Côte d’Ivoire.

Ne s’agit-il pas là de l’ancienne ou nouvelle Françafrique du Parti Socialiste de Papamadit ? Le monsieur Afrique de l’ancien président Mitterrand ? Lang, en quête d’héritage ? Et en bonne compagnie, celle de M.Emmanuelli !

Le personnage « fascinant » de Gbagbo sorti tout droit des coulisses de notre Renaissance, beaucoup plus que du siècle de Napoléon, même si comme l’indique un article du même journal (11/12/10 – WikiLeaks Décryptages, page 17), il s’est trouvé dans une autre bonne compagnie, celle d’un autre admirateur du même Napoléon :

«  L’enthousiasme de Laurent Gbagbo à l’évocation de Dominique de Villepin »

Le président ivoirien assure aux Américains que l’ex-premier ministre lui a demandé de convaincre M.Chirac de le nommer à Matignon »

« Le colonialisme en question » Frederick Cooper, Syndicats, politique et fin de l’empire en Afrique française- Lecture 7

« Le colonialisme en question »

Frederick Cooper

« Syndicats, politique et fin de l’empire en Afrique française » (page 274 à 311)

Lecture 7

Le discours

            « Après avoir consacré la majeure partie de ce livre à des conceptions intellectuelles et à des arguments historiques d’une portée considérable dans l’espace et dans le temps, je vais maintenant examiner une série d’événements particuliers. Ils ne constituent qu’une petite partie d’une plus grande histoire, mais je vais les décrire avec une densité suffisante pour démontrer l’importance que revêt la confrontation avec les sources originales sur la politique de décolonisation et pour suggérer l’intérêt que présente l’étude des sujets connexes. Ces événements ne sont toutefois pas pris au hasard. Le contexte de la Seconde Guerre mondiale – d’un petit peu avant à toute la décennie qui a suivi – amena un changement définitif des formes politiques disponibles aux bâtisseurs d’empires. J’ai dit plus haut que la fin des empires a résulté non seulement de combats titanesques et violents entre un colonialisme implacable et des forces de libération nationale, mais aussi d’un processus interne au système, à savoir l’apparition dans les structures impériales et les discours impériaux, de fissures que des mouvements politiques et sociaux opérant à l’intérieur de l’empire purent élargir. Les récit que je propose va donc montrer comment les dirigeants syndicaux africains dans une relation de dialogue et de contestation avec les responsables européens, ont conduit les deux camps situés de part et d’autre du fossé colonial dans une situation que ni l’in ni l’autre, au milieu des années 1940, ne recherchaient. » (page 274)

            « Ce chapitre va décrire un exemple de contrôle impérial qui vola en éclats sur le territoire politique que le régime considérait comme le sien propre. » (page 276)

            L’auteur décrit donc les premières grèves de Dakar et des chemins de fer d’’AOF qui se déroulèrent successivement de décembre 1945 à février 1946 et d’octobre 1947 à février 1948 :

 Premières grèves : en décembre, celle des 2 800 dockers et ouvriers métallurgistes, qui dura une semaine, puis en janvier 1946, celle des employés de bureau, laquelle se transforma en grève générale. « Elle toucha la majorité des classes laborieuses, à l’exception des cheminots et des enseignants », et dura douze jours ; d’après l’auteur, elle toucha la majorité des 15 000 salariés de la ville de Dakar.

            Les revendications portaient sur l’égalité des rémunérations et des avantages sociaux, quelle que soit l’origine des salariés.

            « C’était une demande exigeante, non seulement parce qu’elle était coûteuse, mais aussi parce qu’elle constituait une percée conceptuelle : octroyer des allocations familiales à un fonctionnaire – qui n’était pas forcément un évolué – signifiait que les besoins d’une famille africaine étaient semblables à ceux d’une famille européenne et que l’Etat devait payer le coût de reproduction de sa fonction publique africaine. » (page 282)

            La grève s’arrêta grâce à un compromis salarial.

            «  Ce récit de la grève révèle avant tout le changement intervenu dans le conflit lui-même. En février 1946, la pensée coloniale française ne fut plus ce qu’elle était en décembre 1945, et cette mutation fut la conséquence de l’obstination d’un mouvement syndical. » (page 286)

            L’auteur évoque alors brièvement les débats qui ont marqué l’élaboration du projet de nouvelle constitution à l’Assemblée Nationale, avec la participation des députés africains élus, dont Senghor et Houphouët-Boigny, notamment quant à « l’égalité impériale ».

            En finale, « le législateur a voulu marquer par-là la parfaite égalité de tous dans la vie publique, mais non la parfaite identité des Français de la métropole et des Français d’outre-mer. » (note 30)

            Grève de Dakar et débats constitutionnels ont donc posé le problème de fond, à savoir égalité de tous, publique et privée, quels que soient la race, la religion, ou le statut civil.

            Deuxième grève :

            Et l’auteur de décrire la deuxième grève, celle des chemins de fer de l’AOF, qui débuta en octobre 1947, dura un peu plus de cinq mois dans certains territoires, et mobilisa 20 000 travailleurs et leurs familles.

            La revendication portait  sur la mise en place d’un « cadre unique ».

            Les politiques entrèrent dans le débat, notamment le RDA, le tout nouveau mouvement politique d’AOF, et en Côte d’Ivoire, c’est sur l’intervention d’Houphouët-Boigny que la grève prit fin début janvier 1948.

            « Epilogue : le rejet mutuel de la référence française » (page  302)

                « La puissante dynamique décrite dans les pages qui précèdent a conduit le gouvernement français et le leadership syndical ouest-africain des années 1950 en un endroit très différent de leur point de départ… Au milieu des années 1950, l’Etat français se retrouva coincé entre la notion d’équivalence citoyenne et celle d’indissolubilité de l’empire. Ne pouvant payer l’équivalence, il devait repenser l’empire. 

            Le leadership se retrouva lui aussi prisonnier de la logique de sa position. Les demandes faites au nom de l’équivalence ne cessaient de placer les salariés africains et français dans la même catégorie. Dans la mesure où ces demandes étaient satisfaites, le processus accroissait la distance sociale entre ces travailleurs et le reste de l’Afrique, alors même que le soutien de communautés plus larges avait été essentiel au succès des grèves de 1946 et 1947-1948. »

            Contradictions donc dans les deux camps, étant donné qu’à présent « la liquidation du colonialisme devait « occuper la place d’honneur avant la lutte des classes. » ( page 304)

            La solution française de ce problème fut la « territorialisation ».

            « Le nouvel Etat africain ne devait pas seulement se caractériser par des frontières de territoires coloniaux et par une forme d’autoritarisme crispé prenant le relais de l’autorité coloniale. Il fut façonné par la montée et le déclin d’une politique alternative dans laquelle différents mouvements politiques et sociaux, surtout syndicaux, ouvrirent un espace où purent être soumises, à l’autorité impériale des revendications qui se révélèrent trop coûteuses pour être acceptées par un Etat colonial et trop menaçantes pour que ses successeurs nationaux autorisent la perpétuation de ces mouvements. C’est le processus de décolonisation et non simplement l’héritage du colonialisme, qui façonna les formes prises par kes politiques postcoloniales…

Ce qu’obtinrent les Africains, ce fut la souveraineté. Elle n’était pas la seule demande qui émergeait des mobilisations politiques des années 1940 et 1950, mais elle fut celle, finalement que la France s’empressa d’accorder. » (page 309)

Questions

La lecture de ce chapitre a son importance, si le propos du début du chapitre a été bien compris :

« Après avoir consacré la majeure partie de ce livre à des questions conceptuelles et à des arguments historiques d’une portée considérable, je vais maintenant examiner une série d’événements particuliers politiques. »

Il s’agit donc de la démonstration supposée de la méthode d’analyse proposée par l’auteur, une démonstration sur le terrain colonial de l’AOF, qui aurait pour but de nous montrer comment a fonctionné, dans le cas des grèves sociales décrites, la relation « intégration-différenciation »,  quelles « limites » a rencontré le colonialisme, et dans quelles « fissures » du système colonial, les oppositions ont pu être efficaces.

 L’auteur propose donc : « un exemple de contrôle colonial qui vola en éclats sur le territoire politique que le régime considérait comme le sien propre. »

L’auteur précise : « C’est le processus de décolonisation, et non simplement l’héritage du colonialisme, qui façonna les formes prises par les politiques postcoloniales. »

L’auteur fait donc implicitement référence aux dialectiques « intégration –différenciation » et « connexions-limitations », qui animèrent, d’après lui, le processus de décolonisation, plus que l’héritage du colonialisme.

Passons sur l’utilisation de certains termes ou expressions plus ou moins appropriés en ce qui concerne l’AOF, des « combats titanesques », un « colonialisme implacable », « la pensée coloniale », ou encore l’appréciation, « un exemple de contrôle colonial qui vola en éclats », et passons immédiatement au fond des choses.

La question de fond que pose le choix de cet exemple est celle de sa valeur représentative sur le plan historique, dans le cas de l’AOF, et donc de sa valeur démonstrative des analyses de l’auteur, et à la condition que le même exemple rende compte des autres situations coloniales de la même époque, dans d’autres territoires coloniaux.

Ce choix soulève un certain nombre de réserves et de remarques :

La dialectique exposée met en scène deux sortes d’interlocuteurs africains, situés les uns à Dakar, les autres sur les lignes de chemin de fer.

Il est difficile de ne pas voir en arrière-plan historique, d’une part la situation coloniale de Dakar, capitale et composante dominante des fameuses quatre communes du Sénégal qui ont bénéficié du statut  des communes métropolitainesen 1916, et d’autre part la position sociale du personnel des chemins de fer qui furent parmi les premiers à faire connaissance avec la « modernité » réelle ou supposée du chemin de fer, l’avant-garde des « évolués ».

Est-ce qu’il ne s’agit donc pas d’un test historique qui souffre, dès le départ d’un « biais » statistique et historique  ou d’un « bias » à l’anglaise, c’est-à-dire d’un parti pris ? Etant donné qu’il n’est pas raccordé à l’histoire de l’AOF.

Deuxième réserve méthodologique, qui tiendrait précisément au fait que ces salariés constituaient la « pointe » chronologique (après 1945) d’une modernité si bien décrite dans les œuvres d’Hampâté Bâ, celle des « blancs-noirs », les « évolués », très éloignés, pour ne pas dire coupés, avec l’urbanisation, de leur milieu paysan traditionnel, encore dominant à cette époque.

Et qu’il conviendrait alors de revenir au passé des évolués, les « blancs-noirs », à leur émergence dans les sociétés de l’Afrique de l’ouest, à leur rôle, et donc à la place qu’ils occupaient, dès l’origine dans la situation coloniale qui était la leur, en position de collaboration, de contestation, et aussi de pouvoir : il s’agirait donc beaucoup plus d’ « héritage colonial » que de « processus de la décolonisation »..

Le récit d’Hampâté Bâ sur les aventures de l’interprète Wangrin décrit assez bien les relations de pouvoir entre colonisateur et colonisé, qui ont existé tout au long de la période coloniale, et sur les « limites de pouvoir » auxquelles s’attache l’auteur.

L’administration coloniale a toujours eu à faire face, soit à de l’opposition (révolte contre la conscription en Haute Volta en 1916, fuite des travailleurs de la même colonie vers la Gold-Coast en réponse au travail forcé…), soit à de la coopération, mais elle n’a jamais pu se passer des « truchements » africains, chefs, marabouts, ou interprètes.

Et la situation décrite par l’auteur s’inscrit dans un déroulement historique identifiable, le contexte de l’après-guerre 1945 favorisant, l’expression presque normale, de nouvelles revendications.

Troisième remarque : comment ne pas noter en effet qu’en 1945, tout avait changé en France et dans les colonies avec la défaite de la France, le rôle des colonies dans la résistance française, la conférence de Brazzaville,  l’interventionnisme américain, puis rapidement la guerre froide.

Quatrième remarque : les grèves décrites marquent une forme de réussite du colonialisme, et non un échec, étant donné que les nouveaux « lettrés », les blancs-noirs, aspiraient à l’égalité républicaine, et que la 4ème République ne se crut pas en mesure de tenir les promesses verbales imprudentes de la 3ème République, alors  qu’elle avait fixé dès le départ la limite de ses engagements coloniaux.

En votant la loi du 13 octobre 1900, la Chambre des Députés avait posé un principe parfaitement clair, qui n’allait pas du tout dans le sens de l’égalité entre sujets et citoyens : « les colonies doivent pourvoir sur leurs propres ressources à la totalité de leurs dépenses de fonctionnement et de développement. »

Ce principe fut à peu près respecté jusqu’en 1939, et c’est dans le tout nouveau contexte international évoqué que le Fides, fonds d’investissement et de développement de l’outre-mer, fut créé en 1945, marquant la volonté de la France d’aider au développement des colonies fondues alors dans la nouvelle Union Française. Jusqu’en 1939, la République n’intervenait qu’en accordant sa garantie aux emprunts contractés par les colonies.

Le colonialisme a eu également pour résultat une certaine unification institutionnelle de l’Afrique de l’ouest caractérisée précisément par ces grèves syndicales et l’apparition de partis politiques.

La crise de citoyenneté, de revendication d’égalité ou d’équivalence, en AOF, marquait tout simplement la fin d’un rêve colonial, d’une hypocrisie républicaine qui avait duré trop longtemps. Certains y trouvaient naturellement leur avantage matériel.

Citoyenneté et droit civil ? Quid de la place de l’islam dans la société coloniale ? Comment marier droit civil français et statuts familiaux africains ?

Egalité entre Etats, sur le mode des déclarations américaines, ou égalité entre citoyens telle que revendiquée d’abord par les élites africaines ?

L’administration coloniale s’était d’ailleurs fait fort de respecter les « coutumes », et la France avait donc accepté un statu quo ambigu, la coexistence entre droit civil français et coutumes, mais il est évident que le problème n’était pas réglé, et de nos jours, certains observateurs diraient sans doute qu’avec l’immigration africaine, ce problème n’est toujours pas réglé.

Comment ne pas noter par ailleurs que ce chapitre ne fait aucunement référence au marxisme, à des relations de « connexion » qui ont pu exister entre les mouvements syndicalistes et politiques marxistes de métropole et ceux d’Afrique de l’ouest, notamment la CGT ?

Mais je voudrais faire un dernier commentaire sur la distinction que fait l’auteur entre héritage du colonialisme et processus de décolonisation, distinction à laquelle il parait accorder une certaine importance.

Processus ou évolution dans le temps des relations de dominant à dominé, de centre à périphérie, ou inversement ?

 L’analyse de cette évolution s’inscrit à mes yeux dans une autre dynamique, celle des « dispositions » et des « positions » de type stratégique, avec une propension des nations, des armées, ou des hommes, à entreprendre ou non, à mener des actions, des opérations ou pas, si bien décrites par un sinologue tel que François Jullien, ou par des stratèges tels que Sun Tzu ou Clausewitz.

Bonnes ou mauvaises positions et dispositions qui permettent à l’eau, le cours des choses, cours national ou international, de couler ou de s’arrêter sur des obstacles.

Dans son introduction, l’auteur salue l’importance du contenu d’un article de Georges Balandier, intitulé  « La situation coloniale », paru en 1951.

« Situation coloniale », ou « disposition coloniale », ou encore « position coloniale », pour faire appel à des concepts stratégiques ?

A la fin du 19ème siècle, il existait une propension des choses et des hommes à la conquête coloniale, mais les acteurs de cette conquête prirent très rapidement conscience des limites rencontrées par cette propension, notamment en Afrique de l’ouest, limites de toute nature, notamment géographique, un trop « plein de continentalité, » d’autant plus grandes que la France s’était interdite, comme nous l’avons rappelé, d’accorder toute aide financière à la gestion et au développement de ces nouveaux territoires.

Dès l’origine, il existait donc une propension à la décolonisation, et des administrateurs africanistes tels que Delafosse ne se faisaient déjà aucune illusion sur le destin de l’Afrique.

Il notait dans son livre « Le Broussard » (1922), à l’occasion d’une conversation avec un interlocuteur qui évoquait l’explosion d’une bombe à Hanoï, que la même chose pouvait se produire un jour en Afrique.

–       «  Nous parlions d’un événement qui avait mis en émoi l’Indochine : un Annamite quelque peu détraqué avait lancé une bombe sur un groupe d’Européens assis à la porte d’un établissement public.

–       Ce n’est pas dans votre Afrique, dis-je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs, prenant le frais et l’apéritif à la terrasse d’un café, auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive ?

–       Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant ne semble pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une affaire de temps. » (page 12)

  A la Chambre des Députés, les conquêtes ont soulevé dès l’origine l’opposition d’une partie des députés de la gauche radicale de Clemenceau et de la droite, fixées sur la ligne bleue des Vosges.

Pour caractériser la même évolution dans le temps colonial, il serait possible de recourir aux images d’un feu qui a couvé lentement, qui a provoqué un grand incendie après la deuxième guerre mondiale, mais un  incendie assez facilement circonscrit en définitive, en AOF en tout cas.

Certaines sources font état par ailleurs des discours, ou plutôt des chants des griotsles porteurs des traditions africaines, qui, dès le début de la conquête, ne manquaient pas de critiquer, de ridiculiser le « blanc » colonisateur, sans que ce dernier, le plus souvent ignorant des langues locales, ne puisse s’en apercevoir.

Il serait intéressant d’avoir, de la part des historiens africains, le résultat des travaux qui ont sans doute été effectués à partir de ces sources orales, ce que certains chercheurs baptisent du nom d’histoire « vue par le bas ».

Il s’est donc agi, beaucoup plus, d’une évolution dans le temps colonial, de la gestion d’un héritage effectivement colonial, que du résultat d’un processus de décolonisation, étant donné que les fameuses « limites » de connexion ou de déconnexion étaient posées dès l’origine.

Indiquons enfin pour avoir une idée des enjeux économiques et financiers coloniaux de l’AOF, et éventuellement du caractère représentatif du cas ci-dessus traité, que son commerce extérieur avec la France ne représentait guère plus de 3% en 1939.

Les caractères gras sont de ma responsabilité

La semaine prochaine, conclusions!

Et pour la fin de la semaine, un peu d’humour turc!

De l’humour turc

« Sublimes paroles et idioties » de Nasr Eddin Hodja ( Phébus)

Un échantillon

            « On aimait bien embarrasser Nasr Eddin avec des questions oiseuses, ou carrément impossibles à trancher. Un jour, on lui demande :

–       Nasr Eddin, toi qui est versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile du soleil ou de la lune.

–       La lune, sans aucun doute. Elle éclaire quand il fait noir, alors que le soleil luit quand il fait jour. » (page 40)

Ingérence de la Françafrique dans les affaires intérieures de la République Malgache, ou le « fait accompli colonial » au goût du jour!

Ingérence de la Françafrique dans les affaires intérieures de la République Malgache

Ou pour les lecteurs qui bénéficient d’un petit ou d’un grand vernis de culture coloniale, les  nouveaux « faits accomplis coloniaux » du XXI°siècle »

Après Gallieni à Madagascar et Archinard à Ségou et Kankan, Guéant et Châtaignier sur le Rova (la colline royale) ?

            Petite définition du fait accomplile « fait accompli » peut être défini comme un acte d’insubordination à une autorité légitime politique ou publique, par exemple d’un préfet ou d’un général à leur gouvernement légitime. Une sorte de voie de fait politique, militaire, ou administrative, en dehors de toute règle de droit, un fait qui prime tout droit.

            Dans le cas considéré, il s’agirait de la violation de traités internationaux, de la politique étrangère de la France, ou des instructions gouvernementales, s’il y en a.  

Le fait accompli de Gallieni

En 1897, le général Gallieni tira parti des délais et aléas de communication avec le gouvernement pour déposer la reine Ranavalona III, alors qu’un câble avait été posé dans le canal du Mozambique, mais il fallait encore un certain temps pour rendre compte.

Tout au long de la période des conquêtes coloniales, les officiers de marine ou des troupes de marine pratiquèrent la politique du fait accompli, en profitant des très longs délais qui étaient nécessaires pour échanger instructions et comptes rendus  entre autorités centrales, ministres et gouvernements, et autorités locales (gouverneurs ou officiers).

C’est ainsi que l’amiral Dupetit-Thouars prit possession de Tahiti, en 1843, sans en référer à son gouvernement, que le contre-amiral Rigault de Genouilly fit de même en Cochinchine, en 1859, et que le colonel Archinard prit Ségou en 1890, et Kankan, dans le fief de Samory, en 1891, dans les mêmes conditions..

Le colonel Archinard fut un grand adepte du fait accompli colonial, mais le concept de fait accompli colonial n’a jamais été clair, à partir du moment où des communications télégraphiques existaient, car avec la complicité d’un ministre du gouvernement, dans le cas d’Archinard, il s’agissait d’Etienne, le fait accompli militaire et colonial était souvent, et également  un fait accompli politique.

Et pour ramener cette problématique de la communication coloniale à celle de la guerre, il suffit de lire les analyses de Keegan sur la guerre de 1914-1918, pour prendre conscience de la fragilité de tout système de communication, qu’elle ait des causes techniques ou politiques, et donc de l’écheveau toujours complexe des lignes de commandement.

Toujours est-il que les déclarations de l’ambassadeur Châtaignier, à Antananarivo, sur la situation politique de la grande île, ressemblent fort aux fameux faits accomplis coloniaux du XIX°siècle !

De deux choses l’une :

– Ou l’ambassadeur a agi « proprio motu », et c’est de l’ingérence ou du fait accompli dans les affaires intérieures de la République malgache, à la manière Archinard,

– Ou l’ambassadeur a agi sur instruction du préfet Guéant, et cela ressort tout à fait de ce que faisaient certains ministres de la III° République, à la manière Etienne.

Et en sous-titre: est-ce que, par la voix « Chataigner » la France espère tirer les « marrons » du feu?

Jean Pierre Renaud