Gallieni, Lyautey, Tonkin, 1892-1896 : le régime alimentaire de Gallieni

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Gallieni et Lyautey, au Tonkin, dans les années 1892-1896.

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Le régime alimentaire du colonel Gallieni

Un modèle de régime alimentaire moderne, avant la lettre : céréales, fruits, légumes et laitages

            « C’est en voyant nos tirailleurs se nourrir presqu’exclusivement de leur boule de riz, enveloppée dans une feuille de bananier, et, cependant, rester encore capables de supporter les rudes fatigues de nos colonnes et présenter moins de maladies des voies digestives que les Européens, que j’ai compris la nécessité de suivre un régime de nourriture conforme à celui des indigènes.

            Déjà, au Soudan, j’avais pu constater que les races les plus vigoureuses, celles qui nous fournissent les intrépides et robustes tirailleurs sénégalais, ou encore les Peuhls, ces marcheurs infatigables au corps souple et élancé, usaient surtout, dans leur alimentation, de mil, de riz et de laitage. Au Tonkin, les coolies annamites qui, en quelques heures, vous transportent en pousse-pousse de Hanoï à Bac-Ninh, ou aussi les solides montagnards de la haute région qui escaladent, avec une agilité extraordinaire, les mamelons, et les massifs rocheux de leur pays, ne connaissent guère la viande. Enfin, plus tard, à Madagascar, je fus à même de faire la même observation sur les bourjanes (1) qui me firent faire, à plusieurs reprises, en filanzana (1), le tour de l’île, accomplissant, pendant plus d’un mois consécutif, des étapes journalières de 60 à 70 kilomètres.

C’est pour cela que, peu à peu, pendant mes longs séjours coloniaux, je me mis au même régime que mes Soudanais, Tonkinois, et Malgaches, supprimant à peu près la nourriture carnée et me bornant aux légumes, fruits et laitages. Je me trouvai tellement bien de ce régime que je continuai à le suivre en France et que, depuis, le lui suis toujours fidèle. C’est certainement à lui que j’attribue l’excellente santé sont j’ai toujours joui, malgré un séjour de vingt-huit années aux colonies, sous les climats les plus pénibles et bien que j’eusse été exposé, pendant cette longue période, à des fatigues et à des privations tout à fait exceptionnelles. Quand j’exerçais le commandement du 13ème corps, j’allai inspecter, à Vichy, notre hôpital militaire et mes premières paroles au médecin-chef furent les suivantes :

« J’ai véritablement honte, mon cher docteur, moi qui ai vécu jusqu’à ce jour presque exclusivement dans nos colonies, de mettre les pieds pour la première fois à Vichy ! » Effectivement, rares sont les coloniaux, qui n’ont pas eu à y séjourner pour y soigner leur estomac, leur foie ou leurs intestins. »

Un commentaire rapide :

1-    Nous reviendrons plus loin sur le concept de races et sur la polémique moderne que certains chercheurs ont engagée sur la « politique des races » que défendait Gallieni au titre de sa politique militaire et civile de pacification.

2-    La station thermale de Vichy : Vichy fut le rendez-vous « incontournable », selon un certain langage moderne, des coloniaux, à l’époque des conquêtes coloniales, entre 1870 et 1914.

En tout cas en Afrique, où la France organisait ses campagnes annuelles pendant la bonne saison. Beaucoup des officiers, pour ceux qui survivaient, car beaucoup d’entre eux y sont morts, revenaient en permission en métropole, après leurs campagnes, pour s’y refaire une santé, précisément à Vichy.

3-    Et nous verrons que l’estomac de Gallieni eut beaucoup à souffrir à l’occasion des festivités françaises ou chinoises organisées sur la frontière de Chine, le maréchal Sou étant, ou la puissance invitante, ou la puissance invitée.

(1)  Un bourjane était un porteur,  car il n’existait pas de route à Madagascar, et le filanzana était la sorte de chaise à porteur que les gens riches ou les représentants du pouvoir utilisaient pour se déplacer.

Jean Pierre Renaud

Bon appétit !

Humeur Tique: Présidentielle et Coucou de Chirac, « Le Malade Imaginaire » du siècle ? Coucou, me revoilà!

A lire un écho journalistique paru dans le journal Les Echos du 18 avril, dernière page, intitulé « Présidentielle : Chirac pourrait voter Hollande », d’après l’entourage. Ah ! Les entourages !

Une résurrection, à beaucoup d’égards, étrange, quelques jours après celle célébrée à Pâques ?

 Un ancien Président de la République absent à son  procès, parce que reconnu comme une « sorte d’incapable majeur » par un membre éminent des facultés de Médecine, et défendu comme tel, dans un procès perdu par la basoche la plus huppée et la mieux rémunérée de la capitale !

Que de mystères ! Et bien dommage qu’un nouveau Molière ne se saisisse pas d’un aussi beau sujet !

Un Argan, caché à l’ombre dans sa chambre,  et une Béline, sa « deuxième épouse », toujours avide des feux de la rampe !

« Echappées belles » « Bénin, une autre Afrique » France 5 du 24 mars 2012

« Echappées belles »

« Bénin, une autre Afrique »

France 5 du 24 mars 2012

Mon propre regard

            France 5 a tout à fait raison de nous proposer sa série d’émissions intitulée « Echappées belles », car elle permet aux téléspectateurs de découvrir d’autres pays, d’autres civilisations de la planète, et donc de s’élargir l’esprit.

            Ce reportage sur le Bénin est intéressant, mais il pose quelques questions.

            Incontestablement, le reporter découvre ce pays avec une certaine candeur, avouée, étant donné, qu’à un moment donné du reportage, et sauf erreur, il déclare qu’il débarquait, pour la première fois, dans cette partie de l’Afrique occidentale.

            Un reportage haut en couleurs, plaisant, qui nous fait rencontrer des interlocuteurs sympathiques, sous la conduite d’un guide africain compétent, les paysages de la côte, la découverte d’un village lacustre de la lagune, des ateliers de poterie, la route des esclaves à Ouidah, la religiosité de type vaudou qui baigne à nouveau une partie du peuple de la côte, et la visite aux descendants des rois d’Abomey et de Savalou, allié feudataire du roi d’Abomey.

            Mes réserves portent sur l’absence de cadrage historique, car il parait tout de même difficile d’évoquer le trafic des esclaves sur les côtes du Bénin, en tous points condamnable, sans précisément relever que le roi d’Abomey, Behanzin, était alors partie prenante d’un système d’esclavage, encore fort répandu en Afrique de l’Ouest.

            N’aurais-je, par hasard, pas entendu ce type de précision dans le courant du reportage ?

            Ma deuxième remarque portera sur la relation subtile que les africains ont su établir entre leurs intérêts touristiques et la crédulité des blancs, et ce reportage le montre plutôt bien.

            Le reportage consacré aux deux rois d’Abomey et de Savalou fait un sort à ce qui ressemble tout à fait à ces reconstitutions dont notre cinéma et notre théâtre sont très friands, pourquoi pas ? Et dans ce domaine, les Africains n’ont jamais eu rien à apprendre des Blancs.

Dans ses récits, le grand auteur Hampâté Bâ, a donné de multiples exemples de la manière bien à eux, traditionnelle, et bien ancrée, que les Africains ont toujours eu de se moquer des Blancs, sans naturellement que les Blancs ne s’en soient jamais rendu compte.       

      Jean Pierre Renaud

Terra Nova et ses propositions pour les quartiers sensibles

Terra Nova et ses propositions pour les quartiers sensibles

Le Monde du 13 avril 2012

« Terra Nova propose d’importer le « community organizing » à l’américaine dans les banlieues françaises

Le think tank proche du PS suggère de s’appuyer sur les initiatives des habitants »

            Tout à fait d’accord sur le constat, c’est-à-dire un constat de demi-échec de la politique publique à destination des quartiers populaires, et sur l’objectif d’une politique plus efficace consistant à mettre les habitants au centre des processus de décision.

            Mais a-t-on besoin de faire appel à l’expérience américaine pour ce faire, dont l’histoire n’a rien à voir avec celle de la France, et alors que notre pays dispose déjà d’outils juridiques, les conseils de quartiers créés par une loi du   27 février 2002 ?

Les conseils municipaux ont d’ores et déjà le pouvoir de créer des conseils de quartier, obligatoire dans les communes de plus de 80 000 habitants, et facultatifs, en dessous de cette limite une loi socialiste,

A Paris, il en existe déjà 122, mais il est vrai qu’ils servent le plus souvent d’alibis démocratiques, mais une base juridique existe qu’il faut sensiblement améliorer.

La question politique et juridique posée est en effet celle de la définition des pouvoirs donnés parallèlement aux conseils municipaux et aux conseils de quartier, une définition tout à fait insuffisante.

Dans l’état actuel du droit, un conseil de quartier n’a quasiment aucun pouvoir, et il faut donc que la loi soit complétée, et améliorée,  afin de donner à ces conseils à la fois une représentativité politique réelle et de vrais pouvoirs, avec un budget dédié et la délégation de la gestion des équipements du quartier, sur le modèle « aussi amélioré » des conseils d’arrondissement existant dans les villes de Paris, de Lyon et de Marseille.

Mais pour conclure, le think tank Terra Nova, « proche du parti socialiste », s’illustre, une fois encore, en préconisant de copier le modèle américain.

Hier, il s’agissait de généraliser en France les primaires électorales.

Aujourd’hui, il s’agirait d’importer le « community organizing » à l’américaine dans nos banlieues.

A croire que la France manque d’outils juridiques et politiques et certains de se demander si Terra Nova ne devrait pas opter pour un autre nom, celui de New Earth US !

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Hollande à l’Elysée? Les carottes sont déjà cuites?

Humeur Tique : Présidentielles 2012, Hollande à l’Elysée ?

Les jeux sont déjà faits, les carottes déjà cuites : pour qui ?

             La vie politique de la France suit décidément un cours curieux, si l’on en croit les journaux !

            En février 2011, Libération faisait campagne pour DSK, nouvel « enfant Jésus » de la politique, et déjà élu !

            Dans Le Monde des 15 et 16 avril, un gros titre en première page :

            « Autour de François Hollande, le bal des prétendants aux ministères est ouvert 

            Tout en restant prudent, le candidat imagine un gouvernement avec quinze grands pôles »

            Et dans les pages 2 et 3, les « amis » se partagent déjà ministères et directions d’administration centrale !

            Depuis le début de l’année 2011, les présidentielles alimentent la com à gogo, et les primaires socialistes en ont rajouté une grosse couche. Depuis, le festival continue.

            Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, les Guignols de Canal Plus font aujourd’hui un tabac avec un DSK sortant chaque fois de sa douche, mais ces jours derniers, les mêmes Guignols ont mis en scène, avec un réel succès, chant et danse comiques de nos candidats : enfin le vrai sérieux de la politique !

            Et pour être sérieux, vous êtes- vous déjà demandé, vous citoyen d’un pays endetté à 1 700 milliards d’euros, hors dette Sécu, combien va coûter cette folle débauche de com qui a débuté l’an dernier, tous frais compris, tous professionnels de com compris ? Un demi-milliard d’euros ?

Humeur Tique: Ecologie et présidentielles 2012 du journal Le Monde des 8 et 9 avril 2012

Cherchez l’erreur ! Infographie ? Ecologie ? Déontologie ?

            Tout d’abord, un grand bravo pour cette initiative de presse dont le but était d’éclairer les lecteurs citoyens sur les positions qu’ont les candidats sur les problèmes de l’écologie, un des enjeux négligé d’une campagne de surdose de com.

            Seul bémol, les rectifications de contenu que Le Monde a opéré d’un jour sur l’autre !

Dans le journal des 8 et 9 avril, le journal de référence annonçait en première page « Environnement : les candidats au banc d’essai

Dix questions pour tester quels « amis de la nature » sont les candidats. Eva Joly ne sort pas la mieux placée. »

 Il publiait en page 2 (2/3 de page), le début de l’article et une interview Hulot, et en page 3 (pleine page), un beau tableau et ses commentaires politiques :

« Pétrole, nucléaire, OGM… les candidats face au défi écologique

« Le Monde » a demandé aux prétendants à l’Elysée de se positionner sur des dossiers précis dans une campagne où l’environnement semble oublié »,

et publie donc un grand et beau tableau, avec trois couleurs (verte, rouge et noire) et signes pour oui, non, ne se prononce pas, récapitulatif des dix questions posées à huit candidats, et non pas dix comme c’est effectivement le cas.

            Les dix questions :  référendum sur le nucléaire, suppression des subventions aux énergies fossiles, abrogation de la loi qui interdit la fracturation hydraulique pour l’exploitation du gaz de schiste, maintien de la taxe carbone européenne sur les compagnies aériennes non européennes utilisant nos aéroports, instauration d’un  péage urbain dans les villes de plus de 300 000 habitants, rendre la trame verte obligatoire dans tout projet d’infrastructure, êtes- vous favorable à la poursuite des travaux de l’aéroport de Notre Dame des Landes, maintien de l’interdiction de la culture d’OGM ? Rendre obligatoire la réduction de 50% de l’usage des pesticides d’ici 2018, réduction de la taille des élevages en Bretagne afin de lutter contre la prolifération des algues vertes.

            Pour titre du commentaire : « Le radicalisme de Mélenchon, les paradoxes de Hollande et Sarkozy »

            Seul petit problème, d’infographie seulement ? Le lendemain, c’est-à-dire le 10 avril, Le Monde faisait paraitre en page 4, un nouveau tableau tout en noir, en indiquant :

            « L’infographie parue dans l’édition du 7 avril (daté 8-9) comportait des erreurs. Nous publions ci-dessous le tableau corrigé. »

            14 réponses sur 80 étaient erronées, concernant les pesticides et les algues vertes.

            Cinq belles plumes du journal avaient cosigné les articles.

            Sans annonce en première page de ce rectificatif !

            Sans aucune excuse et sans justification !

            Et pour tout dire, un symbole de plus d’une « campagne où l’environnement semble être oublié » !

            Incontestablement une occasion manquée pour le caricaturiste Plantu qui aurait pu épingler la nouvelle rédaction du Monde, c’est-à-dire son «infographie » !

Les Touaregs à Tombouctou: 1894-2012, une histoire qui se répète!

Tout au long de la période des conquêtes coloniales de la France (1880- 1914) sur la frange sud du Sahara, dans la région géographique, au sens large, du bassin du fleuve Niger, la France eut maille à partir avec des partis Touaregs, mais pas uniquement la France conquérante.

            Car, parallèlement, au cours des siècles, les relations entre éleveurs nomades et paysans sédentaires, ont toujours été conflictuelles, les Touaregs venant périodiquement razzier les villages africains.

            Lorsque les Français prirent la ville sainte et mystérieuse de Tombouctou, à la suite des initiatives intempestives du colonel Archinard, et à l’occasion du « fait accompli » d’un officier de marine, la colonne du colonel Bonnier fut anéantie par un parti Touareg : ce fut le désastre de Tacoubao, le 15 janvier 1894,  dans la proximité de Tombouctou. (1)

Bilan : tués, 11 officiers, 2 sous-officiers, 64 tirailleurs.

Et pour la petite histoire, 1) les Français découvrirent alors une cité dont la réalité était assez loin de son mythe, 2) le futur maréchal Joffre, avec sa colonne de secours, fut alors de cette aventure coloniale.

A l’époque, les Touaregs jouaient déjà un rôle important dans la vie de la vieille ville sainte.

Mais les Touaregs proposaient aussi, hier comme aujourd’hui, un incontestable modèle de vie, fait d’exigence et de rigueur, incontestablement digne de respect et de reconnaissance.

Jean Pierre Renaud

(1)    J’ai relaté et analysé cet épisode dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » ( editionsjpr.com)

Humeur Tique: La laïcité relativiste de l’archevêque de Paris?

L’interview  du journal Le Monde des 8 et 9 avril 2012, sous le titre :

« La République veut-elle intégrer des croyants ? »

            Curieuse interrogation, très curieuse interrogation !

La question appropriée à notre République ne devrait-elle pas plutôt être la suivante :

« La République veut-elle intégrer des citoyens ? »

Et une autre interrogation quant à cette forme d’ingérence, nouvelle, dans la vie politique du pays, peu conforme à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905.

Sur le constat d’une campagne franco-française et clientéliste, tout à fait d’accord, mais les propos tenus sur la laïcité et la place des religions recèlent à la fois une bonne dose d’angélisme et une grande ambigüité.

On ne va tout de même pas introduire, ou réintroduire, l’instruction religieuse dans nos écoles publiques, et donc rallumer des guerres de religion qui ont fait tant de mal à la France.

Les romans historiques et populaires de Jean D’Aillon donnent un aperçu tout à fait « concret » des guerres de religion, entre catholiques et protestants, qui ont ravagé la France, notamment au seizième et dix-septième siècles, une utile piqure de rappel national !

Et cela dans un monde où chaque jour, ou presque, des chrétiens sont martyrisés ? Pour ne pas évoquer les autres guerres de religion de la planète !

Nombreux sont encore, et à juste titre, les citoyens de notre pays qui voient dans la laïcité de la République un véritable rempart contre toutes les manipulations religieuses, idéologiques, ou politiques, et ils ont raison !

Gallieni et Lyautey, ces « inconnus »? « Eclats de vie coloniale et morceaux choisis »

Gallieni et Lyautey, ces « inconnus » !

Annam, Tonkin, Madagascar, avec Gallieni et Lyautey

1892- 1905

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

 Choix, présentation et commentaires par Jean Pierre Renaud

&

Tonkin (1892-1896) et Madagascar (1896-1905)

Le regard de deux grands « colonialistes » de la Troisième République : Gallieni et Lyautey

L’adjectif de « colonialistes » a été choisi pour son caractère anachronique, plus familier à certains chercheurs qu’à d’autres, étant donné que le terme n’existait pas encore. Le dictionnaire Larousse, en 6 volumes, de l’année 1929 fait l’impasse aussi bien sur le mot de colonialiste que sur celui d’anticolonialiste.

Et, à nouveau, pourquoi ce silence des institutions savantes, notamment de la brillante EHSS, et des instituts de sondage, quant à l’utilité de procéder à une enquête statistique sérieuse sur la mémoire coloniale des Français ?

Faute d’idée d’y procéder, ou de peur d’y découvrir la vérité ?

Sans doute, peu d’entre eux connaissent le nom de ces deux « colonialistes », et encore moins leur rôle dans l’histoire de la France !

L’anecdote : le colonel Charbonnel rapportait, dans son livre « Vingt ans à l’ombre de Gallieni » la conversation qu’il eut avec le ministre de Lanessan, lorsqu’il servit à son cabinet, en 1900. M de Lanessan était franc-maçon, à la différence de Gallieni et de Lyautey. A cette époque de la Troisième République, cette appartenance avait beaucoup de poids politique. Il lui confia :

« Le général Gallieni, le colonel Lyautey, ce sont de bons chefs. Ce ne sont pas des coupeurs de têtes. »

&

Présentation des textes

Les Sources :

« Gallieni au Tonkin par lui-même » (Berger-Levrault 1941)

« Lettres du Tonkin » (Armand Colin 1920) et « Lettres du Tonkin et de Madagascar » (1894-1899) de Lyautey (Armand Colin 1921)

« Lettres de Madagascar » (1896-1905) de Gallieni (Société d’Editions géographiques, maritimes et coloniales 1928)

« Lettres du Sud de Madagascar » (1900-1902) de Lyautey (Armand Colin 1935)

            Sous le titre « Eclats de vie coloniale », ces textes ont l’ambition de proposer toute une série d’illustrations du regard que deux « colonialistes », exceptionnels à tous points de vue, ont porté sur les deux territoires, que l’on appelait alors nos « colonies »,  le Tonkin et Madagascar, à l’occasion du service colonial, armé ou pacifique, qu’ils y ont exécuté.

            Au Tonkin :

 De 1892 à 1896, Gallieni fut le « pacificateur » du Haut Tonkin, en qualité de Commandant du Deuxième Territoire, frontalier de la province de l’Empire Chinois  du Quang-Si,  où il exerçait tous les pouvoirs civils et militaires.

            Il mit fin à la piraterie traditionnelle, sino-annamite, essentiellement d’origine chinoise, qui y  sévissait traditionnellement, facilitée par les hauts reliefs de cette région, avec la complicité des mandarins chinois, grâce aux liens de coopération et de confiance qu’il sut nouer avec le maréchal Sou, gouverneur militaire de cette province.

            Gallieni y mit au point une vraie méthode de pacification à la fois civile et militaire, la méthode dite de la tache d’huile.

            Entre 1894 et 1896, et alors qu’il était en poste à l’Etat-Major d’Hanoï, Lyautey eut la chance d’accompagner, à plusieurs reprises, le colonel Gallieni dans ses opérations de réduction des repaires de pirates les mieux installés dans ces hautes régions, notamment celui du Ké-Tuong.

Leur collaboration prit aussitôt un caractère exceptionnel, et Lyautey en rendit régulièrement témoignage dans les nombreuses lettres qu’il adressait à ses nombreux correspondants, sœur, frères, ou amis.

Un seul exemple parmi beaucoup d’autres, le récit de la conversation peu commune qu’ils eurent, au cours de leur campagne militaire dans les hautes régions du 2ème Territoire du Tonkin que commandait alors Gallieni.

A son sujet, Lyautey utilisait l’expression « grand frère ».

Le 3 mai 1895, avec la colonne du Ké-Tuong, à proximité de la frontière de Chine :

« Il s’est fixé comme règle immuable, que ce soit en station ou en route, de toujours s’imposer avant le dîner ce qu’il appelle son « bain de cerveau », c’est-à-dire une heure consacrée à se promener avec un compagnon , en causant, sans qu’il soit permis de prononcer un mot de service. En ce moment, il est emballé par un nouvel auteur italien qui vient de surgir : Gabriele d’Annunzio, dont il a un volume dans sa sacoche, et aussi sur l’Autobiographie de Stuart Mill, que j’avais emporté et qui l’empoigne. Il ne me parle donc que qu’Annunzio et Stuart Mill ; et comme je l’avoue, ma pensée est toute à Gérard (un des chefs de détachement militaire) et aux risques du lendemain, et que je ne puis m’empêcher de revenir, il me coupe net d’un : « Laissez donc tout ça tranquille, à la fin ! Les ordres sont donnés, tout le nécessaire est fait ; à quoi cela vous avancera–t-il de ratiociner ? Vous avez aussi besoin de tenir vos méninges en bon état ; causons Stuart Mill, et nous verrons bien demain matin. » (LTM/p,199)

Le commandant Lyautey écrivait beaucoup, à bord d’un bateau, au bivouac, lors d’une opération, ou dans sa maison  « bibelotée » de Hanoï.

Le récit des campagnes de Gallieni au Tonkin, paru dans le livre « Gallieni au Tonkin par lui-même », est avant tout un carnet de route militaire, mais avec une dimension de pacification civile, et tout autant « diplomatique », étant donné l’importance que revêtit l’établissement de relations de confiance avec le grand voisin chinois et son Empire du Ciel, c’est-à-dire entre Gallieni et le maréchal Sou, Gouverneur militaire de la province du Quang-Si.

« Les lettres du Tonkin » de Lyautey portent sur un champ d’observation coloniale beaucoup plus large, compte tenu des fonctions qu’il exerça au cabinet du Général, commandant en chef au Tonkin, et du Gouverneur général de l’Indochine.

Mais ses fonctions à Hanoï furent entrecoupées de campagnes militaires auprès de Gallieni, campagnes qu’il raconta longuement dans ses lettres, et c’est à l’occasion de ses campagnes qu’il noua des relations à la fois d’admiration et d’amitié avec Gallieni.

Lyautey écrivait plus loin :

Hanoï, 20 juillet 1895 :

« Ma « fleur bleue », c’est l’intimité qui s’est nouée entre le colonel et moi depuis nos bivouacs communs. »(LTM,p,225)

A Madagascar :

Cette intimité conduisit les deux officiers à se retrouver à Madagascar, quand Gallieni, le nouveau Gouverneur général et Commandant en Chef, l’appela à ses côtés en 1897.

Le général Gallieni fut nommé Gouverneur Général et commandant en chef  à Madagascar pour réduire la grave insurrection qui suivit la conquête de la grande île à la suite de la folle expédition de 1895.

En qualité de commandant en chef, il eut, tout au début, « la main lourde », comme il le reconnut plus tard, en faisant fusiller à l’automne 1896 deux princes du sang, l’un appartenant à la cour de la reine Ranavalona III, l’autre exerçant des fonctions de ministre de l’Intérieur auprès de lui, mais il mit en œuvre, et fit mettre en œuvre progressivement, une politique de pacification dite de la tâche d’huile, dont il avait imposé les principes et la mise en application au Tonkin.

Il s’agissait de combiner l’action militaire et l’action politique afin de ramener la paix civile. C’est ce qu’il fit à Madagascar, avec notamment le concours de Lyautey, tout d’abord dans ses commandements du nord de l’île, notamment à Ankazobé, puis à l’occasion de son commandement du Sud de Madagascar, à Fianarantsoa. (1897-1900)

Mais que le lecteur ne soit pas abusé par le nom du siège de ces commandements, car Lyautey, à l’exemple de Gallieni, était en permanence, non pas sur des routes qui n’existaient pas, mais sur les pistes. A Madagascar, Gallieni passa la moitié de son temps en tournées, à pied, en filanzana (sorte de chaise à porteurs), à cheval, ou en bateau autour de l’île.

Les notes de Gallieni sont intéressantes, car leurs sujets dépassent cette fois, et nettement, le cadre militaire, comme c’était le cas dans ses récits de campagne du Tonkin, et abordent donc, comme Lyautey, la plupart des aspects de la politique coloniale française.

Nous publierons donc, successivement, sur ce blog, ce que nous avons appelé des « Eclats de vie coloniale » – Morceaux choisis, c’est-à-dire des épisodes  éclairants de leur expérience coloniale, telle qu’ils la racontaient.

L’évocation de ces « Eclats de vie coloniale » suivra la chronologie de leur carrière militaire, tout d’abord au Tonkin, puis à Madagascar, et nos deux premiers sujets porteront, le premier sur le régime alimentaire de Gallieni (1), aux « avant-postes » d’une alimentation saine que nous paraissons redécouvrir aujourd’hui, et le deuxième (2), sur l’opinion que Lyautey avait sur notre expédition malgache, comparée aux possibilités exceptionnelles de développement qu’offrait notre présence en Indochine.

Seront ensuite publiés au cours des prochains mois, dans la série Tonkin, des morceaux choisis dont les objets sont les suivants :

–       en Indochine (1894-1895) : protectorat ou administration directe, avec le Gouverneur général de Lanessan,

–       l’Empereur Than-Taï, fou ou non, avec Lyautey (1895-1896),

–       Gallieni en Chine, chez le maréchal Sou, premier et deuxième voyage en 1894

–       Le maréchal Sou en visite à Lang-Son (1896)

–       Regards sur la modernité d’ Hanoï, de Lang-Son, et de Tuyen-Quan (1895-1896)

–       La politique des races de Gallieni au Tonkin et à Madagascar

Et nous proposerons ensuite aux lecteurs, une série d’ »Eclats de vie coloniale » et de morceaux choisis concernant Madagascar

Jean Pierre Renaud

Le film « Apart Together » du réalisateur chinois Quang Wang An

L’histoire se déroule dans la ville de Shanghai que l’on découvre au fur et à mesure du film dans sa démesure de mégapole urbaine qui avale successivement toute la cité ancienne, dont on voit encore quelques lambeaux : le fleuve puissant et mythique du Yang Tsé, les nouveaux gratte-ciel, une ville toujours en ébullition et en pleine mutation !

            Ce film raconte l’histoire intéressante de l’amour d’un couple marié que la guerre civile entre les nationalistes de Chiang  Kai-Shek et les communistes de Mao Tsé Tung a séparé en 1949, les troupes nationalistes défaites embarquant pour la nouvelle République de Chine à Taïwan, un amour qui ne s’est pas éteint.

            Jeune marié, le soldat nationaliste avait alors embarqué, sans avoir eu la possibilité d’emmener sa jeune épouse avec lui.

Cinquante ans plus tard, alors qu’il est veuf, il revient à Shanghai pour tenter de renouer le fil de son ancien amour. Belle histoire, mais son ancienne épouse vit avec un ancien combattant de la Chine communiste, conjoint modèle, dont elle a eu deux enfants, en plus du fils qu’elle portait, quand son mari l’a quittée.

 L’intérêt du film repose sur le cadre de vie social dépaysant, les rapports psychologiques et humains qui se nouent entre le vétéran nationaliste et le vétéran  communiste,  entre le premier et la famille recomposée de sa première épouse, des rapports humains et des situations familiales où les repas partagés, débordant de nourritures de toutes sortes, émaillent continument le film.

Le film s’achève sur le triomphe d’une sagesse humaine, qui s’impose aux trois principaux protagonistes de l’intrigue, c’est-à-dire, une forme de renoncement ou encore le don de soi à l’autre

Mais comment ne pas s’arrêter sur un détail, peut être insignifiant, et pourtant révélateur ? La différence de perception du souvenir que les trois personnages principaux ont conservé de ce jour de 1949, qui, pour le  vétéran communiste fut  une journée ensoleillée, alors que pour les deux amoureux, ce fut une journée de forte pluie !

Jean Pierre Renaud avec sa concubine préférée